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William
Leday Le succès fut toujours un enfant de l’audace. Crébillon père
Symbole
de la puissance française en Orient, vitrine de la modernité coloniale,
l’Indochine française, que l’on nommait communément la
perle de l’Orient, tenait une place particulière au sein de
l’empire colonial de la France. Une place de choix en terme de
potentiel, mais également une place de prestige dans l’imaginaire des
contemporains. Cette colonie connaît un sort singulier lors de la guerre
du Pacifique : livrée à elle-même du fait de l’occupation de la
métropole par l’Allemagne nazie, elle subit le diktat
des autorités nippones dès 1940. Au moment où l’Empire du Soleil
levant se prépare à affronter les Anglo-Américains, la colonie française
amorce le crépuscule de son histoire. Les prémisses de ce crépuscule
commencent avec les préparatifs et le déroulement du Plan
Sud. Cette opération fut une gigantesque offensive combinée visant
à assurer la mainmise de l’Empire du Soleil levant sur toute l’Asie
du Sud-Est. Disposant de l’Indochine française comme d’un tremplin,
le Japon a déferlé sur toute l’Asie du Sud-Est, les qualités géostratégiques
de la colonie française ont contribué au succès des opérations. Se
pose alors la question de l’implication de la colonie française dans
les opérations, puisque sur son sol stationne la majeure partie des
unités terrestres et aériennes du corps expéditionnaire nippon ainsi
que la logistique. Plus largement, il s’agit de la question de la place
de l’Indochine française dans la stratégie japonaise en ce début de
conflit. Le Plan Sud peut-être considéré comme l’un des plus beaux chefs d’œuvre stratégique de l’histoire militaire du xxe siècle. L’enchaînement des opérations, l’effet de surprise, la grande intelligence déployée lors les affrontements, l’adaptabilité, la réactivité et la parfaite coordination entre l’Armée impériale et Marine impériale – deux armées qui a priori ne s’entendent pas et n’ont pas grand chose en commun – font du Plan Sud un enchaînement de haute volée stratégique. Il aurait été inconcevable pour le haut commandement japonais de négliger l’Indochine française, véritable plate-forme pour les opérations à venir, il ne la négligea en aucune sorte. Véritable tremplin, l’Indochine française va être configurée pour les opérations en l’espace de quelques mois, de juillet à décembre 1941. Au vu du déroulement de l’offensive, il était tout à fait pertinent de se poser la question du rôle de l’Indochine française et de sa place dans le dispositif militaire. Après diverses lectures infructueuses, il fallait se rendre à l’évidence, la plupart des ouvrages de vulgarisation ont occulté le problème de la plus belle manière. À leurs yeux, l’Indochine française ne figure qu’au titre de possession japonaise, la présence française est au mieux reconnue. L’Indochine française a pourtant bien joué un rôle de premier plan. Pour étayer cette analyse stratégique, il est nécessaire, dans un premier temps, d’étudier les prodromes qui président à l’élaboration du Plan Sud et les préparatifs en Indochine française, pour dans un second temps, comprendre la place centrale jouée par l’Indochine française lors du déroulement des opérations. LES PLANS INITIAUX ET LA PLACE DE L’INDOCHINE française DANS LA STRATÉGIE NIPPONELe
Japon des années 1930 est un pays dont la vie politique est fortement
teintée de nationalisme et de militarisme. Après une brève période de
libéralisme politique – l’ère Taisho
– les extrêmes ont séduit une large frange de la population. Le monde
rural encore majoritaire a supporté fiscalement tout le développement
sans pour autant en voir les bénéfices, la crise économique ayant
provoqué un phénomène de paupérisation. À ces raisons structurelles,
il faut ajouter la place dévolue à la caste des guerriers dans
l’imaginaire japonais, place d’autant plus prestigieuse que l’armée
et la marine bénéficient de l’aura récente de la guerre
russo-japonaise. Le soubassement de la vie politique japonaise voit la
confrontation de deux courants de pensée de nature nationaliste et
militariste. Dans les années 1910 et 1920, une divergence est déjà
latente dans les milieux militaires, elle se mue en confrontation dans les
années 1930 et tend à éclipser la partition traditionnelle entre les
deux partis Minseito et Seiyukai. De
fait, les milieux militaires, très politisés, possèdent un immense
magistère moral au sein de la société nippone, car selon l’architecture
constitutionnelle en vigueur, les armées n’ont de compte à rendre
qu’à l’empereur. Le dilemme entre deux visions stratégiques : déferler vers le Sud ou attaquer la SibérieCette
confrontation entre deux visions stratégiques différentes est animée
par deux associations d’officiers qui ont éclot au cours des années
1930, le Tosei-Ha et le Kodo-Ha.
Ces deux associations, tout en reflétant deux courants d’idées, ont
comme volonté commune de réformer en profondeur le Japon, et la place de
celui-ci sur l’échiquier mondial avec comme finalité l’accomplissement
de son Kokutai[1].
De cette confrontation détermine largement la vision stratégique qui
imprègnera les esprits forts du camp japonais. Le
Kodo-Ha
est composé essentiellement de militaires. Cette société
trouve son pendant intellectuel dans la Sakura
Kai (littéralement société du
Cerisier) qui regroupent les grands théoriciens alimentant idéologiquement
les militaires du Kodo-Ha à
l’image de Kita Ikki. Ils soutiennent que le Japon doit accomplir une Révolution
nationale. Cette Révolution
nationale devait aboutir à une union entre le souverain d’origine
divine et son peuple, d’où le nom de Kodo-Ha,
littéralement, Société de la voie
impériale. Ladite union supposait la destruction des classes
aristocratique et bourgeoise. À
l’extérieur - les Japonais raisonnent sur une dialectique Uchi
– Soto intérieur-extérieur extrêmement prégnante[2]
- toujours selon les théoriciens du Kodo-Ha,
il est nécessaire de mener une guerre de libération en Asie. Le premier
objectif consistant en l’élimination de l’URSS. L’Asie doit ensuite
faire l’objet d’une invasion visant à rendre honneur et indépendance
aux Asiatiques. Retenons simplement que l’objectif prioritaire est la
destruction de l’URSS, véritable obsession des officiers du Kodo-Ha.
En 1933 et 1934, les officiers du Kodo-Ha
ne sont pas loin de réussir à prendre le pouvoir par des moyens légaux,
le principal responsable de la société, le général Araki devient
ministre de la Guerre[3].
Mais cette période d’ascendance est de courte durée, le général
Araki, proférant de tels propos – une guerre mondiale à venir entre
le Japon et l’URSS – qu’il est remplacé par son rival du Tosei-Ha,
Hayashi Senjuro. Cette défaite politique consacre l’abandon de la
voie légale pour le coup d’État par l’intermédiaire de sociétés
secrètes de jeunes officiers dont
le Kodo-Ha est la tête pensante
(ils seront très bien mis en scène par Mishima dans le second tome de La mer de la fertilité). Il a lieu le 26 février 1936, c’est un
échec, une terrible répression s’abat sur les officiers et certaines têtes
pensantes du Kodo-Ha, dont Ikki
Kita, sont condamnées à mort. Malgré son amoindrissement, le Kodo-Ha continue à exercer une influence certaine dans les rangs
des jeunes officiers, particulièrement dans l’armée du Kwantoung. Moins
utopique, plus réaliste tant au plan des idées que dans la démarche,
mais non moins intransigeant, le Tosei-Ha regroupe des
officiers moins jeunes, souvent plus haut gradés et en forte collusion
avec les milieux d’affaires et l’aristocratie. Comme le Kodo-Ha, le Tosei-Ha possède
un versant intellectuel, il s’agit de la Yuzonsha dont le principal
penseur, Okawa Shumei, est l’auteur de la théorie du cercle autarcique
et de la sphère de coprospérité qui alimenteront le substrat idéologique
de l’aventure japonaise dans le Pacifique. La réformation de la société
japonaise doit être déclenchée par des actions extérieures et donc par
un nécessaire élan panasiatique. C’est la guerre qui doit permettre
la révolution intérieure, alors qu’à l’inverse, le Kodo-Ha
soutient que cette révolution est un préalable nécessaire à toute
action extérieure. Vers le milieu des années 1930, ce groupe
d’officiers accède aux plus hautes fonctions et mène la répression du
Kodo-Ha par l’intermédiaire
du ministre de la Guerre, Hayashi[4].
Tous les grands généraux de l’Armée impériale que l’on retrouve
lors de la guerre du Pacifique (ou de la Grande Asie) de 1937 à 1945 sont
membres de cette société : le maréchal Térauchi (Commandant du
corps expéditionnaire Sud puis groupe d’armées Sud), les généraux
Tojo (futur Premier ministre), Toshiro, Koiso ou Itagagaki. Pour eux,
l’adversaire premier n’est pas l’URSS, car celle-ci n’a pas
d’intérêts véritables dans le Pacifique au contraire des puissances
occidentales. Ils pensent que le premier acte de la destinée du Japon
doit se jouer avec la libération des peuples asiatiques du joug
occidental. Le Tosei-Ha ayant
triomphé de sa confrontation avec le Kodo-Ha,
sa vision stratégique s’impose avec d’autant plus de force
qu’elle se trouve corroborer par le contexte international et
diplomatique. Un choix dicté par les faitsL’une
comme l’autre, ces factions sont convaincues de l’approche d’une
guerre. Comme nous l’avons vu plus haut, le Kodo-Ha,
soutient la nécessité d’une guerre contre l’URSS, il semble que,
dans un premier temps, les événements leur donnent raison :
l’asservissement de la Mandchourie (1931-1933), la mise en place de la
fiction politique qu’est le Mandchoukouo puis les opérations dans le
nord de la Chine. Avec la prise de Hankéou en 1938, les deux factions
s’opposent une nouvelle fois sur la continuation ou non de cette guerre
en Chine. Pour le Tosei-Ha et la
faction belliciste de la Marine, il faut éliminer le Kuomintang, qui
n’est, à leurs yeux, que l’émanation des intérêts occidentaux en
Asie et pousser le conflit en Asie du Sud-Est pour briser la dépendance
énergétique du Japon vis-à-vis des pays occidentaux en général, et
des États-Unis en particulier. Les officiers du
Kodo-Ha pencheraient pour une entente avec le Kuomintang
en échange de la conservation de la Chine du Nord et le déclenchement
des opérations contre la Mongolie et la Sibérie. La
prise en main de l’appareil d’État par les éléments favorables au Tosei-Ha,
les incidents avec l’URSS (à Changkougfeng le 11 juillet 1939 et à
Nomonhan en mai 1939) et les
avantages politiques et géopolitiques
acquis en Asie du Sud-Est suite à une vigoureuse percée diplomatique
favorisent les visées du Tosei-Ha de
manière définitive. L’influence exercée par le Japon dans les milieux
politiques thaïlandais et l’appui concédé lors des incidents
franco-thaïlandais en janvier 1941 font de ce pays un appui non négligeable
en cas de conflit. Par ailleurs, les facilités acquises en Indochine du
Nord, la position délicate de l’État de Vichy sur l’échiquier international
qui a conduit à un traité défavorable avec la Thaïlande, autorisent
les Japonais à tabler sur un élargissement des facilités militaires
dans le sud de l’Indochine de manière à asseoir les affrontements à
venir dans un contexte favorable. Les négociations avec l’URSS débouchent,
le 13 avril 1941, sur la conclusion d’un Pacte de neutralité pour
quatre ans renouvelable. Le Japon obtient de l’État français
(juin-juillet 1941) l’élargissement des facilités militaires accordées
par la France ainsi que les négociations avec les Indes néerlandaises
(septembre 1940 – janvier 1941). Les négociations avec Batavia pour un
accord commercial visant à casser la dépendance énergétique vis-à-vis
des États-Unis, échouent du fait de la pression des Anglo-Américains. Au
final, la conférence impériale du 2 juillet 1941 arrête la décision de
manière univoque et définitive. C’est la Marine impériale qui met fin
aux tergiversations, l’influence de l’amiral Nagano ayant été déterminante
dans la décision finale. La place de l’Indochine dans les plans nippons : les accords de 1941J.
Valette dans son ouvrage Indochine 1940-1945. Français contre Japonais, explicite fort bien
le déroulement de ces négociations, aussi nous nous contenterons
d’un bref rappel des avantages obtenus par le Japon. Les accords
franco-japonais des 29 juillet et 9 décembre 1941 instituent de manière
très officielle une alliance défensive entre les deux entités
politiques (Japon et Gouvernement général d’Indochine). Cette
alliance a officiellement pour objet la défense de la possession française
par les forces armées japonaises qui pour ce faire doivent être déployées
sur place. Les principes de base qui animent l’accord du 29 juillet 1941
sont complétés par des accords locaux passés entre les deux états-majors
(dont celui du 9 décembre 1941). Les revendications japonaises sont totalement
satisfaites comme le montre l’énumération non-exhaustive ci-après : -
L’“Envoi
en Indochine méridionale du nombre de troupes, d’unités navales et de
formations aériennes jugées nécessaires” (Annexe III - Protocole
entre la France et l’Empire du Japon concernant la défense de
l’Indochine française, 29 juillet 1941). -
La faculté
pour les Japonais d’utiliser huit bases aériennes supplémentaires dans
le sud de l’Indochine en sus de celles attribuées par les accords de
1940 dans le nord : Sienreap, Phnom Penh, Tourane, Nhatrang, Bien
Hoa, Saïgon, Soctrang et Kompong Trach ( § IV.5 de l’accord
local du 9 décembre 1941). -
L’État de
Vichy concède aux forces japonaises stationnant en Indochine des
facilités financières sous la forme d’une avance remboursable auprès
de la Banque d’Indochine (huit millions de piastres par mois)[5]. -
Une liberté
totale de déplacement et de manœuvre pour les unités de l’Armée impériale. -
Le contrôle
intégral de toutes les entrées et sorties de navires des ports
indochinois (§ 3.1 de l’accord local du 9 décembre 1941). -
La
consultation préalable du commandement japonais pour tout mouvement
d’unité appartenant aux forces armées françaises, notamment ceux de
l’armée de l’air (§ IV.2 de l’accord local du 9 décembre
1941). -
Des mesures
exceptionnelles concernant l’utilisation des transports par route ou par
voie ferrée, avec une clause spéciale sur l’utilisation des lignes
ferroviaires au Cambodge (§ V.2) ; de même que l’armée
japonaise se réserve le droit, si les circonstances l’exigent, d’interdire
la “circulation terrestre,
maritime ou fluviale” dans les zones d’opération (§ V.7) ;
une réglementation drastique des communications intérieures et extérieures,
ces dernières pouvant être interrompues à tout moment (§ 6). Seuls
les domaines touchant à l’occupation de locaux, de casernes, la réquisition
de bâtiments, l’achat massif de denrées alimentaires restent
conditionnés par une autorisation préalable du Gouvernement général
d’Indochine. De telles facilités assurent au Japon une base logistique
dimensionnée pour un important corps expéditionnaire. L’Indochine du
Sud donne aux Japonais la possibilité de contrôler l’intégralité de
la mer de Chine, de mettre Bornéo, la Malaisie, Singapour et Java à portée
des bombardiers de l’aéronavale et de l’Armée impériale, sans
compter les possibilités que peuvent offrir deux ports tels que Saigon et
Cam Ranh. Les accords franco-japonais de 1940 avaient pour objectif de sceller le blocus des armées de Tchiang Kai-Chek et constituait une stratégie indirecte. Les aspects militaires des accords de 1941 ne sont pas de même nature : sous couvert d’une alliance défensive, les Japonais préparent les opérations dans le Sud-Est asiatique et obtiennent la possibilité d’agir à leur guise en Indochine. Le Japon entre en guerre avec des atouts appréciables dans le Sud-Est asiatique. Et, tandis que l’aéronavale japonaise s’entraîne au-dessus de la rade de Kagoshima en vue de l’attaque de Pearl Harbor, en Indochine, les préparatifs commencent au lendemain de la signature des accords du 29 juillet 1941. Les navires de transport, qui attendaient le dénouement des négociations au large de Saigon, pénètrent dans le port et déversent un flot d’unités et de matériels en vue de l’offensive. Les lignes générales du Plan SudL’offensive lancée par les Japonais dans le Pacifique se décompose en plusieurs phases. Seule la première a été menée à bien. Cette première phase englobe un ensemble d’opérations qui compose le Plan Sud et vise à l’invasion des possessions occidentales en Asie du Sud-Est, complétée à l’Est du Pacifique par l’annexion d’archipels. L’enchaînement des différentes phases de cette offensive est un chef-d’œuvre stratégique eu regard à l’ampleur des mouvements et à la longueur des lignes de ravitaillement. C’est au colonel Tsuji Masanobu que revient la conception de cette offensive de grand style. À partir du mois de janvier 1941, il dirige un vaste réseau d’informateurs opérant dans toutes les colonies occidentales de l’Asie du Sud-Est. Les rapports issus de ce réseau permettent la conception d’un plan pour l’Armée impériale validé ensuite par le Haut commandement au mois de juillet 1941. La première phase de cette offensive se décline en trois grandes manœuvres : -
La plus
spectaculaire reste l’attaque de Pearl Harbor. Conçue par l’amiral
Yamamoto en personne, elle est menée par le gros de l’aviation embarquée
de la Marine impériale : les six fleurons de la flotte de
porte-avions transportant 355 avions de combat et escortés par une infime
partie de la flotte : deux cuirassés modernisés, deux croiseurs
lourds et neuf destroyers. -
Pendant
que cette kido butai (littéralement groupe de combat) neutralise la flotte américaine
du Pacifique, deux convois chargés de fusiliers marins ont pour mission
la prise de Guam et de Wake. Pour l’île de Guam il s’agit d’un
convoi de neuf transports avec 5 400 fusiliers-marins escortés par
quatre destroyers et un mouilleur de mines ; pour l’île de Wake,
deux transports escortés par six destroyers et le croiseur léger Yubari. - L’invasion des colonies occidentales doit être réalisée de manière combinée par la Marine impériale et l’Armée impériale. La Marine impériale assure la couverture aéro-maritime ainsi que la destruction de la flotte de l’A.B.D.A. (American-British-Dutch-Australian), pendant que l’Armée impériale procède à l’occupation des colonies proprement dites (Malaisie, Hong-Kong, Birmanie, Indes néerlandaises et les Philippines). Les stratèges japonais doivent compter sur plusieurs paramètres discriminants dont souffrent les unités de l’Armée impériale. 1) Les armées japonaises ne sont pas, contrairement à une idée reçue, des armées adaptées aux climats tropicaux ; même si le milieu naturel du Japon est boisé, les forêts japonaises n’ont cependant rien à voir avec les jungles de l’Asie du Sud-Est. Le colonel Tsuji à la tête de la Section de recherche de l’armée de Taiwan, est chargé d’élaborer un programme d’adaptation tropicale pour les unités terrestres. 2) Les Japonais doivent s’assurer du libre passage des troupes nippones de l’Indochine en Thaïlande et du débarquement d’unités terrestres dans les ports thaïlandais dès les premières heures qui suivent l’ouverture des hostilités. 3) La maîtrise du calendrier : dès les premiers jours de décembre, les différents convois prennent la mer pour rejoindre leurs destinations respectives (Malaisie, Philippines et Hong-Kong), ce, bien avant le début des hostilités. Pour atteindre ces objectifs en temps voulu, les Japonais mobilisent une partie non négligeable de la flotte de surface et de l’aéronavale, l’Armée impériale quant à elle mobilise un cinquième seulement du corps de bataille terrestre et ses meilleures unités aériennes. L’Armée
impériale et les forces aériennes (maréchal
comte Terauchi) : Le commandement du théâtre Sud est confié au maréchal comte Terauchi, ancien
commandant de l’armée du Kwantoung. Les stratèges tablent sur
seulement 11 des meilleures divisions et 3 brigades indépendantes (dont
une blindée), certaines ont vu le feu à plusieurs reprises durant la
guerre de Chine. Au total, il s’agit d’à peine 250 000 hommes
appuyés par un millier d’appareils de combat toutes armées confondues.
Le tableau ci-après montre clairement le volume de forces déployées en
Indochine pour les opérations en Asie du Sud-Est. Notons que la moitié
des unités qui opèrent en Asie du Sud-Est (en excluant les Philippines
dont la base de départ principale est Formose) sont déployées en
Indochine française au début des hostilités. L’ampleur des forces japonaises engagées dans les opérationsOrdre
de bataille du Corps expéditionnaire Sud
|
|
Objectifs
|
Unités
terrestres (bases de départ) |
Couverture
aérienne & appui aérien |
25e
Armée (général Yamashita) |
Prise
de la Malaisie |
-
5e
division (Chine) -
56e
division (Indochine en partie) -
Division de la
Garde impériale (Indochine) -
3e
brigade blindée (Indochine) -
2 régiments
d’artillerie lourde |
3e
division aérienne (460 appareils du type KI-27 et KI-43 pour les
chasseurs et KI-21 et KI-48 pour les bombardiers) -
Une partie de la
11e flotte de la Marine impériale (200 appareils
environ). -
Total : 660
appareils, tous en Indochine. |
15e
Armée (général Iida) |
1re
phase, sécurisation des lignes de communication et de
ravitaillement de la 25e armée. 2e
phase, engagement de l’offensive contre la Birmanie |
-
33e
division (Chine par l’Indochine) -
55e
division (Indochine) -
10e
brigade autonome (Chine
par Indochine) Les
18e et 56e divisions
de la 25e Armée
après la conquête
de la péninsule malaise |
|
16e
armée (général Imamura) |
Indes
néerlandaises |
-
Une
partie de la 2e division (Indochine) -
38e
division (après la
prise de Hong-Kong) -
16e
division (Japon) -
Unités de
marines |
|
14e
Armée (général Homma) |
Philippines |
-
16e
division (Formose) -
48e
division (Formose) -
65e
brigade autonome (Formose) |
-
108 chasseurs et
144 bombardiers de la 11e Flotte de la Marine impériale[6]. -
5e
division aérienne de l’armée impériale. |
38e
division (général Sakai) |
Prise
de Hong-Kong |
-
38e
division (Chine) -
Plusieurs régiments
d’artillerie lourde (Chine). |
-
6 escadrilles
(120 appareils environ) |
Ordre
de bataille de la flotte de surface (Vice-amiral Kondo
Nobutake). À l’inverse de l’Armée
impériale, la marine n’a pas ses unités mobilisées par le théâtre
Nord-Est. La marine chinoise est inexistante depuis son anéantissement en
1937 et le pacte de neutralité nippo-soviétique immobilise la très
peu menaçante marine soviétique du Pacifique. La majeure partie des
forces embarquées est consacrée à l’attaque de Pearl Harbor et une
partie infime à la prise de Guam et de Wake. La Marine impériale a, par
conséquent, les mains libres et peut s’engager très en profondeur dans
les opérations.
L’ensemble du dispositif naval est commandé par le vice-amiral Kondo Nobutake. Il se décompose de la manière suivante :
-
Une escadre de
couverture (vice-amiral Kondo) composée de la 3e division de
cuirassés (Kongo et Haruna)
de la 4e division de croiseurs lourds (Atago,
Maya et Takao) et d’une
division de 10 destroyers. Elle est chargée d’apporter un appui aux opérations
amphibies et contrer l’action des forces navales occidentales, dont la
fameuse force Z britannique (Repulse et Prince of Wales).
-
Une escadre
plus spécifiquement chargée de l’escorte du convoi de 19 transports
qui achemine sur les côtes malaises et thaïlandaises la 25e
Armée du général Yamashita et un régiment de la 15e Armée
du général Iida. Ce corps, commandé par le vice-amiral Ozawa, se décompose
en deux sous-ensembles. Les unités sous le commandement direct du
vice-amiral Ozawa sont le croiseur lourd Chôkai,
détaché de la 4e division de croiseurs, et un destroyer. Le
gros de l’escadre, commandé par le contre-amiral Kurita, se compose de
la 7e division de croiseurs (Mogami,
Kumano, Mikuma et Suzuya),
de trois éléments appartenant à la 11e division de
destroyers, de la 3e division de destroyers (le croiseur léger
Sendai et 10 destroyers), 3
escorteurs, auxquels s’ajoutent trois croiseurs légers (Kinu,
Yura et Kashii), 10 sous-marins, une flottille de guerre de mines et un
navire de défense côtière.
Soit
un total de 2 cuirassés, 8 croiseurs lourds, 4 croiseurs légers, 24
destroyers, 3 escorteurs, un navire de défense côtière, 10 sous-marins
et une flottille de guerre de mines[7].
Ce dispositif initial évolue au gré des circonstances.
La destruction de la Force Z par les appareils de la 11e
Flotte basés en Indochine française provoque le départ de la 3e
division de cuirassés. Mais l’escadre chargée d’escorter les convois
triple de volume avec l’attaque des Indes néerlandaises. Celle-ci, pour
faire face aux forces alliés intégrées dans l’A.B.D.A., sera renforcée
et alignera un
porte-avions léger, 2 transports d’hydravions, 8 croiseurs lourds, 5
croiseurs légers, 41 destroyers, 4 dragueurs de mines. Cet ensemble a
pour mission d’escorter 97 transports[8].
Les
unités de l’aéronavale terrestre, commandées par le contre-amiral
Matsunaga, opèrent depuis l’Indochine française. Elles appartiennent
à la 11e Flotte[9],
dont l’autre moitié stationnée à Formose opère contre les
Philippines. Les unités de la 22e flottille détachées en
Indochine du Sud doivent assurer la surveillance maritime et la
couverture aérienne des opérations amphibies, elles comprennent :
-
Le corps
Genzan (36 bombardiers type 96/Mitsubishi G3M ; 12 chasseurs type
96/Mitsubishi A5M).
-
Le corps
Mihoro (36 bombardiers type 1/Mitsubishi G4M).
-
Le corps
Kanoya (27 bombardiers type 1/Mitsubishi G4M).
-
Une unité détachée
de la 23e flottille aérienne (25 chasseurs type 0/Mitsublishi
A6M et de 6 appareils de reconnaissance).
-
Une unité détachée
de la 12e flottille aérienne composée de 31 appareils.
-
5 appareils de
liaison complètent ce dispositif.
Environ
180 appareils de l’aéronavale terrestre sont déployés sur des bases
situées dans le sud de l’Indochine, de même que les bâtiments des 2e
et 3e flottes ont pris pour ports d’attache Saigon et Cam
Ranh. Les forces regroupées par l’Armée impériale et la Marine impériale
en Indochine française transforment cette dernière en une pièce maîtresse
du dispositif nippon, les opérations lancées par les Japonais entre décembre
1941 et mai 1942 sollicitent ses infrastructures de manière quasi
continue.
Le
Haut commandement japonais a pressenti très tôt le rôle que pouvait
jouer l’Indochine française en cas de conflit dans le Sud-Est
asiatique. Les bases aériennes et navales nippones en Indochine française
représentaient une menace qui n’a jamais été pensée dans les
scenarios les plus pessimistes établis pas les états-majors anglo-américains.
Jusque là, les hypothèses les plus osées tablaient sur une action
japonaise contre les Philippines (dont la réponse était le fameux Plan Orange des États-Unis). La présence japonaise en Indochine et
l’offensive générale menée tambour battant dans la totalité de
l’Asie du Sud-Est semblaient être une hypothèse aussi
invraisemblable qu’une attaque de la flotte américaine du Pacifique
dans la rade de Pearl Harbor. En cela les Japonais se sont révélés
d’excellents praticiens de la stratégie indirecte, ils ont frappé là
où on ne les attendait pas, nous ne sommes pas très loin de Sun Zi.
Britanniques et Néerlandais n’ont pas su ou n’ont pas pu prendre les
mesures qui s’imposaient après septembre 1940, date de l’entrée des
premières unités nippones dans le nord de l’Indochine française,
l’invasion des Pays-Bas et la posture défensive du Royaume-Uni en
Europe ne le permettaient pas. Seuls les États-Unis ont accéléré le
programme d’armement des Philippines sous l’impulsion du général
MacArthur, mais il était déjà trop tard. Une fois le danger
d’invasion allemand disparu, la Royal Navy, qui avait retiré la majeure
partie de ses unités de l’Eastern
Fleet, décide de renforcer le dispositif naval dans cette partie du
monde[10].
Toutefois les Britanniques maintiennent un potentiel aérien et terrestre
sensiblement égal. En outre, les militaires anglo-américains restent
persuadés de leur écrasante supériorité qualitative sur leurs
homologues japonais, erreur de jugement des plus grossières.
L’Indochine française tient une place essentielle dans la réussite nippone. Les préparatifs commencent en juillet 1941, dés la signature des accords. En août, le colonel Tsuji, principal artisan du Plan Sud, est envoyé en personne en Indochine pour superviser et accélérer la montée en puissance du dispositif, nous sommes en présence d’une phase de projection de forces. À la fin du mois de novembre, tout est prêt, les opérations peuvent être engagées. Lorsque les bombes de la Marine impériale frappent les navires de l’US Navy à Pearl Harbor, le corps expéditionnaire Sud, dont un tiers des unités terrestres et la totalité de l’aviation terrestre sont en Indochine, commence à déferler dans toute l’Asie du Sud-Est.
La
montée en puissance du dispositif japonais s’étend sur cinq mois.
Durant cette période, les Japonais ne se contentent pas de débarquer les
unités, ils acheminent les matériaux nécessaires pour agrandir les
infrastructures existantes. L’harmonisation des rapports entre les
autorités civiles et militaires françaises et la Mission japonaise est
assurée par des états-majors de liaison composés d’officiers des deux
armées et constitués au niveau local. Les rapports produits par ces états-majors
de liaison et ceux du Service de Renseignements Intercolonial (S.R.I.)[11]
permettent le suivi précis de cette montée en puissance.
Pour
les forces terrestres, grâce
aux accords des 4 et 27 septembre 1940, les Japonais disposent d’un
droit de transit vers la Chine à hauteur de 25 000 hommes, droit qui
se transforme en stationnement permanent. Depuis juillet 1941, quelques
places comme celle de Bac – Ninh sont occupées par des détachements de
la 2e division, avec pour mission la sécurisation de la frontière
sino-tonkinoise aux côtés de la division Tonkin. Au mois d’octobre
1941, les Japonais tentent de faire accepter le stationnement de 25 000
hommes supplémentaires en sus des 5 000 déjà en place, ce qui représente
un viol de l’esprit des accords de juin 1940. Les stratèges nippons
veulent ainsi faire stationner l’intégralité de la 15e Armée
du général Iida, celle-ci devant ensuite glisser
vers le Sud de l’Indochine à la suite de la 25e Armée et
attaquer la Birmanie via le Siam durant la deuxième phase des opérations.
Devant la fermeté des autorités françaises, les Japonais renoncent. Le nombre de militaire présent au Tonkin de juillet à décembre 1941
oscille entre 22 000 et 26 000 hommes[12].
En Indochine du Sud, le régime
juridique qui régit le stationnement
des troupes japonaises est différent de celui qui prévaut pour le Tonkin
(accords des 4 et 27 septembre 1940). Les accords de juillet 1941 laissent
une liberté quasi totale aux Japonais quant aux effectifs. Il est prévu
de faire stationner la moitié de la 25e Armée du général
Yamashita (la 3e brigade blindée, la division de la garde impériale
et la 55e division) et quelques éléments de la 15e
Armée du général Iida.
|
Cochinchine
|
Cambodge |
Sud-Annam
|
Total
pour l’Indochine du Sud |
20
août |
12
500 |
7
300 |
1
800 |
21
600 |
1
septembre |
13
500 |
8
500 |
1
800 |
23
800 |
1
novembre |
18
500 |
9
700 |
2 000 |
30
200 |
1
décembre |
33
700 |
19 000 |
1
900 |
54
600 |
13
décembre |
9
900 |
11
100 |
1
800 |
22
800 |
(Tableau
dressé à partir des données fournies par les rapports périodiques des
états-majors de liaison et du S.R.I.)
|
4
septembre |
16
novembre |
Chars |
70 |
230
(puis 270 au début de décembre) |
Artillerie
de campagne (estimations) |
100
à 120 pièces |
300
à 350 pièces |
Camions |
1
430 |
3
900 |
Side-cars
et motocyclettes |
240 |
390 |
Voitures |
80 |
330 |
(Tableau
dressé à partir des données fournies par les rapports périodiques des
états-majors de liaison et du S.R.I.)
Notons d’une part la concentration inhabituelle de chars, arme pauvre des forces terrestres japonaises, et d’autre part une motorisation supérieure à la moyenne prévalant dans l’Armée impériale. À partir de novembre, le rythme d’arrivée d’unités terrestres et aériennes s’accroît considérablement, les premiers convois ayant été consacrés pour l’essentiel à l’acheminement des matériaux nécessaires pour l’agrandissement des infrastructures.
L’arme aérienne est le facteur déterminant pour le succès des opérations dans le Sud-Est asiatique, l’Indochine française est ainsi érigée en pivot incontournable de la partie aérienne des opérations. Les accords en vigueur permettent aux Japonais de disposer de 11 bases (trois au nord du fait des accords de 1940 et 8 dans le sud par les accords 1941). Ultérieurement, les Japonais demandent des terrains supplémentaires, car ils ont prévu d’aligner plus de 650 appareils de combat, les autorités françaises cèdent alors les terrains de Tan Son Nhut, Tani, Sienreap, l’île de Phu Quoc et Kompong Chnang. Des travaux sont réalisés avec l’aide de milliers de coolies locaux pour adaptés les terrains aux standards des armées nippones et aux besoins quantitatifs (agrandissement des pistes, augmentation des capacités d’accueil, augmentation du nombre de pistes précaires…), parallèlement des stocks de bombes, de torpilles, de munitions et de pièces détachées se constituent. Le stock d’essence d’aviation, qui était de 4 millions de litres en septembre, est porté à 17 millions à la mi-novembre 1941[13]. La mise en condition des infrastructures est réalisée de septembre à novembre, l’arrivée des grandes unités ne fait que précéder la constitution de l’outil de frappe aérienne. Dès le 27 novembre 1941, une série d’attaques préventives a lieu contre les forces chinoises du Yunnan à partir de terrains situés au nord de l’Indochine française[14]. Au début des hostilités les Japonais alignent en Indochine française des unités de la 11e flotte aérienne et la totalité de la 3e division aérienne (600 appareils répartis entre Hainan et l’Indochine), soit environ 655 appareils (un tiers de l’aéronavale terrestre de la Marine impériale et un bon quart de l’aviation de l’Armée impériale).
(A pour
l’aviation de l’Armée impériale ; M pour l’aéronavale basée
à terre)
|
Gia
Lam & Cat Bi |
Tan
Son Nhut, Soc Trang & Thudaumot |
Phnom
Penh |
Phu
Qhoc |
Tourane |
Totaux |
|
Bombardiers |
A |
37 |
95 |
127 |
33 |
9 |
400 |
M |
|
99 |
|
|
|
||
Chasseurs |
A |
19 |
80 |
32 |
|
9 |
177 |
M |
|
37 |
|
|
|
||
Appareils de reconnaissance |
A |
9 |
27 |
|
|
|
78 |
M |
|
11 |
|
31 |
|
||
Totaux par armées |
A |
65 |
171 |
159 |
64 |
18 |
655 |
M |
|
178 |
|
|
|
(Tableau
réalisé à partir d’un recoupement de données : pour
l’aviation de l’Armée impériale les chiffres sont fournis par les télégrammes
et les rapports du S.R.I. ; pour l’aéronavale terrestre, les
chiffres sont issus de A.J. Marder, op. cit.,
p. 443).
La composition des unités montre des forces aériennes très offensives, la proportion de bombardiers sur le nombre total d’appareils est de 61 % (400 sur 655 appareils de combat). La défense de l’Indochine française stipulée dans les accords de 1941 ne nécessite pas des forces aériennes présentant une telle configuration.
Le rôle de la Marine impériale, dans cette phase de projection de forces, est d’une importance cruciale puisqu’elle organise, de concert avec les unités de transport maritime de l’Armée impériale, les flux de convois. Quant bien même, la présence des unités de la flotte de surface reste des plus réduite en Indochine française, limité au croiseur léger Kashii, deux destroyers et quelques petits chasseurs de sous-marins de 600 tonnes. Ce n’est qu’au soir du 1er août, après la signature des accords du 29 juillet 1941, que les Japonais font entrer une division entière de destroyers dans le port de Saigon (un croiseur léger, 13 destroyers, 3 chasseurs de sous-marins et 3 chasseurs de mines). À la veille des opérations au début de décembre 1941, Saigon et Cam Ranh deviennent des ports de relâche pour les escadres et les points de concentration des convois et escadres. En attendant la prise de Singapour, Cam Ranh devient le Q.G. des 2e et 3e flottes.
Après quatre mois de préparation, la phase de projection de forces s’achève et l’Indochine française est prête à soutenir l’offensive nippone, ce malgré elle. À la veille du conflit, 80 000 hommes, 655 avions de combat et la plupart des convois en partance pour la Thaïlande et la Malaisie stationnent dans la péninsule. Un télégramme daté du 3 décembre 1941 du général Mordant, commandant des forces françaises en Indochine, constate une augmentation précipitée de la présence nippone au Cambodge : 20 000 hommes et 200 appareils de combat. Un autre télégramme, datée du 7 décembre, évalue cette présence au Cambodge à 30 000 hommes et 250 appareils de combat. La division de la garde impériale et la 3e brigade blindée de la 25e Armée du général Yamashita sont concentrées au Cambodge et s’apprêtent à traverser la Thaïlande pour déferler sur la Malaisie.
Le
rôle de l’Indochine prend toute son ampleur dans la première quinzaine
de décembre. Après avoir été une plate-forme ayant permis
d’accueillir une projection de forces, elle devient un vecteur de
projection de puissance. À partir de janvier 1942, ce rôle de vecteur de
projection de puissance s’estompe, et de tremplin
de l’offensive nippone l’Indochine française en devient le poumon logistique.
Le
8 décembre, la 3e brigade blindée et la division de la Garde
impériale passent la frontière du Cambodge et pénètrent en Thaïlande,
150 avions de la 3e division aérienne de l’Armée impériale
rejoignent les terrains d’aviation thaïlandais. Le 10 décembre, une
fois obtenu le droit de transit par la Thaïlande pour les grandes unités
des 25e et 15e Armées, les diplomates japonais
signent un traité d’alliance avec ce pays. Au même moment, un convoi,
formé à Cam Ranh quelques jours auparavant, débarque les 18e
et 55e divisions (Hainan) sur les côtes malaises (Kota Baru)
et thaïlandaises (Singora, Pakbanang, Bandon, l’isthme de Kra et
Prachuabkirikan). La 55e division du général Iida se scinde,
un régiment débarque à Cam Ranh et participe ensuite à l’attaque de
Borneo, et le reste de l’unité suit en Thaïlande les unités du général
Yamashita. Les premières manœuvres sont une réussite, la Thaïlande est
neutralisée, la 15e Armée, qui doit envahir ultérieurement
la Birmanie, peut alors se concentrer et protéger les lignes de
communication et de ravitaillement de la 25e Armée du général
Yamashita, le Tigre de Malaise.
En Indochine française, seuls restent la 2e division (déployée
jusqu’alors dans le nord et qui étend ses unités du Tonkin à
l’Annam) et le personnel de la 3e division aérienne et
de la 11e flotte de la Marine impériale.
C’est
l’action des forces aériennes japonaises qui montre, de manière
spectaculaire, dans quelle mesure l’Indochine française s’est avérée
être un vecteur de projection de puissance. En quelques jours, les
appareils de la 3e division aérienne et de la 11e
Flotte anéantissent le potentiel aérien allié. Le 8 décembre 1941, les
corps Mihoro, Kanoya et Genzan de la 11e Flotte envoient par le
fond le Prince of Wales et le Repulse
qui constituaient l’épine dorsale de la Force Z. La maîtrise aérienne
est acquise en un laps de temps extrêmement court.
|
Tonkin
|
Cochinchine |
Annam |
Cambodge |
Total |
13
décembre 1941 |
20
600 |
9
900 |
1
800 |
11
100 |
43
400 |
22
décembre 1941 |
10
620 |
10 000 |
1
420 |
10
160 |
32
200 |
31
décembre 1941 |
10
445 |
7
900 |
1
420 |
3
700 |
23
465 |
19
janvier 1942 |
14
230 |
8 000 |
1
500 |
1
800 |
25
530 |
(Tableau
dressé à partir de données recueillies dans les rapports du S.R.I.)
Le volume des forces nippones stationnant en Indochine se contracte en seulement quelques jours, comme le montre le tableau ci-dessus. Rappelons pour mémoire qu’au début de décembre, 80 000 Japonais étaient présent sur le sol indochinois. Près de 60 000 hommes ont été projetés en trois semaines.
Pour
les forces aériennes en présence, l’Indochine garde toute sa valeur
offensive, ce malgré les facilités militaires inhérentes au traité
d’alliance avec la Thaïlande. La majeure partie des unités aériennes
des deux armées est maintenue. Seule la moitié des avions de combat de
la 3e division a été transférée en Thaïlande, en raison du
faible rayon d’action des bombardiers.
(A pour
l’aviation de l’Armée impériale ; M pour l’aéronavale
terrestre)
|
Gia Lam & Cat
Bi |
Tan Son Nhut, Soc Trang & Thudaumot |
Phnom Penh |
Phu Qhoc |
Tourane |
Totaux |
|
Bombardiers |
A |
37 |
|
127 |
|
9 |
270 |
M |
|
97 |
|
|
|
||
Chasseurs |
A |
26 |
|
32 |
|
|
88 |
M |
|
30 |
|
|
|
||
Appareils de reconnaissance |
A |
9 |
|
|
|
|
49 |
M |
|
7 |
|
33 |
|
||
Totaux par armées |
A |
72 |
|
159 |
|
9 |
407 |
M |
|
134 |
|
33 |
|
(Tableau
réalisé à partir d’un recoupement de données : pour
l’aviation de l’armée impériale les chiffres sont fournis par les télégrammes
et les rapports du S.R.I. ; pour l’aéronavale terrestre, les
chiffres sont issus de A.J. Marder, op. cit.,
p. 443)
On peut estimer que le rôle de vecteur de projection de puissance tenu par l’Indochine française prend fin à la mi-janvier. Toutefois, elle continue d’être une base arrière incontournable.
Les effectifs continuent à diminuer jusqu’en janvier puis tendent à se stabiliser autour de 30 000 hommes à partir de mars 1942. L’Indochine française persiste à jouer un rôle déterminant en matière de logistique, sur son sol se concentrent des milliers de tonnes de munitions, d’essence et de vivres. Ces stocks sont destinés à alimenter les armées des généraux Iida (15e), Yamashita (25e) et les divisions de la 16e Armée chargée de l’invasion des Indes néerlandaises.
|
Tonkin |
Cochinchine |
Cambodge |
Annam |
Total |
25
janvier |
6 000 |
6 000 |
2 000 |
750 |
14
750 |
12
février |
11
230 |
6
490 |
650 |
1
710 |
20
080 |
30
mars |
14
270 |
13
050 |
1
300 |
890 |
29
510 |
13
avril |
13
940 |
12
430 |
3
240 |
1
060 |
30
670 |
26
mai |
13
900 |
11
200 |
2
750 |
1
580 |
29
430 |
(Tableau
réalisé à partir des données des rapports périodiques du S.R.I. du
mois de janviers à mai)
Au cours de la première phase durant laquelle l’Indochine a joué un rôle prépondérant, les trois objectifs initiaux sont rapidement atteints : neutralisation de la Thaïlande dès les premières heures du conflit ; contrôle intégral de la Malaisie et prise de Singapour (15 février 1942) ; prise de Rangoon (9 mars 1942). Lors de la deuxième phase des opérations, la 18e division de la 25e Armée (Malaisie) rejoint la 15e Armée[15] pour parachever la conquête de la Birmanie. L’offensive contre les Indes néerlandaises sollicite à nouveau les ports indochinois, qui offrent autant de points de relâche pour les convois venus du Japon et permettent le stockage des matériels. L’Indochine reste un poumon logistique pour les armées nippones en opérations comme le montre le tableau ci-après.
|
Fûts
d’essence |
Caisses
de denrées |
||
Débarqués |
Embarqués |
Débarqués |
Embarqués |
|
1
au 15 décembre |
3 000 |
27 000 |
10 000 |
19 000 |
15
au 31 décembre |
16 000 |
17 000 |
29 000 |
15 000 |
(Tableau
dressé à partir d’un rapport du S.R.I. du 6 janvier 1942)
À partir de la seconde quinzaine de décembre, on peut constater une tendance à la reconstitution des stocks alimentaires dans la perspective de la deuxième phase de l’offensive (29 000 caisses de denrées alimentaires débarquées du 15 au 31 décembre). Dans ce sens s’inscrivent également l’accueil et l’hospitalisation des blessées graves, des accords locaux sont passés entre les autorités françaises et l’armée nippone : 6 000 lits sont réservés dans sept hôpitaux du sud de l’Indochine ainsi que le logement éventuel de 19 000 blessés. Pour le seul mois de décembre 1941, 933 blessés sont débarqués, dont 200 sont réexpédiés au Japon, 2 000 arrivent par camions[16].
Le nombre d’appareils de combat est lui-même en déclin à partir du mois de mars 1942. Les forces ariennes nippones sont appelées à intervenir sur des objectifs plus lointain, leur transfert vers des terrains plus proches des théâtres d’opérations devient alors nécessaire. Il ne reste qu’un peu plus de 260 appareils de combat (dont une centaine de l’aéronavale terrestre à Tan Son Nhut, Soc Trang et Thudaumot). Toutefois, au cours de février 1942, l’Indochine française retrouve, pour une courte durée, son rôle de vecteur de projection de puissance. Une flotte composée de 140 appareils de transport de l’Armée arrive sur les terrains cambodgiens, elle conduit des opérations aéroportées contre Sumatra à partir de ces terrains, notamment le parachutage de la 1er brigade aéroportée chargée de prendre intact le complexe pétrolifère de Palembang.
En attendant la remise en condition de Singapour, toutes les opérations navales et aéronavales contre les Indes néerlandaises et dans l’océan indien s’appuient sur les infrastructures portuaires de Saigon et de Cam Ranh qui voient leurs rades fréquentées assidûment par les grandes escadres de combat et les convois.
- Du 22 au 28 décembre 1941, la flotte de soutien du vice-amiral Kondo et une partie de la flotte de couverture de l’amiral Ozawa y stationnent[17] : les cuirassés Kongo et Haruna, 7 croiseurs lourds (4 appartenant à la 7e division de croiseurs de l’amiral Kurita de la flotte de couverture et 3 appartenant à la 4e division de croiseurs affectée à la flotte de soutien), 12 destroyers, 8 sous-marins, 3 patrouilleurs et un mouilleur de mines. Ce mouvement traduit le retour des unités des flottes de soutien et de couverture ayant appuyé les opérations amphibies dans le golfe du Siam.
- À la fin du mois de janvier 1942, l’invasion des Indes néerlandaises se précise, elle a lieu à partir des ports indochinois. Au début du mois de février, le groupe d’assaut occidental[18] se concentre entièrement à Cam Ranh. Les services français peuvent ainsi en observer la constitution. À la fin du mois de janvier, une vingtaine de transports mouillent à Saigon, ainsi qu’une trentaine à Cam Ranh où une imposante escadre de combat relâche : les deux cuirassés Kongo et Haruna, le porte-avions léger Ryujo, 10 croiseurs, une vingtaine de destroyers, 8 sous-marins trois patrouilleurs et trois mouilleurs de mines. Dans le port de Saïgon-Cap Saint-Jacques, on dénombre deux autres croiseurs lourds et un destroyer[19].
- Le 10 février 1942, les opérations contre les Indes néerlandaises débutent. À Cam Ranh, la flotte de couverture du contre-amiral Kurita appareille (le porte-avions léger Ryujo, 6 croiseurs lourds dont 4 appartenant à la 7e division de croiseurs et quatre destroyers). Le 18 février, c’est au tour au groupe d’assaut occidental proprement dit (2 porte-hydravions, 2 croiseurs légers, 21 destroyers et 56 transports avec à leur bord les 40 000 hommes de la 16e Armée). Le même jour, le corps Genzan de la 11e flotte quitte définitivement Tan Son Nhut.
Cam Ranh continue à rester le Q.G. de la Marine impériale en Asie du Sud-Est. Un mois plus tard, la rade accueille l’escadre du contre-amiral Kurita après l’incursion de celle-ci dans le Golfe du Bengale où elle a opéré contre le trafic commercial et les lignes de communications. Ce n’est qu’en mai 1942, que la Marine impériale transfère le Q.G. des 2e et 3e flottes à Singapour, rebaptisé Shonan, les installations portuaires y sont plus vastes et par conséquent plus aptes à l’accueil de grandes escadres. Ce transfert signifie clairement que le rôle de l’Indochine française en tant que plate-forme offensive prend fin.
L’Indochine française a subi une véritable instrumentalisation stratégique. Le rôle de ses infrastructures militaires a été incontournable puisqu’elle ont favorisé la fortune des armes nippones. Imaginons un instant l’absence d’un tel atout dans le schéma stratégique japonais :
- La constitution de convois supplémentaires aurait été sans aucun doute nécessaire pour deux raisons : la première est l’absence de bases logistiques dans le théâtre du Sud-Est asiatique, supposant l’allongement des lignes de ravitaillement et un train logistique navalisé, la seconde est qu’il aurait été nécessaire de procéder à une invasion de l’Indochine française.
- De pair avec ce qui a été dit au-dessus, une sollicitation croissante des grandes unités et par conséquent un allègement du périmètre défensif en Chine du Nord et en Mandchourie.
- En l’absence de la plate-forme aérienne de l’Indochine française, la conquête de la maîtrise des airs passait par une intervention prolongée de la flotte de porte-avions. En conséquence, la simultanéité de l’offensive dans le Sud-Est asiatique et de l’attaque de Pearl Harbor ne pouvait donc être respectée et une usure prématurée du potentiel de l’aviation embarquée devenait prévisible.
Au final, c’est bon un tiers des forces terrestres du corps expéditionnaire Sud qui a été projeté à partir des infrastructures indochinoises (plus de 80 000 hommes sur les 250 000 qui le composent), 655 avions dont une bonne moitié de l’aéronavale basée à terre de la Marine impériale y étaient stationnés, des dizaines de convois s’y sont constitués. Sur le plan logistique, l’Indochine française est restée la base arrière principale pendant les six mois des opérations offensives japonaises. L’Indochine française a tenu une place éminente au point que nous sommes en droit de nous demander si l’audace dont fait preuve le plan Sud n’en est pas une conséquence directe.
[1] Nous traduirons Kokutai comme l’accomplissement du pays, le Kokutai étant un historicisme au sens où Hegel l’entendait (Cent ans de pensée au Japon, Philippe Picquier), d’aucuns, notamment Jean Esmein, considèrent qu’il s’agit d’une conception nippone du bien public.
[2] Pour une approche anthropologique de la stratégie japonaise Cf. Jean Esmein, Un demi + un demi, Paris, FEDN, 1983.
[3] J. Lequiller, Le Japon au xxe siècle, Sirey, 1966, p. 329.
[4] J. Gravereau, Le Japon au xxe siècle, 1993, Seuil, Paris, p. 68.
[5] M. Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient. Histoire de la Banque d’Indochine 1875-1975, Fayard, 1990, pp. 433 et 434.
[6] Les appareils de la 11e Flotte sont chargés de la destruction de l’aviation américaine stationnant aux Philippines et de la couverture des débarquements. Du fait d’un rayon d’action moindre, les appareils de la 5e division aérienne n’entrent en scène qu’après la prise des premiers terrains d’aviation sur le sol philippin.
[7]
A.J. Marder, Old Friends,
New Ennemies. The Royal Navy and the Imperial Japanese Navy, vol. I, Strategic
Illusions 1936-1941, Oxford,
Clarendon Press, 1981, pp. 441 et s.
[8] J. Millot, La guerre du Pacifique/1. Le déferlement japonais, Paris, Robert Laffont, 1968.
[9] La 11e Flotte regroupe toutes les unités de l’aéronavale terrestre de la Marine impériale.
[10] J. Mader, Old friend, new ennemies, tome 1 pp. 394 et s. et tome 2, pp. 96 et sq. À Londres une querelle persistait entre les amiraux, qui voulaient envoyer une escadre plus conséquente (un porte-avions, une division de cuirassés composée vraisemblablement de quatre bâtiments de ligne et une escorte conséquente) et Churchill, qui croyait au pouvoir dissuasif de la Force Z composée de seulement deux bâtiments de ligne. Cela montre dans quelle mesure les forces armées japonaises ont été sous-estimées.
[11] Le S.R.I. dépend directement du ministère des Colonies et du Haut-commandement.
[12] Synthèse périodique des 12 et 13 novembre 1941 du S.R.I.
[13] Télégrammes du 15 septembre 1941 et du 16 novembre 1941 (GGI au ministère des Colonies).
[14] Télégramme du 2 décembre 1941 (GGI au ministère des Colonies).
[15] Pour mémoire : la XVe Armée du général Iida se compose alors de quatre divisions : 55e, 56e, 33e et 18e.
[16] Rapport du S.R.I. sur l’activité japonaise en décembre.
[17] Synthèses de renseignements recueillis dans le Sud, période du 29 décembre 1941 au 6 janvier 1942.
[18] Les forces navales chargées de prendre les Indes néerlandaises se décomposent en deux flottes, la flotte d’assaut occidentale et la flotte d’assaut orientale. À titre de comparaison, la flotte d’assaut orientale, commandée par le vice-amiral Nishimura, se compose d’un groupe d’escorte (contre-amiral Tanaka avec la 2e division de destroyers composé du croiseur léger Jintsu et de 12 destroyers), d’un groupe de couverture (contre-amiral Tagaki avec les croiseurs lourds Nachi et Haguro) et le groupe amphibie lui-même (41 transports, 4 dragueurs de mines, 2 patrouilleurs et la 4e division de destroyers comprenant le croiseur léger Naka et sept destroyers). Une partie de la 3e flotte de l’amiral Takahashi appuie l’action de ce groupe avec les deux croiseurs lourds Myoko et Ashigara, et deux destroyers.
[19] Rapports périodiques du S.R.I. du 18 au 30 janvier 1942.
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