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Défense
contre le terrorisme : quelles coopérations entre l’Union
européenne et l’OTAN ? Raphaël Mathieu La question des relations entre l’UE et l’OTAN en matière de lutte contre le terrorisme doit être placée dans un contexte plus large pour être appréhendée correctement. En effet, les relations officielles entre les deux organisations n’ont débuté qu’en janvier 2001 et ce ne sera que le 16 décembre 2002 que sera adoptée la première déclaration UE-OTAN sur la PESD. En réalité, des réunions communes et des contacts intenses existent depuis 2000 : les réunions d’experts dans le cadre du développement des capacités, les réunions CAN/COPS[1], les déjeuners de travail entre les Secrétaires généraux, les réunions entre les Comités militaires. L’analyse des relations officielles entre les deux organisations porte sur une période très courte et, en outre, concerne un éventail large de coopération dans le cadre de la sécurité et de la défense dont le terrorisme n’est, comme nous le verrons, qu’un aspect marginal. De manière à appréhender correctement cette problématique, il convient à présent de décrire comment les deux organisations ont mis en place, chacune selon leurs spécificités, la défense contre le terrorisme depuis les attentats du 11 septembre 2001. L’OTAN
organisation en marge dans la guerre contre le terrorisme ?
Quels
enseignements peut on tirer de l’implication de l’Alliance dans la
lutte contre le terrorisme depuis maintenant prés de 4 ans ? De
prime abord, il est évident qu’avant le 11 septembre 2001, le
terrorisme n’occupait pas une place importante dans l’agenda de
l’Alliance. Il n’en reste pas moins que le sommet de Washington de
1999 avait déjà reconnu le terrorisme comme une nouvelle catégorie
de risque pour les intérêts de l’Alliance, sans néanmoins lui
accorder, dans les faits, une attention particulière. Si, durant les
années 1990, les États membres de l’organisation transatlantique
ont été confrontés au terrorisme sous diverses formes, ils ne se
sont jamais accordés sur la question de savoir si l’Alliance
pouvait ou non constituer l’organisation de choix pour une éventuelle
coordination de la défense contre le terrorisme. Il apparaît donc
clairement que l’OTAN n’a pas constitué, durant les années 90,
le forum de discussion privilégié sur des sujets tels que la nature
du terrorisme, la rédaction d’une définition opérationnelle du
terrorisme, ou encore les causes profondes du terrorisme. Au final,
l’Alliance fait donc montre d’une absence totale de tradition
conceptuelle, capacitaire et structurelle dans le domaine de la défense
contre le terrorisme. Paradoxalement,
malgré ce manque d’expérience, avec les attentats du 11 septembre
2001, l’Alliance tentera de s’imposer comme un acteur clef dans
le cadre de la lutte globale qui sera menée contre le terrorisme
transnational. Pourtant, au-delà de cette volonté affichée,
l’OTAN allait se trouver confrontée à une triple difficulté. En
premier lieu, la défense contre le terrorisme relève, avant tout,
des compétences de la police et de la justice et l’Alliance n’a
pas compétence en ces matières. En deuxième lieu, comme nous
l’avons déjà souligné, l’OTAN n’avait pas, avant les
attentats du 11 septembre 2001, constitué un forum historique en
matière de réflexion, de conceptualisation, ou encore d’opérationnalisation
de cette problématique. Enfin, dans le cadre de la réponse
militaire, soit celle-ci se situe exclusivement sur le plan des compétences
nationales (gestion des conséquences, prévention) soit sur le plan
de coalitions ad hoc dans le
cadre du contre-terrorisme. Face
à ce triple handicap, l’Alliance atlantique ne pouvait que tenter
de prouver sa plus-value. C’est ce qui se passera avec
l’activation rapide de l’article 5. Cependant, au-delà de la
portée politique et symbolique de ce geste historique, la réponse
militaire apportée restera, dans une large mesure, à la périphérie
des actions lourdes menées par la coalition dirigée par Washington. L’implication
de l’Alliance put ainsi, dans un premier temps, se résumer aux
mesures prises dans la foulée de l’activation de l’article 5, à
savoir : augmenter la coopération en matière de partage du
renseignement ; identifier et mettre à disposition les moyens nécessaires
pour la défense contre le terrorisme ; assurer un accès à
l’espace aérien, aux ports et aéroports ; assurer une sécurité
renforcée aux États membres de l’Alliance ; assister les pays
victimes du terrorisme ; mettre sur pied les opérations Active
Endeavour et Eagle Assist.
Ces différentes mesures appellent peu de commentaires. En effet, la
plupart d’entre elles font partie des compétences de base de
l’Alliance et ne sont donc pas, à proprement parler, spécifiques
au terrorisme. Au vrai, seules les opérations Eagle Assist et Active
Endeavour peuvent être considérées comme relevant de
l’engagement militaire opérationnel de l’Alliance dans le cadre
de la défense contre le terrorisme. Par
la suite, le rôle opérationnel de l’Alliance sera accentué par
son implication efficace en Afghanistan et celle, beaucoup plus
restreinte, en Irak. Par ailleurs, la gestion de ces deux dossiers est
révélatrice tant de la valeur ajoutée que peut avoir
l’organisation que de ses limites. Pour l’Afghanistan, les Alliés
ont fait montre d’une relative homogénéité politique, l’OTAN
servant alors de plateforme d’intégration des moyens et des capacités.
Par contre, dans le cadre de la mission de formation en Irak,
l’Alliance n’a pas été en mesure de surmonter les querelles et
les divergences qui existaient entre les États membres, devant alors
se contenter d’un effort, pas purement symbolique, mais bien en
dessous des capacités contributives potentielles de l’organisation
pour une opération de cette nature. Au-delà
des aspects purement opérationnels, l’OTAN tente de se profiler
comme une plateforme de choix pour les consultations entre Alliés,
entre les Alliés et les pays tiers et aussi entre les organisations
(notamment l’UE et l’ONU). Pour l’Alliance, ces consultations
devraient aider au développement de vues communes quant à la
perception de la menace et aux instruments à développer pour y répondre.
Cet avis n’est toutefois pas partagé par certains États membres,
dont la France, qui estime que les responsables de l’Alliance ont
tendance à instrumentaliser la lutte contre le terrorisme pour légitimer
la transformation de l’organisation. C’est le cas, par exemple, de
la réforme des structures de renseignement, qui figure dans les impératifs
organisationnels. Il est cependant important de considérer que de
fortes réticences se sont exprimées à l’encontre d’une éventuelle
fusion des capacités civiles et militaires en ce domaine, chacun préférant
garder sa propre spécificité. De surcroît l’échange de
renseignement opérationnel reste en dehors des grandes structures
multinationales, l’OTAN devant se contenter de travailler, pour
l’essentiel, sur base de renseignement stratégique. Il en va de même
en ce qui concerne l’utilisation systématique du “prisme terrorisme” pour la modification des concepts et des
politiques de l’Alliance, notamment en ce qui concerne la possibilité
de mettre en œuvre des opérations là et quand ce sera nécessaire
tout en simplifiant les procédures décisionnelles. Pour
l’avenir, il est probable que l’Alliance va continuer à se
concentrer sur les activités pour lesquelles elle peut avoir une
valeur ajoutée. En l’occurrence nous pouvons supposer que cette
dernière va accentuer ses efforts pour se profiler comme
l’organisation de référence, au côté des États, dans le cadre
de la protection des populations civiles. C’est le cas, par
exemple, de la surveillance de l’espace aérien et également de la
protection d’infrastructures sensibles (centrales nucléaires)
ou encore lors d’événements internationaux majeurs. L’autre
grand domaine de compétence potentiel est celui de la défense contre
les armes de destruction massive. En effet, l’OTAN a développé
depuis 2002 plusieurs initiatives clefs dans ce domaine, qui se
traduisent entre autres par la mise sur pied d’un bataillon de défense
chimique – bactériologique – radiologique – nucléaire en 2004.
Notons aussi l’implication de l’Alliance pour les années à venir
dans la problématique de la sécurité des frontières, notamment
depuis 2003 et le lancement de la conférence d’Ohrid sur la gestion
et la sécurité des frontières en coopération avec l’UE et
l’OSCE. Au final, si l’OTAN ne constitue pas l’organisation de référence
dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, elle fournit des
efforts considérables pour être considérée en tant que telle. Mais
la nature même de cette lutte fait que des pans entiers de la problématique
n’entrent pas dans les compétences actuelles de l’Alliance, ce
qui ne joue pas en faveur d’un rôle central et global pour cette
dernière. L’approche globale
Européenne
Si,
pour l’UE, les attaques du 11 septembre 2001 furent une surprise,
elles ont surtout constitué un spectaculaire facteur d’accélération
de la coopération policière et judiciaire en Europe. Qui plus est,
cette dynamique ne s’est pas limitée au troisième pilier :
l’ensemble des politiques développées par l’Union aura, ces
quatre dernières années, été influencé, de près ou de loin, par
la problématique du terrorisme international. C’est le cas en
particulier dans le cadre du deuxième pilier et de la mise en place
de l’European Capabilities Action Plan peu après les attentats du
11 septembre : le premier plan et ses suites seront ainsi
fortement imprégnés de la prise de conscience des risques et des
menaces que peut représenter le terrorisme international. Dès
lors, au niveau de l’action globale de l’UE, un certain
volontarisme s’est fait jour en la matière et, en quelques années,
la plupart des objectifs qui étaient liés à la défense contre le
terrorisme international ont été atteints. Malgré cela, il reste
encore beaucoup de travail à effectuer dans des domaines clefs,
particulièrement en matière de protection CBRN et de partage du
renseignement et, plus spécifiquement, dans le changement des
mentalités. Ceci
étant posé, lorsque nous voulons juger de la valeur de la concrétisation
des mesures prises dans le cadre de la défense contre le terrorisme
au niveau européen, il faut, dans un premier temps, considérer
l’important débat de fond qui a lieu en Europe sur la recherche
perpétuelle d’un équilibre entre la sécurité des citoyens et la
protection de leurs droits et libertés individuels. Cette problématique
est très présente dans le cadre des avancées réalisées dans le
troisième pilier, notamment sur la définition du terrorisme pour
laquelle de nombreux observateurs craignent un risque de criminalisation
de certains mouvements sociaux ou syndicaux. De surcroît, d’autres
inquiétudes sont soulevées vis-à-vis des mesures d’exceptions légitimées
par la défense contre le terrorisme, comme l’augmentation des durées
de garde à vue et des peines de prison. En
outre, passé le stade du déclaratoire, l’application concrète
des engagements couchés sur le papier se révèle souvent délicate.
Dans ce cadre, la structure institutionnelle même de l’UE
constitue un frein à une application harmonieuse et complète
d’une stratégie cohérente de défense contre le terrorisme.
Ainsi, pas moins de trois textes différents sont parfois nécessaires
pour tenir compte des particularités propres à chaque pilier. Un
autre écueil à dépasser réside dans le cloisonnement qui existe
entre les différentes formations du Conseil. À ce niveau, une
ouverture transversale doit être imaginée tout en évitant de créer
une nouvelle structure pour y parvenir. Enfin, le système actuel de
présidence tournante ne favorise pas le suivi des dossiers,
d’autant que le nombre de matières à traiter par présidence est
tel que le terrorisme n’est, au final, qu’une problématique parmi
les autres, aussi importante soit-elle. Fondamentalement
cependant, si la mise en application de toutes les mesures prises
depuis le 11 septembre 2001 reste mitigée, la responsabilité en
incombe principalement aux États et à leur volonté de conserver un
maximum de prérogatives au niveau national, mais aussi à l’Union
qui n’est pas toujours capable de prouver son utilité dans ce
domaine. Cette situation était d’ailleurs décrite avec justesse
par l’Union elle-même au travers du sévère rapport du secrétariat
général du conseil de 2004, pour qui la lutte contre le terrorisme
restait trop ancrée dans le giron des États. Qui
plus est, tant la coopération entre les États européens que celle
avec les pays tiers y étaient critiquées. Dans cette perspective,
nous ne pouvons qu’être en accord avec le constat que les agences
créées, notamment dans le cadre de la gestion des transports, sont
“peu ou pas du tout dotées de
moyens et d’objectifs”. Les lacunes les plus graves se situent
dans la gestion et le contrôle du transport terrestre. Dans le cadre
de l’harmonisation judiciaire, les propositions volontaristes ont
trop souvent été minorées dans leur transposition concrète :
les difficultés relatives à la ratification du mandat d’arrêt
européen sont significatives à cet égard. Sur les aspects
policiers, il apparaît qu’Europol, malgré une augmentation de
ses moyens financiers et matériels, n’est pas encore très efficace
dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Il est un fait que,
pour l’heure, l’information sensible transite encore par les
canaux du bilatéral et de l’informel. Le
premier défi sera donc de surmonter les résistances des services
nationaux à échanger des informations par le haut. En matière de
politique de sécurité et de défense, la crise en Irak, si elle a eu
des effets négatifs sur le développement de la cohésion politique
européenne, a également constitué un accélérateur. Ainsi, le
dossier d’élaboration d’une stratégie européenne est, en
partie, le fruit du constat qui a été fait de l’impuissance européenne
à parler d’une seule voix dans une crise internationale
d’envergure. Et pourtant, au moment de décider s’il était
opportun ou non d’envahir l’Irak, l’UE comptait quatre représentants
au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, dont deux membres
permanents. Non contente de ne pas saisir cette occasion unique de
pouvoir orienter les débats, l’Europe s’est, de surcroît, divisée
et le Conseil de sécurité a été escamoté. Toujours
est-il que cet échec a en partie inspiré le développement accéléré
du document de Javier Solana, la Security
Strategy Paper. C’est enfin, sur la prise en compte des facteurs
qui influencent le terrorisme, que l’Union possède une forte valeur
ajoutée potentielle. Mais, pour cela, il faudra développer une
politique étrangère forte et cohérente envers les régions
sensibles en matière de criminalité transnationales et de
terrorisme. Si c’est le cas pour l’ex-Yougoslavie, cela ne l’est
pas pour le Moyen-Orient. On peut se demander si la politique menée
au travers du partenariat euro-méditerranéen, qui voit chaque année
un milliard d’euros partir dans l’aide à la démocratisation, est
bien pertinente en termes de répartition financière. L’Union doit
penser sur le long terme. Si, au début de la crise des Balkans, la
gestion européenne était catastrophique, elle s’est améliorée.
Pour la lutte contre le terrorisme, le même raisonnement doit être
appliqué. Un électrochoc reste donc nécessaire : il se fera en
partie, le 11 mars 2004 en gare d’Atocha à Madrid. En
effet, après le séisme madrilène, les chefs d’État et de
gouvernement ont adopté, à Bruxelles, un “nouveau” plan
d’action contre le terrorisme. Il est assez symptomatique de
constater qu’au final, la lutte contre le terrorisme qui se trouvait
depuis un an sur la courbe descendante est redevenue en moins de deux
semaines le défi de cette prochaine décennie. Cette pantalonnade de
nos dirigeants serait risible si ce n’était la vie et la sécurité
des citoyens de l’Union qui étaient en jeu. Encore une fois, le
terrorisme aura dû ensanglanter les rues de l’Union pour reprendre
sa place à l’agenda. L’UE a néanmoins reconnu ses lacunes en la
matière et s’est engagée à y remédier, notamment par
l’adoption d’une clause de solidarité, la création d’un poste
de coordinateur - Monsieur Terrorisme - et par l’intégration
au sein du Conseil d’une cellule d’échange d’informations. Les
chefs d’État se sont surtout déclarés décidés à enfin utiliser
les moyens déjà existants et à les mettre en application. Il a
ainsi été décidé que soit rédigé un calendrier précis ainsi
qu’un rapport désignant nommément les États membres qui ne
respectent pas le calendrier. Enfin, les chefs d’État et de
gouvernement se sont engagés à favoriser la coopération entre les
différents services de police et de renseignement sur les plans
national et international. Évidemment, au-delà du déclaratoire,
c’est un changement radical des mentalités en la matière qui sera
nécessaire, et cela, malheureusement, ne se décrète pas. Dans
les prochaines années, les apports du futur traité institutionnel
dans le cadre de la lutte contre le terrorisme auraient pu s’avérer
extrêmement importants. En effet, il y aurait eu des avancées dans
les domaines de la sécurité extérieure et intérieure :
l’extension du vote à la majorité qualifiée ; le
renforcement d’Europol et d’Eurojust ; la transformation
d’Eurojust en parquet européen ; la suppression des piliers ;
une présidence stable du Conseil européen ; la création d’un
ministre européen des affaires étrangères ; la valeur
juridique pour la charte des droits fondamentaux ; la clause de
solidarité en cas d’attaque terroriste (art. I-42). Il reste à
voir dans quelle mesure l’impact de la non ratification de la
Constitution pourra être contourné dans les années qui viennent. Il
n’en reste pas moins, qu’en Europe, la prise de conscience de la
menace terroriste reste, en moyenne, plus faible qu’aux États-Unis.
En réalité, si après le 11 septembre 2001 et le 11 mars 2004
elle était élevée, la tension est à chaque fois retombée
relativement rapidement. En effet, les Européens ne se sont sentis
que peu menacés après le 11 septembre. Cela pouvait
s’expliquer par l’éloignement géographique. Depuis, il y a eu le
11 mars 2004, les prises d’otages et les actes terroristes montrés
quasi-quotidiennement dans les médias. Cette médiatisation très
forte du terrorisme a fait augmenter de manière significative la
perception d’une menace ou d’un risque sur un territoire donné.
Bien qu’en Europe, cette dernière soit relativisée par
d’autres craintes, comme celle de perdre son emploi ou de tomber
malade. Au-delà de ce constat, l’essentiel en la matière reste de
pouvoir franchir le seuil de l’absence de communication. En
effet, les responsables politiques européens doivent transmettre le
message que la prévention totale constitue une illusion : l’État
d’Israël est le plus aguerri au monde en matière de défense
contre le terrorisme et pourtant il loin d’être à l’abri. La
question fondamentale en la matière est : quel degré de
fermeture et de contrôle sommes-nous prêts à accepter au niveau
européen ? C’est le balancier entre une société ouverte et
une société forteresse : le choix de l’Europe reste donc à
faire. Enfin, lorsque le constat est fait qu’en matière de prévention,
la sécurité absolue n’existe pas, il convient de développer les
outils permettant de se préparer à réagir correctement en cas
d’attaque et donc de mettre au point des techniques et des méthodes
communes. C’est dans ces domaines précis que l’Union devra, dans
les prochaines années, prouver sa valeur ajoutée car, en cas de défaillance,
il n’y aura pas de seconde chance. Quels liens entre l’OTAN et l’UE ?Pour
bien saisir cette problématique, il convient de revenir les
fondements de la relation établie entre l’UE et l’OTAN dans le
cadre des arrangements dits de “Berlin plus”. C’est lors du
Conseil européen de Feira des 19 et 20 juin 2000 que les principes
devant régir les consultations entre l’UE et l’Alliance ont été
définis plus précisément. Les deux principes directeurs de la
relation EU-OTAN sont l’assurance d’une consultation efficace,
d’une coopération et d’une transparence sur la réponse militaire
à apporter en cas de crise, ainsi que la garantie d’une gestion
efficace de celle-ci. Outre la définition des principes directeurs de
la relation devant s’établir entre les deux organisations, le
rapport qu’a présenté la présidence portugaise soumettait au
Conseil une proposition visant à l’établissement de quatre groupes
de travail ad hoc chargés
de traiter quatre aspects particuliers de l’établissement de cette
relation : Groupe sur la sécurité ; Groupe pour les
objectifs de capacités ; Groupe pour la mise en place des
dispositions permettant à l’UE d’avoir accès aux moyens de
l’OTAN ; Groupe pour la définition des arrangements
permanents. En outre, les consultations entre l’UE et l’OTAN se
baseront sur cinq principes directeurs. Ces derniers sont d’une
importance capitale, dans la mesure où ils orientent l’essence même
de la future relation permanente entre les deux organisations :
le respect de l’autonomie de décision des deux organisations ;
le maintien de consultations, de coopération et de transparence
complète et réelle ; l’affirmation de la nature différente
des deux organisations ; l’égalité entre les deux
organisations ; la non discrimination entre les États membres. C’est
dans le rapport de la présidence française approuvé par les chefs
d’État et de Gouvernement lors du sommet de Nice que sont formalisées
les propositions de procédures pour la consultation entre l’UE et
l’OTAN en temps de paix et en période de crise. Hors période de
crise, plusieurs mécanismes de consultations sont proposés :
ils concernent l’établissement d’un mécanisme de contact régulier
entre le COPS et le CAN, mais également au niveau ministériel et
ils impliquent la tenue de réunions entre les comités militaires de
l’OTAN et de l’UE. En outre, afin de bénéficier de la compétence
de l’OTAN sur des problématiques particulières, des réunions
pourront être organisées entre les différents groupes
subsidiaires. Ces dernières prendront la forme de groupes ad
hoc UE/OTAN, ou celle de comités d’experts, et donc sur le
terrorisme. En
période de crise, il est prévu d’augmenter le rythme des contacts
et des réunions dans la phase d’émergence de la crise. De plus,
dans le cas où l’UE envisage l’étude approfondie d’une option
faisant appel aux moyens et capacités de l’OTAN identifiés au préalable
pour une éventuelle intervention, des contacts seront établis entre
le COPS et le CAN. Si la crise n’est pas évitable, et que l’UE décide
d’intervenir, deux scénarios sont envisageables : soit
l’UE fait appel aux moyens et capacités de l’OTAN, soit elle agit
de manière autonome. Au-delà
de cette mise en place institutionnelle, la question de l’autonomie
opérationnelle entre les deux organisations n’est toujours pas résolue.
En effet, à partir du moment où l’UE s’est déclarée désireuse
d’accroître son rôle en matière de sécurité et de défense, la
question de ses relations avec l’OTAN est devenue centrale. Dans ce
contexte, l’OTAN a fait et fait encore souvent office de catalyseur
des tensions transatlantiques inhérentes à la problématique du
partage du fardeau sécuritaire entre l’Europe et les États-Unis.
De surcroît, l’OTAN est le siège de nombreuses discussions,
souvent polémiques, sur l’autonomie opérationnelle de l’UE, mais
également sur la manière de gérer les problématiques sécuritaires
du moment, le terrorisme ne faisant pas exception à cette règle. En
effet, c’est dans les cénacles otaniens que retentissent encore
le plus fréquemment les mises en garde américaines vis-à-vis d’éventuelles
duplications, découplages et discriminations que l’UE pourrait
induire dans le cadre du développement de la PESD. Pour les dirigeants
des États membres de l’OTAN, une fois l’ennemi soviétique écroulé,
la question de l’utilité de l’Alliance atlantique s’est posée.
Pour les États-Unis, ainsi que pour le Secrétaire général de
l’OTAN, l’Alliance restait cependant la seule organisation
internationale capable de gérer la période de l’après-guerre
froide et de garantir la pérennité du lien transatlantique. Cependant,
l’émergence de l’UE en tant qu’acteur à part entière remet en
question la nature de ce lien. L’arrivée au pouvoir de George W.
Bush, couplée à l’émergence de nouvelles tensions
transatlantiques dès le début de son mandat, aura une influence sur
le rôle joué par l’Alliance et sa coopération avec l’UE dans le
cadre de la lutte contre le terrorisme. Ainsi, les deux équipes présidentielles
de Georges W. Bush, si elles sont composées de personnes d’expérience,
se caractérisent par des connaissances intrinsèques des questions
européennes qui restent relativement faibles. Ceci étant dit, les
deux administrations semblent, malgré tout, développer une
position dans la lignée des administrations précédentes estimant,
pour l’essentiel, que le développement de la PESD pourrait être
dommageable aux relations transatlantiques, si elle se développait
en concurrence avec l’Alliance. Si nous nous attardons sur les
mois qui ont précédé les attentats du 11 septembre 2001, nous
constatons que les sujets de tension entre les deux côtés de
l’Atlantique se sont multipliés. Citons, entre autres, la réactivation
du projet de bouclier antimissile, la non reconnaissance de la Cour pénale
internationale, la non ratification de la convention sur les mines
antipersonnel, et celle sur les armes biologiques, le rejet du traité
pour l’interdiction totale des essais nucléaire (CTBT). Au niveau
économique, la problématique de l’acier est venue s’ajouter aux
crises de la banane, du bœuf aux hormones et de la bioéthique. Nous
ne pouvons également passer sous silence les divergences sur
l’environnement avec la non ratification du protocole de Kyoto, et
sur la politique énergétique. Si
la relation entre les deux rives de l’Atlantique n’était donc pas
des meilleures quand surviennent les attentats du 11 septembre 2001,
ce sera cependant au travers de l’OTAN que les pays membres de
l’UE et de l’Alliance exprimeront leur solidarité envers les États-Unis
avec l’activation rapide de l’article 5 du traité de Washington.
Cependant, l’OTAN, comme nous l’avons vu précédemment, s’est
retrouvée rapidement marginalisée dans le cadre de la riposte
globale mise en place par les États-Unis. En effet, la grande crainte
des responsables politiques et militaires américains était de ne pas
bénéficier de la souplesse et de la vélocité de riposte pour
mener à bien une opération militaire loin au-delà des frontières
de l’Alliance. Cependant, la mise à l’écart de l’Alliance
atlantique ne peut être imputée uniquement aux soucis d’efficacité
recherchée par les États-Unis. En effet, plusieurs pays européens
avaient des réticences à voir l’OTAN devenir le fer de lance de la
coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Certains craignaient
en effet qu’une éventuelle coordination OTAN-UE ne permette à
Washington de pouvoir influencer trop radicalement la stratégie de défense
contre le terrorisme à mettre en place. Aussi
surprenant que cela puisse paraître, si le terrorisme semblait
devenir la préoccupation principale en matière de sécurité,
c’est sur d’autres problématiques que la coopération entre
l’UE et l’OTAN se renforcera ces quatre dernières années. Ainsi,
la coopération permanente entre les deux organisations se concrétisera
sur le terrain en mars 2003 avec la reprise par l’UE des activités
de l’OTAN en Macédoine-ARYM dans le cadre de l’opération
Concordia. Pour la première fois, l’UE intervenait donc sous sa
propre responsabilité politique en utilisant des moyens et des
capacités de l’Alliance, le commandant de l’opération étant
l’adjoint du SACEUR et le quartier général opérationnel étant
situé au SHAPE. Cependant, si la coopération opérationnelle entre
les deux organisations en matière de gestion de crise fonctionne donc
depuis maintenant plus de deux ans, il n’en est pas de même dans le
cadre de la défense contre le terrorisme. Fondamentalement,
la problématique du manque de coopération entre l’UE et l’OTAN
dans le cadre de la défense contre le terrorisme se situe au niveau
de la nature intrinsèque des deux organisations. En effet, si à
l’UE l’essentiel de la lutte prend place dans le cadre de la coopération
policière et judiciaire, cette dernière n’a pas d’équivalent à
l’OTAN. Dès lors, la coopération potentielle entre les deux
organisations ne peut se situer que dans le cadre de la politique de sécurité
et de défense, laquelle, comme nous l’avons vu, n’est pas la plus
impliquée en la matière. Nous sommes ici en présence d’une
double évolution. L’OTAN, après la guerre froide, a évolué
vers des missions liées à la gestion de crise et, par la suite, a
tenté de s’imposer dans le cadre de la défense contre le
terrorisme. Néanmoins, dans ces domaines, l’Alliance affiche un déficit
certain lié à son manque d’expérience en matière d’opérations
qui ne sont pas uniquement militaires. À l’inverse, l’UE part
d’une expérience plus large en matière de gestion non militaire
de la stabilité mondiale pour évoluer vers la mise en place
progressive d’une structure militaire. Ces deux évolutions
s’effectuent en sens inverse et, à l’heure actuelle, il semble
que l’UE ait pris le pas sur l’OTAN en ce qui concerne l’éventail
des réponses potentielles à apporter à la problématique du
terrorisme transnational. Cette situation réduisant alors encore
plus les possibilités de mettre en place des principes de coopérations
structurées et permanentes entre les deux organisations. Dès
après le 11 septembre, il semble déjà que les possibilités de
coordination approfondies entre les deux organisations ne seront pas
exploitées. En effet, la réunion OTAN-UE qui suit ne sera pas utilisée
pour annoncer un plan d’action commun dans le cadre de la défense
contre le terrorisme. À ce moment, les grands thèmes de discussions
portaient sur le processus de paix en ARYM et l’éventuelle
implication de l’UE dans la région, ainsi que sur la mise en place
d’arrangements permanents entre les deux organisations. Le
terrorisme était, en quelque sorte, l’invité surprise d’un
agenda relationnel déjà bien chargé. C’est ainsi que dans les
mois qui ont suivi, les différentes réunions publiques ne seront que
l’occasion de faire état des mesures prises au sein de chacune des
organisations, tout en insistant sur la nécessité de coordonner les
deux approches sans néanmoins proposer quelque chose de concret. En
fait, l’essentiel de la coopération entre les deux organisations
va se situer dans le cadre de leurs intérêts communs pour la
stabilité de l’ensemble de la région balkanique, envers laquelle
les deux organisations développent une approche concertée. À
la mi-2002, et dans l’optique du sommet de Prague, quelques pistes
de coopérations possibles entre les deux organisations seront évoquées.
Ce sera le cas dans le cadre de la problématique de la prolifération
des armes de destruction massive. Pour le reste, l’essentiel de
l’agenda reste occupé par le partenariat stratégique mis en place
entre les deux organisations et les opérations en cours dans les
Balkans. Par la suite, la coopération entre les deux organisations
en matière de défense contre le terrorisme restera en sommeil.
L’année 2003 sera l’occasion du premier exercice conjoint en matière
de gestion de crise entre l’OTAN et l’UE. L’exercice de
simulation CME/CMX03 eut lieu aux Pays-Bas entre le 19 et le 25
novembre. Il visait principalement à mettre à l’épreuve les
dispositions permanentes des arrangements “Berlin plus”. Cet
exercice a d’ailleurs montré qu’il n’y avait pas assez de
lignes de communications entre les deux organisations. Paradoxalement,
si dans le domaine de la gestion de crise la coopération entre les
deux organisations semble bien fonctionner, il n’en est pas de même
en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme. Ce constat sera fait
une nouvelle fois à la fin de l’année 2003 par les responsables
politiques de l’UE et de l’OTAN qui ne pourront s’unir que pour
condamner l’escalade des attentats et plaider pour une meilleure
coopération dans le domaine de la lutte. Cette coopération prend, en
2004, la forme modeste d’un séminaire sur le terrorisme co-parrainé
par les deux organisations. En outre, des procédures d’évaluation
seront mises en œuvre en ce qui concerne les possibilités
d’optimiser la coordination dans le cas de la lutte contre la prolifération
des ADM. Durant
l’année 2004, le Secrétaire général de l’Alliance plaidera, à
maintes reprises, pour un renforcement de la coopération entre son
organisation et l’UE. Une timide avancée sera alors enregistrée
dans le cadre de la déclaration commune lors du sommet d’Istanbul,
à travers laquelle les responsables politiques de l’Alliance
s’engagent à poursuivre leurs consultations et échanges
d’informations sur le terrorisme et la prolifération des armes de
destruction massive, en particulier pour ce qui concerne la gestion
des conséquences. Ces
discussions prennent alors place dans le cadre des relations usuelles
entre les deux organisations à savoir : ·
au niveau des ministres des Affaires étrangères,
deux fois par an ; ·
au niveau des ambassadeurs (CAN et
COPS), au moins trois fois par semestre. ·
au niveau du Comité militaire, deux
fois par semestre ; ·
au niveau des comités, de façon régulière
; ·
au niveau exécutif, de façon routinière. L’UE et l’OTAN échangent donc des informations à tous les niveaux sur les activités menées dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, notamment sur la protection civile contre les attentats terroristes à l’arme chimique, bactériologique, radiologique ou nucléaire. Les deux organisations ont, en outre, œuvré en faveur d’une transparence accrue en procédant à l’échange des inventaires de leurs activités et capacités respectives. Actuellement, l’UE est également en train d’explorer les moyens d’intensifier sa coopération avec l’OTAN dans la lutte contre le terrorisme. Ceci étant, nous nous apercevons, au final, qu’il n’y a pas de dialogue adéquat sur le terrorisme. Cela est, en partie, lié à la vocation de ces deux organisations : d’une part, l’OTAN tente de se déplacer vers la sécurité au sens large du terme, alors que, d’autre part, l’UE, dans le cadre de la PESC, ne connaît pas encore clairement sa finalité. En outre, la nature même des deux organisations ne permet pas une coopération totale en la matière. À cela s’ajoute le fait que les États-Unis ne s’investiront très probablement pas dans un dialogue à l’OTAN dans le cadre de la défense contre le terrorisme tant que les Européens ne leur paraîtront pas crédibles. En effet, l’augmentation des dépenses de défense en Europe semble être une exigence requise au préalable pour les dirigeants américains, ainsi que pour la plupart des observateurs outre-Atlantique. Or, la tendance en Europe ne semble pas, à l’heure actuelle, aller vers une augmentation des budgets nationaux. Pour les responsables du Pentagone, mais également au Sénat, au Congrès et dans une grande partie de l’élite, les ambitions européennes souffrent d’un manque flagrant de crédibilité. La principale raison annoncée est le “fossé technologique” qui sépare les deux rives de l’Atlantique. Et à l’heure ou les budgets de défense américains, et surtout ceux de la recherche et développement connaissent une augmentation historique, il est fort probable que le “retard” européen, principalement en matière de capacités de frappes à distance, de commandement et contrôle et de renseignement, n’est pas prêt de se résorber. Toutes ces capacités sont éminemment importantes dans le cadre du contre-terrorisme, comme l’a montré l’opération engagée par les forces américaines en Afghanistan. Cependant, les États-Unis restent fondamentalement ambigus sur ces questions. Ainsi, à l’heure où les États membres de l’UE tentent de se doter de capacités de transport stratégique et d’élaborer des capacités de renseignement satellitaires autonomes, les responsables de Washington développent une attitude variant du scepticisme à la tentative de torpillage pure et simple du projet. Conclusion
En
guise de conclusion, le scénario suivant pourrait prendre forme à
l’avenir. Dans un premier temps, il est probable que la situation
actuelle de statu quo
perdure : les deux organisations développant chacune des compétences
dans leurs domaines de prédilection, tout en assurant un minimum de
coordination sur quelques problématiques particulières et de manière
ponctuelle. Dans cette perspective, les consultations
s’effectueraient principalement sur les questions de prolifération
des ADM et de réaction aux attentats terroristes. Dans un deuxième
temps, nous pouvons envisager une coopération plus approfondie entre
les deux organisations. Pour y parvenir, les responsables politiques devront, au préalable, sceller dans un accord stratégique un plan d’action global pour la défense contre le terrorisme pour l’ensemble de la zone euro-atlantique. Ce plan global devra tracer les lignes directrices de l’action concertée des deux entités pour la prochaine décennie. Ce scénario reste, malgré tout, peu probable tant que la volonté d’utiliser l’Alliance comme réelle plateforme de coopération transatlantique reste relativement faible de part et d’autre de l’océan. Dans les années à venir, les deux organisations devront au minimum faire l’effort de mettre leurs compétences en commun de manière à optimiser les trop faibles ressources allouées à la défense contre le terrorisme. Dans
ce cadre, un des principaux écueils de notre compréhension du
terrorisme transnational actuel reste celui de la précision de notre
diagnostic : de quoi souffrons-nous ? Dans la majorité des
cas, les organisations terroristes transnationales ne signent rien
et ne revendiquent rien. Dans leurs communiqués, ces organisations
se contentent de constater que tel ou tel événement s’est
produit et que cela sert leur cause, mais on ne peut pas parler de
revendication au sens classique du terme. L’essentiel de la vulnérabilité
occidentale et européenne et, dans une plus large mesure, de tous
ceux qui sont visés par le terrorisme international tel qu’il se développe
depuis quelques années réside dans cette ignorance de la nature de
la menace. Il n’y a ni logique calendaire dans ce terrorisme, ni
revendication. Lorsqu’il faut affronter un mouvement indépendantiste
par exemple, il y a des revendications et, partant, il y a une possibilité
de négocier. Il est possible de calculer le rapport coût/bénéfice
d’une lutte ou d’une concession. Ce n’est pas le cas dans le
cadre du terrorisme international. Malheureusement,
à l’heure actuelle, il n’existe pas de table ronde européenne
qui permette de faire de la recherche dans ces domaines de manière
indépendante. Il n’existe pas non plus de mécanisme intégrateur
dans les industries pour développer des travaux dans le cadre de la
lutte asymétrique. Le constat est identique pour les universités. Il
incombe donc aux organisations de sécurité régionales comme
l’OTAN et l’UE de le dépasser. En effet, si devant une structure
chaotique il est possible de découvrir un ordre sous-jacent, il en
est de même pour le terrorisme transnational. Pour
ce faire, les deux organisations devront travailler de concert pour
financer et mener à bien des recherches approfondies sur le phénomène
que constitue le terrorisme transnational. Les deux organisations pourraient
ainsi veiller à l’interopérabilité de l’ensemble des équipements
anti-terroristes qui seront développés ces prochaines années. Enfin,
il convient aussi de cesser de s’interdire de travailler sur
l’invraisemblable ou sur l’atypique. En effet, trop souvent les
planificateurs ont tendance à confondre ce qui est nouveau et ce que
l’on a oublié. Des bombes dans les trains, cela existe depuis
l’invention du chemin de fer. Les détournements d’avions existent
depuis plusieurs dizaines d’années maintenant. Ce n’est donc pas
nouveau. S’il est important de s’investir au sein de l’UE et de
l’OTAN pour éviter que ce type de catastrophe ne se reproduise,
il est tout aussi important d’allouer des ressources conséquentes
pour préparer ce qui n’est pas encore arrivé. En ce sens, les
exercices menés par l’Alliance et par l’UE dans le cadre de la réaction
à des attentats CBRN sont positifs. De nombreux problèmes
subsistent cependant. D’abord,
des blocages intellectuels existent. Sur ce plan, une discontinuité
est observée : le phénomène du terrorisme n’entre pas dans
la norme, il est en dehors des schémas classiques de notre pensée.
Cet atypisme entraîne une difficulté d’analyse préjudiciable.
Il y a des blocages de nature stratégique. Au niveau du management,
on travaille sur le normal, le cloisonné, le hiérarchique, alors
qu’en réalité, il faut travailler sur les cassures, les
distorsions. Le système a peur d’avouer ce genre de chose. De
l’aveu de scientifiques travaillant sur les crises, il y a un réflexe
instinctif de la part des responsables politiques et parfois opérationnels
à ne pas vouloir avouer que tout n’est pas sous contrôle. C’est
un problème majeur de gouvernance : on ne veut pas faire peur
aux gens et leur avouer que les menaces potentielles n’entrent pas
dans les cadres. Aux États-Unis, des schémas de réaction et de
formation existent et sont extrêmement développés. Il y a les “Family
Disaster Plans”, le “Disaster
Plan For Kid”, le “Disaster
Plan Kit”. Ces différents plans disponibles sur internet
expliquent comment constituer soi-même un kit de survie en cas
d’attaque CBRN ou encore de catastrophe naturelle. Ils sont développés
par la FEMA (Federal Emergency Management Agency) en coordination
avec la Croix Rouge américaine. En Europe, quelques exceptions mises
à part, des plans de ce type n’existent pas. Il conviendrait que
l’UE et l’OTAN se penchent, ensemble ou de manière indépendante,
sur un mécanisme de coordination de campagnes nationales de
sensibilisation des populations qui vivent dans des zones potentiellement
dangereuses. Cependant,
il n’est pas simple de justifier auprès des autorités la nécessité
de simuler un attentat terroriste de grande envergure alors que ce
type d’exercice permet de développer de nouvelles attitudes. De
plus, il existe une pauvreté énorme au niveau du recueil du
renseignement après les attentats. Peu de travail est effectué avec
les gens qui ont été confrontés à la situation pour comprendre
les problèmes auxquels ils ont dû faire face et, surtout, comment
ils les ont gérés. Il est intéressant (cependant, ce type
d’initiative ne rencontre que peu de succès) d’interroger les
gens “normaux”, qui ont été témoins ou victimes d’un attentat
pour comprendre comment fonctionnent les schémas mentaux, pour
pouvoir résoudre de manière optimale ces situations. L’essentiel
est donc de travailler dans et hors du cadre, car le terroriste, lui,
travaillera toujours en dehors de ce qui est prévisible. Enfin, la
concurrence interservices est également négative dans ce domaine.
D’où l’idée de créer des espaces de rencontres qui soient
neutres. Il faut développer des zones de confiance en dehors des
services identifiés. Depuis
2001 des dizaines d’attentats de grande envergure ont été perpétrés
de par le monde. Si l’on ne peut parler d’une guerre au sens
strict du terme, il s’agit, à tout le moins, d’une lutte contre
un adversaire déterminé. Cette lutte aura donc un caractère
global et vu qu’il n’y a plus de frontière pour la menace, la réponse
apportée ne peut être limitée à la base nationale : il faut
une transnationalité de la réponse. Il faudra coordonner les
institutions économiques, de sécurité, politique, sociale… En
effet, l’action armée comme unique réponse ne pourra pas résoudre
tous les problèmes. L’action militaire devra être utilisée pour
prévenir et réagir, mais elle ne pourra à elle seule contrer le
terrorisme. La réponse devra également, et souvent principalement,
se baser sur des actions et des missions de police et de justice.
Enfin si la coopération internationale constituera un instrument
essentiel dans la défense contre le terrorisme, il conviendra néanmoins
de ne pas céder à la tentation d’engluer le réseau international
de coopération déjà existant et relativement complexe dans de
nouvelles structures. L’efficacité de la lutte reposera, en grande
partie, sur cet équilibre à trouver entre responsabilités
nationales et entraides internationales.
[1] Conseil de l’Atlantique Nord/Comité politique et de sécurité.
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