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POUR UNE
HISTOIRE DE LA PENSEE NAVALE
Hervé COUTAU-BEGARIE
Les classiques de la pensée
stratégique opèrent aujourd'hui un retour en force dans le débat
contemporain. Le retentissement de Penser la guerre Clausewitz de
Raymond Aron, l'engouement pour l'art de la guerre de Sun Zi, la
multiplication des biographies et des études sur Guibert, Jomini,
Delbruck, Fuller, Liddell Hart... en témoignent. Cette redécouverte en
est encore à ses prémisses, mais le mouvement semble aujourd'hui bien
entamé.
A la différence des études
traditionnelles, symbolisées par le livre classique de Edward Mead Earle,
ou les synthèses, démodées mais non remplacées, du colonel Carrias sur
la pensée militaire allemande ou la pensée militaire française, ce
regain d'intérêt se dirige plus vers la "grande stratégie"
que vers les aspects opérationnels. Il y a là une tendance naturelle à
l'âge nucléaire, tant l'interface politique-stratégie est devenue
aujourd'hui la clé de voûte de tout le système international. Il est néanmoins
regrettable d'occulter ainsi un pan entier de la connaissance stratégique
dont l'intérêt dépasse de loin sa simple dimension technique. En outre,
en voulant situer les problèmes au niveau le plus élevé, une telle
focalisation tend à délaisser les stratégies catégorielles (ou
particularistes), voire à en nier l'intérêt sinon même l'existence.
Edward Luttwak qualifie ainsi les stratégies navale et aérienne de
"non stratégies"1.
Il y a là un débat qu'il est impossible
de reprendre ici. On sait depuis longtemps qu'il y a une Stratégie et des
stratégies. Castex et quelques autres ont déjà exprimé cette idée
simple avec la plus grande netteté, et il n'est pas besoin de rouvrir un
débat "essentialiste" dont l'intérêt n'est pas toujours évident
et dont les motivations sont parfois moins désincarnées qu'on ne
pourrait le croire eu égard au caractère abstrait du débat. François Géré
remarque avec finesse qu'Edward Luttwak, fasciné par ces deux extrêmes
que sont l'armée israélienne et l'armée américaine, concentre d'abord
son attention sur la dimension terrestre de la stratégie qui fonde sa
vision de la stratégie globale2. Il est
bien entendu, une fois pour toutes, que la stratégie navale s'inscrit
dans une stratégie générale, laquelle s'inscrit dans un ensemble plus
vaste que l'on peut appeler stratégie totale (beaufre) ou intégrale
(Poirier) ou conduite diplomatico-stratégique (Aron). Mais cela ne remet
pas en cause la spécificité de la guerre sur mer, du fait des caractéristiques
particulières de l'élément marin, qui autorise et même oblige à
penser la stratégie opérationnelle différemment selon que se trouve sur
terre ou sur mer.
Stratégie opérationnelle. La conduite
de la guerre sur mer pose d'abord au premier chef le problème des moyens
et de leur mise en œuvre. C'est dans ce domaine que la stratégie navale,
ou maritime comme on voudra3, manifeste
avec le plus de force son particularisme. Le domaine des fins relève de
la stratégie intégrale (ou de la conduite diplomatico-stratégique) et
à ce titre l'élément marin y perd quelque peu de sa spécificité. Cela
ne signifie pas pour autant que la mer ne puisse fournir un point de départ
valable à une réflexion sur la stratégie au niveau le plus élevé.
Mahan, véritable père fondateur de la stratégie navale contemporaine,
s'est élevé au dessus du problème immédiat de la conduite de la guerre
sur mer pour proposer une véritable vision de l'histoire d'une ampleur
impressionnante et rarement égalée. L'affrontement mer contre terre est,
sinon une constante, du moins une régularité dans la réflexion
politico-stratégique, voire philosophico-stratégique. Platon avait déjà
posé le problème du rapport entre sa Cité idéale et la mer. A l'époque
moderne, Francis Bacon, Charles-Quint, Richelieu et quelques autres ont
reformulé cette question fondamentale, en attendant Mahan et les géostratèges
maritimes contemporains. La stratégie navale (ou maritime) ne prétend
pas se constituer en discipline indépendante de la stratégie générale,
mais elle peut prétendre, sans forfanterie, apporter sa contribution à
la stratégie théorique. avec Mahan, Corbett, Castex, Rosinski, Cable,
elle a déjà quelques beaux titres de noblesse à faire valoir.
Derrière ces auteurs décisifs, il
existe une pléïade d'écrivains plus ou moins talentueux, plus ou moins
influents... qui ont à toutes les époques entendu ajouter leur opinion,
plus ou moins intéressante, aux débats du moment et apporter leur
contribution, plus ou moins originale, à la construction intemporelle
d'un édifice théorique. Le corpus est immense mais, plus encore que pour
la pensée "stratégique générale" (un mauvais esprit pourrait
écrire : terrestre), il reste méconnu sinon inconnu. Un auteur
comme l'amiral de Giamberardino n'est jamais cité (en dehors d'Italie),
alors que l'art de la guerre sur mer est un livre important, qui
eut de surcroît un rayonnement sans équivalent à la veille de la
seconde guerre mondiale : paru en 1937, il est traduit en allemand en
1938, en français et en portugais en 1939, en espagnol en 1940, en turc
en 1942, sans oublier une traduction partielle en suédois. Et que dire du
livre si original de l'Allemand Ernst Wolgast, Seemacht und Seegeltung,
paru en 1944, que personne ne cite jamais alors que sa comparaison des
thalassocraties athénienne et britannique est un chef d'œuvre de géopolitique
maritime ?4 Ou de l'Ensayo de
estrategia naval de l'Espagnol Eugenio Montejo y Rappallo, paru en
1892, deux ans seulement après The influence of Sea Power upon History
de Mahan, et qui est complètement oublié, même dans son propre pays,
alors qu'il développe déjà une dialectique des principes et des procédés
qui préfigure celle de Castex ?5
L'énumération des auteurs injustement
oubliés pourrait se poursuivre longtemps. N'est-il pas extraordinaire de
constater qu'à côté d'un nombre déjà respectable d'anthologies ou
d'histoires de la pensée militaire ou stratégique, aucun auteur n'a
jamais eu le courage de mener à terme une histoire de la pensée navale ?
On ne peut noter que trois tentatives, assez rapides, et pour tout dire
fort insuffisantes6. Il n'y a pas lieu de
s'en étonner dès lors que la plupart des auteurs ou des écoles
nationales n'ont jamais été étudiés, ne serait-ce que sommairement. On
peut signaler avant le début des années 80 une très solide étude sur
l'école britannique de 1867
à 19147, ainsi que plusieurs études,
dont aucune n'est définitive, sur la Jeune Ecole française8,
auxquelles il faut naturellement ajouter plusieurs biographies de l'inévitable
Mahan9. Mais des auteurs aussi capitaux
que Corbett ou Castex n'ont jamais bénéficié d'autre chose que
d'articles, au demeurant assez brefs. Ce n'est que très récemment, au
cours de la dernière décennie, que l'on a constaté une amélioration :
Corbett, Richmond, Castex ont enfin eu droit à des biographies10,
la pensée navale américaine a bénéficié de plusieurs travaux,
relatifs notamment au Naval War College 11,
tandis que paraissaient des études sur les pensées navales italienne12,
brésilienne13, chinoise au XIXe siècle14
et soviétique15. Le progrès est donc
tout à fait considérable. Mais les lacunes restent immenses, et il
faudra encore accumuler un très grand nombre de monographies et d'études
sectorielles avant de songer à une synthèse un tant soit peu solide.
Quelques exemples à titre
d'illustrations. La pensée navale grecque n'a jusqu'à présent fait
l'objet d'aucune étude spécifique, le livre classique de Moche Amit se
contente d'y faire une brève allusion. De même, la grande thèse de
Michel Reddé sur la marine romaine à l'époque impériale ne nous dit
rien sur notre sujet. Les auteurs byzantins, qui ont constitué une école
originale et abondante, ne sont connus que par les travaux philologiques
d'Alphonse Dain ; la thèse d'Hélène Arhweiler, si minutieuse sur
l'organisation ou les finances de la marine byzantine ne nous dit rien sur
ses conceptions stratégiques ou tactiques. La pensée chinoise antérieure
au XIXe siècle serait inexistante à en croire l'indifférence qui
entoure le sujet : Bruce Swanson, auteur de la synthèse de référence
sur l'histoire de la marine chinoise, en est encore à soutenir que les
Chinois n'ont jamais eu une conscience océanique et qu'ils ne
connaissaient que le concept de défense côtière (Haifang).
Pourtant nous savons que des traités maritimes existent dès le VIIIe siècle
et Joseph Needham, autorité incontestable s'il en est, fait référence
à un traité de 1618 qui parle de la "maîtrise des eaux de l'océan"16.
On ne peut rien dire de la pensée navale indienne qui n'a jamais été étudiée :
l'opinion commune tend à voir dans l'Inde un cas exemplaire de
thalassophobie, à partir des interdits brahmaniques. Il se pourrait
pourtant que les choses fussent moins simples et l'absence de la pensée
navale indienne est peut-être imputable moins à son inexistence qu'à la
défaillance de nos connaissances17. Nous
ne connaissons véritablement que la pensée navale qui se développe en
Europe occidentale à partir du XVIIe siècle et même celle-ci, on l'a
vu, ne nous est connue que de manière tout à fait approximative et
lacunaire.
De telles études sont indispensables
avant de songer à tenter une première synthèse qui dépasserait le
simple catalogue d'auteurs (Donald Schurman consacre un chapitre à chaque
auteur important) pour identifier des courants de pensée structurés
autour de paradigmes méthodologiques (école historique / école matérielle18)
ou "empiriques" : doctrine de la bataille dont Mahan serait
l'archétype ; doctrine de la course, qui s'incarne dans la Jeune
Ecole ; doctrine de la guerre limitée dont Corbett et les théoriciens
de la Seegeltung pourraient fournir le modèle ; peut-être
aussi doctrine de la guerre côtière, constamment méprisée, mais
illustrée par une lignée d'auteurs très divers et pas toujours négligeables,
de Grivel et de la Fortress Fleet School aux adeptes contemporains
de la guerilla navale. La mise au net de ces paradigmes et de leurs
combinaisons possibles suppose un travail théorique lui aussi à peine
esquissé19.
C'est dire que ce volume, premier volet
d'un programme sur l'histoire de la pensée navale qui devrait s'étendre
sur plusieurs années, ne peut prétendre apporter que des matériaux en
vue d'une histoire qui reste à écrire, à partir d'un cadre théorique
qui reste à construire. Nos ignorances et les contresens sur des auteurs
supposés connus sont trop grands pour qu'il soit possible d'agir
autrement. Le choix des études rassemblées ici n'obéit donc qu'à la
seule logique de leur disponibilité. Un deuxième volume suivra dès que
possible.
Le commandant Jean Pagès étudie la pensée
navale athénienne aux Ve et IVe siècles, c'est-à-dire à l'apogée de
la Cité. Il s'agit là d'une époque bien lointaine et sur laquelle nous
ne disposons que de renseignements très sommaires. Il est cependant
possible d'identifier les grandes lignes d'une pensée navale qui paraît
solidement constituée. Le lecteur remarquera que le concept de
thalassocratie est absent, il n'apparaîtra que plus tard, au Ier siècle,
avec Strabon. Mais l'idée est déjà cernée, même si la maxime célèbre
attribuée à Thémistocle : "Celui qui commande sur mer
commande partout", est probablement apocryphe. L'intérêt de ce
genre d'étude est double. D'un point de vue purement historique, il
montre que la réflexion sur la politique et la stratégies maritimes
n'est pas un monopole de l'Europe moderne et contemporaine. D'un point de
vue théorique, il apporte des éléments permettant de "tester"
la validité d'un modèle de la puissance maritime. Mahan et ses
successeurs ont fondé leurs démonstrations sur une seule expérience
historique, datée et localisée, celle de l'Europe à partir de
l'apparition des vaisseaux de haut bord. La confrontation avec des
civilisations qui utilisaient la galère (ou la jonque) conduit à
nuancer, voire parfois remettre en cause, des notions génériques comme
la maîtrise de la mer qui ont revêtu des sens tout à fait différents
selon les sociétés et les moyens dont elles disposaient. Le colonel
Guilmartin en a fait une démonstration éclatante à propos de la guerre
des galères au XVIe siècle20, il reste
à faire de même avec la guerre des galères dans l'Antiquité21.
Les quatre articles qui suivent sont
consacrés à l'école française de stratégie navale. L'essai de synthèse
initial n'est qu'une ébauche, qu'il faudra corriger et affiner en
fonction des recherches ultérieures. Il était cependant nécessaire de
tenter l'expérience, ne fût-ce que pour ouvrir un débat. La question
qui sous-tend implicitement cette recherche est de savoir si l'on peut
identifier des idiosyncrasies nationales, autrement dit si au-delà de la
diversité des tempéraments et des situations, on peut cerner des
constantes qui caractériseraient l'école française par rapport à ses
voisines et concurrentes. Il n'y a là aucune nouveauté, ni dans la méthode
- l'approche culturaliste a acquis droit de cité dans les études stratégiques22
- ni dans la question elle-même puisque la spécificité française, (au
fond les raisons de l'instabilité française) est au cœur des histoires
de la marine française de Philippe Masson ou d'Etienne Taillemite23.
La seule originalité est de partir ici d'un paramètre jusqu'ici
insuffisamment sollicité.
Michel Depeyre étudie un père
fondateur, dont le nom est connu, mais dont l'œuvre n'est plus guère
lue. Sa relecture aboutit à des conclusions sensiblement différentes de
celles de Castex, dont le livre sur les idées militaires de la marine
au XVIIIe siècle a inspiré tous les commentaires ultérieurs24.
Il s'intéresse ensuite à un auteur tombé dans un oubli à peu près
total, Ramatuelle, pour mettre en évidence l'évolution ultime de la pensée
maritime française du XVIIIe siècle, qui mérite d'être entièrement
reprise. Michel Depeyre travaille sur le sujet, avec une thèse sur la
stratégie et la tactique navales de la France et de la Grande-Bretagne,
impatiemment attendue.
Les amiraux Darrieus et Estival présentent
les grands thèmes du chef de file de la réaction historique (contre la
Jeune Ecole) au début de ce siècle, le vice-amiral Gabriel Darrieus,
dont la guerre sur mer avait eu un grand retentissement lors
de sa parution. Cet ouvrage aurait dû être le premier volet d'une
trilogie dont les deux tomes suivants auraient été consacrés
respectivement à "l'outil" et à "l'utilisation".
Assez curieusement, l'état-major général en interdit
la publication sous prétexte que la traduction allemande du premier
volume avait eut trop de succès chez l'ennemi désigné. Ces deux tomes
sont donc restés inédits, réduisant d'autant la place de Darrieus dans
l'histoire de la pensée navale. Un exemplaire calligraphié du cours
complet a heureusement été retrouvé dans les archives familiales, il
fera l'objet d'une reproduction intégrale.
Le capitaine de vaisseau Brézet s'intéresse
à la pensée navale allemande jusqu'en 1914. L'obstacle de la langue a
fait que les auteurs navals allemands sont restés peu connus en l'absence
de traduction25. Par ailleurs, le caractère
peu concluant de l'expérience navale de l'Allemagne wilhelmienne n'a pas
incité les stratèges étrangers à s'intéresser de près à ses
fondements doctrinaux. A tort, puisque l'on trouve chez les auteurs
allemands une réflexion originale sur la stratégie navale d'une
puissance à dominante continentale et dotée d'une position géographique
défavorable d'un point de vue maritime. Herbert Rosinski les avait déjà
étudiés dans des articles remarquables qui n'ont malheureusement pas eu
l'audience qu'ils méritaient, mais qui devraient faire l'objet d'une édition
française dans le cadre du présent programme26.
Christine Cornet présente un auteur
chinois du XIXe siècle. Le débat sur l'alternative
continentaliste-maritime a été très vif en Chine au XIXe siècle. Mahan
a été très tôt traduit en chinois, et les commentateurs ont eu
tendance à y voir l'importation de concepts étrangers en l'absence d'une
doctrine nationale de la puissance maritime. Il serait plus juste de
considérer que si Mahan a été traduit très tôt c'est parce qu'il
offrait une réponse à une interrogation durablement ancrée dans la pensée
chinoise. Wei Yuan est le plus connu des auteurs qui ont contribué à
lancer le débat, mais il en est d'autres, par exemple Yen Zu Yu, auteur
du Yang Fang Ch'i Yao (principes de défense maritime), paru en
1838. Débat qui a culminé en 1874 avec un grand débat sur la stratégie
à adopter face aux Européens27.
Ce volume publie également deux
documents. Le premier est une brochure du contre-amiral (plus tard
vice-amiral) Jean Grivel (1778-1864), publiée en 1832 en réponse à une
brochure de l'abbé de Pradt, publiciste bien connu de l'Empire et de la
Restauration, qui avait soutenu la thèse de l'inutilité de la marine
française. Grivel, alors préfet maritime à Rochefort (il sera ensuite
préfet maritime à Brest de 1834 à 1846), lui oppose une réfutation
minutieuse qui mérite de retenir l'attention, car c'est sans doute la
première fois qu'un auteur français se livre à un exposé méthodique
de la nature et des composantes de la puissance maritime. Les auteurs du
XVIIIe siècle ne s'étaient guère intéressés qu'à la tactique, ne
consacrant à la stratégie que des allusions très cursives. Grivel, bien
avant les auteurs anglo-saxons de la fin du siècle, donne une définition
globale de la puissance maritime. Curieusement, ce texte qui mérite d'être
cité parmi les textes fondateurs de la géopolitique maritime, à côté
de quelques autres illustres inconnus, par exemple les Riflessioni sul
Potere marittimo (1814 !) de Giulio Rocco28,
n'a pratiquement jamais été cité, et en tout cas jamais réédité
depuis 1832.
La thèse du capitaine de frégate
Marie-Raymond Ceillier a été présentée au Centre des Hautes Etudes
navales en 1928. Il fallait alors un certain courage pour oser se livrer
à une réhabilitation de l'amiral Aube qui restait sous le coup de la
condamnation prononcé au début du siècle par l'école historique de
Darrieus, Daveluy et Castex. ne serait-ce qu'à ce titre, elle méritait
d'être enfin diffusée. Elle n'a d'ailleurs pas empêché son auteur de
faire une carrière tout à fait normale et même honorable, puisqu'il était
contre-amiral à la déclaration de guerre en 1939.
Un deuxième volume paraîtra vers la fin
de l'année. Il devrait comprendre des études sur la pensée navale
grecque "tardive", la pensée navale médiévale, Clerk of Eldin,
l'amiral Richild Grivel, l'école allemande après 1918, Wolgast et la géopolitique
maritime allemande, l'école italienne, l'école espagnole, les théoriciens
de l'aéronavale, peut-être l'école portugaise et l'école indienne...
par ailleurs, l'édition ou la réédition de textes importants a été
entreprise. La liaison des armes sur mer de Castex, est le premier
volume ainsi publié29. Il devrait être
suivi par les fragments stratégiques inédits du même Castex30,
ainsi que par la traduction des principes de stratégie maritime de
Corbett. Le cours de Darrieus fera l'objet d'une reproduction. une
traduction du recueil d'articles d'Herbert Rosinski est en préparation.
Il faut espérer que l'intérêt porté par les lecteurs permettra à ce
programme, le premier du genre, de se poursuivre et de développer notre
connaissance de l'histoire de la pensée navale.
Notes:
1 Edward
Luttwak, Le paradoxe de la stratégie, paris, Odile Jacob, 1989, p. 205.
2 François
Géré, "Entre Restauration et révolution. La pensée stratégique américaine",
Stratégique, 1991-1, n° 49.
3 Naval
renvoie à l'instrument : la flotte, maritime au milieu. Le deuxième terme
est évidemment plus large, au point que Corbett est allé jusqu'à
identifier, dans le cas de la Grande-bretagne, la stratégie maritime à la
stratégie générale. Mais il englobe tous les aspects du monde marin : économique,
politique, stratégique... mais aussi écologique ou biologique. plutôt que
de parler de pensée stratégique et tactique maritime, il vaut mieux parler
de pensée navale, dont le caractère stratégique et tactique n'a pas
besoin d'être constamment rappelé.
4 Stefan
Schutze étudie Wolgast dans le cadre du présent programme. Il faudrait
aussi accorder un peu plus d'attention à l'étincelant petit essai de Carl
Schmitt, Land und Meer, trad. française Terre et mer, Paris,
Livre club du labyrinthe, 1985. Schmitt a beaucoup lu Castex.
5 Justice
sera rendue à ce pionner dans le deuxième volume de ce programme.
6 Du
moins à ma connaissance : l'essai sur le développement de la "stratégie
théorique" qui ouvre les théories stratégiques de Castex,
tome I, Paris, Editions maritimes et coloniales, 1929 ; un chapitre
collectif du livre de Geoffrey till, Maritime Strategy and the Nuclear
Age, Londres, MacMillan, 1982 ; et mon chapitre sur "l'évolution
de la pensée stratégique navale" dans La puissance maritime, Castex
et la stratégie navale, Paris, Fayard, 1985. Aucune de ces trois
esquisses ne dépasse la cinquantaine de pages. Malgré son titre, Giuseppe
Fioravanzo, A History of Naval Tactical Thought, Annapolis, Naval
Institute Press, 1979 est plutôt une histoire du combat naval : on
trouve seulement un développement d'une page sur les auteurs des XVIIe et
XVIIIe siècles, p. 76, et encore s'agit-il d'une citation. Les histoires de
la pensée stratégique ne réservent qu'une place fort modeste aux penseurs
navals : Les maîtres de la stratégie d'Edward Mead Earle
(trad. française Paris, Berger-Levrault, 1982) accordaient trois chapitres
à la pensée navale contemporaine, aucun aux auteurs antérieurs à Mahan.
La nouvelle mouture due à Peter Paret ne daigne accorder à la pensée
navale qu'un chapitre unique consacré à Mahan naturellement. Corbett et
Castex ne sont même pas cités. Notons que la récente Anthologie
mondiale de la stratégie de gérard Chaliand, Paris, Robert Laffont,
1990 est plus généreuse. Elle accueille Thucydide, Léon VI, Raleigh,
Richelieu, Mahan, Corbett et Castex.
7 Donald
M. Schurman, The Education of a Navy. The Development of British Naval
Strategic thought 1867-1914, Londres, Cassel, 1965.
8 Notamment
celui de Volkmar Bueb, Die "junge schule" der französischen
marine. Strategie und politik 1875-1900, Boppard am Rhein, 1971.
9 W.D.
Puleston, Mahan, New Haven, Yale University Press, 1939 ; William
Livezey, Mahan on Sea Power, Norman, Oklahoma University Press, 1947,
réimpression 1982.
10 Donald
M. Schurman, Julian S. Corbett, 1854-1922, Historian of British Maritime
Policy from Drake to Jellicoe, Londres, Royal Historical Society, 1981 ;
Barry D. Hunt, Sailor-Scholar. Admiral Sir Herbert Richmond, 1871-1946, Waterloo
(Ontario), Wilfrid Laurier University Press, 1982 ; Hervé Coutau-Bégarie,
Castex, le stratège inconnu, Paris, Economica, 1985.
11 Ronald
Spector, The Naval War College and the Development of the
Naval Profession, Newport, Naval War College Press, 1977 et Michael
Vlahos, The Blue Sword. The Naval War College and the American Mission,
1919-1941, Newport, Naval War College Press, 1980.
12 Ezio
Ferrante, Il potere marittimo Evoluzione ideologica in Italia 1861-1939,
Rome, Rivista marittima (supplément), 1982 et Il pensiero strategico
navale in Italia, Rivista marittima (supplément), 1988.
13 Vice-Almirante
Armando Amorim Ferreira Vidigal, A Evoluçao do pensamento estrategico
naval brasileiro, Rio de Janeiro, Biblioteca do Exercito editora, 1985
(est d'ailleurs plus une histoire de la politique navale du Brésil que l'étude
de la pensée stratégique navale brésilienne annoncée dans le titre).
14 Jane
K. Leonard, Wei Yuan and China's Rediscovery of the Maritime World,
Cambridge, Mass, Harvard University Press, 1984.
15 Robert
Waring Herrick, Soviet Naval Theory and Policy. Gorshkov's Inheritance,
Newport, Naval War College Press, 1988, (couvre la période 1917-1956). Il
nous faudrait l'équivalent sur la pensée navale de la Russie impériale.
Berezin ou Klado ne sont que des noms, l'essai de stratégie navale du
premier (1873 !) est inconnu. Morskoï Sbornik, la revue
maritime russe, est fondée en 1848, près de vingt ans avant la Revue
maritime (1866), les US Naval Institute Proceeding (1867) ou la Rivista
marittima (1868).
16 Joseph
Needham, La tradition scientifique chinoise, Paris, Hermann, 1974, p.
171.
17 Ce
problème sera évoqué dans une Géostratégie de l'océan indien,
à paraître à la fin de l'année.
18 Cf
Hervé Coutau-Bégarie, La puissance maritime, op. cit, pp. 94-101.1
19 Cf
Hervé Coutau-Bégarie, "Plaidoyer pour une stratégie maritime théorique",
Stratégique, 1990-4, n° 48.
20 John
F. Guilmartin Jr, Gunpowder and Galleys. Changing Technology and
Mediteranean Warfare at Sea in the Sixteenth Century, Cambridge
University Press, 1974.
21 Des
progrès considérables ont été faits sur la question irritante de la trière.
Voire notamment J.S. Morrison et J.F. Coates, The Athenian Trireme, The
History and Reconstruction of an Ancient Greek Warship, Cambridge
University Press, 1986.
22 Voire
notamment Ken Booth, Strategy and Ethnocentrism, Londres, Croom Helm,
1979 ; Colin S. Gray, Nuclear Strategy and National Style, Lanham,
Maryland, Hamilton Press, 1986.
23 Philippe
Masson, Histoire de la Marine, 2 volumes, Paris, Lavauzelle,
1982-1983 ; Etienne Taillemite, histoire ignorée de la marine française,
Paris, Perrin, 1988.
24 Ce
livre de 1911 n'a jamais été remplacé. Il devrait faire l'objet d'une réédition
critique.
25 Pratiquement
aucun auteur allemand n'a été traduit, jusqu'à la très récente parution
aux Etats-Unis du maître-livre du vice-amiral Wolfgang Wegener, The
naval strategy of the World War, Annapolis, Naval Institute Press, 1989,
à l'exception de Naval Warfare du vice-amiral Curt von Maltzahn,
1908.
26 Herbert
Rosinski, Le développement de la pensée navale, recueil des
articles parus entre 1939 et 1947 dans le Brassey's Naval Annual. Le
titre était celui qu'avait choisi Rosinski lui-même pour un triple essai
sur Mahan-Corbett-Castex, et qu'a repris l'"éditeur" américain
pour ce recueil posthume publié en 1977. Mais trois articles seulement sur
les huit que compte le volume sont relatifs à la pensée navale, dont deux
traitent de la pensée navale allemande.
27 Cf
Immanuel C.Y. Hsü, "The Great Policy Debate in China 1874 :
Maritime Defense vs. Frontier Defense", Harvard Journal of Asiatic
Studies, 1965, pp. 212-228.
28 Cf
Ezio Ferrante, "Giulio Rocco e le sue Riflessioni sul Potere marittimo",
Rivista Marittima, mai 1981.
29 Amiral
Castex, La liaison des armes sur mer, Paris, CFHM-Economica, 1991.
Seul les cinq premiers chapitres, qui couvrent le XVIIe, le XVIIIe et le
XIXe siècles jusqu'à la bataille de Lissa, ont été rédigés par Castex
; le sixième chapitre n'existe qu'à l'état de canevas. Ils contiennent
d'importants développements sur les auteurs des périodes étudiées.
30 Amiral
Castex, Fragments stratégiques, à paraître fin 1991. Ce volume réunit
les addenda aux tomes III, IV et V des théories stratégiques dont
la deuxième édition n'a jamais vu le jour, le remaniement complet de deux
chapitres du tome III ainsi que divers articles et conférences rédigés
après 1945.
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