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K.M.
PANIKKAR ET LE DEVELOPPEMENT DE LA MARINE INDIENNE*
R. Singh
Kevalam Madhava
Panikkar1, possède non seulement
des qualités de professeur, de diplomate et de nationaliste, mais
aussi, c’est un personnage qui voit loin. Ces différents
aspects de sa personnalité seraient restés inconnus s’il
n’avait pas joui d’une grande facilité de plume pour exprimer
ses pensées. Sa contribution dans le domaine de l‘analyse
historique et dans le développement de la politique maritime de
l’Inde a été remarquable.
Sardar Panikkar, comme on
l’appelle familièrement, n’a pas été la seule personne qui
a écrit sur le développement de la marine indienne. D’autres
l’ont fait. Les points de vue de ces derniers ont été
cependant, soit restreints dans le temps, soit restreints dans
l’espace ; par exemple, Radhakumud Mookerji, avec A
History of Indian Shipping and Maritime Activities from the
Earliest Times, Bombay, 1912 a fait un travail de défricheur,
mais ne présente pas une analyse géopolitique et stratégique
semblable à celle de Panikkar. D’autres ouvrages n’ont
qu’un point de vue plus étroit et ne traitent que de courtes périodes.
Citons : A History of the Mughal Navy and Naval Warfare,
de Atul Chandra Roy, Calcutta, 1972 ; Kanhogi Angrey,
Maratha Admiral, de Manohar Malgaonkar, New Delhi, l959 et The
Kunjalis, Admirals of Calicut, de O.K. Nambiar, New Delhi,
1963. Un autre ouvrage de ce dernier auteur : Seafaring in
the Indian Ocean, Bangalore, 1975, montre une assez grande
largeur de vue, mais il vient loin derrière les travaux de
Panikkar. En outre, il existe d’autres livres qui traitent de la
rivalité actuelle entre les superpuissances dans l’océan
Indien et qui font allusion au sujet en passant. L’ouvrage Naval
Defence of India, de K.B. Vaidya, Bombay, 1949 est moins une
analyse de l’environnement maritime de l’Inde qu’un
plaidoyer pour la construction d’une marine absolument hors de
proportion avec les possibilités de l’Inde.
La vision de Panikkar sur
l’environnement maritime de l’Inde peut être analysée à
partir de quelques uns de ses écrits. Les ouvrages suivants méritent
une mention particulière : The Malabar and the Portuguese,
Bombay, 1929 est peut être celui qui est fondamental dans son œuvre,
celui où il brosse une fresque historique des faits dans une
perspective géopolitique. Vient ensuite The Malabar and the
Dutch, Bombay, 1931. Enfin le thème est entièrement développé
dans A History of Kerala, 1498-1801, Annamalainagar, 1960.
L’analyse que Panikkar fait de
l’évolution de l’environnement maritime de l’Inde et de
l’océan Indien per se peut être décelée à travers
des tendances convergentes qui apparaissent dans quatre séries
parallèles de livres. Le premier de ceux-ci est The Strategic
Problems of the Indian Ocean, New Delhi, 1944, republié sous
le titre India and the Indian Ocean : An Essay on the
Influence of Sea Power on Indian History, Londres, 1945. Le
lien possible entre les stratégies maritimes de l’Inde et de la
Grande-Bretagne ou de l’Inde et du Commonwealth est présenté
dans The Basis of Indo-British Treaty, New Delhi, 1946. La
tendance parallèle qui plaça l’Inde en tête de la communauté
de l’océan Indien apparaît dans The Future of South-East
Asia : An Indian View, ouvrage par la suite développé
dans : The Future of India and South-East Asia,
Bombay, 1945, aboutissant enfin au livre fameux : Asia and
the Western Dominance, 1498-1945, Londres, 1953.
L’importance de la dimension géopolitique et stratégique est
analysée dans A Survey of Indian History, New Delhi, 1947,
dans Geographical Factors in Indian History, Bombay, 1959
et dans Problems of Naval Defence, Bombay, 1960.
Tout en essayant d’expliquer
l’environnement maritime de l’Inde, Panikkar chercha à
retrouver l’attitude traditionnelle qu’avaient les Indiens
face à la mer, tant ceux du nord, les Aryavarta, que ceux
du sud au-delà des monts Vindhyas, dans le Dekkan. Selon Panikkar,
pour les peuples du nord, qui étaient plutôt influencés par les
ethnies d’Asie centrale, la "mer" allait jusqu’à
l’horizon ; leur vision de la mer était purement "côtière"
et le titre d’un prince : asamudra kshiteeshas
signifiait justement cet horizon. Au contraire, les gens du sud
ont une tradition maritime ; ainsi, le titre d’un souverain
dans cette région : Tri Samudradhipati révélait son
désir de se rendre maître de l’océan2.
Alors que l’influence exercée par l’Inde dans le sud-est
asiatique et au Sri Lanka est une preuve des traditions maritimes
des gens du sud, la faible activité maritime ou navale des gens
du nord, même aux temps du puissant empire moghol, montre à quel
point leurs souverains eurent une vision étriquée de la mer3.
Comme les autres universitaires,
Panikkar étudia aussi l’impact provoqué par l’arrivée des
Portugais dans l’océan Indien. 1498 est le point de départ de
plusieurs de ses œuvres, mais contrairement aux autres, il a tenté
d’analyser le déclin de la tradition navale et maritime des
Indiens dans une perspective historique. Il pensait que
l’effondrement de la puissance Chola dans le sud de l’Inde et
l’empire Sri Vijaya en Asie du sud-est avait, même avant
l’arrivée des Portugais, créé un vide qui aida indirectement
les puissances maritimes étrangères à prendre pied aux abords
du golfe du Bengale et même dans celui-ci4.
Le Zamorin du Malabar et l’Angre
du Konkan, en tant qu’Etats côtiers, ne pouvaient porter un défi
aux puissances maritimes étrangères dans la région.
Entre-temps, les Moghols et les Marathes se mirent à préparer sérieusement
la résistance contre la puissance navale européenne, mais il était
déjà trop tard.
Panikkar étudia aussi
l’influence à long terme de la puissance navale portugaise sur
le commerce, les échanges et la conception de la liberté de la
navigation dans ces parages. Il faut chercher une des raisons de
l’arrivée des Portugais en océan Indien dans leur désir de
s’affranchir du monopole traditionnel détenu par les Musulmans
dans le fructueux commerce entre l’Europe et les Indes. Les
Portugais menèrent une politique qui eut des répercussions à
long terme, non seulement au Moyen-Orient mais aussi dans les pays
riverains de l’océan Indien. Grâce à l’artillerie qui
armait les grands navires, l’hégémonie qu’ils exerçaient
sur les routes maritimes modifia complètement le système des échanges.
Si nécessaire par la force, ils coupèrent la route
traditionnelle avec le Moyen-Orient. Pour imposer leur monopole
dans la zone des échanges, ils n’hésitèrent pas à commettre
des actes de piraterie en haute mer. Evidemment ceci eut de sérieuses
répercussions économiques et commerciales sur les communautés
marchandes de l’Inde et du Moyen-Orient, mais aussi cela porta
un coup mortel à la conception de liberté des mers qui avait été
traditionnellement acceptée dans ces parages avant l’arrivée
des Portugais.
Finalement l’arrivée des
Portugais donna naissance à une nouvelle vague de colonialisme :
le colonialisme maritime. Par la suite, d’autres puissances
européennes suivirent leur exemple dans l’océan Indien.
L’impact direct ou indirect du colonialisme maritime des Européens
, ainsi que de la doctrine de la puissance maritime la justifiant,
sur les côtes de cet océan, continue d’être ressenti encore
aujourd’hui malgré la décolonisation explicite de la mer.
Panikkar a apporté une très significative contribution quand il
affirma que la grande différence entre l’ancienne forme de
colonialisme et le nouveau colonialisme maritime réside dans la
substitution d’une économie marchande à une économie
communautaire reposant sur l’agriculture5.
Panikkar reconnut la validité du
concept de puissance maritime. Pour aller dans le sens de sa pensée,
il citait, toutefois, non pas le très célèbre penseur naval
occidental Alfred Mahan, mais Khaireddin Pasha, l’amiral turc du
XVe siècle6 qui disputait la Méditerranée
aux puissances chrétiennes de la Méditerranée. "Celui
qui domine les mers, peu après dominera aussi les terres",
aurait-il dit au sultan Soliman le Magnifique7.
Et Panikkar de continuer en disant que ce qui est vrai dans les
eaux étroites de la Méditerranée, est aussi partout ailleurs.
Analysant le concept de puissance
maritime, Panikkar pensait que la puissance continentale la plus
forte et la plus organisée ne peut protéger ses intérêts sur
mer contre une puissance maritime. L’empereur Akbar lui-même,
au sommet de sa puissance, ne put assurer la protection des pèlerins
musulmans se rendant à la Mecque pour leur hadj.
Il y a de nombreuses raisons pour
expliquer pourquoi la puissance navale domine la puissance
terrestre per se ; entre autres, la puissance sur mer
est omniprésente car la mer, à l’inverse de la terre, ne connaît
que peu de barrières. En effet, les distances ne sont pas un
obstacle à l’expansion et au renforcement de la puissance et ce
facteur était particulièrement vrai avant l’avènement de la
puissance aérienne. Panikkar tenait aussi pour vrai que
les chances d’assimilation des envahisseurs venus par terre étaient
plus grandes que pour ceux venus par mer, particulièrement
s’ils conservent des liens avec leur mère patrie. Très vite
les Moghols devinrent une monarchie nationale tandis que
les Britanniques restèrent des étrangers, jusqu’au
moment où ils quittèrent l’Inde.
Selon Panikkar, l’époque de
Vasco da Gama s’est terminée en 1945 et cette fin coïncida
avec celle de la seconde guerre mondiale, avec le commencement de
la décolonisation en Asie et avec le déclin de la puissance
navale britannique dans l’océan Indien. Il est important
d’observer cependant qu’au cours de l’époque de Vasco da
Gama, les puissances européennes, tout en créant de fortes armées
de terre et même en entraînant les peuples indigènes à
l’emploi des armes modernes et de la tactique dans la guerre
terrestre, ne leur confièrent que peu de navires de fort tonnage
et ne leur enseignèrent jamais la tactique navale. Cela fut vrai
des Portugais, des Hollandais et des Français, mais aussi des
Britanniques, qui dominèrent efficacement l’Inde et une partie
non négligeable des cotes de l’océan Indien pendant plus
d’un siècle.
La raison donnée par Panikkar
pour expliquer cette disparité réside dans le fait qu’au cours
de l’occupation de l’Inde par les Britanniques, leur hégémonie
maritime était reconnue universellement ; c’est ainsi
qu’assurés de dominer les mers, ils se préparèrent à
affronter la menace venant de la terre8.
Cependant, cet argument manque de poids, car non seulement les
Britanniques prirent des mesures pour décevoir les ambitions
d’une tradition navale indienne même sous leur contrôle, dès
le XVIIe siècle, mais ils firent tout ce qui était en leur
pouvoir pour retarder le développement d’une marine marchande
indienne. Il semble qu’une nation maritime ne puisse partager
les secrets de sa puissance avec ceux qu’elle a colonisés !
En fait, la marine indienne fut
constituée dès 1613 pour protéger le commerce maritime le long
de la côte de Sourate ; en revanche, l’armée britannique
en Inde ne fut levée qu’en 1660. La base de la marine indienne
fut installée en 1686 à Bombay et donc appelée Bombay Marine ;
le déclin allait commencer pour cette force indigène de la
puissance navale britannique car elle ne joua qu’un rôle
secondaire dans la Royal Navy. En 1830, il sembla à
nouveau que la collaboration de la marine indienne fût appelée
à prendre corps et le terme Indian Navy fut employé pour
la première fois ; des unités indiennes furent affectées
à d’importantes missions, en liaison avec l’armée indienne,
et reconnues capables de participer à des campagnes importantes
depuis la Chine jusqu’à l’Egypte.
Bien que le soulèvement
anti-britannique de 1857-1858, n’affectât pas directement la
situation de l’Indian Navy, celle-ci fut supprimée en
1863 et les forces navales furent dispersées, ne formant plus une
unité de première ligne. Depuis lors jusqu’au début de la
guerre de 1939-1945, les Britanniques, ne ressentirent pas la nécessité
de créer une marine indienne permanente comparable à l’armée
des Indes. Les menaces allemande et japonaise, puis l’invasion
du Japon en Asie du sud-est et surtout la menace de celui-ci dans
l’océan Indien, contraignirent les Britanniques à développer
et à renforcer l’Indian Navy pendant ce conflit. Comme
il s’agissait d’une réaction devant une situation bien
particulière, l’Indian Navy fut à nouveau appelée à
disparaître après la guerre ; la mutinerie qui éclata dans
ses rangs en 1946 n’arrangea pas les choses et la démobilisation
qui suivit la fin de la guerre ainsi que la partition du
sous-continent indien firent le reste. Ainsi, contrairement à
l’armée indienne, l’Indian Navy souffrit d’un pénible
début et continua à en souffrir pendant plusieurs années. Dans
son analyse de l’environnement maritime de l’Inde, Panikkar
semble avoir été influencé par ce grave désintérêt.
Sa vision des nécessités de
l’Inde dans le domaine naval et maritime à la veille de l’indépendance
de son pays fut orientée par les éléments suivants :
- la tradition maritime de l’Inde,
particulièrement dans le Dekkan, avant l’arrivée des Portugais ;
- les conséquences de la
colonisation maritime ;
- le déclin de la puissance
navale britannique et la menace croissante venant de puissances
navales en voie d’évolution, particulièrement celles de
l’est, comme la Chine et le Japon ;
- la nécessité pour l’Inde de
se forger une stratégie appropriée à sa situation ;
et finalement :
- le rôle de la Grande-Bretagne
dans l’évolution de cette stratégie.
Il faut aussi faire remarquer
qu’à l’époque où Panikkar formulait ses pensées, la
seconde guerre mondiale n’avait pas encore pris fin et la guerre
froide ne s’était pas déclarée. L’Inde ressentait généralement
que l’indépendance était enfin à portée, mais cela ne
signifiait pas une entière rupture avec les Britanniques. Ces
opinions donnèrent un aspect particulier à la réaction de
Panikkar face à l’évolution de l’environnement maritime à
la fin des années quarante et au début des années cinquante. A
moins d’avoir présents à l’esprit ces détails, on pourrait
probablement avoir une fausse appréciation de l’idée que se
fait Panikkar d’une stratégie maritime et navale convenant à
l’Inde.
Lorsque Panikkar exposa ses premières
idées sur la stratégie navale indienne, l’impact de l’arme aérienne
commençait à se faire sentir et à restreindre les capacités
des puissances navales à peser sur les décisions, non seulement
dans les opérations sur terre mais aussi sur mer. Panikkar,
reconnaissant ce fait, suggéra en conséquence que la stratégie
navale et maritime de l’Inde soit largement définie comme suit :
Si on
place autour de l’Inde un cercle d’acier avec des
bases aériennes et navales en des points convenables
et si, à l’intérieur de cette zone ainsi délimitée,
on peut créer une marine de guerre suffisamment forte
pour défendre ses eaux métropolitaines, alors,
l’espace marin nécessaire à la sécurité et à la
prospérité de l’Inde peut être protégé et
converti en une zone de sécurité 9.
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Panikkar comprit qu’une coopération
régionale était nécessaire pour assurer la sécurité de la zone,
mais tandis qu’il développait un concept tenant compte des spécificités
des ethnies dans la solidarité croissante afro-asiatique, en
particulier dans la lutte anti-coloniale, il ne donna pas de détails
sur le modèle possible d’interaction avec les peuples locaux pour
la sécurité de la région, en dépit de l’évidence historique
suggérant la nécessité d’élaborer une large politique en cette
matière. Il est possible qu’il n’ait pas pensé que les Etats
asiatiques et africains puissent jouer un tel rôle : l’Egypte,
l’Indonésie, l’Iran et l’Irak etc, venaient tout juste
d’apparaître comme des pays stables et indépendants sur la scène
internationale. Ainsi donc, Panikkar, alors qu’il plaidait pour
une coopération, ne trouva jamais d’autre solution que celle de
lier la politique navale indienne à celle de la Grande-Bretagne,
laquelle dans son esprit, était une puissance "régionale",
à cause de ses colonies et de ses bases militaires dans l’océan
Indien10.
Panikkar reconnut qu’en dépit de
la perte de l’Inde, la Grande-Bretagne conservait dans la région
des intérêts vitaux, politiques, économiques et militaires ;
elle possédait des bases navales d’une importance considérable
en océan Indien, depuis Aden jusqu’à Singapour, ce qui lui
donnait l’avantage de contrôler efficacement la zone. Panikkar
conçut une coopération rationnelle anglo-indienne dans le domaine
de la sécurité navale comme suit :
Même
si la Grande-Bretagne était en situation de le faire,
ce qui n’est manifestement pas le cas, ses propres intérêts
dans l’océan Indien sont tels que rien de moins
qu’une grande défaite la contraindrait à se retirer
de cette zone. Par conséquent, la défense de l’océan
Indien, non seulement pour les intérêts de l’Inde
mais aussi pour ceux de la Grande-Bretagne, doit être
assurée par les efforts conjugués des deux pays. Il
revient à eux deux de trouver une structure grâce à
laquelle le but sera effacement atteint 11.
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Panikkar s’en tint
fermement à cette opinion même après que l’Inde se fut
résolument prononcée pour le non-alignement comme
fondement de sa politique étrangère. Dans un autre
ouvrage, il essaya de montrer que, dans le cas d’une
guerre limitée, la force navale indienne était en mesure
de défendre ses côtes, protéger son commerce et maintenir
ses communications. Cependant, il ajoutait que si l’Inde
devait participer à une guerre majeure, alliée à
d’autres, le rôle de ses forces navales serait de garder
sa propre zone et de participer aux opérations des autres
forces navales alliées12.
En d’autres termes, il était favorable à la poursuite
d’une politique qui, finalement, ferait de l’Indian
Navy un prolongement de la stratégie navale du
Commonwealth et, par suite, de celle de l’Occident. Mais
une telle politique avait été écartée par les officiers
de la Royal Navy, qui, sous la conduite de lord
Mountbatten, continuèrent de diriger la politique navale
indienne jusqu’à la fin des années cinquante.
Panikkar établit deux
points encore valables aujourd’hui : le premier veut
qu’une marine de guerre ait pour objectif, non pas tant de
défendre les côtes, que d’obtenir la maîtrise d’une
zone maritime, empêchant ainsi les navires ennemis de
s’approcher de la côte ou de s’attaquer au trafic
commercial, et soit capable, après avoir obtenu cette maîtrise,
d’établir le blocus de la côte ennemie et de détruire
ses navires marchands. Ainsi, selon lui, une marine de
guerre uniquement opérant le long des côtes dégénère en
élément subordonné à l’armée. l’Indian Navy,
quelle que soit son importance, doit retenir cette leçon :
son objectif est de protéger les mers et non la terre, et
si elle ne peut protéger la zone maritime vitale pour l’Inde,
il est préférable que celle-ci se passe de marine de
guerre13.
Le second point s’énonce
ainsi : les capacités maritimes ou la volonté navale
d’un Etat doivent refléter sa puissance nationale ;
ce qui implique un pouvoir central fort et une société
moderne industrielle avec une élite scientifique.
L’accroissement des capacités navales et maritimes de
l’Inde dépend aussi de ces facteurs. Panikkar pensait que :
que
si nous arrivons à ce degré de développement,
notre indépendance ne pourra pas être mise en
question par une puissance quelconque bien que
la mer soit toujours menaçante 14
.
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Il proposa la création
d’un ministère de la Marine, pour rationaliser et
intégrer ces politiques15.
Quand Panikkar écrivait
au sujet des intérêts maritimes de l’Inde, les
environnements régionaux et internationaux étaient
très différents de ce qu’ils sont aujourd’hui.
La Grande-Bretagne, bien que puissance déclinante,
continuait d’assurer sa maîtrise sur l’océan
Indien. La guerre froide n’avait pas encore pénétré
dans cette zone et, malgré les pactes de défense
comme le Traité d’Organisation de l’Asie du
sud-Est ou le pacte de Bagdad, l’océan Indien
restait largement préservé de toute présence
militaire directe des deux super-puissances. La
rivalité navale entre celles-ci avait un
effet négligeable dans la région et les puissances
régionales avaient alors à développer les capacités
d’action de leurs forces navales.
Aujourd’hui, la
Grande-Bretagne qui fut la puissance maritime
dominante, est absente. Non seulement les rivalités
dues à la Guerre froide ont été profondément
ressenties dans la région de l’océan Indien,
mais la présence navale des super-puissances
s’est largement accrue, ainsi que la capacité
navale des puissances régionales.
Ces développements
exigent de nouvelles explications. La rivalité
traditionnelle entre puissances maritimes s’est
maintenant transformée en rivalité entre la
soi-disant puissance maritime et la puissance
continentale. Les Etats riverains auront à
s’opposer aux puissances rivales qui exercent sur
eux des pressions simultanées et dont les
politiques régionales sont justifiées dans le
contexte de la guerre froide. La coopération régionale
peut-elle être une réponse ? Si oui, quel en
serait le cadre ? Le non-alignement peut-il
fournir une solution ? Si oui, quelle devrait
être la stratégie navale et maritime de la
politique de non-alignement ? Les réponses à
ces questions doivent être trouvées pour
que l’océan Indien reste une aire de paix.
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Notes:
1
K.M.
Pannikar, 1895-1963, a fait des études en
Grande-Bretagne. Journaliste, associé aux campagnes
de Gandhi dès 1922, secrétaire de la Chambre des
Princes en 1932, il participe à plusieurs conférences
internationales en tant que représentant de
l’Inde. Membre du Parlement provisoire en 1946 et
1947, il est ambassadeur en Chine (1948-1952), puis
en Egypte (1952-1956). Son livre L’Asie et la
domination occidentale en fait l’un des théoriciens
les plus connus du réveil de l’Asie. Après sa
retraite, il devient professeur à l’Indian School
of International Studies, à New Delhi. HCB
2
Geographical
Factors in Indian History, pp. 77-78.
3
Ibid.
4
Indian
and the Indian Ocean, p. 28.
5
“Introduction”,
Asia and Western Dominance, 1948-1945.
(C’est le seul ouvrage de K.M. Pannikar à avoir
été traduit en français : L’Asie et la
domination occidentale du Xve siècle à nos jours, Paris,
Seuil, 1945. HCB)
6
En
fait, du XVIe siècle.
7
India
and the Indian Ocean, p. 7.
8
Ibid,
p. 9.
9
Ibid,
p. 15.
10
Regionalism
and Security, New Delhi, 1948, p. 4.
11
India
and the Indian Ocean, p. 15.
12
Problems
of Indian Defence, p. 108.
13
India
and the Indian Ocean, pp. 96-97.
14
Geographical
Factors in the Indian History, p. 49.
15
India
and the Indian Ocean, p. 98.
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