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GÉOGRAPHIE MILITAIRE DE LA ROUMANIE Tudorel EneLa pensée militaire roumaine réserve une place importante à la géographie militaire[1]. Celle-ci constitue l’occasion de concevoir d’une façon unitaire l’emploi de l’armée dans le cadre géographique du pays en respectant les principes fondamentaux de la stratégie. Ses origines sont anciennes puisque, dès le milieu du xixe siècle, plusieurs grands auteurs se sont distingués dans cette conception de la géographie. Inspirée par l’exemple de la résistance des insurgés de 1848 dans les Carpates, une littérature importante s’est développée : Organizarea sistemului militar al Romaniei du général Anghelescu en 1864, Calatorii de stat-major du colonel Bratianu en 1895, Geografie militara du général Crainiceanu en 1894, Geografie militara a Romaniei du commandant Ion Pavelescu en 1910. Elle a eu une influence certaine dans la conception adoptée en 1916 lors de l’entrée en guerre du pays aux côtés des alliés. Descendant spirituel de ces pères-fondateurs de la géographie militaire roumaine, un officier se remarque particulièrement par son œuvre après 1918. Il s’agit du lieutenant-colonel Vasile Mitrea, professeur aux écoles d’artillerie. Il a élaboré une étude approfondie et remarquable sur la géographie militaire de son pays en 1924. D’autres en seront influencés à leur tour. Comment la géographie militaire roumaine définit-elle la spécificité stratégique de ce territoire national et les différents théâtres d’opérations ? “UNE îLE DE LATINITÉ” ENTOURÉE DE PEUPLES SLAVESLa Roumanie est un carrefour de tendances expansionnistes tantôt allemande vers l’est du continent et le Moyen-Orient, tantôt slave vers l’Europe occidentale et méditerranéenne, tantôt turque vers l’Ouest et le nord de leurs frontières traditionnelles. L’histoire millénaire des Roumains stabilise leur espace entre les Carpates, le Danube et la mer Noire, comme une “île de latinité” entourée par des peuples slaves. La Roumanie est d’abord un pays de forme presque ovale, étendu sur presque 300 000 km2, avec un grand axe d’Ouest en Est d’environ 800 km et un petit axe du Nord au Sud de 500 km. Du point de vue militaire, cette forme régulière et symétrique constitue un avantage stratégique important, démontré pendant toutes les guerres dans lesquelles la Roumanie a été impliquée. Les frontières naturelles sont alors la Tisa, le Danube et le Dniestr. Par le traité de Versailles du 28 juin 1919, les frontières politiques sont établies sur le Dniestr, le Danube et une ligne conventionnelle à 50-100 km de la Tisa. “La Roumanie, écrit Vasile Mitrea, disposait de frontières naturelles relativement bien défendables sur environ 2 000 km et de frontières conventionnelles plus perméables sur 800 km. Du point de vue militaire, le Dniestr ne constituait pas vraiment un obstacle sur son cours inférieur, notamment pendant l’hiver. Mais la frontière la plus problématique restait à l’Ouest, celle avec la Hongrie (...). Stratégiquement, la longueur totale des frontières menacées était d’environ 2000 km (vers la Russie, la Hongrie, la Bulgarie et une partie du littoral), mais sur 800 km les menaces étaient moins fortes (vers la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et le reste du littoral”[2]. Par d’autres aspects, la géographie militaire de la Roumanie présente plusieurs spécificités propres. D’abord, sa composition ethnique est complexe. Elle comprend, en 1930, une population de 18 millions d’habitants dont 75 % de Roumains, 7 % de Hongrois, 5 % de Juifs, 4 % d’Allemands, 3 % de Russes, 1,5 % de Bulgares, 1 % de Tartars et Turcs, 0,5 % de Serbes et le reste d’autres nationalités (Grecs, Arméniens, Albanais, Italiens, Français). Son orographie fait apparaître plusieurs données permanentes. Globalement, le relief présente des hauteurs au centre du pays et descend doucement vers les frontières. Les montagnes commencent là où la Tisa et le Siret prennent leurs sources. Les crêtes montagneuses poursuivent la limite ouest de la Bucovine et la Moldavie, la limite nord de la Munténie et de l’Olténie, se ferment à l’ouest par le massif du Bihor entre les sources du Cris, du Somes petit et du Aries. Les Carpates sont les principales montagnes de la Roumanie et peuvent être divisées en plusieurs parties. La partie orientale n’a pas une ligne de crête bien définie. Les montagnes s’orientent dans toutes les directions, mais, le plus souvent, obliquement du Nord-Ouest vers le Sud-Est. La partie méridionale présente un aspect plus régulier, disposant de lignes de crêtes bien définies orientées d’est en ouest. Des rivières les partagent en plusieurs massifs montagneux, avec des versants nord plus escarpés que ceux du sud. La partie occidentale est moins étendue. Elle se présente comme un plateau avec des versants impraticables. Les versants ouest sont tellement escarpés qu’ils descendent brusquement dans la plaine de la Tisa sans transition. D’autres caractéristiques influencent l’organisation militaire de l’espace roumain. Une région de collines correspondant au plateau transylvanien se trouve au milieu de la ceinture montagneuse. À l’Est, la Bessarabie et la moitié de la Moldavie entre le Siret et le Prut forment le plateau moldo-bessarbien. C’est une zone très éloignée de collines (300-400 km de largeur). Mais, à l’Ouest, la zone de collines est étroite avec une largeur de seulement 10-30 km. Au Sud, il existe une bande de collines plus large en Olténie qu’au Nord-Est de la Munténie. La Dobroudja est entièrement une région de collines. À l’Ouest, la plaine de la Tisa, d’une largeur de 20-80 km dans sa partie roumaine, contourne les collines jusqu’à la frontière avec la Hongrie. Au Sud, la plaine du Danube qui est la plus étroite en Olténie (60 km à Craiova) qu’à l’est de la Munténie (120 km à Buzau). À ces données géographiques, s’ajoutent celles du climat et de l’hydrographie. Plusieurs cours d’eau traversent le pays totalement ou partiellement. Le Danube constitue l’axe prépondérant, navigable sur tout son parcours soit 1 000 km. Plusieurs passages constituent des postes de contrôle stratégiques puisque situés entre la mer Noire et l’Europe centrale. Quant au climat, il est de type tempéré continental avec des hivers riches en neige et des étés chauds. Tant en raison de sa position stratégique en Europe que de ces caractéristiques géographiques, la Roumanie forme un véritable espace convoité par les puissances régionales. UN ESPACE CONVOITE PAR LES PUISSANCES RÉGIONALESLe principal élément stratégique de la Roumanie est donné par sa position géographique dans le Sud-Est de l’Europe, aux bouches du Danube et à la mer Noire, au carrefour des voies de communications les plus importantes qui lient l’Europe et l’Orient. De plus, son voisinage avec les Balkans, foyer permanent d’intrigues politiques où les intérêts des puissances européennes se confrontent, met en évidence sa mission de “gardien” dans cette partie de l’Europe. La position des Roumains, isolés des autres peuples avec qui ils partagent les mêmes origines (Français, Italiens, Espagnols, Portugais), entourés par des ennemis historiques comme les Hongrois, les Russes et les Bulgares, et par des voisins étrangers à leur mentalité (Serbes, Tchèques, Slovaques, Polonais et Ukrainiens) leur impose de rester en permanence vigilants devant toutes les menaces. D’après le lieutenant-colonel Mitrea, “l’alliance avec les peuples d’origine latine devrait constituer le fondement de la politique roumaine pour l’avenir”[3]. Mais les conditions difficiles de cette époque et les intérêts immédiats de la Roumanie conduisent à la signature de la Petite Entente avec la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie ainsi qu’à une alliance avec la Pologne. Mitrea réalise, dans son manuel, une étude intéressante de géographie militaire partageant le territoire de la Roumanie en théâtres d’opérations. Selon Jomini, “le théâtre d’opérations d’une armée comprend tout le terrain qu’elle chercherait à envahir, et tout celui qu’elle peut avoir à défendre”[4]. La préparation pour la guerre d’un pays comprend nécessairement l’étude de ses théâtres d’opérations. En 1921, le colonel Tenescu considère que cette étude concerne “les théâtres d’opérations formés par le territoire national lui-même, les théâtres d’opérations formés par le territoire des États voisins et qui peuvent également constituer la scène de certaines confrontations militaires auxquelles la Roumanie sera obligée de participer”[5]. Dans ces deux cas, toute étude comprend des informations sur plusieurs sujets : les aspects sur géographico-physiques (orographie, hydrographie, terrain), topographico-militaires (obstacles, axes de défense, centres et positions militaires), statistiques (populations, véhicules, animaux, etc.), de transport (routes, chemins de fer, voies navigables), stratégico-tactiques (zones de concentration, fortifications, etc.). Selon Tenescu, les moyens nécessaires pour remplir ces exigences sont multiples. Les plus importants sont les données statistiques officielles, la géographie militaire, l’histoire des campagnes militaires, les cartes topographiques, les informations des attachés militaires et agents spéciaux pour l’étude des théâtres d’opérations voisins. À l’époque, la majorité des spécialistes militaires considèrent que, du point de vue stratégique, la Roumanie se partage en trois théâtres d’opérations et une zone centrale : 1) Le théâtre Est : la Moldavie, la Bessarabie et la Bucovine ; 2) Le théâtre Ouest : entre la frontière de l’Ouest et une ligne passant par les localités Carlibaba, Rodna-Veche, Nasaud, Dej, Cluj, Aiud, Alba-Iulia, Orastie, Hateg, la vallée de la Cerne, Orsova ; 3) Le théâtre Sud : l’Olténie, la Munténie, la Dobroudja ; 4) Le réduit central. Selon les géographes militaires roumains, l’étude de chaque théâtre se fonde sur deux hypothèses : l’offensive et la défensive, en tenant compte des facteurs géographiques propres et ceux de l’adversaire. L’analyse continue par l’établissement de la base d’opération, des zones de rassemblement, des lignes d’opération les plus avantageuses, de l’objectif principal de l’ennemi, des objectifs géographiques importants. Après l’établissement des lignes probables de l’invasion ennemie, elle précise les positions ou points forts pour la défense, la place des réserves stratégiques et tactiques, les manœuvres les plus favorables à la défense dans les différentes situations. La
Roumanie, espace stratégique
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