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Quand on parle de la mer de manière élégiaque, on évoque un peu légèrement le royaume de Neptune ; or Neptune est un monarque de pacotille : ventripotent, trônant mollement entre tritons, ondines et sirènes sur fond de varech, de coquillages et de dauphins ; il pense sans doute que cette accumulation pathétique d’attributs maritimes fait de lui un marin. Pourquoi ne s’attife-t-il pas d’un blazer bleu et d’une casquette à coiffe blanche ? L’imposture serait parfaite. Un être aussi fat et ridicule ne peut demeurer à perpétuité roi de l’étrange royaume de la mer. Aussi proposons-nous, à compter de ce jour, de le déchoir de ses droits et titres, fonctions et prérogatives : il lui serait ordonné de remettre son trident dont il ne se sert jamais que pour poser. Il lui serait enjoint de s’en retourner avec sa cour visqueuse, grouillante et dérisoire, vers les profondeurs abyssales d’où l’imagination déréglée de quelques mauvais poètes l’a fait, bien à tort, sortir. Le trident du roi de la mer ne peut appartenir à un être mi- chair, mi-poisson, à queue de dauphin ou à tête de phoque : le roi de la mer est un homme, né sur la terre ferme, et qui a dompté bien des choses. En premier lieu la peur de s’aventurer sur la surface liquide ; puis le grand dérangement des entrailles amené par les balancements du navire ; enfin les caprices, furies et dangers des vents et courants, ou, comme on dit dans les salons, les éléments déchaînés. Le trident de premier roi de la mer revient de droit à un Méditerranéen. Certes l’histoire ultérieure montre que Nordiques et Polynésiens sont d’excellents navigateurs mais en Méditerranée les navires ont été les vecteurs d’une civilisation dont nous nous honorons encore. Aussi est-il proposé de nommer à compter de ce jour, premier souverain de l’étrange royaume de la mer, Archimède, né à Syracuse vers 287 avant Jésus-Christ. Un détail de la notice biographique de ce dernier explique ce choix. Hiéron, roi de Syracuse, consulta Archimède sur le moyen de découvrir si sa couronne apparemment en or pur, n’était pas faite, en réalité, d’un alliage d’or et d’argent ; Archimède chercha la solution dans son bain, s’aperçut que ses membres, plongés dans l’eau, perdaient une part de leur poids ; ainsi trouva-t-il le principe qui porte son nom : "Tout corps plongé dans un fluide subit une poussée verticale, dirigée de bas en haut, égale au poids du fluide déplacé". Ce principe a fait la fortune de la mer et des transporteurs qui l’appliquent à grande échelle et qui l’appliquaient même avant Archimède, dans une allègre ignorance. Des statistiques récentes (1990) portant sur le poids du fluide déplacé par des marchandises l’évaluent par an à 3975 millions de tonnes. Ce chiffre et quelques considérations qui seront développées plus avant dans ce livre expliquent et justifient le titre de "Royaume d’Archimède".
Un marin ne se forme pas en quelques jours. Ganteaume disait à l’Empereur qu’il fallait naître dans la Marine pour y connaître quelque chose1: exagération dangereuse de spécialiste. Toutefois les éléments qui influent sur les décisions des marins sont si nombreux, leur variation si importante, qu’un long amarinage est nécessaire. Un tacticien naval ne s’improvise pas davantage : un apprentissage est requis. Bien entendu, il traîne dans l’air du temps des éléments de tactique intuitive, mais ils sont, le plus souvent, d’essence terrienne et, par là, parfois impropres aux luttes maritimes. La documentation tactique navale est importante mais on peut avoir le sentiment, à la consulter, qu’elle n’exprime pas les principes dont elle s’inspire. Peut-être paraissent-ils trop évidents, ou alors les rédacteurs, scribes d’une religion trop vieille, les ont oubliés, et se contentent de recopier des formules sans souffle… L’ambition de cet ouvrage est de revenir aux principes qui devraient inspirer la conduite d’opérations navales. Ce retour aux évidences est mené en prenant appui sur le passé, seul dispensateur de leçons. Toutefois, les leçons de l’histoire doivent être corrigées pour tenir compte des nouveautés techniques. On trouvera dans ce livre maintes allusions historiques destinées à expliciter des principes qui, autrement, s’avanceraient en orphelins, puis une réflexion sur la condition de marin depuis Archimède. D’une manière générale, la stratégie militaire, pour parvenir à ses fins, anime, dans les différents théâtres où elle s’exerce, des tactiques diverses. Ceux qui conduisent la stratégie voient l’ensemble des événements, privilège qui échappe à ceux qui mènent l’action tactique : il importe que les directives de la stratégie, composantes d’un vaste dessein politique, soient suivies à l’échelon tactique, même si elles paraissent inadaptées. La tactique, qui reçoit ses objectifs de la stratégie, lui est subordonnée. Pour les marins, entre l’échelon stratégique et l’échelon tactique s’inscrit le plus souvent un échelon intermédiaire. Le chef de cet échelon est chargé de conduire, dans une zone, des opérations navales au moyen de forces placées sous des commandements tactiques distincts. On parle, à cette occasion, de "conduite des opérations navales". De ce qui précède peuvent être tirées les définitions suivantes : la conduite des opérations navales est la mise en œuvre de forces aéronavales, dans une zone ou un théâtre donné, en vue de remplir les missions fixées par la stratégie. La tactique navale est la conduite des forces, en un lieu donné, à un moment donné, en vue de remplir les missions fixées par le commandant de zone ou de théâtre.
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