(1961-1962)
Henri BAUDOIN
(lieutenant puis capitaine)
RÉSUMÉ
Dans la zone des hauts
plateaux, face au Maroc, un commandant de batterie de radars-canons décrit
la vie quotidienne de son unité. C'est le plus souvent une longue veille
monotone dans un secteur où le barrage est très éloigné de la frontière
marocaine et fort peu harcelé par les rebelles.
SUMMARY
In the region of the
plateaux facing Marocco, a major in command of a battery of
"radar-guns" describes the daily life of his unit which mainly
consisted of long monotonous watches in a sector where the barrage was
located at a great distance from the Maroccan border, thus seldom attacked
by the rebels.

J'ai été affecté au
11/403e RAA le ler août 1961 à l'issue d'un stage d'officier
radar de Groupe, effectué à l'École de spécialisation de l'artillerie
antiaérienne de Nîmes. J'ai rejoint mon poste individuellement, par voie
maritime au départ de Marseille, sur le Ville d'Oran, puis, à
partir d'Oran, via Tlemcen, par voie routière, en utilisant les convois
militaires.
Je me suis présenté au
PC du 11/403e RAA à El Aricha et affecté aussitôt à la 2e
batterie comme lieutenant adjoint. L'accueil a été très amical, aussi
bien à El Aricha qu'à la 2e batterie, car je connaissais
beaucoup d'officiers servant au 11/403, l'artillerie antiaérienne étant
une subdivision d'arme relativement petite où beaucoup d'officiers se
croisaient dans les unités au cours de leur carrière.
L’emplacement des
postes.
La 3e batterie
occupait trois postes près de Méchéria : R6, R5 et R51.
R6 et R5 étaient situés
sur le barrage électrifié et miné, alors que R51 se trouvait à environ
10 km en zone interdite, en direction du Maroc dont la frontière était
distante à cet endroit de 40 km du barrage.
Le PC de la 2e batterie
était à R6, sur une petite hauteur, et dominait confortablement les
alentours. Le barrage électrifié et miné était situé àl'ouest du
poste, donc côté zone interdite, mais un réseau de barbelés important
ceinturait le poste, ce qui lui conférait une grande sécurité.
R5, situé également sur
le barrage, au nord de R6 à quelques kilomètres, était implanté au
milieu des sables, et il avait fallu construire un perré pour y installer
les radars de surveillance. Comme pour R6, le barrage était à l'ouest,
mais le poste était bien entouré de barbelés de protection.
R5 1, petit poste d'une
section, seul en zone interdite, était destiné àpermettre un bon
recouvrement radar entre R6 et R5, voire même R7, au sud de R6,
recouvrement gêné par la présence d'une petite chaîne de hauteurs
orientée est-ouest et qui, partant de R6, se dirigeait vers le Maroc.
Ces trois postes, comme
tous ceux occupés par le 11/403, étaient très solides, construits par
le Génie, en pierres et maçonnerie, renforcés de sacs à terre. Ils
comportaient des installations de vie confortables, avec des cuisines
d'importance correspondant aux effectifs des postes, une salle PC, des
installations techniques bien construites.
Uéquipement des postes.
R6 :
- 2 canons de 90 mm antiaériens
(portée 19 km) avec des munitions correspondantes, en soutes protégées
,
- 2 radars COTAL (détection
et poursuite antiaériennes) modifiés pour pouvoir travailler au sol
(portée 20 à 30 km)
- 1 poste de calcul des
tirs haute-fréquence (PHF) ;
- 5 génératrices pour
fournir les tensions nécessaires au matériel d'artillerie ;
- une salle d'opération
équipée pour les calculs des tirs à terre.
R5 : servi par une
section renforcée, il possédait également 2 canons de 90 mm AA, 2
radars COTAL et des génératrices.
Le médecin-aspirant de
la batterie s'y trouvait avec l'infirmier.
R51 : il avait un seul
radar COTAL avec deux génératrices, pas de canon. Un armement de type
" infanterie " permettait à ce poste de résister
victorieusement à tout assaut pendant plusieurs heures (12,7 mm, 7,6 mni,
FM, fusils lance-grenades ... ). Son réseau de barbelés, très dense, était
miné. Des tirs de barrage, exécutés par R6 ou R5 étaient en place en
permanence.
Au total, notre 2e
batterie avait un effectif d'environ 150 hommes. Elle était fortement
renforcée en matériel de détection, d'alerte, et pouvait tirer
largement en avant du barrage. De plus, à R6, se trouvait un poste d'électromécaniciens
de la Marine avec cinq ou six marins, chargés de la mise sous tension du
barrage électrifié, de la résolution des pannes éventuelles, de
l'alerte en cas de coupure intempestive.
La surveillance du
barrage et de la zone interdite.
Tout le long du barrage,
côté Maroc et côté Algérie, couraient deux pistes permettant de vérifier
visuellement l'état des installations et de détecter toute anomalie.
Chaque matin, du sud vers
le nord, ou inversement selon les consignes, une patrouille de
surveillance reliait les postes les uns aux autres. C'était la "
herse ". De même, matin et soir, des liaisons reliaient R6 et R5 1.
La surveillance de la
zone interdite entre la frontière marocaine et le barrage se faisait donc
- par les radars de R6,
R5 et R51
- par des guetteurs munis
de grosses jumelles de DCA (ex allemandes) ;
- par des patrouilles
motorisées, en particulier dans les oueds et les chotts où des individus
auraient pu se dissimuler. Les véhicules étaient suivis au radar et à
la radio ;
- par des survols systématiques
d'avions de l'Aéronavale (chaque soir)
- par des sur-vols
occasionnels de l'armée de l'Air (hélicoptères notamment).
La redoute d'Aïn ben
Khellil, située à la limite entre le sous-secteur de R6 et celui de R7
situé au sud, recevait souvent notre visite, car c'était
un point d'eau et un carrefour de pistes, une zone propice aux embuscades
et à la dissimulation d'ennemis.
La mission de la 2e
batterie consistait donc, dans les limites de son sous-secteur :
- à assurer l'intégrité
du barrage électrifié
- à en interdire le
franchissement par tout ennemi venant du Maroc ou voulant s'y rendre ;
- à détruire par le feu
toute unité détectée et identifiée comme ennemie
-
à renseigner le Commandement (PC d'El Aricha) et la Division de Méchéria
sur tout événement survenant dans notre sous-secteur.
Pour cela, il convenait :
- d'assurer une bonne précision
des détections et des tirs de jour comme de nuit ;
- d'éclairer largement
vers l'avant, par des patrouilles très fréquentes, le Commandement sur
toute activité ennemie dans la zone interdite ;
- de veiller à l'intégrité
de l'espace aérien au-dessus des postes, au cas ou des aéronefs hostiles
seraient venus attaquer ceux-ci.
État des
barrages.
En 1961 et 1962, le
barrage était en excellent état entre R4, R5, R6, R7 et les pannes de
THT étaient rares et vite résolues.
Les matériels
d'artillerie, radars, PC HF, canons et génératrices étaient en très
bon état, bien surveillés par de nombreuses visites techniques et
remplacés dès qu'une défaillance venait à se produire.
Les moyens automobiles étaient
également en bon état, tout en parcourant un nombre élevé de kilomètres.
Les moyens radio
fonctionnaient sans problème. Tous les postes étaient par ailleurs reliés
par téléphone, ainsi que le PC Division à Méchéria, où le 11/403
entretenait une petite antenne (2 à 3 officiers de liaison).
Climat.
Le climat des hauts
plateaux était assez rude : neige en hiver, pluies fréquentes (de
novembre à mars) ou sécheresse et poussière en été. Mais les
conditions de vie permettaient de supporter sans trop d'inconvénients les
intempéries (pas de comparaison sur la " qualité de vie " avec
ce que j'avais connu l'année d'avant dans l'Atlas blidéen, au 1/65e RA).
Alimentation.
Sans problèmes, grâce
à une organisation judicieuse du ravitaillement, la mise en place de
petits " barbecues " pour permettre aux hommes de cuisiner les
gibiers sauvages victimes du barrage (lapins, porcs-épics...
L'apport non négligeable
des gazelles (impalas) tuées à l'occasion des patrouilles profondes en
zone interdite, contrôlées par le médecin de l'unité, avant cuisson,
venait améliorer l'ordinaire.
Les approvisionnements réguliers
et de bonne qualité se faisaient plusieurs fois par semaine lors des
liaisons routières vers Méchéria et S;iida.
Activités des "
hors-la-loi ".
De 1961 à 1962, aucune
tentative sérieuse de franchir le barrage dans le sous-secteur de la 2e
batterie. Ceci est sans doute dû :
- à la distance importante à franchir
avant d'arriver au barrage, dans une zone très surveillée ;
- à la difficulté de franchir les réseaux
électrifiés et minés
- à la difficulté d'échapper aux
poursuites après un franchissement éventuel (présence d'unités de
cavalerie et d'infanterie à Méchéria, terrain dénudé peu propice pour
se cacher et survivre).
A Ain ben Khellil, j'ai
trouvé quelques mines en bois d'origine sans doute des pays de l'Est,
mais toutes ont pu être désamorcées et récupérées, puis remises aux
autorités du secteur (Méchéria).
Quelques véhicules d'une
unité d'infanterie ont sauté sur des obus piégés au cours de
patrouilles effectuées avec une section de ma batterie. Sans faire de
victimes autres qu'une roue avant de GMC ou de Dodge 6 x 6 (forte
protection antimines des véhicules avec tapis de sol spécial et sacs à
terre).
A titre d'anecdote.
Dans les années qui ont précédé mon
arrivée à la 2e batterie du 11/403, probablement de 1959 à 1960, une
salve d'obus tirés sur écho mobile détecté par radar a produit un
bilan intéressant ;
- petit convoi anéanti dans un chott ,
- convoyeurs tués ainsi que montures
(chameaux)
- matériel récupéré : 50
field-jackets US, 50 bidons allemands de l'Est, vestes matelassées,
chaussures en caoutchouc, petit matériel. Ces objets matériels
existaient encore en 1961-1962 et servaient d'appoint. En particulier les
field-jackets étaient portées par les sentinelles de nuit à la mauvaise
saison.
Déroulement d'une journée
" ordinaire " à R6.
A l'aube :
- relève de la dernière
équipe radar après deux heures de surveillance des scopes ;
- préparatif-, de départ
de la " herse " vers R5 (un half-track avec mitrailleuses, un
Dodge 6 >< 6 avec un groupe de combat) aux ordres d'un maréchal des
logis ,
- réveil de toute la
batterie, café, toilette, sport.
Vers 8 heures :
- lever des couleurs
- activités d'entretien
du matériel artillerie et auto ,
- les jours de
ravitaillement, départ du GMC de l'ordinaire avec le sous-officier chargé
des approvisionnements et quelques hommes pour Méchéria où se formait
le convoi pour Saïda ;
- départ d'une
patrouille profonde en zone interdite, avec un officier d'active
(lieutenant adjoint ou capitaine), une section de combat au complet sur
GMC, un Dodge 6 x 6 avec radio (les jeeps ne participaient pas aux
patrouilles car trop légères pour les raids dans l'alfa en tout terrain)
;
- départ de la liaison
vers R51 (ou arrivée de la liaison de R51, suivant les ordres et les
besoins). Pendant toute la durée des patrouilles et liaisons en zone
interdite, suivi radar et radio avec comptes rendus périodiques au PC du
secteur;
- repas de midi : pour
les hommes des postes R6, R5 et R51, dans les salles à manger, et dans
les popotes pour les cadres, pour les personnes en mission sur le terrain,
suivant les ordres, en assurant toujours la sécurité.
L'après-midi pendant la
saison chaude
- sieste ou activités
diverses (courrier, étude...);
- reprise des activités
d'entretien et d'instruction (préparation des tirs canon, formation des
équipes de pièce...).
En fin d'après-midi
:
- passage de la mission
Neptune de l'Aéronavale, contact radio;
- repas du soir après
descente des couleurs.
Soirée :
- veille radar,
- surveillance rapprochée
- exercices d'alerte ;
- plusieurs fois par mois
tirs canon sur pointés radar avec, le lendemain, étude des résultats
sur le terrain.
DIVERS
Visites d'autorités.
Pendant mon séjour, je n'ai reçu que de
rares visites d'autorités - le chef de corps ou un commandant adjoint;
- le commandant de secteur (une fois).
En revanche, nous avions des contacts très
fréquents avec nos voisins - le commandant de la batterie de R7 (au sud
de R6) ; - le commandant de la batterie de R4 (an nord de R5) - le
commandant de la compagnie du régiment d'infanterie de marine situé aux
abords du barrage, côté Algérie - le commandant de la base aérienne de
Méchéria.
Visites techniques.
Les services du Matériel envoyaient très
souvent dans nos postes des " contacts parties " pour vérifier,
contrôler et assurer éventuellement à leur niveau l'entretien du matériel
(canons, radars, génératrices, munitions, véhicules).
L'intendance ne venait jamais.
Le Service de santé était assuré par
notre médecin-aspirant, et les évacuations éventuelles se faisaient par
ambulance sur Méchéria.
Distractions.
Une fois par mois, le service cinématographique
d'Oran venait dans les postes pour organiser une séance cinématographique
pour tous. Je ne garde pas le souvenir des films projetés qui devaient
plus tenir du " navet " que du grand cinéma.
Assistance sociale.
Une assistante sociale passait régulièrement
dans les postes pour exécuter ses missions traditionnelles.
Culte.
Pour Noël 1961, nous avons eu la visite
d'un aumônier militaire qui a rempli son ministère dans chacun des
postes R6, R5 et R51.
Conclusion
La mission de barrage a été remplie à
100 % grâce à sa solidité, efficacité et sa fiabilité, grâce aux
actions quotidiennes sans gloire mais indispensables de tous les
personnels de la batterie : radaristes, artilleurs, chauffeurs, électromécaniciens...
entraînés par de jeunes officiers de réserve de qualité, grâce aux
conditions particulières de tension et de l'environnement qui nous
mettaient à l'abri de toute surprise désagréable, ce qui n'était pas
le cas dans les postes du nord du barrage (RI et R2) souvent harcelés au
mortier depuis la frontière marocaine.
Après la fin des combats, en 1962, le
11/403 a été dissous dans les conditions suivantes au courant du mois de
juillet :
- démantèlement de tous les postes et récupération
de tout le matériel, sauf les mines du barrage ;
- retour en métropole par Oran (séjour
de la 2e batterie sur l'hippodrome d'Oran avant embarquement
des matériels et personnels par voie maritime)
- reversement des canons à Sète
- reversement des radars et postes HF et
des génératrices à Toulouse
- reversement du reste de l'armement et
de tout le matériel au camp de Sissonne en août.