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BRÈVE
HISTOIRE D'UN BARRAGE DANS LES GUERRES
COLONIALES DE L'ITALIE
Romain H. RAINERO
(université de
Milan)
Dans l'histoire coloniale
italienne, il existe un précédent intéressant aux que les
autorités militaires françaises furent amenées à construire
aux frontières de l'Algérie avec la Tunisie, dans le cadre de la
politique de répression militaire des actions et de la survie des
nationalistes algériens du FLN : ce fut le barrage "
Graziani " aux confins de la Libye et de l'Égypte construit
pour empêcher, comme ce fut le cas des barrages algériens, le
commerce clandestin transfrontalier des armes et du ravitaillement
qui alimentait la guérilla anti-italienne.
La conquête de la Libye par
l'Italie, bien qu'elle fut proclamée comme terminée dès la fin
des hostilités officielles entre l'Italie et l'Empire ottoman en
1911-12, ne fut réalisée que très tardivement à cause des résistances
acharnées que le peuple de la région, et surtout de celui de la
Cyrénaïque, opposa à la présence coloniale italienne. La fin
de la Première Guerre mondiale trouva la colonie nord-africaine
de l'Italie réduite au contrôle des deux ports et régions
limitrophes de Tripoli et de Benghazi -, la montée au pouvoir du
fascisme (28 octobre 1922) marqua le début d'une nouvelle
politique coloniale avec l'abandon de tout dialogue et le recours
généralisé à la force militaire et aux campagnes de "
pacification ". En élargissant, en tache d'huile, leur présence
militaire et administrative, les autorités fascistes se servirent
de plusieurs éléments et surtout des deux grands chefs
militaires, le maréchal Pietro Badoglio, qui était le gouverneur
général de la colonie de Tripolitaine et de Cyrénaïque (le nom
" romain " de Libye ne sera officiel qu'après 1934), et
le général Rodolfo Graziani, qui était le vice-gouverneur général
et gouverneur de la Cyrénaïque. Dans cette action, le mouvement
résiduel de résistance " nationale " fut celui qui se
réclamait du chef de la confrérie des Senoussis, Idriss, qui
avait dans le djebel AI Akhdar, la Montagne Verte, au coeur de la
Cyrénaïque, une région de dissidence totale. Elle était
organisée par son représentant ou " mendoub ", Omar
al-Mokhtar, qui pouvait survivre grâce à l'assistance
clandestine des populations et grâce aux vivres, aux armes et à
l'argent qu'à partir de l'Égypte, lui fournissait le chef de la
confrérie anti-italienne, réfugié depuis plusieurs années dans
le pays voisin.
Voici donc, en bref, le cadre
dans lequel se situe la décision du général Graziani de
construire un barrage de nature complexe, apte à faire cesser
toute assistance locale et tout commerce interlope entre les deux
pays, Vers la fin de décembre 1930, les troupes coloniales
italiennes (nationaux, Érythréens et mercenaires libyens) enlèvent
Koufra et sa région au contrôle des Senoussis. Après ce succès
il faut, selon Graziani, asséner le coup final à la résistance
en coupant tout contact avec l'Égypte. Dans ce but, deux décisions
sont prises : d'un côté, on déplace la population et, de
l'autre, on décide de construire un barrage à la frontière.
Environ 200000 Libyens sont déportés vers l'ouest avec leur bétail,
dans des conditions " bibliques ", et cet exode sera
terrible pour la population car il durera plus de trois ans dans
des camps de concentration au régime sévère. Quant au barrage,
Graziani en parlera une première fois, le Il janvier 1931, au
ministre des Colonies De Bono et ce sera avec l'accord de ce
dernier, du chef du gouvernementt et du gouverneur général
Badoglio, que sera donnée à Graziani l'autorisation de
construire le barrage.
Le barrage qui sera appelé
officiellement " reticolato confinario ", c’est à-dire
" barbelé de frontière ", commence
à être construit en avril 1931 et il sera terminé en septembre
de la même année : il s'agit d'un ouvrage important car il a 270
km de long ; il va de la mer, près de Solum, pour arriver en
plein désert dans l'oasis de Djarboub. Les données de cette
construction sont importantes : le barrage est doté d'ouvrages de
contrôle militaires d'envergure ; il comporte plusieurs lignes de
fils barbelés avec des chemins de ronde électrifiés, une voie
automobile à l'intérieur du côté italien, avec trois fortins
ou ridotte (Amseat, Scegga, Djarboub), six blockhaus ou ridottini
(Ramla, Sidi Omar, Scefersen Sud, Uescechet, Gam el Grein,
el-Aamra) ; en outre trois terrains d'atterrissage pour la
surveillance aérienne (Amseat, Scegga, Djarboub) et une base aérienne
complète à Djarboub. A noter que tous les ouvrages sont reliés
par téléphone.
La dimension de l'effort accompli
peut être illustrée par des chiffres éloquents :
- le ciment employé
: 20 000 quintaux;
- 269 628 000 piquets
en fer;
- 34 986 quintaux de
fils barbelés
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- 60 000 quintaux d'eau.
Et, pour construire le barrage, on
a recours à 2 500 indigènes, 2 500 ouvriers et manoeuvres, 1 200
militaires avec l'emploi de 200 camions et 18 navires de transport
pendant six mois avec un climat jamais inférieur à37 degrés.
Le barrage fut un succès technique
impressionnant et, dans ses mémoires, Rodolfo Graziani l'évoque
avec satisfaction surtout pour la rapidité de sa construction et,
sur le plan militaire, pour les résultats jugés " définitifs
" pour la défaite des rebelles (R. Graziani, Cirenaica
pacificata, Milan, Mondadori, 1932). Ainsi la résistance se
trouva coupée de ses sources et fut acculée à la reddition que la
capture et la mise à mort de son chef, Omar al-Mokhtar, le 13
septembre 1932, sanctionna définitivement.
En annexe, la carte officielle du
barrage, dont la légende indiquait la composition des forces de
police des confins équivalant à
-3 compagnies d'infanterie;
-1 section de mitrailleuses;
-1 groupe saharien ;
-1 compagnie spéciale de la frontière
orientale;
-1 escadron d'autos blindées,
-2 postes d'artillerie.
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