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L'avenir du porte-avions V.A.E. Jean Betermier
Un
livre récent a récapitulé les multiples usages stratégiques des
porte-avions depuis la deuxième guerre mondiale. L’évolution incertaine
du conflit qui oppose l’Irak à la communauté internationale ne
viendra-t-elle par apporter de nouveaux enseignements
sur les mérites et les défauts des porte-avions ? Cet article essaiera
dans un premier temps de répondre aux deux questions suivantes : à quoi
servent les porte-avions ? Sont-ils aussi vulnérables que l’affirment
leurs détracteurs ? avant de réfléchir à leur rôle dans le nouveau
contexte international. * * * A quoi
servent les porte-avions ? La réponse est assez simple : les porte-avions
servent avant tout à mettre en œuvre des avions de combat dans des zones où
des appareils basés à terre ne peuvent intervenir dans de bonnes
conditions, soit que leur rayon d’action soit
insuffisant pour les atteindre avec la puissance convenable, soit que
leur autonomie restante sur zone soit trop faible. L’utilité
d’un soutien aérien est à apprécier au regard des missions
traditionnellement confiées aux forces navales : celles qui visent à
s’assurer de la maîtrise de la mer et celles qui ont pour objet d’agir
contre la terre. Les
opérations de haute mer furent à l’origine du développement des
porte-avions. Il s’agissait d’abord d’éclairer les forces navales, de
découvrir l’adversaire et de préparer l’engagement des bâtiments de
ligne dans les meilleures conditions. Le progrès aidant, l’aviation de
chasse reçut la mission de détruire les moyens d’observation de
l’ennemi. L’apparition des bombardiers en piqué et des avions
torpilleurs rendit possible le combat bien au-delà de l’horizon et de la
portée de l’artillerie. Cette révolution mettait fin à la suprématie
du bâtiment de ligne et faisait du porte-avions le "capital-ship"
des flottes modernes. Le
progrès des armes n’a pas remis en cause les missions dévolues à
l’aviation de sûreté, aux intercepteurs et à l’aviation d’assaut.
La solution de "ni paix, ni guerre" qui a suivi la seconde guerre
mondiale et qui paraît devoir peu durer, impose aux forces navales d’établir
avec soin la situation des unités de surface à des distances supérieures
à la portée des missiles surface-surface, laquelle dépasse le plus
souvent la centaine de nautiques, il leur faut aussi écarter les moyens aériens
qui servent à l’adversaire à acquérir et désigner ses objectifs. La présence
simultanée dans un milieu international d’amis, d’adversaires plus ou
moins déclarés et de neutres impose une grande réserve dans l’emploi de
la force. L’avion reste indispensable pour franchir rapidement de grandes
distances et éviter les méprises. La destruction tragique d’un Airbus
iranien par un missile surface-air du bâtiment américain Vincennes
aurait pu être évitée, si ce dernier avait bénéficié du concours
d’un avion de chasse, lequel n’aurait pas manqué de reconnaître la
nature de la cible. Le
développement de la menace sous-marine a justifié l’embarquement
d’avions destinés à la contrer le plus loin possible des forces navales.
Ils
sont particulièrement précieux dans les zones trop éloignées des
bases pour que l’aviation de patrouille maritime intervienne dans de
bonnes conditions. Les hélicoptères embarqués assurent le soutien
rapproché en coopération avec les escorteurs. La
menace exercée par les avions d’assaut et leurs missiles a suscité la réalisation
d’avions de guet-aérien ou d’alerte avancée capables de contrôler
l’engagement de l’aviation de chasse contre l’adversaire, avant que
celui-ci puisse tirer ses missiles contre la force navale. L’aviation
embarquée se voit donc aujourd’hui confier des tâches de sûreté au
profit des forces navales guet-aérien ; détection lointaine des menaces
surface et sous-marine ainsi que l’engagement de l’adversaire au-delà
de la portée des armes des bâtiments de la force navale. Ce
premier examen montre que l’avion reste un partenaire majeur des opérations
en haute mer. Si on se souvient que les espaces maritimes recouvrent plus
des sept dixièmes de la surface de notre planète, on comprendra que toutes
les forces navales de haute mer souhaitent disposer de moyens aériens
embarqués. L’avion apporte aux forces navales la rapidité de réaction,
l’allonge et la capacité de surveiller des zones étendues, le navire de
surface la capacité de durer et d’exploiter les informations. A titre
d’exemple, nos porte-avions, qui ont des possibilités inférieures à
celle des unités américaines, peuvent contrôler l’évolution de la
situation sur une zone de dimensions équivalentes à celle de notre
territoire national, ils peuvent se déplacer chaque jour de 1000 km. L’importance
des opérations de haute mer a été partiellement occultée par la part
croissante prise dans le contexte international actuel par les actions de
projection de puissance, actions dont la faisabilité avait été clairement
démontrée pendant la guerre du Pacifique. L’abandon par les puissances
occidentales de la plupart de leurs implantations à l’extérieur de leurs
territoires a conféré aux forces navales, et plus particulièrement au
porte-avions, un rôle nouveau. Il leur revient désormais d’assurer la maîtrise
du ciel, à la place ou en complément de l’aviation tactique basée à
terre, lors des transits ou des actions à proximité des côtes de
l’adversaire. Ces actions peuvent viser des objectifs défendus et situés
dans la profondeur du territoire ou concerner la conquête de plate-formes
portuaires ou aéroportuaires à des fins de renforcement ou au contraire de
désengagement. Les
avions embarqués ont aujourd’hui des performances comparables à celles
des autres avions de combat. Il arrive même que les armées de l’Air des
États-Unis, de RFA, du Canada, d’Australie mettent en œuvre des
appareils identiques à ceux de l’US
Navy, ou
qui en sont dérivés avec le minimum de modifications, F4
Phantom, Corsair II, F18 Hornet. Les spécifications retenues pour les
avions de combat modernes conduisent à des choix techniques propices à une
mise en œuvre sur porte-avions : forte motorisation ; évolutions sous fort
facteur de charge ; mise en œuvre à partir de terrains de fortune. C’est
ainsi que notre aviation embarquée sera dotée à partir de 1996 de
l’avion de combat polyvalent Rafale
qui sera livré dans une version très proche de l’appareil destiné
à notre armée de l’Air. Cet appareil remplacera progressivement les
intercepteurs F8E Crusader, les
avions de reconnaissance Étendard
et les avions d’assaut SuperÉtendard.
La gestion de notre potentiel aérien en sera grandement facilitée.
Pourquoi d’ailleurs ne pas envisager à l’horizon 2020 pour la seconde génération
d’avions du porte-avions Charles de
Gaulle, un appareil commun à l’Air et à la Marine ? Les
avions embarqués bénéficient également des améliorations apportées aux
plate-formes : parmi celles-ci rappelons les grands mérites des catapultes
à vapeur dont peu de pays maîtrisent la technique, la stabilisation du bâtiment
qui sera introduite sur le Charles de
Gaulle et qui permet d’opérer par de mauvaises conditions de mer et
d’améliorer par tous les temps la sécurité des retours de mission ; le
choix de la propulsion nucléaire qui donne aux porte-avions et à son
groupe aérien une plus grande souplesse d’emploi, et des capacités
d’endurance accrues dont bénéficiera directement le groupe aérien,
puisqu’une partie du volume normalement attribué au stockage du
combustible fossile sur nos Clemenceau
pourra recevoir du carburant aviation. Les
avions à décollage court et atterrissage vertical du type Harrier
et ses dérivés ont tout naturellement trouvé leur place dans les
forces navales. Leur développement est une œuvre de longue haleine et, si
leur maniabilité en combat est remarquable, leur vitesse, leur rayon
d’action et leurs capacités d’emport restent inférieurs à ceux des
avions plus classiques. Ils offrent de très grands avantages et peuvent être
mis en œuvre à partir de "porte-aéronefs" sans catapulte, plus
petits que les porte-avions. C’est le choix qui a été fait par la Royal
Navy lorsqu’elle a été pour des raisons budgétaires dans
l’impossibilité de remplacer ses porte-avions par des unités de même
taille. Les Britanniques ont été suivis par les marines espagnole et
italienne lorsque celles-ci ont décidé de se doter d’une aviation
embarquée. C’est aussi la voie initialement choisie par les Soviétiques
en raison des problèmes que leur posait, semble-t-il, la réalisation de
catapultes à vapeur. On
constate que si les opérations en haute mer peuvent tant bien que mal
s’accommoder de petits porte-aéronefs, il n’en va pas de même des opérations
contre la terre pour lesquelles nos Clemenceau et leurs 40 avions représentent
une limite basse. Les enseignements que l’on peut tirer du conflit des
Malouines doivent tenir compte du fait que l’aviation argentine opérait
aux limites du rayon d’action de ses appareils, faute d’avoir cherché
à s’mplanter dans les îles immédiatement après leur invasion, et
qu’elle était donc dans l’incapacité de conserver la maîtrise du ciel
et d’assurer une couverture aérienne permanente des troupes au sol. Il
est cependant indéniable que, privée de ses porte-avions, la Royal
Navy a su tirer le meilleur parti des porte-aéronefs Hermes
et Invincible et que, sans
leur action, les Britanniques eussent été dans l’impossibilité de
reprendre pied aux Malouines. DE
LA VULNÉRABILITÉ DES PORTE-AVIONS L’apparition
des armements nucléaires contre lesquels il n’existe aucune parade, dès
lors que ceux-ci sont délivrés avec précision, a conduit à dramatiser la
vulnérabilité des porte-avions. Mais tous les systèmes d’armes sont
vulnérables, et, si les navires de guerre ne peuvent être durcis à des
niveaux comparables à celui de certaines installations terrestres, ils bénéficient
d’une mobilité qui interdit à un agresseur éventuel de planifier leur
destruction avec un niveau de confiance convenable. Avec
la dissémination des missiles anti-navires, les menaces exercées par
l’aviation d’assaut, les bâtiments de surface et les sous-marins
finissent par présenter des caractéristiques communes. Les parades
sont recherchées dans la constitution de dispositifs en profondeur faisant
appel à des avions de chasse dotés de "capacités de tir vers le
bas", à des escorteurs lance-missiles surface-air, puis à des défenses
terminales constituées de missiles anti-missiles, d’artillerie
à grande cadence de tir, et d’équipements de déception, de leurrage
et de brouillage. La menace la plus redoutable reste celle exercée
par les sous-marins
lorsque ceux-ci peuvent s’approcher suffisamment de leurs cibles pour
lancer des torpilles. Il revient aux escorteurs
et à leurs hélicoptères de s’y opposer. Des dispositifs de
contre-mesure et des manœuvres adaptées viennent en dernier ressort
réduire le niveau de la
menace. Enfin,
la grande mobilité du porte-avions au sein de son dispositif de protection
complique encore la tâche de l’assaillant. La
taille des porte-avions est souvent citée comme un facteur majeur
de vulnérabilité. Cet
argument est très discutable, car c’est précisément cette taille qui
permet d’accroître le nombre et les performances des systèmes défensifs
et qui conditionne la réalisation d’une défense en profondeur efficace
contre les sinistres et les avaries de combat. Le cloisonnement destiné à
circonscrire les conséquences d’un coup au but, la redondance des postes
de contrôle et des moyens d’intervention sont mieux assurés sur une
grande unité qui offre de plus aux équipes de sécurité, face aux avaries
majeures, la possibilité de se retirer, de contourner les zones
dangereuses, en un mot de manœuvrer. Les
difficultés de la lutte contre l’incendie sur des unités de taille réduite
ont été remises en évidence lors des conflits des Malouines (perte
du Sheffield) et du golfe
Arabo-Persique (avarie du Stark). Les
porte-avions maîtrisent
beaucoup mieux les sinistres comme l’ont montré les engagements du
Pacifique et plus récemment certains accidents survenus dans l’US Navy
(incendie du Forrestal pendant
la guerre du Vietnam). Le
soin tout particulier apporté à la construction des navires à propulsion
nucléaire qui prend en compte, dès le temps de paix, la protection
contre un certain nombre d’accidents, comme les effets d’une
collision à la mer, au droit du compartiment du réacteur nucléaire par
exemple, contribue également à améliorer la résistance aux
agressions. Il
convient enfin de rappeler que, lors des interventions extérieures, les
avions embarqués sont moins exposés que des avions stationnés sur des aérodromes
insuffisamment protégés. C’est ainsi qu’au Vietnam l’US Air
Force a perdu plus d’avions au sol qu’en opérations aériennes. Près
de 3 500 aéronefs furent détruits ou gravement endommagés au sol par des
actions de guérilla. LE
NOUVEAU CONTEXTE INTERNATIONAL L’évolution
pacifique des relations Est-Ouest consacrée par l’accord de Vienne sur la
réduction des armements conventionnels en Europe et par la signature de la
charte de Paris d’une part, le conflit du Koweït qui oppose l’Irak à
la communauté internationale d’autre part, modifient profondément
l’environnement stratégique auquel nous étions accoutumés. Ces
changements ne vont pas sans entraîner l’ouverture d’un débat sur la
nature des menaces et celle des moyens nécessaires pour y faire face. Les
observateurs s’attendaient pour la plupart à la fin rapide des conflits
du tiers monde qui se nourrissaient de la rivalité entre les deux blocs
antagonistes. S’il parait bien en être ainsi de l’Angola ou du
Nicaragua, les choses évoluent différemment au Moyen-Orient où
l’invasion du Koweït par l’Irak, le 2 août dernier, a pris de court la
communauté internationale. Tout se passe comme si certains États, libérés
de la tutelle de leurs protecteurs, voulaient vivre leur vie. Les causes de
conflit ne manquent pas, elles trouvent leurs origines dans les déséquilibres
démographiques et économiques, l’insuffisance des ressources
alimentaires, l’exacerbation des intégrismes religieux et des tensions
entre ethnies, le terrorisme, la drogue. Ces
conflits lointains méritent de retenir notre attention pour des raisons
morales, politiques et économiques. L’imbrication des relations
internationales, la nécessité de pouvoir s’approvisionner en matières
premières, l’apparition dans les zones d’instabilité d’armes de
destruction massive, chimique, biologique... et peut-être nucléaire, la
prolifération des vecteurs balistiques nous confrontent à des problèmes
nouveaux. Si
le monde multipolaire qui se substitue sous nos yeux au monde bipolaire
gouverné par la dissuasion nucléaire est porteur
d’espérance, il est sans doute beaucoup plus instable. Certains
analystes anglo-saxons utilisent le terme de "volatilité" pour
caractériser la situation stratégique qui en découle. Le manque de
"prévisibiIité" est flagrant, il n’est pas pour autant
nouveau. Les principaux conflits survenus au cours des dix dernières années
n’étaient guère annoncés. Le conflit des Malouines qui a opposé deux
grandes nations occidentales relevait davantage de considérations de
politique intérieure que de causes internationales. Que dire des conflits
Irak-Iran et Irak-Koweït qui déchirent l’Islam alors que celui-ci
aspire à travers le monde à sa recomposition politique ? Était-il
possible de prévoir les retournements successifs de l’Iran et de l’Irak
contre leurs alliés objectifs ? Dans
ce nouveau contexte stratégique, il paraît justifié d’accorder
une attention toute particulière aux moyens d’alerte et de privilégier
la réalisation de forces très mobiles, polyvalentes, capables de se
projeter rapidement à grande distance et de s’y maintenir avec le minimum
de contraintes politiques et techniques. LES
USAGES STRATÉGIQUES DES PORTE-AVIONS La
manœuvre stratégique des forces navales peut répondre aux finalités
suivantes : -l’interdiction
-la
maîtrise de la mer -la
projection de puissance contre la terre. La
dissuasion et l’intimidation relèvent du premier mode. La première se
veut défensive, elle est généralement le fait du faible au fort, tandis
que la seconde est offensive. L’apparition des armements nucléaires leur
a donné une importance toute particulière, elle a fortement marqué le
comportement des décideurs politiques et militaires et elle conduit à une
grande retenue dans l’emploi de la force conventionnelle, y compris dans
des zones exemptes de risque nucléaire. La
maîtrise de la mer, ou tout au moins sa maîtrise temporaire et locale, est
indispensable à la projection de puissance contre la terre. A
ces stratégies peuvent correspondre aujourd’hui pour la marine nationale
trois grandes catégories de mission : -
la dissuasion nucléaire -
le maintien de notre liberté d’action -
la participation au règlement des crises. La
dissuasion nucléaire
paraît devoir rester la clef de voûte de notre système de défense.
Personne ne doute en effet que l’URSS, même réduite éventuellement aux
dimensions de la Russie, reste une grande puissance militaire et nucléaire.
La mission de dissuasion est assurée pour l’essentiel par nos sous-marins
lanceurs d’engins avec l’appoint non-négligeable des Mirages IV et des
missiles sol-sol du plateau d’Albion. Notre
aviation embarquée participe avec ses Super-Étendard,
armés du missile Asmp ou de la bombe AN52 à la mission préstratégique,
en complément des avions de l’armée de l’Air et des régiments Pluton
ou Hades de l’armée de Terre. La présence de l’arme préstratégique
sur nos porte-avions ajoute à la liberté de manœuvre du pouvoir
politique, et à l’incertitude d’un éventuel agresseur sur la nature
des objectifs menacés et les directions d’attaque possibles. Notons que
l’arme nucléaire confère de plus une certaine stature aux unités qui en
sont dotées et qu’elle donne au décideur politique le moyen de résister
à un chantage nucléaire, voire chimique ou biologique, auxquels nous ne
pouvons opposer une menace de même nature puisque nous sommes dépourvus de
ces deux derniers types d’armes. La
prolifération des armes nucléaires paraît inévitable, c’est une
question de temps. Les dispositifs internationaux parviendront tout au plus
à en différer l’échéance. La dialectique du faible au fort n’est
plus adaptée à ces situations nouvelles, mais sans doute pouvons-nous
espérer dissuader l’emploi du nucléaire par la menace d’emploi du nucléaire.
Encore faut-il que cette menace soit crédible. Les SNLE n’ont
probablement pas la "visibilité" nécessaire pour se prêter à
cette manœuvre, et surtout, leurs missiles balistiques conçus pour contrer
une menace plus globale n’ont pas la précision suffisante pour menacer
des objectifs militaires ou économiques ponctuels. Les missiles balistiques
sol-sol peuvent être adaptés à cette mission, mais leur "visibilité"
serait pour cette mission encore plus médiocre que celle des SNLE. De plus,
l’idée de devoir leur faire survoler des pays tiers n’ajoute guère à
la crédibilité de la menace. L’avion piloté présente avec les
techniques de furtivité et les missiles à moyenne ou longue portée un
regain d’intérêt. Il se prête en effet à la démonstration de la détermination
du pouvoir politique. Toutes les qualités de ce système d’arme sont
actuellement bien mises en évidence dans le débat sur l’avenir de nos
forces nucléaires stratégiques. Mais l’affichage d’une dissuasion
locale ne serait guère facile à réaliser, dès lors que la situation géographique
des perturbateurs impliquerait des survols de pays tiers ou des redéploiements
d’avions et d’armes nucléaires en dehors du territoire national, (métropole
ou DOM-TOM). Il suffit de se souvenir des difficultés rencontrées par
l’armée de l’Air américaine en avril 1986 lors du raid sur la Libye ;
il ne s’agissait pourtant que d’un bombardement conventionnel. Dans
l’hypothèse d’actions lointaines, une version embarquée de ce système
d’armes aurait le maximum de visibilité et offrirait au pouvoir politique
une bonne liberté d’action pour conduire sa manœuvre dissuasive. En
ce qui concerne la marine américaine, notons que la participation
des porte-avions aux missions nucléaires est de plus en plus rarement
affichée. Il est bien loin le temps de l’immédiat après-guerre qui
voyait l’US Navy s’opposer
dans "la bataille du Potomac" à l’US Air
Force qui revendiquait le monopole du bombardement stratégique.
L’arrivée des missiles balistiques à longue portée, puis du sous-marin
nucléaire, a conduit à une redistribution des rôles. Il est vrai
que face à la flotte soviétique, l’US
Navy ne peut tirer parti de la supériorité
que lui vaut ses porte-avions qu’en évacuant la menace d’emploi en
premier des armes nucléaires de théâtre. Gageons cependant
que les capacités nucléaires des porte-avions ne manqueraient pas d’être
proclamées face à un perturbateur nucléaire. La
maîtrise de la mer n’est durablement
assurée qu’après destruction de
la force organisée adverse. "Une flotte en vie", même puissance
réduite, impose par sa seule existence à celui qui revendique
la maîtrise de la mer des efforts et des contraintes qui restreignent
sa liberté d’action. Une
puissance moyenne, comme la France ne peut, au mieux, aspirer
qu’à une maîtrise limitée dans le temps et dans l’espace et
qui préserve sa liberté d’action. Encore lui faut-il, face à une menace
d’envergure, rechercher des alliances et accepter un partage des tâches.
L’imbrication croissante des intérêts politiques et des économies des
pays de la CEE devrait, à terme, inciter ceux-ci à préparer des réponses
communes à des menaces communes. Les
marines occidentales peuvent avoir à intervenir pour préserver leur liberté
d’action dans cinq grands types de mission : -la
maîtrise de l’Atlantique Nord et de la Méditerranée ; -la
protection des voies maritimes en dehors de la zone couverte par le traité
de l’Atlantique Nord ; -
la protection des zones économiques exclusives (ZEE) ; -
le soutien des SNLE pour les marines qui en sont dotées ; -
la protection des opérations de projection de puissance dont
nous traiterons dans la
dernière partie de cette étude. La
maîtrise de l’Atlantique et de ses mers adjacentes, en particulier de la
Méditerranée, est essentielle au maintien de la cohésion physique de
l’Europe de l’Ouest et de l’alliance Atlantique. Au regard des
armements modernes, l’Europe de l’Ouest apparaît comme une mosaïque
d’îles et de presqu’îles, sans profondeur stratégique. L’heureuse
évolution des événements en Europe centrale et le retrait des forces soviétiques
éliminent la crainte d’une attaque
surprise de grande envergure. Mais la supériorité
soviétique dans le domaine
des armements aéroterrestres subsistera, puisqu’une partie importante des
forces qui excèdent les plafonds fixés par les accords de Vienne a été
retirée au-delà de l’Oural et échappe donc à la destruction. Quelques
60 000 "éléments" soviétiques (chars, véhicules blindés, pièces
d’artillerie, avions, ... ) ont en effet été déplacés vers
l’est avant signature des accords. Les États-Unis ont entrepris
d’alléger leurs forces en Europe, les événements du golfe
Arabo-Persique ont entraîné des transferts qui vont bien au-delà de ce
qui était prévu. Il est donc indispensable que dans l’hypothèse d’une
crise et d’un regain de tension en Europe, l’alliance puisse
reconstituer ses dispositifs aéroterrestres. De la crédibilité de ce
renforcement peut dépendre le maintien de la stabilité en Europe. Ceci
implique que les forces aéronavales de l’alliance restent en mesure
d’assurer la protection du renforcement américain par voies
maritimes et aériennes et compensent ainsi la dissymétrie introduite
par la géographie en faveur de l’URSS. Le
souvenir des batailles de l’Atlantique fait bien prendre en considération
la vulnérabilité des bâtiments de commerce. La vulnérabilité des avions
de transport est par contre moins bien
perçue, alors qu’il suffirait de quelques croiseurs lance-missiles
judicieusement placés pour interrompre pour un temps le pont
aérien. Plusieurs
politiques de protection des renforts sont théoriquement concevables. La
première consiste à regrouper les unités à protéger et à les escorter,
la seconde à les faire transiter
individuellement à grande vitesse le long d’itinéraires préalablement
"nettoyés", la troisième enfin vise à verrouiller le Nord de
l’Atlantique et à rejeter l’adversaire vers ses bases. Les deux premières
politiques constituent, à l’échelle du théâtre atlantique, des formes
de soutien direct et la géographie peut conduire à les combiner. Les
porte-aéronefs seraient dans un tel contexte, fort utiles. Leurs hélicoptères
ASM lourds ont en effet, une allonge supérieure à celle des hélicoptères
moyens embarqués sur les escorteurs tandis que leurs avions de combat
peuvent écarter les avions et hélicoptères de reconnaissance et de
guidage de l’adversaire. Il serait cependant difficile à ces bâtiments
de s’opposer avec leurs quelques avions aux performances limitées à une
véritable aviation embarquée et à la présence de croiseurs
lance-missiles capables de menacer à distance les unités de surface et le
trafic aérien de l’alliance. Les
critiques ne manquent pas d’objecter le faible rendement d’une stratégie
navale défensive. Il est indéniable que si les porte-aéronefs sont un
peu trop petits, les grands porte-avions américains méritent un meilleur
emploi. C’est ce que proclame depuis 1984 le haut commandement de l’US
Navy à travers le discours de la "Maritime Strategy" qui se veut
une stratégie de l’avant visant à reprendre l’initiative dès le début
d’un conflit, à acquérir la supériorité aéronavale, puis à porter le
combat conventionnel chez l’adversaire. Les détracteurs de cette stratégie
font remarquer à juste titre que son succès repose par trop sur la présupposition
que le conflit pourrait être maintenu au niveau conventionnel, ils
objectent aussi que certaines actions contre les bases de l’adversaire
pourraient être attribuées à des missiles de croisière tirés de
sous-marins ou de bâtiments de surface. Il reste cependant à savoir si les
négociations sur la limitation des armements stratégiques ne viendront pas
imposer des restrictions trop contraignantes à ce type d’armes en raison
de sa double capacité nucléaire et conventionnelle. Il est certain que
l’intervention de l’aviation embarquée contesterait à l’adversaire
la maîtrise de l’air au Nord de la Norvège et renforcerait le flanc nord
de l’alliance, tout en cherchant à interdire le débordement du
dispositif naval allié à partir des côtes de Norvège. Le
discours de la "Maritime Strategy" paraît sans doute anachronique
au regard de l’évolution de la situation en Europe, mais il convient de
rappeler d’une part, sa finalité qui visait à renforcer la crédibilité
de la politique de dissuasion globale de l’alliance et d’autre part, les
puissantes capacités de rupture des communications maritimes dont dispose
aujourd’hui encore l’Union soviétique. La
protection des voies maritimes conditionne
la sûreté de notre approvisionnement en pétrole et en matières premières,
ainsi que la liberté de notre commerce extérieur. La France est comme ses
partenaires entièrement dépendante de la mer. Les États-Unis le
deviennent de plus en plus, il leur faut désormais importer plus de la
moitié de leur consommation de produits pétroliers. Les démocraties
occidentales sont dans ce domaine beaucoup moins favorisées par la géographie
que l’URSS qui dispose, à l’intérieur de ses frontières, de presque
toutes les ressources nécessaires à une grande puissance industrielle. En
Atlantique Nord et en Méditerranée, la sûreté de notre trafic maritime bénéficie
de l’activité des forces aéronavales de l’ensemble de l’alliance. Le
problème se pose différemment sur les autres théâtres maritimes, encore
qu’une lecture attentive du traité fondateur de l’Union de l’Europe
Occidentale (UEO) donne aux signataires le devoir et les moyens juridiques
de s’entraider. En effet, à la différence du traité de l’Atlantique
Nord, celui qui lie les partenaires européens de l’UEO ne comporte pas de
limites géographiques. La
situation en océan Indien est régulièrement affectée par des crises qui
débordent sur les espaces maritimes : minage de la mer Rouge en 1984,
conflit Irak-Iran, invasion du Koweit, ... Lors de la guerre entre l’Irak
et l’Iran, notre trafic maritime a fait l’objet d’attaques de
vedettes, il a été perturbé par des minages, ainsi que par la menace
d’attaques aériennes. La présence de mines imposait l’intervention de
moyens de guerre des mines, moyens qu’il convenait de protéger, comme les
navires marchands, contre les attaques aériennes ou navales. Confier
exclusivement cette protection à des escorteurs revenait à exposer de
nombreuses unités au danger des mines dérivantes. Cet exemple est riche
d’enseignements, car il met une fois de plus en évidence, pour les théâtres
maritimes les limites d’une politique purement défensive face à une
combinaison judicieuse d’actions offensives. L’envoi
en juillet 1987 du porte-avions Clemenceau
en mer d’Oman, à la suite de l’attaque du navire Ville
d’Anvers par des vedettes iraniennes a permis d’assurer le soutien
indirect de notre trafic commercial, de nos chasseurs de mines et des
quelques escorteurs qui les accompagnaient. La menace de rétorsion exercée
par le Clemenceau a mis fin aux
attaques contre notre pavillon. Dans un autre contexte géopolitique,
l’intimidation du perturbateur aurait pu être recherchée par la menace
de rétorsion contre son trafic marchand par le moyen d’un sous-marin nucléaire
d’attaque. Mais la situation de la flotte du perturbateur ne s’y prêtait
guère à l’époque, et la "visibilité" insuffisante de la
menace de rétorsion risquait fort d’imposer le passage à l’acte, ce
qui n’eût pas été sans conséquences. La
protection des zones économiques exclusives mérite
une attention particulière. La convention de Montego Bay reconnaît aux
nations riveraines le droit souverain d’exploiter les ressources
naturelles jusqu’à 200 milles nautiques de leurs côtes. 120 millions de
km² d’océans sur un total de 360 millions sont concernés par cette
nouvelle législation internationale. La France possède ainsi, grâce à
ses départements et territoires d’outremer, le troisième domaine
maritime du monde avec près de 11 millions de km². Les deux premiers sont
tenus par les États-Unis et le Royaume-Uni. Ce sont donc les nations européennes
qui possèdent potentiellement avec 26 millions de km² le premier empire
maritime du monde. Cette dimension ne peut être dissociée de l’ensemble
de leurs intérêts économiques communs. Les menaces sont encore limitées
et un dispositif de surveillance faisant appel à l’aviation de patrouille
maritime opérant à partir d’aérodromes terrestres et à quelques bâtiments
de présence est sans doute suffisant. Mais il est à redouter que les
risques s’accroissent avec les enjeux. Le renfort momentané d’un
porte-avions aurait en temps de crise un effet stabilisant. Le conflit des
Malouines n’était peut-être que le premier d’un nouveau type, dont la
finalité pourrait être l’appropriation des espaces maritimes et de leurs
ressources à travers la prise de possession des îles
lointaines. Le
soutien des sous-marins
nucléaires d’engins (SNLE) est la mission prioritaire de nos forces aéronavales.
Elle ne paraît pas justifier à elle seule le besoin de porte-avions ou de
porte-aéronefs, encore que leur possession apporte aux marines qui en
disposent une bonne stature, des capacités visibles de soutien en temps de
crise et une certaine "appropriation" des espaces de manœuvre du
porte-avions et de son groupe de soutien. La
projection de puissance est un concept qui
recouvre des réalités bien différentes selon les acteurs en présence et
la situation à laquelle il s’applique. La guerre du Pacifique en offre
l’exemple le plus grandiose. Elle vit la marine américaine reprendre
l’initiative après une première série d’échecs, et soutenir avec ses
porte-avions d’attaque les opérations combinées de reconquête des îles
du Pacifique. Ces opérations privaient l’une après l’autre
l’adversaire de ses bases, tandis que l’aviation américaine pouvait se
redéployer et soutenir l’action de l’aviation embarquée. Loin de
perdre en intensité, en raison de l’éloignement croissant de ses bases
de départ, l’offensive américaine retrouvait ainsi à chaque conquête
une vigueur nouvelle. Pendant
la guerre froide, les porte-avions américains furent toujours en mesure de
fournir un puissant soutien aérien aux flancs nord et sud de l’alliance
Atlantique là où les analystes voyaient les points faibles de son
dispositif conventionnel. Dans le même temps, la marine américaine a été
impliquée dans 210 des 240 crises qui entraînèrent l’intervention des
forces armées américaines. Les porte-avions constituèrent le plus
souvent la pièce maîtresse de ces actions. Les porte-avions français
furent eux aussi fréquemment déployés dans les zones de tension : mer
Rouge en 1974-1975 et en 1977, côtes
du Liban 1982-1984, Méditerranée orientale en 1984, golfe Persique
1987-1988 etc. A
travers cette rapide évocation, le porte-avions apparaît clairement comme
l’instrument politique et militaire privilégié des missions de présence
renforcée et des opérations de projection de puissance menées depuis la
mer contre la terre. Or la plupart des crises prennent naissance dans les
zones côtières. La majeure partie de l’activité humaine nécessaire se
développe en effet à proximité des rivages, c’est ainsi que 65 % des
hommes vivent à moins de 300 km de la mer et 87
% à moins de 500 km. Les
principaux objectifs militaires et économiques peuvent donc être placés
sous la menace d’avions embarqués. Le porte-avions, qui allie le fait
maritime au fait aérien, offre au pouvoir politique une très grande
souplesse dans la gestion des crises, car les opérations menées depuis la
mer peuvent être rendues totalement indépendantes de bases maritimes ou aériennes
dans des pays tiers, et elles ne sont pas tributaires d’autorisation ou
d’accords politiques de stationnement ou de survol. La présence du
porte-avions, comme celle de tous les bâtiments de surface, peut être
affichée ou, au contraire, maintenue de "manière discrète"
au-delà de l’horizon. La menace peut être modulée en fonction du déroulement
de la crise. Il faut souligner que le développement des transmissions par
satellite donne au pouvoir politique les moyens de tirer parti de toute la
souplesse d’emploi que procurent les forces navales. Notons enfin que la
mobilité stratégique du porte-avions permet de réagir face à des événements
imprévus et que sa mobilité tactique le met à l’abri des retournements
de situation. La
crise internationale déclenchée par l’invasion du Koweït par l’Irak
le 2 août 1990
suscite un certain nombre de réflexions. L’intervention des États-Unis
et de la communauté internationale paraît devoir répondre à trois
objectifs différents : protéger l’Arabie Saoudite et les Émirats, dont
les réserves pétrolières cumulées avec celle du Koweït et de l’Irak
représentent plus de la moitié des réserves mondiales ; rétablir le Koweït
dans son indépendance et éviter une remise en cause générale des frontières
à travers le monde ; s’opposer au développement de l’instabilité au
Moyen-Orient. Le premier objectif qui demandait une réaction très rapide
a été atteint ; le deuxième qui implique la constitution d’un puissant
système de forces interarmées et internationales est en vue. Quant au
troisième, sa réalisation dépendra pour beaucoup de la manière dont le
deuxième aura été acquis. En
ce qui concerne le premier objectif de la coalition, la présence sur zone dès
le 6 août, quatre jours après le début du conflit, de deux porte-avions
américains et de leurs groupes de combat, avant même que l’Arabie
Saoudite n’ait notifié formellement son accord
au stationnement d’aéronefs et d’unités étrangères sur son sol,
donnait aux États-Unis les moyens d’interdire à l’Irak, la poursuite
de son agression vers le Sud, si tant est que cela fût dans les intentions
de ce dernier. Pour
ce qui est de la constitution du dispositif aéroterrestre sur le
sol de l’Arabie Saoudite, notons que celui-ci était particulièrement vulnérabIe
dans la phase initiale de son déploiement en raison de la puissance
de l’aviation irakienne et de
la menace exercée par les missiles balistiques. Le
soutien indirect de l’aviation embarquée a, par ses capacités de représailles,
beaucoup contribué à la sûreté du déploiement des coalisés. Il faut
d’ailleurs souligner que les porte-avions et leurs escortes
ne peuvent, en raison de leur visibilité, être désignés comme cibles
aux missiles balistiques. La mise en place de bombardiers de
l’US
Air Force en Turquie et dans l’île de Diego-Garcia allait
progressivement renforcer l’effet de dissuasion recherché. La
marine américaine est en mesure d’ajuster ses efforts au déroulement
de la crise. L’objectif de 9 porte-avions
sur zone pour la mi-janvier 1991,
date limite fixée par les Nations-Unies pour l’évacuation du Koweït,
a été affiché dès les derniers jours de novembre. Ce sont donc plus de 700
avions de combat embarqués, force qu’il serait impossible de déployer
en Arabie Saoudite en raison de l’encombrement des
aérodromes, qui pourront soutenir l’action des forces aéroterrestres
des coalisés. Le
choix fait par la France d’envoyer au large des côtes saoudiennes dès
les premiers jours du mois d’août le Clemenceau,
avec un
régiment d’hélicoptères de combat de l’armée de Terre a suscité
des réactions partagées dans notre pays : d’aucuns y ont vu une "désacralisation"
de l’usage du porte-avions, instrument de puissance, d’autres la conséquence
d’une inaptitude du Clemenceau à mettre
en œuvre des avions de combat. Précisons tout de suite que le Clemenceau
était tout à
fait capable de remplir son rôle traditionnel avec des Super-Étendard
et des Crusader, et que de
toute façon le Foch était
disponible et placé en alerte à Toulon.
Il apparaît donc bien que l’intention de nos hautes autorités était de
se donner au plus tôt les moyens de pouvoir intervenir à
leur convenance, en fonction du déroulement de la crise, avec une force
anti-chars significative. Le
choix du Clemenceau, plutôt que
celui d’un cargo, pour accomplir cette mission, permettait le cas échéant,
d’agir depuis la mer et d’afficher une volonté politique soutenue par
une forte capacité militaire. Cet exemple illustre la souplesse d’emploi
des forces navales, souplesse d’autant plus nécessaire que le nombre des
grandes unités est réduit ; il montre aussi l’importance des médias en
temps de crise. Nul
ne sait aujourd’hui, en décembre 1990, quelle sera l’issue de la crise
au Koweït, et si le déploiement et la manœuvre de la force organisée
suffiront pour obtenir sans combat les résultats recherchés par la
Communauté internationale. L’opération en cours est cependant déjà
pleine d’enseignements, elle confirme en particulier la nécessité
d’une étroite coopération interarmées. Ceci vaut en particulier pour la
France dont les forces armées sont souvent engagées dans des actions
lointaines au profit des pays auxquels elle est liée par des accords de défense.
Le développement du ravitaillement en vol des avions de combat et de
transport permet désormais aux aviations d’intervenir à grande distance
de leurs bases et de prendre une place plus grande dans la conception et
l’exécution des actions lointaines, même si les servitudes des opérations
de ravitaillement en vol limitent le volume des dispositifs aériens engagés.
C’est donc en terme de complémentarité, plus que de rivalité, qu’il
convient d’aborder l’emploi de nos moyens militaires. Les circonstances
se chargent d’ailleurs d’imposer les solutions. C’est ainsi que notre
armée de l’Air a fait preuve lors de ses différents engagements au
Tchad, d’une très grande maîtrise des actions à grande distance avec le
concours de l’aviation de patrouille maritime... L’aviation embarquée
n’étant sollicitée que pour soutenir depuis la Méditerranée notre
dispositif aéroterrestre pendant la phase très délicate de désengagement
de l’opération Manta à l’automne 1984 ; en 1974-1975 et en 1977, lors
des différentes opérations Saphir, les porte-avions Clemenceau
et Foch
furent tour à tour déployés en mer Rouge pour protéger Djibouti,
enjeu de la rivalité entre Somaliens et Éthiopiens, et dont la seule base
aérienne est à portée de tir de l’artillerie somalienne ; dans le même
temps, les Jaguar de
l’armée de l’Air intervenaient depuis Dakar, en Mauritanie contre le
Polisario, notre seul porte-avions disponible étant immobilisé devant
Djibouti. On notera d’ailleurs que cette dernière opération serait
difficilement renouvelable, à supposer que cela soit nécessaire, en raison
de l’état durable de tension entre le Sénégal et la Mauritanie. Il
importe donc d’aborder les différentes hypothèses d’emploi sans préjugés,
mais en gardant présent à l’esprit la nécessité de pouvoir fournir à
nos forces une couverture aérienne permanente pendant les phases particulièrement
délicates d’un déploiement ou d’un retrait. Dans la plupart des cas,
la disposition d’une base mobile à la mer constitue un atout d’autant
plus précieux que son déploiement n’est pas soumis à la conjoncture
politique. Il faut se souvenir que lors du conflit Irak-Iran, les États de
la péninsule arabique
qui avaient pourtant souhaité le soutien des nations occidentales, ne
leur ont jamais accordé le droit de stationner des avions sur
leurs bases. * *
* De
nombreux commentateurs annoncent sans se lasser la disparition
prochaine des porte-avions, ces dinosaures des temps modernes,
incapables de s’adapter pour survivre. Or nous constatons
que si leur nombre reste faible, ces unités ne cessent de gagner
en autonomie, en possibilités de résistance aux agressions et en
puissance. Leurs capacités militaires évoluent avec les progrès de la
construction aéronautique. Ils sont certes vulnérables à des coups nucléaires,
mais quel système d’armes ne l’est-il pas. Ils sont d’une telle
importance pour le contrôle des espaces océaniques et les actions de
force à distance que de nombreuses marines ont entrepris de
se doter d’une aviation embarquée. L’Espagne et l’Italie,
nouvelles venues, ont choisi
la formule du porte-aéronefs et des avions à décollage
court. L’Inde, qui a déjà cette expérience avec 2 bâtiments en
service, s’efforce de construire un véritable porte-avions. L’Union
Soviétique a mis en service au cours des 15 dernières années, 4 porte-aéronefs
de la classe Kiev équipés
d’une douzaine d’avions de combat YAK 36, et d’hélicoptères,
et elle construit 3 grands porte-avions le Kouznetsov
(ex. Tbilissi), le Varyag (ex.
Riga) et l’Ulyanovsk,
tandis qu’elle
navalise ses avions de combat les plus performants, les MIG29 et
les SU27. La
marine nationale recevra en 1998, le porte-avions à propulsion nucléaire Charles
de Gaulle. Le Clemenceau sera
alors désarmé
au terme d’une quarantaine d'années de service et il restera à
remplacer le Foch. Le maintien en
permanence d’un porte-avions en condition opérationnelle impose en effet
la disposition de deux plate-formes.
Il est tout à fait remarquable de constater que tous nos gouvernements
qui se sont succédé depuis 1979 ont confirmé la nécessité pour notre
pays de disposer en permanence d’un porte-avions
opérationnel. Ce type de
bâtiment est généralement perçu comme un des moyens d’une politique étrangère
indépendante, car il renforce la crédibilité de nos engagements. En
l’absence d’une couverture aérienne assurée par des moyens nationaux,
il faudrait s’en remettre en temps de crise à la protection d’un allié
plus puissant, ce qui reviendrait à s’aligner sur son projet politique. Mais
le souci d’indépendance n’exclut pas la solidarité, la présence de
moyens militaires adaptés permet à la France de participer aux côtés de
nations alliées au règlement des crises. Le porte-avions, dont le déploiement
n’est soumis à aucune restriction d’ordre juridique, est un atout précieux
en raison de sa mobilité stratégique, de son autonomie logistique, de sa
souplesse d’emploi et de son endurance. De plus, face à un perturbateur
qui se doterait d’armes nucléaires ou d’armes de destruction massive,
il pourrait contribuer à réaliser les conditions d’une dissuasion
locale. L’efficacité opérationnelle
des porte-avions repose sur la maîtrise professionnelle et technique de
problèmes délicats que la France est seule aujourd’hui en Europe à posséder
pleinement. Comment ne pas imaginer que cette Europe qui sera, si elle voit
le jour, la première puissance économique et industrielle mondiale, mais
aussi la première puissance maritime, puisse se passer de forces aéronavales
équilibrées. C’est dans cette optique, qu’en 1988, nos partenaires de
l’Union de l’Europe Occidentale invitait la France à "poursuivre
son programme de construction de 2 bâtiments de la classe Charles
de Gaulle ".
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