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Plaidoyer pour une stratégie maritime théorique Hervé Coutau-BégarieLucien
Poirier a popularisé (au moins dans un cercle restreint) le concept de
stratégie théorique.[1]
Mais il n’a guère abordé le volet maritime du champ ainsi ouvert. On ne
saurait lui en faire reproche. Après tout, Clausewitz a composé son œuvre
majeure sans jamais consacrer une ligne à la guerre maritime. On peut
d’ailleurs se demander si l’entreprise mérite vraiment d’être tentée.
Un certain nombre d’auteurs ont contesté, sans doute avec raison,
l’existence d’une stratégie maritime indépendante.[2]
il n’y aurait qu’une dimension maritime d’une stratégie globale qui
ne serait pas justiciable de règles spécifiques, seule la tactique pouvant
réellement revendiquer une autonomie. L’argument n’est pas sans valeur,
mais il n’est pas interdit pour autant de vouloir penser la stratégie théorique
à partir d’une pratique locale qui a finalement autant de lettres de
noblesse que son homologue (et rivale) terrestre. Il
n’est pas exagéré de dire que l’expérience n’a guère été tentée.
Certes, Castex ouvre son maître-livre, les Théories
stratégiques, par un survol de la "stratégie navale théorique",
dans lequel il passe en revue de nombreux auteurs.[3]
Mais lorsqu’il parle de théorie, c’est uniquement par opposition à la
pratique ; il n’attache au concept aucune connotation épistémologique ou
heuristique particulière, de sorte qu’à côté d'auteurs qui méritent
vraiment d’être considérés comme des théoriciens, des libellistes ou
des propagandistes dépourvus de toute vision stratégique ont vocation à
être englobés dans ce conglomérat. Il est évident que lorsque nous
parlons aujourd’hui de stratégie théorique, à la lumière des essais du
général Poirier, nous envisageons une pensée stratégique qui se situe,
pour simplifier à l’extrême, à deux niveaux : à la base, il y a ce que
l’on peut appeler, faute de mieux, l’analyse stratégique qui se
contente de décrire et d’analyser des situations ou des doctrines, éventuellement
de les commenter, mais sans faire véritablement œuvre créatrice ;
au-dessus, la théorie stratégique s’efforce, comme son nom le suggère,
de dégager des situations et des doctrines des enseignements de portée générale,
marqués si possible par un certain degré d’originalité. On pourrait,
bien entendu, pousser un peu plus loin la typologie, et distinguer peut-être
la théorie stratégique de la stratégie théorique[4]
qui constituerait le couronnement de l’édifice conceptuel, avec un très
haut degré d’abstraction. Mais l’état de la recherche déconseille des
raffinements de ce genre. Il faut au contraire constater l’état de
sinistre avancé dans lequel se trouve ce secteur de la réflexion stratégique.
La pensée stratégique navale a connu, il ne faut pas avoir peur de l’écrire,
un véritable effondrement depuis les années 40. Quelques brillantes
individualités ne doivent pas masquer la réalité : il n’y a plus
aujourd'hui de penseurs navals qui soient de véritables théoriciens. Sir
James Cable est sans doute le seul qui puisse revendiquer le titre, mais il
se consacre davantage à la diplomatie navale qu’à la stratégie
proprement dite, à laquelle il a néanmoins apporté de précieuses
contributions.[5] L’HÉRITAGE
DE LA PENSÉE NAVALE CLASSIQUE Une
telle situation peut surprendre car l’importance du milieu maritime n’a
jamais été aussi grande, notamment sur un plan économique : le professeur
Vigarié a décrit de manière saisissante la "maritimisation" des
économies contemporaines, qui est un fait acquis, irréversible.[6]
Mais aussi sur un plan stratégique : c’est au fond des océans qu’est
tapie la composante la plus sûre de la dissuasion nucléaire ; c’est par
les océans essentiellement que peuvent opérer les forces d’intervention
engagées dans des crises régionales ou locales qui se sont multipliées
depuis une vingtaine d’années et qui, avec la fin de la guerre froide,
risquent de croître encore, tant en nombre qu’en intensité. L’histoire
récente s’est chargée à de multiples reprises d’infliger des démentis
parfois cinglants à ceux qui pronostiquaient pour le lendemain la fin des
flottes de surface. Pour comprendre ce vide théorique, il est nécessaire
d’opérer un retour en arrière. La réflexion stratégique maritime se
caractérise par trois traits essentiels. 1)
Son existence est très brève : elle ne se constitue véritablement
que dans les années 1940.[7]
On peut dater très précisément les premiers véritables essais de stratégie
maritime, qui paraissent presque simultanément dans plusieurs pays. Les
pionniers sont en effet britannique (John Colomb publie The
Protection of our Commerce and Distribution of our Naval Forces Considered en
1867), français (De la guerre
maritime de l’amiral Grivel paraît en 1869), russe (Berezin publie un
Essai de stratégie navale en
1873). Les œuvres majeures se succèdent ensuite très rapidement et là
encore presque simultanément dans plusieurs pays : on cite naturellement en
tout premier The influence of Sea
Power upon History qui vaut à son auteur Alfred Thayer Mahan une gloire
universelle dès sa parution, en 1890. Mais cette référence obligée résulte
d’une double déformation : d’une part, ce que Lucien Poirier a appelé
le "syndrome de Polybe",[8]
c’est-à-dire la fascination pour la puissance impériale : en stratégie
plus qu’ailleurs, et en stratégie maritime plus encore qu’en stratégie
terrestre (où le modèle allemand reste une référence), on pense en
fonction de l’expérience américaine qui éclipse toutes les autres.
C’est ainsi que le Mahan britannique, l’amiral sir Philip Colomb, passe
au second plan et que son grand livre Naval
Warfare[9]
n’est plus connu que de quelques initiés, pour ne rien dire du
malheureux Eugenio Montojo y Rapallo qui est totalement inconnu (même dans
son propre pays), personne ne daignant s’intéresser à son Ensayo
de estrategia naval, paru deux ans seulement après le livre de Mahan,
et qui est pourtant loin d’être dénué de valeur. Mais
surtout cette référence mahanienne universelle traduit l’inévitable
tendance à ne retenir que la conception qui a réussi : en même temps que
Mahan et d’autres jetaient les bases d'une stratégie maritime théorique
fondée sur la méthode historique, une école essentiellement française,
conduite par un stratège de grande valeur qui a ensuite été caricaturé
et diffamé, l’amiral Aube, posait les fondements d’une stratégie
maritime partant de l’état de la technique.[10]
Ainsi apparaissaient concurremment les deux paradigmes autour desquels
allait se structurer la pensée maritime. Après
les fondateurs, apparaissent les premières théories critiques dont le plus
illustre représentant est Julian Corbett qui publie en 1911 Some
Principles of Maritime Strategy.[11]
Entre 1890 et 1914, la pensée navale est à son apogée, tant par
l’abondance que par la qualité des publications. La situation est moins
brillante dans l’entre-deux guerres, même si la période est sauvée par
quelques auteurs importants : Castex, le plus grand de tous, le seul
qui se hisse au niveau des fondateurs, mais aussi l’Anglais Richmond,[12]
l’Italien di Giambierardino,[13]
l’Allemand Wegener[14]...
La deuxième guerre mondiale marque la fin de ce mouvement intellectuel, fin
d’ailleurs fort brillante avec deux esprits exceptionnels : Herbert
Rosinski et Bernard Brodie qui s’éloignent en même de la stratégie
maritime pour se tourner vers d’autres horizons intellectuels. Le dernier
article maritime du premier date de 1947, tandis qu’après 1945, Brodie se
consacre presque exclusivement à la stratégie nucléaire. 1867-1947:
l’histoire de la stratégie maritime théorique "ouverte" tient
en 70 ans au cours desquelles elle n’a jamais cessé d’être déchirée
par un véritable Methodenstreit, une
querelle des méthodes, sur laquelle nous reviendrons plus loin. 2)
Mais ce problème méthodologique a rarement été perçu. La
pensée navale a toujours eu un niveau théorique très faible et l’on
peut compter sur les doigts d’une main les auteurs qui ont eu conscience
de la dimension épistémologique des controverses autour de tel ou tel type
d’arme ou de doctrine. Seul Herbert Rosinski, qui avait une solide
formation philosophique, a vraiment conceptualisé la stratégie maritime
dans une série d’articles éblouissants qui n’ont malheureusement pas
été suivis par le grand livre qu’il annonçait.[15]
En dehors de lui, Corbett est celui qui a le mieux senti cette nécessité
d’abstraction que Castex a à maintes reprises effleurée sans accepter
d’y succomber vraiment. Mahan, le grand Mahan, n’est qu’un théoricien
extrêmement médiocre et il faut extraire ses idées générales d’un
fatras historique d’une valeur au surplus souvent contestable.[16]
Il n’est pas surprenant
qu’il se soit appuyé sur Jomini plutôt que sur Clausewitz : il a fait,
et ses successeurs ont fait après lui une stratégie opérationnelle plus
qu’une stratégie théorique, qui a été esquissée plusieurs fois sans
jamais être pensée en tant que telle (à l’exception de Rosinski qui
n’a laissé que des fragments). 3)
Il n’est pas surprenant dans ces conditions que la pensée navale ait
toujours été en retard sur la
pratique et qu’elle ait, de manière parfois caricaturale, théorisé
avec une guerre de retard. A la veille de la première guerre mondiale, l’école
triomphante du canon n’accorde aucun crédit aux avertissements de
quelques esprits clairvoyants à propos du risque sous-marin. A la veille de
la deuxième, les partisans du porte-avions ne sont qu’une petite minorité,
et la plupart d’entre eux n’osent pas envisager que le porte-avions va
remplacer le cuirassé en tant que capital
ship. On ne saurait sérieusement
le reprocher aux écrivains de l’époque dès lors que, selon une formule
de Pierre Chaunu, si tout est prévisible rien n’est prévu. Mais il est
tout de même surprenant de constater qu’après les enseignements très
clairs du conflit, les esprits les plus pénétrants de cette époque (y
compris Castex et Rosinski) mettront plusieurs années avant de comprendre véritablement
la révolution qui s’est opérée. En 1948, l’Amirauté britannique
demande encore la conservation de 8 cuirassés, et Castex esquissera dans
l’un de ses tout derniers articles une défense du cuirassé.[17]
Certes, dans son cas, on peut incriminer le problème de génération, mais
il était loin d’être le seul. Et lorsqu’une décennie plus tard,
s’amorcera une nouvelle révolution, avec l’apparition des sous-marins
nucléaires lanceurs d’engins, il y aura une réaction de rejet de la
plupart des marins qui rejetteront avec la plus extrême énergie cette
nouveauté dévoreuse de crédits devenue aujourd’hui l’un de leurs
atouts essentiels. On
pourrait voir dans ces exemples, sommairement évoqués, une illustration du
conservatisme des marins. Le problème est cependant infiniment plus
complexe. La guerre sur mer est caractérisée depuis près de deux siècles
par une instabilité sans aucune mesure avec celle qu’a connue la guerre
terrestre. Celle-ci a pu assimiler des innovations qui n’ont pas remis en
cause ses principes fondamentaux. Lucien Poirier a proposé un schéma
triparti : théorie fondatrice (Guibert) - pratique libératrice (Napoléon)
- théorie critique (Clausewitz).[18]
Ce schéma n’est pas transposable sur mer : à la rigueur, on peut trouver
une théorie fondatrice avec Clerk of Eldin, Écossais qui exerçait la
profession fort honorable de marchand drapier, puis une pratique libératrice
avec Nelson. Mais il n’y a pas de théorie critique. Il ne peut pas y en
avoir, car le schéma se détraque sous l’impact de la révolution de la
vapeur. On a peine aujourd’hui à imaginer ce que cela a pu signifier :
toutes les habitudes acquises sont devenues caduques, il a fallu comprendre
ou plutôt imaginer le maniement de navires libérés de l’immémoriale
contrainte du vent. Cette redécouverte de liberté de mouvement a suscité
une intense fermentation intellectuelle,[19]
dominée par la tentation de la cinématique : l’obsession des ordres (de
marche, de contre-marche, de chasse, de bataille, de retraite ... ), si
caractéristique de la pensée du XVIIIe siècle, réapparaît chez bon
nombre d’auteurs. En désespoir de cause, on va chercher des analogies
avec la guerre des galères, seul point de comparaison possible. Puis,
une fois la vapeur domestiquée, il a fallu faire face à des rafales
continues d’innovations : le retour de l’éperon a entraîné la redécouverte
du choc, la torpille a remis en cause le monopole des navires de ligne, le
sous-marin a introduit une nouvelle dimension dans la guerre navale, en
attendant que l’avion en ajoute une troisième. Très naturellement, il en
a résulté une fascination pour la technique qui ne cessait de remettre en
cause ou même de ruiner les vérités les mieux établies. La quasi-totalité
des auteurs ont cédé à la tentation de la négation de l’existence de
principes permanents. L’instabilité doctrinale s’est en quelque sorte
trouvée légitimée par la technique. DOGMATISME
ET RELATIVISME : LA QUERELLES DES MÉTHODES Cette
instabilité a en outre été accrue par un facteur spécifique : la réflexion
au XIXe siècle est essentiellement d’origine française. En Angleterre,
la pensée navale est peu développée, ou plus exactement, elle ne
s’exprime pas publiquement, à la fois par tradition anti-intellectuelle
et surtout parce que la maîtresse des mers n’éprouve pas le besoin
d’une remise en question.[20]
La France, au contraire se trouve dans la situation du brillant second :
elle est à la pointe de l’innovation technique et les officiers essaient
fiévreusement de trouver une solution au problème naval français. Mais
celui-ci peut être abordé de deux manières[21]
: -
dans l’absolu, ce qui suppose le recours aux grands principes à portée
universelle. L’accent est dès lors mis sur la nécessité d’avoir la
supériorité pour affronter l’ennemi dans une bataille en ligne qui
donnera au vainqueur la maîtrise de la mer. -
dans le relatif, en tenant compte des données particulières au cas français.
On reconnaît alors que si la supériorité est souhaitable, elle n’est
pas possible face à la puissance maritime britannique. D’où la recherche
du contournement de la supériorité adverse par l’innovation technique.
La marine française précède presque constamment sa rivale dans
l’adoption des nouvelles formules. Ses officiers publient par dizaines des
ouvrages et par centaines des articles sur les nouvelles tactiques. Les
partisans de la nouveauté se regrouperont eux-mêmes sous l’appellation
de Jeune École. Par opposition, les "traditionnalistes" seront
qualifiés, avec une connotation péjorative évidente, de Vieille École.
La Jeune École s’enthousiasmera successivement pour la mine, la torpille,
le sous-marin... tandis que la Vieille École restera fidèle à la solution
éprouvée du navire de ligne armé de canons. La jeune École mettra
l’accent, du fait de ses instruments, sur des formes de guerre non
conventionnelles : harcèlement des escadres par des bâtiments légers,
raiders lancés contre le commerce pour obliger l’ennemi à se
disperser... tandis que la Vieille École prônera au contraire la recherche
de la bataille décisive. La Jeune École sera donc conduite à adopter une
attitude d’évitement à l’égard de la flotte adverse et devra subir
l’accusation presque infamante d’être défensive, alors que la Vieille
École se voudra au contraire résolument offensive, au nom des principes, même
lorsqu’elle sait qu’en réalité elle n’en a pas les moyens.[22] Cette
rivalité entre les deux écoles est parfaitement connue. Mais très peu de
commentateurs ont vu que derrière le duel de la torpille et le canon se
dissimulait l’affrontement de deux méthodes. Castex est le seul à avoir
posé nettement le problème, de manière d’ailleurs assez tardive, en
remplaçant les appellations quelque peu polémiques de Jeune et Vieille Écoles
par celles d’École historique et d’École matérielle.[23] L’École
historique dégage des principes qui sont des idées générales à valeur
universelle, tant dans l’espace que dans le temps. Sont ainsi qualifiés
de principes qui doivent guider l’action : l’offensive, la manœuvre, la
liaison des armes, la concentration, la recherche de l’ennemi flottant...
tous principes qui concourent à un seul but : l’obtention de la maîtrise
des mers par la bataille décisive.[24] L’École
matérielle, en sens inverse, va mettre l’accent sur les procédés,
c’est-à-dire sur les moyens disponibles dans un contexte donné. Alors
que l’École historique est, presque par définition, statique, l’École
matérielle se veut dynamique. La nouveauté des instruments lui paraît
commander de nouvelles tactiques, la nouveauté du contexte international
lui paraît commander de nouvelles stratégies. C’est ainsi que si elle prône
une nouvelle forme de guerre de course, c’est à la fois parce que
l’apparition de croiseurs à grande vitesse et grand rayon d’action
permet de disposer d’un instrument adapté à cette mission, mais aussi
parce que le développement fantastique du commerce maritime, s’il fonde
la richesse de l'empire britannique, accroît dangereusement sa vulnérabilité
dès lors que l’Angleterre n’a pu développer son industrie qu’en
sacrifiant son agriculture, de sorte qu’elle n’est plus autosuffisante
sur le plan alimentaire. Il ne s’agit donc pas de répéter les erreurs du
passé, mais bien d’essayer de profiter d’une nouvelle donne qui ouvre
des perspectives intéressantes.[25] HISTOIRE
ET STRATÉGIE Une
stratégie maritime théorique, si elle se constitue, doit partir des
auteurs que l’on peut justement appeler des classiques : le triumvirat
Mahan-Corbett-Castex auquel il faut ajouter, comme dans Les trois
mousquetaires, un quatrième homme, Rosinski. Sont également à prendre
en considération des auteurs de deuxième rang (ce qui ne veut pas dire de
second ordre) comme Colomb, Bridge, Richmond, Darrieus, Daveluy, di
Giambierardino, mais aussi l’amiral Aube ou Fred Jane, hérétiques qui méritent
d’être redécouverts. La tentative d’ignorer l’enseignement des
anciens et de reconstruire une théorie en faisant table rase de tout ce qui
a précédé ne peut en effet aboutir qu’à imiter les historiens du Moyen
Age qui, du fait de la non-circulation des manuscrits, étaient condamnés
à repartir chacun de zéro. Une théorie qui ne partirait pas de données déjà
acquises se condamnerait à ne pas dépasser le stade descriptif. Cette
relecture doit être résolument critique. L’un des apports essentiels de
la recherche durant les dernières décennies a été d’ordre historique.
Si l’histoire de la pensée navale reste largement en friche, un certain
nombre d'auteurs ont tout de même fait l’objet d’études et de
commentaires qui aident à préciser le cadre et la portée de leur réflexion.
Mais surtout, l’histoire maritime générale a fait des progrès très
considérables depuis l’époque où les classiques écrivaient, dans deux
directions intéressantes pour la stratégie maritime théorique. D’une
part, elle a exploré des pans entiers de l’histoire maritime du monde qui
étaient auparavant presque inconnus : l’histoire maritime de l’Antiquité,
celle de l’Extrême-Orient, qui étaient autrefois limitées à quelques
épisodes (la Grèce ou Rome pour l’Antiquité, les périodes très récentes
pour l’Extrême Orient) commencent maintenant à être connues dans leur
ensemble : on dispose de travaux fort importants sur la politique maritime
des empires du Moyen-Orient ancien, de la Chine impériale, voire de
l’Inde que l’on croyait coupée de la mer, si bien qu’au lieu d’une
expérience historique unique, celle de l’Occident moderne, sur laquelle
avaient dû s’appuyer les auteurs classiques, nous pouvons maintenant
puiser dans un panorama beaucoup plus complet. Les conséquences théoriques
peuvent en être fort importantes et remettre en cause certains principes
que nos prédécesseurs considéraient comme définitivement acquis. C’est
ainsi que l’ethnologue Karl Polanyi a ouvert des perspectives considérables
avec sa théorie de l’évitement de la mer par les grands empires anciens[26]
qui pose en termes tout à fait neufs le problème des rapports entre la
terre et la mer que l’on aborde encore trop souvent, à la suite de
Mackinder et Mahan, en termes d’opposition. De même, le colonel
Guilmartin a proposé une relecture totale de la guerre des galères qui met
en cause l’universalité du concept de maîtrise des mers.[27]
En sens inverse, cette notion n’a pas été conceptualisée par les seuls
Occidentaux : après des décennies d’ignorance et d’incompréhension
qui ont fait répéter que les Chinois ne connaissaient que la défense côtière
(haifang), on commence à découvrir
que la pensée navale chinoise est extrêmement ancienne et qu’elle n'a
jamais ignoré la dimension océanique : le grand sinologue Joseph Needham
cite un auteur du XVIIe siècle, Zhang Xie, qui emploie la notion de
"maîtrise des eaux de l’océan".[28] D’autre
part, les multiples travaux sur l’histoire maritime de l’Europe moderne
ont modifié de manière souvent radicale notre vision des faits sur
lesquels Mahan et ses successeurs se sont appuyés. On n’en a pas encore véritablement
tiré les conséquences théoriques car très rares sont les historiens qui
conçoivent leur travail dans une perspective résolument stratégique, mais
il suffit de lire The Politics
of Naval Supremacy de Gerald Graham ou
The Rise and Fall of British Naval Mastery de Paul Kennedy pour mesurer
le travail accompli et l’intérêt de comparer les conclusions des
classiques avec les acquis récents de la recherche historique. Il s’agit
d’un travail considérable, qui n’en est encore qu’à ses prémisses.
Mais tant qu’il ne sera pas suffisamment avancé, il est vain d’espérer
pouvoir fonder une théorie synthétique de la puissance maritime.
Clausewitz n’a écrit De la Guerre qu’après
avoir noirci des milliers de pages sur les guerres napoléoniennes. Si le
monde a changé, les exigences de la recherche ne se sont pas pour autant
modifiées. LES
BOULEVERSEMENTS CONTEMPORAINS Il
n’y a pas lieu de s’arrêter à l’objection classique tirée de la
radicale nouveauté du fait nucléaire. Il est incontestable que l’arme
nucléaire a introduit un bouleversement d’une ampleur inouïe dans la
stratégie, ne serait-ce qu’en mettant au premier plan la dissuasion plutôt
que l’action. Mais plutôt que d’en tirer la conclusion erronée que
l’arme nucléaire a supplanté tout le reste, il faudrait considérer que
la révolution nucléaire a introduit une césure au sein de la stratégie
entre la stratégie nucléaire gouvernée par la dissuasion et la stratégie
conventionnelle qui reste le domaine de l’action. Bien entendu, la
dichotomie n’est pas aussi simple, la dissuasion existe depuis toujours
dans le domaine conventionnel (et l’histoire de la Royal
Navy en offre un saisissant exemple) tandis que l’histoire de l’arme
nucléaire est, dans une certaine mesure, celle de sa transformation, au
fur et à mesure de ses raffinements techniques en instrument
d’action (avec des têtes nucléaires "propres", miniaturisées,
à neutrons... et l’élaboration de doctrines pour les armes nucléaires
tactiques destinées au champ de bataille). Ce
sera l’une des tâches majeures de la stratégie maritime théorique que
de préciser le statut du nucléaire à la mer (les dommages collatéraux y
étant par définition réduits, la tentation d’emploi est d’autant plus
grande). Mais de la même manière que la complexification croissante de
l’art de la guerre a entraîné à la fin du XVIIIe
siècle la dissociation entre tactique et stratégie (que l’on a
d’abord appelé grande
tactique ou stratégique) la dissociation qui s’est opérée après 1945
en mettant au sommet de l’édifice stratégique une stratégie de
dissuasion n’a pas fait disparaître pour autant
les stratégies de l’action. La formule "le nucléaire ne protège
que du nucléaire" est simplificatrice, mais les deux camps au temps de
la guerre froide n’ont jamais cessé de préparer une guerre
conventionnelle limitée, même si les théoriciens avaient beaucoup de mal
à imaginer ce qu’elle pourrait être réellement. Cet
élargissement dû au nucléaire n’est pas le seul. Des progrès
techniques de tous ordres avaient entraîné bien avant 1945 une mutation géostratégique
fondamentale, l’interpénétration des milieux terrestre et marin qui
auparavant étaient très nettement différenciés. La différence de statut
juridico-politique (la mer était res
nullius) ne faisait que
traduire l’incapacité de la terre à agir sur mer au-delà de la portée
des batteries côtières : "la souveraineté des États s’arrête là
où finit la puissance des armes". L’avion a pour la première fois
donné à la terre un moyen d’agir dans le milieu marin, et inversement.
En outre, divers procédés ont enfin permis de monter des opérations
contre la terre à partir de la mer ce qui, à l’époque de la marine à
voiles, était à peu près impossible. Au lieu de rester limitée à son
environnement spécifique, la guerre maritime s’est trouvée englobée
dans une stratégie générale à laquelle elle a dû, de fort mauvais gré,[29]
se soumettre : la fusion des ministères de la Guerre et de la Marine au
sein de ministères unifiés de la Défense témoignent de manière
symbolique de cette mutation. A la guerre navale proprement dite s’ajoute
maintenant une exploitation directe de la puissance maritime contre la
terre. Par
ailleurs, autre bouleversement lié à la révolution nucléaire, mais qui
le dépasse, la stabilité relative du système stratégique aux échelons
supérieurs a eu pour corollaire presque obligé une instabilité accrue aux
échelons inférieurs. C’est-à-dire qu’à l’impossibilité d’une
guerre centrale a répondu l’activation de stratégies indirectes visant
à contourner les zones sanctuarisées par la dissuasion. La fragmentation
à l’extrême du système international du fait de la désintégration des
grands empires coloniaux a favorisé de telles entreprises en multipliant
les foyers potentiels de crise. La stratégie navale se voit ainsi flanquée
d’une diplomatie navale[30]
de plus en plus intense qui s’exerce de manière presque permanente, mais
se manifeste naturellement de façon spectaculaire en cas de crises
ouvertes. LES
COMPOSANTES DE LA STRATÉGIE MARITIME La
stratégie maritime en vient donc à recouvrir un éventail de missions
beaucoup plus large que par le passé. L’amiral Zumwalt a rendu compte de
cet élargissement par une tétralogie :[31] -dissuasion
(nucléaire), -maîtrise
des mers (la guerre navale au sens traditionnel du terme), -projection
de puissance (contre la terre), -présence
(stratégie de crise et non de guerre). Il
faut considérer simultanément toutes les composantes de cette tétralogie
pour avoir une vue d’ensemble de la stratégie maritime aujourd’hui. La
tâche est naturellement très difficile et personne ne l’a véritablement
entreprise. Il n’y a plus de grands ouvrages de synthèse et les quelques
exemples dont on dispose ne sont pas très probants. Cela n’est pas étonnant,
dès lors qu’ils ne peuvent que s’appuyer sur des études sectorielles
qui sont elles-mêmes souvent insuffisantes. L’état de la réflexion
est très inégal selon les secteurs. La
dissuasion devrait être bien connue, à en
juger par l’énorme masse de publications sur la stratégie nucléaire.
Mais précisément, la quasi-totalité de ces travaux sont dominés par une
perspective nucléaire générale et se soucient fort peu de l’intégration
de la dissuasion océanique dans une stratégie maritime. Le problème n’était
pas trop gênant tant que les missiles nucléaires stratégiques embarqués
sur des sous-marins étaient nettement individualisés et que leur mission
se ramenait avant tout à assurer une réserve utilisable pour une deuxième
frappe peu ou pas sélective. Le perfectionnement constant de l’arsenal
nucléaire entraîne une mutation encore trop peu perçue mais lourde de
conséquences : d’une part, les armes stratégiques embarquées ont acquis
maintenant des capacités qui les rendent sensiblement équivalentes aux
missiles terrestres, et donc aptes à un emploi dans le cadre d’une stratégie
(ou plutôt d’une tactique) contre-forces ; d’autre part, l’apparition
des missiles de croisières marins brouille la distinction entre armes stratégiques
et armes tactiques : un Tomahawk peut frapper un objectif situé à plus de
1500 km du lanceur. Il est donc urgent de reconsidérer l’intégration du
fait nucléaire dans la stratégie maritime. La
guerre navale elle-même devrait également
être bien connue puisque c’est dans ce domaine que les enseignements du
passé restent le plus utilisables. Des simulations ont, par exemple, montré
que dans l’hypothèse d’une nouvelle bataille de l’Atlantique, le
convoi resterait la forme la plus adéquate de protection du trafic. Mais se
pose aujourd’hui un double problème. D’un côté, trop d’auteurs
raisonnent encore selon des canons classiques, l’utilisation des armes
nucléaires tactiques, dont on a déjà dit que la tentation d’emploi était
plus grande sur terre que sur mer, est encore peu étudiée. De l’autre,
beaucoup d’auteurs et d’états-majors en restent au paradigme
simplificateur de la maîtrise des mers par la bataille. Cette déformation
apparaît très clairement dans la Maritime
strategy[32]
américaine qui place au premier rang la recherche de la destruction de
l’adversaire et abandonne aux marines alliées la tâche jugée subalterne
de défendre les lignes de communication. Ils en restent à une guerre
navale univoque alors que Castex et Bernard Brodie ont posé, avec précaution
dans le cas du premier, avec netteté pour le second, une stratégie
bipolaire qui transpose sur mer la distinction clausewitzienne classique
(mais contestée) de la stratégie d’anéantissement et de la stratégie
d’usure.[33] La
guerre entre forces organisées recherche la maîtrise des mers par anéantissement
de l’adversaire, la guerre des communications vise son usure par attrition
progressive de son trafic. La guerre entre forces organisées se veut
offensive, elle espère obtenir d’un engagement décisif la maîtrise des
mers (Sea control). Cette
appellation est en partie trompeuse : la maîtrise des mers n’est plus
comparable à la domination (Sea
Command) qu’ont pu exercer autrefois certaines thalassocraties. Le
plus faible a toujours à sa disposition des moyens qui lui permettent
d’agir, s’il est chassé de la surface, au-dessus de la surface (avec
l’avion) ou en-dessous de la surface (avec le sous-marin) contre le
trafic adverse. A défaut d’obtenir une quelconque maîtrise, c’est-à-dire
un avantage positif lui permettant d’utiliser la mer à son profit, il
recherchera un but négatif, l’interdiction de l’usage libre des mers
par le maître de la surface (Sea
denial). Cette bipolarité positive-négative est aujourd’hui bien
connue mais il semble que l’on ait encore du mal à en admettre les conséquences.
Il suffit de comparer le schéma de la guerre navale tel que le conçoit
Geoffrey Till avec celui d’une guerre navale bipolaire. Bataille
décisive + Flotte en vie + Blocus = Domination des mers GUERRE
NAVALE :
-Guerre entre forces organisées :
-Bataille décisive
-Blocus de la flotte organisée
-Offensives mineures
-Flotte en vie
=Maîtrise des mers
-Guerre des communications :
-Défensive :
-Protection indirecte
-Protection directe :
-Procédés offensifs :
-Patrouilles
-Chasse aux corsaires
-Attaque des bases de corsaires
-Procédés défensifs :
-Armements des navires de commerce
-Discipline de la navigation
(routes spéciales)
-Convois escortés
= maîtrise des mers
-Offensive :
-Blocus commercial
-Attaque des communications
-Flotte en vie
= interdiction des mers à l’adversaire
-Guérilla navale :
-Obstacle :
-Bâtiments légers :
=perturbation côtière de l’adversaire
La
projection de puissance a
fait
l’objet de beaucoup de descriptions, mais sa théorisation
demeure embryonnaire. Elle est pourtant capitale, car avec la désintégration
des empires coloniaux puis le relâchement progressif des liens entre les
nouveaux États et leurs anciennes métropoles, la présence militaire des
puissances impériales s’est trouvée réduite au minimum et l’élément
marin reste le seul moyen d’intervention en cas de crise. De même, le réaménagement
de la hiérarchie de la puissance entre les États-Unis et leurs alliés a
entraîné un rapatriement de l’essentiel des effectifs américains, de
sorte que les renforts devraient à nouveau traverser l’océan en temps de
guerre. Il n’est d’ailleurs pas besoin d’envisager l’hypothèse
d’une guerre générale pour admettre l’importance de la projection de
puissance. Des conflits plus limités comme la guerre des Malouines en ont démontré
la permanence et la pertinence. Plus largement, c’est tout le problème de
l’exploitation de la puissance maritime qui se trouve ici posé.[34] La
présence, en revanche, a fait l’objet
d’une attention très soutenue depuis une vingtaine d’années. Le livre
fondateur de James Cable, Gunboat
Diplomacy (1970), a été suivi par plusieurs travaux importants
d’Edward Luttwak, Ken Booth et James Cable lui-même.[35]
Éclatante revanche d’une mission qui était auparavant considérée comme
un sous-produit à peine digne d’intérêt. Il faut dire qu’elle se
ramenait le plus souvent à des manifestations assez brutales et frustes
dont le symbole reste les "canonnières chargées de la police des côtes
du Céleste Empire". Ces démonstrations rustiques étaient généralement
efficaces, les moyens de riposte adverses étant nuls. Les choses ont changé
aujourd’hui. Le système international n’admet plus l’emploi de la
force brute qui doit se dissimuler derrière une phraséologie
justificatrice. Dès lors, avant de passer à l’acte, on met en œuvre
toute une série d’échelons intermédiaires que l’on qualifie parfois
de gesticulation, appellation particulièrement malheureuse puisque
gesticuler, c’est s’agiter de manière désordonnée et grotesque. Les
scénarios sont extrêmement divers et il faut maintenant distinguer une
diplomatie de coopération et une diplomatie de coercition, chacune pouvant
être préventive ou réactive, rapide ou lente, intense ou feutrée... Une
typologie complète suppose la combinaison de multiples critères. Naturellement,
toutes ces dimensions doivent être insérées dans leur cadre géographique.
La stratégie maritime est d’abord une géostratégie. Mais ceci est une
autre histoire, qui sera abordée dans un prochain numéro. [1]
Lucien Poirier, Essais de stratégie théorique,
Les Sept Epées, 1982. [2]
Edward Luttwak, Le paradoxe de la stratégie,
Odile Jacob, 1989. [3]
Amiral Castex, Théories stratégiques, Éditions
Maritimes et Coloniales, tome 1, 1929. [4]
Lucien Poirier, op. cit [5]
Par exemple son article "Out of Area but under
Control", Defense Analysis, 1985, n° 1, et son livre Britain’s
Naval Future, Annapolis, Naval Institute Press, 1983. [6]
André Vigarié, Géostratégie des océans,
Caen, Paradigme, 1990. [7]
Il n’existe pas d’histoire de la pensée navale
et cette lacune est à elle seule révélatrice. Quelques esquisses dans
Amiral Castex, op. cit ; Geoffrey
Till, Maritime Strategy and the
Nuclear Age, Londres, MacMillan, 1982 ; Hervé Coutau-Bégarie, La
puissance maritime, Fayard, 1985. Une recherche est en cours sous
l’égide conjointe de la FEDN et de la Commission française
d'histoire maritime. Un premier volume sur L’évolution
de la pensée navale va
paraître au premier semestre 1991. [8]
Lucien Poirier, Les
voix de la stratégie, Fayard, 1985. [9]
Récemment réédité aux États-Unis dans la
collection des Classics of SeaPower. [10]
L’amiral Aube fait l’objet d’une réévaluation
dans la thèse en cours de l’amiral Ausseur sur la politique navale
française de 1890 à 1914. [11]
Récemment réédité dans la collection des Classics
of Sea Power ; avec une préface
d’Eric Grove. [12]
L’œuvre de Richmond est très abondante. On
dispose d’une biographie solide, mais son œuvre attend encore un
commentateur. [13]
Di Giambierardino était en 1939 l’auteur naval
de loin le plus lu. L’art de
la guerre sur mer avait été traduit en huit langues. [14]
Récemment traduit
dans la collection des Classics of Sea Power ; avec une préface
de Holger Herwig. [15]
Herbert Rosinski, The
Development of Naval Thought, Newport, Naval War College Press,
1977. Une édition française est en préparation. [16]
Ce jugement extrêmement sévère est celui de son
plus récent biographe Alfred Seager, Mahan,
The Man and his Letters, Annapolis, Naval Institute Press, 1977. On
trouve une condamnation comparable de Craig Symonds dans Geoffrey Till, op.
cit., p.
28-29. Même s’il est vrai, ce jugement doit être accueilli avec
beaucoup de nuances, car au-delà de toutes les critiques que l’on
peut lui adresser, Mahan avait une vision historique d’une ampleur qui
surpassait de loin celle de ses concurrents et qui a fondé sa gloire. [17]
Amiral Castex
"La Russie et la mer", Revue
maritime, 1954. [18]
Lucien Poirier, Des stratégies nucléaires,
Hachette, 1977. [19]
Cette pensée du
XIXe siècle est restée à peu près totalement inconnue. Till passe
directement de Clerck à Colomb, comme si le siècle qui les sépare était
absolument vide. [20]
Cf. Donald
Schurman, The Education of a
Navy, The Development of British Naval Strategic
Thought 1867-1914,
The University of Chicago Press, 1965. [21]
Ces deux manières de poser le problème naval ont
été formulées par le capitaine de frégate Cellier dans une thèse de
l’École de guerre navale restée inédite, Les
idées stratégiques en France de 1870 à 1914. La jeune École,
1924. [22]
Cela apparaît très clairement dans un passage de
Daveluy, cité dans Hervé Coutau-Bégarie, "Réflexions sur l’école
française de stratégie navale", dans L’évolution
de la pensée navale, FEDN, 1991. [23]
Amiral Castex, Mélanges
stratégiques, Académie de Marine, 1976. [24]
Cf, à titre d’illustration, un essai inachevé
de Castex longtemps resté inédit, La
liaison des armes sur mer, Economica, 1991. [25]
Cf. Hervé Coutau-Bégarie, art.cit. [26]
Karl Polanyi et
Conrad Arensberg (eds), Les systèmes
économiques dans l’histoire et dans la théorie, Larousse, 1974 ;
livre fondamental à maints égards, trop peu connu. [27]
John Guilmartin, Gunpowder
or Galleys, Changing Technology and Mediterranean Warfare at Sea in the
Sixteenth Century, Cambridge University Press, 1974. [28]
Joseph Needham, La
tradition scientifique chinoise, Hermann, 1974, p. 171. [29]
La lecture des Lettres
et notes de l’amiral Darlan, Économica, 1991, montre à quel
point la lutte contre le commandement unique tournait à l’obsession.
Un phénomène semblable peut être observé aux États-Unis lors de la
création du
Department of Defense. [30]
Il est nécessaire de préciser ici une question de
terminologie. Le concept de stratégie a subi une extension progressive
au-delà de son sens initial étroitement militaire. Un tel élargissement
était sans aucun doute nécessaire pour bien marquer l’intégration
de la guerre dans un cadre politique (Clausewitz l’avait dit dans une
formule célèbre, qui a suscité quelques interprétations douteuses). Mais,
à force d’étendre le concept, on a fini par le dissoudre en
l’appliquant à n’importe
quoi. La confusion est telle que l’on en vient à parler de diplomatie
stratégique ou de stratégie diplomatique, ce qui est absurde. Il
faut rendre aux concepts leur sens : la diplomatie suggère la
persuasion alors que la stratégie suggère l’acte de force. [31]
C’est à l’amiral Zumwalt que l’on doit cette
classification, mais c’est l’amiral Turner qui l’a rendu célèbre
grâce à son article "Missions of the US Navy",
Naval War College Review, janvier-février 1974 [32]
Cf. infra l’article de l’amiral Sevaistre dans
ce numéro. [33]
Cf. Hervé Coutau-Bégarie, La puissance maritime,
op. cit., pp. 197-200 [34]
Edward Luttwak, The
Political Uses of Sea Power, Baltimore, John Hopkins University
Press, 1974 ; Ken Booth, Navies
and Foreign Policy, Londres, Croom Helm, 1976 ; James Cable, Diplomacy
at Sea, Annapolis, Naval Institute Press, 1985 ; James Cable, Navies
in Violent Peace, Annapolis, Naval Institute Press, 1990. [35]
Par parenthèse, le problème de la traduction du
concept de sea power a
souvent été posé. L’amiral Duval a ainsi contesté que le terme de
puissance rende compte d’une notion aussi polymorphe que celle de power.
Mais il s’agit là d’une difficulté assez fréquente, qui tient
à ce que Thomas Kuhn a appelé l"'incommensurabilité des
langues". Il n’y a pas "de distinction tranchée entre la
traduction et l’interprétation" et il n’est pas possible de
refuser la traduction sans devenir incompréhensible. Car la
contestation ne se limite pas à power,
mais surgit aussi pour control,
denial, command... sans parler d’ermattungstrategie/vernichtungstrategie.
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