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La stratégie navale de l'Espagne : grandeurs et limites d'une ambition Bernard Labatut
"Le dessein de mon fils n’estoit pas de rompre rien avec l’Espagnol, mais je voyois bien qu’il estoit impossible qu’il ne donnast là ou au roy de Portugal : car,
à veoir et ouyr ces gens, on diroit que la mer est à eux". Blaise
de Monluc, Commentaires.
Dans
un éditorial récent, Pierre Dabezies dénonçait le fait que la pensée
stratégique, en partie pétrifiée par le carcan bipolaire, avait stagné.[1]
Le poids de la dimension Est-Ouest a souvent escamoté l’analyse stratégique
en laissant de côté des pans entiers de celle-ci, jugés comme étant des
résidus de problématiques dépassées ou bien ne présentant qu’un intérêt
tout à fait secondaire par rapport à la dimension globale Est-Ouest. La
politique de défense de l’Espagne démocratique a fréquemment souffert
de ce type d’approche ces dernières années. A l’issue du référendum
de 1986 décidant du maintien de l’Espagne dans l’OTAN, ce pays pouvait
apparaître comme l’élève exemplaire de la classe occidentale. Cette décision
de rejoindre l’OTAN allait de pair avec la définition de priorités stratégiques
sur l’axe Baléares-Détroit-Canaries et la mise en œuvre de moyens opérationnels
significatifs, tels qu’un ensemble aéronaval flambant neuf composé du
porte-aéronefs Principe de Asturias et
de frégates d’escorte, dotées de moyens de détection sous-marine extrêmement
sophistiqués grâce au système héliporté "Lamps" et d’une
aviation embarquée elle aussi très moderne, en particulier grâce à la
deuxième génération d’avions à décollage vertical V/STOL Harrier. La
constitution de ce groupe aéronaval a une signification d’autant plus
forte pour la stratégie navale espagnole que la faiblesse des crédits de
la marine ne lui permet pas de disposer de plusieurs composantes
significatives et qu’il en constitue, et de loin, sa composante
essentielle. On pouvait donc déduire de ce dispositif que, malgré le
caractère atypique de la participation espagnole à l’OTAN - sa
non-participation à la structure militaire intégrée -, l’Espagne
fournissait une participation appréciable au dispositif de défense
occidentale, notamment dans le contrôle de voies de communication maritime
aussi décisives dans l’hypothèse d’un conflit Est-Ouest que le détroit
de Gibraltar. Et
pourtant, cette parfaite cohérence entre les axes de la politique de défense,
la doctrine stratégique et les moyens mis en œuvre est, si on la ramène
à la grille d’analyse Est-Ouest, quelque peu artificielle. Nous avons
montré, dans un précédent article paru dans cette revue,[2]
que les objectifs diplomatico-stratégiques poursuivis par l’Espagne sur
l’axe Baléares-Détroit-Canaries obéissaient à une logique propre qui
ne pouvait se ramener à la vision simplificatrice de la menace soviétique,
validant ainsi l’affirmation de Raymond Aron selon laquelle "la
règle la plus souvent valable pour la conduite à suivre dans une coalition
est celle de la concentration des forces sur le terrain où les intérêts
particuliers du pays sont les plus importants".[3] On
peut soulever le même type d’objection pour la stratégie navale
espagnole, qu’il serait bien téméraire de limiter à la logique
unidimensionnelle de la menace soviétique et de voir comme l’émanation
des grands choix de politique extérieure et de sécurité faits depuis la
transition démocratique. Il suffit de rappeler qu’après une adhésion précipitée
au traité de l’Atlantique Nord en 1981, ce n’est qu’après le référendum
de 1986 que la participation de l’Espagne dans l’OTAN apparaît définitivement
assurée. Or, comme l’exprimait Adolphe Thiers, "qui
dit marine dit suite, temps, volonté de toutes choses, celle qui se passe
le moins d’une forte volonté de la part du Gouvernement, d’une grande
suite dans la décision, c’est la Marine. De
fait, un système d’arme aussi complexe que le groupe aéronaval a exigé
de nombreuses années pour devenir réalité, ce qui met en exergue que la décision
de sa création, et donc la définition préalable d’une stratégie
navale, n’a pu être soumise à celle de l’entrée
de l’Espagne dans l’OTAN. La continuité de la stratégie navale
peut paraître encore plus étonnante si l’on considère que le changement
de régime politique en 1975 n’a impliqué pour celle-ci aucune
rupture dans son contenu, alors que les deux régimes politiques
- le régime franquiste
puis la monarchie constitutionnelle vont avoir, vis-à-vis de l’armée et
à l’égard de la politique extérieure et de la politique de défense,
des orientations tout à fait différentes. Cela
fait évidemment penser à une certaine "autonomie" de la marine ;
mais là encore le concept est à manier avec précaution car cette
autonomie doit être vue beaucoup plus comme la résultante de
circonstances extérieures, une marge de manœuvre laissée par deux régimes
politiques aussi différents pour des raisons très différentes, que comme
l’expression d’une volonté à motif idéologique ou corporatiste exprimée
par la marine. Sous
le franquisme, l’armée espagnole, sous-équipée, avait plutôt une
vocation territoriale, ce qui servait les intérêts stratégiques du régime
qui étaient avant tout de garantir la continuité du système et du pouvoir
en assurant la stabilité intérieure, le système de concession de bases
aux États-Unis étant considéré, depuis 1953, date de signature des
premiers accords bilatéraux avec ce pays, comme la façon de participer à
la défense alliée face à la menace soviétique. Cette
stratégie se retrouve exprimée dans le préambule de la première loi de
programmation militaire de 1965 qui affirmait nettement que la politique de
défense n’était pas une priorité,[4]
ce qui justifiait un effort financier très modéré. Dès 1971, le général
Manuel Gutierrez-Mellado, qui sera nommé après la transition vice-président
du gouvernement chargé des problèmes de défense par Adolfo Suarez
et qui aura en charge, à partir de 1977, la création du ministère de
la Défense, dénonçait en termes très durs les effets pervers de cette
loi qui plaçait les armées
dans une "situation d’extrême faiblesse", ne permettant ni de
poursuivre leur modernisation, ni même l’entretien des unités
existantes, la faiblesse des crédits entraînant
le saupoudrage et une lutte ouverte entre l’armée de Terre, Marine et
l’armée de l’Air pour leur répartition.[5] Comment
la marine espagnole a-t-elle pu alors, dans un contexte aussi défavorable
d’absence de volonté politique supérieure et de faiblesse des crédits
militaires, se doter d’une composante aéronavale embarquée ? Nous voyons
à cela deux éléments de réponse. C’est tout d’abord un choix déséquilibré
qui s’est opéré au sein de la marine, au détriment des autres
composantes ; c’est aussi une organisation de la Défense en trois ministères
militaires qui conduisit à laisser chaque état-major libre de ses choix en
matière d’armements. La situation a d’ailleurs peu duré puisque, dans
son numéro de septembre 1990, la Revista
Espanola de Defensa, publiée par le ministère de la Défense, se félicite
que, pour la première fois, dans sa réévaluation de 1990, le Plan stratégique
inter-armées ait pu être entièrement réalisé sous le contrôle étroit
des directions centrales du ministère de la Défense, contrairement à la
pratique qui prévalait jusque-là où les états-majors jouaient un rôle
prépondérant, ce qui aboutissait, notamment en matière d’armement, à
des choix faits par arme et non pas en fonction de priorités globales de la
politique de défense.[6] Analyser
la stratégie maritime espagnole, c’est avant tout comprendre la genèse
de la composante aéronavale, tant la constitution de celle-ci a eu un effet
de surdétermination sur la doctrine stratégique mise en œuvre. L’ESSOR
D’UNE AMBITION : LE TEMPS DES CORPORATISMES La
marine espagnole est la première des trois armées à avoir mis sur pied
une doctrine cohérente et une politique d’armement en accord avec les
objectifs qu’elle s’était fixés. Cette constatation s’appuie sur un
certain nombre de facteurs qui ont favorisé cette modernisation. D’une
part, compte tenu de l’importance, par leur dimension et par leur intérêt
stratégique, des espaces maritimes qui entourent l’Espagne (3 200 km de côtes,
90 % du commerce extérieur par voie maritime), la marine s’est vu conférer
une importance de premier plan même si elle n’a pas été reconnue de façon
formelle par le pouvoir politique du temps de Franco. Des
forces armées, c’est certainement la marine qui a eu le moins à souffrir
du repli sur soi et de l’isolement du régime franquiste. La modernisation
de sa mentalité a été favorisée par la nécessité de la mise à jour de
la formation des personnels face à des matériels toujours plus complexes.
Cette modernisation a été également avantagée par la nature même de
l’activité maritime qui entraîne le contact avec l’extérieur et la
coopération autant dans le domaine opérationnel que technologique, ce qui
a été le cas au plan bilatéral, notamment avec les États-Unis depuis
1953 et avec la France à partir de 1965, et au plan multilatéral avec
l’OTAN à compter des années 60. Enfin, si l’on tient compte du temps nécessaire
à la conception des matériels avant que ceux-ci deviennent opérationnels,
on doit reconnaître que très tôt dans la marine la programmation sur le
long terme est apparue comme une nécessité. A
partir de cela, on comprend que la marine espagnole ait pu disposer d’une
doctrine cohérente et d’une programmation de ses matériels qui lui ont
permis de développer une politique militaire propre, d’une remarquable
continuité. Le
programme naval : les
trois étapes d’une ambition Le
programme naval actuel a débuté en 1965 et s’est déroulé en
trois phases. La
première phase trouve son origine dans le Plan ou Programme de la marine de
1964, antérieur à la première loi de programmation financière inter-armées
qui ne fut adoptée qu’en 1965. On dit même que c’est le plan naval de
1964 qui fut à l’origine de la loi de programmation financière de 1965,[7]
la marine ayant poussé à l’adoption d’une telle loi lui permettant de
mener la programmation et la planification indispensables pour atteindre ses
objectifs. Ceci tendrait à montrer le rôle moteur qu’a eu la marine dans
la modernisation de l’appareil de défense espagnol. La
deuxième phase s’est amorcée en 1971 avec l’adoption du Plan
général de la marine (Plan
General de la Armada : Plangenar) qui
avait pour but de doter la marine des moyens nécessaires à la
poursuite de ses objectifs. Il s’agissait
de la création de deux noyaux opérationnels principaux : l’un de combat,
capable de couvrir et d’exploiter le domaine maritime dans les zones
d’intérêt stratégique, l’autre responsable de la protection du trafic
et des intérêts maritimes nationaux. Ce programme fut largement tronqué
à cause de la crise économique qui intervint après sa conception et
certains programmes prévus, tels que la construction de deux sous-marins de
type "Agosta", ne purent être achevés pendant la décennie 70. Dès
1974, jugé trop ambitieux, il fut revu à la baisse. L’adoption du décret-loi
5/77 qui fixait jusqu’à l’année 1982 les disponibilités financières
à l’usage des forces armées permit d’établir une nouvelle série de
commandes qui constituent la troisième phase du plan naval. Si l’on
excepte l’ordre de construction de la 4e frégate FFG donné en 1985, on
constate que de 1977 à 1989, aucune commande de grande unité ne sera
autorisée en Espagne. La
troisième tranche du plan naval, qui a commencé en 1977, représente un
programme ambitieux compte tenu des possibilités économiques de
l’Espagne. Ce programme comprend la construction du porte-aéronefs Principe
de Asturias et de 3 frégates FFG destinées à son escorte,
l’ensemble formant le "Groupe de combat" ; 2 nouveaux
sous-marins de type Agosta, une
deuxième série de 4 corvettes de type Descubierta,
10 patrouilleurs de
surveillance maritime, 5 nouveaux avions à décollage vertical Harrier,
5 hélicoptères Agusta Bell, 6
Sikorsky SH-3D
et 10 hélicoptères SH 60
Lamps destinés à la détection sous-marine. Ce programme prévoyait
aussi l’acquisition de missiles anti chars et antiaériens destinés à
l’infanterie de marine (Tercio de
Armada) et aux forces chargées d’assurer la protection des bases
navales.[8]
Il n’a été réalisé que très partiellement pour des raisons d’ordre
technique, économique et politique. La
première question qui se pose, indépendamment de la faisabilité d’un
tel programme sur les plans économique et industriel, est de savoir à
quelle doctrine d’emploi des forces se rattache la constitution d’un
outil aussi puissant et complexe. La réponse que l’on peut y donner fait
apparaître immédiatement que celle-ci ne se ramène pas à un simple choix
qui se fonderait sur un critère opérationnel et donc relevant de la sphère
militaire, mais qu’il s’agit en fait d’un véritable choix politique
qui sous-tend une stratégie, celle-ci n’étant que l’expression d’une
politique de défense clairement définie. Or,
première constatation, l’Espagne souffrait en 1977 d’une absence de définition
de sa politique de défense tout à fait compréhensible si l’on tient
compte que le nouveau pouvoir politique installé à Madrid se fixait comme
l’une des tâches essentielles la redéfinition de sa politique extérieure,
rendue possible par l’évolution démocratique, ce qui entraînait dans le
domaine de la sécurité une réévaluation de la politique d’alliances
qui a priori rejetait le modèle en vigueur depuis 1953 des accords bilatéraux
avec les États-Unis, modèle considéré comme étant à mettre au passif
du franquisme. D’autre
part, la formulation d’une politique de défense implique un dialogue
entre le pouvoir civil et les forces armées ; or, celui-ci était en 1977
certainement encore fragile et les multiples problèmes qui étaient à régler
laissaient la question des menaces extérieures, a fortiori dans la
dimension Est-Ouest dans laquelle s’inscrit le programme "Groupe de
combat", au rang des problèmes secondaires. Il
faut aussi rappeler qu’en 1977 un ministère de la Défense à peine
naissant laissait aux états-majors des trois armées une liberté
d’initiative quasi-absolue dans le domaine des achats d’armements. Tous
ces éléments permettent d’affirmer nettement que la décision de
construction des principales unités appelées à constituer le,
"Groupe de combat" fut une décision relevant exclusivement
de l’État-Major de la Marine. Mais, nous l’avons déjà dit, il
s’agit d’un véritable choix politique, la construction d’un tel système
d’armes ayant pour but de mettre en œuvre une stratégie bien déterminée.
D’autre part, étant donné la charge financière que suppose un tel
programme et compte tenu des moyens financiers limités dont dispose la
marine, un tel programme va conditionner toute la politique navale jusqu’à
aujourd’hui. Les
conceptions stratégiques de la marine : la
prédilection pour l’aéronavale embarquée Dès
le début des années 60, la marine exprime le souhait de se doter de
porte-avions. Il faut ici distinguer deux choses : l’expression publique
des conceptions stratégiques, nécessairement limitée en raison du désintérêt
affiché par le régime pour des questions qui ne constituaient pas pour lui
une priorité, et l’action énergique menée au sein de la marine pour se
doter d’une aéronavale. Dans
le vide du débat stratégique en Espagne dans les années 60, deux marins
émergent à des titres très différents : c’est l’amiral Luis Carrero
Blanco à qui la stature politique donnera davantage la possibilité de
s’exprimer ; il s’agit par ailleurs du contre-amiral Jesus Salgado Alba,
à l’époque officier supérieur, qui écrira de nombreux articles dans la
presse quotidienne et qui fonde la Revista
General de Marina. Au
sein de la marine, la cheville ouvrière de la création des forces aéronavales
est l’amiral Satumino Suanzes de la Hidalga, que l’on retrouve dès la
moitié des années 50 aux postes clefs dans les forces aéronavales et qui
sera chef d’Etat-Major de la Marine lors du lancement du Principe
de Asturias en 1982. S’il
est difficile à l’heure actuelle d’évaluer le rôle de l’amiral
Carrero Blanco au sein de la marine, on constate en revanche qu’il prend
très tôt publiquement position en faveur des porte-avions. Dans un
discours prononcé à l’Institut d'études politiques de Madrid en 1962,
il déclarait "... par un impératif
lié à l’évolution des armements, aucune des missions qui incombent à
la marine et qui sont des missions fondamentales dans n’importe quel type
de guerre pour toute Nation de condition maritime, ne peuvent être menées
à bien aujourd’hui si elle ne dispose pas d’une aviation embarquée et,
par conséquent, de porte-avions.
Une marine, pour modeste qu’elle soit, doit être au moins capable de
remplir sa mission anti-corsaires
: (c’est-à-dire
assurer la protection des approvisionnements maritimes, N.d.a) et pour cela
elle a besoin de porte-avions
légers".[9] L’argumentation
de l’amiral Carrero Blanco se fondait sur l’expérience de la seconde
guerre mondiale qui avait montré le rôle essentiel qu’avaient joué les
porte-avions, surtout dans la bataille du Pacifique, qui avaient relégué
les monstres cuirassés au rayon des antiquités. En
1964, exposant le programme naval, Carrero Blanco évoquait la nécessité
pour l’Espagne de se doter de deux porte-avions légers de 15 000 à 20
000 tonnes, destinés à assurer la protection antiaérienne
navale dans le cadre de la protection des voies de communication
maritime.[10]
Il est très important de signaler que, selon
les conceptions stratégiques
de Carrero Blanco, il ne s’agit pas de doter l’Espagne d’une force
navale destinée à mener des opérations offensives :
"... nous ne devons reconnaître
que nous ne pouvons même pas songer à disposer d’une force navale de
combat ou d’une force navale de destruction, pas davantage d’une force
sous-marine,
surtout d’une force sous-marine
stratégique. Le coût élevé des unités formant une telle force navale dépasse
totalement nos capacités économiques. ( .. ). Dans l’hypothèse d’une
guerre générale, ces forces seraient déployées par les grandes
puissances occidentales en quantité suffisante par rapport aux forces
ennemies et il n’est pas nécessaire que nous les complétions. Dans
l’hypothèse d’une guerre limitée, il est clair que ce type de force
navale est inutile".[11]
Dans
ce même texte, l’amiral Carrero Blanco considérait la nécessité pour
l’Espagne de se doter de ce qu’il appelait une force "anti-corsaires"
qu’il estimait particulièrement adaptée dans le cas d’une
guerre limitée. Ces
analyses appellent plusieurs observations. La première, c’est que depuis
le début des années 60 s’est opéré un glissement sémantique puisque
la force constituée à l’heure actuelle autour du porte-aéronefs
s’appelle force de combat, ce qui ne signifie pas que celle-ci ait une
capacité supérieure par rapport au format que souhaitait l’amiral
Carrero Blanco. Ceci traduit la continuité de la doctrine exposée par
celui-ci. Le "Groupe de combat" actuel a pour mission le contrôle
des voies de communication maritime au débouché océanique du détroit de
Gibraltar, ce qui le fait pleinement entrer
dans la catégorie que Carrero Blanco définissait comme "force
anti-corsaires" et qui sont les forces de protection du trafic
maritime. Or,
selon la terminologie espagnole, les forces de protection constituent
l’autre élément principal des forces navales. Il faut entendre celles-ci
comme étant des forces de protection des côtes et donc des espaces
maritimes jouxtant les espaces terrestres, tandis que le "Groupe de
combat" doit être en fait, lui aussi, considéré comme une force de
protection mais dont la finalité serait de protéger des espaces maritimes
beaucoup plus étendus, en l’occurrence l’espace délimité par le
triangle Canaries-Açores-Péninsule. Le
polymorphisme des conceptions stratégiques de la marine mérite
d’ailleurs d’être souligné. Car, dans les années 40, le même Luis
Carrero Blanco, s’inscrivant dans un courant de pensée ayant une vision
"impériale" de l’Espagne et qui présentait ce pays comme un État
archipel dont la péninsule ne serait qu’une île parmi d’autres,
tendait à considérer ce même espace maritime comme étant pratiquement
des "eaux intérieures" espagnoles, ce qui conduisait aux mêmes
objectifs sur le plan opérationnel : leur contrôle rigoureux par
l’Espagne. La
deuxième observation qui s’impose, c’est que pour assurer cette mission
de contrôle maritime, Carrero Blanco considérait nécessaire de disposer
de porte-avions légers, ce qui montre bien qu’il était favorable à ce
que l’Espagne se dotât de ce type d’unités. Donc, dès les années 60,
et surtout à partir du lancement du Programme naval de 1964,
l’acquisition de porte-avions par la marine espagnole est inscrite en
filigrane parmi ses projets à moyen terme. En
1967, l’Espagne acquiert le porte-hélicoptères Dedalo,
provenant des réserves de guerre américaines et datant de la seconde
guerre mondiale. Puis, avec la mise sur le marché de l’avion à décollage
vertical Harrier, le saut
qualitatif va s’opérer et la marine se dotera, avec semble-t-il l’appui
efficace de l’amiral Carrero Blanco, de plus en plus influent au sein du
gouvernement, d’avions à voilure fixe, et ce malgré une opposition très
forte de l’armée de l’Air. Ces avions seront achetés en 1973. Il
faut donc attendre le 29 juin 1977 - et donc le changement de régime
politique - pour que soit donné l’ordre de construction du "Groupe
de combat", 1 porte-aéronefs et 3 frégates FFG appelées à
constituer son escorte, ainsi qu’un deuxième groupe de 2 sous-marins du
type "Agosta".[12]
La décision qui fut prise à ce moment-là nous montre l’absolue
continuité du plan naval qui était appelé par Carrero Blanco le
"Deuxième programme naval du mouvement" et l’absence
d’intervention du pouvoir politique dans la prise d’une décision qui
impliquait, comme nous l’avons déjà dit, un véritable choix politique
étant donné la nature des matériels. On était encore loin
de l’entrée dans l’OTAN et, même à l’époque, la politique extérieure
d’Adolfo Suarez présentait certaines inclinations au neutralisme.
Par ailleurs, il est extrêmement difficile de savoir si cette décision
donna lieu à un débat interne au sein de la marine. Cette question mériterait
une recherche approfondie qui reste à faire. La
justification du "groupe de combat" Un
document publié par l’entreprise Bazan le jour du lancement du
porte-aéronefs, le 22 mai 1982, déclare à propos du groupe de
combat" : "Il a été
conçu par la marine comme la force navale la plus petite et nécessaire
pour exercer le contrôle relatif dans les
zones placées sous sa responsabilité stratégique dans les Mers baignant
l’Espagne. Ce "Groupe de combat", doté du porte-aéronefs
comme bâtiment de commandement, défendu et appuyé
par les indispensables destroyers et frégates, a été conçu par
conséquent pour assurer la protection de notre trafic maritime, la coopération
avec d’autres marines étrangères en vue de réaliser des actions
d’intérêt commun et toutes
autres missions d’attaque, d’appui ou de protection qui sont propres à
une force navale". Dans un deuxième paragraphe, il est dit que les
moyens dont est doté ce "Groupe de combat" permettront que
l’Espagne collabore et participe de façon substantielle à la défense de
l’Occident".[13] Ce
document résume les objectifs qui déterminèrent la marine à opter
pour le porte-avions. Il
s’agit pour elle de se doter d’une "capacité océanique". On
entend par là une capacité de contrôle de vastes espaces maritimes qui
vont largement au-delà des eaux placées sous la responsabilité
juridictionnelle de l’État car la composante aéronavale ne joue un rôle
indispensable qu’au-delà d’une certaine distance des côtes par-delà
laquelle l’appui de l’aviation basée à terre devient difficile. La
véritable question qui se pose est de savoir à quelle doctrine d’emploi
des forces correspond la nécessité pour l’Espagne de disposer d’une
aviation embarquée. Il faut pour cela se référer à la doctrine stratégique
développée par la marine, ultérieurement reprise par le pouvoir politique
sous la formulation de l’axe Baléares-Détroit-Canaries, ainsi que les
lignes d’action qui sous-tendent une telle formulation. La
formulation axe Baléares-Détroit-Canaries qui de prime abord donne
l’impression d’une délimitation linéaire du flanc Sud de l’Espagne
recouvre en fait un espace plus complexe puisqu’il s’agit d’une délimitation
qui sous-tend deux vastes espaces triangulaires, l’un en Méditerranée et
l’autre en Atlantique, se jouxtant par l’une de leur pointe dans le détroit
de Gibraltar. C’est dans l’espace océanique délimité par le triangle
Canaries-Açores-Détroit que le "Groupe de combat" trouve sa
justification d’emploi. La question se pose alors de savoir quels sont les
intérêts majeurs de l’Espagne qui sont ainsi protégés ; commence alors
la polémique quant au bien fondé et à l’utilité du "Groupe de
combat". Cette
polémique, si elle est réelle, n’a pas atteint le niveau de l’opinion
publique et s’est cantonnée jusqu’à maintenant dans les sphères du
pouvoir politique et au sein des forces armées, y compris à l’intérieur
de la marine. Les données du débat sont relativement simples. Partant du
postulat selon lequel les capacités de financement de la Défense sont
faibles en Espagne, il s’agit de savoir si la construction du "Groupe
de combat" était une acquisition prioritaire. La réponse est liée à
la fois à la conception plus ou moins extensive que l’on peut donner des
intérêts nationaux et de la priorité des menaces qu’il faut parer et,
partant de là, de la capacité que l’on a à se doter des moyens d’y
faire face. Pour
les détracteurs du "Groupe de combat", parmi lesquels on trouve
de nombreux marins, quoique dans une proportion extrêmement difficile à déterminer,
la volonté de développer une telle force répond à une vision de la
grandeur et à une conception de la marine qui ne correspond pas aux
possibilités économiques du pays et dont la réalisation ne peut être menée
à bien qu’au prix du sacrifice d’autres options estimées prioritaires.
il s’agit là d’un problème qui n’affecte pas seulement l’Espagne
et auquel se trouvent confrontés d’autres pays. Ainsi, en France
notamment, la tendance que l’on a pu observer dans la marine au cours des
dernières décennies est que la priorité donnée aux sous-marins nucléaires
(lance-missiles et d’attaque) s’est traduite par un abaissement sensible
de la flotte de surface qui souffre d’un vieillissement et d’une réduction
significative du nombre de ses unités.[14]
Mais en Espagne, ce
problème revêt une acuité encore plus grande dans la mesure où
l’on constate qu’aucun ordre de construction n’a été donné pour des
grandes
unités autres que celles constituant le "Groupe de combat" de
1977 à 1990. Or, précisément, la marine espagnole souffre du
vieillissement de beaucoup de ses bâtiments et de l’insuffisance en nombre
de ceux qui sont affectés à la surveillance des vastes espaces maritimes
qui entourent les territoires espagnols péninsulaire et archipélagiques. La
doctrine d’emploi du "Groupe de combat" obéit à des conceptions
stratégiques beaucoup plus ambitieuses puisqu’elle s’inscrit dans
la prise en charge par la marine espagnole de la sécurité d’une
partie de l’océan
Atlantique. Il s’agirait d’assurer la sécurité des approvisionnements
maritimes entre les États-Unis et le continent européen dans le cas d’un
affrontement généralisé en Europe entre l’Est et l’Ouest. On
remarquera que de telles conceptions stratégiques et
un tel concept d’emploi des forces s’inscrivent parfaitement dans la
stratégie américaine du sea control. Il
y aurait lieu de s’interroger sur les divers paramètres qui ont conduit
la marine espagnole à développer une telle doctrine. Les raisons
sont certainement diverses. Il faut, en premier lieu, évoquer la coopération
privilégiée dont a bénéficié la marine avec les États-Unis à partir
de la signature des accords bilatéraux de 1953 et qui aura inévitablement
influencé la formation intellectuelle de nombreux marins espagnols qui ont
suivi des stages de formation aux États-Unis, dans le sens d’une prédisposition
favorable à la réception des conceptions stratégiques américaines. Cette
seule constatation sous-tend
un aspect polémique puisqu’elle pourrait être un prétexte pour dénoncer
"l’hégémonie américaine"
; mais elle n’a pas été le seul fait du rôle et de l’action des États-Unis
: cette influence américaine omniprésente a été la conséquence de
l’attitude des autres pays occidentaux
à l’égard de l’Espagne qui, en 1964, eut pour conséquence de
tourner la marine espagnole encore davantage vers le partenaire américain :
le programme naval de 1964 était un programme
de reconstruction et l’un des objectifs déclarés de la Marine était
précisément de diversifier la coopération pour se dégager
du dialogue unilatéral avec les États-Unis. En 1965, la signature de
l’accord de coopération avec la France pour la construction de
sous-marins Daphné était la
concrétisation de cette politique. A la même époque, la marine espagnole
avait aussi cherché à négocier avec
la Grande-Bretagne en vue de la construction sous licence de frégates
du type Leander. Mais à peine
les négociations furent-elles engagées avec le gouvernement britannique
que l’opposition travailliste dirigée par Harold Wilson s’opposa à une
telle négociation, invoquant la nature autoritaire du régime franquiste.[15]
Les négociations furent immédiatement rompues par la partie espagnole qui
se tourna vers les États-Unis. La coopération qui s’engagea fut à
l’origine de la construction sous licence en Espagne des frégates DEG de
la classe Baléares dérivé du type Knox. On ne peut douter
que ces événements, au-delà de la simple question de la fourniture de matériels,
conduisirent à aligner encore davantage la doctrine de la marine espagnole
sur celle des États-Unis. Mais expliquer l’existence du "Groupe de
combat" par l’alignement inconditionnel de la marine espagnole sur la
stratégie américaine peut paraître une interprétation excessivement réductrice
de la question qu’il est vrai certains ... militaires espagnols n’hésitent
pas à adopter, ce qui tendrait à montrer la virulence des rivalités
interarmées en Espagne. Pour
comprendre les motivations qui ont poussé la marine espagnole à se doter
du "Groupe de combat", on ne peut pas ne pas y voir la
manifestation de sentiments "nationalistes", d’une certaine
vision de la "grandeur" de l’Espagne, idées qui viennent
s’opposer totalement à l’idée développée par certains secteurs qui,
en dénonçant l’alignement de la marine sur la doctrine américaine, ne
sont pas loin de penser que celle-ci a été mue par des préoccupations
corporatistes faisant fi de l’intérêt national. Pour comprendre
l’argument que nous avançons, il faut faire référence à la situation
de marginalisation dans laquelle se trouvait l’Espagne par rapport au
dispositif de sécurité occidental dans les années 60. Il faut notamment
prendre en compte le découpage des zones maritimes OTAN qui a créé un véritable
sentiment de frustration dans la marine espagnole. Il a toujours été très
difficilement admis que le contrôle du détroit de Gibraltar soit placé
sous responsabilité britannique et que la zone Iberlant barre le débouché
océanique de l’Espagne en donnant la prépotence du moins formelle au
Portugal, voisin et rival ancestral de l’Espagne sur les routes maritimes.
Ces frustrations expliquent certainement la volonté, jugée excessive, des
marins espagnols au cours des négociations avec l’OTAN en 1982 de se voir
attribuer une zone placée sous responsabilité espagnole. On peut penser
que le "Groupe de combat" a été conçu comme l’outil privilégié
destiné à prendre en charge "de facto" le contrôle de la zone délimitée
par le triangle Canaries-Açores-Détroit, ce qui était une manière de
contester la prééminence virtuelle qui était laissée au Portugal selon
le découpage des zones OTAN, ce pays ne disposant pas des ressources nécessaires
à la mise sur pied d’une telle force. Pour
comprendre les conceptions de la marine espagnole, il faut aussi puiser aux
racines historiques de l’État espagnol. De ce point
de vue, il faut considérer que la dimension océanique a présenté
l’une des dimensions essentielles de l’Espagne et cette dimension ne
peut être escamotée aujourd’hui en raison des liens qui unissent
Madrid à l’Amérique
hispanique. Ceci permet d’expliquer certainement pourquoi le dispositif
occidental qui a été perçu comme encerclant l’Espagne a été ressenti
comme un risque de voir ce pays enfermé dans sa dimension méditerranéenne,
ce qui conduisait à renier toute une partie de l’héritage historique qui
avait fortement
contribué à la grandeur de l’Espagne. Les détracteurs de l’option
du "Groupe de combat" au sein de la marine paraissent faire prévaloir
cette lecture puisqu’ils qualifient les tenants du "Groupe de
combat" de partisans de la "marine impériale". Il
y a donc eu convergence entre la prise en compte de l’un des éléments
essentiels de l’identité nationale et de sa projection internationale qui
est la dimension océanique et des théories prédominantes en matière de
stratégie navale développées aux États-Unis et dont le grand
inspirateur fut l’amiral Mahan. A sans aucun doute également joué un
profond sentiment de frustration, qui n’a d’ailleurs pas caractérisé
uniquement la marine, à l’égard de l’attitude adoptée
par les Alliés à la fin
de la seconde guerre mondiale et jugée discriminatoire, vis-à-vis des deux
pays de la péninsule ibérique : l’Espagne et le Portugal. En effet, en dépit
de son régime autoritaire, le Portugal de Salazar a été intégré dans la
défense occidentale dès l’origine, puisqu’il fait partie des membres
fondateurs de l’Alliance Atlantique,
tandis que l’Espagne de Franco a été rejetée pour nonconformité
de ses institutions au système démocratique occidental. Le Portugal a
ainsi été favorisé au détriment de l’Espagne dans un domaine, la maîtrise
des voies de communication maritime, où l’un et
l’autre pays ont joué
au cours de l’histoire un rôle de premier plan. Ces circonstances ont
conduit à ressusciter une vieille rivalité entre les deux pays qui a poussé
très probablement l’Espagne, ou tout au moins la marine espagnole, à
engager une politique destinée à remettre en cause une situation jugée
attentatoire aux intérêts nationaux. Parmi
les raisons qui permettent d’expliquer le choix de la marine en faveur du
"Groupe de combat", il faut aussi évoquer des éléments qui
n’ont rien à voir avec des considérations stratégiques
et qui sont d’ordre
beaucoup plus prosaïque. Il est d’usage en Espagne de donner comme élément
d’explication les rivalités inter-armées qui ont été fortement accentuées
par la représentation des forces
armées par trois ministères militaires et l’absence d’une
structure de coordination centrale forte. Cette situation a suscité
d’importantes tendances corporatistes. Ainsi, l’armée de l’Air aurait
prétendu, dans les années 60, s’arroger le monopole de l’aviation et
empêcher la marine de se doter d’une composante aérienne. Selon certaines
informations, il semblerait même qu’à cette époque l’armée de
Terre, chargée de la défense anti aérienne, soit allée jusqu’à menacer
la marine de détruire ses avions si ceux-ci survolaient le territoire
national.[16]
La reconstitution d’une composante aéronavale qui avait cessé
d’exister en 1939 est d’abord passée par l’acquisition d’hélicoptères,
mais le saut qualitatif que représentait l’acquisition d’appareils à
voilure fixe n’a pu s’effectuer qu’après que la marine se fût dotée
d’une plate-forme mobile, ce qui fut chose faite en 1967 par la cession,
par les États-Unis, d’un porte-avions datant de la seconde guerre
mondiale, le Dedalo, qui initialement devait servir de porte-hélicoptères.
Ce n’est qu’en 1973 que fut prise la décision d’achat des premiers
avions à décollage vertical d’origine britannique, V/STOI Harrier,
livrés à la marine en 1976.[17]
Puis, c’est à cette date que fut prise la décision de remplacer le vieux
porte-aéronefs Dedalo et
d’acquérir un nouveau lot d’avions à décollage vertical Harrier.[18] Aujourd’hui
que l’Espagne possède un ministère de la Défense qui ne cesse
d’affermir son emprise, on peut penser que les corporatismes des trois armées
iront en s’estompant, ou du moins
perdront de leur virulence. Aucun scénario plausible n’imagine à
l’heure actuelle que puisse intervenir sur un théâtre d’opérations
l’une des trois armées sans la collaboration des deux autres. Mais cela
ne signifie pas pour autant que l’existence du "Groupe de
combat" trouvera une légitimation a posteriori. LES
LIMITES D’UNE AMBITION : LA NOUVELLE DONNE DE L’ESPAGNE DÉMOCRATIQUE De
façon paradoxale, c’est au moment où la stratégie maritime définie se
traduit par un degré élevé d’efficacité opérationnelle, c’est-à-dire
au milieu des années 80, que l’environnement politique est profondément
modifié et est à même de donner un coup d’arrêt à la politique de
grandeur de la marine. En 1990, nous sommes à des années lumière du début
des années 80 où certains marins osaient encore affirmer qu’il était nécessaire
pour la marine de posséder un deuxième "Groupe de combat". Il
est bien clair que la composante aéronavale de la marine espagnole a
atteint son apogée. La présence d’un ministère de la Défense fort a
conduit à placer sous le contrôle du gouvernement les procédures de prise
de décision en matière de Défense. La
décision de rester dans l’OTAN, prise par les socialistes, s’est
accompagnée du maintien à l’écart de la structure militaire, ce qui,
d’une certaine manière, a définitivement fait disparaître dans la
marine le rêve longtemps caressé de posséder un grand commandement OTAN
dans la région du détroit de Gibraltar et a limité l’argument de
vouloir "coller" toujours plus à la stratégie de l’Alliance. Depuis,
les bouleversements survenus à l’Est et la nouvelle collaboration entre
les deux Supers Grands que mettent en évidence les événements
internationaux, font que le danger immédiat de la menace soviétique
n’est plus ce qu’il était, ce qui a amené de nombreux pays à revoir
leurs programmes d’armement à la baisse. De plus, les socialistes
espagnols ont toujours mis l’accent sur les menaces venant du Sud et sur
la Méditerranée, préoccupations qui sont aujourd’hui confortées par
les événements intervenus dans la région ces dernières années et par
l’aboutissement d’initiatives diplomatiques telles que la création
d’une structure permanente de coopération en Méditerranée occidentale
et le projet de conférence sur la sécurité et la coopération de la Méditerranée
(CSCM). Nous sommes loin des ambitions océaniques. Il
semblerait d’ailleurs que le gouvernement trouve dans la marine elle-même
des alliés objectifs en la personne des détracteurs du "Groupe de
combat", qui considèrent que celui-ci a eu des effets pervers. Son coût
a bloqué la construction de grandes unités qui seraient une nécessité
compte tenu du vieillissement d’une bonne partie de la flotte. Le
"Groupe de combat" aurait d’autant moins les faveurs d’une
bonne partie de la marine que la raréfaction des grandes unités a eu pour
conséquence de bloquer les possibilités pour nombre d’officiers supérieurs
de prendre des commandements à la mer, ce qui ne manque pas de peser sur le
déroulement des carrières. Pour remédier à cette situation, une
disposition récente a d’ailleurs admis le principe d’équivalence pour
un certain nombre de commandements à terre. Trois
éléments récents viennent s’ajouter pour montrer que le temps des
grandes ambitions est révolu. La
diminution du budget de la Défense 1991 par rapport à l’année 1990
s’inscrit dans la ligne de l’effort de réduction des dépenses
publiques afin de lutter contre l’inflation et le déficit extérieur qui
menacent la croissance de l’économie espagnole. Or, la crise du Golfe et
l’augmentation du prix du pétrole vont rendre le problème encore plus préoccupant.
La réévaluation périodique du Plan stratégique inter-armées (Plan
Estrategico Conjunto :
PEC) de 1990 pourrait tenir compte elle aussi du climat de détente,
pour réviser à la baisse les objectifs de force. Dans
le Plan de constructions navales présenté en ce début d’année (Plan
Alta Mar), il n’est plus question d’un deuxième "Groupe de
combat" ; mais la marine a enfin obtenu un plan de renouvellement de
ses grandes unités qui vieillissaient dangereusement. Ainsi, l’urgence a
conduit le gouvernement à autoriser, en décembre 1989, la construction de
deux nouvelles frégates FFG ; toutefois leurs capacités de détection
sous-marine seront sensiblement réduites puisque, contrairement aux précédentes,
elles ne disposeront pas du système héliporté de détection SH Lamps. Par
la suite, toujours selon le Plan Alta
Mar, avant la fin de la décennie 4 autres frégates devraient être
construites, mais cette fois-ci sur un modèle espagnol, l’Espagne s’étant
retirée du projet OTAN de frégate NFR 90, ceci afin de pouvoir maintenir
un effectif de 15 frégates, ce type de bâtiment devenant le fer de lance
de la politique navale espagnole. Dans ce plan apparaît toujours la préoccupation
pour la préservation et le développement de l’industrie nationale, un
souci majeur pour tous les gouvernements espagnols depuis la transition et
d’ailleurs un des grands reproches qui a été fait au "Groupe de
combat" d’être un grand consommateur de technologies étrangères. L’Espagne
est
entrée aujourd’hui dans un processus de normalisation. Normalisation
interne qui a conduit le pouvoir politique à asseoir contrôle et sa maîtrise
des décisions en matière de
politique militaire et donc
à limiter les risques de dérapages majeurs liés à des visions
excessivement corporatistes. Normalisation
externe en montrant qu’elle avait un rôle à jouer la scène diplomatique
en participant activement aux décisions internationales. En envoyant des bâtiments
dans le Golfe en application
de l’embargo décidé par la communauté internationale contre
l’Irak, l’Espagne veut montrer sa capacité à avoir une diplomatie
forte s’appuyant sur les résolutions de l’ONU au nom du maintien de
la paix et sur la solidarité européenne qui s’est exprimée par les
décisions prises dans le cadre de l’UEO. En
tout cas, le temps de la tentation pour une politique de grandeur de la
marine, destinée à compenser l’infériorisation de l’Espagne
sur la scène internationale parait bien révolu. [1]
Lettre de la Fondation pour les
études de défense nationale, n° 1, 3e trimestre 1990. [2]
Bernard Labatut, "Le détroit
de Gibraltar, nœud gordien de la stratégie espagnole", Stratégique,
n° 33, 1er trimestre 1987. [3]
Raymond Aron, Paix
et guerre entre les Nations, Calmann-Lévy, 1984, p. 55. [4]
Ce texte stipule en effet :
"L’actuelle conjoncture conseille de réduire la proportion des dépenses
publiques qui, dans la majorité des pays, sont dédiées à La Défense,
les réduisant à un minimum et permettant ainsi d'appliquer un plus
grand effort à d’autres
secteurs nationaux, dont le développement et le progrès immédiat sont
considérés vitaux pour la Nation". [5]
Manuel Gutierrez Mellado : Proyecto
de potenciacion de las Fuerzas Armadas, Madrid, 7e cours
monographique, Centro Superior de Estudios de la Defensa Nacional
(Ceseden), 1971. [6]
Alfredo Florensa : "Nuevo
Plan Estrategico Conjunto", Revista
espanola de Defensa, n° 31, septembre 1990, pp. 12-13. [7]
Fernando de Bordeje, Espana,
poder matitimo y estrategia naval, Madrid, Editorial naval, 1982, p.
158 et s. [8]
"Programa naval, segunda
fase", Boletin de Informacion para las FAS, n° 9 novembre
1980, p. 13. [9]
Luis Carrero Blanco, La
nueva estrategia y las nuevas armas navales, conférence donnée à
l’Institut d’études politiques de Madrid le 12 juin 1962, Revista
general de Marina, juillet 1962, p. 24. [10]
Luis Carrero Blanco,
"Politica naval", Revista
General de Marina, novembre 1964, p. 499. [11]
Idem, p. 490. [12]
Voir sur ce point Manuel Rarnirez
Gabarrus, La construccion naval militar espanola : 1730-1980,
Madrid, ed. E.N. Bazan, 1980, p. 225 et s. [13]
Porta aeronaves de la Armada
espanola Principe des Asturias, publication de l’E.N. Bazan, El
Ferrol del Caudillo, 22 mai 1982. [14]
Il suffit de consulter les éditions
successives des Flottes de combat
pour
mesurer l’ampleur du phénomène. [15]
Manuel Ramirez Gabarrus, op.
cit., p. 191 et s. [16]
Il s’agissait d’avions légers
d’entraînement du type "Piper" qui, achetés par la marine
en 1964, n’obtinrent une immatriculation, et donc l’autorisation de
voler, qu’en 1977. Une référence très vague à ce thème est faite
par Enrique Bellmont Casas, "La aeronautica naval y el arma
aerea", Revista General de Marina,
juillet 1979, p. 8. [17]
Jorge Garcia Parreno, Las
armas navales espanolas, Madrid, E.N. Bazan, 1982, p. 289. [18]
Pour un historique de l’aéronautique
navale en Espagne, on consultera utilement : Manuel Ramirez Gabarrus et
J.M. Ramirez Galvan, La
aeronautica en la Armada
(1917-1987), Madrid, E.N. Bazan, 1987, 332 p.
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