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Risques et tensions en Mer Rouge Henri Labrousse
La
mer Rouge, mer semi-fermée, reliée à la haute mer de l’océan Indien
par un détroit servant à la navigation internationale, est, naturellement,
le prolongement du canal de Suez, de Port-Saïd au Bab-El-Mandeb. L’extension
à 12 milles marins des eaux territoriales et la création de la zone économique
maritime de 200 milles marins ont complètement transformé sa physionomie.
Sa largeur maximum de 230 milles marins ne permet pas aux États riverains
d’étendre leur souveraineté jusqu’à la limite de la zone économique
maritime prévue par la nouvelle convention sur le Droit de la mer. Aussi
s’estiment-ils "géographiquement désavantagés". En
outre, le trafic maritime, qui est celui du canal de Suez, risque d’être
perturbé par des catastrophes dues à la densité du trafic (abordages, échouages,
pollution, etc.). La seule issue vers la mer libre, le Bab-El-Mandeb,
favorise les situations de blocus. La
convention sur le droit de la mer s’est contentée, pour ce qui concerne
les mers fermées et semi-fermées, de suggérer aux riverains de coordonner
la gestion, la conservation, l’exploration et l’exploitation des
ressources biologiques de la mer, de préserver le milieu marin, de lutter
contre la pollution, et d’entreprendre des programmes communs de
recherches. Elle recommande aux États riverains d’aborder d’une manière
raisonnable les délicats problèmes de délimitation des eaux
territoriales, des zones économiques maritimes et des plateaux continentaux
qui sont des sources très dangereuses de tensions et de conflits. Enfin,
elle a défini une zone de séparation de trafic dans le Bab-El-Mandeb. En
étendant en mer les chicanes des frontières terrestres, l’ONU a créé
une nouvelle instabilité dans les relations entre les États. En outre,
elle a complètement négligé les intérêts des "pays enclavés et géographiquement
désavantagés au profit de ceux qui disposent de longues étendues de côtes,
d’archipels et de vastes zones économiques maritimes". Le clivage
habituel entre "pays industrialisés" et "pays en voie de développement"
n’a pas joué. Seuls les intérêts nationaux ont prévalu, et malgré les
combats d’arrière-garde de la République arabe du Yémen (Sanaa) et de
la République démocratique et populaire du Sud-Yémen (Aden) pour acquérir
des avantages statutaires en essayant de bloquer le régime international du
Bab-El-Mandeb, les pays riverains de la mer Rouge n’ont rien obtenu. Les débats
sur les mers fermées et semi-fermées ont été complètement escamotés.
Au fil des ans, ces pays ont établi une coopération régionale pour lutter
contre la pollution[1]
tandis que l’Arabie Saoudite et le Soudan signaient un accord-cadre, le 16
mai 1974, pour l’exploitation en commun des boues métalliques et des dépôts
de minéraux dans la partie centrale de la mer Rouge, en face de leurs côtes.
Dans le Bab-El-Mandeb, un plan d’urgence de lutte contre la pollution par
hydrocarbures fut préparé, en mars 1990, par Djibouti, la Somalie et le
Sud-Yémen. LES
TENSIONS RÉGIONALES Cette
redistribution des espaces maritimes en mer Rouge a eu pour résultat de
donner naissance à de nouvelles tensions régionales qui demandent à être
surveillées car elles risquent d’affecter le trafic maritime mondial qui
utilise le canal de Suez. Le
golfe d’Akaba et le détroit de Tiran Dans
le Nord, le golfe d’Akaba est bordé par quatre pays riverains : l’Égypte,
la Jordanie, l’Arabie Saoudite, et Israël. Son statut légal a donné
lieu à de longues discussions et, malgré l’opposition des pays arabes
qui voulaient qu’il soit considéré comme une "baie
historique", il est assimilé maintenant à des "eaux
internationales" auxquelles on accède par un détroit, celui de Tiran,
doté lui aussi du statut international. Ces définitions, et la libre
circulation des navires israéliens dans le canal de Suez, a donné à
Eilath une importance nouvelle accrue par l’oléoduc Eilath-Haïffa,
alimenté par le pétrole iranien. Cependant,
tout cet ensemble reflète la fragilité des situations liées au problème
palestinien et à la tension israélo-arabe. Les
guerres civiles au Soudan et en Érythrée La
guerre civile au Soudan, dans les provinces continentales du Sud, ne
concerne pas directement la mer Rouge. Cependant, il n’est pas impossible
que l’Égypte intervienne dans le Nord, aidée par certains militaires réfugiés
politiques au Caire, si l’État soudanais s’effondre. L’anarchie
qui règne dans le pays favorise la contrebande d’armes entre le Soudan et
l’Érythrée le long de la frontière entre Kassala et la mer. La prise de
Massawa par les séparatistes érythréens permet l’acheminement par mer
de chargements importants qui renforcent la capacité opérationnelle des Érythréens
en lutte, depuis vingt-cinq ans, contre l’autorité d’Addis Abbeba.
C’est cette rébellion qui risque de modifier l’accès à la mer de l’Éthiopie,
3 pays de 35 millions d’habitants. Massawa
a toujours été le port de l’Érythrée, du Tigré, et, dans une moindre
mesure, celui de la province de Gondar. Son importance économique pour le
reste de l’Éthiopie est faible. C’est par Assab et Djibouti que
s’effectuent la plupart des mouvements de marchandises du pays, en
particulier ses exportations de café. Massawa
servait aussi de base pour les forces navales éthiopiennes et abritait
leurs infrastructures. Assab ne possède qu’un embryon de point d’appui
pour des escales de courte durée.[2] L’évacuation
de Massawa a démantelé la marine éthiopienne qui a perdu sa base, ses écoles,
et toutes ses installations. Réfugiée en partie à Assab, elle ne joue
qu’un rôle secondaire dans cette guerre civile sans fin. Comment
conserver un accès à la mer à l’Éthiopie si l’Érythrée devient indépendante,
ou si elle se lie à l’Éthiopie par des liens fédératifs dont la nature
reste à définir ? Toute limitation à l’accès à la mer de ce pays de
35 millions d’habitants le conduirait à exercer des pressions de plus en
plus fortes sur la République de Djibouti. La
seule solution acceptable serait celle d’une partition de l’Érythrée
indépendante qui cèderait à l’Éthiopie le port d’Assab et une zone
suffisamment étendue, au nord de ce port, pour éviter de créer un
"couloir", formule qui s’est toujours révélée particulièrement
néfaste et génératrice de conflits. Mais où placer cette nouvelle frontière
terrestre sans léser les populations afars qui occupent le littoral et
l’arrière-pays d’Assab à Massawa ? Elle
pourrait commencer à Barassoli, sur la côte, pour les raisons suivantes : -
A partir d’Assab, et jusqu’à Barassoli, les tribus afars, sans former
un groupe parfaitement homogène, dépendent plus ou moins du Sultanat
traditionnel de Raheita, et de celui de Tadjourah, à l’exception d’un
petit groupe à Beilul, qui relève du sultanat de l’Aoussa. -
Au nord de Barassoli et jusqu’à Massawa les tribus afars, plus ou moins
soudées, sont sous l’autorité d’un certain nombre de "grands
chefs" indépendants qui ne reconnaissent pas l’autorité des
sultanats traditionnels de Raheita, de Tadjourah, et de l’Aoussa. Les
Afars, dispersés dans la République de Djibouti, dans l’Éthiopie, et
peut-être un jour dans une Érythrée indépendante, ne seraient pas
favorisés par ce projet, mais on ne voit pas comment sauvegarder autrement
l’accès à la mer de l’Éthiopie qui est un élément essentiel du
retour de la paix dans ces régions. Pour
l’instant, les séparatistes érythréens tiennent fermement Massawa et
viennent d’autoriser l’accès au port, après l’avoir refusé pendant
des mois, d’un navire sous pavillon de l’ONU chargé de nourriture pour
les populations affamées du nord de l’Érythrée et de l’Éthiopie. Ils
ont ainsi acquis une reconnaissance quasi-officielle déjà amorcée par les
pourparlers de paix engagés entre les deux parties sous l’égide de
Washington. L’affaire
des îles Hanish Les
îles du sud de la mer Rouge ont été, depuis près d’un siècle, des
sources de différends et de frictions entre les pays riverains qui
n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur leurs souverainetés
respectives. Il faut noter que ces îles, placées à proximité du détroit
de Bab-El-Mandeb, jouent un rôle stratégique important. Elles
peuvent être classées en deux catégories : -
d’une part les Zubair ; -
d’autre part les Hanish et les Mohabbakah. Cette
situation était la conséquence du démembrement de l’Empire Ottoman par
le traité de Lausanne du 24 juillet 1923. Son article 16 était ainsi rédigé :
"La
Turquie déclare renoncer à tous droits et titres, de quelque nature que ce
soit, sur ou concernant les territoires situés au-delà
des frontières prévues par le présent traité, et sur les îles autres
que celles sur lesquelles la souveraineté lui est reconnue par ledit traité,
le sort de ces territoires et îles étant réglé, ou à régler, par les
intéressés". Cet
article avait été rendu nécessaire car les négociateurs n’avaient pu
s’entendre sur la nationalité à attribuer aux îles Zubair, Hanish et
Mohabbakah qui étaient réclamées par l'Italie - présente en mer Rouge
par sa colonie de l’Érythrée, par la Grande-Bretagne et par le Yémen du
Nord, rendu indépendant par le traité de Lausanne. La Grande-Bretagne pour
laquelle la protection de la route des Indes était prioritaire s’opposait
fermement à la cession de ces îles à l’Italie. Quant au Yémen du Nord,
il se posait comme successeur légitime de l’Empire Ottoman. Ces
îles étaient donc sans nationalité, et cette situation a duré près de
soixante dix ans jusqu’à la signature par les pays riverains de la mer
Rouge de la nouvelle convention sur le droit de la mer, en 1981. La zone économique
maritime de 200 milles marins n’a pu, comme nous l’avons vu, être étendue
en mer Rouge jusqu’aux limites fixées, et il a été nécessaire de
tracer une ligne médiane provisoire en attendant l’ouverture de négociations
entre les pays se faisant face pour parvenir à un partage équitable des
richesses marines et sous-marines. Les
Zubair sont maintenant dans la zone économique maritime de la République
Arabe du Yémen (Sanaa), et les Mohabbakah dans celle de l’Éthiopie,
tandis que la ligne médiane partage l’archipel des Hanish entre l’Éthiopie
et le Yémen du Nord. Il faut donc que ces deux pays ouvrent des négociations
à partir de cette ligne médiane, pour parvenir à une ligne équitable,
après avoir fait l’inventaire des richesses potentielles sous-marines, en
particulier des hydrocarbures, autour des îles. Les prospections sont en
cours. Après
avoir donné son accord de principe à l’ouverture de négociations, l’Éthiopie,
qui soupçonne les pays arabes de la mer Rouge d’aider les séparatistes
érythréens, se montre réservée et aucun progrès n’est en vue.
D’autre part, les pays arabes de la mer Rouge, et en particulier la
nouvelle République du Yémen, ne cherchent pas à améliorer leurs
relations avec le gouvernement du Colonel Mengistu dont l’avenir leur
apparaît compromis. Israël
s’est longtemps intéressé aux Zubair et aux Hanish tout en apportant, épisodiquement,
un soutien à l’Éthiopie pour éviter que la mer Rouge ne devienne un lac
totalement arabe si l’indépendance était accordée à l’Érythrée. A
la suite de l’attaque, en 1971, d’un pétrolier libérien affrêté en
navette entre l’Iran et Eilath pour alimenter l’oléoduc, l’état-major
israélien avait mis sur pied un schéma d’intervention dans le sud de la
mer Rouge qui utilisait les Zubair et les Hanish comme relais de
transmissions et point de ravitaillement pour vedettes rapides.[3]
Addis Abbeba n’avait pas autorisé les forces navales israéliennes à se
servir d’Assab comme base. Pendant
le conflit israélo-arabe d’octobre 1973, la République démocratique et
populaire du Sud-Yémen (Aden) annonça un blocus du détroit de
Bab-El-Mandeb à l’égard des navires battant pavillon israélien, ou affrêtés
par des compagnies israéliennes, ou à destination d’Israël, et déclara
zone de guerre toute la zone du détroit.[4]
Il fut également souligné au sommet arabe de Rabat en octobre 1974 que
l’Égypte avait conclu un accord avec le Yémen du Sud pour louer l’île
de Périm, et pour y installer une base navale destinée à fermer la mer
Rouge au trafic destiné au port israélien d’Eilath. Cette nouvelle fut
ensuite démentie par Aden.[5] Il
est certain qu’un blocus sélectif à distance à partir du Bab-ElMandeb
poserait de sérieux problèmes à Israël. Il serait cependant difficile à
appliquer car les eaux territoriales qui recouvrent le détroit
permettraient un passage tout à fait légal à travers celles de la République
de Djibouti et de l’Éthiopie sans emprunter celles de la République
unifiée du Yémen. Tant
que les négociations entre l’Éthiopie et la République du Yémen à
partir de la ligne médiane de la mer Rouge ne seront pas engagées, les îles
Hanish resteront un sujet litigieux générateur de tension. L’Asir,
la "province perdue" Les
relations entre le Yémen du Nord, unifié maintenant avec celui du Sud, et
l’Arabie Saoudite n’ont jamais été bonnes et ont toujours été partagées
entre la méfiance et l’hostilité. Leur rivalité remonte à la première
guerre mondiale lorsque l’imam du Yémen Yahya allié des Turcs était en
concurrence avec le Seiyid de l’Asir, Idrisi, soutenu par les Britanniques
et par Husein, le Chérif de La Mecque. A la mort d’Idrisi, en 1922,
l’Arabie Saoudite annexa l’Asir, ce qui provoqua, en 1932, une guerre
ouverte avec le Yémen. Les Saoudiens, aidés par les Britanniques,
envahirent la plaine côtière yéménite de la Tihama et occupèrent
Hoddeidah. En mai 1934, l’imam du Yémen, battu, signa avec Ibn Saoud le
traité de Taif qui incorporait officiellement l’Asir à l’Arabie
Saoudite. Depuis, l’Asir est considéré par les yéménites comme la
"province perdue" qu’il faudra, un jour, arracher à Ryadh. Le
rapprochement que l’on souligne aujourd’hui entre le Yémen et l’Irak
a toujours été l’un des éléments essentiels de la politique arabe du Yémen
qui cherchait un allié pour équilibrer l’influence de son puissant
voisin. Bagdad et Sanaa ont toujours entretenu d’excellentes relations et
la crise du golfe les fait apparaître au grand jour.
La réaction de l’Arabie Saoudite qui, en représailles, a expulsé de
son territoire des centaines de milliers de yéménites aggrave encore la
situation qui frise l’hostilité. La
République du Yémen occupe dans le sud de la mer Rouge une position
importante. Elle contrôle une grande partie du détroit de Bab-El-Mandeb,
porte sud du canal de Suez, grâce à l’île de Périm qui abrite des
batteries de missiles sol-mer, et elle peut ainsi menacer le trafic
maritime, ou évoquer l’arme du blocus sélectif. Le problème est un peu
analogue à celui du détroit d’Ormuz avec les missiles iraniens, lors de
la guerre Iran-Irak. Sans
être dramatique cette tension plus ou moins feutrée entre l’Arabie
Saoudite et le Yémen, sur les bords d’une mer parmi les plus fréquentées
du monde, n’est pas souhaitable. L’unification
des deux Yémen Annoncée
à grand renfort de publicité, cette unification se fait cahin-caha, depuis
mai 1990, malgré les turbulentes tribus du Nord qui, aidées par l’Arabie
Saoudite, n’ont jamais été complètement soumises par l’autorité
centrale. Le
Yémen du Sud, quatre fois moins peuplé que celui du Nord, malgré une
superficie plus importante, a toujours été considéré avec condescendance
par celui au Nord qui lui reproche sa colonisation par les Britanniques, et
son manque de cohésion. Il lui reproche aussi la guerre civile de 1986 qui
a laissé des traces profondes dans le pays, et qui menace encore sa
stabilité. Cette
unification est confrontée à toutes sortes de périls internes nés de
rivalités politiques et tribales, souvent très anciennes, et génératrices
de conflits locaux quelquefois très meurtriers. Elle
présente cependant des avantages importants sur le plan économique en
additionnant les ressources en pétrole des deux pays. Le port d’Aden, et
sa raffinerie, qui travaillent à l’échelon mondial, peuvent retrouver la
prospérité qu’ils connurent lorsque les Britanniques en avaient fait une
annexe de la "Cité" de Londres. Elle
a eu au moins le mérite de régler le problème des îles de Kamaran et de
Périm qui traînait interminablement depuis le départ des Britanniques en
novembre 1967. Lorsqu’ils quittèrent Aden, ils transfèrent leur
souveraineté sur ces deux îles à la nouvelle République du Sud-Yémen,
malgré les protestations du Yémen du Nord qui occupa militairement Kamaran
en 1972 sous le prétexte que cette île était située dans ses eaux
territoriales. Quant à l’île de Périm, elle provoqua, en juin 1967, une
curieuse démarche de Londres qui proposait de la placer sous le contrôle
des Nations Unies en raison de sa situation stratégique dans le
Bab-El-Mandeb. Cette idée, qui était loin d’être sans objet, avait pour
origine une tentative de démilitarisation du détroit. En définitive, Périm
fut rattachée au Yémen du Sud. L’unification
des deux Yémen remettra certainement en question les facilités dont
dispose l’Union soviétique à Aden. Ce sont surtout des droits
d’escales assortis de quelques avantages supplémentaires. Le port est fréquenté
par les forces navales du "Sovindron" (Soviet Indian
Ocean Squadron), et l’aérodrome par les "Bear" de l’aéronavale
soviétique qui surveille les forces américaines. L’île de Socotra
abrite quelques installations de transmissions aérospatiales, et
l’"Aéroflot" a établi un service régulier entre Moscou et
Aden. La
guerre civile de janvier 1986 qui ensanglanta toute la province, et qui fut
suivie par un exode massif des techniciens soviétiques, souligna la
faiblesse des facilités en territoire étranger lorsque les infrastructures
sont entourées par une population civile hostile. Quoiqu’il en soit,
Moscou ne renoncera pas facilement aux avantages d’Aden. Le canal de Suez
et la mer Rouge ont pour l’Union soviétique une importance
exceptionnelle. Lors de la longue fermeture du canal, de 1967 à 1973, la
marine soviétique a connu de grosses difficulté pour assurer une présence
dans l’océan Indien. Pour éviter de faire le tour
de l’Afrique à partir de la Baltique ou de la mer Noire, elle alimenta
cette présence en prélevant des unités sur sa flotte du Pacifique. Le
soutien à l’Éthiopie marxiste-léniniste, l’implantation aux Dahlak,
et la présence à Aden soulignent bien l’intérêt que Moscou porte
depuis toujours au canal de Suez et à la mer Rouge, éléments permanents
de sa vision géostratégique. Les
soucis de Djibouti La
République de Djibouti, dont la défense fait l’objet d’un accord de
coopération avec la France, qui maintient sur place près de 5 000 hommes,
surveille avec inquiétude ses deux voisins la Somalie et l’Éthiopie, où
les situations intérieures se dégradent sans cesse. Djibouti
assure sa survie grâce à une politique de services centrée autour de ses
trois instruments de travail : le port, l’aérodrome, et le chemin de fer
d’Addis Abbeba servis par un réseau très performant de télécommunications
internationales. La stabilité de la région est son principal atout. En
Somalie, les mouvements insurrectionnels contre le régime du général Siad
Barre plongent le pays dans l’anarchie. Celui de Somalie du Nord, le
Mouvement national somalien (MNS), a pratiquement isolé cette province du
reste du pays. Il réclame l’indépendance du Nord ou, tout au moins, un
statut d’autonomie. Djibouti, où plusieurs ethnies sont directement
impliquées par des liens tribaux avec les insurgés a fermé sa frontière,
ce qui n’a pas empêché, en octobre dernier, une incursion de l’armée
somalienne sur son territoire. Le flot des réfugiés fuyant la guerre
civile pose à Djibouti de graves problèmes que ce petit pays ne peut résoudre
sans l’aide internationale. Les
rumeurs qui circulent ne facilitent pas la tâche du gouvernement
djiboutien, et, souvent,
suscitent l’inquiétude de Paris. L’une d’entre elles qui évoque un
projet de fusion d’une Somalie du Nord indépendante et de la République
de Djibouti est un véritable défi à la paix régionale, car un tel projet
serait inacceptable pour l’Éthiopie. L’équilibre
pacifique de cette partie sud de la mer Rouge repose en grande partie sur
l’indépendance de Djibouti qui, depuis 1977, et sous l’autorité de son
président Hassan Gouled, a su conserver une neutralité exemplaire. La présence
militaire française n’a d’autre but que d’aider ce petit pays dans sa
marche vers l’avenir. C’est un puissant facteur de stabilité. Toute
modification de frontière ébranlerait dangereusement l’ensemble de la
Corne de l’Afrique, et provoquerait d’innombrables conflits à la
libanaise. Les
relations avec l’Éthiopie sont normales. Le port et le chemin de fer
Djibouti-Addis Abbeba jouent un rôle important dans ce bon voisinage. Le
seul problème qui risquerait un jour de surgir serait celui qui concerne
une portion de la frontière nord avec l’Éthiopie. En 1955, la Commission
de délimitation des frontières entre la côte française des Somalis
(actuellement la République de Djibouti) et l’Éthiopie, créée conformément
au protocole franco-éthiopien du 16 janvier 1954, procéda à
l’abornement sur le terrain mais, au point de trijonction des frontières
de l’Érythrée, de l’Éthiopie, et de la côte française des Somalis
(Dadaato), les représentants éthiopiens refusèrent d’aller jusqu’à
la mer, c’est-à-dire jusqu’à Raheita, sur les bords du Bab-El-Mandeb.
La raison invoquée était l’existence des protocoles franco-italiens du 7
janvier 1935 (accords Laval-Mussolini) qui cédaient à l’Italie le nord
de la côte française des Somalis par un tracé qui aboutissait sur la côte
à Der Eeloua.[6]
On donnait ainsi à Rome toute la côte ouest du Bab-El-Mandeb. Or, ces
protocoles n’avaient jamais été ratifiés par le Parlement français, et
l’Italie les avaient dénoncés en décembre 1938, ils étaient donc sans
valeur. Malgré
cela, l’Éthiopie, se considérant comme l’héritière des traités et
conventions diplomatiques signées par l’Italie n’accepta jamais
d’aborner la frontière jusqu’au Bab-El-Mandeb, et l’affaire est en
suspens. L’AVENIR
DE LA MER ROUGE Les
pays riverains de la mer Rouge doivent rechercher une politique commune pour
faire de cette mer semi-fermée une zone de paix ouverte au trafic
international du canal de Suez, et qui bénéficierait d’une neutralité
de fait. Ils doivent prouver qu’ils sont capables d’organiser leur
avenir dans la sécurité et dans la paix. L’un
des éléments majeurs de cette politique devrait être la démilitarisation
du détroit de Bab-El-Mandeb, seule issue vers la haute mer de l’océan
Indien. Actuellement, les missiles de Périm, contrôlés par la République
du Yémen, peuvent entraver le libre passage en transit des flottes de
guerre et de commerce des nations maritimes empruntant le canal de Suez.
Cette menace unilatérale, dans un détroit international recouvert par les
eaux territoriales de deux autres nations, la République de Djibouti et
l’Éthiopie, n’est pas acceptable. Démilitariser
un détroit servant à la navigation internationale par une convention
n’est pas un fait nouveau. Un précédent existe : celui du détroit de
Magellan, démilitarisé par le traité de Buenos Aires du 23 juillet 1881. L’avenir
de la mer Rouge est un élément essentiel du progrès et de l’équilibre
des continents. Même si son rôle est parfois occulté par le prodigieux développement
des transports du pétrole, poussés au gigantisme, elle restera toujours,
avec le canal de Suez, le trajet normal du commerce pacifique entre les
peuples. Sa transformation en enjeu, en objet de négociation ou de
chantage, serait un acte hostile à la paix universelle. Sa
neutralisation et la démilitarisation du Bab-El-Mandeb devraient être les
pivots de son avenir. La raison, la géographie, la nécessité de freiner
la folie des hommes et le désir de puissance des nations n’offrent pas
d’autres solutions à ses pays riverains. [1]
Conférence de Djeddah de janvier 1976 réunissant l’Égypte, l’Éthiopie,
la Jordanie, la Somalie, la République Arabe du Yémen (Sanaa), la République
démocratique populaire du Sud Yémen (Aden) et le Soudan. [2]
Les Russes ont installé
aux îles Dahlak, à proximité de Massawa, le dock flottant qu’ils
avaient dû retirer précipitamment de Berbera en Somalie, lorsqu’ils
furent expulsés, en novembre 1977, par le président Siad Barre mécontent
de l’appui accordé par Moscou à Addis Abbeba lors de la guerre
somalo-éthiopienne. La marine soviétique a rassemblé autour de ce
dock quelques moyens de réparations navales pour forces légères qui,
pour l’instant, continuent à fonctionner. [3]
Au début de 1971 le pétrolier
libérien Coral Sea à destination de Eilath fut attaqué au
bazooka, dans le Bab-El-Mandeb, par des vedettes palestiniennes basés
sur Périm. [4]
The Economist,
10
novembre 1973, Le blocus fut levé très rapidement, un mois après. [5]
An-Nahar,
(quotidien arabe), Beyrouth, 6 octobre 1974. [6]
C’est également la
raison invoquée par le colonel Kadhafi pour ce qui concerne la bande
d’Aouzou qui figure aussi dans les accords Laval-Mussolini de 1935.
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