FRANCE DU NORD-EST - 1871-1914
FORET ET DEFENSE DU TERRITOIRE.
1871 :
INTERROGATIONS SUR UNE NOUVELLE GÉOGRAPHIE TERRITORIALE
Les amputations territoriales de 1815 et
de 1871 furent d’une autre nature que les ajustements frontaliers qui
avaient marqué l’histoire du Nord-Est français, passé d’un état de
"front de guerre" sous Louis XIV à celui de "frontière de
paix" à la veille de la Révolution. "En 1814, lorsque les
Alliés proclamèrent qu’ils rendaient à la France les frontières de
1792, ils ne les rendirent pas en réalité, car ils substituèrent une
frontière continue à la frontière discontinue de l’Ancien Régime.
C’est la délimitation de 1814 qui dénote une conception toute nouvelle
de la frontière" 2. Le système
de défense de la France en sort affaibli. "Les pertes de
territoire dérangent toutes les combinaisons défensives et obligent à
en trouver de nouvelles" écrit Gouvion Saint-Cyr en 18183.
Soixante-dix ans plus tard Eugène Tenot peint la France de 1871 "ouverte
et sa frontière démantelée, béante, à la discrétion d’un retour
offensif de l’impitoyable ennemi... Le traité de Francfort avait
substitué à l’ancienne frontière déjà médiocre une trouée énorme,
une ouverture, un vide effroyable : Paris à 10 marches des
avant-postes ennemis" 4.
En 1871, le système de défense est
exsangue. Le traité impose le plus brutal, profond, inattendu changement
des lignes de force du paysage. Le retrait de la ligne frontière entraîne
la contraction de l’espace régional. Entre la Belgique et Donon, cadre
géographique de cette étude, demeurent les formes de relief élémentaires,
lignes de crête, cols, vallées, talus, ainsi que les ensembles de relief
nés de l’histoire géomorphologique du bassin sédimentaire parisien et
de ses bordures, bandes arquées des cuestas et des dépressions périphériques
ou de pied de côte, entonnoirs de percée des grands cours d’eau,
Aisne, Marne, Meuse, Oise ; mais les frontières les sectionnent
maintenant suivant des axes nouveaux, frontières "lignes
arbitraires de nos cartes, qui ne cadrent même pas avec les grandes
divisions régionales reconnues par la géographie physique, et qui, là où
elles indiquent les contacts les plus douloureux, ne coïncident presque
jamais avec des lignes de séparation naturelles" 5.
Les distances sont modifiées, les statuts changent avec l’abandon des
anciennes lignes de défense.
La recherche de solutions à des problèmes
géostratégiques, tel celui des inversions du champ de tensions dans la région
messine (fig. 1), suscite l’inventivité. La place forte de Metz n’est
plus le môle avancé de la défense auquel faisaient relais les lignes
naturelles des Hauts de Meuse et de l’Argonne. Elle devient un poing du
dispositif ennemi. Cette inversion des vecteurs de la menace fait de la
ligne haute des Côtes de Meuse le premier rempart. Pendant quarante ans,
au "retournement" des quatre forts français puis au
durcissement des défenses allemandes de la ville6
répondent la construction puis les renforcements du système fortifié
meusien. Quelle place peut rivaliser avec ce colossal camp retranché ?
Pas Nancy, que Séré de Rivières considère a priori indéfendable, car
trop près de la frontière7, mais Verdun.
"De même que Metz est la tête de pont de l’Allemagne sur la
Moselle, Verdun doit être la tête de pont de la France sur la Meuse et
contrebalancer l’action menaçante de Metz" écrit-il en mai
1874 dans son "Exposé du système défensif de la France"8.
Il est donc essentiel pour la défense de
repenser l’organisation de l’espace frontalier. Et de se doter des
moyens d’en contrôler les transformations civiles et leurs interactions
possibles, nécessaires ou souhaitables avec les aménagements militaires.
"Les lignes de frontières sont des lignes de défense permanentes
lorsqu’elles présentent un mélange d’obstacles naturels et
artificiels, tels que des chaînes de montagnes, des grands fleuves et des
forteresses, formant entre eux un système bien lié" écrivait
Jomini en 18379. S’appuyant sur
l’exemple de la guerre de 1870 et non plus sur celui des campagnes napoléoniennes,
sans doute eût-il cité aussi la forêt. Forêt dont les attributs
militaires changent avec le traité de Francfort. A celui de simple complémentarité
succède celui d’intégration systémique comme cet article voudrait le
montrer, d’abord par l’analyse des processus d’insertion des forêts
dans le système défensif du Nord-Est puis par l’évocation de paysages
sylvatiques spécifiques.
La fOrÊt, un espace de dÉfense
tactique et stratÉgique
Dans nos pays de vieille civilisation
rurale, le paysage forestier est la résultante d’interactions entre
nature et société qui évoluent dans le temps long de l’histoire10.
La forêt est le monde complexe créé par une société d’arbres.
L’observateur peu familier l’a toujours perçue, décrite, vécue
aussi au contre-jour du monde défriché. Ager face à sylva.
Après 1871, les idées sur le concept de forêt espace de défense et
leurs applications tactiques et stratégiques se construisent sur un
ensemble d’acquis, d’expériences mais aussi d’hypothèses.
L’effet de barrière
Par sa seule masse, quelles que soient
ses structures, la forêt oppose une barrière aux déplacements ;
elle les arrête, les canalise, les oriente... ou les désoriente ;
elle introduit l’aléatoire11. Sa lisière
est un masque qui sépare deux domaines, celui clair, horizontal et ouvert
des terres agricoles, celui sombre vertical et clos du
"couvert". Son effet d’écran est accentué par le
foisonnement d’une vie arbustive et herbacée qui se déploie en mondes
végétaux linéaires, aujourd’hui désignés par les forestiers sous
les noms évocateurs et signifiants d’ourlet et de manteau12.
Ces caractères apparaissent à deux échelons au moins de la réflexion
et de l’organisation militaire, celui du théâtre d’opération, celui
de la tactique. A l’échelon tactique, les instructions sur les travaux
de campagne de l’infanterie insistent toutes sur les aménagements nécessaires
pour utiliser au mieux les lisières dans le combat défensif :
laisser l’aspect naturel, conserver sur une certaine largeur les arbres
et les arbustes en les élaguant de façon à dégager le champ de tir des
tireurs occupant la lisière ; abattre, en arrière de cette bande,
le taillis et les petits arbres pour créer une allée praticable aux piétons ;
construire une tranchée derrière le rideau d’arbres laissés en lisière13.
La forêt ménage deux types d’effet de
barrière. Le premier naît de la seule présence du couvert ; il
peut être qualifié d’autogénique car il disparaît avec elle. En
terrain isomorphe sur le plan géomorphologique (relief et sol identiques
dans toutes les directions), la forêt est la seule composante naturelle
qui introduise une rupture spatiale. Le mur végétal créé par une forêt
feuillue ou résineuse des régions tempérées est d’une vingtaine de mètres
en moyenne. Un talus de 30 m de commandement devient ainsi une barrière
de 50, voire 60 m.
Visuelle et fonctionnelle, cette rupture
crée un obstacle permanent (dont les caractères néanmoins varient en
fonction des peuplements et au rythme des saisons). Un bel exemple est
celui des forêts jalonnant les anciennes lignes de bataille entre Sambre
et Escaut. La première ligne, Valenciennes-Maubeuge, sur la frontière
belge, était protégée sur son front par l’entonnoir dessiné par le
bois du Sart (aujourd’hui partiellement défriché) et le bois de la
Lanière ou de Malplaquet. Là le 9 septembre 1709 "à six heures
du matin, l’armée en bon ordre cheminait à l’abri des bois de Sars
et occupait les positions reconnues la veille. La droite prit appui sur le
bois de Jansart ou de Lanière, la gauche sur les bois de Blarégnies, le
centre dans la trouée. Les canons furent placés sur plusieurs endroits,
les plus élevés des lignes de l’armée" 14.
En retrait la seconde ligne, Valenciennes-Landrecies, s’appuyait sur
deux relais, la place du Quesnoy et la grande forêt de Mormal, dont la
lisière occidentale, si curieusement linéaire, sert d’appui sur plus
de dix kilomètres à la chaussée Brunehaut "route légendaire
des invasions, route que jalonnent plus de quinze champs de
bataille", de Bavay à Vermand.
Le second type peut être dit associatif.
Un ou plusieurs obstacles s’ajoutent à l’écran forestier qu’ils - ou
qui les - renforcent. Si la forêt disparaît, l’"effet barrière",
certes affaibli, demeure. Ces divers renforcements différencient des
variantes :
— le type associatif superposé.
C’est celui, classique, des forêts couronnant des talus topographiques,
fronts de côtes comme l’Argonne, les Hauts de Meuse et de Moselle, ou
des crêtes d’interfluve plus basses, telle cette amande de courtes échines
autour de Morhange renforcées par les forêts de Château-Salins, de
Baronville, de Bride et de Koecking, et aménagées par les Allemands en
puissantes défenses, la "muraille de Morhange"15.
C’est aussi l’exemple des forêts humides sur sols hydromorphes plus
ou moins marécageux comme celles de Spincourt et de Mangiennes dans la Woëvre.
Les nappes d’eau perchées rendent la forêt de Mormal impraticable en
hiver16 ;
— le type associatif apposé. La lisière
forestière est doublée d’un obstacle linéaire, physique (cours
d’eau), humain (route ou voie ferrée) : la Sambre au sud-est, la
route au nord-ouest bordent la forêt de Mormal ; ou un obstacle aréolaire
comme les marais : "derrière l’obstacle des eaux courantes
ou croupissantes les Allemands trouvent dans les bois les places d’armes
nécessaires au rassemblement discret de leurs troupes" 15 ;
— le type associatif composite est une
combinaison de plusieurs variantes. Il est typique des grandes forêts qui
étendent leur manteau sur des ensembles morphologiques variés. Ainsi,
entre la trouée de la Meuse au coude de Charleville et la trouée du Chêne,
les forêts d’Elan et du Triage du Haut de Chapogne occupent une série
de crêtes boisées en arrière de la Bar et du canal des Ardennes,
fermant le passage défendu sur l’aile gauche par les forts de Mézières,
sur l’aile droite par la forêt d’Argonne. Ainsi des deux forêts
domaniales de Parroy et de Mondon qui, à mi-distance de Lunéville et de
la frontière, dessinent la corolle d’un entonnoir où convergent la
Vezouze, la route d’Allemagne (nationale 4) et la voie ferrée de Nancy
à Strasbourg et au fond duquel veille le fort d’arrêt de Manonviller
(fig. 2).
L’enjeu du couvert
La masse végétale est d’abord un
couvert qui cache le sol. Mais elle ne le masque pas toujours. La
stratification (structure verticale) et le recouvrement (structure
horizontale) quantifient l’intensité de l’effet de masque. Ainsi le
taillis sous futaie est-il sombre en été parce que les projections au
sol du recouvrement de chaque strate se superposent. La canopée est un
couvercle pour la transmission visuelle - à un moindre degré sonore - de
l’information qui circule sous son abri. Ces enceintes sont presque hermétiques
au renseignement. Mais jusqu’à l’introduction de la poudre sans fumée
vers 1886 l’information pouvait transpirer, le système était ouvert. "La
conséquence de l’emploi d’une poudre sans fumée dans le fusil est
donc d’augmenter dans une proportion inouïe les difficultés que l’on
rencontre pour connaître la force et les dispositions d’une troupe qui
attend l’adversaire et le reçoit par le feu" rapporte un
forestier citant un cours de l’Ecole de guerre. Devant la conclusion prônant
la nécessité de développer les éclaireurs, le forestier note que les
chasseurs forestiers sont tout indiqués pour cette tâche17.
Dès lors, la forêt peut fournir un terrain de combat qui conserve plus
ou moins intact l’effet de surprise. Sur la frontière du Nord, "postées
en arrière des forêts de Trélon, d’Anor, de Saint-Michel, de Signy,
de Regnovetz etc., qui s’étendent depuis la Meuse jusqu’à Maubeuge
nos troupes seront bien couvertes sur leur front et grâce aux forêts qui
dissimuleront leurs mouvements, elles pourront manœuvrer à l’insu de
l’ennemi" 18.
La nature des peuplements
Selon qu’ils sont feuillus ou résineux,
futaie pleine ou taillis sous futaie, les peuplements forestiers suggèrent
des utilisations tactiques différentes. Les combattants d’Argonne ou
des Hauts de Meuse ont souvent des relations de "partenariat"
avec la forêt19. Dans les bois de Verdun
Arnold Zweig note la "résistance des épaisses forêts,
bataillons silencieux de troupes de renfort, pareils à des guerriers
antiques soudés les uns aux autres par les lianes, les infatigables
buissons de ronces, les touffes de framboisiers" 20.
Des analyses consignées dans les comptes-rendus d’opérations ou les
rapports techniques il ressort que les lisières forestières peuvent être
traitées en ados pour le combat défensif mais "exception doit
pourtant être faite à ce principe quand on se trouve en présence d’un
bois d’arbres résineux trop aisément inflammables ou d’un bois de
haute futaie n’offrant aucun couvert bas" 21.
En 1910, L. Chancerel, forestier et
officier, critique l’imprécision des cartes d’état-major qui
confondent sous un même signe broussailles et futaies, résineux et
feuillus. "En lisant une carte on voit qu’il y a des bois et
c’est tout" 22. Il
propose une légende pour différencier les types de peuplements sur les
cartes topographiques car "ces signes conventionnels complémentaires
pourraient constituer un progrès notable, en facilitant la lecture des
cartes et en donnant au commandement des renseignements précieux" 23.
Aucune suite ne sera donnée, malgré la fréquence rapide des révisions
de la carte d’état-major.
Les enseignements de la
guerre de 1870
Le même auteur propose cette interprétation
de la défaite : "Si nous avons été surpris en 1870 cela
tient presque toujours à ce que nous n’avons pas su reconnaître et
occuper les grands massifs boisés qui masquaient les mouvements de
l’ennemi" 23. Outre les arguments présentés supra, la
raison est l’insuffisance de connaissance et de pratique forestière des
chefs de corps, si nécessaire pour se déplacer à l’aise en forêt. Il
ajoute : "Ce rôle [de conseiller et de guide] aurait
pu être réservé aux forestiers". Mais ils n’étaient pas
encore militairement organisés. Faisant l’analyse des combats de 1870
qui avaient impliqué la forêt, Chancerel retient cinq types
d’utilisation des bois par les armées. Dissimuler les mouvements, comme
à la bataille de Sedan où tous les massifs boisés ont caché les manœuvres
allemandes, dont celle du XIe corps prussien avançant sous la lisière de
la forêt des Ardennes ; créer des centres de résistance, comme
l’occupation des petits bois de Saint-Privat par les VIIe et VIIIe corps ;
constituer ou compléter une ligne de défense, comme à Champigny où les
parcs boisés furent des points d’appui ; lancer des attaques par
surprise, ainsi à Beaumont en Argonne le 30 août avec le débouché du
IVe corps des bois de Dieulet, dépourvus de tout poste forestier ;
protéger une retraite comme celle du Mans, fin décembre 1870, derrière
la forêt de Marchenoir.
Les forêts et le système
défensif de Séré de Rivières
Arcs boisés tournés en échelon vers
l’Allemagne, Woëvre, Hauts de Meuse et Argonne présentent des
combinaisons morphologiques et végétales différentes et tous les types
d’effets barrière. Les forêts de plaine barrent les trouées ménagées
entre les rideaux défensifs, accentuent les obstacles des vallées
inondables et des marais et charpentent d’étroits couloirs de pénétration.
La forêt de Woëvre dresse son écran touffu entre les crêtes
septentrionales des Hauts de Meuse contrôlées par le môle de Verdun et
la citadelle de Montmédy, les forêts de Rambervillers et de Charmes
renforcent de leurs murs massifs la rive droite de la Moselle entre Toul,
Epinal et les premiers contreforts du massif vosgien.
Entre les rideaux et la frontière, de
grands massifs doivent ralentir la pénétration des armées allemandes.
La forêt de Haye couronne l’amphithéâtre nancéen de la Côte de
Moselle, celles de Parroy et de Mondon verrouillent l’accès oriental à
Lunéville (cf. fig. 2). L’Argonne est en relais. "La résistance
de front au nord de Verdun pourra d’ailleurs tirer parti des obstacles
qu’(elle) présente à la marche de l’ennemi", écrivent
en juillet 1873 Canrobert et Séré de Rivières24,
qui ajoutent : "Bien que de trop nombreux défrichements
aient fait perdre à cette défense naturelle une grande partie de sa
valeur, elle peut encore être utilisée". Cette réflexion sur
l’amoindrissement de la défense naturelle et la critique implicite du
mode de contrôle du territoire avant la guerre de 1870 seront reprises infra.
Les grands massifs cités ci-dessus et
les profondes forêts qui couvrent les monts Faucilles, les Vosges et le
Jura sont devenus des points d’appui déterminants de la défense du
territoire. Mais la seule précision des localisations, la seule
connaissance des périmètres ne sont pas suffisantes. Il faut aussi
envisager les structures internes des peuplements, le réseau des voies de
desserte, les supports topographiques, reliefs et modelés, d’autant
plus gommés par le "bruit de fond" de la masse végétale
qu’ils sont de faible énergie. "Personne n’est plus apte à
les [les massifs forestiers]faire connaître dans leurs plus
complets détails que ceux qui, chaque jour, les parcourent dans tous les
sens, qui y exercent une surveillance incessante et qui en ont pénétré
toutes les profondeurs. Est-ce que la carte d’état-major la plus récente,
la mieux annotée, peut vous indiquer si tel chemin est suffisamment
praticable ? Il a pu l’être lorsque sont passés les officiers
chargés de la dernière révision, mais il ne l’est plus parce que les
nombreux et lourds charrois transportant les produits de deux ou trois
coupes ont épuisé l’empierrement, coupé la chaussée, et tracé de
profondes ornières" 25. Prémonitoire,
cet avertissement lancé par un forestier en 1878 n’aura pas semblé,
aux premiers mois de la guerre du moins, avoir été suivi d’effet.
Riches d’exploitation tactique auraient été pourtant la connaissance
des types de peuplements, celle des rotations de coupes, des révolutions
du taillis, toutes données qui forgent la réalité paysagère du
quotidien sylvestre tout en imprimant des images variables dans le temps.
Non dans une durée floue ou inaccessible, mais dans une durée rythmée,
codifiée et planifiée par les gestionnaires. Par l’intellect — et la
carte — la réalité paysagère peut s’anticiper quand les dossiers
d’aménagement sont lus comme des documents de prospective26.
Dans le même temps que la forêt entre
dans l’organisation d’un futur théâtre d’opération, l’armée
renforce son arsenal de surveillance des espaces forestiers et, partant,
des paysages ruraux, aux côtés des acteurs plus classiques. Contrôler
les espaces, c’est décider des défrichements (et des boisements) ;
contrôler les peuplements, c’est influer sur la dynamique des couverts
végétaux.
LA FORÊT, COMPOSANTE DU
SYSTÈME DÉFENSIF
A partir de 1871 les forêts de l’est
de la France voient se renforcer un plan de charge déjà contraignant,
imposé par les autorités civiles et militaires. Un premier objectif,
d’économie civile, monte en puissance depuis qu’en 1827 a été
promulgué le code forestier qui accroît le contrôle des Eaux et Forêts
sur la gestion et la production des espaces boisés. Un second impératif
est géostratégique. Aux lendemains de la défaite, il faut repenser
l’intégration des milieux naturels dans le champ des nouvelles
contraintes d’organisation de la défense sur un territoire amputé. La
forêt est à l’ordre du jour.
Dites "soumises au régime
forestier" les forêts domaniales et communales doivent être gérées
par un plan d’aménagement approuvé par le ministre de tutelle. Le
nombre des forêts communales augmente27
tandis que la demande en terre agricole reste, jusqu’en 1850 du moins,
une menace pour l’espace forestier. La pratique des aliénations de forêts
domaniales sous la Monarchie de Juillet hante encore les nuits des
conservateurs. Les autorisations de défricher données aux propriétaires
forestiers privés sont, elles, subordonnées à la procédure dite de la
demande préalable. La faim de terre, le maintien des difficiles équilibres
locaux, ont conduit l’administration civile à accorder largement ces
autorisations.
L’armée, sans être hostile aux
transformations des paysages et de l’organisation du territoire, exige
sinon d’y être associée, du moins d’avoir un droit de contrôle ou
de veto sur les opérations. Les risques qui menacent l’intégrité de
l’espace boisé ne s’estompent pas lors même que l’intérêt pour
la fonction stratégique de la forêt se renforce après le traité de
Francfort. Alors ces objectifs peu conciliables deviennent antagonistes.
Les autorités de tutelle doivent s’entendre pour composer... ou
composer pour s’entendre. Faut-il intégrer la forêt à une stratégie
générale de défense du territoire ? Quels plans d’action
promouvoir, avec quelle logique, quelles méthodes et quels moyens ?
Impliquer la forêt dans la défense du
territoire oblige à intervenir sur ses espaces et ses milieux. Pour ce
faire il faut apprendre sa géographie, son anatomie, voire sa
physiologie. Qui et comment ? La réponse n’est pas aisée. On
imagine la difficulté du problème à l’époque, quand on sait
qu’aujourd’hui encore la mesure de la superficie forestière française
est, à quelques milliers d’hectares, approximative.
Contrôler, aménager :
outils et structures opérationnels
Les neuf départements frontaliers du
Nord-Est et de l’Est comptent parmi les plus boisés de France, mais
leur géographie forestière, surfaces, périmètres, types de peuplements
est très lente à se préciser. Autour de 1875, les forêts soumises au régime
forestier couvrent 911 000 hectares, soit un cinquième de la
superficie départementale totale ; la connaissance des forêts des
particuliers reste très fragmentaire, leur surface même, difficile à évaluer.
Mais en 1912 la statistique a donné sa profondeur à un tableau qui
acquiert vraiment ses contours. Aux 923 207 hectares de forêts
soumises s’ajoutent 454 826 hectares de forêts des particuliers,
pour un total boisé de 1 378 033 hectares, soit un taux de
boisement général des départements frontaliers de 30 %.
La loi du 7 avril 1850 avait fortement
accru les risques de démembrement du manteau forestier en autorisant
l’Etat à aliéner des forêts domaniales à concurrence d’un produit
des ventes de 50 millions de francs. Dans un contexte économique de dépréciation
de la valeur marchande des bois, il apparut vite que ces ventes
ajouteraient quelques milliers d’ha aux 40 950 hectares que
l’Etat avait, entre 1848 et 1850, d’autant plus facilement vendus que
ces mises sur le marché, assorties de la faculté de défricher, répondaient
bien aux besoins du monde rural28. Sur la
période 1820-1870, le bilan des défrichements pour la France entière
s’établit ainsi : 430 190 hectares provenant de la vente de
bois des particuliers et de forêts soumises (dont une grande part des 352 676
hectares de bois domaniaux aliénés) sont défrichés avec autorisation,
et environ 500 000 hectares, pour les seules régions de plaine, le
sont sans autorisation. Le total fait près de 1 million d’hectares sur
40 ans29.
Toutes données égales par ailleurs, la
valeur marchande des bois varie en raison directe du coût de leur
mobilisation. Elle dépend donc de l’accessibilité des peuplements. Or
le retard pris sous le Second Empire dans l’aménagement des voies de
desserte est considérable30. De plus il
faut compenser la perte de revenus provoquée par la disparition de 350 530
hectares de forêts soumises au régime forestier dans les cinq départements
perdus ou amputés31. La nécessaire
augmentation du rendement de la sylviculture exige l’amélioration du réseau
de desserte par la création de voies forestières nouvelles.
Ainsi, alors que s’affirme la fonction
d’obstacle que la forêt peut remplir dans la défense du territoire, pèse
sur elle tout un lot de menaces : trouées et enclaves de défrichement,
grignotage des lisières, disparition de bosquets et de petits bois,
multiplication de pénétrantes qui découpent et affaiblissent les
massifs. Un officier du génie constatait déjà en 1867 que "l’Argonne
présentée comme un obstacle infranchissable ne l’est absolument plus,
car les routes et chemins bien entretenus ont doublé en nombre depuis
vingt ans" 32.
En 1865, un état annuel des
modifications de l’assise forestière destiné à la direction générale
des fortifications avait été rendu obligatoire. Réalisé à l’échelon
civil de l’inspection forestière, il devait comporter les dossiers
d’instruction pour l’aliénation des forêts domaniales et pour les défrichements
des forêts communales et des bois des particuliers dans les territoires réservés
de chaque inspection. En 1879, l’administration forestière publie la
première grande enquête portant sur l’état des forêts en 1876, à
l’échelon du cantonnement33. Les bois
particuliers ne sont pas étudiés, seule est donnée une évaluation de
leur surface. Les forêts soumises au régime forestier font l’objet
d’analyses plus précises34. Ce n’est
qu’en 1889 qu’est publié un complément cartographique indispensable,
sous la forme de 85 cartes au 1/320 000, portant, sur fond
topographique de la carte d’état-major, la délimitation des forêts
domaniales, communales et des particuliers.
Seule source nationale cohérente de données
jusqu’à la guerre35, cette enquête révèle
les limites à la connaissance de la géographie forestière.
L’inspection forestière de Verdun groupe les cantonnements de Clermont
en Argonne, Etain, Souilly et Verdun. La forêt privée, non étudiée,
compte 11 106 hectares, soit 26,5 % des 41 821 hectares
boisés. La forêt soumise est encore mal connue. Sur les 6 340
hectares de forêts domaniales, 524 hectares (8,3 %) ne sont pas
arpentés ni délimités, 237 hectares pas arpentés. Sur 24 375
hectares de forêts communales, 4 344 hectares (28 %) ne sont
pas délimités, mais toutes les forêts sont arpentées. Il ressort aussi
que la majorité des forêts soumises sont aménagées. Quelle leçon
tirer de cet exemple ? Toute forêt aménagée possède un dossier
d’aménagement, avec le plan parcellaire fixant l’assiette des coupes,
un calendrier du passage en coupe du taillis, un relevé, même sommaire,
des peuplements. Quel usage, sur les plans opératif et tactique, les
militaires ont-ils fait de ce gisement de connaissances ?
Dans tous les domaines, la seconde moitié
du XIXe siècle réduit la durée et contracte l’espace. "A
travers les nombreuses études et reconnaissances des officiers du génie
faites, au milieu du siècle, au profit du Comité des fortifications,
on prend conscience de l’évolution du paysage français" 36.
La transformation du territoire pose la question ardue de son contrôle.
Mais le relevé, l’analyse, le suivi des mutations paysagères, leur
transcription sur les cartes qui irriguent les états-majors, ne peuvent
alors se faire que par l’enquête de terrain et des complètements qui
restent lents, difficiles voire aléatoires dans les régions boisées.
Pour des cadres militaires peu formés à maîtriser les caractères
particuliers d’un monde largement méconnu, il faut collecter, analyser
et interpréter le plus grand nombre d’avis compétents. Quels canaux
sont en action ? Quelles chances ont les dossiers d’aboutir ?
Les acteurs principaux sont, pour le génie, le chef de place : il
pratique le terrain, connaît ses contraintes et, dans l’est de la
France, œuvre souvent en forêt ; chez les forestiers, les gardes,
brigadiers, inspecteurs établissent des relations de plus en plus étroites
avec l’armée37. Il existe pour cela un
espace de réflexion et d’action aux échelons local et national, privilégié
parce que lieu de confrontation, la Commission mixte des Travaux publics.
Un corpus de données irrigue ainsi les bureaux de certains états-majors ;
mais il reste disparate, fragmenté, atomisé entre services, et sera
encore, à la veille de la guerre, bien peu recoupé, trié, vérifié,
pensé.
Contrôler, aménager :
structures et actions
La base territoriale des interventions du
département de la Guerre est la zone frontière. Par ce "mode
d’organisation de l’espace pour le temps de guerre" 38,
le législateur donne à l’Etat les moyens réglementaires pour contrôler
d’abord l’occupation des terres, pour faire prévaloir ensuite les intérêts
supérieurs de la nation qui relèvent de la défense du territoire et de
l’organisation des frontières, en temps de paix comme en état de
guerre. Jusqu’en 1870, le tracé de cette zone dans le quart nord-est de
la France fluctua en retrait d’une frontière fixe. Après le traité de
Francfort, sur une carte territoriale où les relations entre données
naturelles et limites d’Etat sont inédites, la zone frontière doit être
réorganisée. Par le décret du 3 mars 1874 l’armée affermit son contrôle
sur une zone Nord-Est fort étendue, puisque sa limite interne passe à
l’ouest de la capitale. Pour être viable, la défense de ce grand Est
doit impérativement utiliser la totalité des ressources du milieu
physique. Ainsi, aux côtés des routes et des voies ferrées, des
fleuves, rivières et canaux, la forêt est-elle amenée à jouer un rôle
majeur dans la fixation des nouvelles limites de la zone frontière et
devient-elle du même coup une composante éminente du système défensif
à mettre en place. Ce nouveau rôle est souligné dans les plans
successifs élaborés par l’état-major ; "couper les
routes d’invasion, couvrir les places fortes, économiser des
hommes" est un nouveau leitmotiv.
Sur la zone frontière, tous les grands
travaux entraînant des changements d’affectation ou des modifications
d’usage des sols, la construction des ponts, des gares, des voies de
communication, mais aussi les défrichements, relevaient de la législation
des Travaux mixtes. Les dossiers, instruits à l’échelon local, étaient
soumis à délibération de la Commission mixte des Travaux publics39.
Elle statuait sur l’adhésion ou le refus d’adhésion aux projets ou
aux demandes déposés40 (doc. 1).
Pour faire de la forêt une composante
active de la défense, l’armée joue de deux procédures. L’adhésion
aux demandes de défrichement contrôle la géométrie forestière, périmètres
et surfaces ; la distraction des bois au bénéfice du département
de la Guerre donne à l’armée les moyens d’agir à la fois sur
l’espace et les milieux. L’adhésion soumet la dynamique civile, la
distraction permet une dynamique militaire.
La loi du 7 avril 1851 qui réglementait
les attributions de la Commission mixte en matière forestière par la création,
dans la zone frontière, de territoires réservés concernant les défrichements
et les chemins forestiers, avait été la réponse à une double menace,
l’importance numérique des demandes de défrichement émanant des
particuliers, et la crainte très vive ressentie par le département de la
Guerre des conséquences de la loi du 7 avril 1850, dont nous avons
souligné les risques ci-dessus. Il n’était pas question de laisser la
forêt sans contrôle. Aussi le décret du 16 août 1853 répondit-il à
l’attente du Comité des fortifications en stipulant que "dans
la limite de la zone frontière et dans le rayon des enceintes fortifiées
la compétence de la Commission mixte des Travaux publics porte sur les défrichements
des forêts et des bois". Par cette attribution de surveillance
sur les défrichements, la Commission a été pendant plus d’un demi-siècle
un facteur important de la dynamique forestière. Les premiers dossiers
dits d"’adhésion" (mais qui peuvent porter refus) datent de
cette année-là.
Pour les affaires forestières, cette
Commission mixte comprend, aux côtés du représentant du département de
la Guerre et entre autres membres, celui de la Direction des forêts.
L’instruction des dossiers au premier degré, locale, exige les avis de
l’inspecteur des forêts et du chef du génie de la place. En cas de
divergence de vue, la voie du Génie est prépondérante ; dans les délibérations
du deuxième degré, à Paris, celle de la direction des Fortifications
aussi. Un seul non, le sien, suffit à repousser le projet. De plus, un
protocole stipule que, pour accélérer le fonctionnement d’une instance
fort sollicitée, "toutes les fois que l’administration des Forêts
reconnaît qu’il convient, sous le rapport des intérêts civils, de
repousser les demandes en autorisation de défrichement de bois, elle
n’a pas besoin pour le faire connaître, d’attendre l’opinion du département
de la Guerre, et qu’elle peut prononcer le rejet immédiatement conformément
au principe établi à ce sujet pour toutes les affaires mixtes" 41.
Quels sont ces intérêts civils évoqués, dans l’étude desquels nous
n’entrerons pas ici ? Préservation des ressources en bois ("Les
coupes annuelles seront réduites par les défrichements et la position de
la classe pauvre sera aggravée") 42,
conservation des milieux fragiles, pentes fortes, sols maigres, zones
humides.
Deux exemples argonnais illustrent ces
propos. Excroissance du massif boisé de l’Argonne sur la rive droite de
l’Aire au nord de Varennes en Argonne, la forêt domaniale de Chéhéry,
600 hectares, fut aliénée en 1856. Pour assurer la vente, l’Etat
l’assortit de la faculté de défricher. Non informée de la transaction
l’armée ne put intervenir et la Commission mixte ne fut pas consultée.
La conséquence du défrichement est ainsi présentée par le chef du génie
de Sedan : "le secteur d’Exermont a complètement perdu ses
propriétés défensives par suite du défrichement" 43.
En cette période de faim de terre agricole, l’effet de contagion fut
immédiat. Sur cette commune d’Exermont, des autorisations de défrichement
portant sur une dizaine d’hectares furent accordées à des particuliers
entre 1856 et 1862. Une implication tactique est présentée dans au moins
un dossier où le chef du génie précise qu’en cas de guerre, "en
avant de l’Argonne, l’armée française évacuerait le secteur pour se
maintenir sur la rive gauche de l’Aire". Plus au nord, dans la
forêt domaniale de St Denis près de Vouziers, se répète un scénario
comparable44. Mais là, une demande complémentaire
d’autorisation de défricher 400 hectares de bois particuliers est
formellement rejetée par la Commission mixte, après avis convergents de
l’inspecteur des forêts et du chef du génie qui, soulignant
l’absence de relief dressant obstacle, argumente ainsi : "Ce
serait autoriser une énorme trouée, rendant aisée la traversée de
l’Aisne à Vouziers par une troupe ennemie".
Au total, pour le secteur de la zone
frontière dépendant de la direction du génie de Mézières les demandes
de défrichement présentées entre 1850 et 1856 devant la Commission
mixte ont porté sur 960 hectares de forêts aliénées. L’adhésion fut
donnée pour 250 hectares, refusée pour 710 hectares45.
La loi du 15 juin 1859 et le décret du
31 juillet 1861 allégèrent les servitudes grevant les bois des
particuliers en contractant les territoires réservés. Ce compromis entre
les impératifs de la défense nationale et les souhaits des agriculteurs
d’étendre les terres labourables ou les herbages était réaliste. Mais
il ne faut pas aller trop loin. Le décret "a déjà fait aux
convenances de l’agriculture toutes les concessions compatibles avec la
défense, il importe de n’accorder qu’avec la plus grande discrétion
l’autorisation de défricher les parties de bois non exonérées"
argumente souvent le Génie46. En 1866,
le commandant du génie à Verdun note "Le défrichement en
Argonne est d’autant moins admissible que pendant un certain temps
[nous sommes en 1865] la fortification des places aura une réelle infériorité
devant l’attaque. Cette infériorité durera jusqu’à ce que les
travaux relatifs à la défense contre la nouvelle artillerie aient pu être
effectués et jusqu’à ce que les places aient pu être armées de
canons rayés : pendant ce temps qui pourra être fort long, la défense
des forêts doit tenir une place d’autant plus importante dans la défense
du territoire" 47.
A partir de 1871 l’autorité militaire
reconsidère la doctrine de conservation et explore celle d’intégration
stratégique. Deux décrets impliquent les forêts dans les plans du
programme de Séré de Rivières. Celui du 3 mars 1874 déplace les
territoires réservés et fixe une zone de servitude des places fortes,
dite myriamétrique48. L’important décret
du 8 septembre 1878 fixe la compétence de la Commission mixte pour les
atteintes aux forêts. La zone frontière est découpée en territoires
sur qui pèsent des contraintes différentes. Sur toute son étendue sont
contrôlés les défrichements des forêts soumises au régime forestier,
celles de l’Etat, des communes et des établissements publics. Sur une
bande frontalière large de 30 à 200 km le contrôle est renforcé. Ce
territoire réservé comprend deux catégories. Sur la première sont
contrôlés les travaux des chemins vicinaux, ruraux et forestiers des forêts
soumises ; sur la seconde, le défrichement des bois des
particuliers. Les massifs forestiers de l’Arc meusien appartiennent à
cette seule dernière catégorie, ou aux deux49.
Ce type de réglementation, constant depuis le début du siècle, montre
la permanence de la fonction stratégique de ces môles de hautes terres
boisées.
Pour illustrer l’évolution de la pensée
stratégique vis-à-vis des forêts et le rôle instrumental que tint la
Commission mixte entre les mains du département de la Guerre, déplaçons
nous en Woëvre, le type même des plaines frontalières lorraines étendues
en avant des talus du premier arc de cuestas, dans le triangle délimité
par les routes de Verdun à Montmédy et de Verdun à Metz50.
Entre 1854 et 1856 plusieurs adhésions données par la Commission mixte
ont permis des défrichements au nord de la route de Metz. L’accord du génie
est motivé par trois arguments, bois isolés, pays peu accidenté sans
importance militaire, nombreux massifs forestiers de grande étendue.
Effet de contagion, en mars 1856 le ministère des Finances dépose une
demande pour aliéner avec faculté de défrichement 600 hectares environ
de bois domaniaux entre Damvillers et Spincourt. Là, le Génie refuse51.
Le décret de juillet 1861 contractant
les territoires réservés exonère les terrains au sud de la route impériale
de Verdun à Metz. Conscient du risque de destruction des obstacles sur
lesquels la défense pouvait compter, le comité des Fortifications
renforce en retour le contrôle sur les massifs au nord. Ainsi, en 1865,
le Génie refuse-t-il le défrichement de 3 hectares sur la commune de
Moranville. L’accorder aurait été faire un précédent qui aurait
menacé tous les bois entre Fresnes (en Woëvre aujourd’hui) et Etain.
L’argument ancien est retourné, il faut garder tous les obstacles
possibles en plaine pour ralentir l’avance ennemie, laissant le temps "d’organiser
une défense sérieuse sur les plateaux supérieurs qui couronnent les
villages d’Haudiomont, Châtillon, Moulainville, Eix et Damloup" 52,
tandis que conserver des bois en lisière des voies de communication - pénétration
permet d’y établir des abattis défensifs. Après 1875, les stratèges
considèrent le vaste croissant de la plaine de Woëvre écorné par la
nouvelle frontière comme un glacis devant l’Empire allemand. Il
convient d’en dégager les vues, alors fermées, compartimentées par
des massifs ou des blocs forestiers de toutes tailles. On peut encore
jouer sur les demandes de défrichement mais elles sont devenues fort peu
nombreuses. L’une, en 1878, pour un bois particulier de quelques
hectares sur la même commune de Moranville vaut par l’argumentation du
directeur du génie de Toul qui, pour justifier son adhésion à la
demande de défrichement, écrit : "Ce bois est situé en Woëvre,
à l’extrême portée du canon du fort de Tavannes. Il ne peut être
qu’avantageux pour la défense de Verdun de voir diminuer les nombreux
couverts qui existent dans cette contrée" 53.
La Woëvre, maintenant ouverte à l’invasion, doit perdre son chevelu
sylvestre.
Le second instrument d’intervention de
l’autorité militaire est la distraction des bois. Cette procédure
affecte au département de la Guerre soit des territoires qui
appartenaient déjà au domaine privé de l’Etat mais étaient dévolus
à d’autres ministères (ceux des Finances puis de l’Agriculture après
1877, pour les forêts domaniales) soit des terres boisées achetées à
des collectivités locales ou à des particuliers. Les lois de mars 1831
portant sur "l’expropriation en cas d’urgence des propriétés
privées nécessaires pour les travaux de fortification" et de
mai 1841 sur "l’expropriation pour cause d’utilité
publique" rendaient aisées ces distractions.
Les procédures d’achat n’étaient
pas claires ni bien rodées. Travaillant sur l’histoire de l’aménagement
du camp retranché d’Epinal, J. Grasser note que la facilité des
transactions entre l’Etat et les propriétaires particuliers, avec
recours éventuel aux tribunaux, dépend du courant dominant dans
l’opinion publique54. Il reste que la
lenteur des procédures et les prix des terrains expropriés jugés trop
bas sont les griefs principaux reprochés par les propriétaires
particuliers frappés d’expropriation.
L’usage de l’adhésion et de la
distraction ne fut pas synchrone. Les deux démarches ne répondaient pas
aux mêmes préoccupations, inquiétudes et stratégies. La distraction
fut surtout pratiquée pour la construction du système de défense, après
1875. A titre d’exemple, l’inspecteur des forêts à Verdun note en
1888 que les défrichements en Meuse avaient diminué rapidement et
fortement à partir de 1850 et étaient quasiment arrêtés en 188055.
Il souligne en contrepoint que, dans la période 1870-1885, la distraction
avait fait disparaître 819 hectares de forêts soumises, et ajoute cette
précision intéressante : "principalement aux environs de la
ville de Verdun par suite de la construction des forts destinés à fermer
la frontière sur la ligne de la Meuse" (fig. 3).
La fréquence des instructions et le
rythme des adhésions démontrent que la guerre franco-prussienne fut un
événement charnière dans le débat géostratégique sur les défrichements56.
Durant la période 1853-1870, 40 dossiers furent instruits en moyenne par
an (tab. 1). Les arguments avancés à l’appui de ces demandes de défrichement
se faisaient l’écho de la faim de terre cultivable, caractère de cette
période où la France connut le maximum de sa population rurale et où la
surcharge démographique et la misère dans les campagnes n’avaient
alimenté qu’un lent courant d’exode. Entre 1871 et 1914, les demandes
de défrichement diminuent puis tarissent sous l’effet de la grande
vague d’exode vers les villes. Les dossiers de la commission mixte
concernant les défrichements sont, eux, beaucoup moins nombreux.
Le pouvoir de décision sur les déboisements,
la capacité de modifier les périmètres des forêts estimées stratégiques
et, par voie de conséquence, les aménagements de celles-ci, affirment le
rôle décisif de l’armée dans le contrôle des surfaces et la
dynamique des paysages. La géographie des forêts au seuil de la première
guerre mondiale, dans les régions du nord-est comme sur la totalité du
territoire français inclus dans la zone frontière, en est redevable.
En 1914, la région frontière du
Nord-Est est un système militarisé dont les forêts sont devenues un
facteur important d’organisation et de fonctionnement. Sur les Hauts de
Meuse, de Moselle, dans les Vosges, l’armée a aménagé de nombreux
massifs ; ailleurs, comme en Argonne, elle contrôle les acteurs de
la dynamique forestière. Scène et décors du théâtre de la guerre sont
en quelque sorte dressés. En 1873 simple composante de l’environnement,
la forêt est au début de la Grande Guerre une actrice prête à
s’engager57.
|
Nombre de dossiers
|
Surface concernée
(ha)
|
1853-1870
Accepté
Refusé
Total
|
568 (80 %)
143 (20 %)
711
|
4 850 (46 %)
5 580 (54 %)
10 430
|
1871-1914
Accepté
Refusé
Total
|
11 (31 %)
24 (69 %)
35
|
100 (12 %)
690 (88 %)
790
|
TOTAL
|
746
|
11 220
|
Tableau 1. Les demandes de défrichement
pour les départements des Ardennes, de la Marne et de la Meuse
(1853-1914) d’après les archives du Génie.
DES PAYSAGES NÉS D’UNE
GESTION PARTAGÉE
Les forêts du système de défense
abritent des paysages spécifiques nés de l’ intrication de peuplements
végétaux modelés par la gestion civile et de formations dont les
biomasses et les biovolumes sont traités pour des objectifs militaires.
Les déboisements sont calibrés, orientés car le réseau obéit à des
impératifs de gestion tactique du terrain. Dans les trouées, les sapeurs
du génie établissent des abattis ou entretiennent des formations dérivées
basses, pelouses ou fruticées (telles les landes). L’obstacle boisé
peut y être maintenu sous forme de lignes-rideaux plantées ou réservées
des anciens peuplements. Le secteur du fort de Souville dans le périmètre
du camp retranché de Verdun offre un bel exemple de tels aménagements de
la forêt (fig. 4).
Les principales interventions sont
l’abattis et le déboisé. L’abattis est une coupe pratiquée entre 1
m et 1,50 m de hauteur, sur laquelle le possible maintien des entrelacs de
branches et de troncs coupés accentue l’effet d’obstacle.
L’ouverture du couvert provoque un brutal éclairement qui favorise
l’envahissement par des espèces végétales héliophiles ; si
l’abattis est entretenu par une taille régulière, tous les trois ans
par exemple, on assiste à une progressive modification floristique, avec
l’augmentation des essences à forte dispersion tels le bouleau ou le
tremble, de faibles valeurs sylvicoles.
Le déboisé dégage les champs de vue et
de tir devant les forts par une coupe dite à blanc, où seules les
souches demeurent en place. Le déboisé n’est donc pas un défrichement.
Comme l’absence d’entretien laisserait très vite les coupes se
regarnir des rejets puissants des souches vivaces, le maintien de l’état
opérationnel exige des dégagements permanents. Les éditions successives
de la carte d’état-major, les cartes accompagnant les dossiers de
cantonnement des Eaux et Forêts, montrent la naissance des paysages
militarisés en forêt. Leur répartition spatiale se fait en raison
inverse de leur distance aux points fortifiés du système Séré de Rivières.
Ils traduisent autant les choix stratégiques de la défense du territoire
que les impératifs tactiques de l’organisation du champ de bataille.
Un concept efficace pour l’étude de
ces transformations est celui "du sylvosystème, c’est-à-dire
de l’écosystème forestier modifié par la gestion de l’homme" 58.
Exercée depuis plus de deux siècles en Lorraine par le pouvoir civil, la
gestion sylvicole a entretenu des futaies, des taillis et des taillis sous
futaie à feuillus dominants ou exclusifs, autant de "sylvosystèmes
sylvicoles" dont la finalité est, dans des conditions technico-économiques
données, la valorisation optimale de la ressource ligneuse. L’irruption
des fonctions militaires dans ces systèmes provoque la restructuration
des périmètres et des couverts. Elle donne naissance à des "sylvosystèmes
militarisés" qui présentent les faciès caractéristiques
d’abattis et de déboisés. Véritable empreinte de la "marche
à la guerre", ils s’étendent aux dépens des paysages de la
gestion civile.
La juxtaposition ou, pire,
l’intrication, de ces sylvosystèmes rendent plus difficile la
coexistence de la gestion sylvicole d’un capital ligneux et de la
gestion militaire du milieu où fructifie ce capital. Confrontés aux
tensions dont la forêt est l’enjeu, certains forestiers finissent par
poser avec acuité la question : comment gérer l’ingérable ?
"Tout en s’inclinant devant les nécessités de la défense
nationale, des forestiers ne peuvent pas ne pas regretter la disparition
d’aussi beaux massifs qu’ils entouraient de tous leurs soins et qui
vont, dans peu de temps, agrandir encore l’étendue morne et
improductive des déboisés militaires" répond l’inspecteur
des Eaux et Forêts de Verdun à la Commission mixte lorsqu’il apprend
en 1913 les décisions du Génie d’étendre les déboisés sur plusieurs
centaines d’hectares59.
L’exemple de l’une des forêts évoquées
dans la citation précédente aidera à comprendre la genèse - et les
tentatives de résolution - des conflits entre les positions
contradictoires des acteurs civils et militaires. Etendue sur 1 960
hectares au cœur des rideaux défensifs, la forêt domaniale de
Sommedieue vit l’intense militarisation des Hauts de Meuse au sud-est de
Verdun. Compact en 1858, le massif domanial est, en 1914, couturé de
saignées, scindé en six blocs dessinant deux ensembles de part et
d’autre de la trouée de la route d’Allemagne (fig. 5 ). Dans les
intervalles s’étendent pelouses et fruticées sur les glacis et les
abords des grands forts sud-orientaux du camp fortifié, le Rozelier sur
le plateau, Haudainville au sud dominant la Meuse, Moulainville au nord
portant ses vues et ses feux sur la plaine de Woëvre. Reliant ces forts
entre eux et à Verdun court le dense filet du réseau des voies de 0,60 m ;
en couverture des forts se dispersent dans les trouées les ouvrages
d’artillerie et de multiples batteries, redoutes et retranchements.
Le premier décret d’aménagement en
1851 fixe la contenance de la forêt à 2 476 hectares et la divise
en dix séries de trente parcelles. En 1858, l’ouverture d’un champ de
tir au cœur du massif enclenche un processus révélateur des tensions géostratégiques
de la fin du Second Empire. Ce transfert d’affectation d’une propriété
de l’Etat est assorti de nouvelles règles de gestion. A compter de 1871
l’aménagement forestier est sans cesse troublé puis finalement
compromis par l’affectation à l’armée de surfaces considérables
(fig. 6). La forêt domaniale perd au total plus de 600 hectares,
passant de 2 476 à 1 960 hectares entre 1851 et 1914. Mais ce
sont en fait 892 hectares, soit 36 % de la superficie aménagée, qui
sont devenus des sylvosystèmes militarisés. Ces transferts, constants
mais de taille et de localisation assez imprévisibles pour les civils, désorganisent
la gestion de la forêt tout entière et conduisent brigadiers et
inspecteur à modifier, par ajustements successifs, les caractères et le
calendrier de l’aménagement.
C’est une véritable course poursuite
que les forestiers livrent aux militaires pour maintenir un semblant de
gestion de la forêt. Deux temps se heurtent qui obéissent à des impératifs
trop différents ; la coexistence devient impossible. Un sommet est
atteint le 5 janvier 1913 lorsqu’une coupe à blanc de 380 hectares est
décidée pour élargir les vues du fort du Rozelier. Comme la menace de
guerre se précise, l’armée exige que les coupes soient exploitées
avant 1914. Les forestiers émettent alors de fortes réserves sur la nécessité
de ces déboisements, ainsi que l’évoquent les réflexions désabusées
de l’inspecteur de Verdun rapportées supra. L’avilissement
conjoncturel du prix du bois rend de plus très risquée la mise sur le
marche de grandes quantités de produits ligneux60.
On comprend les distorsions qu’introduisent ces ventes non programmées
dans les plans d’exploitation établis par les Eaux et Forêts et les réactions
en chaîne qu’elles provoquent. C’est toute la gestion de
l’inspection de Verdun (elle n’est pas un cas unique dans le nord-est
français) qui est déséquilibrée. Comme les aménagements militaires
sont prioritaires, ce sont les coupes civiles de bois sur pied qui doivent
être réduites, avec la conséquence de désorganiser un peu plus le plan
d’aménagement. Au total, les coupes des exercices 1879 à 1883 sont
supprimées pour toute la forêt. L’aménagement ne peut plus être
appliqué.
CONCLUSION
A partir de 1870, le département de la
Guerre affûta les deux outils efficaces, la zone frontière et la
Commission mixte des Travaux publics, qui lui avaient permis de saisir les
tensions, orienter les convoitises et arbitrer les conflits dont les forêts
du Nord-Est étaient l’objet. Il les mit au service d’une pensée
stratégique qui fonctionna en boucles d’interaction avec les processus
de la transformation du territoire. Lorsque la défaite appela au
renouvellement de la réflexion sur la défense des frontières, la
demande en terre agricole et la pression concomitante sur les forêts déjà
diminuaient. Des surfaces forestières le contrôle s’oriente alors vers
les milieux sylvatiques. Sur le modèle du plan d’aménagement sylvicole
s’élaborent des plans d’aménagement militaire. Passée au bras armé
du politique, la forêt de la zone frontière continue à produire, des
biens économiques mais aussi de la défense ; plus seulement des m3
de grumes ou de bois de feu, mais des obstacles et des digues, des points
d’appui, des abris, des cheminements. Naissent des paysages stratégiques,
marqués par l’association dynamique de sylvosystèmes sylvicoles et
militarisés.
La guerre déclarée, dès le mois de décembre
1914 une commission des forêts fonctionne au 4e bureau de l’état-major
de l’armée avec comme attribution principale de "préparer par
tous voies et moyens la constitution des approvisionnements des bois de
toutes espèces pour les besoins de l’armée". Le constat de sa nécessité,
sa rapide efficacité, sa montée en puissance grâce à une progressive
intégration des structures militaires et civiles concernées61,
le renforcement de ses pouvoirs et attributions, auront été, pro
parte, le fruit d’un demi-siècle de rapprochement et de
concertation entre les hommes de la Guerre et ceux de la forêt.
Fig. 1 - Les inversions du
champ de tension militaire :
la région messine, 1870-1871
Fig. 2 - Le complexe défensif
Lunéville-Manonviller :
situation en 1914
Fig. 3 - Les déboisés
militaires de la place de Verdun
en 1914 (secteur Sud-Est)
Fig. 4 - Les déboisés
militaires du secteur Fleury-
Forts de Souville et de Tavannes - 1915
(D’après la carte du
groupe des canevas de tir, 1/20 000,
feuille Etain)
Fig. 5a - La forêt
domaniale de Sommedieue en 1851
2 476 ha
Fig. 5b - La forêt
domaniale de Sommedieue en 1914
1 960 ha
Fig. 6 - Rythmes et
surfaces des déboisés pour la constitution
du domaine militaire bâti 1874-1914, région fortifiée de Verdun
________
Notes:
1 Archives
du Génie (Ar. G.), art. 6, section Meuse, Travaux mixtes. Pour une vue générale
sur la question, Delmas (gén. J.), Histoire militaire de la France
(HMF), Puf, 1992, tome 2, chap. XX, L’organisation défensive du
territoire, pp. 471-481. Pour une réflexion biogéographique sur les
forêts lorraines et la Grande Guerre voir J.P. Amat, "Guerre et
milieux naturels : les forêts meurtries de l’est de la France, 70
ans après Verdun", Espace géographique, n° 3, 1987,
pp. 217-233.
2 J.
Brunhes et C. Vallaux, La géographie de l’histoire : géographie
de la paix et de la guerre sur terre et sur mer, 1921, cité par M.
Foucher, Fronts et frontières, Fayard, 1ère éd. 1988, p. 61.
3 Gouvion
Saint-Cyr, Rapport au roi, 13 mai 1818, cité par J. Delmas, Histoire
militaire de la France, tome 2, p. 471.
4 E.
Tenot, Les nouvelles défenses de la France. La frontière 1870,
Baillière, 1882.
5 J.
Brunhes et C. Vallaux, op. cit., p. 351. Témoignages sur la
nouvelle frontière par Laussedat (col.), La délimitation de la frontière
franco-allemande, souvenirs et impressions, Delagrave, 1878 ;
exemple des forêts de Moyeuvre et du Donon dans J.P. Husson, La forêt
lorraine ; étude de géographie humaine, Th. d’Etat, université
de Metz, 2 tomes, 1987. Une mise au point sur la géographie militaire et
sur l’"obsession de la frontière" dans Ch. Prioul, "Les
cours de géographie à Saint-Cyr entre 1883 et 1894", Revue
historique des armées (RHA), 1991, n° 183, pp. 58-68.
6 Après
remodelage de la vieille enceinte, construction d’une première ceinture
de forts détachés sur le périmètre amorcé par les Français puis début
d’une deuxième ceinture extérieure, les Festen.
7 Commentaire
dans J.Ch. Jauffret, "La défense des frontières françaises et
l’organisation des forces de couverture, 1874-1895", Revue
historique, avril-juin 1988, n° 566, pp. 359-379.
8 Décisif
car il pose les principes de la nouvelle défense, ce rapport de synthèse
au gouvernement est présenté dans Guy Pedroncini, La défense sous la
IIIe République, SHAT/IHCC, tome 1, vol. 1, dossier n° 47,
pp. 629-657. Le "système Séré de Rivières" est analysé dans
de nombreux travaux, dont J. Doise, "Les rideaux défensifs dans l’œuvre
de Séré de Rivières", Actes du colloque de l’Ecole supérieure
de guerre, Atel. d’imp. de l’Armée, 1978 ; J. Ch. Jauffret art.
cit. ; J. Grasser, "Un exemple de fortifications dites "Séré
de Rivières", camp retranché d’Epinal entre 1871 et 1914", RHA,
1973, n° spécial ; col. P. Rocolle, 2000 ans de fortifications
françaises, Lavauzelle, 1989, tome 2, chap. X, pp. 471-516 ; et
Ph. Truttmann, "La fortification en VIe région militaire", RHA,
ibid.
9 H.
de Jomini, "Art de la guerre", extrait de G. Chaliand, Anthologie
mondiale de la stratégie, R. Laffont, 1990, coll. Bouquins, p. 903.
10 Large
réflexion dans G. Bertrand, "Pour une histoire écologique de la
France rurale", chapitre d’ouverture à l’histoire de la
France rurale, Seuil, 1975, tome 1, pp. 34-113 ; sur le thème,
J.P. Amat, "Exemples lorrains pour une réflexion biogéographique
sur les relations de la forêt et de la guerre", Ve coll. Association
française de Géographie physique, Cnrs, 1988, pp. 49-59.
11 Une
plongée possible dans la diversité des lectures de la forêt,
historique, écologique, économique, psychologique, avec J. Gadant (sous
la dir. de), l’Atlas des Forêts de France, J.P. de Monza éd.,
1991.
12 Milieux
utilisés pendant la Grande Guerre comme ados dans le système des tranchées.
Fin 1914, sur les 180 km de front entre les vallées de l’Aisne et de la
Moselle, la première ligne allemande coupe à travers bois sur 60 km,
s’y adosse sur 20 km ; côté français respectivement 11 km et 45
km. La forêt est un facteur d’organisation des fronts.
13 Archives
du Service historique de l’armée de terre (Ar. SHAT), 22 N 99, 3e corps
d’armée.
14 Description
du champ de bataille de Malplaquet dans A. Corvisier, "Le moral des
combattants, panique et enthousiasme : Malplaquet, 11 septembre
1709", Les hommes, la guerre, la mort, Economica, 1985, pp.
289-314. Un croquis de la bataille de HMF, op. cit., tome 1, p.
534.
15 G.
Hanotaux, Circuits des champs de bataille de France, l’Edit. Franç.
Illust., 1920, pp. 269 et 273.
16 Une
pénétrante exploration de la forêt de Mormal dans J.J. Dubois, Espaces
et milieux forestiers dans le nord de la France, étude de biogéographie
historique. Th. de doct. d’Etat, Université Paris I, 1989, tome 1, pp. 388-411.
Réflexions sur la forêt frontière dans le chapitre VII, tome 1, pp.
540-552.
17 Col.
Langlois, "Cours de tactique de l’artillerie, Ecole de
guerre", cité dans l’"Organisation militaire des chasseurs
forestiers", Revue des eaux et forêts (REF), 1894, tome 33,
p. 433. Cet article expose aussi l’organisation militaire des chasseurs
forestiers.
18 Ar.
G., art. 12, sect. 1, travaux mixtes, zone frontière.
19 Parmi
ceux-ci, L. Barthas, Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier,
La Découverte, 1987 ; Ch. Delvert, Carnets d’un fantassin,
Mémorial de Verdun, 1981 ; M. Genevoix, Ceux de 14, Folio ;
E. Junger, Orages d’acier, id. et Le boqueteau 125, Payot, 1932 ;
B. Simonet, Franchise militaire, Gallimard, 1986.
20 Arnold
Zweig, Education héroïque devant Verdun, Plon, Cercle du
Bibliophile, p. 84.
21 Note
du commandant du génie de la 3e armée, Ar. SHAT, carton 22 N 99.
22 L.
Chancerel, Le combat sous bois et les compagnies forestières, Ch.
Lavauzelle, 1910. L’auteur est un homme d’"interface", chef
de bataillon dans l’infanterie territoriale, docteur en droit et en médecine,
docteur ès sciences, inspecteur des eaux et forêts. Voir aussi, R.
Villate, Les conditions géographiques de la guerre (Etude de géographie
militaire sur le front français 1914-1918), Payot, 1925, chap. V, Les
bois et les forêts.
23 L.
Chancerel, ibid, p. 56. Un compte-rendu commenté de l’ouvrage
dans la REF, 1910, tome 49.
24 Guy
Pedroncini, op. cit., doc. 46, "Réorganisation des frontières
entre la mer du Nord et la Méditerranée", Rapport de la
sous-commission de défense, juillet 1873.
25 Granddidier,
"Les chasseurs forestiers", REF, tome 17, 1878, p. 252.
26 Un
modèle : le plan d’aménagement de la forêt domaniale de Natrou,
comment le lire et l’interpréter, dans J. Gadant, op. cit., pp.
132-133.
27 Le
cantonnement des droits d’usage donne en pleine propriété à la
commune une partie de la forêt sur laquelle s’exerçaient ses droits
d’usage, en contrepartie de l’abandon de ces mêmes droits sur
l’autre partie. Si au début du Second Empire 317 forêts domaniales
couvrant 320 000 ha étaient encore grevées, en 1870 elles sont libérées
de cette servitude, moyennant l’abandon aux communes de 57 000 ha.
28 La
loi de Finances du 23 septembre 1814 prescrit la vente de 300 000 ha
de forêt domaniale. Celle du 25 mars 1817 autorise la vente de 150 000
nouveaux hectares. Les aliénations sont suspendues en 1824 en raison de
la dépréciation du bois qu’elles avaient provoquée ; on ne
trouvait plus d’acheteur. 168 827 ha seulement sont vendus entre
1814 et 1824. Les eaux et forêts du 12e au 20e siècle, Cnrs,
1987, p. 412.
29 REF,
tome 11, 1872, p. 225.
30 Ibid,
Compte-rendu du projet de loi sur la construction des chemins forestiers,
p. 305.
31 G.
Huffel, "Les forêts d’Alsace-Lorraine annexée", REF,
tome 42, 1903, pp. 113-121, estime cette perte à 300 millions de francs
au moins pour les 135 500 ha de forêt domaniale. Lors de
l’exposition universelle de Vienne en 1873, un tableau de l’état
forestier de l’Empire allemand donne 451 337 ha pour
l’Alsace-Lorraine annexée, sur un total de 14,15 millions d’ha. En
1914, les forêts du Reichsland Elsass-Lothringen couvrent 444 105
ha, dont 154 781 ha domaniaux, 201 834 ha communaux et 87 490
ha de bois des particuliers ; elles sont gérées par trois
conservations, Colmar, Strasbourg et Metz (statut des forêts
d’Alsace-Lorraine, REF, tome 53, 1914-1915, p. 512).
32 Cité
par J. Delmas, HMF, tome 2, p. 478.
33 Un
cantonnement se compose de la réunion de 3, 4 ou 5 brigades communales,
domaniales ou mixtes, selon leurs surfaces. A la date de l’enquête la
France compte 453 cantonnements.
34 Situation
et sol, peuplements, limites, origine, traitement et aménagement,
production, dégâts et délits en 1876, droits d’usage, personnel de
surveillance. L’analyse des peuplements fournit des informations sur les
surfaces occupées par les feuillus, les résineux et les essences
principales.
35 La
Statistique et atlas des forêts de France, Imprimerie nationale,
1912, 2 tomes, dite "Enquête Daubrée", vient trop tard pour être
exploitée ; elle n’est vraiment diffusée et connue qu’après la
guerre.
36 J.
Delmas, HMF, tome 2, p. 476.
37 Granddidier,
art. cit., p. 245.
38 Une
définition de la frontière sous l’Ancien Régime citée par M.
Foucher, op. cit., p. 53.
39 Présentation
de la Commission mixte des Travaux publics dans A. Corvisier, Dictionnaire
d’art et d’histoire militaire, PUF, 1988, à l’article
"Servitudes militaires", p. 782. Son rôle géographique est présenté
par F. Reitel, "Le rôle de l’armée dans la conservation des forêts
en France", Bulletin de l’association de géographes français, 1984,
n° 502, pp. 143-154.
40 Dossiers
aux archives des administrations parties prenantes aux travaux de la
Commission mixte. Aux archives du génie, pour les défrichements art. 12
surtout, section 1 : zone des servitudes (1853-1885), travaux mixtes
de la zone frontière (1813-1885) et défense générale (1814-1885) ;
art. 6, travaux mixtes, dossiers départementaux.
41 Ar.
G., art. 6, section Meuse, Verdun-Montmédy, dossier 148.
42 Ar.
G., art. 6, id. dossier 5757.
43 Ar.
G., art. 6, section Ardennes, place de Mézières.
44 J.P.
Amat, "L’affirmation du rôle stratégique de la forêt, 1871-1914,
exemples dans les forêts lorraines", Revue historique des armées,
1993.
45 Ar.
G., art. 6, carton Ardennes-Mézières, Travaux mixtes, adhésions-défrichements.
46 Ar.
G., id. 41, refus d’adhésion n° 7. Argument avancé pour refuser
une demande portant sur 37 ha compris dans les territoires réservés de
la commune de Bréhéville (sur la Côte de Meuse au nord-ouest de Verdun) :
"le défrichement annulerait la valeur défensive des bois voisins
qui se trouveraient ainsi détachés par une large trouée de la forêt de
Woëvre dont ils continuent le massif". Quand les agriculteurs
connaissent les contraintes qui pèsent sur les territoires réservés,
ils avancent souvent comme argument à leur demande de défrichement des
autorisations antérieures pour des parcelles voisines de leurs biens. De
nombreux dossiers pour lesquels les refus sont nets le prouvent. Les
gardes forestiers sont souvent favorables aux demandes déposées par les
particuliers ; dans ce cas ils appuient leurs doléances auprès de
la Commission.
47 Ar.
G., art. 6, id., dossier 5594.
48 Définie
par un "polygone joignant les points situés à 10 km de saillant sur
les capitales des ouvrages les plus avancés". Dans ce périmètre
tous les travaux sont contrôlés par le département de la Guerre. Ar.
G., art. 12, Travaux mixtes, zone frontière, 1863-1885, carton 3.
49 En
Argonne par exemple, tout entière comprise dans les territoires réservés.
Et le chef du génie d’ajouter : "trop de défrichements ont
été accordés depuis 1792, avec ou sans autorisation régulière. Les défrichements
de parcelles voisines réalisés avant le décret du 16 août 1853 ne
sauraient être invoqués comme un précédent".
50 Par
exemple (dossiers de l’art. 6), en décembre 1855, une adhésion de 48,5
ha dans le bois communal de Haudiomont, en 1856, une de 2 ha à Hautecourt
et 5 pour 10,3 ha à Moranville, dans des bois de particuliers.
51 L’officier
du génie argue d’impératifs militaires et ajoute avec ironie
"que l’Etat doit donner l’exemple des sacrifices qu’il impose
aux particuliers". Ar. G., id. 41, dossier 5692.
52 Ar.
G., id., dossier 1416.
53 Ar.
G., id., adhésion n° 72.
54 "Pour
le fort de la Mouche le décret d’acquisition date du 26 janvier 1876,
les actes d’acquisition sont signés le 12 juin de la même année ;
mais cela, c’était en 1876, dans le courant d’opinion de l’après-guerre.
Parfois cela se passe beaucoup moins bien : par exemple, le 11 décembre
1903, le conseil municipal d’Epinal se déclare hostile à l’achat du
terrain et au déboisement par l’armée de 114 hectares de forêt
communale ; les sentiments patriotiques semblent émoussés ;
mais le 19 février 1904, revirement, on ne sait sous quelle
influence...". L’expropriation est finalement votée par le conseil
municipal.
55 F.
Larzillière, Les forêts de Meuse et leurs produits, St Mihiel, A.
Vérand, 1877, Archives départementales de la Meuse, Bar le Duc.
56 Le
traitement des dossiers des articles 6 et 12 concernant les travaux
mixtes, sect. défrichements, n’a été réalisé à ce jour que pour
les départements des Ardennes, de la Marne et de la Meuse. Les premiers résultats
pour la Moselle et la Meurthe et Moselle n’infirment pas cette
affirmation.
57 J.P.
Amat, art. cit., note n°2 1.
58 J.P.
Amat, , "Sylvofaciès et sylvoséquences de la guerre dans les forêts
du nord-est de la France ; dynamique de constitution et (ou) de
reconstitution". Actes du 20e colloque international de
phytosociologie, Bailleul, octobre 1991, à paraître dans Colloques
phytosociologiques, J. Cramer, Berlin-Stuttgart, février 1992.
59 Le
centre de Verdun de l’ONF, comme d’autres centres de gestion, conserve
en archive des documents de l’ancienne inspection des Eaux et forêts.
60 Allaient
être en effet jetés sur le marché 4 553 m3 de bois d’œuvre de
chêne, 9 507 m3 de bois d’industrie de hêtre, 47 070 stères
de bois de chauffage, soit plus de 5 fois la possibilité annuelle des
deux forêts de Sommedieue et d’Amblonville, sa voisine, dont les
volumes exploités étaient de 8 500 m3 annuels en moyenne.
61 Commission
des forêts à la troisième section de la Direction de l’Arrière puis
Inspection générale des bois au ministère de l’Armement à partir de
juillet 1915.