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L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES DANS LA CRISE DU KOSOVO : UNE ABSENCE VOLONTAIRE ET SOUHAITEE PAR LES ÉTATS-UNISpar Alexandra Novosseloff
La
crise du Kosovo est, à bien des égards, un révélateur non seulement des
difficultés rencontrées ces dernières années par le Conseil de sécurité
pour s’affirmer en tant qu’organe pertinent de gestion des conflits,
mais également des méthodes de résolution des conflits de ce qu’il
convient d’appeler, faute d’expression plus appropriée, la
"communauté internationale".1
Cette crise a été gérée par une "communauté
internationale" en perte de repères et qui se cherche. Elle renferme
dans son déroulement tous les paradoxes et tous les problèmes de la vie
internationale de l’après-guerre froide. Elle constitue le point
culminant de la marginalisation de l’ONU au sein du système international
en même temps que son point d’arrêt. La "communauté
internationale" ayant, dans un premier temps, contourné le Conseil de
sécurité, est revenu ensuite vers lui pour poser les bases du règlement
de l’après-guerre et légitimer ex
post son action coercitive envers un État membre de l’Organisation.
Au passage, cette attitude et cette façon de faire questionnent l’utilité
du système des Nations Unies et de son organe décisionnel dans le domaine
du maintien de la paix, le Conseil de sécurité. Pour tenter de régler
cette crise, la "communauté internationale" intervient à l’intérieur
des frontières d’un État souverain sans pour autant remettre en cause le
principe de l’intangibilité des frontières. L’intervention des pays
membres de l’OTAN est, de ce point de vue, un cas unique dans l’histoire
de l’après-Seconde Guerre mondiale : elle est déclenchée contre un
pays qui n’a pas commis d’agression en dehors de ses frontières. Comme
le dit Richard Holbrooke, « c’est bien la première fois qu’une
organisation militaire revendique le droit d’intervenir militairement, à
l’intérieur d’un pays souverain, pour protéger la population de ce
pays contre ses propres dirigeants ».2
Pour autant, beaucoup n’ont voulu voir dans cette action qu’une
"exception" permise par les circonstances : l’horreur des
massacres et de l’épuration ethnique ; l’élaboration en cours
d’un nouveau rôle pour l’OTAN qui s’accompagne de la volonté de légitimer
l’existence de l’organisation dans le monde de l’après-guerre froide
et la volonté d’étendre son champ d’action ; l’antipathie
suscitée par la personnalité du président yougoslave ; les intérêts
des Européens de stabiliser les Balkans et de ne pas rééditer les échecs
et les atermoiements de Bosnie, donc de réparer, dans une certaine mesure,
les erreurs du passé3 ;
le problème des réfugiés que l’Europe ne voulait pas voir déferler sur
son sol ; avec en toile de fond la crainte de l’émergence des nationalismes
au sein de l’ex-Empire soviétique, en particulier dans le Caucase et dans
l’Asie centrale musulmane. Dans cette crise, les États
se heurtent également au problème de la reconnaissance des minorités au
sein d’un État souverain, reconnaissance qui conduit irrémédiablement
et inéluctablement (quoique les diplomates puissent affirmer) à l’indépendance
et la formation d’un nouvel État.4
Dans son origine, la question du Kosovo pose le problème de la prévention,
du traitement des crises ayant des incidences internationales et le délai
de réaction de la "communauté internationale" (dix ans dans le
cas présent). Quelles sont les modalités d’intervention de la
"communauté internationale" au stade de la crise ? Une
population est-elle obligée de prendre les armes pour voir son problème
reconnu ? Quels ont été les facteurs qui ont permis et poussé la
"communauté internationale" à intervenir là et pas ailleurs,
dans des conflits larvés similaires (Kurdistan, Tibet, Tchétchénie, Sud
Soudan). Nous verrons donc les
raisons pour lesquelles le Conseil de sécurité a été écarté de la
gestion de la crise kosovare et quelles ont été les modalités de
contournement du Conseil. Le point d’aboutissement de ce processus a été
le déclenchement de frappes aériennes sur la Serbie et le Kosovo le 20
mars 1999. Que signifie cette action coercitive menée, sans autorisation du
Conseil de sécurité de l’ONU, par une organisation régionale ?
Constitue-t-elle un précédent et représente-t-elle une nouvelle modalité
d’intervention de la part de la "communauté internationale" ?
L’opération de restauration de la paix menée par l’OTAN peut-elle
constituer un modèle d’intervention pour la "communauté
internationale", est-elle un précédent ou alors un cas isolé qui
n’est pas susceptible de se reproduire ? La "communauté
internationale" agirait-elle selon de nouveaux principes, moins orientés
vers les intérêts nationaux de tel ou tel État ? Quelle a été la
voix de l’ONU pendant les deux mois de campagne aérienne ? Pourquoi
l’ONU a-t-elle fini par s’imposer et obtenir le règlement des problèmes
de l’après-guerre ? Cela découle-t-il encore de la logique selon
laquelle le règlement des situations conflictuelles inextricables et
insolubles est confié à l’Organisation mondiale ? Enfin, quels sont
les enseignements de cette intervention pour l’ONU, pour la gestion des
conflits et pour la configuration du système international
d’aujourd’hui ? Que nous enseigne cette guerre (qui ne voulait pas
dire son nom) sur la conflictualité du monde actuel ? Les réponses à
ces questions sont autant d’étapes de la crise qui révèlent
l’inadaptation des méthodes employées par la "communauté
internationale" pour résoudre les crises complexes de cette fin de siècle. Un
Conseil de sécurité divisé, marginalisé et contourné
L’une des premières raisons de la marginalisation et du
contournement du Conseil de sécurité est sa division profonde sur le
traitement à réserver à la crise du Kosovo dont il est saisi depuis le
printemps 1998, suite aux lettres adressées (le 31 mars) à son Président
par le Représentant permanent adjoint du Royaume-Uni et par le Représentant
permanent des États-Unis. Le clivage existe entre, d’une part, la Russie
et la Chine et, d’autre part, les Occidentaux (groupe appelé au sein de
l’ONU le "Permanent 3" ou "P3"). La position des membres permanents du
Conseil de sécurité
La Fédération de Russie
et la Chine ont réinvesti, depuis 1997-1998, dans la fonction et le rôle
du Conseil de sécurité, organe qui redevient pour elles l’un de leurs
premiers moyens d’influence. Ces deux pays se comportent souvent comme les
porte-parole du mouvement des non-alignés, des "non Occidentaux".
La Russie et la Chine n’hésitent plus à exprimer publiquement leur désaccord.
Elles restent, en outre, fermement attachées à la conception classique du
rôle de l’ONU dans le domaine du maintien de la paix (non-ingérence dans
les affaires intérieures d’un État, règlement pacifique des différends,
restriction de l’usage de la force, égalité souveraine des États
membres). Ainsi, pour la Chine, le conflit au Kosovo reste une affaire intérieure,
hors de la compétence du Conseil de sécurité. La Chine ne veut en aucun
cas qu’une intervention de la "communauté internationale" dans
le conflit du Kosovo ne constitue un précédent utilisable ailleurs.5
La Russie reconnaît la
politique néfaste et déstabilisatrice du Président Milosevic pour
l’ensemble de la région balkanique, mais ne peut, au nom de la solidarité
orthodoxe et face à son opinion publique, approuver les menaces de
coercition des Occidentaux. La Russie s’est donc, depuis le début, opposée
à l’adoption d’une résolution autorisant l’usage éventuel de la
force par l’OTAN. Toutefois, sa marge de manœuvre est gênée par sa
situation économique et sa dépendance vis-à-vis des crédits du Fonds monétaire
international. Les Russes ont dû adopter une politique d’équilibriste
entre la volonté de préserver leur coopération avec les Occidentaux, la désapprobation
des pratiques de Milosevic tout comme des frappes aériennes de l’OTAN et
son soutien envers la population serbe. Hubert Védrine explique la
politique des Russes pendant cette crise : « les Russes ne
voulaient pas être associés à tout ce que nous décidions, notamment, au
début, sur les sanctions contre la Yougoslavie, mais voulaient travailler
avec nous et garder leur cap stratégique. Il y a eu désaccord avec eux, et
non rupture. Nous n’avions aucun doute sur le fait qu’au bout du compte
les Russes feraient prévaloir leurs intérêts stratégiques à long terme,
fondés sur un rapprochement avec l’Occident. Ils n’avaient aucune
raison de le remettre en cause pour soutenir un despote balkanique. C’était
très compliqué à gérer pour eux, mais nous n'avons jamais eu de doute
sur le choix final de Eltsine ».6 La Chine et la Russie
sont donc restées fermement opposées au vote de toute résolution
autorisant l’utilisation de la force contre la Serbie. Le problème est
que les autres pays membres permanents, en particulier les Européens, ont
souhaité entreprendre une action de fermeté à l’encontre du Président
yougoslave. Au sein du "P3", une différence de "sensibilité"
existe entre la France, d’une part, qui souhaite une autorisation du
Conseil de sécurité et que l’OTAN ne se présente qu’en tant que
"prestataire de services" pour appuyer une stratégie définie
dans d’autres enceintes internationales ; et les États-Unis et le
Royaume-Uni, d’autre part, pour lesquels le Conseil de sécurité ne
constitue plus un passage obligé pour une intervention armée. Il en avait
déjà été ainsi, en décembre 1998, pour l’opération "Renard du Désert".7
Alors pourquoi ne pas réitérer ce même schéma ? Surtout, les États-Unis
tiennent à garder une liberté de décision et d’action dans la gestion
de toute crise ; ils ne veulent pas se laisser enfermer dans une
situation et être freinés par l’absence de consensus au sein du Conseil
de sécurité. Il existait donc une
division entre les membres permanents du Conseil sur la forme à donner à
une action à l’encontre du régime de Milosevic et de ses exactions, sur
la façon de mener cette action et sur l’organisation internationale qui
devait exécuter cette action (ONU, OTAN, OSCE, UEO). Il existait également
un rapport de forces politique disproportionné entre une Russie économiquement
dépendante de "l’Ouest", une Chine distante qui ne se prononce
que sur la forme de l’action, les États-Unis, puissance dominatrice,
autoritaire et critique envers l’ONU, et la France et le Royaume-Uni qui
ne veulent (ou ne peuvent) rien entreprendre sur le plan militaire sans
leurs alliés américains. Les lignes de fracture étaient trop nettes pour
que le Conseil de sécurité puisse adopter un consensus et éviter le droit
de veto de l’un ou l’autre de ses membres permanents. Les États membres
du Conseil les plus déterminés à agir ont donc dû, parallèlement puis
exclusivement, se tourner vers d’autres instances de négociation et
d’action pour chercher des solutions à la crise du Kosovo. Un processus de décision en dehors du
Conseil de sécurité
La tendance de la négociation
internationale actuelle et de la diplomatie multilatérale est le travail
par groupes informels et consultations multiples. Le pragmatisme prime avant
tout. Les textes ne sont là que pour rassurer et donner un cadre
d’action. Comme le dit Marie-Claude Smouts, « un véritable
"bricolage" institutionnel est en voie de constitution, sans acte
fondateur, sans définition a priori des membres participants et sans
mission préétablie ».8
Le processus de décision qui a eu lieu pour gérer la crise du Kosovo a
poussé ces tendances à leur paroxysme. Pour l’ensemble de la
gestion de la crise, les instances informelles de négociation telles que le
Groupe de contact (États-Unis, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie,
Russie), le G7/G89,
les rencontres entre chefs d'État et de gouvernement, ont toujours pesé
d’un plus grand poids que les consultations informelles de New York.10
Ainsi, ce n’est plus seulement l’exécution de l’action décidée par
le Conseil de sécurité qui s’effectue en dehors de cet organe (comme ce
fut le cas au Rwanda, en Albanie, en Somalie, en Haïti lors de la délégation
par le Conseil de l’exécution d’une décision à une coalition d'États),
mais le processus même qui mène à la décision. Ainsi que le souligne un
rapport d’information du Sénat, « la crise du Kosovo a favorisé
l’appropriation, par des instances diplomatiques comme le groupe de
contact et le G8, du rôle de régulateur des confits traditionnellement dévolu
au Conseil de sécurité des Nations Unies ».11
En définitive, le Conseil de sécurité n’a fait qu’enregistrer les négociations
menées et les résultats obtenus en dehors de l’enceinte de l’ONU. Un
accord diplomatique n’a jamais été négocié à New York ; il ne
passait devant le Conseil de sécurité qu’au moment où il faisait déjà
l’objet d’un consensus ailleurs. Les seules consultations entre membres
du Conseil consistaient à s’assurer que le texte en question ne ferait
pas l’objet d’un veto. Ainsi que le dit justement le rapport
d’information du Sénat, les résolutions votées pendant la crise
« donnent le sentiment que le Conseil de sécurité de l’ONU a été
davantage cantonné dans un rôle quasi "notarial" d’entérinement
de décisions prises dans d’autres enceintes plus réduites ou
informelles, qu’il n’a initié ou décidé lui-même des mesures qu’il
aurait été chargé lui-même de mettre en œuvre ».12 C’est ainsi que le
Conseil de sécurité a été ignoré lors de la phase des négociations
politiques entre les parties en présence et les représentants de la
"communauté internationale" et écarté du processus diplomatique
qui a mené à la Conférence de Rambouillet en février 1999. Une négociation inachevée
L’OTAN est
progressivement apparue comme une évidence en tant qu’actrice militaire
du processus de négociation. Elle a été saisie en juin 1998, et, « avant
même le déclenchement de l’action militaire, a pris une place
importante, en s’impliquant comme "soutien" à l’action
diplomatique, en décidant de développer progressivement une capacité de
menace militaire dans l’hypothèse d’un échec du processus de négociations
qui serait imputable aux responsables yougoslaves ».13
L’OTAN s’est imposée parce qu’elle est l’organisation militaire la
plus intégrée du continent européen ; elle est la seule à travers
laquelle les États-Unis veulent bien intervenir (puisqu’ils la contrôlent
entièrement) ; elle est également « par défaut, la seule
organisation capable de mener des opérations complexes, à caractère
coercitif notamment »14 ;
enfin, elle a montré son efficacité en Bosnie-Herzégovine à partir de
1995-1996 (avec l’IFOR et la SFOR). On peut noter que ces opérations,
comme celle menée au Kosovo, se situent hors de la zone géographique définie
par le Traité de Washington.15
Dans tous les cas, il s’agit, notamment pour les Américains, de re-légitimer
le rôle de l’OTAN dans l’après-guerre froide, après la disparition de
l’ennemi soviétique qui avait été pendant quarante ans sa raison d’être
et le ciment entre ses États membres. Avec l’OTAN, les négociateurs
occidentaux disposaient d’un bâton, d’un moyen de pression conséquent
qui peut rendre crédible les ultimatums adressés au président yougoslave
(octobre 1998 et mars 1999). Mais c’est aussi une arme diplomatique qui,
paradoxalement, les empêche d’être patients, de tester toutes les
combinaisons possibles et de pousser le processus de négociation jusqu’au
bout. De plus, il semble que les Occidentaux aient posé des conditions
presque inacceptables pour un pays souverain. Selon Thierry de Montbrial,
« il y a eu un ultimatum mais pas de véritables négociations. Le
texte de Rambouillet comprend certaines clauses, par exemple, les clauses n°
7 et 8 qui transformaient non pas le Kosovo, mais la totalité du territoire
de la Yougoslavie, dans son sens actuel, en un protectorat militaire de
l’OTAN ».16
En outre, les Occidentaux, surtout les Américains, ont favorisé une partie
au conflit (les représentants albanais du Kosovo) au détriment de
l’autre. Ainsi que le dit l’ambassadeur André Lewin, « agir dans
un autre cadre [que l’ONU], c’est contribuer à marginaliser les Nations
Unies en détournant l’un de ses mécanismes essentiels et montrer qu’on
ne lui fait pas confiance ; c’est aussi, il est vrai, avouer
implicitement que l’action entreprise est trop partiale pour qu’on
puisse espérer une approbation de la communauté internationale toute entière ».17 Dans cette affaire,
l’OTAN n’a accompli qu’un rôle militaire, jamais un rôle politique.18
Ainsi, son rôle principal a été de renforcer son dispositif militaire au
fur et à mesure des impasses politiques et diplomatiques et de préparer
des scénarios d’intervention. Il faut noter que, parmi les scénarios
envisagés par l’OTAN, l’option d’une guerre au sol n’a jamais été
qu’une hypothèse d’école. La France et l’Allemagne s’y sont opposées
d’entrée de jeu et Washington n’a jamais cru qu’il serait possible
d’obtenir un feu vert du Congrès.19 Le tournant de la crise,
c’est le massacre de Racak qui va faire prendre conscience, notamment aux
Américains, que Milosevic est bien décidé, quoi qu’il dise, à réprimer
l’UCK, et que la situation au Kosovo se dégrade.20
Les vérificateurs de l’OSCE quittent le Kosovo à partir du 19 mars 1999
après le blocage des négociations de paix par la partie serbe. Les Serbes
massent alors leurs troupes aux frontières du Kosovo dans le but
d’obtenir le départ d’une partie des Albanais et d’aboutir à une répartition
de la province. L’OTAN déclenche les frappes aériennes le 24 mars 1999.21 Ainsi tout le processus
de décision et de négociation montre que, « privé de réelle
initiative en amont des négociations, le Conseil de sécurité s’est également
vu quelque peu déposséder, en aval, de compétences qu’il avait tenté
d’exercer dans les précédentes opérations de maintien de la paix, en gérant
alors directement la mise en œuvre militaire de ces résolutions ».22 La
substitution de l’OTAN à l’ONU : Une action dans “l’illégalité
légitime”
Une organisation régionale
peut-elle mener une action coercitive sans un mandat de l’ONU ? Selon
l’Article 53 du Chapitre VIII de la Charte, aucune
action coercitive ne peut être entreprise
en vertu d’accords régionaux ou par des organismes régionaux sans
l’autorisation du Conseil de sécurité. Or, l’action entreprise
par l’OTAN23
est exactement contraire à cette disposition et à son propre traité qui
stipule dans son Article 7 : Le
présent Traité n’affecte pas et ne sera pas interprété comme affectant
en aucune façon les droits et obligations découlant de la Charte pour les
parties qui sont membres des Nations Unies ou la responsabilité primordiale
du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales. Cette primauté du Conseil de sécurité a d’ailleurs
été rappelée dans le nouveau concept stratégique de l’OTAN adopté à
Washington en avril 1999 : « Le Conseil de sécurité des Nations
Unies assume la principale responsabilité quant au maintien de la paix et
de la sécurité internationales et, à ce titre, joue un rôle crucial en
contribuant à la sécurité et à la stabilité dans la région
euro-atlantique ». L’adjectif "principal" est le mot clé
de ce texte. Il donne un droit implicite à l’OTAN pour contourner le
Conseil de sécurité, car "responsabilité principale" ne veut
pas dire "responsabilité exclusive". Cette précision quant à la
fonction de gardien de la paix remplie par le Conseil de sécurité a été
voulue par la France, mais elle reste suffisamment vague pour laisser une très
grande marge d’appréciation. Dans la cas de l’action armée entreprise
pour régler le conflit du Kosovo, l’auto-saisine de l’OTAN est donc illégale,
sans être pour autant illégitime sur le plan politique. Le Conseil de sécurité
n’a jamais été divisé sur le fait qu’une action déterminée devait
être menée pour résoudre la crise du Kosovo, en revanche, il l’a
profondément été sur la manière de parvenir à ce résultat. Il n’en a pas moins
adopté un certain nombre de résolutions (au titre du Chapitre VII) et de déclarations
présidentielles qui enjoignaient le Président Milosevic de mettre fin aux
exactions commises au Kosovo et d’offrir
à la communauté albanaise kosovare un véritable processus politique
(S/RES/1160). Le Conseil a décidé un embargo sur les armements et appuyé
la mission de vérification de l’OSCE (S/RES/1203).24
Il faut noter qu’un autre embargo (sur le pétrole) sera décrété par la
suite, non par l’ONU, mais par l’OTAN et l’Union européenne, et après
le début des frappes aériennes, ce qui renverse tout le système de
mesures coercitives graduées prévu par la Charte des Nations Unies. Par la résolution 1199
du 23 septembre 1998, le Conseil envisage de prendre de nouvelles
dispositions et des mesures additionnelles pour maintenir la paix dans
la région. Par ces dispositions, il menace les autorités serbes, mais
« n’impose aucune sanction ni aucune mesure de force ».25
Or, c’est cette résolution que les Occidentaux prennent comme base légale
« pour légitimer un éventuel recours à la force ».26
C’est une interprétation très large et très libre du texte de la résolution
du Conseil.27
Ce n’est pas la première fois que le Conseil de sécurité utilise ce
genre de formule de menace dans ses résolutions, mais c’est la première
fois qu’elle est interprétée de la sorte.28 Ces résolutions ne
donnent donc aucun feu vert explicite, ni même implicite, pour déclencher
les frappes aériennes de l’OTAN. La légalité de l’action militaire
menée par l’OTAN est donc contestable au plan du droit international.
Pour autant, elle a trouvé sa légitimité sur le plan politique et
humanitaire et dans le concept d’intervention d’humanité.29
Il était, en effet, acquis que quelque chose devait être entrepris pour
arrêter l’épuration ethnique au Kosovo et la catastrophe humanitaire qui
en découlait. Selon Claire Tréan, « la véritable légitimité est
d’ordre politique : c’est ne pas tolérer, sauf à renoncer à
tout, que le dernier dictateur en Europe continue son œuvre destructrice et
déstabilisatrice ».30
La forme donnée à l’action est, en revanche, plus critiquable. Le Conseil de sécurité
a débattu, mais de façon très timide, de la situation au Kosovo après le
déclenchement des frappes de l’OTAN,. Le correspondant du journal Libération
relate que « pour éviter tout conflit, le Conseil avait préféré
consacrer ses premières heures de travail à discuter de ... la Guinée-Bissau ».31
Les pays membres du Conseil opposés à l’intervention avaient, eux-mêmes,
pris bien soin d’éviter que la question ne soit soulevée avant le déclenchement
de l’offensive militaire, craignant qu’un débat avant l’opération
militaire ne souligne leur impuissance et la marginalisation de l’ONU.
Malgré son opposition à l’intervention de l’OTAN, la Chine, qui présidait
le Conseil, s’était abstenue de proposer un changement d’ordre du jour.
Et les Russes eux-mêmes, malgré leur violente dénonciation de l’opération,
ont soigneusement attendu qu’elle soit en cours pour demander
l’ouverture d’un débat.32
Ainsi, dans les jours qui suivent le déclenchement de l’opération
"Force déterminée", le Conseil de sécurité rejette à une
large majorité un projet de résolution présenté par la Russie exigeant
« un arrêt immédiat » des frappes de l’OTAN contre la
Yougoslavie. Le projet russe n’a recueilli que trois voix (Chine, Namibie,
Russie) sur quinze, alors qu’une majorité de neuf voix est nécessaire à
son adoption.33
Pour Bruno Racine, « cette position – pas de mandat explicite et
rejet de toute condamnation – reflète la nature politique ambiguë qui
est aujourd’hui celle des rapports entre la Russie, la Chine et
l’Occident ».34
Cette position est aussi une approbation implicite de l’action engagée
par l’OTAN. En définitive et dans
une certaine mesure, la substitution de l’OTAN à l’ONU s’est faite
sans grandes protestations, comme si un consensus non-dit existait sur le
fait que l’ONU était définitivement incapable de gérer et de mener une
action militaire de cet ordre. L’ONU s’est d’ailleurs également fait
dépasser sur le plan humanitaire, l’OTAN construisant ses camps de réfugiés
plus vite que le HCR. La gestion de la crise du
Kosovo a donc entériné le fait qu’une résolution du Conseil de sécurité
autorisant une action coercitive n’est même plus considérée comme
obligatoire. Elle a également constaté une substitution de fait de
l’ONU, organisation internationale universelle, par l’OTAN, alliance régionale
et instrument de légitime défense collective, afin de mettre en œuvre
« un concept de sécurité collective élargi, au nom de valeurs
universelles ». Ainsi que le fait remarquer le Professeur Serge Sur,
« l’élargissement matériel de la sécurité collective se double
alors d’une substitution institutionnelle, sans que le droit qui les régit
soit formellement modifié. Un tel bricolage ne peut qu’engendrer une
confusion générale, que l’on peut espérer provisoire ».35
Sur ce point, les États-Unis
sont très francs depuis le milieu des années 1990.36
A la question de savoir si « l’OTAN du XXIè siècle devra toujours
disposer d’un mandat précis du Conseil de sécurité de l’ONU pour agir »,
la Secrétaire d'État, Madeleine Albright répond, « non » :
« L’Alliance ne peut pas être l’otage du veto de tel ou tel pays
contre une opération, car, dans une telle hypothèse, l’OTAN ne serait
plus qu’une simple filiale de l’ONU. (...) Il serait parfait, en théorie,
d’obtenir à chaque fois un vote à l’ONU, mais en pratique cela ne
marche pas. Il me semble qu’il est donc très important pour nous d’être
capables d’agir quand c’est nécessaire tout en essayant d’obtenir le
soutien de l’ONU quand c’est possible ».37
Les États-Unis ne croient donc ni à la possible mise en œuvre du Chapitre
VIII de la Charte des Nations Unies, ni au rôle de l’ONU dans le domaine
du maintien de la paix et de la résolution des conflits. Certes, on peut
ressasser indéfiniment la question des échecs de l’ONU en Bosnie et
ailleurs sans en désigner les véritables responsables, mais l’OTAN
a-t-elle fait mieux dans ce domaine ?38
D’ailleurs, ne peut-on voir dans cette critique de l’Organisation
mondiale, une critique plus large de l’ensemble des organisations multilatérales,
y compris de l’OTAN ? Il semble, en effet, que
l’action engagée au Kosovo ait été menée plus par des États de façon
individuelle que par une coalition comprenant l’ensemble des États de
l’Alliance. En effet, la règle du consensus n’a pas, au sein du Conseil
de l’Atlantique Nord (NAC) non plus été entièrement respectée du fait
de l’opposition de l’Italie et de la Grèce (du moins dans les faits).
Il faudrait donc plutôt parler d’une substitution d'États individuels à
une organisation internationale de sécurité. Il existait, pour gérer la
crise au Kosovo, un "directoire informel" des opérations, réunissant
autour des États-Unis les « alliés privilégiés »
(Grande-Bretagne, France, Allemagne) : « à chaque phase de la
guerre, la définition de la ligne politique et militaire s’effectue par
une concertation directe entre les chefs d'État ou de gouvernement des
capitales concernées, le Conseil atlantique et son comité militaire étant
invités à discuter des détails de la mise en œuvre de cette ligne ».39 Les États les plus
puissants se seraient donc "auto-attribué" un droit
d’intervention. Serait-ce revenir à la conception originale de la Charte
qui veut que les grandes puissances jouent les "gendarmes du
monde" ? Seulement, et la différence est de taille, cette gestion
collective du monde devait se faire sous le contrôle d’un Conseil de sécurité
dans lequel ces puissances siègent. Cette intervention sans contrôle est
donc plutôt une dérive non seulement par rapport aux dispositions de la
Charte, mais aussi par rapport aux règles du droit international. Elle est,
en outre, dangereuse car elle contribue à faire de la gestion de la sécurité
mondiale une affaire de "Blancs anglo-saxons", ce qui, par là même,
la décrédibilise et accentue le fossé entre le Nord et le Sud. Ainsi que
le dit l’éditorialiste du journal Le
Monde, « on peut comprendre que l’OTAN ne veuille pas dépendre
d’un éventuel veto russe ou chinois pour agir en situation d’urgence.
Mais elle donne désormais l’impression de vouloir incarner sur la planète
un "camp occidental" qui se situe hors normes, hors légalité
internationale. C’est dommage et sans doute dangereux ».40 L’absence
du Secrétaire général
C’est l’ensemble de
la machine onusienne qui a été mise à l’écart pendant la crise et la
guerre du Kosovo : un Conseil de sécurité contourné, une Assemblée
générale impuissante et un Secrétaire général absent. C’est l’attitude de
ce dernier qui est peut-être la plus blâmable, le Secrétaire général se
devant d’exprimer haut et fort son désaccord quand son Organisation se
voit mise sur la touche avec aussi peu d’élégance. On peut dire que le
Secrétaire général n’a pas osé s’élever publiquement contre la mise
à l’écart de son Organisation et ni osé critiquer la forme prise par
l’action coercitive engagée par l’OTAN. Il devait avoir toujours en mémoire
la réprimande américaine à la suite de ses négociations réussies avec
Saddam Hussein en février et octobre 1998. Le Secrétaire général aurait
cependant, au cours d’une conversation téléphonique avec Madeleine
Albright, menacé de démissionner pour protester contre le sort réservé
à l’ONU. La Secrétaire d'État l’aurait à son tour menacé de ne pas
le soutenir lors de sa prochaine campagne électorale.41
Très vite, le Secrétaire
général a précisé que l’ONU ne jouait pas un rôle dirigeant dans la
recherche d’une solution du conflit.42
Il a donc très vite transmis l’affaire à l’OSCE et à l’OTAN et
n’a pris aucune initiative. Il a, par conséquent, lui-même entériné le
rôle de "blanc-seing" du Conseil de sécurité et celui de
l’ONU comme simple instance de légitimation d’une action conduite en
dehors d’elle. Il a ainsi implicitement approuvé l’action de l’OTAN
quand il a déclaré, à l’annonce du déclenchement des frappes aériennes :
« Il est bien entendu tragique que la diplomatie ait échoué, mais il
y a des fois où l’utilisation de la force peut être légitime dans la
poursuite de la paix. »43
Il a rappelé que le Conseil de sécurité devrait, selon les dispositions
de la Charte, et en particulier celles du Chapitre VIII, « être
impliqué dans toute décision concernant le recours à la force ».
Cependant, il n’a pas critiqué les États de l’OTAN d’avoir agi en
dehors de l’enceinte du Conseil de sécurité. Pour lui, l’ONU n’a pas
de rôle immédiat pour mettre fin aux attaques aériennes. A la question de
savoir s’il voyait un rôle pour lui-même dans cette crise, il a répondu :
« Pas à ce stade, la direction est quelque part ailleurs. Le Groupe
de contact est en tête et à ce stade, je n’ai pas de plans pour
m’impliquer de façon immédiate ».44
A la question : « quel est le rôle d’un Secrétaire général
dans une telle tragédie », le porte-parole de Kofi Annan répond
qu’il peut appeler l’attention du Conseil de sécurité lorsque le
Conseil ne traite pas la question (ce qui n’est pas le cas pour le
Kosovo), qu’il peut user de son autorité morale pour appeler
l’attention de l’opinion publique, mais qu’il n’a pas d’armée. Il
conclut qu’il n’y a pas grand-chose à faire !45
Le Secrétaire général, par la voix de son porte-parole, reconnaît donc
ne pas avoir la capacité militaire de gérer une crise. C’est un aveu
d’impuissance qui prend la forme d’une résignation, alors que le Secrétaire
général doit, au contraire, avoir une voix morale. Bref, le Secrétaire général
n’a pas su gérer cette crise46
et tenter de s’imposer au moins comme un médiateur crédible et
indispensable. Au milieu des bombardements, il n’a fait que reprendre à
son compte les conditions minimales imposées par l’OTAN et le G8 pour
reprendre le dialogue diplomatique : - mettre fin immédiatement
à la campagne d’intimidation et d’expulsion de la population civile ; - faire cesser toutes les
activités des forces militaires et paramilitaires au Kosovo et retirer ces
forces ; - accepter
inconditionnellement le retour dans leurs foyers des réfugiés et de toutes
les personnes déplacées ; - accepter le déploiement
d’une force militaire internationale pour garantir que le retour des réfugiés
se fera dans des conditions de sécurité et que l’aide humanitaire sera
acheminée librement ; - permettre à la
communauté internationale de vérifier que ces engagements seront respectés.47 L’action du Secrétaire
général n’a eu que peu d’effet puisqu’il a été mis à l’écart
des négociations de l’après-guerre. Les Américains ont préféré désigner
le représentant finlandais, M. Martti Ahtisaari pour représenter la
"communauté internationale".48 La résolution
1244 : un plan pour une sortie de crise
Après 79 jours de
bombardements ininterrompus et après son inculpation par le Tribunal pénal
international pour « crimes de guerre » et « crimes contre
l’humanité », le président Milosevic accepte, le 3 juin 1999, les
dix points du plan de paix du G8. Il est contraint d’accepter ce qu’il
avait obstinément refusé à Rambouillet : une autonomie substantielle
d’un Kosovo évacué par toutes les forces militaires, policières et
paramilitaires serbes, garantie par une force militaire comprenant
d’importants contingents de l’OTAN.49
N’ayant pu donner un cadre légal à l’action militaire, les pays
membres du G8 veulent en obtenir un pour leur plan de paix. Ils se
retournent donc vers l’ONU pour donner un numéro de résolution (1244) à
leur projet. L’ONU est ainsi ramenée dans le jeu politique et
diplomatique, mais à dose homéopathique et avec beaucoup de limites imposées
par les États. C’est à Bonn, puis à Cologne, que les ministres des
Affaires étrangères du G8 négocient un compromis entre les positions des
Occidentaux et celles de la Russie. La négociation s’est faite autour
d’une proposition française de simultanéité entre les travaux sur la résolution
à New York et les discussions militaires entre l’OTAN et la Yougoslavie
à Kumanovo. Intégralement rédigé
au sein du G8, le plan de paix est peu modifié par la suite. Les
amendements proposés la veille de son adoption par la Chine ont été rejetés.
Seule une phrase, dans le préambule du texte, rappelant les
principes et les buts consacrés
par la Charte des Nations Unies et la responsabilité
principale du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et la sécurité
internationales est maintenue.50
Le projet de résolution est adopté (avec l’abstention de la Chine) après
que le Secrétaire général de l’OTAN eut annoncé la suspension des
bombardements suite au début vérifié du retrait des troupes serbes du
Kosovo. La résolution réaffirme
l’attachement de tous les États membres à la souveraineté et à l’intégrité
territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et de tous les
autres États de la région. Elle décide
du déploiement au Kosovo, sous l’égide de l’ONU, de présences
internationales civile et de sécurité dotées du matériel et personnel
appropriés, en tant que de besoin ; autorise
les États membres et les organisations internationales compétentes à établir
la présence internationale de sécurité au Kosovo ;
affirme la nécessité de procéder sans tarder au déploiement rapide de présences
internationales civile et de sécurité efficaces au Kosovo ; et autorise
le Secrétaire général à établir une présence internationale civile au
Kosovo afin d’y assurer une administration intérimaire dans le cadre de
laquelle la population du Kosovo pourra jouir d’une autonomie
substantielle au sein de la République fédérale de Yougoslavie. Cette résolution, prise
dans le cadre du Chapitre VII, pose donc les bases d’un règlement de la
situation conflictuelle au Kosovo ; elle ne constitue en aucun cas une
légitimation ex post de
l’action de l’OTAN. Comme le dit le Professeur Serge Sur, elle « n’a
pas de dimension rétrospective » : « Il l’a plutôt mise
entre parenthèses, ne se préoccupant que de mettre en place ou
d’avaliser la période de transition, avec présence militaire
internationale et administration civile provisoire du Kosovo ».51
Une fois de plus – et c’est donc une tendance de ces cinq dernières années
– l’ONU délègue le volet sécurité à ses
États membres et aux
organisations internationales compétentes (sans les citer). Ceci
signifierait-il, de l’aveu même des membres du Conseil de sécurité, que
l’ONU n’est plus compétente pour
les affaires de sécurité ? ! L’ONU est donc cantonnée à la
partie civile de la reconstruction du Kosovo. La Secrétaire d'État avait
d’ailleurs rappelé à Kofi Annan, lors du voyage du Secrétaire général
à Washington du 7 mai 1999 : toute ingérence politique et militaire
de l’ONU sera « inacceptable » ; la présence militaire
internationale au Kosovo ne sera pas une force de l’ONU et elle ne sera
« en aucun cas » sous contrôle des Nations Unies. L’ONU devra
« se contenter de ce qui la regarde, c’est-à-dire les affaires
humanitaires ».52
On ne peut être plus clair ! Une
Organisation des Nations Unies cantonnée aux affaires civiles de
reconstruction du kosovo
Dans sa phase finale,
l’action de la "communauté internationale" au Kosovo préserve
les schémas établis par la pratique et est significative de l’évolution
de l’action de l’ONU dans le domaine du maintien de la paix : un
volet sécurité mis en œuvre par certains États membres ou organisations
régionales, l’ONU gérant le volet policier et civil. L’Organisation
mondiale a finalement abandonné tout le volet militaire. D’ailleurs, les
Américains et les Britanniques ont refusé, d’emblée, qu’une opération
internationale soit dirigée par une organisation autre que l’OTAN. Le
refus de voir des Casques bleus se déployer au Kosovo a été catégorique.
Le Secrétaire américain à la défense a expliqué que l’ONU pouvait
jouer un rôle dans l’application civile d’un accord, « mais que
la partie militaire était purement sous le contrôle et le commandement de
l’OTAN. Il ne peut y avoir de malentendu à ce sujet ».53
Mais des Casques bleus bien armés, avec des règles d’engagement
robustes, auraient pu tout aussi bien faire le même travail que l’OTAN.
C’est juste une question de perception psychologique et de confiance de la
part des États, par conséquent la question des moyens mis à la
disposition de l’ONU. Il n’en reste pas moins que l’OTAN a été
construite pour rompre avec les principes qui ont inhibé l’action des vérificateurs
de l’OSCE et celle des Casques bleus en ex-Yougoslavie par exemple :
le principe de la neutralité, celui de la « fiction des responsabilités
également partagées » ; elle « identifie le premier
coupable des maux (...) et le désigne de la voix et du geste comme
l’adversaire ».54 Le schéma suivi au
Kosovo est le même que celui opéré en Haïti, en Bosnie et qui émerge au
Timor oriental. Après une opération militaire conduite soit par un État
leader (les États-Unis en Haïti, l’Australie au Timor) soit par une
organisation régionale leader (l’OTAN en Bosnie), l’ONU prend le relais
en créant des missions de police ou une administration provisoire : la
Mission des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine et Groupe International de
Police (MINUBH / GIP) créée en décembre 1995, la Mission de transition
des Nations Unies en Haïti (MITNUH) menée entre juillet et novembre 1997,
la Mission de Police Civile des Nations Unies en Haïti (MIPONUH) créée en
novembre 1997, le Groupe d’appui de police des Nations Unies en Slavonie
orientale (UNPSG) créé en décembre 1997.55
Le rôle de la police civile remplace aujourd’hui celui du maintien de la
paix. La résolution 1272 a créé une Administration transitoire des
Nations Unies au Timor oriental (UNTAET). Au Kosovo, c’est la
MINUK qui est chargée de mettre sous tutelle internationale l’ensemble de
la province. Elle s’est déployée après que la Force de sécurité pour
le Kosovo (KFOR) ait "sécurisé" le terrain. Le représentant spécial
de l’ONU « n’a pas de droit de regard sur les militaires, mais une
étroite coordination entre la composante civile et la composante militaire
est prévue. Les militaires devront faire rapport au Conseil de sécurité ».56
La KFOR est également chargée de soutenir l’action de l’ONU par
l’accomplissement de ce que l’OTAN appelle les "tâches de soutien
essentielles". L’ONU et son représentant spécial, M. Bernard
Kouchner, doivent reconstruire (avec 13 milliards de francs sur trois ans)
toute l’infrastructure administrative, judiciaire et policière du pays.57
Le Conseil de sécurité a confié à la Mission de l’ONU le soin
d’administrer le territoire et la population du Kosovo, tous les pouvoirs
législatifs et exécutifs, ainsi que les pouvoirs judiciaires. Le déploiement
de 3100 policiers est envisagé. Partagée en quatre secteurs principaux
(administration civile, aide humanitaire; démocratisation et renforcement
des institutions, reconstruction), la MINUK aura les tâches principales
suivantes : faciliter au Kosovo l’instauration d’une autonomie et
d’une auto-administration substantielles ; exercer les fonctions
d’administration de base ; faciliter un processus politique visant à
déterminer le statut futur du Kosovo ; faciliter la reconstruction des
infrastructures essentielles et l’acheminement de l’aide humanitaire et
de secours ; maintenir l’ordre public ; promouvoir les droits de
l’homme ; veiller à ce que tous les réfugiés et personnes déplacées
puissent rentrer chez eux en toute sécurité et sans entrave. Mais la tâche
de l’ONU est d’ores et déjà limitée par le manque de moyens
(notamment financiers), par le fossé qui existe entre les aspirations de la
majorité kosovare et les termes du mandat de la MINUK, par l’absence de réponse
apportée aux problèmes économiques de l’ensemble de la région des
Balkans, par la puissance de la mafia locale, par le manque de fermeté face
à l’UCK, par la lenteur du processus de construction d’un édifice démocratique,
par l’absence de services publics et de système judiciaire après le départ
des Serbes. Une gestion de crise inefficace et une
donne internationale inchangée
La gestion de la crise du
Kosovo est le reflet de l’incohérence des pratiques et méthodes des États
dans la résolution des conflits depuis la disparition du carcan
qu’imposait la guerre froide. Bien que les États n’aient pas voulu,
dans cette crise, rééditer les échecs de leur action en Bosnie-Herzégovine
et aient donc privilégier une approche (coercitive) différente, on peut se
demander si, tout compte fait, ils ne sont pas une nouvelle fois tomber dans
le piège du règlement des conflits ethniques et religieux. Il est un fait
que sans analyse préalable de la situation et de son contexte et sans
objectifs clairs et précis, des méthodes même différentes ne peuvent
qu’apporter des demi-solutions. Il y a eu une méconnaissance presque
totale de l’adversaire et de l’histoire de la région. Produire les mêmes
réflexions et employer les mêmes méthodes dans un monde qui a profondément
changé et qui continue d’évoluer rapidement, c’est arriver à des échecs
certains, c’est foncer tout droit dans un mur. En ce sens, la gestion de
la crise du Kosovo n’est pas différente de celle des crises antérieures
au Rwanda, dans les autres régions de l’ex-Yougoslavie, en Somalie, ni même
des crises postérieures comme celle du Timor oriental. A chaque fois, la
"communauté internationale" ne se décide à intervenir qu’après
les massacres, c’est-à-dire qu’elle n’intervient qu’en réaction à
un événement, au dernier moment, malgré les nombreux signes
avant-coureurs, au lieu d’agir avant ou sur l’événement. Elle
n’applique le plus souvent qu’une simple méthode répressive qui pénalise
plus les populations que leurs dirigeants. Elle intervient sans plan précis
autre que celui de mettre un terme aux exactions, c’est-à-dire qu’elle
ne réfléchit pas aux conséquences de son intervention sur la région ni
aux objectifs d’après-guerre. Bref, les dirigeants de la "communauté
internationale" ont le plus grand mal à saisir les situations
conflictuelles complexes de l’après-guerre froide qui mêlent problèmes
économiques, problèmes liés à la décolonisation, rivalités de
pouvoirs, antagonismes religieux, ethniques et culturels, expansion démographique,
absence de structures étatiques, etc. De fait, le grand échec
de cette "communauté" dominée par une pensée anglo-saxonne,
ainsi que de l’ONU, c’est son incapacité à anticiper les crises et à
privilégier la méthode préventive. Les dirigeants politiques ne savent ni
penser sur le long terme, ni agir pour le long terme. Ils ont également du
mal à investir dans la prévention qui est, par nature, intangible, puisque
sa réussite signifie « non événement ». Dans le cas du
Kosovo, il aurait dû être du devoir de la "communauté
internationale" de soutenir le combat non violent d’Ibrahim Rugova.
D’ailleurs, le partage de la Bosnie annonçait en partie la crise du
Kosovo. Le problème est qu’à ce moment-là, le président Milosevic était
encore un interlocuteur indispensable, donc acceptable, pour signer un
accord de paix. L’évolution des crises se fait donc au gré des
bricolages possibles à un moment donné et non d’une ligne directrice
bien définie. Les amis d’hier peuvent aisément devenir les ennemis
d’aujourd’hui. Les intérêts des États n’ont jamais été aussi
changeants que dans cette période de l’après-guerre froide qui se
cherche. Dans ces conditions, peut-on voir dans la gestion de la crise du
Kosovo un tournant ou une prise de conscience d’une restructuration du
système international issu des bouleversements du début des années 1990 ? Il est de mise de donner,
à l’issu de tout conflit majeur, des perspectives nouvelles pour la
configuration des relations internationales. La guerre du Golfe devait,
disait-on, déboucher sur un « nouvel ordre mondial ». La guerre
du Kosovo doit instaurer un droit en faveur d’un nouveau type
d’intervention, l’intervention d’humanité, quelque soit l’endroit où
des exactions sont commises.58
Cette intervention doit se faire dans des conditions nouvelles où le prétexte
de la souveraineté étatique ne peut plus protéger les États qui
commettent des violations massives des droits de la personne humaine. La
guerre du Kosovo aurait donc remis en cause la conception traditionnelle de
la souveraineté nationale ; elle aurait déplacé la souveraineté
vers la responsabilité. Elle aurait donné naissance à un nouvel
internationalisme, « sorte de wilsonisme humanitaire qui ne se
limiterait pas au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », mais
défendrait également « les droits de l’homme, les droits des
minorités, les libertés religieuses et culturelles ».59
On a pu le penser quand le Conseil de sécurité a autorisé (après
beaucoup de réticences et une fois les massacres perpétrés) le déploiement
d’une force multinationale au Timor oriental ; on peut en douter
aujourd’hui pour ce qui concerne le règlement de la guerre en Tchétchénie.
D’un strict point de vue du respect du droit international, la manière
dont a été réglée la crise du Kosovo ne peut constituer qu’une
exception du fait du contournement du Conseil de sécurité. Quoiqu’il en soit, le
problème de l’intervention pose un grand nombre de questions non résolues
à ce jour : celle de la possibilité matérielle d’intervenir
partout, celle de la volonté des États d’agir pour le bien commun, celle
du droit de veto des États membres permanents du Conseil de sécurité qui
peuvent ainsi encore bloquer tout débat ou toute décision pour des
situations dans lesquelles leurs intérêts seraient en jeu, celle de la
possibilité de concilier souveraineté nationale et droits des individus,
celle du pouvoir des États puissants contre lesquels une intervention est
difficilement envisageable, bien qu’ils violent autant que les petits États
les droits de l’homme – est-il besoin de rappeler encore une fois la
situation des droits de l’homme et du droit humanitaire en Tchétchénie
et au Tibet. Peut-il alors exister des « souverainetés limitées » ?
Les principes sur lesquels se fondent ces interventions peuvent-ils être
universellement acceptés ? Ces questions se trouvent au cœur des
contradictions du système international que le bricolage diplomatique dans
l’organisation de la vie internationale ne peut qu’accentuer. Si les modalités d’une
intervention internationale ne sont toujours pas clairement définies et
acceptées par tous, la guerre du Kosovo a, par contre, systématiser un
mode d’intervention militaire pour l’après-guerre froide : une
“guerre” (ou “pseudo-guerre” qui ne dit pas son nom) “propre”
(comme si cela pouvait exister !), c’est-à-dire qui fait le moins de
victimes parmi la coalition alliée (l’objectif étant le « zéro
mort »)60
et qui ne provoque que des « dommages collatéraux ».61
Mais ces termes sont tous également contradictoires. L’essence même de
la guerre, aussi effroyable soit-elle, n’est-elle pas de faire des morts ?
Par conséquent, mener une guerre en s’interdisant de subir des pertes,
c’est de la même façon s’interdire certaines options. Comme le
souligne Thérèse Delpech, « l’OTAN n’a jamais été en guerre,
mais en "gestion de crise", un euphémisme qui en dit plus long
que tous les discours sur l’absence de stratégie de l’Alliance. Il est
très difficile de gagner une guerre que l’on se refuse à engager. Une
crise se résout plus qu’elle ne se gagne et elle permet des compromis,
voire des renoncements ».62
L’obsession de la sécurité des troupes paralyse l’initiative. L’après-guerre
froide aurait donc inventé le concept de « demi-guerre », de
guerre sans victoire militaire, de guerre sans morts et sans risques, de
guerre facile. La guerre est donc devenue « un phénomène déréglé,
sans commencement "déclaré", sans terme signifié, sans contrôle
et sans lois ».63
C’est également une guerre qui surestime la technologie sur la stratégie,
la technologie tenant lieu de stratégie. Or, le monde de l’après-guerre
froide a moins besoin de technologie que de savoir-faire pour maîtriser la
violence. Les massacres d’aujourd’hui se font à coups de machette. Il
apparaît dès lors presque ridicule d’y opposer les F-111 ou les
bombardiers dernier cri à deux milliards de dollars l’unité. En outre,
la guerre du Kosovo aura démontré que la guerre aérienne ne peut se
suffire à elle-même : elle n’a pas empêché les mouvements de
troupes serbes ; elle n’a pas non plus stoppé de façon radicale
l’épuration ethnique en cours ; elle n’a pu faire craquer une
population étroitement contrôlée par ses dirigeants ; elle n’a pas
détruit l’armée serbe. Les frappes aériennes ne peuvent pas être une
fin en soi et sont rarement la solution qui préluderait à un règlement
politique d’une crise. Selon François Heisbourg, « l’histoire des
opérations aériennes depuis les premiers bombardements d’envergure
montre que ceux-ci n’ont de chances d’atteindre leur objectif stratégique
qu’à partir du moment où l’adversaire peut craindre une capacité crédible
d’invasion terrestre ».64
Ceci s’est confirmé. Le président Milosevic a commencé à céder à
partir du moment où mes Américains ont laissé entendre qu’une
intervention terrestre n’était pas complètement exclue. Enfin, la crise du Kosovo
a sérieusement questionné le rôle de l’Organisation des Nations Unies
dans ce système hybride d’après-guerre froide, unipolaire et
multipolaire à la fois.65
Quel est, à l’aube du XXIè siècle, le rôle de l’ONU dans le domaine
du maintien de la paix et de la sécurité internationales ? Quelles
sont ses missions d’avenir ? Est-il temps pour l’Organisation
mondiale de redéfinir ou de recentrer ses missions ? Comment faire
pour qu’elle ne soit pas absente d’une nouvelle crise majeure, qu’elle
participe à sa résolution et qu’elle soit efficace ? Ces questions
posent en fait le problème de la réforme des Nations Unies et la volonté
de ses États membres pour procéder à cette revitalisation nécessaire. Il
apparaît en effet, aujourd’hui, indispensable que l’ONU et son Conseil
de sécurité se dotent des moyens adéquats pour faire respecter leurs décisions.
A l’heure où l’Union européenne se structure dans ce sens, il est tout
aussi nécessaire que le Conseil de sécurité puisse disposer de moyens
militaires (identifiés à l’avance) mis à sa disposition par les États,
dans les cas de crise qui n’intéresserait pas directement les
Occidentaux. D’ailleurs, il faudrait en profiter pour repenser
l’ensemble de l’architecture institutionnelle internationale chargée du
maintien de la paix. Pourquoi ne pas imaginer une meilleure division du
travail dans ce domaine entre le Conseil de sécurité et les organisations
régionales de sécurité ? Cette mise à disposition
du Conseil de sécurité d’un outil militaire passe par un réinvestissement
des États dans l’Organisation mondiale, par la reconnaissance de son rôle
légitime unique pour assurer le maintien de la paix et de la sécurité
dans le monde. Ce réinvestissement ne pourra être possible que par une
certaine démocratisation du système onusien, et notamment par un élargissement
du Conseil de sécurité. Une capacité militaire et un Conseil de sécurité
renouvelés ne pourront qu’être au service de méthodes d’action
elles-mêmes renouvelées, actualisées, plus en phase avec les besoins que
requiert le règlement de situations conflictuelles complexes. Le Conseil de
sécurité doit avoir la capacité « d’interpréter, de prévoir et
de maîtriser des explosions violentes propres à un monde qui n’est plus
bipolaire ».66
Dans cette optiques, le rôle de l’ONU n’est plus d’être un
pompier qui interviendrait après coup, seulement quand on l’appelle, pour
éteindre des incendies. Le rôle des Nations Unies est clairement préventif
et situé au centre d’un système de sécurité mondiale renouvelé.
________ Notes:
1
Expression censée renfermer une coalition à caractère universel,
mais qui en fait, recouvre des coalitions d’Etats différentes selon les
situations et qui, pour le cas du Kosovo a souvent recouvert la coalition
des Etats occidentaux et confondu l’ONU avec l’OTAN. Selon Philip S.
Golub, « par glissements successifs, les discours officiels
occidentaux assimilent désormais l’OTAN aux institutions multilatérales
et confondent les décisions de l’Alliance avec une introuvable volonté
universelle. Si l’on perçoit aisément l’utilité instrumentale de
cette assimilation, surtout pour ceux qui désirent s’affranchir d’un
système multilatéral encombrant, elle ne saurait masquer l’éclatement
de cette fameuse "communauté internationale". La mise à l’écart
de l’ONU dans la gestion de la crise du Kosovo a ravivé, au sein de
nombreux pays destinés à jouer un rôle important sur la scène mondiale,
une méfiance à l’égard de ce qu’ils considèrent comme une volonté
dominatrice de l’Occident. C’est le cas, bien sûr, de la Russie, mais
aussi de la Chine, de l’Inde, du Vietnam et de l’Afrique du Sud. Tous
ces Etats, dont trois sont des puissances nucléaires, ont manifesté leur
opposition franche, parfois même violente, aux bombardements de l’OTAN et
dénoncé une action menée hors de l’ONU et du Conseil de sécurité ».
In, "Cette communauté dite
‘internationale’", Le Monde
diplomatique, juin 1999, p. 5. 2
Cité par Afsané Bassir Pour, "M. Holbrooke et M. Annan
s’opposent sur le rôle de l’OTAN dans les conflits intérieurs", Le
Monde, 30 octobre 1998. 3
En mars, Madeleine Albright disait : « L’Histoire nous
regarde et nous avons l’occasion de réparer les erreurs que nous avons
faites il y a quatre ou cinq ans ». Citée par Jacques Amalric,
"L’OTAN de l’hésitation à l’engrenage", Libération,
23 avril 1999. 4
Afsané Bassir Pour / Alain Frachon, "Kosovo, la question taboue
de l’indépendance", Le Monde,
13 novembre 1999. En effet, l’écrasante majorité des Kosovars
d’origine albanaise souhaitent l’indépendance, et, dans les faits, le
Kosovo est séparé de la Serbie administrativement, économiquement,
judiciairement et sécuritairement. 5
« Ce qui terrifie Pékin – le mot n’est pas trop fort –
dans l’affaire des Balkans, c’est le précédent de ce que représente
à ses yeux toute initiative outrepassant les limites d’un droit
international reposant sur le principe de "souveraineté". Pékin
imagine en effet l’hypothétique internationalisation d’un conflit
autour de Taiwan ou dans ses provinces rétives, Tibet ou Xinjiang musulman
par exemple. La Chine ne veut en aucun cas devoir ouvrir ses frontières réelles
ou rêvées (dans le cas de Taiwan) à des forces étrangères de prévention
des conflits ou de "police internationale". » Francis Deron,
"La Chine redoute un précédent dangereux", Le
Monde, 27 mars 1999. 6
Pierre Haski, "Kosovo : dans les coulisses du ‘club des
cinq’", Libération, 1er
juillet 1999. 7
Un ambassadeur a rappelé qu’en « moins de huit mois »,
les Etats-Unis « ont bombardé quatre pays [Serbie, Irak, Soudan,
Afghanistan] au mépris de la Charte de l’ONU ». Propos recueillis
par Afsané Bassir Pour, "L’ONU rejette une résolution russe
demandant l’arrêt des bombardements", Le
Monde, 28/29 mars 1999. 8 Marie-Claude Smouts, "Some thoughts on international organizations and theories of regulation", International Social Sciences Journal, novembre 1993, n° 138, p. 524. 9
« En complément de son ordre du jour traditionnellement
consacré aux questions économiques ou monétaires, le G8, en
s’impliquant très directement dans la crise kosovare, s’est transformé
en un forum de négociations et de décisions dans un domaine relevant des
menaces contre la paix. » Rapport
d’information du Sénat, n° 464 par Xavier de Villepin : "Les
premiers enseignements de l’opération « Force alliée » en
Yougoslavie ; Quels enjeux diplomatiques et militaires", session
de 1998-1999, p. 8. 10
La Chine, non membre du G8, était tenue informée des négociations
par la présidence de l’Union européenne. 11
Rapport d’information du Sénat,
n° 464 par Xavier de Villepin : "Les premiers enseignements de
l’opération « Force alliée » en Yougoslavie ; Quels
enjeux diplomatiques et militaires", session de 1998-1999, p. 3. 14
Thierry Tardy, "La gestion des crises : un nouveau défi
pour l’OTAN", Revue
internationale et stratégique, hiver 1998/1999, n° 32, p. 113. 15 Voir l’article de Thierry Tardy pour une bonne mise au point du rôle de l’OTAN après la disparition de la menace soviétique et des structures dont elle s’est dotée pour remplir son rôle dans le maintien de la paix. In, loc. cit. (note 14), pp. 109-120. Ainsi que le dit Michel Voeckel, « pour l’OTAN, le maintien de la paix a été l’occasion, sinon l’objet essentiel, du réajustement que la nouvelle situation géostratégique imposait à l’Alliance atlantique, comme aux institutions européennes et plus particulièrement celle tournée vers la sécurité et la défense : l’UEO ». In, "Quelques aspects de la conduite des opérations de maintien de la paix", Annuaire français de droit international, 1993, p. 80. 16
Thierry de Montbrial, exposé du 23 juin 1999 devant la Commission
des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat. In,
Rapport d’information du Sénat, n°
464 par Xavier de Villepin : "Les premiers enseignements de l’opération
« Force alliée » en Yougoslavie ; Quels enjeux
diplomatiques et militaires", session de 1998-1999, p. 125. 17 André Léwin, "Casques bleus et forces multinationales : Quelques éléments de comparaison", Revue de droit comparé de Pondichéry, 1991, volume VIII, p. 9. 18 Ainsi que le souligne Nicole Gnesotto, « la pertinence de l’Alliance comme organisation politique est plus rhétorique que réelle : aucun des plans de paix qui se sont succédés depuis 1991 pour gérer l’effondrement yougoslave ne fut en effet issu de l’OTAN, ni les plans Vance-Owen, ni les accords de Dayton, ni les différents plans Holbrooke, ni le texte de Rambouillet, ni celui du G8 ». In, "L’OTAN et l’Europe à la lumière du Kosovo", Politique étrangère, été 1999, n° 2, p. 209. 19
Un haut responsable de la Maison
Blanche dira plus tard à ce sujet : « personne, en fait, n’a même
envisagé l’option terrestre. Tout le monde a levé les yeux au ciel et le
plan terrestre a été mis au fond d’un tiroir ». Cité par
Jacques Amalric, "De l’hésitation à l’engrenage", Libération,
23 avril 1999. 20 Pour Jacques Amalric, le président yougoslave était décidé à prendre le risque de frappes aériennes pour mener à bien le nettoyage ethnique total du Kosovo. In, loc. cit. (note 19). 21 Déclaration de Javier Solana : « Je viens de donner instruction au commandant suprême des forces alliées en Europe, le général américain Wesley Clark, de lancer des opérations aériennes en République fédérale de Yougoslavie ». Luc Rosenzweig, "L’OTAN a reçu l’ordre de bombarder la Yougoslavie", Le Monde, 25 mars 1999. Le Conseil atlantique avait auparavant décidé, le 30 janvier 1999, d’autoriser le Secrétaire général de l’OTAN à mettre en œuvre des sanctions militaires si les parties en conflit au Kosovo ne respectaient pas le calendrier édicté par le Groupe de contact. Cette décision permet de raccourcir le délai de consultations entre alliés s’il est nécessaire d’engager une action. Luc Rosenzweig, "La menace de la force à l’appui des négociations", Le Monde, 2 février 1999. 22
Rapport d’information du Sénat,
n° 464 par Xavier de Villepin : "Les premiers enseignements de
l’opération « Force alliée » en Yougoslavie ; Quels
enjeux diplomatiques et militaires", session de 1998-1999, p. 14. 23 Un débat existe sur le point de savoir si une alliance militaire comme l’OTAN constitue un accord ou un organisme régional au sens du Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies. Les critères généraux qui permettent de définir tel ou tel groupement régional comme un organisme ou organisation régionale pouvant bénéficier ou être soumis aux dispositions des articles du Chapitre VIII sont les suivants : le but de l’organisation doit être le maintien de la paix et de la sécurité ; il doit exister une unité géographique, institutionnelle et structurelle ; le texte qui fonde l’organisme en question doit contenir des dispositions sur des mesures coercitives ; il doit également exister une machinerie pour le règlement pacifique des disputes locales ; participation ouverte aux Etats de la région ; reconnaissance des membres de l’ONU ; possibilité de rapporter au Conseil de sécurité ; niveau d’intégration entre les membres de l’organisme régional. Voir l’article de Djamchid Momtaz qui montre que la communauté internationale a aujourd’hui une conception extensive de la notion d’accords ou organismes régionaux. In, "La délégation par le Conseil de sécurité de l’exécution de ses actions coercitives aux organisations régionales", Annuaire français de droit international, 1997, volume 63, pp. 107-111. 24 Cette résolution a été adoptée par 13 voix contre zéro, avec deux abstentions (Chine et Russie) ; les deux autres résolutions ont été adoptées par 14 voix contre zéro avec l’abstention de la Chine. 25 Propos de l’ambassadeur russe, Sergueï Lavrov. Cité par Afsané BASSIR POUR, "Les Nations Unies lancent un avertissement à Belgrade à propos du Kosovo", Le Monde, 25 septembre 1998. 26
Le président Jacques Chirac a estimé que la résolution 1199 ouvre
la voie « soit à l’arrêt des affrontements soit à une attitude de
très grande fermeté de la part de l’OTAN ». Informations données
par Afsané Bassir Pour, "Les Nations Unies lancent un avertissement à
Belgrade à propos du Kosovo", Le
Monde, 25 septembre 1998. 27 « Le système des Nations Unies est affaibli ou ridiculisé par certains de ceux qui en ont la charge au Conseil de sécurité ; on n’applique plus les résolutions, on les interprète ou on les extrapole (Etats-Unis à l’encontre de la Serbie et de l’Irak). » Thierry Garcin, "De nouveaux conflits armés ?", Défense nationale, mars 1999, p. 49. 28
Le Conseil de sécurité a employé cette formule à plusieurs
reprises au cours des années 1970 contre la Zambie, l’Afrique du Sud, la
Namibie, Israël. 29 Voir intervention de Serge Sur, "Les aspects juridiques de l’intervention de l’OTAN au Kosovo", Journée d’études organisée par la Fondation pour la Recherche stratégique, 16 septembre 1999 (contribution publiée dans la revue Défense nationale). L’auteur définit ce concept ainsi : « une action de force entreprise sur le plan international par des Etats, isolément ou en groupe, pour mettre fin à des violations organisées et systématiques du droit humanitaire sur le territoire d’un autre Etat ». L’intervention d’humanité est donc fondée sur des atteintes spécifiques, étendues et graves, au droit humanitaire ; elle est conduite par un ou des Etats ; elle est discrétionnaire ; elle est adéquate ; elle est motivée. Pour Serge Sur, l’action menée au Kosovo ne correspond pas entièrement à ces critères. 30
Claire Tréan, "Les Européens ont assumé leurs responsabilités",
Le Monde, 25 mars 1999. 31
Luc Lamprière, "L’ONU en marge des opérations", Libération,
26 mars 1999. 33 Afsané Bassir Pour, "L’ONU rejette une résolution russe demandant l’arrêt des bombardements", Le Monde, 28/29 mars 1999. La journaliste note avec humour que « les mêmes pays membres du Conseil qui ont justifié l’usage de la force dans les Balkans avaient, quelques heures auparavant, adopté un texte sur l’Angola dans lequel ils affirmaient leur conviction que la paix durable ne peut en aucun cas être atteinte par des moyens militaires ». 34 Bruno Racine, "L’épreuve de vérité est imminente", Le Monde, 1er avril 1999. 35 Serge Sur, "Le recours à la force dans l’affaire du Kosovo et le droit international" (contribution à un ouvrage collectif, à paraître dans une publication de l’IFRI). 36 Ce type d’opérations figure dans la planification militaire de l’OTAN depuis janvier 1993. Lors de la réunion ministérielle d’Oslo du 4 juin 1992 et de celle du 17 décembre 1992, le Conseil de l’OTAN convint d’accorder un soutien, au cas par cas et selon ses propres procédures, aux opérations de maintien de la paix entreprises sous l’autorité des Nations Unies ou de l’OSCE. MC 327/1, "Concept militaire pour les opérations de soutien de la paix de l’OTAN", 5 novembre 1997. 37
Entretien avec Madeleine Albright, Le
Monde, 9 décembre 1998. 38
Voir l’article de Thierry Tardy, "L’OTAN, plus efficace que
l’ONU ?", Le Monde,
27 avril 1999. 39
Luc Rosenzweig, "Le Conseil atlantique est écarté de la
direction des opérations", Le
Monde, 13 mai 1999. Les Italiens ont fourni un soutien logistique. 40
Jean-Marie Colombani, "La nouvelle OTAN", Le
Monde, 27 avril 1999. 41 « Pendant les pourparlers, Annan, exaspéré l’attitude entêtée des Américains durant toute l’année passée à la fois en Irak et dans la région des Balkans, a menacé de démissionner de son poste de chef du plus grand forum mondial, parce que les bombardements menés par les Américains contre la Yougoslavie lui ont fait honte. Annan a dit à Albright qu’il estimait qu’il n’était plus justifié pour lui à rester à son poste, et a été jusqu’à suggérer que les événements survenus dans la région des Balkans ont montré qu’il n’y avait plus non plus de justification pour l’ONU à demeurer l’arbitre mondial des conflits nationaux, religieux et ethniques. Ces déclarations de M. Annan ont suscité chez Mme Albright une réaction de colère, réaction incluant une menace implicite que les Etats-Unis pèseraient de tout leur poids pour empêcher M. Annan d’être réélu à son poste actuel ou élu à tout autre poste d’importance internationale qu’il pourrait vouloir obtenir après avoir quitté l’ONU. » Abolhassan Sobhani, "Albright-Annan Row Signifies Height of US Arrogance", Kayhan International (Tehran), 6 avril 1999. 42
Voir article de Jean-Claude Buhrer, "Kofi Annan n’exclut pas
le recours à la force", Le
Monde, 28 janvier 1999. 43
Communiqué de presse, SG/SM/6938, 24 mars 1999. 44
Département de l’Information de l’ONU, "Political
Information Bulletin #2", 25 mars 1999. 45 Daily Press Briefing, 1er avril 1999. 46
Le Secrétaire général a eu une gestion à vue de la crise du
Kosovo. Un jour, il qualifie de « génocide » l’action des
Serbes au Kosovo ; le lendemain, il se dit prêt « à parler avec
Milosevic » et à lui serrer la main. Comme le dit Patrick de
Saint-Exupéry, « on ne comprend plus. Comment un Secrétaire général
de l’ONU peut-il envisager de tendre la main à un homme qu’il soupçonnait
peu avant de commettre un "génocide" ? Y a-t-il là la
moindre cohérence ? A M. Kofi Annan, qui manque visiblement
d’informations et de ligne directrice dans sa gestion approximative d’un
dossier qui semble lui échapper, on ne peut que conseiller de lire la
presse ». Patrick de Saint-Exupéry, "Les incohérences de Kofi
Annan", Le Monde, 13 avril
1999. 47
Jean-Claude Buhrer, "L’ONU tente de reprendre sa place sur
l’échiquier des Balkans", Le
Monde, 11-12 avril 1999. 48
Voir article de Claire Tréan, "La couple
Ahtisaari-Tchernomyrdine investi du rôle de ‘faiseur de paix", Le
Monde, 19 mai 1999. 49
Les accords de Rambouillet et les dispositions de la résolution du
Conseil de sécurité sont presque identiques. Selon un diplomate français,
« la conception d’ensemble du règlement – les principes
politiques ou l’administration provisoire - n’a pas changé mais la méthode
oui. Il ne s’agit plus d’un accord entre parties mais d’un règlement
imposé ». Propos recueillis par Marc Semo, "Un vote qui offre à
l’Alliance tous les moyens de s’imposer", Libération,
10 juin 1999. 50
Informations données par Afsané Bassir Pour, "L’ONU salue
‘la fin d’un chapitre sombre dans l’histoire des Balkans’", Le
Monde, 12 juin 1999. 51
Intervention de Serge Sur, "Les aspects juridiques de
l’intervention de l’OTAN au Kosovo", Journée d’études organisée
par la Fondation pour la Recherche stratégique, 16 septembre 1999
(contribution publiée dans la revue Défense
nationale). 52
Afsané Bassir Pour, "Washington veut confiner l’ONU dans un rôle
strictement humanitaire", Le
Monde, 9/10 mai 1999. Pour Paul Quilès, « il n’est pas tolérable
que l’ONU ne se préoccupe que des effets d’une crise – le drame des réfugiés
– en refusant de s’intéresser aux causes profondes du conflit ».
Communiqué du Président de la Commission de la défense de l’Assemblée
nationale. In, Jean-Baptiste de
Montvallon, "Le débat français met en avant l’ONU et le dialogue
avec la Russie", Le Monde, 9
avril 1999. 53
Sylvie Kaufmann, "L’administration américaine évite tout
triomphalisme", Le Monde, 5
juin 1999. 54
Pierre Hassner, "Kosovo : en cas d’échec", Le
Monde, 27 mars 1999. 55
La résolution 1265 du 17 septembre 1999 vient de souligner
l’importance de la police civile en tant que composante des opérations de
maintien de la paix, et de reconnaître,
à cet égard, qu’il est nécessaire de renforcer la capacité de l’ONU
de déployer rapidement des policiers civils qualifiés et bien entraînés.
M. Bernard Miyet explique que l’ONU emploie aujourd’hui « une
nouvelle génération de "peace-keepers" que sont les policiers
civils, totalement inconnue il y a quelques années. (...) Cela est dû à
l’évolution de ce qu’est le maintien de la paix : beaucoup plus
orientée vers la restauration d’un Etat et la mise en place
d’institutions démocratiques dans les pays ». Entretien reproduit
sur internet : http://www.un.org 56
Propos de Bernard Miyet, Secrétaire général adjoint au opérations
de maintien de la paix. Le Monde,
10 juin 1999. 57
L’Union européenne a demandé et obtenu que l’un de ses
ressortissants soit choisi pour occuper le poste de représentant spécial
du Secrétaire général au Kosovo, en raison du poids de sa contribution
financière. Le Secrétaire général a désigné, le 2 juillet 1999,
Bernard Kouchner comme haut représentant de l’ONU au Kosovo. 58
Au lendemain de la guerre au Kosovo, le Président Bill Clinton avait
déclaré que l’opération de l’OTAN devait servir d’exemple et de précédent :
« Que vous viviez en Afrique, en Europe centrale ou n’importe où
ailleurs, si quelqu’un veut commettre des crimes de masse contre une
population civile innocente, et qu’il est en notre pouvoir de les stopper,
nous le ferons. ». Cité par Alain FRACHON, "Kosovo-Timor :
drame identique, traitement différent ?", Le
Monde, 14 septembre 1999. Mais il s’est immédiatement récusé en
disant que l’on ne peut pas tout faire partout. 59
Daniel Vernet, "Naissance d’un nouvel internationalisme",
Le Monde, 23 avril 1999. 60
« Ecraser l’adversaire, dans l’abstrait, oui ; tuer un
ennemi concret, non. "Dans la néo-guerre – observe Umberto Eco –
perd devant l’opinion publique celui qui a trop tué". »
Ignacio Ramonet, "Nouvel ordre global", Le
Monde diplomatique, juin 1999. 61
Expression très aseptisée qui peut conduire à une discrimination
entre les victimes : « Il y aurait alors les "bonnes"
victimes du côté de la partie "humanitaire" et les
"mauvaises" victimes parmi ceux qui s’opposent à une
intervention "humanitaire" ». Alain Gresh, "Les lois de
la guerre", Le Monde
diplomatique, septembre 1999. 62
Thérèse Delpech, "Quatre leçons d’une demi-guerre", Le
Monde, 26 mai 1999. 63
Eric de la Maisonneuve citant Jean Guitton. In,
Incitation à la réflexion stratégique,
1998, Paris, Economica, pp. 44-45. 64
François Heisbourg, "Questions sur une paix", Le
Monde, 19 juin 1999. 65
Voir l’article de Samuel Huntington, "The Lonely
Superpower", Foreign Affairs,
mars/avril 1999, pp. 35-49. 66 André Glucksman, "Les conflits de l’après-guerre froide", Stratégiques, 1998, 72(4), p.
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