|
STRATÉGIE
D’INTERDICTION DE CONFLIT
Charles Swett
L’histoire des
événements qui conduisent les États-Unis à intervenir
militairement outre-mer reflète en général une répugnance à
entrer en action avant que ne s’épuisent les options les plus
souhaitables. Cet article explore les raisons pour lesquelles il
est habituellement préférable d’agir tôt, les obstacles à ce
type de choix et propose une stratégie de résolution de conflits
en amont et à moindre coût par rapport à l’usage de forces
conventionnelles. Deux exemples d’innovations militaires propres
à faciliter cette stratégie seront décrits.
Effet de levier
Tout conflit naît de quelque
chose. Ce peut être la rareté des ressources, une ambition
territoriale, une calamité naturelle, une animosité ou une intolérance
éthnique, raciale ou religieuse, une communication médiocre, un
désaccord politique ou idéologique, des haines anciennes
soudainement ravivées d’on ne sait où. Un conflit peut
"mijoter" durant des décennies et exploser d’un coup,
il peut aussi monter en puissance en quelques mois, ou encore dériver
soudainement d’un simple accident. À chaque instant de son évolution,
il peut emprunter une variété de directions. Certaines
conduisent à l’escalade, à une montée en puissance dans des
spirales ascendantes d’hostilités physiques, d’autres mènent
à la conciliation, à la stabilisation et à une relative tranquillité.
Un faible changement d’orientation dès les premières phases de
l’évolution d’un conflit peut entraîner de grandes différences
au niveau de son issue.
Une légère inflexion en début
de processus peut conduire, dans le long terme, à la paix ou à
la guerre. Cela peut se traduire par un simple changement dans
l’attitude d’un dirigeant, ce qui est bien loin d’un
bouleversement majeur ! Par un effet de levier, nous pouvons
maintenir la stabilité et la sécurité dans une région en
conflit. Si nous entrons en action suffisamment tôt et que nous
exerçons une pression assez loin du point d’appui, un modeste
effort entraîne un bénéfice disproportionné par rapport à
l’énergie investie. C’est ce que nous entendons par effet
de levier. En négligeant d’agir tôt et en laissant
le champ libre à l’escalade, l’obtention d’un même effet
requiert l’application d’une force beaucoup plus grande pour
un résultat similaire. À mesure que le temps passe, les fenêtres
d’opportunité pour influer sur le cours des choses se ferment
et les occasions se perdent. Pour finir, seul le recours à la
force militaire demeure disponible, soit l’option la plus coûteuse
et la plus susceptible d’entraîner d’importantes pertes
humaines.
Selon l’US Defense Strategy,
"des investissements plutôt faibles effectués au bon
moment produisent des effets bénéfiques disproportionnés, qui
minimisent une réponse nord-américaine plus coûteuse ensuite".
Ainsi, l’absence d’intervention durant l’escalade d’un
conflit nous entraîne souvent vers des solutions militaires alors
que les États-Unis y répugnent. La diplomatie, au besoin renforcée
par des pressions économiques, est le moyen le plus judicieux
pour résoudre les conflits.
Pour moult
raisons, l’effet de levier est supérieur lorsque nous
l’appliquons de manière précoce dans un conflit. Lorsque les
tensions sont faibles, les médiateurs disposent de plus grandes
facilités d’accès pour promouvoir des solutions pacifiques,
profitent du fait que les communications et les institutions
communes aux belligérants demeurent opérationnelles. Quand les
parties prenantes se sont déjà enracinées dans leur opposition
et ont consolidé leurs défenses, il est plus difficile, non
seulement pour les belligérants mais aussi pour des tiers, de se
frayer un chemin au travers de positions rigides. Durant les
phases préliminaires d’une escalade, les protagonistes peuvent
se révéler politiquement et militairement moins intransigeants,
et cela crée plus de marge pour des arrangements. Émotionnellement,
les responsables craignent moins pour leur statut et de perdre la
face en faisant machine arrière, et de manière
concomitante, l’éventail des solutions sauvant les apparences
est plus large. Lors du prélude d’un conflit, les parties extérieures
sont moins enclines à se ranger d’un côté ou de l’autre, le
nombre d’acteurs dont les orientations doivent être changées
est restreint et la progression vers la guerre moins intense. Les
passions sont moins enflammées et les affronts ou les victimes réclamant
vengeance, moins nombreux. La violence génère une spirale
ascendante de "victimisation" et de vengeance qu’il
est difficile d’arrêter une fois enclenchée. La première éruption
d’hostilité physique est le pas le plus décisif dans
l’escalade. Une fois franchi, ce seuil change de manière
significative la dynamique des interactions entre les parties.
Par malheur, l’histoire démontre
que les hommes politiques ne tendent pas à agir quand l’action
peut être la plus efficace. À mesure que le temps passe, le
paradoxe veut que la puissance de l’effet de levier décline
alors que le conflit empire et les pressions politiques incitant
à l’action augmentent pour que les décideurs s’engagent dans
des mesures concrètes. "Les motivations internationales
pour agir sont les plus faibles quand les alternatives sont les
plus nombreuses, et les motivations pour agir sont les plus fortes
quand les alternatives sont les plus faibles" 1
Pourquoi agissons-nous si tard ?
De nombreuses raisons expliquent
que les États-Unis n’interviennent qu’en dernier ressort dans
l’escalade des conflits. L’une d’elle est la traditionnelle
répugnance américaine à interférer dans les affaires des
autres. Les Américains aiment s’occuper de leurs propres
affaires et souhaitent que les autres fassent de même avec les
leurs. Lorsque des disputes de famille éclatent, nous nous
excusons poliment et partons en projetant de revenir quand les
tensions se seront apaisées. Sur le plan politique, l’option de
"ne rien faire" est toujours envisagée et représente
souvent l’attitude adoptée par défaut. La raison en est
qu’en général, un conflit local ne nous paraît pas menacer de
manière significative nos propres intérêts. Seuls les individus
perspicaces, capables de se projeter plusieurs étapes à
l’avance, entrevoient comment un conflit
embryonnaire croît en portée et en intensité jusqu’au point où
nos intérêts sont menacés. Mais, à ce moment là,
plusieurs des options initiales pour agir nous sont alors
interdites.
Parmi la myriade de conflits en
œuvre de par le monde, seuls quelques-uns paraissent suffisamment
importants pour mériter l’attention des responsables politiques
de la Maison Blanche, du département d’État et du département
de la Défense. Étant donné que les plus hauts échelons de
l’appareil national de sécurité ne peuvent suivre qu’un
nombre limité d’affaires, le seuil de prise en compte est nécessairement
plutôt élevé. Ces hauts responsables politiques peuvent ne rien
savoir sur la plupart des conflits. Quand ils en prennent
conscience, ils espèrent toujours que les hostilités s’amélioreront
d’elles-mêmes sans intervention de leur part. En fait, nombre
de ces problèmes s’améliorent effectivement ou se maintiennent
indéfiniment à faible niveau. Indépendamment de sa dimension,
il est tout à fait possible qu’une intervention empire les
choses et il existe toujours un risque que cela tourne mal. Les
actions conduites pour améliorer la situation peuvent tout aussi
bien l’embraser, et bien souvent nous ignorons lequel des scénarios
est le plus probable. Ainsi, les décideurs politiques peuvent
seulement proposer leur aide et observer ce qui se passe.
Une autre raison pour laquelle
nous agissons si tardivement est l’ambiguïté des analyses et
du renseignement (intelligence). Les spécialistes américains
les plus compétents en matière de conflits sont souvent très
incertains sur leur devenir. Même avec un renseignement
excellent, il est absolument impossible de savoir à coup sûr.
Quand il est disponible, il demeure incomplet, pas à jour,
d’une exactitude discutable et l’évaluation en est rendue
plus difficile. La diversité des opinions dans la commu-nauté du
renseignement sur quelque question que ce soit complique
d’autant les choses. Qui plus est, et de manière compréhensible,
les dispositifs d’alerte des services de renseignement se révèlent
peu enclins à sonner l’alarme. Échaudés par de fâcheux précédents,
ces systèmes d’alerte sont conditionnés pour amortir et
nuancer les données jusqu’à ce qu’une information fiable et
d’une clarté suffisante puisse justifier l’avertissement. Même
dans ces conditions, les décideurs qui avaient réagi en fonction
d’alertes antérieures qui s’étaient révélées fausses
tendent à tempérer leurs propres réactions.
L’absence
de soutien politique pour des interventions diplomatique, économique
ou militaire explique aussi notre répugnance à entrer tôt en
action. Bien que les États-Unis soient capables d’engager une
action militaire unilatérale, nous préférons largement le
consensus politique entre les nations concernées, et cela
d’autant plus qu’un déploiement à grande échelle est
envisagé. De tels consensus sont habituellement difficiles à
obtenir. Ils requièrent une grande habileté diplomatique, ce qui
peut prendre beaucoup de temps à mettre en œuvre. Par ailleurs,
le consensus politique à l’intérieur même des États-Unis est
un but aussi désirable qu’insaisissable.
Une autre raison tient à ce que,
du fait de leur nature et de leurs caractéristiques hautement
destructrices, les moyens militaires disponibles ne sont pas
adaptés à l’action précoce. La majeure partie de ces
moyens fut développée pour des buts de guerre et non pour les
besoins subtils et délicats d’une intervention précoce. Bien
que la présence d’un porte-avions et de son groupe de bataille
impressionne certainement des acteurs locaux par sa puissance,
tout emploi effectif de ses systèmes d’armes, voire une simple
bombe lâchée par voie aérienne, est hautement destructeur. Un
tel acte signifie une avancée importante dans l’escalade et on
ne peut y recourir qu’en cas de situation grave. Le déploiement
de forces terrestres suppose des frais considérables, une intense
planification et représente un mode d’action brutal. Les forces
spéciales opérationnelles sont d’ordinaire employées pour des
activités de "combats en temps de paix" avec quelque
succès, mais l’éventail des situations où leur contribution
est efficace est limité. Si les objectifs sont appropriés et que
le renseignement correspondant est disponible, elles peuvent être
engagées de manière moins visible et à moindre coût que les
forces conventionnelles, mais leur emploi entraîne de grands
risques pour ceux qui les mettent en œuvre.
Pour faciliter des interventions
précoces, le département de la Défense peut fournir à la
Maison Blanche de nouveaux instruments militaires politiques plus
en accord avec ce genre d’objectif. Idéalement, de tels
instruments pourraient accroître notre capacité à agir sur des
échelles proportionnées à notre niveau d’intérêt dans
chaque situation. Cela impliquerait des coûts et des risques plus
faibles pour les Américains engagés. Deux exemples sont décrits
ci-après : les campagnes d’information et les campagnes de
contre-mobilisation. Ces concepts ont été développés dans le
cadre du projet de Révolution dans les Affaires Militaires (RMA)
à l’Office of the Secretariat of Defense avec l’appui du Quadrienal
Defense Review. Un très grand nombre de variations dans les
scénarios d’escalade est envisageable tout en incluant des
"phases de prévention" de nature et de durée différentes.
Une campagne d’information peut être engagée à tout moment
d’un conflit, virtuellement depuis ses prémisses jusqu’à sa
conclusion, alors qu’une contre-mobilisation est applicable
relativement tard durant la phase de prévention.
Campagne d’information
À la base de tout conflit, il y
a des acteurs poussés à l’action par des opinions et des émotions
dans des luttes meurtrières avec ceux qu’ils ressentent comme
leurs ennemis. En conséquence, le moyen le plus efficace de
neutraliser le conflit avant qu’il ne s’engage est de se
plonger à l’intérieur de l’esprit des acteurs impliqués
pour changer leur façon de voir les choses. Bien qu’il existe
plusieurs moyens pour influer sur les opinions - le marchandage,
la pression politique ou économique, la coercition¼ -, ces
outils s’avèrent souvent inefficaces. De plus, ils entraînent
des coûts qui rendent les hommes politiques peu à même de les
utiliser assez tôt afin qu’ils produisent les résultats
escomptés. De meilleurs moyens de persuasion sont nécessaires.
Les campagnes d’information
représentent l’un de ces moyens. Des faits et des arguments
favorables à nos objectifs sont diffusés vers les auditoires
concernés au moyen d’affiches, de tracts, d’émissions de
radio et d’autres médias traditionnels. De telles campagnes
remportent un certain succès, mais elles pourraient être considérablement
renforcées par l’usage innovant de médias supplémentaires en
y incorporant des stratégies et des tactiques d’origine non
militaire.
Le courrier électronique à
travers Internet et le fac-similé se sont largement diffusés à
travers le monde. Même dans des régions sous-développées, la
plupart des élites dirigeantes et des groupes d’influence comme
les hommes d’affaires prennent plaisir à la pratique de ces médias.
L’identité, l’adresse électronique et le numéro de fax de
ces personnes clefs - autant au niveau gouvernemental que non
gouvernemental - de n’importe quel pays sont facilement
accessibles à partir de bases de données commerciales. C’est
ainsi que les campagnes d’information des États-Unis et de
leurs alliés peuvent obtenir une plus grande efficacité et plus
de précision dans leur ciblage2Ces
médias sont interactifs et les publics-cibles
peuvent répondre immédiatement aux émetteurs par le même
canal. Fondée sur une rétroaction en temps réel avec les
cibles, notre stratégie peut être adaptée au cours de cette
dynamique. Un autre avantage consiste en ce qu’ils peuvent
fonctionner à distance. Il n’est pas nécessaire de déployer
une unité militaire sur le théâtre même pour les mettre en œuvre,
il peut être plus commode de le faire à partir du quartier général
sur le sol même des États-Unis, comme à Fort Bragg.
L’impact de ces médias
augmenterait plus encore s’ils étaient employés de manière
intégrée et simultanée avec des médias traditionnels sur zone
comme des affiches, des tracts, des haut-parleurs publics, des émissions
de radio et de télévision. Les auditoires seraient simultanément
bombardés par un même message donné par des voies différentes.
Des recherches en "communication persuasive" ont démontré
que l’impact d’un message s’accroît lorsqu’il est renforcé
par des messages similaires délivrés par d’autres modes de
communication3Ce phénomène
psychologique se nomme "supplémentation". Comme un spécialiste
l’affirme, "la livraison multicanaux de la "vérité"
est le SIOP 4de l’âge
de l’information" 5Ces
résultats peuvent être utilisés efficacement pour composer le
contenu de nos campagnes.
Des
douzaines d’expériences ont montré que des étudiants
classés de manière aléatoire comme "plus
intelligents" agissent de manière plus
intelligente ; des individus sains d’esprit
identifiés comme "fous" sont traités comme
s’ils étaient fous et peuvent commencer à agir
dans ce sens ; et des femmes étiquetées comme
"belles" croient qu’elles sont belles...
des prévisions (créent)
la réalité.
...
(Nous) avons réalisé une expérience de laboratoire
qui démontre qu’une belle femme - uniquement parce
qu’elle était belle - peut avoir un impact supérieur
sur l’opinion d’un auditoire sur un sujet sans
rapport avec sa beauté et, de plus, que son impact était
plus important quand elle affichait clairement son désir
d’influence sur l’auditoire. Les gens agissent comme
s’ils s’efforçaient de satisfaire quelqu’un
qu’ils trouvent séduisant, même s’ils ne
connaissent rien de cette personne 6
Il est
probablement plus aisé d’introduire une croyance
nouvelle que d’en modifier une autre bien ancrée. Les
mass-médias sont susceptibles d’engendrer des
attitudes neuves sur des questions particulières, il
est beaucoup moins évident qu’ils puissent changer
efficacement des attitudes profondément établies.
Des
orateurs au débit accéléré ou modérément rapide
sont perçus comme plus intelligents, plus assurés et
plus efficaces que leurs homologues au débit plus lent 7
|
|
|
Bien que certains
de ces principes puissent apparaître comme de bon sens, cela ne
signifie pas qu’ils soient effectivement parties prenantes du
contenu de nos plans de campagnes d’information. Ce type de
pratique nous permettrait d’obtenir beaucoup plus de nos
connaissances en psychologie et renforcerait l’effet de persuasion
de nos messages.
L’autre domaine non militaire
mais approprié est celui de la publicité commerciale. Durant des décennies,
l’industrie publicitaire a mis en œuvre une vaste panoplie de
techniques pour que leurs cibles accomplissent des actes qui ne
s’inscrivent pas forcément dans leur intérêt. Il n’y a aucune
raison pour que le gouvernement des États-Unis ne profite pas de
ces techniques. Nous pourrions ouvertement acheter de l’espace
commercial dans des médias coopératifs, alimenter les régions-cibles,
et présenter des infomerciaux 8distrayants
ou des programmes qui véhiculeraient de manière persuasive nos
messages. Des campagnes de saturation ciblées sur les meneurs
d’opinion, les élites et/ou les masses de la population d’une région
choisie inverseraient la tendance en réduisant les tensions,
l’animosité entre les parties, l’attractivité d’options
militaires agressives et rendraient inutile une intervention armée
des États-Unis. Notre puissance économique et celle de nos alliés
pourraient se traduire par des campagnes d’information décisives
qui submergeraient les efforts des parties hostiles aux moyens économiquement
inférieurs, plutôt que de manifester cette puissance en terme de
supériorité militaire.
Des parties en conflit semblent
avoir déjà intégré ce moyen pour encourager l’agression.
Il
n’est pas vrai que les Serbes et les Croates
cohabitaient dans une haine permanente sous Tito et
n’attendaient que le moment où il pourraient
commencer à s’entre-tuer. La haine a besoin d’être
créée artificiellement et l’instrument-clef fut la télévision.
Avant d’avoir la guerre ouverte, nous avons eu la
guerre par la télévision 9
En
1994, la plus importante station : la Radio-Télévision
Libre des Mille Collines (Rwanda), contrôlée ensuite
par les extrémistes hutus, commença par diffuser des
messages de haine à l’encontre des membres de la
tribu rivale, les Tutsis, ainsi que des Hutus modérés.
La station diffusa même des listes d’ennemis à
abattre. Elle exhortait ses auditeurs :
"Prenez vos lances, matraques, pistolets, épées,
pierres, n’importe quoi, aiguisez-les et écrabouillez
ces cafards ennemis". Le résultat fut l’un des
pires bains de sang dans lequel plus de 500 000
Tutsis désarmés et Hutus modérés furent massacrés 10
|
|
Dans de
tels cas, la conduite d’une campagne d’information
nord-américaine à travers les médias ad hoc
pourrait neutraliser de destructeurs messages de haine et
d’intolérance. Comme un expert dans la recherche en
communication persuasive le remarque,
Les
campagnes ont plus de chances de succès quand
il existe peu de voix alternatives de
contre-communication mettant en doute
l’impulsion générée 11
|
|
Nous
pouvons produire de la contre-communication pour
affaiblir l’impact de campagnes haineuses
conduites par des forces hostiles.
Les
planificateurs gouvernementaux des campagnes
d’information devraient étudier résolument les méthodes
publicitaires et les intégrer dans leur travail,
voire engager des entreprises de publicité pour
concevoir et conduire outre-mer des campagnes à
notre profit. Cette approche qui a si bien fonctionné
pour le recrutement militaire devrait être employée
dans les affaires de politique étrangère pour
aider à prévenir les conflits.
Faire un usage plus
agressif des campagnes d’information est
compatible avec la stratégie de sécurité
nationale et de défense qui consiste à "façonner
l’environnement international". C’est en
fait la meilleure manière de le faire. Cela présente
plusieurs avantages de taille. Il ne s’agit pas de
pratiques aussi brutales que le déploiement de
forces militaires conventionnelles, leurs seuils
d’usage plus bas en rend l’emploi plus aisé
pour des hommes politiques que l’expédition de
troupes. De plus, elles peuvent être utilisées
dans des situations que nous souhaitons modifier
sans qu’elles ne justifient l’emploi de la
force militaire. Dans la mesure où des intérêts
américains seraient en jeu, une intense campagne
d’information saturerait de nos messages la région
considérée sans intervention militaire. Le
coût financier serait bien inférieur. Si des
hommes politiques s’y emploient sans succès, rien
n’empêche l’usage ultérieur de troupes. Bien
qu’il soit toujours préférable d’obtenir un
consensus politique international en cas
d’interventions dans les conflits, cela n’est
pas aussi essentiel dans le cas d’une campagne
d’information comme dans celui d’un déploiement
militaire. Elles peuvent être menées unilatéralement
avec une plus grande latitude politique.
Contre-mobilisation
Dans de nombreux
cas d’escalade, les forces militaires relevant des
parties en conflit sont initialement en état de
faible mobilisation : en cantonnement, dans
leurs casernes ou ports d’attache, où elles mènent
des activités classiques du temps de paix comme
l’entraînement. Elles ne sont positionnées ni en
offensive ni en défensive. Alors que le conflit
s’accroît, il existe un moment où des fractions
ou l’ensemble de ces forces se retrouvent mobilisé,
en vue d’un affrontement réel ou potentiel avec
leurs adversaires.
Des moyens non
mortels de prévention, de retardement ou de
neutralisation de mobilisation des forces militaires
conféreraient aux États-Unis un levier important tôt
dans le conflit. Idéalement, cette capacité
permettraient aux forces nord-américaines, hors
champ de tir et au moyen d’un contrôle à
distance, d’interdire aux parties prenantes leurs
menées offensives, tout en laissant leurs défenses
intactes (dans la limite d’une différenciation
possible). Cela favoriserait un sentiment de sécurité
dans l’agression tout en prévenant toute action
offensive militaire de se concrétiser.
Selon les
recherches en RMA, la mise en œuvre d’une force
de quelques douzaines de planeurs UAVS, chacun de la
taille d’une mini-camionnette et apte à
transporter à la fois des systèmes de
reconnaissance et des cargaisons d’armes
offensives non mortelles, est envisageable. Ces
"stations de batailles" pourraient être
lancées à partir de plates-formes terrestres ou
navales proches mais en dehors des abords immédiats
de la région concernée, et seraient pilotées à
distance. Elles progresseraient vers les moyens
militaires des belligérants, les identifieraient et
les localiseraient, puis emploieraient les armements
non mortels appropriés pour contrer la mobilisation
ou l’usage d’armes offensives12
L’usage
d’armements non mortels minimiserait ou éliminerait
les pertes humaines et les dommages physique collatéraux
lors des frappes, et contrecarrerait la poursuite de
l’escalade des tensions. Cela faciliterait
grandement l’acceptation politique, à la fois de
la part des responsables nord-américains et des
autres parties concernées. Ce type d’opération
n’empêcherait pas totalement les forces de se
mobiliser, mais il les gênerait suffisamment pour
fournir un délai supplémentaire à la diplomatie
et à la médiation pour obtenir des résultats. Ce
concept est un exemple de dissuasion par négation
qui rend physiquement incapable un agresseur
d’atteindre ses objectifs militaires du fait de la
privation de ses moyens. Cela serait certainement
plus humain et plus efficace qu’une dissuasion par
la menace de châtiment. Ces deux exemples, non
destinés à être prescriptifs, mettent en évidence
un mode de penser qui aiderait à rendre
politiquement plus acceptables des moyens militaires
appropriés à une stratégie d’interdiction de
conflit.
Pratique de
l’interdiction du conflit
Il n’est pas suggéré
que les États-Unis s’impliquent dans tous les
conflits du globe. Toute intervention devrait, bien
entendu, être entreprise seulement à l’issue de
délibérations et d’analyses attentives avec le
choix de s’engager avec prudence et de manière
judicieuse comme nous nous efforçons de le faire
aujourd’hui. En étant prêts à intervenir dès
les prémisses de menaces à long terme pour la sécurité
de leurs intérêts dans des conflits émergents,
les États-Unis réaliseraient un bien meilleur
travail en anticipant sur leurs conséquences.
L’emploi d’une stratégie d’interdiction de
conflit signifie une disposition à agir plus
tôt que nous le ferions autrement et de maintenir
qualitativement un éventail de systèmes de
vigilance et d’alerte sur ce qui se passe
outre-mer. En fournissant aux décideurs politiques
de nouveaux outils militaires innovants,
politiquement plus acceptables, pour une action précoce
que ceux qui sont actuellement disponibles, nous
pouvons leur donner plus de marge et leur conférer
une plus grande latitude pour faire en sorte que des
conflits n’entrent pas dans une escalade de
violence et de bain de sang. Correctement conduite,
l’interdiction du conflit peut réduire les coûts
humains, financiers, matériels et politiques et
assurer nos objectifs de sécurité internationale.
Traduit
de l’anglais par Pierre-Marie Fayard
|
________
Notes:
1
Michaël
E. Brown, "The International Dimension of
Internet Conflict", dans Study on
International Security, Cambridge,
Massachusetts, MIT Press, 1996.
2
Christopher
M. Center, "Precision Guided Propaganda :
Exploiting the U.S. Information Advantage in
Peacetime", Strategic Review,
printemps 1997.
3
Richard
M. Perloff, The Dynamics of Persuasion,
Cleveland State University, 1993.
4
Plan
d’opérations unique intégré, qui détermine
les frappes nucléaires.
5
Robert
Steele, "Virtual Intelligence :
Conflict Avoidance and Resolution Through
Information Peacekeeping" (article non daté).
6
Anthony
Pratkanis et Elliot Aronson, Age of
propaganda : The Everyday Use and Abuse of
Persuasion, Santa Cruz, University of
California, New York, W.H. Freeman, 1991.
7
Richard
M. Perloff, The Dynamics of Persuasion.
8
NdT :
"Infomercials", néologisme américain
formé par l’association d’information et de
commercial.
9
Washington
Post, 5 septembre 1993. Cité dans Chuck de
Caro, Softwar.
10
Jim
Mann, "U.N. Hate-Radio Jamming, Would Send
Wrong Signal", Los Angeles Times (édition
de Washington), 3 décembre 1997.
11
R.M.
Perloff, The Dynamics of Persuasion.
12
NdT :
suit un descriptif technique succinct
d’armement non mortel (non létal).
|