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L’INTERVENTION DES FORCES MILITAIRES DE L’OTAN AU KOSOVO AU REGARD DU DROIT INTERNATIONALIrène McLeerLe prétendu droit d’intervention ne peut être envisagé [par la Cour] que comme une manifestation d’une politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait, quelles que soient les déficiences présentes de l’organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international. L’intervention est peut-être moins acceptable encore dans la forme particulière qu’elle présentait ici, puisque, réservée par la nature des choses aux États les plus puissants, elle pourrait aisément conduire à fausser l’administration de la justice internationale elle-même”1. Datant de 1949, l’affirmation faite ici par la Cour internationale de Justice s’applique en tous points à l’intervention de l’OTAN dans le conflit qui oppose Serbes et Albanais, dans la province serbe du Kosovo. Ceci reviendrait donc à dire que tous les efforts entrepris depuis la Deuxième Guerre mondiale, pour instaurer une limitation quasi-générale du recours à la force, ont été vains. Il serait extrêmement fâcheux que cinquante ans après, la Cour doive réaffirmer une telle condamnation. En effet, deux requêtes
ont été introduites par la République fédérale de Yougoslavie devant la
Cour internationale de Justice, le 29 avril 1999, contre la Belgique, le
Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas,
le Portugal, l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique
pour “violation de l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la
force”. Dans un premier temps, la République fédérale de Yougoslavie
demandait à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires, afin de
faire cesser l’intervention militaire engagée par les pays concernés,
dans la province du Kosovo. Dans un second temps, la République fédérale
yougoslave demandait à la Cour de se prononcer sur le fond de
l’affaire. Pour fonder la compétence de la Cour, la République fédérale de Yougoslavie a invoqué le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour et l’article IX de la convention pour la répression du crime de génocide. La Cour a rejeté la demande en indication de mesures conservatoires. Elle s’est cependant estimée compétente pour examiner le fond de l’affaire, sur le fondement de la convention pour la répression du crime de génocide pour huit des dix pays concernés, sa compétence n’ayant pu être établie sur le fondement de cette convention pour l’Espagne et les États-Unis d’Amérique. Dans son Traité
de droit international public, N’Guyen Quoc Dinh définit
l’intervention comme “le fait
d’un État qui cherche à pénétrer dans la sphère de compétence
exclusivement réservée à un autre État, soit pour l’aider à régler
ses affaires propres, soit pour les régler à sa place ou l’obliger à
les régler conformément à ses vœux2,
la notion d’intervention couvre
toute « ingérence » - consentie, sollicitée ou imposée -
consistant en une action de caractère militaire”. Dans son arrêt du
27 juin 1986 relatif aux “Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci”, la Cour internationale de Justice a délimité
de façon stricte les hypothèses dans lesquelles l’intervention est
licite au regard du droit international. Elle a ainsi affirmé qu’il
n’est “pas douteux que la
fourniture d’une aide strictement humanitaire à des personnes ou à des
forces se trouvant dans un autre pays (…)
ne saurait être considérée
comme une intervention illicite ou à tout autre point de vue contraire au
droit international”3.
Pour la Cour, conformément aux principes fondamentaux proclamés lors de la
vingtième conférence internationale de la Croix-Rouge, l’intervention
doit se limiter à “alléger en
toutes circonstances les souffrances des hommes (…),
à protéger la vie et la santé ainsi qu’à faire respecter la personne
humaine”4. Certains
affirment cependant que l’intervention de l’OTAN au Kosovo n’est que
la suite logique d’un mouvement qui s’amplifie depuis la Deuxième
Guerre mondiale. En effet, depuis 1949, différentes tentatives ont été
faites par certains États comme la France, mais aussi par des
organisations internationales non gouvernementales tels Médecins sans
Frontières5,
et une partie de la doctrine comme René Cassin, pour aménager le principe
de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État en dehors
de l’hypothèse prévue par la Charte, qui permet un recours à la force
en cas de légitime défense6. Si l’on observe la façon dont s’est déroulée l’intervention de l’OTAN, c’est-à-dire avec la mise à l’écart de l’ONU, on pourrait penser que le principe de l’interdiction du recours à la force en dehors des cas prévus par la Charte, peut être valablement écarté dans certaines hypothèses. Il s’agit notamment des situations nécessitant une intervention dite “d’humanité”. Plutôt que de poursuivre dans la logique d’une progression de l’interdiction du recours à la force, un principe “d’humanité” permettrait ainsi la mise à l’écart du principe fondamental posé par l’article 2 paragraphe 4 de la Charte de l’ONU7. Pourtant, depuis le début
du xxe siècle, les
efforts des États sont allés croissant dans le but de mettre en place une
règlementation, puis une interdiction, du recours à la force armée.
C’est ainsi que, peu à peu, les relations interétatiques, caractérisées
à l’origine par la liberté du recours à la guerre, connaissent
aujourd’hui une stricte réglementation des cas d’emploi de la force. Le
principe général posé en ce domaine à l’heure actuelle est contenu
dans l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations unies, d’après
lequel : “Les membres de
l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de
recourir à la menace ou à l’emploi de la force soit contre l’intégrité
territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute
autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies”. Le professeur Michel Virally n’hésite pas à qualifier la prohibition ainsi faite du recours à la force en dehors des cas prévus par la Charte, de “véritable mutation du droit international, un changement qu’il n’est pas excessif de qualifier de révolutionnaire”8, tout en précisant qu’il est tellement révolutionnaire “qu’il s’avère extrêmement difficile à faire passer dans la réalité des comportements”9. Ce principe
d’interdiction générale instaure une différence fondamentale par
rapport aux réglementations antérieures concernant le recours à la
force, et par rapport au Pacte de la Société des Nations. Ainsi, depuis
1945, les États sont amputés d’un attribut fondamental de leur
souveraineté : le droit de recourir à la force. L’époque où
Machiavel écrivait que “[l’]unique
objet que doive se proposer le prince, le seul art qu’il doive méditer et
apprendre est celui de la guerre, celui-là seul est nécessaire à qui veut
commander aux autres” paraît, dès lors, bien révolue. La guerre
devient, comme tout recours à la force dans la sphère internationale, hors
la loi. En théorie tout au moins. Les difficultés rencontrées en
pratique pour obtenir la signature d’un traité mondial sur le non-recours
à la force dans les relations internationales, montrent que les États sont
encore réticents face à un abandon sans ambiguïté de la possibilité de
recourir à la force. De même, les difficultés d’application, en
pratique, de l’interdiction posée par l’article 2, paragraphe 4, résultent
des hésitations pouvant apparaître lors de l’interprétation des dispositions
pertinentes de ce texte. En effet, si l’article 2 paragraphe 4 pose
le principe général, ce sont toutes les références au règlement
pacifique des différends et à la paix et la sécurité internationales
contenues dans la Charte, qui précisent de quelle manière cette
interdiction est réglementée, ou de quelle manière il peut y être dérogé.
Il est possible, cependant, de définir à grands traits les hypothèses
dans lesquelles le recours à la force peut être autorisé par la Charte.
L’élément caractéristique de cette situation est rappelé par la Cour
dans son ordonnance rejetant la demande en indication de mesures
conservatoires, présentée par la République fédérale de Yougoslavie
le 29 avril 1999, qui précise que “lorsqu’un
(…) différend
suscite une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte
d’agression, le Conseil de sécurité est investi de responsabilités spéciales
en vertu du chapitre VII de la Charte”10.
Ainsi, toute intervention doit se faire sous la stricte surveillance du
Conseil de sécurité, seul organe habilité par la Charte à autoriser le
recours à la force. Or, le Conseil de sécurité n’a jamais autorisé
l’intervention armée des forces de l’OTAN au Kosovo. L’argument parfois avancé du risque de blocage du Conseil, du fait de la division de ses membres permanents sur la nécessité d’une intervention, est peu concluant. Il existait, en effet, un moyen réel mais non prévu par la Charte, pour autoriser les pays qui souhaitaient intervenir à le faire, y compris par la force : l’application des dispositions contenues dans la résolution 377 dite “Union pour le maintien de la paix” ou encore résolution “Dean Acheson”. Ladite résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 30 novembre 1950, prévoit qu’en cas d’impossibilité pour le Conseil de sécurité d’adopter une résolution relative à l’application du chapitre VII de la Charte, du fait de l’hostilité d’un ou plusieurs membres permanents, “l’Assemblée générale examinera immédiatement la question afin de faire aux membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre, y compris (…) l’emploi de la force armée (…). Si l’Assemblée générale ne siège pas à ce moment, elle pourra se réunir en session extraordinaire d’urgence dans les 24 heures (…)”. La validité de cette résolution et la révision implicite de la Charte qu’elle opère ne peuvent plus être contestées puisque, à ce jour, l’Assemblée générale s’est réunie dix fois en session extraordinaire d’urgence, la dernière ayant eu lieu en avril 1997, à propos des territoires occupés à Jérusalem-Est et dans le reste du territoire palestinien. Il apparaît donc que la
mise à l’écart de l’ONU, dans l’intervention militaire qui a eu
lieu au Kosovo, résulte d’une volonté délibérée des États qui
souhaitaient cette intervention. Ce choix est très discutable d’un point
de vue juridique, point de vue que nous nous proposons d’étudier ici. En
effet, l’illicéité de l’intervention paraît évidente au regard de
l’ensemble des dispositions de la Charte qui auraient pu être appliquées
et semble très difficile à justifier au regard du droit international général.
Plus précisément, les conditions permettant d’affirmer qu’il existe
une norme supérieure du droit international qui remettrait en question le
principe contenu dans l’article 2 paragraphe 4 de la Charte ne peuvent être
établies avec certitude. L’illicéité de l’intervention de l’OTAN au Kosovo au regard des dispositions de la Charte de l’ONUPour
que le recours à la force armée soit licite, deux conditions doivent être
réunies. La première est que le conflit porte atteinte à des principes
posés par la Charte. La seconde condition est que, une fois admise la
violation de la Charte par les acteurs prenant part au conflit, le recours
à la force par les pays membres de l’ONU respecte les dispositions du
chapitre VII de la Charte. La violation par les autorités serbes de principes posés par la CharteD’après
le chapitre VII de la Charte, le recours à la force doit s’inscrire dans
le cadre d’une action en cas de menace contre la paix, de rupture de la
paix ou d’un acte d’agression (article 39 de la Charte). Pour que le
Conseil de sécurité puisse autoriser le recours à la force, il faut donc
être en présence de l’une de ces situations. Dans le cas d’une agression armée, l’article 51 de la Charte autorise le recours à la légitime défense, individuelle ou collective. Il ressort cependant des précédents relatifs à l’emploi de la légitime défense collective11 et des intentions mêmes des auteurs de la Charte12, que l’acte d’agression doit être le fait d’un État sur le territoire d’un État tiers. Or, le Kosovo n’étant pas reconnu comme formant un État indépendant de la République fédérale yougoslave, la qualification d’“agression armée” par les forces serbes contre la population albanaise du Kosovo, doit être écartée13. Dans le cas du conflit au Kosovo, il n’y a donc pas d’agression au sens de l’article 51 de la Charte, qui pourrait justifier le recours à la légitime défense. Pourrait-on alors justifier, en l’espèce, le recours à la force au nom de l’existence d’une menace contre la paix ou d’une rupture de la paix, comme le prévoit l’article 39 de la Charte ? Pour que cette disposition soit applicable, il faut que le conflit au Kosovo ait des implications internationales. Ces implications pourraient provenir, d’abord, de la volonté de sécession de la province du Kosovo. En effet, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes fait partie des principes affirmés par la Charte. Cependant, l’article 1, paragraphe 2 de la Charte inclut parmi les buts des Nations unies, le développement “entre les nations de relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes (…)”. La Charte ne fait donc pas de ce principe une des hypothèses de recours licite à la force, puisqu’elle l’intègre dans le cadre du développement de relations amicales entre États. Ensuite, le deuxième élément
qui permettrait de donner une étendue internationale au conflit
proviendrait de ses implications humanitaires. Ainsi, l’article 1,
paragraphe 3 de la Charte classe parmi les buts des Nations unies la “réalisation
de la coopération internationale en résolvant les problèmes
internationaux d’ordre (…)
humanitaire, en développant
et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de
religion”. En pratique, c’est en se fondant sur des considérations
humanitaires que le Conseil de sécurité a justifié les mesures adoptées
dans ses différentes résolutions relatives au Kosovo14. Ainsi, du fait de ses implications humanitaires, le conflit au Kosovo pouvait donc justifier, d’après la Charte, une intervention collective des membres de l’ONU. Mais, il apparaît que les mécanismes prévus par le chapitre VII de la Charte, pour qu’un recours à la force soit autorisé, n’ont pas été respectés. L’incompatibilité de l’intervention de l’OTAN au Kosovo au regard des dispositions du Chapitre VII de la CharteD’après l’article 42 de la Charte, seul le Conseil de sécurité peut décider “[d’]entreprendre, au moyen des forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales”. L’article 47, paragraphe 1 de la Charte prévoit, quant à lui, l’intervention d’un Comité d’état-major chargé de conseiller et d’assister le Conseil de sécurité. D’après l’article 47, paragraphe 2 de la Charte, ce Comité est composé des “chefs d’état-major des membres permanents du Conseil de sécurité ou de leurs représentants”. Or, bien que la France, le Royaume-Uni et les États-Unis soient membres à la fois du Conseil de sécurité et de l’OTAN, ni la Russie ni la Chine ne sont parties au traité de l’Atlantique Nord. L’OTAN ne peut donc pas être considérée comme le Comité d’état-major prévu par l’article 47, paragraphe 1 de la Charte. L’OTAN pouvait-elle alors être considérée comme un des sous-comités régionaux du Comité d’état-major, comme le prévoit l’article 47, paragraphe 4 de la Charte ? Non, sauf à vider la notion de “régional” de tout son sens. Cependant, même si
l’ensemble des mécanismes prévus par la Charte avaient été respectés,
il n’en reste pas moins que, d’après l’article 42 de la Charte,
toutes les opérations doivent être menées sous l’autorité du Conseil
de sécurité. Or, l’action du Conseil de sécurité s’est limitée à
l’adoption de résolutions interdisant aux États de vendre ou de fournir
des armes à la République fédérale yougoslave15.
Ces résolutions instauraient également un comité spécial au sein du
Conseil de sécurité, chargé de formuler des observations et des
recommandations sur l’application de la précédente interdiction, ainsi
que des éléments pouvant conduire à la levée de l’interdiction. Par la
suite, le Conseil de sécurité a exigé successivement l’instauration
d’un cessez-le-feu au Kosovo16,
ainsi que le règlement de la crise
“par le biais d’une solution politique négociée”17.
Aucune référence précise n’a été faite, dans les résolutions du
Conseil, à une éventuelle autorisation de recourir à la force. Le Conseil
de sécurité a seulement envisagé la “possibilité
d’examiner une action ultérieure et des mesures additionnelles pour
maintenir la paix et la stabilité dans la région”18. Les seules exigences
invoquées au titre du chapitre VII de la Charte concernaient
l’application des accords conclus par la République fédérale de
Yougoslavie avec l’OSCE, l’OTAN et les États-Unis, l’application des
résolutions 1160 et 1199 et la mise en place d’une enquête sur toutes
les atrocités commises contre les civils19. La référence à l’adoption d’autres mesures prises en application du chapitre VII de la Charte sera absente des résolutions adoptées ultérieurement par le Conseil de sécurité. L’intervention armée
des membres de l’OTAN constitue donc une violation des dispositions de la
Charte de l’ONU mais, plus grave encore, elle constitue, de ce fait, une
violation de la Charte de l’OTAN. Celle-ci prévoit en effet, dans son
article 1, que “Les parties
s’engagent ainsi qu’il est stipulé dans la Charte des Nations unies, à
régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux dans
lesquels elles pourraient être impliquées, de telle manière que la paix
et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises
en danger, et à s’abstenir dans leurs relations internationales de
recourir à la menace ou à l’emploi de la force de toute manière
incompatible avec les buts des Nations unies”20. * Injustifiable au regard de la Charte de l’ONU et de celle de l’OTAN, l’intervention armée de membres de l’OTAN dans le conflit au Kosovo pouvait-elle alors trouver une justification dans le droit international général ? L’article 103 de la Charte des Nations unies écarte toute hypothèse de conflit entre une norme posée par la Charte, et une stipulation conventionnelle qui lui serait contraire puisqu’il prévoit, dans cette hypothèse, la supériorité de la Charte. Pour justifier juridiquement l’intervention de l’OTAN au Kosovo, il faudrait donc établir l’existence d’une norme non conventionnelle qui puisse modifier le contenu même de la Charte. Il faudrait également que cette norme ait une valeur juridique égale, ou éventuellement supérieure, à celle de la Charte. Du fait de la structure même
de la société internationale et de l’absence de législateur permettant
de déterminer avec précision le contenu et la valeur juridique des différentes
normes de droit international, l’affirmation de l’existence d’une
nouvelle règle de droit international qui viendrait modifier
l’interdiction du recours à la force posée par l’article 2 paragraphe
4 de la Charte est sujette à controverse. La licéité controversée de
l’intervention
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