Chapitre II : Analyse de la prise de décision suivant le modèle sui generis

Avant de passer à l’analyse, il est important de rappeler que les chapitres consacrés à l’analyse de la décision se contentent de faire une série d’observations. Dans ces chapitres sur la décision, nous n’allons pas non plus revenir sur tous les éléments du modèle Sui Generis, vu que nombreux de ces éléments ont été implicitement développés à travers les faits.

Par conséquent nous ne ferons que les mentionner, tout en vous renvoyant si nécessaire aux pages concernées.

Etudier la prise de décision d’Eisenhower est intéressante car elle ne correspond nullement à la manière dont beaucoup d’auteurs l’ont décrite dans les années 50 et 60. Nous pensons notamment au livre de R. Neustadt, Presidential Power qui décrit de manière erronée le système décisionnel d’Eisenhower.

2.1. Structure et style présidentiels

Neustadt décrit Eisenhower comme un président passif, déléguant ses pouvoirs et peu au courant des affaires. Or, la manière dont nous l’avons présenté, il est tout le contraire, c’est-à-dire lucide, plus actif que les apparences ne laissent croire, clairvoyant, avisé et perspicace. S’ il n’est pas des plus actif comparé à d’autres présidents, il ne correspond en rien à la définition d’un président passif. Il est quelqu’un qui a une excellente maîtrise des affaires et cela grâce à la structure de son système décisionnel.

Le système décisionnel d’Eisenhower est considéré comme formel, par la majorité des auteurs que nous avons lu. Si nous partageons leur point de vue, il semble qu’il faut être beaucoup plus nuancé. Certaines des caractéristiques de la structure formelle ne correspondent nullement à la prise de décision sous Eisenhower. Nous sommes confrontés à un système beaucoup plus ouvert, beaucoup moins hiérarchique. Ainsi, si le C.N.S. continue à discuter dans ces réunions de l’Indochine, au cours des semaines le centre nerveux de la prise de décision se déplace vers le Comité, plus restreint et plus efficace et les réunions entre Eisenhower et ses proches conseillers (Dulles, Ridgway, Radford,…). Aussi entre la période du 6 avril et les Accords de Genève, certaines délibérations ne se font pas au sein des réunions du C.N.S., mais bien de manière plus informelle.

Il n’hésite pas non plus à rencontrer de manière informelle ses conseillers(Dulles, Radford, Cutler, Ridgway,…), ou organiser des réunions avec certains membres du Congrès.

Une des qualités les plus importantes durant ces différentes réunions est l’ouverture d’esprit et la franchise des débats. Comme il l’expliquera lui-même : « such a thing as unanimity in a meeting of men of strong convictions working on complex problems is often an impossibility. Could anyone imagine G. Humphrey, F.Dulles,(…) reaching a unanimous conclusion on the main features of a proposed test ban, a national tax and expenditure program, a labor crisis, or foreign aid ? They would not. I never asked or expected them to do so ; in fact, had they expressed a unanimous conclusion I would have suspected that some important part of the subject was being overlooked, or that my subordinates had failed to study the subject. »[1] Un des exemples que nous avons analysé est le cas de l’amiral Radford, qui, malgré ces points de vue différents à aucun moment est écarté de la prise de décision. Cela correspond totalement à la personnalité d’Eisenhower. Si nous suivons la thèse de Gelb et Betts il est vrai qu’ Eisenhower parvient à isoler Radford dans la réunion du 3 avril. Mais l’isolement n’est pas égal à un écartement ou à une non analyse d’une proposition. La remarque de Gelb et Betts, par conséquent ne remet pas en cause le point de vue défendu.

De plus, sous Eisenhower aucune option n’est sabotée avant d’atteindre le président , ce qui n’est nullement le cas sous les présidents suivants. Tous ont également accès aux différentes informations qui pourraient influencer leurs propositions ou décisions.[2] Contrairement à ce que prétend R. Neustadt, le système décisionnel est donc loin d’être un processus de compromis avalisé par le président.

Aussi, Eisenhower, est le seul président de ceux que nous examinons dont il est impossible de le situer dans le tableau de Ch.-P. David (cfr. supra) sauf si nous y ajoutons dans la structure l’ approche « Formelle-informelle » et dans le style présidentiel la catégorie « Actif / passif – positif »

Structures et Styles Présidentiels

STYLES

STRUCTURES

Actif-Positif

Actif-Négatif

Passif-Positif

Passsif-Négatif

Actif/passif-  positif

COMPETITIVE

Roosevelt

Carter

x

x

FORMELLE

Truman

Nixon

Ford

Eisenhower

COLLEGIALE

Kennedy

Bush

Clinton

Johnson

Reagan

x

Formel-informel

Eisenhower

 

2.2. La variable bureaucratique

Grâce à la structure du C.N.S., Eisenhower parvient à fortement endiguer les querelles bureaucratiques entre les différentes agences et départements. La bureaucratie jouant un rôle important dans les multiples délibérations qui se tiennent au sein de l’administration, une des tâches du C.N.S. est précisément de réduire ou de contrecarrer les effets pernicieux de cette approche afin d’assurer une certaine rationalité du processus décisionnel. Le C.N.S. sert d’une certaine façon de médiateur entre les différentes bureaucraties. Toutefois, le fait d’avoir la volonté de diminuer les conflits bureaucratiques, ne veut nullement dire que l’administration n’est pas ouverte aux différentes options.(cfr.les faits)

Aussi, l’administration Eisenhower se caractérise par ce qu’on appelle la plaidoirie multiple où il y a autant d’avocats du diable que de possibilités et où le président exerce toute son influence en faveur de l’analyse de toutes les options, même celles qui sont en apparence impensables. Cette plaidoirie multiple se caractérise par [3]:

Ø une bonne distribution des ressources parmi les différents acteurs bureaucratiques ;

Ø la participation d’agences centrales dans le processus de formulation des politiques, afin d’assurer une surveillance et une direction équitables du système de plaidoirie ;

Ø un laps de temps suffisant pour stimuler de vrais débats sur les options proposées.

Il semble bien qu’une telle approche contribue à prendre une décision réfléchie, même si en définitive Eisenhower, en tant que président prend la décision de manière solitaire.

2.3. La variable dite du rôle, la variable systémique et l’approche cognitive.

Comme nous avons pu l’observer à travers les faits, la variable du rôle n’est pas fortement présente, en tout cas beaucoup moins présente que sous les présidents suivants( Cfr. infra).

La variable systémique, tout comme la variable cognitive[4] ont été étudiées à travers les faits. A ce sujet nous vous renvoyons entre autres à l’analyse des documents NSC 48/2, et NSC 64, à la création de l’OTASE, à l’incident entre la Chine et Taiwan, …

2.4. La variable dite sociétale et institutionnelle

Vu le consensus général, la mémoire collective et en même temps l’indifférence générale qui règne durant la période allant de 1946 à 1960 à propos du Viêt-nam, nous observons que l’opinion publique, les médias, les lobbies et les think thanks ne jouent pas ou peu dans la prise de décision. Cette situation entraîne certaines conséquences non négligeables dans le processus décisionnel. En effet, la rétroaction se fait uniquement au niveau de l’équipe décisionnelle et de la bureaucratie. Quant à la politique de propagande, celle-ci est partiellement absente.

2.5. Conclusion

A partir des faits et de la brève analyse de certaines variables, il est possible d’adapter notre schéma Sui Generis au processus décisionnel d’Eisenhower. Nous obtenons le schéma suivant :

La prise de décision de l’administration Eisenhower tend vers un processus rationnel, tout en étant influencé par une série de variables subjectives, dont les plus importantes sont la variable perceptuelle et systémique. (cfr.les faits) Le système décisionnel sous la présidence Eisenhower est également construit de manière lucide : rencontres régulières au sein du C.N.S., rapports périodiques du Comité spécial ou du Planning Board, accès à l’information, départements et agences sont au courant des décisions, analyse des différentes options,…

Conclusion

Toute la politique menée entre 1946 et 1954 est dominée par l’anticolonialisme, la bipolarité et la théorie des dominos. Nous avons vu en effet que l’anticolonialisme et l’anticommunisme de l’administration dictent la politique menée par l’administration durant la crise de Dien Bien Phu, les Accords de Genève et l’établissement du gouvernement Diem au Viêt-nam du Sud.

Si Eisenhower parvient à empêcher les Etats-Unis à s’engager militairement, il ne parvient pas à extirper les Etats-Unis du Viêt-nam après les accords de Genève. Trois raisons en sont la cause. La problématique du Viêt-nam est analysée trop facilement sous l’angle du conflit Est-Ouest. Le programme d’aide économique ne parvient pas à établir une certaine stabilité au Viêt-nam du Sud. Enfin, les Etats-Unis oublient surtout d’explorer la possibilité de mettre en place d’éventuels contre-feux aux frontières de la Malaisie et de la Thaïlande, beaucoup plus stables que l’Indochine.

Aussi, il revient à l’administration Kennedy de redéfinir la politique menée à l’égard du Viêt-nam.

[1] J.P.BURKE, F.I. GREENSTEIN,op.cit., p. 54.

[2] Ibidem, pp. 58-60.

[3] A. GEORGE, op.cit, p. 193 es.

[4] Nous revenons de manière détaillée sur l’approche cognitive dans la partie consacrée à Johnson .

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Partie 2 : D.D. Eisenhower

Chapitre I : De Truman à Eisenhower

« You have a row of dominoes set up, you knock over the first one, and what will happen to the last one is the certainty that it will go over very quickly »
Eisenhower, 7 avril 1954

Avant d’aborder la présidence Eisenhower, nous consacrons notre premier point à la période s’étendant de 1945 à 1953.

1.1. 1945-1953

Pour comprendre pourquoi les Etats-Unis se sont embourbés dans la guerre du Viêt-nam, il faut remonter à la fin de la seconde guerre mondiale.

1.1.1. L’environnement international

Au lendemain de la grande guerre, la politique étrangère américaine est essentiellement idéaliste. Les Etats-Unis se veulent dépositaires de valeurs universelles, acceptables par tous les peuples (promouvoir la liberté économique, la démocratie, les droits de l’homme, l’anticolonialisme,….) A l’époque l’intime conviction qui prévaut chez les Américains est d’être responsable de la sécurité collective.

Pourtant, très vite après la Seconde Guerre mondiale le monde se divise en deux camps idéologiques. Aussi, malgré sa suprématie et sa bonne volonté, Washington ne parvient pas à contrôler la situation mondiale .Washington est dès lors amenée à réagir a posteriori aux actions de son adversaire, le Communisme.[1]

Si à l’origine la guerre froide se limite à l’Europe, très vite elle s’étend à l’Asie tout entière. Pourtant de 1945 à 1948 les Etats-Unis appliquent dans le Pacifique une stratégie maritime-défensive. Leur périmètre de sécurité à cette époque se compose de l’Alaska, les îles Aléoutiennes, Hawaii, Midway, Wake, Guam, les Philippines, Manille et le Japon (= importance du Pacifique Nord)

A partir de 1948 par contre, les Etats-Unis réalisent que la croisade contre le communisme doit être menée partout où le Communisme menace. La solution est la politique de l’endiguement. Mais cette politique d’endiguement est confrontée en Asie du Sud-Est au colonialisme de la France, contraire à la politique du trusteeship de Roosevelt. C’est à ce dilemme(endiguement ó colonialisme) auquel les Etats-Unis sont confrontés en Indochine.

1.1.2. La situation en Indochine

Durant la Seconde Guerre mondiale l’essentiel de la résistance aux Japonais est assurée par le Viêt-minh[2], soutenu à la fin de la guerre par les hommes du major Archimede Patti de l’O.S.S.[3].

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’ancienne Indochine française se retrouve divisée en trois Etats ; le Laos, le Cambodge et le Viêt-nam. Après que les alliés aient refoulé les Japonais, le Viêt-nam se retrouve de fait, coupé en deux : les Anglais ayant repris le Sud et la Chine, le Nord. Aux Anglais succèdent les Français, qui rêvent de recréer l’ancienne Indochine. Ces derniers vont se heurter au nouvel homme fort du Nord Viêt-nam : Ho Chi Minh.

En mars 1946, les Français s’engagent à respecter l’intégrité du Nord Viêt-nam. Mais les pressions colonialistes étant encore très fortes, Paris tente de réinstaller des Français aux postes-clé dans le Nord, afin de rétablir l’ancienne Indochine. Pour les Américains, la guerre qui s’engage est vue avec un certain mépris, car il s’agit d’un conflit colonial. En outre, une partie de l’administration a à l’époque une grande sympathie pour Ho Chi Minh. Ainsi, Ho rencontre Abott, membre de l’administration Truman en septembre 1946 à Paris, afin de lui expliquer qu’il est un nationaliste et non un communiste. D.Acheson, secrétaire d’Etat, estime par contre qu’il n’est pas crédible, car les antécédents de Ho Chi Minh prouvent le contraire.

Aussi, l’administration Truman se trouve-t-elle devant un dilemme. D’un côté, le Viêt-nam ne peut tomber dans les mains des communistes, de l’autre il faut réunifier le Viêt-nam en tant que pays indépendant. En se battant contre Ho, les Français remplissent le premier objectif, mais remettent aux calendes grecques le second objectif.

Cependant, la situation évoluant de manière défavorable en Europe, Washington réalise qu’elle a besoin de la France, celle-ci étant un pilier de la stabilité en Europe. De plus, la France n’a aucune difficulté à convaincre Washington, que son combat est un combat contre le communisme. Les derniers doutes sont levés avec la victoire en 1949 de Mao Tse Tung en Chine et l’éclatement de la guerre de Corée quelques mois plus tard.

Ho-Chi-Minh, quant à lui, prend le maquis et lance le Viêt-minh à l’assaut des Français, aidé en cela par une assistance logistique et militaire chinoise.

A la même période, deux documents, respectivement le document NSC 48/2 (1949) et le NSC 64 (1950), établissent la politique américaine à mener à l’égard de l’Indochine. Le document NSC 48/2 affirme que « The United States on its own initiative should now scrutinize closely the development of threats from communist aggression, direct or indirect, and be prepared to help within our means to meet such threats by providing political, economic and military assistance and advice where clearly needed to supplement the resistance of other governments in and out of the area which are more directly concerned. »[4]

Le document NSC 64 du 27 février 1950 parvient à la conclusion que l’Indochine représente une région décisive de l’Asie du Sud-Est qui est directement menacée par le Communisme. Le document formule également la première version de la théorie des dominos [5] :

« It is important to United States security interests that all practicable measures be taken to prevent further communist expansion in Southeast Asia. Indo-China is a key area of Southeast Asia and is under immediate threat. »

« The neighboring countries of Thailand and Burma could be expected to fall under Communist domination if Indo-China were controlled by a communist-dominated government. The balance of Southeast Asia would then be in grave hazard. »

Ces documents illustrent que la théorie des dominos, si elle ne reçoit pas encore ce nom, est déjà bien présente dans la pensée américaine. Cette théorie des dominos pose que la perte d’un seul pays de l’Asie du Sud-Est entraînera la soumission ou l’alignement des autres au bloc communiste à relativement bref échéance. S’en suivra l’alignement du reste de l’Asie du Sud-Est, de l’Inde et, à plus long terme, du Moyen-Orient. Le principe de cette théorie est que si l’agression est tolérée, même de manière minime, les agresseurs seront poussés à s’attaquer à d’autres pays.

L’administration Truman a donc clairement en mémoire ce qui s’est déroulé avec l’Allemagne en Europe ( occupation de la Rhénalie, l’Anchluss, l’invasion de la Tchécoslovaquie,…) et avec le Japon en Asie ( la Mandchourie, la Chine, l’Indochine, Pearl Harbor,…) dans les années 30.

Par conséquent l’analogie avec Munich, la guerre de Corée et l’intervention chinoise dans le conflit, ont pour effet sur l’administration américaine de faire du conflit opposant la France au Viêt-minh, un combat pour contenir le communisme, et en particulier la Chine. Aussi, en Asie du Sud-Est, ce n’est pas l’U.R.S.S., mais bien la Chine qui est considérée comme l’ennemi numéro un. Cela est confirmé dans le document NSC 124/2 de juin 1952. (Cfr. Annexe)

Sans intervenir dans le conflit, l’administration Truman approuve un programme d’aide financière et militaire à la France afin de l’aider dans sa tâche. Fin 1953 l’aide financière est de 500 millions de dollars par an et de dix mille tonnes d’équipement par mois.[6] C’est à partir de ce moment-là que Washington s’empêtre petit à petit en Indochine. Cette année-là deux événements intensifient encore l’engagement américain au Viêt-nam[7] :

1. l’accession au pouvoir des Républicains, dont la campagne est construite au tour du thème du communisme et la manière de le traiter ;

2. l’armistice intervenue en juillet 1953 en Corée fait craindre une présence et intervention chinoise plus ample en Indochine.

1.2. Arrivée d’Eisenhower au pouvoir

Dwight David Eisenhower (1890-1969) prend les rênes du pouvoir en janvier 1953. Excellent stratège et administrateur, sa personnalité se caractérise par un esprit clairvoyant, ordonné, rationnel,… Cela se reflète dans son système décisionnel (cfr.Infra) Sa présidence ne marque pas vraiment l’histoire, car survient durant une période relativement calme dans les relations internationales. Il s’acquitte avec un sens du devoir des tâches, sans prendre des décisions spectaculaires. Toutefois, sa politique en Indochine n’est pas déniée d’intérêts.

1.2.1. L’équipe décisionnelle

Vu sa carrière militaire, Eisenhower est habitué aux règles de conduite militaire et à suivre fidèlement les ordres transmis par ses supérieurs. Cet héritage le conditionne à percevoir la présidence comme un lieu où les mêmes rapports hiérarchiques doivent exister. Il donne ses directives, et ses conseillers et secrétaires s’occupent de les exécuter. Cependant, comme l’explique Ch.- P. David : « loin d’être effacé, il manifestait au contraire une habileté sans pareille pour mener ses politiques par des interventions discrètes et calculées, telle une main invisible agissant à l’insu des regards médiatiques. »[8]

Avant d’aborder la prise de décision durant l’année 1954, nous présentons brièvement dans les deux points qui suivent les principaux acteurs de la prise de décision, tout comme l’organe principal de la prise de décision.

1.2.1.1. Le département d’Etat et de la Défense

Nous n’entrons pas à ce stade-ci de l’étude dans les détails concernant la fonction et la composition des différents départements. Nous y revenons de manière approfondie dans la partie consacrée à Kennedy.

La fonction de secrétaire d’Etat est remplie par John Foster Dulles. A l’inverse des administrations suivantes, le poste de secrétaire d’Etat est le poste principal sous l’administration Eisenhower. Par contre, le département d’Etat, à ne pas confondre avec le secrétaire d’Etat, est de plus en plus écarté de la prise de décision et ce la pour deux raisons.[9]

Dû à la guerre froide – la guerre de Corée, les opérations clandestines, la stratégie du New Look,…- le département de la Défense se substitue de plus en plus au département d’Etat. Mais le secrétaire à la Défense – Ch Wilson (1953-1957), N. McElroy (1957-1959) et Thomas Gates (1960)- a encore un rôle limité. Aussi, concernant le domaine de la défense, le rôle principal est rempli par le Chairman of the Joint Chiefs of Staff, A.W.Radford.

Une autre raison du déclin du département d’Etat est McCarthy, qui accuse à l’époque le département d’être infiltré par des Communistes. Ainsi, il déclare en 1952 : « The reason why we find ourselves in a position of impotency is not because our only powerful potential enemy has sent men to invade our shores, but rather because of the traitorous actions of those who have been treated so well by this Nation…The bright young men who are born with silver spoons in their mouths are the ones who have been the worst…..In my opinion the State Department….is thoroughly infested with Communists. »[10] De plus Eisenhower, arrivant au pouvoir en 1953, ne peut empêcher l’influence de McCarthy, ayant besoin du soutien des Républicains conservateurs.

1.2.1.2. Le C.N.S.

L’organe le plus plébiscité par Eisenhower dans le domaine de la politique étrangère est le C.N.S., créé en 1947. Son rôle consiste à coordonner et intégrer différentes informations de nature politique et militaire afin de conseiller le président en matière de défense et de sécurité. Plus exactement l’acte qui crée le C.N.S. stipule : « … to advise the President with respect to the integration of domestic, foreign, and military policies relating to the national security so as to enable the military services and other departments and agencies of the government to cooperate more effectively in matters involving the national security. »[11]

Sous Eisenhower les réunions du C.N.S. sont régulières. (une à deux fois par semaine) Aussi, la politique étrangère est dirigée, non pas à partir du Cabinet, mais bien à partir du C.N.S. Au poste de Conseiller à la sécurité nationale siège R. Cutler, mais son rôle est en rien comparable à celui que rempliront les Conseillers à la sécurité nationale sous les présidents suivants. Son rôle se limite à celui de secrétaire et de médiateur.

Le rôle du C.N.S. à l’époque est double[12] :

a) les documents rédigés par les différents départements sont étudiés par le Planning Board, organe du C.N.S. se réunissant deux fois par semaine . Celui-ci a comme objectif de coordonner et souvent de trouver un compromis entre les différents départements. Les propositions issues du Planning Board, sont ensuite discutées aux réunions du C.N.S..

b) les décisions issues des réunions du C.N.S. sont alors envoyées aux différents départements et agences par le biais du Operations Coordinating Board (OCB), qui se réunit une fois par semaine.

Le but de ce système est d’organiser le gouvernement de telle façon que comme le montre R. Hilsman : « the top men should save their strength and wisdom for what the officials lower down were unable to decide, and the pressure was toward reconciling differences at as low a level in the hierarchy as possible so as to give the top leadership an agreed best solution. »[13]

La composition varie en fonction des priorités de la Maison Blanche. Les réunions du C.N.S. sont composées de plus au moins 7 membres permanents; le directeur du C.N.S. (le National Security Adviser), le président, le vice-président, le secrétaire d’Etat, le secrétaire à la Défense, le directeur de la CIA et le chef d’Etat-major des armées(Joint Chiefs of Staff).Auprès de ceux-ci peuvent se joindre, comme sous l’actuelle présidence Clinton, le secrétaire du Trésor, le directeur du Conseil Economique National, l’ambassadeur aux Nations-Unies et d’autres ministres ou directeurs d’agences. Le Conseiller (N.S.A.) du C.N.S. est assisté par un personnel (Staff) chargé de faire fonctionner cette institution. Le Conseiller et son personnel constituent aujourd’hui le pilier de la politique étrangère américaine.

A l’époque non seulement le président, le vice-président, le secrétaire d’Etat, le secrétaire à la Défense, le chef d’Etat- major et le chef de la CIA participent aux réunions du C.N.S. mais également de manière régulière une dizaine d’autres fonctionnaires. Soit en tout plus au moins 20 personnes. A certains moments les réunions du C.N.S. rassembleront entre 40 et 50 personnes. Aussi, les réunions du C.N.S. deviennent très vite un forum de discussion et non pas un organe décisionnel. Comme déclare Cutler : « there is a point, at which a group turns into a town meeting and once the invisible line is passed, people do not discuss and debate ; they remain silent or talk for the record. »[14]

En conclusion, le système décisionnel de l’administration Eisenhower, reposant sur le C.N.S. se caractérise par un régime hiérarchique. Eisenhower y privilégie une méthode de travail ordonnée et hiérarchisée, allant, comme l’explique Ch.-P David, des marches les plus basses jusqu’à la marche la plus élevée et où tous les acteurs de « l’escalier décisionnel » interviennent.[15] A partir de là, de nombreux auteurs dont Neustadt, en ont déduit que les décisions sont souvent prises en l’absence d’une participation présidentielle. Cette déduction est fausse.

En effet, malgré l’instauration d’un système formel de prise de décision en politique étrangère, Eisenhower prend ses décisions souvent en dehors de ce processus, communiquant directement avec ses conseillers. Plus la prise de décision est urgente et importante, moins elle est le résultat d’une décision du C.N.S. C’est en partie le cas dans la prise de décision concernant Dien Bien Phu où Eisenhower prend ses décisions partiellement en dehors du fonctionnement du C.N.S..

1.2.2. Dien Bien Phu

Quand Eisenhower arrive au pouvoir en 1953, il approuve dans les grandes lignes l’approche de son prédécesseur à l’égard du Viêt-nam. Il est convaincu que Ho Chi Minh est un pion du Communisme international et que la chute du Viêt-nam aura des conséquences politiques, économiques et stratégiques désastreuses pour les Etats-Unis.

Avec la perception accroissante d’une intervention chinoise en Indochine, l’administration Eisenhower en janvier 1954, tend à se concentrer sur l’aspect militaire plutôt que sur l’aspect politique du conflit.

1.2.2.1. Vers une intervention unilatérale ?

Le 8 janvier 1954 à une réunion du C.N.S., R.Cutler présente le document NSC 177, rédigé par le Planning Board. Ce document, qui présente une analyse générale des enjeux au Viêt-nam, est accompagné d’une annexe qui analyse une série d’options, dont une intervention des forces terrestres américaines. Cette annexe, avant d’être présentée à la réunion est détruite sur ordre d’Eisenhower. Eisenhower ne fait pas cela sans raison. Comme nous le verrons Eisenhower met tout en oeuvre pour empêcher une intervention unilatérale de la part des Etats-Unis. D’ailleurs durant cette réunion, il émet de grosses réserves sur l’éventualité d’envoyer des troupes terrestres. Ce point est intéressant, car il contredit la thèse défendue par Neustadt comme quoi le président Eisenhower est un président passif.

Par contre le président, au cours de cette même réunion ne s’oppose pas à un envoi éventuel d’avions et de techniciens afin d’aider la France. Il s’oppose toutefois à une intervention aérienne américaine proposée par l’amiral Radford. D’autres options sont encore proposées durant la réunion, mais Eisenhower estime qu’avant de prendre une décision, il est préférable que les membres du C.NS. approfondissent les différentes alternatives. Pendant les semaines qui suivent la réunion du 8 janvier, le problème de l’Indochine est discuté régulièrement dans les réunions du Planning Board, au département de la Défense et dans les réunions entre le président et ses conseillers,….[16]

Entre temps le 14 janvier et le 18 janvier deux réunions importantes ont lieu.

La réunion du 14 est intéressante, car elle est une illustration parfaite du fonctionnement du C.N.S. comme nous l’avons décrite. Le Planning Board réalise que les différentes agences et départements s’interrogent sur la réaction de Washington si la France se retirait de l’Indochine. Aussi, il est décidé que dans ce cas-là, Washington devrait organiser des opérations clandestines, de guérilla afin de rendre la vie du Viêt-minh un enfer. Cette décision est communiquée au Operations Coordinating Board, qui transmet la mise en exécution de cette décision aux différentes agences et départements, dans ce cas-ci, la CIA et le département de la Défense.

Le 18 janvier Eisenhower tient une réunion avec ses proches conseillers : les frères Dulles, l’amiral C. Davis, W.B. Smith et R. Kyes du département de la Défense, et C.D. Jackson, conseiller personnel d’Eisenhower. Il leur demande de se constituer en Comité spécial, afin d’analyser la situation en Asie du Sud-Est. A côté de ce Comité est créé un groupe de travail, qui étudie les différentes propositions et rend compte des résultats au Comité. La première décision prise par ce Comité, le 29 janvier, est l’envoi de 200 techniciens en Indochine et de 22 bombardiers B-26.

Un mois plus tard, le 18 février, l’Angleterre, la France, les Etats-Unis et l’Union soviétique annoncent la tenue en mai d’une conférence internationale sur la Corée et l’Indochine. Cette annonce aura des conséquences importantes pour la suite des événements. (Cfr. Infra) Sur le terrain par contre, la situation évolue de manière catastrophique. Début mars le Viêt-minh assiège Dien Bien Phu, aussi les Etats-Unis doivent prendre la décision d’intervenir ou non. Le 10 mars le groupe de travail et ensuite le 17 mars le Comité spécial estiment que si une action est envisagée, elle doit se faire dans un contexte multilatéral, en accord avec les alliés. Toutefois, ils n’excluent pas une action unilatérale. Le C.N.S. de son côté, souhaite limiter une action américaine au seul cas où la Chine populaire interviendrait directement dans le conflit. Une troisième option est présentée par l’amiral Radford. En effet, des discussions intensives entre l’amiral Radford et le général Paul Ely résultent fin mars dans un plan pour une attaque aérienne stratégique. L’amiral propose une intervention de 60 bombardiers, accompagnés de 150 avions de chasse, sur Dien Bien Phu afin d’éliminer le Viêt-minh. (operation Vulture) L’objectif de Radford, comme il l’admettra des années plus tard, est de provoquer une réaction militaire chinoise, afin de combattre la Chine, avant que celle-ci devienne suffisamment forte pour menacer les intérêts américains.[17] Seul Nixon soutien l’initiative de Radford.. Ni Eisenhower, ni le général Ridgway montrent un grand enthousiasme pour une action militaire unilatérale qu’elle soit aérienne ou terrestre.

La question d’un engagement unilatéral ou multilatéral est abordée dans la réunion du C.N.S. le 1er avril. Le contenu de cette réunion est inconnu. Il semble cependant qu’aucune décision majeure ait été prise, sauf d’organiser une réunion le 3 avril avec les Représentants du Congrès, un Congrès opposé à toute intervention unilatérale. Selon les auteurs Gelb et Betts, et nous partageons leur point de vue, le président Eisenhower ne voulant pas d’une intervention unilatérale organise délibérément cette rencontre. Aussi, la réunion a comme objectif d’isoler Radford et Nixon dans leur volonté d’intervenir unilatéralement.

Quant à Dulles, s’inspirant de l’Alliance atlantique, il pose un préalable à toute action américaine : l’organisation d’un pacte politique auquel participerait autant de pays que possible du Sud-Est asiatique.[18]

1.2.2.2. La réunion du 3 avril et ses conséquences

Le 3 avril une réunion importante a donc lieu entre les conseillers d’Eisenhower et certains membres du Congrès. A cette réunion il est décidé que les Etats-Unis n’engageront pas leurs forces tant qu’il y a aucune garantie d’une intervention multilatérale. Aussi, les représentants du Congrès établissent trois conditions à une intervention :[19]

1. L ‘engagement de l’Angleterre et d’autres alliés (Australie, Nouvelle-Zélande, Philippines et Thaïlande) ;

2. La France maintient ses forces jusqu’à la victoire ;

3. La France accorde l’indépendance aux Etats concernés.

La position du Congrès s’explique par le fait que l’opinion publique encore marquée par la guerre de Corée ne permettrait jamais un nouvel engagement à si court terme.

En résumé, Nixon et Radford prônent un bombardement aérien. Dulles est opposé à une intervention unilatérale en faveur de la France. Quant au Congrès, il impose une série de conditions à une intervention multilatérale proposée par le Comité spécial. Eisenhower va profiter de ces avis divergents pour fixer lui-même la politique à suivre, c’est-à-dire une intervention multilatérale.

Aussi, le 4 avril 1954, l’administration Eisenhower envisage une intervention américaine avec la participation d’autres pays et sous certaines conditions : « Eisenhower…. agreed with Dulles and Radford on a plan to send American forces to Indochina under certain strict conditions. It was to be… A joint action with the British, including Australian and New Zealand troops, and, if, possible participating units from such Far Eastern countries as the Philippines and Thailand so that the forces would have asiatic representation…. Secondly, the French would have to continue the fight in Indochina and bear a full share of responsibility until the war was over. Eisenhower was also concerned that american intervention…..Might be interpreted as protection of colonialism. He added a condition that would guarantee future independence to …Vietnam, Laos and Cambodia.» [20]

Deux jours plus tard la nouvelle orientation de la politique américaine est ratifiée au cours d’une réunion du C.N.S.. A cette même réunion, les recommandations d’une intervention multilatérale proposées par le Planning Board sont également examinées. [21] Le Planning Board estime que dans le cas d’une intervention, il faudrait envoyer plus de 300 000 hommes, qu’il y aurait un risque d’une intervention chinoise et soviétique, que le coût serait élevé et qu’une intervention terrestre remettrait en cause la politique du New Look.[22]Quant au de groupe de travail, il recommande une intervention persistant jusqu’à la victoire.

Eisenhower se trouve donc confronté à deux options totalement opposées : d’une part, le Planning Board est peu enthousiaste à l’idée d’une intervention, de l’autre le groupe de travail recommande à Eisenhower de tout mettre en œuvre pour repousser les communistes, même de manière unilatérale s’il le faut : « all affirmative and practical steps, with or without its European allies, to provide tangible evidence of Western strength and determination to defeat Communism.. (…) The U.S. need to ensure that there be initiated no cease-fire in Indochina prior to victory whether that be by successful military action or clear concession of defeat by the Communists. »[23]

Toujours à la même date, le 6 avril, a lieu un débat au sein du Sénat sur une possible intervention en Indochine. Le Sénat y réaffirme sa volonté d’une action multilatérale qui aboutisse à l’indépendance de l’Indochine. Cette position conforte Eisenhower dans sa conviction que seule une intervention multilatérale aux conditions du Congrès est la meilleure option.

Aussi, durant les semaines qui suivent, le secrétaire d’Etat Dulles rend visite à l’Angleterre et à la France afin d’organiser une action commune. Cependant, Londres trouve le projet flou, principalement en ce qui concerne les opérations à effectuer au sujet desquelles aucune étude sérieuse ne semble avoir été faite. En fait l’Angleterre traverse une passe de pacifisme, et ne veut plus entendre parler de guerre. Aussi, la coalition si elle est organisée avant la Conférence de Genève risque de mettre en péril les négociations débutant au mois de mai.

La France s’oppose aux conditions imposées par le Congrès. En conséquence, la coalition pour une intervention multilatérale ne se formera pas.

Il est encore bien question d’une intervention aérienne américaine fin avril, lors d’un retournement partiel de la position de Dulles, qui tente de forcer le destin et d’obtenir enfin cette intervention américaine sur Dien Bien Phu, qui est au bord de l’écroulement. Comment expliquer ce revirement ? Selon J. De Folin, le secrétaire d’Etat est impressionné par les rapports sur le défaitisme des Français que lui remet Dillon, ambassadeur américain à Paris. Dulles évoque les risques qu’amènerait la chute du Cabinet Laniel si Dien Bien Phu tombait. Il en résulterait des conséquences imprévisibles pour l’Indochine, ainsi que pour la C.E.D..[24] Dans son retournement de position, Dulles est clairement influencé par un facteur d’ordre systémique. Dulles, attaché à la pactomanie pour endiguer le communisme, ne voit pas d’un bon œil, l’effondrement de la France en Indochine. Cela aurait une influence sur la C.E.D., l’Alliance atlantique et mettrait sa politique d’endiguement en danger à travers les différents pactes.

Dulles se rallie donc à Radford, mais impose une condition : la participation anglaise. Cependant, l’Angleterre maintient sa position considérant l’opération peu efficace et le risque trop grand d’une réaction chinoise de représailles sur Hong Kong.

L’intervention n’a donc pas lieu. En outre, il semblerait, que vu la position intenable de l’armée française à Dien Bien Phu, le général Ridgway, chef de l’Etat- major de l’armée de terre, persuade le président Eisenhower de ne pas intervenir. Le général Ridgway met en doute la capacité des forces aériennes à inverser le courant. Ayant la Corée en mémoire il estime que la puissance aérienne et navale ne peuvent gagner seule une guerre. Aussi, une intervention entraînerait probablement l’envoi de troupes terrestres, ce que Ridgway exclut. Les troupes seraient confrontées au Viêt-minh sur un terrain qui leur est défavorable.[25] De plus, l’envoi massif de troupes est risqué vu la politique du New Look, qui réduit fortement le budget et le nombre de forces terrestres, mettant l’accent sur l’armée de l’air et de mer.

L’intervention américaine ne venant pas, la France est vaincue le 7 mai 1954 à Dien Bien Phu. [26] Le 9 mai, la France exprime son inquiétude de perdre tout le Viêt-nam, le Viêt-minh voulant faire traîner les négociations le plus longtemps possible afin de renforcer ses positions sur le terrain. Les Etats-Unis, convaincus de la théorie des dominos, font le 13 mai une nouvelle proposition, accompagnée de nouvelles conditions, afin d’intervenir en Indochine. Ces conditions sont [27]:

1) La participation américaine doit être formellement demandée par la France et les trois Etats associés ;

2) La Thaïlande, les Philippines, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni doivent être l’objet d’une demande similaire de la part de la France. Les Etats-Unis seraient satisfaits si les deux premiers acceptaient, si les deux suivants accepteraient dans le contexte de l’ANZUS et si l’Angleterre serait prête à participer ou consentante.

3) L’affaire doit être présentée aux Nations Unies.

4) La France doit garantir aux trois Etats associés une complète indépendance comprenant le droit de se retirer de l’Union française à n’importe quel moment.

5) La France doit s’engager à ne pas retirer ses forces d’Indochine durant la période d’action collective.

6) Un accord doit se faire sur l’entraînement des troupes indochinoises et sur le commandement de l’action collective.

7) Ces conditions doivent être acceptées par le gouvernement français et endossées par l’Assemblée nationale (afin d’assurer la continuité en cas de changement de gouvernement)

Deux jours plus tard, Dulles présente devant le Comité des Affaires étrangères du Sénat les conditions auxquelles les Etats-Unis interviendraient.

Fin mai et début juin, différentes entrevues ont lieu entre Dulles et l’ambassadeur Bonnet afin d’analyser si une intervention américaine serait envisageable et réalisable afin de sauver le Sud du Viêt-minh.[28] Cependant, les conditions sont considérées comme inacceptables par la France. Les discussions entre les deux pays capotant mi-juin, les Etats-Unis retirent leur proposition le 16 juin.

1.2.2.3. Pourquoi avoir transmis des conditions qu’ils savaient inacceptables ?

Tout comme pour la réunion avec les membres du Congrès du 3 avril, les interprétations divergent sur les objectifs réels des Etats-Unis en imposant ces conditions. Pour certains auteurs comme Kissinger et le professeur Randle, ces conditions inacceptables pour la France renforcent la thèse qu’Eisenhower n’ait jamais eu la volonté d’intervenir en Indochine. A en croire H. Kissinger, Eisenhower n’aurait jamais eu l’intention de s’engager en Indochine ni unilatéralement, ni multilatéralement. Son argument repose sur la volonté d’Eisenhower de vouloir consulter le Congrès, qui ayant des conditions tellement élevées rend toute intervention impossible. [29]

D’autres, comme G.Warner et J. De Folin essaient de montrer que cette interprétation est fausse. G. Warner argumente son point de vue en estimant que les conditions imposées en mai sont moins exigeantes que celles d’avril. En examinant la troisième condition on observe que les Etats-Unis n’exigent plus une participation de l’Angleterre mais seulement son consentement. De plus, pourquoi si Eisenhower n’a pas la volonté d’intervenir, une série d’études est faite sur la manière d’intervenir, ses conséquences,… En outre comme l’explique J.De Folin, à l’époque, si le gouvernement propose, le Sénat dispose. Aussi, le colonialisme français fait l’objet de dures critiques au Sénat américain. Le raisonnement américain est le suivant. Les contraintes de l’Union française, empêchent tout gouvernement vietnamien de prouver son indépendance. Dans ces conditions, il est impossible de rassembler les vrais nationalistes anticommunistes et prétendre rivaliser avec Ho Chi Minh.[30]

Notre interprétation rejoint en partie celle de J. De Folin. Ce dont nous sommes certain c’est qu’Eisenhower s’oppose aussi bien à une intervention unilatérale qu’à une intervention terrestre[31]. Si nous analysons la politique suivie dans son contexte international de 1954, il semble qu’il y ait une certaine logique dans l’attitude d’Eisenhower. Les Etats-Unis se trouvent durant l’année 1954 devant le dilemme auquel ils sont confrontés depuis la fin de la seconde guerre mondiale : la non-compatibilité entre leur politique d’endiguement du communisme et leur politique anticolonialiste. L’administration réalise et Eisenhower en particulier qu’il n’y a aucune possibilité de vaincre le Viêt-minh, sauf si la France accorde l’indépendance au Viêt-nam et cela pour des raisons aussi bien internes qu’externes : internes dû à un Sénat conservateur et imprégné d’idéalisme, externes par le fait qu’un peuple ne peut se battre contre un envahisseur pour une indépendance, qu’il n’obtiendra pas.

Aussi, au cas où la France accepte la condition de l’indépendance, la probabilité est grande que la France se retire du Viêt-nam. A ce moment-là, Washington se retrouve soit seul face au Viêt-minh pour empêcher la théorie des dominos (ce qui comme nous l’avons vu est exclu), soit intervient au sein d’une coalition.

Par conséquent, ce n’est pas un hasard si Eisenhower veut une intervention multilatérale : il veut éviter que son pays s’engage seul au Viêt-nam au cas où la France accepterait les conditions, mais abandonnerait ensuite sa lutte. Ainsi, les Etats-Unis ne peuvent gagner avec la France, ni sans la France.

1.2.3. Les Accords de Genève et la réaction américaine

Le 21 juillet 1954 les accords de Genève scellent définitivement la division de l’Indochine, en trois Etats : le Laos, le Cambodge et le Viêt-nam. Cependant, le Viêt-nam demeure coupé en deux au 17° parallèle, le Nord sous influence communiste, le Sud sous influence occidentale.

Le Nord, après l’évacuation des derniers soldats français, obtient immédiatement la souveraineté. Le Sud est considéré comme une zone, regroupant l’armée française et les vietnamiens hostiles à Ho Chi Minh, en attendant une réunification pacifique, prévue après des élections libres à tenir en juillet 1956. Celles-ci ne seront non pas soumises à un contrôle international comme l’avait suggéré la France, mais bien au contrôle d’une commission formée de trois Etats, dont deux l’Inde et la Pologne sont favorables au Viêt-minh, le troisième étant le Canada .

1.2.3.1. La position américaine concernant les Accords de Genève.

Les Etats-Unis ne signent pas les Accords de Genève estimant que les conditions ayant été préétablies par les Anglais, Français et Américains, dans une réunion du 25 juin, n’ont pas été remplies à la table des négociations. Ces points sont (cfr. Annexe):

1. préserver l’intégrité et l’indépendance du Laos et du Cambodge et assurer le retrait des forces Viêt-minh ;

2. préserver au moins la partie Sud du Viêt-nam, et si possible une enclave dans le Delta ;

3. aucunes restrictions matérielles et en particulier des restrictions sur le maintien de forces pour la sécurité interne, sur l’importation des armes et sur la présence de conseillers étrangers ne peuvent être imposées au Laos, au Cambodge ou au Viêt-nam, diminuant la possibilité du maintien d’un régime non-communiste ;

4. ne pas exclure une réunification par des moyens pacifiques ;

5. supervision internationale de l’accord ;

6. supervision internationale des transferts de populations ;

7. pas de conditions politiques favorisant un retour du communisme.

Pour les Etats-Unis ces conditions ne sont pas remplies dans les Accords. Ainsi Dulles, déclare : « … the fact is however that the US would not want to be associated in any way with a settlement which fell materially short of the 7-point memorandum »[32] Ainsi, si les Etats-Unis déclarent prendre note de l’Accord et de s’abstenir de le contrarier par la force ou la menace,Washington annonce également de prendre très au sérieux toute reprise de l ‘agression violant les Accords et y verrait une grave menace pour la paix et la sécurité internationales.[33]

Au Viêt-nam, Washington soutient très vite par l’intermédiaire de la CIA le Sud et écarte très vite l’idée d’élections. Dans un câble du 7 juillet 1954 (avant les Accords de Genève),adressé au sous secrétaire d’Etat Walter Beddel Smith, qui représente les Etats-Unis à Genève, Dulles déclare : « since undoubtedly true that elections might eventually mean unification of Vietnam under Ho Chi Minh, this makes it all more important they should be only held as long after cease-fire agreement as possible and in conditions free from intimidation to give democratic elements best chance »[34] Cette position est confirmée dans une série d’autres documents[35] tout au long de l’année 1954 et 1955. A côté du soutien américain au Sud, est créée l’OTASE.

1.2.3.2. Création de l ‘OTASE (SEATO)

Les Etats-Unis estiment que les Accords de Genève plongeront le Laos, le Viêt-nam et le Cambodge dans le Communisme. Les raisons de cette crainte sont exprimées dans un document du C.N.S. en août 1954 (cfr. annexe ). Nous en reproduisons trois qui permettent de comprendre l’anxiété des Etats-Unis:

A) Regardless of the fate of South Vietnam, Laos, and Cambodia, the communists have secured possession of an advance salient in Vietnam from which military and non-military pressure can be mounted against adjacent and more remote non-communist areas.

B) By adopting an appaerance of moderation at Geneva and taking credit for the cessation of hostilities in Indochina, the communists will be in a better position to exploit their political strategy of imputing to the United States motives of extremism,belligerency and opposition to coexistence.

C) The communists have increased their military and political prestige in Asia and their capacity for expanding communist influence by exploiting political and economic weakness in the countries of free Asia without resort to armed attack.»[36]

Dans ce même document du C.N.S., deux objectifs sont établis : maintenir un Viêt-nam du Sud anticommuniste et allié, et prévenir toute victoire électorale communiste [37] Cette décision est loin de faire l’unanimité aussi bien au sein du Pentagone, que du département d’Etat, que de la CIA. Certains au sein de ces départements estiment que le pays est trop divisé religieusement et politiquement, pour pouvoir y instaurer un régime démocratique, fort et uni autour des mêmes objectifs. Pourquoi dès lors, s’engagent-ils auprès du Viêt-nam du Sud? La raison la plus avancée est celle de la peur, même de la phobie de la réalisation de la théorie des dominos qui domine toute l’administration Eisenhower.

Aussi, afin de contenir l’expansion communiste, les Etats-Unis parviennent en quelques semaines à établir une ceinture de sécurité dans la région de l’Asie du Sud-Est. Le traité de l’OTASE est signé à Manille en septembre 1954 ; il réunit les Etats-Unis, la France, l’Angleterre, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, le Pakistan et la Thaïlande. Le Cambodge, le Laos et le Viêt-nam n’en font pas partie. Toutefois, un protocole additionnel dispose que ces trois pays pourront bénéficier de la protection des pays membres. Dans l’article IV chaque partie reconnaît que « aggression by means of armed attack in the treaty area against any of the parties or against any state or territory which the parties by unanimous agreement may here after designate would endanger its own peace and safety, and agrees that it will in that event act to meet the common danger in accordance with its constitutional processes. »[38] Les pays visés sont le Cambodge, le Laos et le territoire libre de l’Etat du Viêt-nam.

1.2.3.3. Réflexions sur cette politique d’endiguement

Il nous semble que la question de savoir si certains dominos risquaient de tomber en Asie du Sud-Est,n’ait pas été la bonne. L’administration américaine aurait dû s’interroger afin de savoir s’il n’existait pas dans la région, de pays mieux placés où tracer la ligne de démarcation, par exemple, la Malaisie ou la Thaïlande.

En outre, une série de questions n’est pas posée : était-il vrai que tous les gains communistes étendaient la zone contrôlée par le Kremlin, notamment si on pense à la Yougoslavie de Tito ?, Pouvait-on concevoir que l’entrée de l’Indochine dans le camp communiste aurait pu en soi bouleverser l’équilibre des forces mondiales ? Ces questions ne seront jamais soulevées par l’administration Eisenhower, ni par les administrations suivantes. (Cfr. infra le point sur l’approche cognitive) .

1.2.4. 1955-1960 : Le « projet Viêt-nam »

Au Viêt-nam après les Accords de Genève, l’objectif premier de l’administration est de réussir le « projet Viêt-nam », c’est-à-dire une affirmation du Viêt-nam du Sud sur tous les plans : national, international, économique, politique et militaire. A ces fins, la Maison Blanche, sous pression du lobby Friends of Vietnam, met un homme fort à la tête de l’Etat : Ngo Dinh Diem. Il est très apprécié des Américains pour son anticolonialisme et son anticommunisme. En outre, pour convaincre les pessimistes, le régime sud-viêtnamien est assisté par des conseillers américains, afin d’encourager une série de réformes, permettant au Viêt-nam du Sud de se démocratiser. Un de ces conseillers, le général J.L. Collins, alerte Washington en avril 1955, sur la situation catastrophique dans laquelle se trouve le Viêt-nam.

1.2.4.1. Le rapport Collins

En novembre 1954, Eisenhower envoie J.L. Collins afin d’évaluer la situation sur place. Après cinq mois d‘études et de recherches Collins conclut que Diem, agissant de manière dictatoriale ne mérite plus le soutien apporté par Washington. Alors que le département d’Etat donne son aval à son remplacement, l’ordre est bloqué par Dulles, ce dernier ayant appris que Diem était en voie de prendre des dispositions afin de s’attaquer aux opposants de son pays et d’y restaurer l’ordre. Aussi, les Etats-Unis décident de maintenir leur confiance dans le régime. Dans cet épisode la CIA joue un rôle non-négligeable. La CIA ayant appris la volonté de l’administration de se débarrasser de Diem, elle l’encourage à rétablir l’ordre dans son pays et de prendre des dispositions pour démocratiser son pays.[39]

Si nous abordons brièvement cet épisode, c’est pour trois raisons :

1. A quelques heures près, toute la politique américaine aurait pu prendre un autre tournant que celui qu’elle prendra dans les 20 ans qui suivent ;

2. L’émergence (encore faible) des divergences de vues sur la politique à mener au Viêt-nam entre les différents acteurs de la prise de décision ;

3. Le commentaire fait par Collins après l’annonce du maintien au pouvoir de Diem, caractérise le problème auquel est confronté l’administration Eisenhower et auquel sera confronté Kennedy au Viêt-nam. Collins rédige dans son rapport final : « I still feel that even if Diem manages to suppress Binh Xuyen, this will not change his own basic incapacity to manage the affairs of government. His present success may make it harder for us to persuade Diem to take competent men into government, to decentralize authority to his ministers, and to establish sound procedures for the implementation of reform programs. I’m still convinced Diem does not have the knack of handling men nor the executive capacity truly to unify the country and establish an effective government. If this should be evident, we should either withdraw from Vietnam because our money will be wasted, or we should take such steps as can legitimately be taken to secure an effective new Premier. »[40] Vu la perception que l’administration Eisenhower a de l’importance de l’Indochine dans le combat contre le Communisme, la proposition de Collins est exclue. De plus, le remplacement de Diem pose le problème d’une alternative qui ne se présente pas. Diem est le seul à être tout à la fois nationaliste, anticommuniste et n’ayant aucun lien avec la France. L’administration décide dès lors de continuer son projet Viêt-nam avec Diem.

1.2.4.2. Paradoxe : Accroissement de l’aide financière et matérielle – détérioration de la situation

Fin 1956, après le délai passé des élections et la répression des différentes sectes, les conseillers sur place sont convaincus d’avoir réussi à asseoir un régime fort et stable. Ainsi, en quelques années, le Viêt-nam du Sud devient le principal bénéficiaire de l’aide américaine à l’étranger :

Ø près de deux milliards de dollars sont ainsi accordés au gouvernement Diem de 1954 à 1960 ;

Ø un contingent de 1500 Américains travaille sur place ;

Ø l’ambassade américaine à Saigon devient la plus grande mission américaine du monde ;

Ø les instructeurs de l’armée américaine forment l’armée sud-viêtnamienne à partir des méthodes habituelles. Ils mettent sur pied une armée traditionnelle, organisée autour de divisions blindées, pourvue d’artillerie et fondée sur une solide discipline. Les instructeurs, des vétérans de la seconde guerre et de la guerre de Corée, sont convaincus qu’une éventuelle guerre se déroulera dans les mêmes conditions que les précédentes : fronts reconnaissables et affrontements d’unités bien établies[41].

La suite des événements démontre rapidement que Washington s’est réjoui trop tôt. Si une politique expéditive permet d’obtenir des résultats indéniables dans certaines régions, elle entraîne également des conséquences néfastes dont profitent les communistes. Des milliers de paysans sont ainsi assassinés, torturés ou emprisonnés dans des conditions épouvantables.

En outre, l’économie sud-viêtnamienne, faussée par l’aide américaine, entraîne la création d’une classe moyenne corrompue, bénéficiant des avantages de la société de consommation. Mais Diem sait qu’il peut résister aux pressions américaines en faveur de réformes car les Etats-Unis ont besoin de son régime comme bastion anticommuniste. De plus, un fait important se déroule en 1958 qui conforte la position de Diem : l’attaque chinoise sur les îles Quemoy et Matsu. Ce fait renforce la conviction de l’administration américaine du danger et de l’agressivité communiste. Aussi par ce fait il devient impossible pour l’administration de se retirer de l’Asie du Sud-Est. Ainsi, en avril 1959 Eisenhower déclare : « (…) strategically South Vietnam’s capture by the Communists would bring their power several hundred miles into a hitherto free region. The remaining countries in Southeast Asia would be menaced by a great flanking movement. »[42]

En opposition au gouvernement se crée, en décembre 1960, un mouvement de contestation, le Front National de Libération (FNL)[43]. D’abord politique, ce mouvement se radicalise rapidement et prend le maquis, fort du soutient grandissant de la population. En fait, dès 1954 des 90 000 Viêt-minh, une nombre limité(entre 5 000 et 10 000) s’était maintenu dans le Sud, afin de préparer les élections de 1956. Après 1956, ils en profitent, avec le soutien du Nord pour organiser des attentats, mobiliser la population,… Déjà à cette époque, et contrairement à ce que beaucoup d’auteurs prétendent, le Viêt-nam du Nord est déjà impliqué. Ainsi R. Cline, fonctionnaire à l’époque à la CIA déclare en 1991 lors d’une table ronde ; « We did in the CIA intercept the communications from the North Vietnames Worker’s Party, and in 1958 and 1959 we saw their plan for conquering South Vietnam, that they were going to do Diem in. »[44]

Nous n’avons pas trouvé d’informations sur les derniers mois de l’administration Eisenhower, mais il semble bien que vers la fin de son mandat, Eisenhower s’interroge sur le bien fondé du soutien au régime de Diem. D’ailleurs, il envisage de plus en plus, à établir la ligne de démarcation non plus au Viêt-nam du Sud, mais bien au Laos. Ce fait se déduit de la rencontre entre Eisenhower et Kennedy le 19 janvier 1961, à propos de la situation préoccupante au Laos. Le président Eisenhower y souligne sa peur, que la chute sous l’emprise communiste du Laos fasse tomber l’ensemble de l’Asie du Sud-Est. Il faut donc que le Laos soit défendu et cela si possible dans le cas de l’OTASE, sinon de manière unilatérale.[45] Comme nous le verrons Kennedy défendra l’Asie du Sud-Est non pas à partir du Laos, mais bien à partir du Viêt-nam.

1.3. Conclusion

à l’époque une triple motivation caractérise la politique américaine au Viêt-nam. La première est l’importance grandissante de l’Asie dans le monde. Le passage du colonialisme à l’indépendance crée des vides (vacuum) et donc des conditions d’instabilités et de rivalités entre l’Est et l’Ouest. En second lieu, il y a la volonté de l’administration de soutenir la France et la conviction que le Viêt-minh est contrôlé par les Communistes. Enfin, il y a la perception que le bloc communiste est monolithique.

Aussi, l’administration Eisenhower aborde la reconstruction de la nation du Viêt-nam du Sud en des termes classiques de confrontation de guerre froide. Cela se passe en plusieurs étapes :

n une alliance internationale ayant pour but de décourager les forces communistes d’une agression conventionnelle en menaçant les forces communistes d’une guerre conventionnelle, soutenue par une possible frappe nucléaire américaine ;

n un soutien économique aux pays inquiétés par une menace communiste ;

n un envoi de conseillers américains pour aider les unités militaires de ces pays.

[1] R. OSGOOD, America and the World from the Truman Doctrine to Vietnam, Baltimore, The John Hopkins Press, 1970.

[2] Viêt-minh : organisation fondée en Chine méridionale par Hô Chi Minh et ses camarades de lutte en mai 1941. Le programme du Viêt-minh vise à l’établissement d’une république démocratique par le suffrage universel et appelle toutes les classes sociales, organisations révolutionnaires et nationalistes et minorité ethniques à ériger un front unifié contre l’impérialisme français et japonais. Le Viêt-minh s’empare du pouvoir en août 1945, peu après le coup de force japonais (9 mars) Rejeté dans le maquis par l’arrivée des troupes alliées puis françaises, il est modifié dans ses structures en 1951 et devient le Liên Viêt, mais le terme Viêt-minh persistera jusqu’à la fin des hostilités. (21 juillet 1954)

[3] O.S.S. : Office of Strategic Services, prédécesseur de la CIA

[4] Pentagon Papers, New York Times, 1971, p. 9.

[5] D. KINNARD, The War Managers : American Generals Reflect on Vietnam, New York,Da Capo Press, 1991,3e éd., p. 16.

[6] R.D. SCHULZINGER, A Time for War (The United States and Vietnam 1941-1975), Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 57.

[7] G. WARNER, « The United States and Vietnam 1945-1965 (part I), International Affairs, July 1972, p. 386.

[8] Ch-P. DAVID, Au sein de la Maison Blanche, Canada, Presses de l’Université de Laval, 1994, p. 164.

[9] D.B. CAPITANCHIK, The Eisenhower Presidency and American Foreign Policy, Routledge & Kegan Paul, 1969, pp. 27-28.

[10] J.A. NATHAN, J.K. OLIVER, United States Foreign Policy and World Order, New York, Little Brown Company, 1975, p. 455.

[11] J.T. NASH, American Foreign Policy : Response to a sense of Threat, The Dorsey Press, 1973, p. 121.

[12] J.A. NATHAN, J.K. OLIVER, op.cit., p. 451.

[13] R. HILSMAN, To Move a Nation, Doubleday&Company,Inc., 1967,p. 19.

[14] S. HESS, Organizing the Presidency, Washington, The Brookings Institution, 1976, p. 73.

[15] CH-P DAVID, op.cit., p.165.

[16] J.P.BURKE, F.I. GREENSTEIN, How Presidents Test Reality : Decision on Vietnam (1954-1965), New York, Russel Sage Founfation,, 1991, pp. 28-36.

[17] L.H. GELB,R.K. BETTS, The Irony of Vietnam : The system worked, Washington, Brookings Institution, 1978, pp. 56-57.

[18] Le 29 mars Dulles prononce un discours devant l’ Overseas Press Club sur la menace d’une Asie rouge. Il y définit sa stratégie politique : formation d’une coalition des pays intéressés prête à une action concertée, quelqu’en soient les risques. (J. De FOLIN, Indochine 1940-1955 : la fin d’un rêve, France, Perrin, 1993, p. 250.)

[19] R.D. SCHULZINGER, A Time of War, Oxfrod, Oxford University Press, 1997, p. 66.

[20]G. WARNER, « The United States and Vietnam 1945-1965» (part I), International Affairs, July 1972, p. 388.

[21] J.P. BURKE, F.I. GREENSTEIN, op.cit., p. 70.

[22] Pour plus de détails sur le New Look cfr. partie 3, chapitre 2

[23] J.F. SLATON, Intervention in Vietnam : President Eisenhower’s Foreign Policy, A research report, Maxwell Air Force Base, Alabama, Air War College, April 1995, p. 8.

[24] J. DE FOLIN, op. cit., p. 255.

[25] A. SCHLESINGER, A Bitter Heritage, Vietnam and American Democracy :1941-1966, Houghton Miffin Company, 1966, p. 7.

[26] P. FRANCHINI, Les guerres d’Indochine 1: des origines de la présence française à l’engrenage du conflit international, Paris, Pygmalion, 1988.

[27] G. WARNER, « The United States and Vietnam 1945-1965 (part I), International Affairs,July 1972,p.390

[28] Pour plus de détails consultez le document 8 des Pentagon Papers, reproduit dans l’annexe.

[29] H. KISSINGER, Diplomatie, Paris, Fayard,1996, p. 569.

[30] J.DE FOLIN, op.cit., p. 271.

[31]La position d’Eisenhower sera différente en 1965 quand Johnson lui demandera conseil, mais pour des raisons totalement différentes et dans un contexte différent. (cfr.Infra)

[32] G. WARNER, « The United States and Vietnam 1945-1965 (part I), International Affairs, July 1972, p. 393.

[33] « The American response to the Geneva Declarations, July 21, 1954 » in N. SHEEHAN and others (eds), The Pentagon Papers, New York Times, 1971, pp. 52-53.

[34] N. SHEEHAN and others (eds), The Pentagon Papers, New York Times, 1971, pp. 46-47. (document 11)

[35] Un autre exemple est le document datant du 1er octobre 1954 adressé par Eisenhower à Diem : « … The purpose of this offer is to assist the government of Vietnam in developing and maintaining a strong, viable state, capable of resisting attempted subversion or aggression through military means…. Such a government would, I hope, be so responsive to the nationalist aspirations of its people, so enlightened in purpose and effective in performance, that it will be respected both at home and abroad and discourage any who might wish to impose a foreign ideology on your free people. », S.B. YOUNG, « LBJ’s Strategy for disengagement », Vietnam, Februar 1998.

[36] G. WARNER, « The United States and Vietnam 1945-1965 (part II), International Affairs, October 1972, p. 593.

[37] N. SHEEHAN and others (eds), The Pentagon Papers, New York Times, 1971, p. 1.

[38]Asia Treaty organization, in Collectif, Vietnam : History,Documents and Opinions on a Major World Crisis, Fawcett publications, 1965, pp. 92-94.

[39] J.F. SLATON, op.cit., p. 32.

[40] R.D. SCHULZINGER, op.cit., p. 86.

[41] Le Viêt-nam est divisé suivant une ligne précise, aussi il ne peut y avoir qu’une guerre frontale.

[42] J.F. STATON, op.cit., p.46.

[43] FNL : Fondé le 20 décembre 1960, le FNL se veut une large coalition. Le FNL était en réalité un front communiste dirigé par les membres du bureau politique à Hanoi et ses forces armées (Viêt-cong) étaient dirigées par des chefs expérimentés comme Nguyen Giap. Le noyau dur du Viêt-cong était constitué par 10 000 anciens partisans Viêt-minh environ, qui étaient restés au Sud après la partition de 1954, consécutive aux Accords de Genève. Les hommes du Viêt-cong sont répartis en deux sections principales : des unités paramilitaires(villageois qui entreprennent des sabotages) et unités entièrement militarisées (assurent le soutien)

[44] T.GITTINGER, op.cit.,p. 10.

[45] « Une intervention unilatérale de notre part serait notre solution de désespoir si nous n’arrivions pas à convaincre les autres signataires de se joindre à nous » in J.N., « De l’intervention au désengagement au Viêt-nam », Défense Nationale, 1969.

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Chapitre II : Les modèles décisionnels

L’ensemble des approches, étudiées dans le premier chapitre ne forment pas une simple collection d’éléments juxtaposés, sans relations entre elles. Aussi, un modèle décisionnel est un ensemble ordonné, cohérent dans lequel les concepts qui le composent ont des relations déterminées. Cet ensemble cohérent de concepts clairement définis et qui ont entre eux des relations déterminables est ce qu’on appelle un modèle théorique. Pour J-W Lapierre un modèle est un objet abstrait, formel sur lequel on peut raisonner et qui aide le chercheur à comprendre les objets concrets, réels, à établir des faits et à les expliquer en découvrant leurs rapports. [1]

Un modèle décisionnel ne correspond donc pas à une description de la réalité. Il décrit certains éléments de certains aspects de la réalité et ensuite les simplifie. Comme l’explique R.Hilsman : «In a sense, a conceptual model is a little machine. When the analyst turns the crank, it produces hypotheses that are tested against reality. The hypotheses will tell the analyst what facts to look for, where to look for them and what to expect if the specified facts are present. ».[2]

Par conséquent, si aucun modèle théorique n’offre jamais de synthèse parfaite, il permet de mieux comprendre le processus décisionnel.

2.1. Le modèle Easton[3]

Easton présente le système politique comme un ensemble structuro-fonctionnaliste dont il ne donne aucune détermination institutionnelle et qui est abstraitement considérée comme une boîte noire, une machine, un transformateur. Celle-ci a pour fonction de convertir les exigences adressées au système politique(=inputs) en décisions exécutives, législatives, budgétaires, voire symboliques(=outputs). La transformation des inputs en outputs s’effectue à l’intérieur du système par des processus ou séries d’interactions entre des rôles politiques. Une fois prises les décisions (outputs) vont avoir un double effet sur les exigences et les soutiens qui se trouvent à l’entrée du système : soit elles satisfont les exigences et consolident les soutiens, soit elles relancent les exigences et affaiblissent les soutiens.(=feed-back)

L’approche de Easton offre un modèle théorique qui donne à voir la dynamique d’échanges entre le système social et le système politique. Cette position théorique présente un modèle abstrait d’équilibre entre le système politique et l’environnement sociétal. Aussi, l’approche d’Easton propose un certain nombre de concepts qui sont opératoires dans le contexte de l’analyse politique concrète et qui apparaissent comme des lieux stratégiques pour l’explication des phénomènes de la vie politique. L’analyse offre une boîte à outils conceptuels qui permettent d’appréhender certains aspects des processus politiques concrets.

2.1.1. Les inputs

L’intuition centrale de l’analyse est que les structures politiques n’existent et n’agissent que parce qu’elles sont mues par des sollicitations de la société sur laquelle elles sont branchées. Les demandes ou exigences sont ce que mettent le système politique en mouvement. La demande ne devient un input du système politique que si elle franchit le filtre de la régulation. La régulation de son côté est assurée par des éléments structurés qui sont les vecteurs de l’exigence, qui la font entrer dans le système politique.(ex. les partis politiques, les lobbies, le Congrès,…) Dans les systèmes politiques des sociétés où le pouvoir exécutif détient une primauté de faire sur le pouvoir législatif, les exigences sont souvent introduites à l’initiative des ministères, c’est-à-dire des segments politico-administratifs de l’appareil d’Etat. (= withinputs)

2.1.2. Les outputs

Les outputs résultent de l’allocation autoritaire des valeurs opérée par le système politique. Ils consistent en décisions de type normatif, budgétaire,… qui donnent la réponse à la sollicitation de l’input.

2.1.3. Le feed-back

Quand le système politique a produit ses outputs, ceux-ci rétroagissent sur l’environnement, y apaisent ou relancent les exigences, renforcent ou affaiblissent le soutien.

Si le système Easton permet de voir comment un système politique fonctionne , il ne permet pas de comprendre comment les décisions sont prises, puisque la manière dont les demandes sont converties en décisions n’est pas expliquée.

Par conséquent, il faut dépasser ce modèle de base afin de mieux comprendre le processus décisionnel. Les modèles de référence à ce sujet sont le modèle de J.P.Lovell et de Duroselle.

2.2. Le modèle de J.P. Lovell

Le modèle de Lovell est construit à partir du modèle d’Easton. Ce système fonctionne tout comme le modèle Easton avec des inputs, outputs et feed-back. La grande différence est que ce modèle examine la boîte noire. Dans le modèle de Lovell, le rôle des acteurs participants à la décision sont définis de manière plus explicite. De plus, le modèle met bien en évidence les différents filtres par lesquels les inputs doivent passer avant de se transformer en outputs.

Ce modèle est particulièrement intéressant, car il tient compte de toutes les approches (systémique, bureaucratique, sociétale, perceptuelle et sociologique).

2.3. Le modèle de Duroselle

Nous n’allons pas développer le modèle Duroselle dans son entièreté, car seule une partie du modèle nous intéresse. Aussi, nous vous renvoyons à l’annexe pour avoir une explication détaillée de tout le modèle.

Ce qui nous intéresse en particulier dans ce schéma d’ensemble est la colonne du milieu qui se divise en amont (prise de décision) et aval (exécution de la décision) Celle-ci met l’accent sur l’Exécutif et ses relations avec les autres acteurs.

Le but du schéma est de montrer qu’une conduite de politique étrangère ne s’arrête pas à la décision prise mais comporte sa mise en œuvre. Une mise en oeuvre où le décideur se confond souvent avec la personne ou le petit groupe qui dirige l’exécution. En effet on ne peut concevoir un Etat où décideur et responsable au sommet de l’exécution seraient deux personnes séparées. La mise en œuvre dépend du décideur, en tant qu’Exécutif et de chefs de l’exécution (= militaires, diplomates, fonctionnaires,…) Cette équipe d’exécution correspond partiellement et partiellement seulement avec l’équipe décisionnelle.

Concernant la colonne de gauche du schéma général, Duroselle met l’accent sur l’ensemble de ce que voient et donc croient vrai, le décideur et son équipe. La colonne de droite s’intéresse à l’extérieur de l’organisme.

Ces deux colonnes mettent l’accent sur l’approche cognitive et l’approche systémique. Ainsi le modèle Duroselle reprend les différentes approches analysées dans le premier chapitre.

2.4. Modèle Sui Generis

En prenant des éléments de ces deux derniers modèles et en tenant compte des points développés dans le premier chapitre, il est possible de construire un troisième modèle qui tout en tenant compte des différentes approches, fait ressortir l’Exécutif.

Le corps du modèle( =des forces organisées à la décision) forme le processus décisionnel rationnel. Un processus qui n’est efficace qu’en cas de crise de courte durée (cfr. le livre d’Allison sur la crise de Cuba). A côté du corps, le modèle reprend toute une série de variables subjectives(la structure, le style,…) qui dans une prise de décision influencent de manière positive ou négative la prise de décision. Nous reviendrons de manière plus explicite sur ce modèle dans les parties suivantes.

Avant d’en arriver à l’examen de la politique de l’administration Eisenhower nous voudrions insister sur un point qui résume bien toute la problématique de la prise de décision et qui est illustrée par la question souvent ignorée des dilemmes auxquels les décideurs sont confrontés.

2.5. Les dilemmes

Tout président est confronté dans sa recherche d’une décision de haute qualité (high-quality) à deux exigences afin d’être un décideur effectif.

Il doit être sensible à la nécessité d’obtenir un consensus suffisant dans sa prise de décision au sein de son administration, du Congrès et de l’opinion publique. Le degré de soutien requis varie en fonction des actions et décisions présidentielles, tout comme du jugement personnel du président du degré de consensus dont il nécessite. L’objectif est d’éviter une tension entre la qualité d’une décision et son acceptation. Dans le cas contraire, le décideur doit faire un choix entre une qualité moindre pour une plus grande acceptation ou accepter le risque d’un soutien moindre afin de poursuivre une action politique que le décideur et ses conseillers estiment dans l’intérêt national.

De manière similaire, le président au moment de la prise de décision doit être sensible aux contraintes du temps et à un usage effectif des ressources disponibles. Aussi A .George explique que « In many instances the search for a higher-quality decision cannot or should not be prolonged insofar as the failure to make a timely decision may itself reduce the likelihood of achieving a successful outcome. Nor should the search for a higher quality decision on one policy question be allowed to consume a disproportionate share of the manpower, and the analytical and intelligence ressources that must be available to attend to other urgent policy questions. »[4]

Par ces deux dilemmes un troisième naît entre l’acceptation de la décision et le temps pour faire accepter la décision.

Un décideur pour une décision effective se doit donc d’être sensible aux trois dilemmes. Ainsi à chaque circonstance le décideur se doit de peser le pour et le contre. Toutefois, ces dilemmes ne valent pas durant le processus décisionnel d’une crise de courte durée (ex. la crise de Cuba) où là le décideur se tourne plutôt vers le modèle rationnel (cfr.supra) et où les décisions doivent être prises en quelques jours, parfois quelques heures sans qu’un soutien ou consensus puisse être obtenu.
Conclusion

La première partie a été un bref compte-rendu des théories scientifiques de la décision et de certains modèles décisionnels, dont nous en avons retenu un : le modèle Sui Generis.
Les prochaines parties de ce mémoire visent à rendre compte des faits et de la stratégie suivie. A partir de ceux-ci nous pourrons déduire les diverses variables qui dans la prise de décision influencent l’élaboration de la politique étrangère, la structure décisionnelle, la volonté ou non de tenir compte du dilemme du consensus,….. et enfin vérifier si le modèle Sui Generis s’applique et de quelle façon.

[1] J-W LAPIERRE, L’analyse des systèmes politiques, France, PUF,1973, p. 10.

[2] R. HILSMAN, The Politics of Policy Making in Defense and Foreign Affairs, New Jersey, Prentice-Hall, 1990, p. 43.

[3] J-W LAPIERRE, op.cit., pp.42 es.

[4] A.L. GEORGE, op. cit, p. 2.

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PARTIE I : Approche théorique de la prise de décision

CHAPITRE I : Les approches scientifiques de la décision

Il y a deux façons d’expliquer le processus décisionnel en relations internationales. D’une part, il est possible d’analyser le comportement étatique dans ce qu’il a de plus vaste, soit le système international et son environnement, et d’autre part on peut se concentrer exclusivement sur les facteurs internes de la politique étrangère d‘un Etat.

Dans le premier cas, l’analyse systémique met l’accent sur l’intégration des Etats dans le système politique, stratégique et économique international, et vise à savoir de quelle manière le système influence la place de l’Etat dans le monde. Dans le second cas, l’analyse de la politique étrangère accentue les particularités des pays et étudie la politique internationale par les comportements de chacun des Etats.

Au lieu de tenter d’appliquer ceux-ci de manière exclusive, il est plus utile de tenter de les réconcilier en les rendant complémentaires. Pour atteindre cet objectif, nous devons percevoir le phénomène décisionnel à travers une vision multidimensionnelle, c’est-à-dire centrée autour du décideur, des institutions, de la société et de l’environnement international.

Par conséquent, nous observons que l’étude du processus décisionnel peut être soumise à plusieurs grilles d’analyse. Ainsi, il est possible de découper le phénomène décisionnel en cinq grandes approches : l’approche rationnelle, perceptuelle, sociologique, bureaucratique et systémique..

1.1. L’approche rationnelle

L’approche rationnelle suppose qu’il soit possible de parvenir en tout temps à une décision qui soit optimale face à un problème donné. Le critère principal du processus décisionnel repose sur une analyse rationnelle des coûts et bénéfices de chaque option dans la prise de décision. L’approche rationnelle voit essentiellement dans la décision un choix entre diverses alternatives, guidé par une analyse raisonnée des coûts et bénéfices liés à chacune des options envisageables. La décision s’explique en termes d’options préférentielles prises par un décideur rationnel et parfaitement informé. Sur le plan organisationnel, l’approche se caractérise par une conception unitaire ou intégrée de la décision : seule une volonté unique (un homme ou un petit groupe de décideurs) peut opter rationnellement pour l’alternative la plus profitable. L’élimination de diverses alternatives s’explique au nom du principe de l’efficacité maximale au moindre coût.[1]

Le processus rationnel de décision se fait donc selon un schéma bien précis[2] :

1. phase du diagnostic : rassembler l’information nécessaire sur une situation, puis en faire une analyse adéquate, afin qu’il soit possible de déterminer et d’évaluer la nature du problème.

2. phase de recherche : considérer l’ensemble des valeurs et des intérêts en jeu, afin de permettre la description des objectifs et la préparation des options.

3. phase d’évaluation : comparer de manière exhaustive les options et leurs conséquences, soit leurs coûts et leurs bénéfices, en vue de réduire l’incertitude.

4. phase de révision : réévaluer toute option qui est mise à l’essai et qui ne semble pas fonctionner ou celle qui est mise en œuvre de façon déficiente.

5. phase du choix : choisir la meilleure option et exécuter la décision.

Ces étapes posent de nombreux problèmes. En effet, dans les faits, il est impossible d’obtenir un si haut niveau de qualité, car la pratique démontre que les rapports internationaux sont avant tout le fruit de décisions très imparfaites et incomplètes. Par conséquent, les cinq étapes, étudiées ci-dessus, peuvent être reprises de manière critique[3] :

1. l’information est rarement parfaite en ce qu’elle est souvent incomplète, tronquée ou teintée selon les objectifs de ceux qui la fournissent, pour être ensuite interprétée en fonction des préjugés de ceux qui la reçoivent ;

2. la considération des valeurs et intérêts, ainsi que des options, est faite de façon largement subjective, en fonction des croyances et des structures bureaucratiques des décideurs ;

3. l’évaluation des options est souvent fortement biaisée ;

4. les décideurs ferment souvent les yeux devant les problèmes que crée la solution que l’on a mis de l’avant. Ils s’obstinent à justifier leur choix et à poursuivre l’application de leur décision ;

5. l’appréciation ultérieure des conséquences de la décision permet de constater que le processus décisionnel ne mène pas toujours à l’adoption de la meilleure décision.

Aussi, ce système rationnel souffre de manière générale de trois défauts[4] :

a) il ignore la complexité des affaires étrangères ;

b) il ignore la dimension humaine ;

c) il ignore les conflits politiques dans la prise de décision.

Cette approche est plutôt abstraite, car, le fait qu’une décision puisse sembler rationnelle n’implique pas nécessairement que le processus décisionnel a lui-même suivi des étapes qui satisfont aux critères de rationalité. Bien qu’elle soit jugée rationnelle, une prise de décision peut n’être, en fait que le reflet de certaines perceptions, valables ou contestables, qui influencent le raisonnement des décideurs dans le processus menant à la sélection d’une option.

1.2. L’approche perceptuelle /cognitive

1.2.1. L’approche générale

L’approche perceptuelle, privilégie l’explication voulant que dans une situation donnée, les décideurs adoptent le comportement le plus satisfaisant à leurs yeux, compte tenu des perceptions qu’ils ont des circonstances entourant cette situation. Leur représentation est constituée de valeurs, émotions, perceptions de comportements et de croyances qu’ils ont adoptées au fil des années.

Les décideurs ne réagissent donc pas seulement en fonction de leur connaissance ou expérience immédiate, mais aussi en fonction de certains événements formateurs, formative events, qui créent des images stables.[5] Mais comme l’explique Göran Rystad : « More important, however, is the discrepancy resulting from the distortion of reality by perceptual predispositions, especially those originating from pre-existing images of the past. »[6] Le grand danger est d’obtenir alors des images incorrectes des faits (misperceptions) si certains événements sont interprétés à travers des analogies historiques non-appropriées.

1. The mind can be fruitfully viewed as an information-processing system. Individuals orient themselves to their surroundings by acquiring, storing, appraising, and utilizing information about the physical and social environment.

2. In order to function, every individual acquires during the course of his development a set of beliefs and personal constructs about the physical and social environment.

3. These beliefs and constructs necessarily simplify and structure the external world.

4. Much of an individual’s behavior is shaped by the particular ways in which he perceives, evaluates, and interprets incoming information about events in his environment.

5. Information processing is selective and subject to bias ; the individual’s existing beliefs and his attention-set at any given time are active agents in determinig what he attends to and how he evaluates it.

6. There is considerable variation among individuals in the richness-complexity as well as the validity of their beliefs and constructs regarding any given portion of the environment.

7. While such beliefs can change, what is noteworthy is that they tend to be relatively stable. They are not easily subject to disconfirmation and to change in response to new information that seems challenge them.

8. Individuals are capable of perceiving the utility of discrepant information and adopting an attitude of open-mindedness with regard to new information that significantly goes counter to their current beliefs.

Source : A.L. GEORGE , Presidential decisonmaking in Foreign Policy, Boulder, Colorado WestivewPress, 1980, pp. 56-57.

Cette approche scientifique explique ainsi la prise de décision par la perception que le décideur se fait de la réalité objective. Comme le déclare J. Barréa : « l’environnement cognitif ou mental du décideur comprend les filtres ou prisme des attitudes et une image de l’environnement opérationnel externe et interne. Plus le prisme des attitudes fonctionne comme une lentille déformante, plus la décision est prise sur base non pas de faits eux-mêmes, mais de l’idée, de l’image que le décideur s’en est faite »[7] De plus Festinger postule qu’il existe un besoin inhérent de maintenir une certaine cohérence dans le système cognitif humain, et que les mécanismes psychologiques fonctionnent de sorte qu’ils réduisent ou même évitent les discordes en éliminant systématiquement toute information perturbante. Ceci mène vers ce que Jarvis appelle irrational consistency.[8] Si l’information est en cohérence avec une image existante, un décideur politique répond positivement. Si ce n’est pas le cas, il tente de dissimuler la dissonance par une perception sélective ou une interprétation fortement partiale.

En définitive, les perceptions influencent la prise de décision de quatre façons :

Ø restructurent la réalité, en la simplifiant, en la faussant ;

Ø tendent à rendre cohérentes les informations reçues avec les valeurs des décideurs ;

Ø peuvent mener jusqu’à l’adoption d’un cadre de référence qui assimile de manière cohérente des intentions diverses et contradictoires, en fonction de croyances et d’images préétablies des décideurs ;

Ø font comprendre et situent un problème en fonction d’analogies personnelles ou historiques.

En suivant le raisonnement d’auteurs comme Janis, George ou David, nous pouvons pousser l’analyse de l’approche cognitive plus loin , en s’intéressant à la dimension de la cognition dans le processus de prise de décision.

1.2.2. La cognition dans le processus de décision

Nous pouvons définir cette approche comme l’étude des comportements ou des attitudes qu’une personne, un groupe ou une organisation adopte pour favoriser une option, compte tenu de ses valeurs et de ses perceptions dans un contexte d’incertitudes causant un stress important.[9] Il existe ainsi une variété de comportements psychologiques auxquels les décideurs ont recours en vue de réduire ou d ‘éliminer l’incertitude et l’anxiété que provoquent chez eux le manque d’information et le besoin de faire un choix difficile. Ces comportements sont l’analogie historique, la cohésion (rendre cohérentes les perceptions entre elles), la simplification, la stabilité, la mise en œuvre d’une stratégie de petits pas, recours à des principes idéologiques,….[10]

L’ensemble de ces réactions peuvent aider les décideurs dans leurs tâches décisionnelles, mais elles ont souvent des effets néfastes sur la qualité et la rationalité de la prise de décision. Nous retrouverons cette problématique ultérieurement quand nous aborderons le comportement de groupe dans la quatrième partie consacrée à Johnson.

1.3. L’approche bureaucratique

L’approche bureaucratique se base sur le principe que le pouvoir national est fractionné entre diverses administrations et que l’Etat n’est qu’un regroupement d’organisations plus au moins reliées entre elles, au sommet desquelles siègent les dirigeants politiques.

De manière générale, les principales caractéristiques de la bureaucratie sont une tendance à sous-évaluer le rôle et le pouvoir du président, à se concentrer presque exclusivement sur ce qui se passe au sein de son département et à négliger les relations avec les autres acteurs de la prise de décision. D’autres caractéristiques sont que la bureaucratie forme une organisation hiérarchique, divisée en différents services selon les domaines, avec des niveaux de promotion et fonctionnant par le biais de notes de service. Aussi, les différentes bureaucraties se préoccupent moins de l’intérêt national, que de l’intérêt de leur propre organisation.

Par conséquent, l’objectif de la bureaucratie est d’influencer le président en faveur des positions qu’elle défend. Ce jeu d’influence comprend des manoeuvres pour inclure et exclure du processus de planification d’autres organisations, selon leurs positions. Pour faire contrepoids à l’influence des organisations, le pouvoir central dispose d’agences interorganisationnelles dont la mission est de coordonner le travail bureaucratique en vue d’atteindre le seuil optimal désiré dans l’élaboration des politiques.(cfr.infra le rôle du C.N.S.)

En conclusion, les organisations définissent leurs intérêts en termes d’enjeux bureaucratiques, plutôt qu’en termes d’intérêt national.. La décision apparaît dès lors comme le résultat d’une lutte politique entre diverses préférences.

1.4. L’approche systémique

Les facteurs systémiques rendent compte de traits qui sont spécifiques au système international. L’approche systémique part du principe qu’il est inutile de regarder à l’intérieur de la société et d’examiner les processus décisionnels. Il suffit de comprendre le contexte environnemental pour éclaircir la nature des prises de décision. Cette approche met en évidence la structure du système international (bipolaire, multipolaire,…)

1.5. L’approche sociologique de Rosenau

Pour expliquer la décision en politique étrangère J. Rosenau propose un schéma général recherchant les causes de la décision en politique étrangère. J.Rosenau identifie cinq catégories de variables indépendantes. Les cinq variables regroupent la variable d’ordre individuel, les facteurs d’ordre gouvernemental, la variable dite sociétale, les facteurs d’ordre systémique ainsi que les facteurs dits de rôle.

1.5.1. La variable d’ordre individuel

La variable d’ordre individuel renvoie à toutes les données qui relevant du caractère du décideur, de son expérience antérieure, de ses talents personnels,….sont de nature à influencer la décision à ce seul titre.[11] L’intelligence, la vision, l’imagination, l’idéalisme, le pragmatisme, le dogmatisme,…. sont des caractéristiques attribuées aux hommes d’Etat.

Il est très difficile d’établir la pertinence de cette variable dans la prise de décision. Aussi à notre sens il ne faut pas tomber dans le piège d’exagérer l’influence de cette variable. A certaines exceptions près, la variable d’ordre individuel dans les sociétés démocratiques a un rôle limité. En effet, les individus une fois en fonction se conforment aux habitudes et croyances de leurs prédécesseurs. Il y a alors une certaine répétition régularité qui s’installe. Aussi, nous rejoignons le point de vue d’A.J. George : « Awareness of the complexity of personality should serve to discourage the tendency to explain behavior by going for the jugular of the unconscious and other forms of psychological reductionism that bypass attention to the situational, institutional, and role context in which the executive functions. »[12]

Aussi, si l’approche de Rosenau concernant la variable d’ordre individuel est intéressante, il faut aller au-delà et analyser ce que nous appelons le style présidentiel.

Le caractère d’un président, sa vision du monde et son comportement définissent le style présidentiel. Ce style présidentiel se définit à partir de deux approches. La première approche se fait sous l’angle actif-passif. Il y est question de savoir, quelle énergie le président investit dans sa présidence. Dans la seconde approche, la présidence est définie sous l’angle négatif-positif. On analyse la manière dont le président vit sa vie de président. S’amuse-t-il en politique ? Est-ce une obligation ?,….

J. Barber, en combinant les deux approches (actif-passif et négatif-positif) présente quatre styles présidentiels : le style actif-positif, le style actif-négatif, le style passif-positif et le style passif-négatif :[13]

1.5.1.1. Le style actif-positif

Il s’agit d’un président qui s’engage à fond dans son travail, qui est toujours productif, aime son travail et transmet cette attitude à tous les niveaux de son environnement. Il est flexible, a peu de patience et de compréhension pour les facteurs irrationnels.

1.5.1.2. Le style actif-négatif

Il génère une hyperactivité dans les efforts, sans jamais atteindre un niveau jugé convenable de satisfaction personnelle, a un caractère compulsif, impatient, parfois agressif,…

1.5.1.3. Le style passif-positif

Une approche marquée principalement par la volonté de coopération et de consensus devant mener à l’harmonie dans les prises de décision. Le président est très réceptif à l’opinion des autres, recherche l’estime de ses collègues, sans devoir investir lui-même l’énergie nécessaire pour entraîner chez ceux-ci un effet d’émulation.

1.5.1.4. Le style passif-négatif

Un président peu intéressé par l’emploi et qui cherche à accomplir si peu, délègue aux autres, la tâche de s’occuper des affaires de la Maison Blanche.

1.5.2. variable dite sociétale

La variable dite sociétale regroupe les facteurs d ‘explication en provenance de la collectivité humaine au nom de laquelle la décision est prise. Ce sont tous les groupes qui exercent des pressions en vue d’infléchir les décisions dans le sens de certains intérêts particuliers.

1.5.3.facteurs d’ordre systémique

Le système international lui-même est susceptible de marquer les décisions de politique étrangère indépendamment des autres influences exercées. (cfr. supra)

1.5.4.variable dite de rôle et facteurs d’ordre gouvernemental

Indépendamment de la personnalité du décideur, son rôle est susceptible d’affecter le contenu de la décision d’une manière propre. Le facteur d’ordre gouvernemental est lié à l’équilibre institutionnel. Tout comme nous l’avons fait pour la variable d’ordre individuel, il faut dans ce cas-ci également dépasser l’approche de Rosenau, pour approfondir la variable dite de rôle et la variable d’ordre gouvernemental.

L’ensemble des acteurs et organisations d’une société forment le moteur de la décision et de son exécution. Si nous prenons la société américaine, les acteurs principaux sont le président, le secrétaire d’Etat, le secrétaire à la Défense, le secrétaire de la trésorerie, le JCS, le directeur de la CIA et le Conseiller de la sécurité nationale. A côté de ceux-ci nous avons ce que G.T. Allison appelle les acteurs ad hoc : les partis politiques, le Congrès, les groupes d’intérêts et en dernier lieu l’opinion publique et la presse.[14]

Par conséquent, l’influence de l’acteur dans la prise de décision dépend de sa position dans la société. Selon cette position les intérêts peuvent varier. Ainsi, les questions, quelle est la solution ? Que faut-il faire ?, vont être déterminées par la position que les acteurs occupent dans la société et donc dans le système décisionnel. Aussi, l’acteur principal , qui est dans notre cas le président, doit tenir compte de cela au moment de sa décision. Il lui revient d’harmoniser ces intérêts afin de rendre l’exécution de la décision la plus efficace possible.(Cfr.infra le problème de dilemmes)

Mettant surtout l’accent dans ce mémoire sur l’équipe décisionnelle, les points qui suivent, concernent une approche théorique de la structure décisionnelle et de la relation entre les conseillers et le président. Les autres institutions sont abordées aux moments opportuns à travers la relation des faits.

1.5.4.1. La structure décisionnelle

Chaque président en fonction doit décider comment structurer et diriger la politique étrangère dans son administration. Le point qui suit est basé sur l’analyse d’A. L. George.

1.5.4.1.1. La structure compétitive

La structure compétitive fonctionne tel un système de poids et de contrepoids qui encourage l’expression et la formulation d’intérêts divergents. La compétition favorise en théorie l’innovation au sein de la bureaucratie, stimulant la recherche des options. Cependant, cela peut avoir également un effet négatif : une concurrence féroce entre les départements qui fragmente et paralyse la prise de décision. Aussi, la structure compétitive se caractérise plus par le marchandage que par l’analyse. Ce modèle convient le mieux au style actif-positif.

1.5.4.1.2. La structure formelle

Ce modèle ressemble à une pyramide, comportant une série de couches décisionnelles qui filtrent l’information et les analyses circulant de bas en haut à l’intérieur de l’échelle administrative. Il se caractérise également par des débats restreints, une gestion centralisée, rôle influent des conseillers,… Comme l’explique C-P David : « c’est une structure pensée en fonction d’une participation départementale relativement discrète au sein du processus décisionnel, ce modèle poussé à l’extrême peut créer une véritable dictature présidentielle sur les organisations. » [15] Par conséquent la compétition se produit entre les départements et la Maison Blanche. L’aspect le plus négatif de cette structure est l’absence d’expertise bureaucratique.

1.5.4.1.3. La structure collégiale

Cette structure encourage un travail d’équipe, centrée autour du président. C’est une structure qui se situe à mi-chemin entre les deux autres. Dans cette structure, il y a moins de marchandage et de compromis, mais également un meilleur contrôle du président . Il peut ainsi plus facilement inclure et exclure des conseillers. Le danger le plus sérieux est la tendance à la conformité au sein du groupe et la volonté de maintenir à tout prix l’esprit d’équipe. Ce qui empêche un véritable débat.

Ch-P David représente la structure et le style présidentiel à travers un tableau.

styles et structures présidentiels

 

STYLES

STRUCTURES

ACTIF- POSITIF

ACTIF-NEGATIF

PASSIF-POSITIF

PASSIF-NEGATIF

COMPETITIVE

Roosevelt

Carter

x

x

FORMELLE

Truman

Nixon

Ford

Eisenhower

COLLEGIALE

Kennedy

Bush

Clinton

Johnson

Reagan

x

Source : C-P DAVID, Au sein de la Maison-Blanche, Canada,Presse Université de Laval, 1994, p. 138.

 

Ce tableau résumant l’analyse de Barber et George, permet de classer les présidents selon leur style et leur manière de prendre leur décision. Ainsi chaque président a son propre style et sa propre structure. Toutefois l’approche de Barber et A. George représentée par le tableau de Ch-P David est selon nous trop catégorique. Aussi, elle ne peut servir qu’en tant que grille d’analyse, afin d’avoir une meilleure compréhension du processus décisionnel. En outre, le plus grand reproche que nous puissions faire à ce tableau est l’absence de la structure « formelle-informelle ».(Cfr. Infra)

1.5.4.2. Les conseillers (Advisory system)

Dans la prise de décision, un point souvent esquivé est l’influence dans la prise de décision des rapports entre le président et ses conseillers. Or, il ne faut pas oublier que le processus de prise de décision est avant tout un processus politique.

1.5.4.2.1. Rôle

Il n’existe pas de définition de conseiller à la présidence. Cependant, il est possible de le définir à travers les fonctions qu’il remplit. Ch-P David en s’appuyant sur une série d’auteurs estime que le conseiller, de manière idéale remplit une série de fonctions[16] :

1. conseiller le gouvernement sur ses objectifs et priorités ;

2. formulation de programmes opérationnels, c’est-à-dire concevoir des plans concrets d’action visant à réaliser les objectifs ;

3. évaluation de ces programmes ;

4. coordination et liaison entre les programmes, avec la participation de toutes les organisations gouvernementales ;

5. l’analyse prévisionnelle ;

6. l’expertise.

Nous sommes donc en présence d’un groupe qui transmet connaissances, informations, évaluations et prévisions au sujet de problèmes complexes. En outre, les conseillers ont l’avantage de posséder un mandat et un appui tels, qu’ils peuvent court-circuiter les hiérarchies organisationnelles. Le nombre de conseillers réguliers auprès du président doit se situer entre quatre et sept. Au-dessus de sept, il y a un manque d ‘efficacité. En dessous de quatre, c’est-à-dire trois nous nous retrouvons alors dans une situation deux contre un. Or un système décisionnel est trop fragile, sensible pour maintenir une situation pareille, aussi il y a automatiquement un certain conformisme, une certaine unanimité entre les conseillers ou à plus long terme un nombre plus élevé de conseillers.

1.5.4.2.2. Les dysfonctionnements

Dans ce point, nous insistons sur les dysfonctionnements qui peuvent naître entre les conseillers et le président. Si nous suivons l’approche d’A.George il y a moyen en théorie d’identifier dans la relation conseiller-président neuf dysfonctionnements :[17]

1. quand le décideur et ses conseillers acceptent facilement la nature du problème et la réponse à y donner ;

2. quand les conseillers prennent des positions différentes et débattent de celles-ci devant le président, mais que toutes les options et hypothèses ne sont pas analysées ;

3. quand il n’y a pas de défenseur d’une option impopulaire ;

4. quand des conseillers débattent d’une série d’options et confrontent le décideur à une recommandation unanime ;

5. quand les conseillers s’accordent entre eux que le décideur doit prendre une décision cruciale, mais aucun de ces conseillers ne veut le lui annoncer ;

6. quand le décideur, confronté à un important problème, est dépendant d’une seule source d’information ;

7. quand une option n’a été analysée que par les défenseurs de cette option ;

8. quand le décideur demande à ses conseillers leur opinion, mais n’exige pas d’un groupe de spécialistes d’examiner de manière détaillée les points négatifs abordés ;

9. quand le décideur est surpris du consentement au sein de ses conseillers, sans que ces derniers parviennent à le convaincre de comment ils y sont parvenus .

1.5.4.2.3. La relation au sein de l’équipe décisionnelle : compétitive ou collégiale

La relation entre le président et ses conseillers dépend fortement des objectifs politiques. Quand les objectifs et les moyens de les atteindre sont communs à la société, à l’environnement politique, la prise de décision va se caractériser par une certaine collégialité, amitié entre le président et ses conseillers. L’harmonie et l’homogénéité sont tellement grandes que le groupe reste indifférent aux points de vue dissidents. C’est ce que Barret appelle clanlike.

Quand les objectifs et les moyens de les atteindre sont controversés ou impopulaires dans l’environnement, la relation entre les conseillers et le président sera compétitive. (marketlike).

Enfin, quand il y a cohésion au niveau des objectifs mais pas au niveau des moyens, on se retrouve dans un système intermédiaire : collégial et compétitif.[18]

Dans la majorité des cas, les auteurs se limitent à analyser une problématique sous un seul angle : soit systémique, soit bureaucratique,… Quant à l’approche de Rosenau, elle n’établit pas les interactions entre les différentes variables.

Aussi, notre objectif est d’analyser la prise de décision à travers l’ensemble de ces approches, Car à certaines exceptions près, aucune décision prise peut être éclaircie par une seule approche. Aussi afin d’atteindre cet objectif il faut constituer un modèle décisionnel qui reprenne ces différentes approches et qui mette l’accent sur la prise de décision au sein de l’Exécutif.

[1] J. BARREA, Théories des Relations Internationales, LLN, Artel, 1994, p. 38.

[2] T.L. BREWER,American foreign policy : A contemporary introduction, USA, Prentice Hall,1992, p. 25.

[3] C-P DAVID, Au sein de la Maison Blanche, Canada, Presses de l’Université de Laval, 1994, p. 18.

[4] T.J. BREWER,op.cit., p. 26.

[5] B. WHITE, M. CLARKE, Understanding foreign policy: The Foreign Policy Systems Approach, Washington, Edward Elgar, 1989, p. 144.

[6] G. RYSTAD, « Images of the past » in J.P. KIMBALL, To reason why : the debate about the cause of U.S.involvement in the Vietnam war, New York, Mc Graw-Hill Publishing Company, 1990, p. 53.

[7] J. BARREA, op.cit, p. 43.

[8] B. WHITE, M. CLARKE, op.cit, pp. 146-148.

[9] Ch-P DAVID, op.cit., p. 20.

[10] A. GEORGE, op.cit.., pp. 35-47.

[11] J. BARREA, op.cit., p. 38.

[12] A.J. GEORGE, op.cit., p. 6

[13] COLLECTIF, The Making of American Foreign and Domestic Policy, Demetros & M.A. Epstein, Dabor social science publications, 1978, pp. 55-56.

[14] G.T. ALLISON, « Conceptual models and the cuban missile crisis »,in R.G. HEAD & E.J. ROKKE, American Defense Policy, New York, The John Hopkins University Press, 1973, p. 291.

[15] C-P DAVID,op.cit., p. 139.

[16] Ch-P DAVID, op.cit., p. 37.

[17] A.L GEORGE, op.cit., pp. 23-24.

[18] D.M. BARRET, Johnson and his Vietnam Advisers, Kansas, University Press of Kansas, 1993, p. 10.

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Introduction

« The Moral Law causes the people to be in complete accord with their ruler, so that they will follow him regardless of their lives, undismayed by any danger »
Sun Zu

La guerre du Viêt-nam est un événement qui a profondément marqué et qui marque encore aujourd’hui la politique étrangère américaine.

Alors que le conflit armé ne débute qu’en 1964, nous devons en puiser les causes dans l’histoire, dans le contexte régional ainsi que dans une certaine conception américaine de la stratégie et du monde. Le conflit s’inscrit dans un contexte plus large que le Viêt-nam. Car si à l’origine, le conflit vietnamien n’est qu’une guerre civile, au fil des années il s’étend géographiquement au Laos et au Cambodge et politiquement, il devient l’enjeu des rapports entre les grandes puissances(la Chine, l’U.R.S.S. et les Etats-Unis).

Si une analyse détaillée des faits permet une meilleure compréhension du conflit, le contenu de ce mémoire va au-delà des événements, afin de donner une interprétation davantage exacte des décisions prises par la Maison Blanche. Aussi à travers ce mémoire, nous essayons de répondre à une série de questions : comment expliquer l’état général d’incohérence qui semble caractériser la politique étrangère des différents présidents ? Quels facteurs décisionnels expliquent le fiasco de la politique américaine au Viêt-nam ?, Quelles sont les raisons derrière certaines décisions prises par Johnson ou Nixon ?,…

On peut constater que de manière générale la plupart des théoriciens des relations internationales continuent de porter leur attention sur l’analyse des rapports systémiques entre Etats, au détriment d’une vision plus nuancée de la politique extérieure menée par un Etat. Dans ce contexte, on en arrive à énoncer des généralités comme le fait P. Melandri dans son livre, La politique extérieure des Etats-Unis de 1945 à nos jours : les Etats recherchent la sauvegarde de leur intérêt national et l’accroissement de leur puissance ou les Etats obéissent à des lois économiques,… Si ces théories sont valables, elles sont incomplètes. Ainsi, l’intervention américaine au Viêt-nam ne fut-elle que le résultat objectif dune évaluation manichéenne des intérêts stratégiques des Etats-Unis dans la région ? Peut-on déduire que tout l’engagement américain n’a obéi qu’à la logique de l’intérêt national sans pousser plus loin l’analyse des raisons qui ont motivé Washington dans cette importante entreprise.

Est-il en somme suffisant d’établir qu’il est possible de comprendre la politique étrangère à partir d’énoncés généraux (l’intérêt national, l’interdépendance) issus de la théorie des relations internationales, sans examiner les facteurs intervenant dans le processus de prise de décision de cette politique ?

Ce mémoire répond de manière négative à cette question et veut montrer pourquoi il est indispensable de rechercher les déterminants décisionnels qui influencent la formulation de la politique étrangère, si l’on veut établir une interprétation proche de la réalité des motifs et résultats de la diplomatie américaine.

L’objectif de cette thèse est double : relater les faits à travers l’analyse de la prise de décision et étudier le degré d’influence d’une série de variables sur l’équipe décisionnelle. Aussi afin d’atteindre cet objectif nous suivons une méthodologie bien précise.

La première tâche est de définir un modèle décisionnel qui serve d’hypothèse de départ à l’analyse. Ensuite, l’examen détaillé des faits nous permet d’observer qui prend les décisions, dans quelles conditions et sous quelles influences. Une fois les faits étudiés, il faut à travers chaque période mesurer l’influence des différents acteurs dans la démarche et dans le contenu de la décision afin de voir s’il y a une évolution dans la prise de décision. Enfin dans une quatrième phase, nous essayons d’analyser dans quelle mesure le modèle décisionnel retenu correspond à la réalité. Nous examinons également si la relation entre le président et ses conseillers, la structure et le style présidentiel ont une influence sur la décision. Cette approche permet non seulement de mieux comprendre la décision en tant que telle, mais permet également d’avoir une vision différente de la politique américaine, présentée dans la majorité des ouvrages.

Par conséquent, nous analysons le phénomène décisionnel à travers une vision multidimensionnelle centrée autour du décideur, de l’organisation gouvernementale, de la société prise dans son ensemble, du Congrès, des différents départements, des think thanks et enfin de l’environnement international.

Ce mémoire est rédigé à partir de sources anglo-saxonnes et en moindre mesure à partir de sources françaises. Beaucoup d’ouvrages, entre autres ceux rédigés dans les années soixante et septante, sont très difficiles à se procurer et même dans certains cas introuvables (épuisés, fin de série) De plus, nombreux sont de piètre qualité. Aussi, nous nous sommes surtout basés sur des ouvrages récents. Pour une approche générale de la problématique les livres de S. Karnow et R.D. Schulzinger sont de loin les plus intéressants. Quant à la prise de décision, le livre de G. Alexander est une des références en la matière, même si le livre analyse la prise de décision de manière générale et théorique.

A côté d’une série d’ouvrages et de revues, nous nous sommes également basés sur les sources disponibles sur internet et sur des documents officiels. Concernant ces derniers, deux ouvrages sont très importants : les Pentagon Papers et le récent recueil de textes, Lyndon B. Johnson’s Vietnam Papers. Si les Pentagon Papers sont très intéressants, il faut bien réaliser que ces documents ont été rassemblés sous la direction de McNamara, ayant comme conséquence qu’une série de documents embarrassants pour McNamara ne sont pas repris. Aussi, il faut prendre les Pentagon Papers avec un certain recul.

Par leur volume, les documents écrits éclairent autant qu’ils obscurcissent la recherche. Par conséquent, il est très difficile de définir les documents qui ont guidé la politique américaine et ceux qui ont servi la propagande, la rhétorique, … De plus les documents officiels ne révèlent pas nécessairement quelles décisions ont été prises par voie secrète, ont été traitées de manière orale, ou n’ont été que des justifications a posteriori. En conséquence, les documents les plus intéressants sont ceux qui ont été rédigés avec un certain détachement.

Quant à l’analyse du rôle de l’administration Nixon, beaucoup de documents n’ont toujours pas été rendus publics et beaucoup ne le seront pas avant de nombreuses années. De plus, une partie des documents rédigés par Kissinger ne seront rendus public que cinq ans après sa mort. Par conséquent, la plupart des ouvrages sur l’administration Nixon et en particulier sur le Viêt-nam se basent sur les livres rédigés par H.Kissinger et Nixon eux-mêmes. Il est donc très difficile de faire la part des choses.

Un autre problème se situe au niveau du danger du révisionnisme. Comme le déclare W. Rostow : « (…) history moves forward crabwise, in successive waves of revisionism, counterrevisionnism, counter-counterrevisionism, ad infinitum »[1] Aussi avons-nous dans cette thèse, essayé d’éviter de tomber dans le piège du révisionnisme, un révisionnisme très présent dans de nombreux livres et documents. A ce sujet une série d’auteurs n’hésite pas à reprendre certains points en dehors de tout contexte afin d’en donner une autre interprétation.

Ce mémoire se présente selon quatre parties.

La première partie est consacrée à la théorie de la prise de décision. Cette partie théorique vulgarise les concepts et les théories dans le domaine de la prise de décision, lesquels servent ensuite à évaluer la performance de la Maison-Blanche dans la gestion des affaires étrangères. Nous y étudions dans un premier chapitre les différentes approches scientifiques de la décision, tout en adaptant certaines en fonction de l’Exécutif. Dans un deuxième chapitre nous reprenons différents modèles décisionnels, afin d’en retenir un qui nous serve de fil conducteur dans l’analyse de la prise de décision.

Dans la deuxième et troisième partie, nous abordons respectivement les présidences Eisenhower et Kennedy. Nous y analysons l’équipe décisionnelle, les faits et la prise de décision. Concernant Eisenhower, nous nous concentrons tout particulièrement sur l’année 1954. Quant à Kennedy, nous étudions de manière générale les années 1961 et 1962, et de manière plus approfondie les derniers mois de 1963. Ces deux parties doivent surtout être vues comme des parties introductives à la présidence Johnson. Néanmoins, elles revêtent une grande importance, car elles permettent une meilleure compréhension de l’évolution de la stratégie et de la prise de décision durant la guerre du Viêt-nam.

La quatrième partie est consacrée à la présidence de L.B. Johnson. Dans cette partie, nous nous attardons dans les deux premiers chapitres aux faits, mais sous l’angle de la prise de décision. Le troisième chapitre de cette partie est consacrée à une analyse plus théorique de la prise de décision. Contrairement à la deuxième et troisième partie, nous ne limitons pas l’analyse de la décision aux acteurs politiques de l’Exécutif, nous examinons également le rôle de l’opinion publique, des services de renseignements, des think thanks, des partis politiques,….

Dans la dernière partie, nous analysons la présidence Nixon. Nous y étudions l’élargissement du conflit au Laos et au Cambodge, la politique de vietnamisation, la politique triangulaire,….

[1] T. GITTINGER, The Johnson Years : A Vietnam roundtable, Austin, University of Texas, 1993, p. 126.

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