Chapitre 8 – Les considérations d’ordre opérationnel

Section 1 – La redécouverte du terme « opérationnel »

L’apprentissage de l’art opérationnel a été confronté à un problème de vocabulaire dans les pays anglo-saxons car il n’existait pas de terme le désignant. Pour commencer, il convient de se poser la question de savoir comment le discours stratégique américain est remonté aux sources de ces conceptions linguistiques.

Pour ce faire, on trouvera des textes qui ont cherché a évaluer l’apport de différents pays européens dans l’élaboration de ce niveau de la guerre. On y note que l’art opérationnel est une notion soviétique. Le mot Operativ entrera ensuite en vigueur en Allemagne au XXe siècle. La France, elle, utilisait le terme grande tactique au XIXe siècle. En 1936, par contre, l’U.S. Army employait le terme stratégie pour désigner l’art opérationnel. Le mot Operational n’apparaît qu’en 1982 dans le manuel FM 100-5. Pour clarifier les concepts, une relecture de Jomini et de Clausewitz s’avéra concluante. Les réformateurs vont beaucoup utiliser le Prussien comme référence au niveau opérationnel. Pour eux, lorsque Clausewitz écrit à propos de la stratégie, il signifie art opérationnel. Pour ce faire, les réformateurs se réfèrent à sa définition de la stratégie conçue comme l’utilisation des combats en vue d’obtenir la victoire.[1] Il s’inspire aussi de Jomini qui décomposait l’art de la guerre en stratégie, grande tactique, logistique, « art de l’ingénieur » et tactique.[2]Mais c’est finalement Clausewitz qui sera privilégié. Pour les réformateurs, Clausewitz permet de créer une typologie comprenant les niveaux stratégique, opérationnel et tactique. Chaque niveau correspond respectivement à la guerre, la campagne et la bataille dans le temps. Dans l’espace, ces trois notions sont liées au pays, au théâtre d’opération et aux positions.[3]

Cette conception est pourtant critiquable au regard de la pensée de Clausewitz.[4] Les subdivisions établies soulèveront d’ailleurs quelques difficultés. L’introduction d’un niveau opérationnel est confuse pour certains. Ainsi, le colonel Lloyd J. Matthews se demandera d’abord pourquoi ne pas avoir nommé ce niveau métatactique ou grande tactique comme le faisaient Liddell Hart et Jomini. De plus, ce colonel rappelle qu’il est excessif de résumer le niveau opérationnel à la doctrine AirLand Battle qui est, avant tout, une façon de penser le combat et qui ne se raccroche pas à un échelon particulier.[5]

A contrario, John L. Romjue affirme justement qu’AirLand Battle est le niveau opérationnel. Cet auteur voit la naissance du niveau opérationnel comme directement liée à une filiation germanique. Il perçoit la source de l’art opérationnel chez Moltke l’Ancien et note également l’influence que le manuel HDv 100/100 a eu dans l’édification du FM 100-5. Mais, de façon paradoxale, alors que le FM 100-5 développait une vision opérationnelle, le HDv 100/100 laissait tomber la notion en 1973 – bien que dans les années 80, le terme soit réintroduit.[6]Notons aussi que Clausewitz servira, bien entendu, à lier la vision opérationnelle de la guerre à celle du politique.[7]

Ajoutons encore une remarque ici en ce qui concerne l’utilisation de Clausewitz et des autres auteurs classiques de la stratégie au niveau opérationnel. Comme le signalait le colonel Huba Wass de Czege, l’un des rédacteurs du manuel FM 100-5 de 1986, les travaux académiques tels que ceux de Peter Paret ou Michael Howard, sont bien souvent insuffisants pour le soldat. En effet, ces travaux ne donnent pas assez de poids aux idées de Clausewitz encore valables sur le champ de bataille. Que ce soit pour Sun Zi, Jomini ou Clausewitz, l’armée est avant tout intéressée par les concepts qu’il y a moyen de dégager de ces ouvrages.[8]C’est sur l’évolution de ces concepts dans le discours stratégique qu’il convient de s’attarder maintenant.

Section 2 – Les notions de friction, chance, incertitude et le rôle du renseignement

Précisons directement, les notions de friction, chance et incertitude renvoient directement à d’autres concepts. On retiendra principalement celui de renseignement dans cette partie. Le rôle des théories de la complexité aurait pourtant eu sa place (voir infra).[9]Mais frictions, chance et incertitude doivent une grande part de leur existence à la nature humaine des conflits. De façon quelque peu arbitraire, mais représentative des discussions menées au sein des forces armées américaines, il a donc été décidé de discuter, dans les paragraphes suivants, des concepts de génie et des forces morales qui sont étroitement liés.

En fait, le mécanisme de friction est officiellement reconnu dans de nombreux manuels des forces armées américaines. Les manuels FM 100-5 de 1982, 1986 et 1993 ainsi que certains manuels de l’U.S. Air Force, du Corps de Marines, et interarmes en font mention.[10]

Ensuite il faut bien constater que le concept de friction, ainsi que ceux de chance et incertitude, est principalement discuté en rapport avec deux notions elles-mêmes très liées : la surprise et le renseignement. En effet, s’il n’y avait pas de frictions, la guerre serait une activité parfaitement transparente (et le renseignement tout-puissant) et il n’y aurait donc plus de risque de se laisser surprendre par l’ennemi.

Mais s’il existe des frictions pour un camp, il en existera inévitablement pour l’adversaire de ce camp. Donc les frictions ne sont pas unilatérales. Elles peuvent même être employées avec profit. Elles peuvent constituer un levier puissant dans la lutte et pas seulement un obstacle. Cette constatation découle directement du point de vue interactif de l’acte de combat dans le Traité.[11] Ces considérations seront liées avec, comme nous l’avons déjà indiqué, le génie, le moral, mais aussi avec les modèles de guerre d’anéantissement et d’attrition, et le rôle de la manoeuvre (voir infra). Indiquons encore que le centre de gravité, qui est considéré comme toujours plus immatériel par le discours stratégique américain, se marie très bien avec un point de vue positif des frictions. Si le centre de gravité est constitué des moyens de commandement et de contrôle de l’adversaire, son attaque résultera en l’augmentation du niveau des frictions encourues par celui-ci. La paralysie de l’ennemi devient donc un objectif.[12]

On constate que certains ont reproché à Clausewitz d’accorder trop peu de place à la notion de surprise.[13] Il est vrai que Clausewitz évoque peu la surprise à proprement parler dans On War par comparaison à Sun Zi ou à Machiavel . Sun Zi est toujours considéré comme l’instigateur d’une stratégie basée sur la tromperie, la stratégie indirecte voire la « non bataille ».[14] Clausewitz est, lui, toujours perçu comme le père de la stratégie reposant principalement sur la bataille. Mais la surprise n’est-elle pas simplement la version unilatérale des frictions ? Quoi qu’il en soit, Clausewitz est souvent associé à l’Art de la guerre de Sun Zi lorsque l’on évoque le concept de surprise.

Si on s’intéresse maintenant plus particulièrement au rôle du renseignement, plusieurs remarques s’imposent. Premièrement, Clausewitz, tout comme Sun Zi, peut être mis en évidence quant à l’importance que ce phénomène prend dans la guerre. En reprenant, par exemple, deux études de cas liés à la guerre de l’information  – information warfare -, Clausewitz, autant que Sun Zi, est pris à témoin quant à la nécessité de connaître son ennemi.[15]

Mais parfois, le discours stratégique américain se montre perplexe à l’encontre du rôle que Clausewitz confère au renseignement. Le Prussien se contredirait en considérant que parfois le renseignement est utile, alors qu’à d’autres moments il le dénigrerait totalement.[16]Pour Victor M. Rosello, le problème du renseignement dans l’œuvre de Clausewitz est le fait d’une différence de concepts. Dans leur traduction de On War, Peter Paret et Michael Howard ont choisi le terme intelligence – renseignement – pour le mot allemand Nachtrichten. Mais le terme allemand signifierait simplement information, soit de la matière brute qui doit être retraitée pour devenir renseignement. Pour Peter Paret, la distinction n’existait pas à l’époque entre renseignement et information – ceci expliquant peut-être cela. Victor M. Rosello conclut que la vision du renseignement de Clausewitz est en fait dogmatique et insuffisante. Jomini s’avérerait meilleur maître à penser en ce domaine.[17]

Michael I. Handel apporte quelques clarifications supplémentaires en la matière. Pour lui, dans On War, Clausewitz discute du renseignement sur le champ de bataille. Or, à l’époque de Napoléon, les informations glanées sur le champ de bataille étaient souvent de qualité douteuse. Par contre, les informations dont Napoléon pouvait disposer au niveau stratégique et opérationnel lui étaient primordiales. Ce qui conduit à une deuxième remarque qui concerne les moyens de compenser l’incertitude présente sur le champ de bataille. Toujours pour Michael I. Handel, Clausewitz met plutôt en évidence des facteurs intangibles du commandement pour contrebalancer la faiblesse du renseignement : le Fingerspitzengefühl ou, en français, le coup d’œil , terme déjà employé par le chevalier de Folard en 1724.[18] Mais ces notions ne sont plus entièrement valides. La guerre, reconnaissent Michael I. Handel et John Ferris, est toujours le domaine des frictions et des actions réciproques. Les évolutions technologiques ne changent pas cet état de fait. Par contre, il existerait aujourd’hui deux types d’incertitude : le premier type concernerait l’ignorance ou l’inhabilité d’obtenir des renseignements fiables. Ce type d’incertitude trouverait sa place dans On War. Le deuxième type d’incertitude relèverait des systèmes C.3I. – Command, Control, Communication and Intelligence, soit commandement, contrôle, communication et renseignement -, et serait extérieur à On War. Le second type d’incertitude est le résultat du risque de disposer de trop d’informations et de ne pouvoir séparer le « signal » du « bruit ». Les auteurs concluent que le rôle du calcul dans la tâche du commandant moderne devrait être plus important qu’à l’époque de Clausewitz. Le Prussien  a donc sous-estimé le rôle du renseignement. Mais les moyens modernes, mis à la disposition du commandant aujourd’hui, induisent la démultiplication de la quantité d’informations disponibles. Par conséquent, le chef militaire est dans l’obligation de se poser de nombreuses nouvelles questions. Le risque du commandement dans trop de détails est aussi évoqué.[19]En conclusion, les moyens matériels des combattants aujourd’hui rendent la surprise plus facile à prévenir au niveau tactique, alors qu’au niveau stratégique, elle est devenue plus facile à réaliser par les possibilités de projeter des forces de grande dimension et à grande distance.[20]

En fait, de façon plus générale, il existe deux attitudes dans le discours stratégique américain face à l’incertitude du combat. La première attitude consiste à accepter les frictions comme inhérentes à la guerre. Pour certains, de façon peut-être trop marquée, la solution aux frictions est une attitude « agressive » qui consiste à continuer ce que l’on a commencé à entreprendre, poussant plus loin, gardant confiance en soi et ce malgré les informations ambiguës. Le concept de coup d’œil est également encore évoqué et défini comme une grande habilité à distinguer ce qui est important dans une grande masse de signaux. Bien entendu, la vitesse de réaction est toujours placée en exergue.[21]

Relevant toujours de la même attitude, Roger A. Beaumont, propose de soumettre le personnel militaire à la surprise et à l’échec, lors d’exercices, en vue d’apprécier l’ampleur du phénomène. Quant au général Raymond B. Furlong, il met en évidence la nécessité d’introduire l’incertitude clausewitzienne dans les jeux de guerre – war gaming / kriegspiel -, idée plus récemment partagée par Antulio Echevarria. Il s’agit en fait véritablement d’entraîner le soldat à s’habituer aux frictions.[22]

La deuxième attitude consiste à penser que les frictions disparaîtront à terme. Cette attitude est partagée parmi les tenants les plus acharnés de la R.M.A. Pour eux, le champ de bataille devrait devenir parfaitement transparent.[23] La vision managériale et mécaniste du commandement procède de la même approche, traditionnellement ramenée à Jomini. L’être humain y est perçu comme une sorte de boîte noire ou de machine. Notons aussi que la débauche de matériel sophistiqué dont disposent les forces armées américaines n’est pas toujours de nature à faciliter l’appréciation de facteurs intangibles.[24]

Remarquons aussi que pour Jay Luvaas, les frictions réduisent la confiance à accorder aux principes de la guerre. Selon Luvaas, il est également essentiel de tenir compte des forces morales et du concept de génie pour se constituer une image réelle du déroulement de la guerre.[25] Et J.E. King d’ajouter que les frictions ont bien entendu un sens physique mais aussi psychologique. C’est dans ce second sens que la notion de génie et le moral prennent place.[26]

Section 3 – Le génie militaire

Bien que non mentionné dans des documents doctrinaux comme le FM 100-5, le concept de génie est souvent discuté en filigrane de réflexions sur la notion de commandement.[27] Directement lié à l’ensemble de la théorie clausewitzienne, le génie s’intercale de façon prééminente au regard du mécanisme de friction, des différences qui existent entre la guerre en théorie et en pratique, des forces morales – la guerre est une activité sociale, le fait d’êtres humains qui, à la différence des objets, interagissent de façon relativement imprévisible. Si cette notion s’avère cruciale, elle n’en est pas moins assez floue par rapport à nos critères psychologiques modernes.

Plusieurs auteurs américains se sont donc penchés sur l’idée du génie de façon plus ou moins élaborée. Jay Luvaas attire l’attention sur la dualité du concept de génie ; un bon chef de guerre doit à la fois faire preuve d’intelligence et de tempérament.[28] Comme cela a été indiqué, le génie étant un concept relativement flou, la remarque de Luvaas est complétée par d’autres textes tentant de détailler ce que recouvre la notion. Ainsi, on note que le génie a un caractère équilibré mais fort, le génie fait preuve de contrôle sur soi, il est instruit et imaginatif. Il fait également montre de courage, courage que Clausewitz répartit en plusieurs catégories : courage physique (le plus « primitif »), courage moral (beaucoup plus rare, et comportant un élément de responsabilité), détermination (à long terme) et hardiesse – boldness (elle est toujours nécessaire).[29]

Il est intéressant de noter que les écrits sur le génie se positionnent, grossièrement, dans deux grandes catégories, visant toutes deux à comprendre comment « parvenir » au génie. La première, de manière assez souple, penche en faveur de l’utilisation de l’expérience et de l’apprentissage par erreurs. La coopération au sein des unités prend également de la valeur dans ce processus. Ce faisant, l’officier est en mesure de développer sa confiance personnelle, qui l’aide à obtenir la détermination nécessaire à l’action. La culture de l’intellect s’impose parallèlement. Nul doute que l’institution de centre d’entraînement tel le N.T.C., National Training Center de Fort Irwin en Californie répond à la possibilité de s’entraîner en commettant des erreurs dans un cadre très réaliste mais néanmoins encore fort éloigné des véritables conditions de la guerre.[30] Il est aussi question de génie à propos d’un commandant capable d’équilibrer ses ressources à ses objectifs.[31]

La seconde approche cherche à raccrocher l’idée de génie à une structure plus « scientifique », soit en combinant le concept de génie avec des outils de la psychologie et des statistiques.[32]Cette seconde approche, dans son contenu, partage pourtant des caractéristiques identiques avec la première. Le rôle de l’intellect, les capacités d’apprentissage et d’adaptation sont largement mis en valeur. L’accent est aussi porté sur l’importance de l’expérience qui, à défaut de combat, s’acquiert par la simulation. Le courage et la détermination sont également placé en exergue. L’insistance sur ces notions s’avère encore accentuée par l’arrivée de concepts tels que celui d’information warfare.[33] Au total, le chef militaire est confronté à une quantité toujours plus importante d’informations qu’il doit gérer avec sang-froid.

Poussée à son extrémité, cette approche reprend simplement les attributs que Clausewitz confère au génie et les transforme en un modèle psychologique. C’est de cette manière que procède le lieutenant colonel Phillip N. Brown de l’U.S. Air Force lorsqu’il étudie le cas de Claire Lee Chennault.[34] Notons aussi l’existence de tentatives de conciliation entre l’idée de commandement chez Clausewitz avec des approches plus managériales.[35]

Le concept de génie est même transposé au niveau de la Grand Strategy, où il est en passe de devenir un attribut collectif hautement souhaitable. En dehors des caractéristiques déjà mentionnées précédemment, le génie doit ici être en mesure d’élaborer ses propres règles, de développer un nouveau paradigme de pensée. Cette vision cadre bien avec la recherche d’une Revolution in Military Affairs adaptée aux changements dans l’ordre des relations internationales. Et bien entendu, ici, le génie est capable de combiner toutes les ressources d’une nation : économiques, militaires, informationnelles et diplomatiques.[36]

En fait, la plupart du temps, le discours stratégique américain est en peine de rendre compte de la notion de génie en tenant compte des subtilités de Clausewitz. Encore une fois, ce concept, comme bien d’autres, a subi une dérive « mécaniste ».

Il convient également de citer la notion d’Auftragstaktik, qui correspond à une forme très souple et décentralisée de commandement. Le concept est souvent lié à Clausewitz aux Etats-Unis. Pourtant, Clausewitz n’en est qu’indirectement à la source. Bien que l’on puisse concevoir cette idée comme la suite logique de la pensée du Prussien, elle est généralement attribuée à Moltke l’Ancien.[37] L’historien israélien Martin van Creveld, lui, fait remonter cette forme de commandement aux unités de la Hesse, sous le général Lossow, qui combattait lors de la Révolution américaine.[38]

L’Auftragstaktik a en fait beaucoup d’affinités avec les concepts clausewitziens de génie et de friction. Le génie permet de surmonter les frictions, mais il ne peut prendre toute sa mesure que si on lui en donne la possibilité, qu’on lui laisse l’initiative comme le recommande l’Auftragstaktik.[39] Quoi qu’il en soit, cette notion a largement inspiré la doctrine opérationnelle américaine. Indéniablement, une doctrine qui vise l’initiative, la flexibilité et l’adaptabilité ne peut qu’être intéressée par cette méthode de commandement.[40]A partir de 1982, les éditeurs du manuel FM 100-5 veulent que celui-ci développe un esprit, une façon de penser et soit moins un « livre de recettes ».[41] Le commandement décentralisé fait partie de l’approche.[42] Toutefois, certains pensent qu’elle est encore insuffisamment développée au début des années 80.[43]D’autres, au contraire, reprochent à ce concept de constituer une simple excuse pour ceux qui ne désirent pas s’investir dans les nouvelles technologies de communication et de commandement.[44]

Section 4 – Le moral

L’importance du moral est fondamentale à l’édifice clausewitzien. Tout d’abord, pour le Prussien, la guerre est une activité humaine. Ensuite, répétons-le encore, les frictions, la chance, l’incertitude, la surprise sont liées à la nature humaine de cette activité.

Dans le discours stratégique américain, on retrouve de nombreuses références à la notion de moral. On le verra par exemple dans les manuels FM 100-5 d’août 1982 et de 1986. En s’inspirant de Clausewitz, ces documents affirment que le but de la guerre n’est pas uniquement la destruction physique de l’ennemi mais que le combat doit viser son effondrement moral. L’apport de Clausewitz est ici librement combiné avec celui de Liddell Hart et Sun Zi et à la notion de surprise.[45]Mais plus encore, pour l’édition de 1982, il semble bien que le rôle du moral, largement poussé en avant par le lieutenant général Richard E. Cavazos, ait été inspiré par la lecture d’Ardant du Picq et de John Keegan, respectivement au travers des livres Battle Studies et The Face of Battle.[46]

En fait, dans le discours américain, la valeur du moral, est prise au sens large. C’est un facteur qui est évoqué non seulement au niveau du soldat individuel, mais aussi pour le commandement, le décideur politique et pour la nation dans son entièreté. Ce dernier point avait été largement mis en évidence par les travaux de H.G. Summers sur la trinité paradoxale quant au rôle du soutien populaire. Globalement, le moral est perçu comme un levier de force – force multiplier – qui permet de dépasser l’épuisement matériel.[47]

En résumé, la notion de moral, et son importance dans le combat, est peu remise en cause dans le discours stratégique américain. Mais parfois, on aura l’impression que la façon dont ce facteur est abordé confine à une réduction mécaniste de l’être humain, tout comme dans le cas du génie. Il est vrai que l’approche managériale ne semble pas avoir été éradiquée dans l’étude du soldat. L’être humain donne souvent l’impression d’être conçu comme une machine à combattre.

Section 5 – Offensive, défensive et combinaisons

Il existe un certain consensus dans le discours stratégique américain sur la valeur de la défense et de l’offensive. Globalement, l’idée selon laquelle la défense est la forme la plus forte de la guerre est bien acceptée. De même, le discours marque généralement son accord sur la nécessité de passer à l’offensive dès que possible.[48] Dans ces considérations, il n’est pas rare de retrouver le nom de Clausewitz. On notera également que le manuel FM 100-5 d’août 1982 reprend la comparaison entre la défense active et le bouclier de coups portés à l’ennemi décrite par le Prussien.[49]Dans l’édition de 1986 du même manuel, les notions d’offensive et de défense sont directement traitées par le biais des classiques : Clausewitz, Jomini et Sun Zi.[50] L’édition de 1993 ne sera pas aussi explicite, mais la tonalité reste néanmoins très clausewitzienne. L’offensive y est définie comme la forme décisive de la guerre, le moyen ultime pour le commandant d’imposer sa volonté à l’ennemi. Quant à la défense, elle est considérée comme la forme la moins décisive mais la plus forte du combat.[51]

Ces idées se sont généralisées dans l’ensemble du discours stratégique à l’exception de l’U.S. Air Force. Les penseurs de cette Arme affirment que l’offensive est la forme la plus forte de la guerre pour la puissance aérienne. L’absence de relief dans les airs, donc l’absence de possibilités de se retrancher, la mobilité et la rapidité expliqueraient cet état de fait (voir aussi infra sur John Warden et l’école de la paralysie stratégique).

Les textes évoquant la relation entre défense et offensive sur base de Clausewitz méritent toutefois une critique générale. En effet, peu d’auteurs confèrent une dimension dynamique à cette relation. James Schneider fait exception en la matière. Pour lui, le commandant d’une armée est confronté à un dilemme : soit il cherche à défendre une portion de son territoire, soit il marche vers le centre de gravité ennemi, qui se résume bien souvent au gros des forces massées de l’adversaire. D’où la tension entre la possibilité de concentrer ses forces et de risquer de se faire envelopper ou de les répartir sur la ligne de front de manière linéaire.[52]Dans le même ordre d’idées, Richard M. Swain a remis en question l’affirmation de la supériorité de la défense. Selon lui, chacune des deux formes possède des avantages et des désavantages – le moral des troupes est plus mis à mal en position défensive tandis que l’offensive permet de profiter du terrain que l’attaquant choisi et il oblige l’ennemi à réagir.[53] Lorsque Clausewitz affirme la valeur (relativement) supérieure de la défense, il le fait par omission de nombreux facteurs : le courage, les considérations numériques, l’entraînement, etc.[54] Quoi qu’il en soit, Swain rejette la défense passive au profit d’un modèle plus actif.

Quelques-uns ne voient pas en quoi la défense peut être déclarée forme la plus forte de la guerre. Les situations trop particulières du combat ne permettent pas cette généralisation. Tout au plus peut-on déclarer que la défense est une forme de combat plus facile à mettre en œuvre car elle consiste en la préservation d’un objet au changement.[55]Mais Richard M. Swain rappelle que ce type de raisonnement n’est pas spécialement incompatible avec celui de Clausewitz qui n’a jamais fait de la défense, la forme la plus forte de la guerre un dogme mais une « tendance ».[56] Le rôle de la technologie est aussi mentionné comme facteur de nature à affecter l’équilibre entre les deux types d’opérations.[57]

Section 6 – Le centre de gravité

Le centre de gravité conduit, comme pour quasiment tous les concepts légués par Clausewitz, dans plusieurs directions. On le lie facilement à la pensée du Prussien centrée sur la bataille ou les idées selon lesquelles il existe une proportionnalité entre les moyens employés et le résultat, le principe de concentration des forces, l’anéantissement de l’ennemi sur le théâtre, et le rôle du nombre de combattants.[58]

Mais il convient surtout de noter l’importance de ce concept dans l’élaboration de la doctrine opérationnelle de l’armée de terre américaine. Le centre de gravité peut être considéré comme une pépite d’or tirée de l’oeuvre de Clausewitz pour le stratégiste moderne. Par conséquent, on remarquera que le concept n’est que marginalement remis en cause.

Commençons par identifier les références au centre de gravité dans les manuels doctrinaux. Pour l’armée de terre, sans le nommer, le FM 100-5 de 1982 adapte déjà le concept à partir de la notion de Schwerpunkt que l’on retrouve dans le document allemand HDv 100/100.[59]Mais la première véritable référence au centre de gravité se trouve dans l’édition de 1986 du FM 100-5, où il est combiné avec les conceptions inspirées de Jomini sur les points décisifs et les lignes d’opération.[60] On le retrouve aussi dans l’édition de 1993, de nouveau associé aux concepts de Jomini. Ici, le centre de gravité peut prendre plusieurs formes : l’armée ou la structure de commandement de l’ennemi, l’opinion publique, la volonté nationale ou la cohésion d’une alliance / coalition. On y considère que le centre de gravité n’est pas toujours directement discernable ; il peut ne pas être activé. Son activation, au niveau opérationnel, ne se fait que par l’initiation du combat.[61] Il existe aussi une nécessaire réévaluation permanente du concept. Ensuite, le centre de gravité est lié aux lignes de communication qui sont des orientations directionnelles pour l’utilisation des unités, dans le temps et l’espace, en rapport avec l’ennemi. Les forces peuvent ainsi opérer sur les lignes intérieures ou sur les lignes extérieures. Le second précepte lié est celui des points décisifs. Ils apportent un grand avantage au commandant qui les possède. Ils peuvent représenter une colline, une ville ou une base d’opération, mais peuvent aussi revêtir une dimension moins matérielle comme un poste de commandement, une centre de communication, etc. Il existe normalement, sur le champ de bataille, trop de points décisifs pour que le commandant puisse tous les détenir, ou les détruire. Les points décisifs doivent par conséquent être sélectionnés en fonction du centre de gravité.[62]

Comme on vient de le voir, le FM 100-5 de 1993 donne déjà de multiples exemples du centre de gravité.[63] Dans différents textes issus de publications de l’armée de terre, les autres « candidats » centres de gravité proposés sont beaucoup plus nombreux : l’armée, le point de jonction entre deux unités, le moral de l’armée, le moral du chef de guerre, le moral de la nation, la capitale de l’Etat ennemi, les zones industrielles (voire simplement l’économie), les élites politiques (ou le système politique, ou encore la cohésion politique), le cycle de prise de décision, la sphère informationnelle, la géographie, les lignes de communication, la logistique, la société dans son ensemble, ou un mélange de ces éléments.[64] Deux remarques s’imposent ici. D’une part, certains centres de gravité proposés sont de nature plus stratégique qu’opérationnelle, les auteurs en conviennent. On l’évoque parfois même au niveau tactique.[65] D’autre part, le fait de considérer la société dans son ensemble comme un centre de gravité est propre aux développements relatifs à la guerre de guérilla mais montre également une certaine convergence avec les approches de l’U.S. Air Force – sorte de néo-douhetisme.En fait, le centre de gravité est reconnu changeant, moral ou physique (voire immatériel), et variable selon l’échelon de force analysé.[66]

Ensuite, on remarquera que le centre de gravité a une fonction d’intégration dans la planification. C’est ce concept qui permettra de donner un cadre d’analyse dynamique aux principes de la guerre  ; concentration – et unité de l’effort -, manœuvre, initiative, lui sont adjoints.[67]En d’autres termes, il est une fois de plus mis en regard de l’apport jominien. Le colonel Huba Wass de Czege, qui s’était chargé de la rédaction de la partie sur le centre de gravité dans le FM 100-5 de 1986, note aussi que ce concept doit être relié aux facteurs M.E.T.T.-T. – Mission, Enemy, Troops, Terrain and Weather, and Time Available.[68]

Mais le centre de gravité est une notion dont la compréhension s’est bien souvent avérée épineuse pour le discours stratégique américain. Le problème fondamental est la confusion entre le centre de gravité, qui est en fait un point fort, et les points décisifs, qui servent de « levier » à l’attaquant, et les vulnérabilités qui permettent de prendre d’assaut les points décisifs.[69] Il est vrai que la confusion a même été constatée dans le manuel FM 100-5 de 1986.[70]Un article de Lawrence Izzo tenta de rectifier ces conceptions erronées. Pour lui, le centre de gravité est un point de force dans le dispositif ennemi. Un point décisif est par contre une faiblesse – weakness. Cette faiblesse peut être vulnérable ou non aux attaques. Les points vulnérables – vulnerabilities – peuvent donc être attaqués avec « facilité », mais tout point vulnérable n’est pas lié à un point décisif. Il convient de ne pas tous les prendre d’assaut sous prétexte de garder l’initiative ou d’obtenir des succès tactiques. Les attaques doivent entretenir une relation avec l’objectif de la campagne.[71]Malgré la mise au point introduite par cet article, il n’empêche que la confusion entre point décisif et centre de gravité perdure.[72] De plus, la publication de l’article de Lawrence Izzo valut à son auteur une critique rapide par un détracteur du concept, lui préférant purement et simplement les idées de Jomini sur les points décisifs. L’auteur de cette critique reprochant aussi à Clausewitz de ne pas introduire les lignes de communication sous la rubrique centre de gravité.[73] Certains désireront même remplacer le concept de centre de gravité par celui de centre de force – center of strength – et de lui adjoindre les notions de point de vulnérabilité – vulnerability point – et point focal de synergie – synergistic focal point.[74]

Ailleurs, le centre de gravité, combiné aux points décisifs de Jomini, est présenté sous forme de matrice valable aux niveaux tactique, opérationnel, stratégique militaire, et de la stratégie nationale. Il comprend donc les éléments de puissance politique, économique, psychologique et militaire. Les différents niveaux et outils de puissance jouent sur la matrice :

 

Centre de gravité Points décisifs
Allié Planifier des manœuvres contre les points décisifs ennemis, à partir de directions  inattendues, en utilisant des forces supérieures relatives. Cacher les points décisifs par des mouvements et des ruses. Les protéger si nécessaire.
Ennemi Eviter une confrontation directe entre les centres de gravité.  Viser les points décisifs pour détruire la cohésion de l’adversaire. Utiliser tous les moyens disponibles pour identifier et confirmer les points décisifs. Connaître leur degré de connexion et les effets secondaires de leur destruction.

 

L’auteur définit ensuite un axe conceptuel de la manœuvre, du centre de gravité allié vers les points décisifs ennemis.[75]

En résumé, on vient de constater que le centre de gravité était un concept combinable avec les lignes de communication, les points décisifs et les principes de la guerre. En d’autres termes, on peut lui adjoindre la plupart des outils jominiens. Mais les combinaisons ne s’arrêtent pas là. Le centre de gravité est aussi mis en rapport avec les travaux de Liddell Hart et de Sun Zi. Ainsi, pour le lieutenant général Raymond B. Furlong de l’U.S. Air Force, en temps de guerre, l’un des principes majeurs d’une force est de rester concentré en vue d’attaquer le centre de gravité de l’adversaire. Mais ce faisant, l’auteur pense que l’on risque de reproduire les résultats de la Première Guerre mondiale, soit l’échec de toute opération qui tente de confronter le centre de gravité des deux forces. Raymond B. Furlong pense donc que Liddell Hart ajoute énormément à Clausewitz en évoquant la possibilité d’attaquer un point faible dans le but de renverser un point fort.[76]Quant à Sun Zi, il permet de rajouter une « couche d’immatérialité » au concept. Au travers des écrits du Chinois, la dynamique des forces morales, la lutte des volontés des commandants, l’attaque de la stratégie de l’adversaire – et non de ses forces – prennent une importance plus grande.[77]La mutation du centre de gravité en un concept postindustriel, avec insistance sur la massification des effets à produire au détriment de la simple massification de la puissance de feu, et le rôle dévolu à la guerre informationnelle permettent aussi à certains auteurs de rendre le concept compatible avec l’Art de la guerre de Sun Zi.[78] Mais l’ensemble de ces élaborations tendent à éloigner le centre de gravité de sa filiation originale avec le Prussien. Le nom de Clausewitz est de moins en moins cité lorsque le concept est décrit.

Il convient ensuite de faire remarquer que le centre de gravité tel qu’utilisé par le discours stratégique américain est bien souvent peu dynamique. Tout comme la notion de trinité paradoxale, on lui assure rapidement une certaine « fixité structurelle ».[79] L’inspiration des théories de la complexité tentera de dépasser cette limitation.

A ce propos, une méthodologie a été développée au sein du Center for Strategic Leadership de l’U.S. Army War College en vue de déterminer, analyser et utiliser la notion de centre de gravité. Le document composé de trente-deux pages est en fait un vaste « questionnaire » établi par dix-sept étudiants de l’armée de terre, de l’armée de l’air, de la marine de guerre, ainsi que des étudiants étrangers en provenance d’Egypte, de Thaïlande, des Philippines et d’Allemagne. La méthode se décompose en quatre phases : situer, déterminer, analyser et appliquer le concept de centre de gravité, valable aux niveaux stratégique et opérationnel. Situer requiert d’aborder les facteurs démographique, économique, géographique, historique et international, militaire, politique, psychosocial et les intérêts et objectifs politiques affectant un adversaire au travers de questions telles que : quelles sont les forces et les faiblesses militaires ; quelle est la forme du gouvernement ; quel type d’économie soutient les forces militaires, etc. La détermination du centre de gravité est la seconde phase. On y étudie la composition des forces, les éléments de commandement, le type de gouvernement, le niveau de civilisation – préindustriel, industriel ou informationnel – et d’autres éléments comme les groupes clefs non politiques. A ce stade, un seul candidat au centre de gravité doit subsister. On en arrive à la phase d’analyse du centre de gravité stratégique qui cherche principalement à établir si la meilleure approche est de type direct ou indirect. Le centre de gravité opérationnel est, lui, considéré comme nettement plus simple à identifier car il est avant tout composé des forces de combat ennemies. La dernière phase, celle de l’application, confère une dimension dynamique à ce questionnaire car elle implique une réévaluation du centre de gravité à la lueur de l’évolution des hostilités. Il faut remarquer que la méthodologie en question établit de manière claire la différence entre centre de gravité et points décisifs. Elle affirme de plus que le centre de gravité stratégique est fixe, sauf cas d’élimination pure et simple, alors qu’il est changeant au niveau opérationnel. En plus, elle postule que le centre de gravité est valable pour les opérations autres que la guerre ou les opérations de basse intensité.[80] Mais le problème principal résultant de cette analyse est d’affirmer se nature non linéaire, mais d’agir comme en situation linéaire. L’analyse est dynamique en ce qu’elle implique la réévaluation régulière du centre de gravité. Par contre la dialectique d’opposition des forces et les tentatives mutuelles d’attaques – la dimension interactive – des centres de gravité n’est que brièvement évoquée à la fin du document.[81] Pat Pentland a, par contre, introduit une dimension nettement plus dynamique à la conception de centre de gravité. Pour lui, vaincre un centre de gravité est possible de quatre manières : (1) en l’isolant du système dont il fait partie ; (2) en bloquant les boucles de rétroactions à l’intérieur du système ; (3) en appliquant une quantité immense d’énergie sur le système ; (4) en surchargeant et détruisant chacun des éléments du système – en les désarticulant en quelque sorte.[82]

Le centre de gravité revêt aussi une grande importance pour les planificateurs de l’U.S. Air Force.[83]La notion est aujourd’hui présente dans la doctrine de cette Arme. On la retrouve, par exemple, dans le manuel AFDD 1.[84]Toutefois, l’utilisation du concept n’est pas exempte de critiques. Le centre de gravité dans l’U.S. Air Force reposerait sur une approche du ciblage démultipliant en fait le concept en autant de points à éliminer qu’il semble nécessaire.[85] On aurait donc une équation centres de gravité = cibles. Officiellement pourtant, la définition du concept par l’U.S. Air Force affirme l’existence d’un seul centre de gravité d’où émanerait la liberté d’action et la volonté de combattre de l’ennemi (voir aussi infra sur l’école de la paralysie stratégique).

Quant à l’U.S. Navy, elle vient de reconnaître le centre de gravité en 1994 dans son manuel NDP 1, Naval Warfare.[86]On retrouve aussi ce concept dans un White Paper commun à la Navy et au Corps des Marines. Le centre de gravité y est défini comme physique ou non-matériel, le plus souvent intangible.[87]

Le Corps des Marines est par contre un grand consommateur de ce concept. Ainsi, les manuels MCDP 1, Warfighting de juin 1997, MCDP 1-2, Campaigning de août 1997, MCDP 1-1, Strategy de novembre 1997, MCDP 1-0, Marine Corps Operations de juin 2000 citent tous le centre de gravité. On a néanmoins reproché au Corps des Marines de confondre le centre de gravité avec le concept de vulnérabilité dans le dispositif de l’adversaire.[88]

Toutefois, d’après les documents consultés, le Corps des Marines fait bien la différence entre la notion de centre de gravité et celle de vulnérabilité critique. A titre d’exemple, les manuels FMFM 1 et MCDP 1-1 appellent vulnérabilité critique un facteur dont l’attaque ou l’exploitation doit permettre de détruire ou mettre à mal un centre de gravité.[89]

Malgré tout, un officier de réserve du Corps des Marines a écrit un article montrant un grand scepticisme par rapport au centre de gravité et à la notion de critical vulnerabilities – vulnérabilités  critiques. L’auteur, le colonel Mark Cancian, pense qu’il n’existe pas toujours de centre de gravité. Les activités humaines se déroulent en réseau. Cela signifie qu’il existe en permanence des « chemins alternatifs » et que l’idée de la destruction d’un centre de gravité puisse produire un effet disproportionné au point de réduire l’ennemi à néant est douteuse. De plus, les êtres humains sont des acteurs dynamiques qui échappent à une vision figée du centre de gravité. Or, on ne trouve aucune notion parallèle à celle du réseau dans les conceptions de Clausewitz. Il existe bel et bien un risque de créer des centres de gravité là où il n’en existe pas. L’auteur critique en fait une certaine vision du coup décisif, « rêve » de tout planificateur opérationnel, mené par un service unique au détriment d’une conception interarmées – joint – du combat.[90]Pourtant, le centre de gravité revient aussi dans la littérature interarmées où il est appréhendé comme un outil intégrateur des forces.[91]

On peut ajouter que le centre de gravité a parfois été utilisé dans les réflexions sur les forces nucléaires durant la guerre froide. Pour une certaine école, les forces nucléaires adverses constituaient alors le centre de gravité ennemi.[92] Cette conception se rapproche bien entendu de la conception war-fighting, qui soulève un problème en rapport avec la notion de centre de gravité. En effet, en cas de guerre nucléaire, le potentiel disponible en armements de destruction massive était (et reste encore) tellement élevé qu’on peut se demander si celui qui décide de s’en servir ne lancera pas ses engins sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à un centre de gravité.[93] Or, comme cela a déjé été vu, la démultiplication des centres de gravité rend le concept de moins en moins utile.[94]

Et pour terminer, constatons que le centre de gravité est aussi devenu un instrument d’analyse historique. Par exemple, une analyse de la campagne américaine menée sur le théâtre des opérations européennes lors de la Seconde Guerre mondiale reproche le manque d’attention porté au centre de gravité par le commandement allié. Les considérations humanitaires comme la libération des populations civiles, le manque de confiance, l’expérience de la Première Guerre mondiale, la tyrannie de la logistique et du terrain inhibèrent les actions menées à l’encontre des centres de gravité des forces de l’Axe.[95] Le centre de gravité est aussi évoqué au niveau stratégique dans le cadre d’opérations très récentes. Dans le cas de l’ex-Yougoslavie, le centre de gravité lors de la guerre en Bosnie aurait été la Serbie.[96]

Section 7 – Le point culminant de l’attaque ou de la victoire[97]

Ce concept est indiqué dans les éditions de 1986 et 1993 du FM 100-5 ainsi que dans le récent FM 3-0. Dans l’édition de 1986 du FM 100-5, il est nommé culminating point of victory alors que dans l’édition de 1993, il est devenu, simplement, culmination. Le FM 3-0 reprend le concept de culminating point.

Il est défini comme le point à partir duquel l’offensive perd son avantage principalement sous l’effet de l’extension extrême des forces. Elle survient lorsque les unités doivent, par exemple, protéger leurs lignes de communication contre des attaques de flanc ou contre des opérations menées par des partisans. Si l’attaquant poursuit par delà ce point, la défaite est à craindre. Mais la notion s’avère aussi applicable à la défense. Le point culminant est dépassé par le défenseur quand il n’est plus en mesure de contre-attaquer. Dans le cas de l’attaque, le rôle de la logistique et du renseignement est souligné dans le processus de renforcement en vue de repousser le point culminant. Le point culminant est considéré comme valable aux niveaux stratégique et opérationnel. A l’échelon tactique, on parlera plutôt d’une trop grande extension due à un manque de ressources.

Mais, le manuel FM 100-5 de 1986 affirmait tout de même que l’offensive peut se poursuivre au-delà du point culminant dans certains cas. Parfois le concept de point culminant peut perdre sa raison d’être. Si l’attaquant est excessivement puissant et que le défenseur ne peut agir de manière significative, ou si l’attaquant est si faible que son point culminant est sa ligne de départ, le concept perd beaucoup de sa valeur.

En fait, il y aurait quatre raisons qui interviennent dans la précipitation du point culminant : (1) les pertes, (2) la difficulté de calculer le point culminant, (3) la notion erronée de l’héroïsme qui pousse le commandant à aller toujours de l’avant, et (4) l’obsession et le désir de vaincre à tout prix.[98]

L’édition de 1993 du FM 100-5, quant à elle, donnait quelques exemples historiques du concept. Sur le plan stratégique, il s’agit de l’offensive allemande en France en 1914 et l’invasion allemande en Russie de 1941. Sur le plan opérationnel, il s’agit de la contre-offensive allemande dans les Ardennes en 1944, l’avance de Patton à travers la France qui s’embourba en Lorraine par manque de ravitaillements, etc.[99]

On retrouve aussi le concept de point culminant dans les manuels FMFM 1 et MCDP 1-1 du Corps des Marines et dans la publication Joint Doctrine Capstone and Keystone Primer  de 1997. Dans la doctrine, la description qu’en donne actuellement l’U.S. Air Force est peut-être la plus intéressante. Selon cette Arme, le point culminant ne doit plus être considéré dans un schéma linéaire de la guerre. Alors que traditionnellement, lorsque l’opération ennemie atteignait son point culminant, les forces amies commençaient à se préparer à passer à la contre-offensive, maintenant il est recommandé d’agir en vue de forcer l’ennemi à dépasser ce point. Il ne faut pas nécessairement attendre, selon le manuel AFDD 1, que l’ennemi ait atteint le point pour préparer ses forces à intervenir.[100]

En fait, en dehors des manuels, le concept de point culminant est, malgré tout, et assez curieusement, peu discuté dans la littérature stratégique américaine.[101]Michael I. Handel y voit un des exemples des contradictions que l’on peut relever dans l’œuvre de Clausewitz. Le point culminant serait en contradiction directe avec le principe de continuité, ou principe d’exploitation, énoncé par le Prussien. De plus, ce concept serait trop nébuleux pour avoir un impact réel dans la pratique. Il s’avère par contre très enrichissant sur le plan théorique.[102]

Dans la seconde édition de son ouvrage Masters of War, Michael I. Handel s’est pourtant attardé sur cette notion. Il a tenté de la représenter graphiquement sur base d’une carte de l’invasion de la Russie par Napoléon en 1812 et des opérations menées en Afrique du Nord entre 1940 et 1943 par les Allemands. De même, il utilise un graphe abscisse / ordonnée, mettant en relation le temps et la force relative des adversaires aidant à situer le point culminant de la victoire ou de l’attaque. Il mentionne également que, comme tout principe, le principe de continuation – pendant au point culminant – peut devenir conflictuel avec d’autres principes lorsqu’il est poussé à son point extrême.[103]

Pour John E. Tashjean, le concept de point culminant permettrait d’appréhender la dichotomie entre l’espoir de mener des guerres courtes – rapides et décisives – et le risque de s’embourber dans un conflit (il mentionne d’abord que le concept entretient des relations avec des éléments théoriques de l’astrologie et de l’astronomie et qu’il peut être étudié dans l’usage des réserves chez Montecuccoli, ou à partir du concept classique de victoire chez Machiavel  et de l’importance de la logistique chez Frédéric II). En appliquant le point culminant au niveau des relations internationales, il permet de comprendre les guerres de courte durée en faisant abstraction de phénomènes qui étaient inconnus, selon l’auteur, de Clausewitz, comme la haine génocidaire, la croisade militaire ou l’existence d’armes de très grande puissance destructive, ces derniers phénomènes encourageant la prolongation et la polarisation du conflit.[104]

Une autre application, originale, du point culminant est faite par Edward N. Luttwak. Pour l’auteur, la guerre est partout faite de paradoxes. Ces paradoxes contiennent en eux le germe du point culminant. Par exemple, le point culminant est appliqué à la technologie militaire : le matériel est utile jusqu’au moment où l’ennemi dispose de contre-mesures efficaces. Passé ce moment, le point culminant est franchi. De la même manière, la surprise est un facteur vanté parmi les principes de la guerre, mais ce principe est en contradiction avec la rapidité d’action. Pour surprendre son ennemi, le combattant devra emprunter un itinéraire plus long. Un équilibre doit être trouvé dans ces contradictions. L’auteur note aussi qu’en temps de paix, les nations disposent d’une capacité à conduire la guerre d’un niveau donné. En temps de guerre, ce potentiel diminue inévitablement, alors que c’est à ce moment qu’il devient le plus indispensable de le maintenir à son point le plus élevé. C’est un autre paradoxe qu’il est aussi possible de raccrocher au point culminant.[105]

Section 8 – Relecture de Clausewitz par H. Delbrück, ou éclairage des concepts d’anéantissement et d’attrition, ainsi que le rôle de la manœuvre

Hans Delbrück (1848-1929) était un historien allemand qui consacra une bonne part de son travail à l’histoire militaire. Indépendant de l’armée, il travailla avant tout à l’université de Berlin. Son indépendance lui valu d’ailleurs des difficultés avec l’état-major. En effet, Delbrück critiqua la façon dont cette institution avait mené la Première Guerre mondiale. Durant ce conflit, l’historien contribua pourtant à l’éducation militaire du public. D’un point de vue historique, Hans Delbrück se raccroche à l’école de Leopold von Ranke qui cherchait à établir les faits historiques derrière les légendes – matérialisme historique, histoire scientifique.[106] Delbrück retournait donc aux sources premières et reconstruisait, de manière parfois surprenante, le passé. Son œuvre maîtresse est intitulée Geschichte der Kriegkunst im Rahmen der politischen Geschichte dont le premier volume a paru en 1900. Il faudra néanmoins attendre 1983 pour que la première traduction américaine des quatre premiers volumes soit achevée sous le titre The History of the Art of War.[107]La traduction en question a été réalisée par un officier de West Point. En 1990, les quatre ouvrages sont republiés par les Presses Universitaires du Nebraska sous la forme de paperback (soit sous une forme non cartonnée). Selon Arden Bucholz, l’œuvre de Delbrück est bien connue des officiers de l’armée d’active de l’U.S. Army vu la rapidité à laquelle l’ouvrage s’est vendu dans les librairies.[108]

Dans cette histoire de la guerre, Delbrück effectua une relecture de Clausewitz. Il en dégagea d’abord l’idée de soumission du militaire au politique. Mais, c’est aussi à partir de Vom Kriege, qu’il conçut l’existence de deux types de stratégie dont il repère la présence à travers le temps : Niederwerfungsstrategie et Ermattungsstrategie. La Niederwerfungsstrategie est dite d’anéantissement alors que l’Ermattungsstrategie est une stratégie d’épuisement ou d’usure – exhaustion en anglais. La stratégie d’anéantissement est celle de Napoléon, Alexandre et César, alors que la stratégie d’épuisement est celle de Wallenstein, Périclès, Gustave Adolphe et Frédéric II. Alors que la stratégie d’anéantissement a un seul pôle, la bataille, la stratégie d’usure est bipolaire : elle s’organise autour de la bataille et de la manoeuvre.[109]

Cette interprétation de Clausewitz est actuellement considérée comme erronée (toutefois, cela ne diminue guère la valeur du travail de Delbrück). La stratégie d’anéantissement est apparentée à la guerre absolue de Clausewitz. Or ce concept n’est pas matériel mais purement « idéel ». La stratégie d’épuisement est raccrochée à la guerre dans la réalité qui, chez Clausewitz, n’est pas incompatible avec une notion comme la guerre d’anéantissement. Herbert Rosinski a employé une bonne image pour représenter l’erreur de Delbrück : ce dernier place sur un même plan deux dimensions différentes.[110]

En tout cas, bien que le plus souvent indirectement inspirées de Delbrück, les notions d’anéantissement et d’attrition[111] ont donné lieu à différentes formes de conceptualisation dans la pensée stratégique américaine. Dans The American Way of War, l’historien Russel F. Weigley affirme dans son introduction que la stratégie d’anéantissement  – annihilation et donc par opposition au modèle d’usure, attrition, exhaustion, ou erosion – est devenue typique des Etats-Unis.[112] Il est vrai que l’on retrouve souvent l’influence du modèle napoléonien dans le style américain de la guerre. On peut donc postuler qu’il existe une sorte de paradigme de l’anéantissement reposant sur une lecture des campagnes françaises de la révolution, lecture effectuée à partir de Jomini et de Clausewitz.

Or, c’est bien suite à cette constatation que les réformateurs ont réagi dans les années 80. Mais ces réformateurs vont pratiquer un glissement dans le sens des expressions anéantissement et usure. Si pour Weigley l’anéantissement, annihilation, était la stratégie typique des forces armées américaines, les réformateurs, eux, utiliseront le terme attrition. Dans son sens premier l’attrition, chez Delbrück, est le modèle de la stratégie d’usure qui utilise la manœuvre et cherche des objectifs limités, comme Frédéric II la pratiqua. La stratégie d’anéantissement – annihilation – est celle qui implique l’emploi de la « puissance brute », avec une grande insistance sur le rôle du feu. Les réformateurs vont confondre les deux notions. Pour Luttwak par exemple, l’armée américaine fait trop usage de la stratégie d’attrition. Mais ici, l’attrition n’est plus conçue comme une stratégie d’usure par le mouvement. Elle est comprise dans le sens d’une stratégie d’anéantissement selon les critères de Delbrück. Luttwak insiste sur le fait que l’armée américaine prend trop appui sur la puissance de feu et pas assez sur les capacités manœuvrières. Il conseillait d’adopter ce qu’il nommait la manoeuvre relationnelle, basée sur l’emploi de la technologie et le mouvement.[113] A l’époque, cette approche avait été décriée par John J. Mearsheimer. Mearsheimer notait par ailleurs le modèle d’attrition – qu’il utilise dans le même sens que Luttwak – qui sert à qualifier le style américain de la guerre est un style qui n’est pas propre aux Etats-Unis mais aux forces occidentales en général.[114] John J. Mearsheimer semblait, de plus, assimiler Clausewitz à la guerre d’attrition.[115] En fait, lorsque l’on consulte l’ouvrage classique de Mearsheimer sur la dissuasion conventionnelle – Conventional Deterrence -, on remarque qu’il utilise très librement l’apport des classiques. Clausewitz est en effet assimilé à la stratégie d’attrition et Liddell Hart, assez logiquement, lui, sert à illustrer la Blitzkrieg. Pour Mearsheimer, ces deux types de stratégie ont pour but d’infliger une défaite décisive à l’ennemi. Il définit ensuite la stratégie à objectif limité dont le but est d’acquérir une partie du territoire de l’adversaire.[116] Cette stratégie à objectif limité est pourtant bien présente dans l’œuvre de Clausewitz. C’est aussi à partir de cette source que Delbrück s’est inspiré pour élaborer le concept de stratégie d’attrition dans son sens premier. Il existe donc une certaine confusion dans la façon dont Mearsheimer prend appui sur les classiques. Il faut noter que Mearsheimer ne mentionne qu’une seule fois Delbrück dans Conventional Deterrence (dans une citation qui précède l’introduction). Mais cette citation ne se réfère même pas aux deux types de stratégie. Delbrück ne figure par contre pas dans la bibliographie. Mais, on retrouve plusieurs références à Clausewitz, liées à l’idée de stratégie d’attrition dans l’étude de Mearsheimer.

Ensuite, au sein du Corps des Marines, les  notions d’attrition ou de manœuvre sont encore très présentes. Par exemple, on les retrouve dans le document FMFM 1. Quant au manuel MCDP 1-1, également des fusiliers marins, il reconnaît l’existence des stratégies d’érosion et d’anéantissement. Mais, ce dernier manuel se montre nuancé à l’encontre de ces concepts. Selon le texte, il est parfois difficile de déterminer à quelle catégorie appartient une stratégie qui ne s’est pas encore pleinement développée. De plus, les deux concepts peuvent parfois se recouvrir dans la réalité. D’autre part, dans le cas où un belligérant, ou même deux belligérants, décide de pratiquer une stratégie d’anéantissement, elle peut tourner à l’érosion s’il(s) ne dispose(nt) pas de moyens suffisants pour prendre le dessus sur son (leur) adversaire.[117] On retrouve aussi une trace des concepts d’attrition et de manœuvre dans le document NDP 1 de l’U.S. Navy. Le rôle de la manœuvre est ici cité aux côtés de Sun Zi.[118]

Quoi qu’il en soit, selon un article de la Military Review, attrition ou manœuvre serait un choix à poser à tous les niveaux de la guerre. La politique peut cibler les ressources économiques ou militaires de l’adversaire ; la stratégie peut être directe ou indirecte ; l’art opérationnel est soit d’attrition soit de manœuvre ; la tactique est soit centrée sur l’utilisation de la puissance de feu, soit sur le mouvement. Dans chacun des cas apparaît la dichotomie attrition vs manœuvre. La question reste pourtant posée de savoir si l’attrition est véritablement une stratégie ou une absence de stratégie.[119]

En d’autres termes, il semble que l’influence de Delbrück, et de Clausewitz au travers de Delbrück, dans le discours stratégique américain est mitigée. Pour rappel, l’histoire de la guerre de Delbrück est traduite tardivement, en 1983. Arden Bucholz précise que celle-ci s’est bien vendue. Néanmoins, The History of the Art of War totalise plus de 2000 pages. On est en droit de se demander si beaucoup d’officiers ont lu l’entièreté de l’œuvre. De plus, peu d’autres textes de Delbrück sont disponibles en anglais. L’œuvre de Delbrück semble donc majoritairement connue par des sources de seconde main, comme les deux éditions du Makers of Modern Strategy qui lui consacrent chacun un chapitre. Mais plus encore, on peut penser que c’est grâce à l’ouvrage The American Way of War de R.F. Weigley que les concepts d’annihilation et d’attrition se sont diffusés. A partir de là, les réformateurs ont beaucoup usé, et mal usé, de ces concepts dans leur recherche d’une stratégie plus manœuvrière et leur évaluation du rôle de la bataille. Il est donc temps de se demander ce que le discours stratégique américain a retenu de Clausewitz, et uniquement de Clausewitz, à propos de ces deux notions.

Concernant la bataille, on constate qu’il existe toujours un certain espoir de la part du stratégiste de ne pas devoir passer à l’engagement réel et d’obtenir une décision par la menace.[120] Une lecture approfondie du Prussien permet d’ailleurs à certains textes de postuler que la destruction réelle des forces ennemies n’est pas nécessaire. Mais ici la corrélation avec Sun Zi s’impose bien souvent. Cela est déjà perceptible dans le manuel FM 100-5 de 1982 où le Chinois est retenu comme exemple de pensée refusant le modèle d’anéantissement.[121] Michael I. Handel met toutefois en garde contre une trop grande confiance en Sun Zi et la possibilité de vaincre sans faire couler de sang. Selon lui, se battre sans tuer ou blesser nécessiterait comme prérequis une sorte d’accord tacite entre les deux camps.[122] On retrouve bien dans ce raisonnement un lien avec la pensée de Clausewitz.

En fait, alors que Clausewitz était largement considéré comme le penseur de l’anéantissement avant la fin de la guerre du Vietnam, cette référence a régressé depuis. Bien sûr, cette façon d’étudier le Prussien est encore très souvent présente, en particulier dans les textes relatifs au centre de gravité (voir supra), mais le discours stratégique désire aller plus loin. C’est ainsi qu’à côté des notions d’usure et d’anéantissement, une nouvelle modalité a vu le jour, celle de disruption – perturbation, interruption, dérangement. On retrouve cette approche dans les manuels FM 100-5 les plus récents. Dans l’édition de 1993, on peut lire : Le défenseur perturbe le tempo et la synchronisation de l’attaquant en contrant ses initiatives et en l’empêchant de masser une puissance de combat écrasante. Les commandants défenseurs utilisent également les perturbations pour attaquer la volonté de l’ennemi à poursuivre. Ils le font en vainquant ou induisant en erreur les forces de reconnaissances ennemies, séparant les forces ennemies, isolant ses unités, et brisant ses formations de telle manière à ce qu’elles ne puissent se battre en un tout intégré. Le défenseur interrompt le feu de soutien, le soutien logistique, et les capacités de commandement et de contrôle. Il fait illusion quant à ses véritables dispositions et intentions, il défait la coordination des unités de soutien armé, et brise le tempo des opérations offensives. Il n’est jamais permis à l’attaquant de prendre pied. Il est frappé par des attaques visant à l’expulser avant qu’il ne puisse rassembler sa puissance de combat et est contre-attaqué avant qu’il ne puisse consolider ses gains.[123]

En d’autres termes, un nouveau paradigme semble se créer face à celui de la bataille d’anéantissement – et des corollaires qui lui sont généralement attribué : Jomini, Clausewitz, Napoléon, et la révolution industrielle. Ce paradigme serait composé de l’apport de Sun Zi, de Liddell Hart, du concept de révolution post-industrielle.[124] Centrant son développement sur les idées d’attaque de la stratégie adverse, ou du cycle de décision, ou de la sphère informationnelle, la composante violente de la guerre en est diluée. Cet état de fait a déjà été observé suite à l’étude du concept de centre de gravité qui revêt une dimension toujours moins matérielle. Depuis les années 80, ce paradigme gagne de plus en plus d’importance. Il s’agit là d’une évolution qui s’est poursuivie pendant la décennie 90. On peut y voir une réaction contre le modèle d’anéantissement. Dans ces changements, le legs de Clausewitz est loin d’être oublié même s’il est plus souvent relégué en arrière-plan.[125] Pour finir, on en vient a affirmer l’existence de trois types de stratégie : attrition, anéantissement et disruption.[126] On verra ultérieurement que ce terreau d’idées a été fertile au développement de l’école dite de la paralysie stratégique par John Boyd et John Warden.

Qu’en est-il des enseignements de Clausewitz en matière de manœuvre ? Dans le discours stratégique américain, il faut bien constater que le Prussien est peu présent en la matière.[127] Il existe pourtant quelques exceptions. Par exemple, Christopher Bassford fait remarquer la place qu’occupe les manoeuvres concentriques dans les écrits du Prussien.[128] Ensuite, il y a James J. Schneider qui évoque l’importance des opérations distribuées dans l’espace dans le Traité. Selon lui, il serait incorrect de stigmatiser Clausewitz en lui conférant le titre de penseur des armées de masses – masses devenues inertes sous leur propre poids.[129] Il faut encore mentionner un document, traduit et édité en 1984 par l’U.S. Army War College, sur base des correspondances de l’officier prussien. Le document en question a servi de fondement à une discussion sur l’apport de Clausewitz à l’art opérationnel dans le cadre d’une conférence. On y retrouve de nombreuses considérations sur les lignes intérieures, les lignes extérieures, les bases, les lignes de communication, etc.[130] Il faut encore prendre en compte l’existence d’un texte de Harold Nelson sur la relation entre le temps et l’espace chez Clausewitz. L’auteur évoque le lien très fort existant entre ses deux composantes dans On War. Harold Nelson met en évidence ce que l’on pourrait appeler la dimension morphologique du combat. Pour lui, le commandant doit tenir compte du terrain, de la vitesse, des forces en présence, des différences de niveaux – tactique, opérationnel, stratégique – pour mener à bien ses tâches. Il se sert de cette conclusion pour affirmer que la doctrine de l’armée de terre américaine, le FM 100-5 de 1982 à l’époque, a insuffisamment développé les considérations sur le temps et l’espace. Or ces considérations sont pourtant vitales sur le plan opérationnel, en particulier en vue de distinguer ce niveau du niveau tactique.[131]

Au total, la plupart du temps, les évocations en rapport avec la manoeuvre reviennent, assez naturellement, à Jomini, Liddell Hart et Sun Zi, comme c’est le cas dans le manuel FM 100-5 de 1986.[132] Régulièrement aussi, le discours stratégique américain donne plus de voix aux grands capitaines, comme Patton et Rommel, qu’aux théoriciens en matière de manœuvre.[133] Pour Patrick M. Cronin, Clausewitz donne peu d’indications sur les moyens de manœuvrer, car ce qui compterait avant tout pour lui, ce serait la précision et la supériorité dans l’application, l’ordre, la discipline, et la peur.[134]

Section 9 – Les théories de la complexité

Alan Beyerchen publia un article important sur Clausewitz et les théories non linéaires dans la revue International Security en 1992-93. Alors que les difficultés de comprendre Clausewitz avaient pour origine la nature incomplète de On War pour Raymond Aron , le manque de conscience historique pour Peter Paret, ou les changements de la guerre à travers les âges pour Michael I. Handel, Alan Beyerchen va proposer un nouveau cadre d’interprétation. Pour lui, il faut d’abord se rendre compte que notre univers intellectuel est fait d’idées de proportionnalité, de vérités simples, stables et régulières. A contrario, les théories non linéaires et de la complexité proposent un modèle reposant sur des boucles de rétroactions incessantes, des retards entre causes et effets, des changements qualitatifs et pas seulement quantitatifs dans l’évolution des phénomènes, des « effets papillons », etc. Les notions de chance, frictions et interactions présentes chez Clausewitz prennent plus d’ampleur dans ce schéma. Pour le militaire, elles permettent d’envisager une réflexion sur l’effet multiplicateur de force. On peut se servir des frictions que subit l’armée adverse à son propre avantage.[135] Les frictions peuvent être envisagées dans un sens physique mais aussi comme des « bruits » dans le système causant des distorsions et des surcharges. Ici, il n’existe pas de proportionnalité entre le degré de friction et l’impact que celles-ci peuvent produire. La chance, notion très présente dans On War, interprétée par les nouvelles théories, montre la possible amplification de microcauses. L’auteur pense qu’il serait toutefois faux de considérer que la non-linéarité s’applique partout chez Clausewitz. Alan Beyerchen insiste donc sur la nécessité de limiter la vision « prescriptive » et linéaire des théories et par conséquent de revoir les manuels militaires dans ce sens, d’approfondir la relation entre guerre et politique et de donner plus de poids non seulement à la relation du politique au militaire mais aussi à celle du militaire vers le politique. En effet, l’auteur rappelle que la guerre provient du milieu politique, politique qui en est l’environnement.[136] Dans un autre article, il met en évidence ce qu’il considère comme les trois fondements de la non-linéarité chez Clausewitz : (1) les interactions entre entités  animées, (2) les frictions, et (3) la chance. La chance est répartie en trois catégories : (1) liée aux probabilités, (2) fonction de microcauses indécelables, (3) due à des œillères analytiques.[137] Indéniablement, cette approche a l’avantage de mettre en avant le côté dynamique de la pensée de Clausewitz.[138]

L’article de Beyerchen mentionné en premier va marquer d’une pierre blanche le rapprochement entre doctrine militaire, Clausewitz et théorie de la complexité. Progressivement, la métaphore non linéaire s’introduit dans tout le discours stratégique ainsi que dans la doctrine des forces armées américaines.[139]

Il convient aussi de noter deux travaux d’importance non négligeable dans la nouvelle manière d’appréhender Clausewitz. Tout d’abord, en 1995, Robert P. Pellegrini écrit une thèse au sein de la faculté de la School of Advanced Airpower Studies à propos des liens entre science et philosophie dans les théories militaires. Le travail consiste principalement en deux analyses de cas : Clausewitz et J.F.C. Fuller. Fuller est surtout mis en relation avec Herbert Spencer, qui discuta en termes philosophiques les découvertes de Darwin. Clausewitz, lui, est placé au carrefour de l’univers intellectuel de Newton et de celui de Kant. De Kant – ou des idées de Kant diffusées à son époque, car on ne peut affirmer que Clausewitz ait lu le philosophe de première main – l’auteur retrace l’origine des concepts de génie et de morale. De Newton (et Galilée), il retrouve les frictions, le centre de gravité et la guerre conçues comme le fruit d’une trinité, objet suspendu comme un aimant entre trois masses métalliques. Robert P. Pellegrini met en évidence le rôle de la métaphore dans les travaux de Clausewitz, métaphores allant au-delà de la superficie et servant d’outils unificateurs dans On War. L’auteur utilise son analyse pour mettre en évidence le rôle de la science comme moyen de décrire la société et de développer une structure d’investigation. La science, elle-même, exerce une grande influence sur les imaginations et peut servir de modèle aux entreprises humaines. Ensuite, la philosophie, se consacrant à l’étude de la place de l’homme dans l’univers, tente de réduire le niveau d’incertitude de l’environnement. Et la théorie militaire cherche à décrire la meilleure façon de combattre dans un univers, dont la connaissance est le fruit de la science et de la philosophie. Par conséquent, l’auteur met en évidence l’utilité d’adapter les nouvelles théories de la complexité, associées aux sciences du chaos, aux théories militaires. Il insiste par exemple sur l’apport possible de la discipline dans la recherche sur l’adaptation des systèmes et ce qui peut en découler dans le commandement décentralisé.[140] En filigrane de ce document, on retrouve l’obsessionnelle question de savoir comment gérer l’incertitude à défaut de la contrôler.

Le deuxième travail est celui de Barry D. Watts. Watts a étudié la notion de friction chez Clausewitz au regard des technologies militaires disponibles aujourd’hui. Il se pose la question de savoir si l’avènement de moyens de communication et de renseignements très sophistiqués permettra à terme de mettre fin aux frictions. En reprenant les modèles des théories non linéaires, il en conclut que les frictions ne sont pas près de disparaître. Ce phénomène semble faire partie de la structure même de la guerre. Les frictions ne sont donc pas un résidu dont on peut se débarrasser par la technique. Il faut tenter de les employer à son avantage. Il importe d’augmenter les frictions, qui peuvent être cumulatives, de l’adversaire et d’essayer de réduire celles qui peuvent apparaître dans notre propre camp. Barry D. Watts en revient quasiment au point de départ de Clausewitz ; la guerre étant une activité humaine, elle continuera à baigner dans une atmosphère d’incertitude.[141]

La métaphore non linéaire s’impose de plus en plus, en particulier dans le cadre du commandement dans un environnement perçu comme chaotique. Le travail de l’officier est alors comparé au « kayakeur » qui se sert du courant et utilise les turbulences de l’eau pour avancer. Par conséquent, la planification et le commandement direct sont de plus en plus remis en question au profit d’une « direction par influence ».[142]

Section 10 – L’école de la paralysie stratégique de l’U.S. Air Force

Ces dernières années, les Etats-Unis ont été témoins d’un important regain d’intérêt pour l’arme aérienne. Dans la foulée, au sein de l’U.S. Air Force, se développe une école de pensée dite de la « paralysie stratégique », pensée qui emprunte quelques concepts aux théories du chaos. Cette école est principalement représentée par deux penseurs : John Boyd et John Warden.[143]

Tout d’abord, il faut définir la notion de paralysie stratégique. Cette notion prend racine dans la pensée stratégique classique et partage en particulier des similitudes avec les idées de Sun Zi. La clef du concept est de rendre l’ennemi impotent sans avoir à l’anéantir. Pour ce faire, il convient d’engager non seulement sa sphère physique mais surtout sa sphère mentale dans le but de briser sa volonté de combattre. L’intention s’avère non létale, quoique certains mettent plutôt en évidence la capacité technologique non létale que l’intention. L’insistance porte ensuite sur l’économie des forces et la manœuvre. La paralysie ne tombe ni dans la catégorie anéantissement, ni dans la catégorie attrition définies par Delbrück.[144] Il ne fait aucun doute que la paralysie stratégique ait trouvé un terreau fertile dans le mouvement de réforme militaire, son attachement au niveau opérationnel de la guerre et dans les effets de la manœuvre.

Pour John Warden, l’ennemi peut être représenté comme un système fait de cercles concentriques. Les cinq cercles symbolisent, de l’épicentre vers la limite extérieure : la direction, les fonctions organiques essentielles – comme le réseau de distribution électrique -, l’infrastructure, la population et les forces déployées. Chaque cible est composée de ces différents facteurs. L’analogie entre l’ennemi et le système use de la métaphore du corps humain doté d’un cerveau (la direction), de cellules (une population), de leucocytes (mécanismes de lutte contre les agressions), etc.  Pour paralyser l’ennemi, il faut donc préalablement identifier ses centres de gravité – John Warden en reconnaît un à chaque niveau des opérations – suivant la méthode d’analyse basée sur les cercles concentriques. A titre d’exemple, pour la composante aérienne, les centres de gravité sont représentés par la dotation en équipements, la logistique, la géographie, le personnel, ou la chaîne de commandement. Mais une certaine confusion existe quand l’auteur prône à la fois l’approche indirecte et la concentration des forces ou le taux d’attrition. Ensuite, il s’avère très optimiste quant aux potentialités de l’arme aérienne lorsqu’il affirme qu’un gouvernement ne peut tenir longtemps si des avions ennemis, qui disposent de la maîtrise aérienne, opèrent au-dessus de son espace aérien. Malgré tout, il constate la difficulté de briser le moral des populations par des moyens directs. Il remarque aussi qu’au niveau terrestre, la défensive est peut-être bien la forme la plus forte de la guerre. A contrario, dans le domaine aérien, la mobilité, la rapidité, et l’absence de positions fortifiées, ont tendance à donner la supériorité à l’offensive.[145] Concentration des moyens et des forces sont probablement les maîtres-mots de la pensée de John Warden.[146]

Notons que c’est à partir des théories de John Warden que fut réalisé le plan de la campagne aérienne de la guerre du Golfe. Le général Schwarzkopf rencontra John Warden et lui demanda, ainsi qu’à son équipe, d’établir un plan de bataille pour une phase initiale de guerre aérienne. Il avait été convenu de ne pas détruire l’Iraq en tant que nation. Le général Schwarzkopf pensait que l’Iraq devait continuer à exister en vue de jouer le rôle de contrepoids face à l’Iran. Le système de commandement de l’armée iraqienne fut donc choisi comme centre de gravité. Le général Schwarzkopf demanda ensuite quels seraient les objectifs prioritaires en cas de poursuite des opérations et d’invasion de l’Iraq. Warden lui répondit qu’il s’agirait de désactiver le système de défense aérien, tâche difficile, en particulier sur le sol du Koweït. Mais c’est l’officier de l’armée de terre qui insista sur la nécessité de détruire la Garde Républicaine de Saddam Hussein, en demandant l’emploi d’un véritable feu d’attrition, conduit par des B-52. Les B-52 étaient en mesure de pilonner leurs cibles en restant hors de portée du système de défense aérien irakien. Dans ses mémoires, le général Schwarzkopf avoue avoir été agacé par l’ouvrage de John Warden sur la campagne aérienne. Il comparait Warden à un nouveau Curtis LeMay – le type d’officier qui croit en la nature décisive de la puissance aérienne. Mais, il semblerait que John Warden était en fait très flexible dans sa façon de concevoir son plan.[147]

Quoi qu’il en soit, l’ouvrage de John Warden ne fait pas pour autant l’unanimité. Ce qu’il considère comme le centre de gravité de l’ennemi n’a quasiment plus rien à voir avec la définition qu’en donne Clausewitz. John Warden confond le centre de gravité et la façon dont un commandant choisit d’attaquer ou d’affaiblir l’ennemi.[148]Le centre de gravité est devenu une force autant qu’une faiblesse, en somme, une espèce de points décisifs. De plus, Warden considère avant tout de viser le centre de commandement qui n’est pas toujours l’objectif le plus important. Ensuite, il accorde trop de poids à l’aspect physique du combat. Ce n’est qu’indirectement que celui-ci se répercute dans les autres sphères. Et pour terminer, le modèle de Warden est unilatéral ; il ne prend pas en compte les mécanismes d’interactions.[149]

Ensuite, les idées de  John Boyd, elles, s’inspirent en partie des théories du chaos, mais combinent aussi des métaphores et concepts empruntés aux mathématiques, à la logique et à la thermodynamique. Plutôt que physiques et spatiales, ses idées sont psychologiques et temporelles. Pour John Boyd, les frictions doivent être employées à l’avantage du combattant, en vue de donner forme – to shape – à la bataille. Pour cela, l’adaptabilité est fondamentale. Les frictions doivent être manipulées de manière à ce qu’elles soient plus marquées pour l’adversaire. Sa théorie vise l’agilité mentale. Elle s’adresse à tous les niveaux du combat. Plutôt que de détruire le centre de gravité adverse, Boyd « retourne » Clausewitz et veut créer des centres de gravité non coopératifs en attaquant les liens entre le moral, le mental et le physique qui donnent de la cohésion à ces centres. Il se réfère largement au cycle de prise de décision qu’il nomme O.O.D.A. loop, soit Observation, Orientation, Decision, Action. C’est cette boucle qui permet au combattant de s’adapter à son environnement ; elle devient la cible primordiale. En accélérant son cycle O.O.D.A. par rapport à celui de l’ennemi, il devient possible de le déséquilibrer et de produire un niveau de frictions intenable pour lui. Le problème de cette théorie est que si l’adversaire refuse de « jouer le jeu » et tente systématiquement de ralentir le déroulement des opérations, en d’autres termes de recourir à une stratégie d’attrition, comme l’exposent par exemple les écrits de Mao Zedong, elle perd sa validité.[150] Les idées de John Boyd, quoique développées pour l’U.S. Air Force[151] ont été largement diffusées en dehors de cette arme. En effet, elles se sont avérées particulièrement intéressantes pour la doctrine manœuvrière de l’U.S. Army (voir supra sur Clausewitz et Delbrück) et apparaissent aussi dans la littérature doctrinale du Corps des Marines.[152]

En définitive, en reprenant la conclusion de David S. Fadok, John Warden s’avère un penseur très jominien alors que Boyd est nettement plus clausewitzien d’approche. Alors que Boyd reconnaît l’incertitude, Warden veut la dissoudre. De plus, Warden est très « prescriptif », tandis que Boyd est plus stimulant pour l’intellect.[153]

Au sein de l’U.S. Air Force, les théories de la complexité sont aussi reprises dans le cadre d’idées holistes sur le bombardement. En considérant la société comme « un tout interconnecté » – un réseau – il serait possible en détruisant certains points de produire des effets synergiques disproportionnés aux coûts de l’attaque. Des modèles mathématiques, biologiques et informatiques sont adaptés à ce profit. On fait également appel à des analyses de cas qui décrivent l’attaque d’un pipe-line ou d’un réseau de distribution électrique.[154] Toutes ces tentatives cherchent en fait à dépasser le modèle du centre de gravité fixe et mécanique.

Toutefois, dans la pratique, comme le mentionnait Eliot A. Cohen à propos de la guerre du Golfe, l’U.S. Air Force attache encore beaucoup trop d’importance aux destructions physiques et pas assez aux destructions fonctionnelles.[155] De plus, il est clair que le principe de concentration est encore souvent mis en valeur. L’apparition d’armes technologiquement très développées, comme les appareils furtifs, n’annule pas la valeur de ce vieux principe.[156] Les théories de la paralysie sont encore l’objet d’une critique classique : elles ne tiennent pas réellement compte de l’être humain, de ses réactions, ou de sa psychologie, en cas de bombardement.[157]

Section 11 – Remise en cause de la moralité de Clausewitz – la « guerre à zéro mort »

Il est aisé de lier les réflexions sur la paralysie stratégique avec celle de la « guerre à zéro mort » (mais aussi avec la notion de guerre juste déjà abordée, voir supra). Un des propagateurs du concept n’est autre que Edward N. Luttwak. Luttwak constate que la société américaine est de plus en plus rebelle à l’idée de risquer la vie de ses militaires. En d’autres termes, « l’utilité marginale » des hommes de troupes dans l’élaboration de la politique étrangère décline. Pour compenser cet état de fait, l’auteur pense que les forces armées de son pays doivent donc plus compter sur le matériel « utilisant » le moins possible d’hommes – ou pratiquer l’embargo. Dans ce contexte, on comprend que la puissance aérienne convienne particulièrement bien.[158]Luttwak pense malgré tout que l’utilisation de l’Airpower nécessite, comme l’embargo, beaucoup de patience avant de parvenir au résultat escompté.[159]Quoi qu’il en soit, « zéro mort » reste l’objectif à atteindre pour les forces américaines ; l’ennemi, lui, risque de plus souffrir… Il convient maintenant de se demander quelle est la place de Clausewitz dans l’édifice de Luttwak. A ce point de vue, force est de constater que pour le chercheur, Clausewitz est bien souvent synonyme du paradigme napoléonien de la guerre centré sur la bataille d’anéantissement. Or il s’agit justement du schéma que Luttwak rejette. En contrepartie du dépassement du paradigme napoléonien de la guerre, l’auteur pense que les Etats-Unis devraient s’habituer à ne pas obtenir de résultats décisifs dans les conflits où ils s’engageront.[160]

En tout cas, l’idée selon laquelle l’Airpower serait la panacée aux problèmes américains n’est pas unanimement partagée. Pour certains, l’utilisation de la puissance aérienne risquerait de toute façon de conduire à l’engagement de troupes au sol et le risque d’embourbement équivalent à celui connu au Vietnam est toujours présent. Les dirigeants américains doivent s’en rendre compte car dans le contexte des interventions liées à l’O.N.U., comme en ex-Yougoslavie, le spectre de l’échec du sud-est asiatique plane encore.[161]

De façon plus générale, la R.M.A., le développement des armes non létales, l’école de la paralysie stratégique convergent dans une même direction ; celle de la réduction des victimes américaines sur le champ de bataille.[162]Dans ce contexte, le nom de Clausewitz est encore parfois perçu comme le penseur type de la guerre napoléonienne et industrielle. On peut même retrouver le nom du Prussien lié aux sanglantes opérations du général Sherman dans sa marche vers l’Océan. Considéré comme le chantre de la bataille à tout crin, Clausewitz ne peut être, ici, qu’immoral.[163]

Section 12 – Guerre de guérilla, « conflits de basse intensité » et « opérations autres que la guerre »[164]

Après la guerre du Vietnam, les stratégistes américains garderont encore un œil attentif sur le tiers monde. La politique étrangère américaine se recentre d’abord sur le Proche-Orient. Ensuite, la guerre en Afghanistan, et l’implication soviétique dans ce conflit, renforcera l’attention portée au Sud.[165] Les réflexions sur la guerre de guérilla, la guerre limitée, les opérations autres que la guerre perdurent donc après l’engagement dans le Sud-Est asiatique. Plus proche, les conflits de basse intensité, les violences politiques internes, le terrorisme[166]ont également encouragé ces réflexions. 

Il convenait donc de se poser des questions sur le rôle de Clausewitz dans la pensée stratégique américaine liée aux opérations dites L.I.C. – Low Intensity Conflict – devenues O.O.T.W. – Operations Other Than War. D’emblée, pour Walter Laqueur, Clausewitz a sa place dans le panthéon des théoriciens de la guérilla. Il cite l’officier prussien aux côtés de Bugeaud et Callwell.[167] Quant à Michael I. Handel, il considère l’apport de Clausewitz dans la guerre de guérilla comme aussi important que celui de Mao Zedong.[168] Il arrive également que les cinq caractéristiques que Clausewitz juge nécessaires pour pratiquer une guerre populaire soient mentionnées : (1) elle doit être menée au cœur du pays ; (2) elle ne se décide pas en une bataille décisive ; (3) le théâtre des opérations doit être suffisamment grand ; (4) le caractère national doit convenir à une telle sorte de guerre ; (5) et le terrain doit être difficilement accessible.[169] De plus Clausewitz ne met pas l’emphase sur la technologie si peu présente dans la guérilla. Le discours stratégique lié aux L.I.C. et O.O.T.W. retient ensuite divers éléments du Traité : connexion entre politique et militaire, équilibre de fins et des moyens, guerre en tant qu’acte de force dont le but est de faire valoir sa volonté, etc. L’oeuvre de Clausewitz permet aussi de mieux comprendre la véritable nature des conflits. En prenant la violence comme élément central, la guerre peut être déclinée en autant de variations que d’acteurs – groupes religieux, ethniques, seigneurs de guerre, etc. – exprimant une volonté politique.[170] Face à des opérations dites humanitaires, Clausewitz oblige à ne pas perdre de vue le versant politique des conflits.

Mais pour certains, il ne faut pas aller trop loin dans cette direction. Le peacekeeping, les actions de police menées par des forces armées, l’interposition entre forces combattantes ne ressortent pas directement du concept de guerre. Il serait possible d’en discuter la place par rapport à ce que Clausewitz définit comme l’état d’observation des armées. En d’autres termes, il s’agit de ce que l’officier prussien considère comme l’état le plus faible d’opposition entre forces. Malgré tout, ces opérations sont plus démonstratives que coercitives : elles ne consistent pas réellement à asseoir leur volonté par la force sauf si on tombe dans la catégorie peace-enforcement – imposition de la paix.[171]

Quoi qu’il en soit, pour le discours stratégique américain, la démultiplication des tâches qui ne relève pas directement de combat soulève un malaise. La frontière entre mission de police et mission militaire semble devenir de plus en plus floue et le risque de politisation de l’armée est envisagé à long terme sous un jour négatif (de même que la montée en puissance des forces dans le processus de développement d’une doctrine unifiée – joint – où les différentes Armes seraient de moins en moins des contrepoids entre elles).[172]

Il conviente également de rappeler le travail de Harry G. Summers. Dans On Strategy, Summers postule que la guerre du Vietnam aurait dû être combattue comme une guerre conventionnelle – et non révolutionnaire comme le pensait le général Westmoreland. Il identifie le centre de gravité communiste au Nord-Vietnam. C’est donc là que les forces américaines devaient agir. De cette manière, la guérilla sévissant dans le Sud-Vietnam aurait été coupée de tout soutien logistique et de sanctuaire. Il considère qu’une guérilla ne peut parvenir à rien en elle-même. Les guérilleros n’ont jamais été assez puissants que pour vaincre le Sud. De plus, la guerre s’est terminée par l’arrivée de chars dans Saigon, donc des unités conventionnelles. Et pour Summers, si la guerre de Corée a bien montré aux Etats-Unis qu’il était nécessaire de mener des guerres limitées, limitées dans leur objectif politique, il n’en reste pas moins que le but des unités sur le champ de bataille est la victoire.[173] En d’autres termes, Summers refuse la nature particulière de cette guerre, réduit à néant sa dimension politique interne (par exemple le clivage religieux qui traversait la société sud-vietnamienne) et ne tient pas compte du mécanisme d’escalade régional potentiel en cas d’intervention directe sur le sol du Vietnam du Nord. On Strategy est bien symptomatique du malaise américain de pratiquer le combat sur un autre mode que celui de l’anéantissement.

Cette lecture du conflit vietnamien fera de nombreux émules, insistant tous sur le rôle de la force dans les opérations autres que la guerre.[174]Le nom de Harry G. Summers revient aussi dans les réflexions sur le rôle du soutien populaire – moral et trinité paradoxale – dans les O.O.T.W. Le soutien populaire est non seulement celui que les populations américaines doivent apporter à leur armée, mais aussi celui qu’il convient d’obtenir des pays d’accueil.[175] On retrouve une fois de plus, à ce sujet, des considérations sur la guerre juste  : le soutien nécessaire aux forces américaines ne pourrait être obtenu que si celles-ci font preuve de responsabilité morale.[176]

Section 13 – L’absence de références clausewitziennes en matière logistique

Comme le fait remarquer l’historien militaire britannique Michael Howard, Clausewitz a peut-être trop séparé les activités de guerre des autres activités militaires. Clausewitz néglige apparemment la préparation au combat. En ce sens, Clausewitz n’a peut-être pas rendu un si grand service à la stratégie. L’attention portée à la logistique s’atténue dans ce schéma.[177] Edward N. Luttwak partagera d’ailleurs cette conclusion.[178]Il est vrai que Clausewitz discute (vraiment) très peu de logistique. Jomini, par contre, a nettement plus mis en avant cette question.[179] C’est pour cette raison qu’il est plus régulièrement cité à ce propos.[180] Au total, une seule référence intéressante sur Clausewitz et la logistique a été décelée. Il s’agissait d’un auteur qui considérait que le Prussien touchait implicitement à la matière dans le sens où une bonne part de son travail relève de l’équilibre des ressources en vue d’atteindre un objectif.[181]


[1] Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[2] Bruno Colson précise que le terme grande tactique est en fait celui de Guibert et de Napoléon. De plus, la typologie ici établie oublie la politique de la guerre citée par Jomini. Colson Br., La culture stratégique américaine – L’influence de Jomini, Paris, FEDN / Economica, 1993, p. 265.

[3] Franz W.P., « Maneuver: The Dynamic Element of Combat », Military Review, mai 1983, pp. 4-5 ; Schneider J.J., « The Loose Marble – and the Origins of Operational Art », Parameters, mars 1989, p. 90.

[4] Raymond Aron  fait remarquer : Il [Clausewitz] ne veut pas admettre d’intermédiaire entre tactique et stratégie parce qu’à ses yeux on use ou des forces armées ou des combats mais qu’à ce niveau d’abstraction, à partir de la définition de la guerre [l’utilisation de la force en vue d’imposer sa volonté], il n’y a pas de troisième terme. Aron R., Penser la guerre, Clausewitz, t. I, op. cit., p. 167. Voir aussi : Sude G., « Clausewitz in US and German Doctrine », art. cit., p. 41 (il s’agit d’un officier de l’armée allemande).

[5] Matthews J.L., « Thoughts and Second Thoughts: Operationalese Mania », Army, février 1987, pp. 19-25.

[6] L’ajout de l’expression niveau opérationnel était due à la réflexion du général Glenn K. Otis dans l’édition de 1982 du FM 100-5. Romjue J.L., From Active Defense to AirLand Battle: The Development of Army Doctrine 1973-1982, op. cit., p. 61.

[7] Rampy M.R., « Campaign Planning – Paradox or Paradigm? », Military Review, août 1990, p. 42.

[8] de Czege H.W., « Clausewitz: Historical Theories Remain Sound Compass References ; The Catch Is Staying on Course », Army, septembre 1988, pp. 39-42.

[9] Voir par exemple : Mazarr M.J., The Revolution in Military Affairs: A Framework for Defense Planning, juin 1994, U.S.A.W.C., S.S.I.

[10] Romjue J.L., « The Evolution of AirLand Battle Concept », art. cit., p. 14 ; Galloway A., « FM 100-5: Who Influenced Whom? », art. cit., pp. 46-51 ; Headquarters Department of the Army, FM 100-5, Operations, 1993, pp. 2-7 ; AFDD 1, Air force Basic Doctrine, op. cit., p. 6 ; Joint Publication 1, Joint Warfare of the Armed Forces of the United States, janvier 1995, pp. I-2 et I-3.

[11] Voir par exemple : Betts R.K., Surprise Attack, op. cit., pp. 186-187 ; Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., p. 47 ; Herbig K.L., « Chance and Uncertainty in On War« , dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 95-116.

[12] Argersinger S.J., « Karl von Clausewitz: Analysis of FM 100-5 », art. cit., p. 31.

[13] Voir par exemple : Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[14] Sauf par : Ries T., « Sun Tzu et la stratégie soviétique », Revue internationale de défense, n°4, 1984, p. 390.

[15] McLendon J.W. (Col., U.S.A.F.), Information Warfare, Impact and Concerns (A research submitted to the faculty in fulfillment of the curriculum requirement), Air War College, Maxwell A.F.B., 1994, 35 p.

[16] Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[17] Rosello V.M., « Clausewitz Contempt for Intelligence », Parameters, printemps 1991, pp. 103-114.

[18] Handel M.I., « Leaders and Intelligence », Intelligence and National Security, juillet 1988, pp. 6 et 21 ; voir aussi dans le même numéro de cette revue Luvaas J., « Napoleon’s Use of Intelligence: The Jena Campaign of 1805 », Intelligence and National Security, juillet 1988, pp. 52-53. Sur Folard et le coup d’œil, voir par exemple : Chaliand G. & Blin A., Dictionnaire de stratégie militaire, Paris, Perrin, 1998, pp. 95, 101, 103, 230 et 257.

[19] Handel M.I. & Ferris J., « Clausewitz, Intelligence, Uncertainty and the Art of Command in Military Operations », Intelligence and National Security, janvier, 1995, pp. 49-54. John Ferris est professeur à l’Université de Calgary au Canada . Voir aussi Kahn D., « Clausewitz and Intelligence », dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 117-126 ; Cohen E.A., « The Mystique of U.S. Air Power », Foreign Affairs, janvier-février 1994, pp. 109-124.

[20] Handel M.I., Masters of War, op. cit., p. 131.

[21] Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., pp. 44-45 ; Newell C.R., « Fog and Friction – Challenges to Command and Control », Military Review, août 1987, pp. 18-26.

[22] Beaumont R.A., « Certain Uncertainty: Inoculating for Surprise », Air University Review, juillet-août 1984, pp. 8-16 ; Furlong R.B., « Clausewitz and Modern War Gaming », Air University Review, juillet-août 1984, pp. 4-7 ; Echevarria A.J., « Dynamic InterDimensionality: A Revolution in Military Theory », Joint Forces Quarterly, printemps 1997 (http://www.dtic.mil/doctrine/jcl/jfg-pubs/spring1997.htm) ; Lec M.J., « Clausewitz on Friction », Marine Corps Gazette, février 1999, pp. 47-48.

[23] Sullivan B.R., « The Future Nature of Conflict: A Critique of « The American Revolution in Military Affairs » in the Era of Jointry », art. cit., pp. 91-100 ; Murray W., « Clausewitz Out, Computer In – Military Culture and Technological Hubris », The National Interest, été 1997, p. 62 ; Cohen E.A., « A Revolution in Warfare », Foreign Affairs, mars-avril 1996, p. 40.

[24] Fabyanic T.A., « War, Doctrine, and the Air War College », Air University Review, hiver 1986, pp. 2-15.

[25] Luvaas J., « Thinking at the Operational Level », art. cit., pp. 2-6.

[26] King J.E., « On Clausewitz: Master Theorist of War », art. cit., pp. 18-20.

[27] Sur Clausewitz et le commandement voir : Creveld M. van, Command in War, Harvard, Harvard University Press, 1985, pp. 18 et 266.

[28] Luvaas J., « Napoleon on the Art of Command », Parameters, été 1985, p. 30.

[29] Voir par exemple : Chipman D.D., « Clausewitz and the Concept of Command Leadership », Military Review, août 1987, p. 28.

[30] Otis H.G., « Developing Military Genius », Military Review, novembre 1989, pp. 43-51. La plupart des articles tentant de condenser la pensée de Clausewitz, ou mentionnant simplement la notion de génie, n’apportent guère plus. Voir par exemple : McIsaac D., « Master at Arms: Clausewitz in Full View », art. cit., pp. 90-91 ; King J.E., « On Clausewitz: Master Theorist of War », art. cit., p. 13 ; Gibbs N.H., « Clausewitz on the Moral Forces in War », art. cit., p. 21 (Gibbs est un auteur britannique). Sur le N.T.C., voir : Bolger D.P., Dragons at War, New York, Ivy Books, 1991, 299 p. Le rôle qu’a joué ce centre dans la préparation des forces américaines avant la guerre du Golfe est souligné.

[31] Jablonsky D., « Strategy and the Operational Level: Part I », art. cit., p. 74.

[32] Voir par exemple : Moore M.K., In Search of Military Genius – Selection Criteria for Wargamers (A research paper presented to the Research Department Air Command and Staff College – In partial fulfillment of the graduation requirements of A.C.S.C.), Air War College, Maxwell A.F.B., mars 1997, 37 p.

[33] Killion Th.H., « Clausewitz and Military Genius », Military Review, juillet-août 1995, pp. 97-100.

[34] Claire Lee Chennault s’est particulièrement illustré en fondant les « Tigres Volants ». Brown Ph.N., Claire Lee Chennault: Military Genius (A research submitted to the faculty in fulfillment of  the curriculum requirement), Air War College, Maxwell A.F.B., 1995, 42 p.

[35] Foote E.P., « Drucker, Clausewitz and US … », Military Review, juillet 1980, pp. 51-54.

[36] Metz S., « The Mark of Strategic Genius », Parameters, Autumn 1991, pp. 49-59 ; Chilcoat R.A., Strategic Art: The New Discipline for 21st Century Leaders, op. cit.

[37] Rothenberg G.E., « Moltke, Schlieffen, and the Doctrine of Strategic Envelopment », dans Paret P. (dir.), op. cit., p. 296.

[38] Creveld M. van, Fighting Power, op. cit., p. 36.

[39] Bolger D.P., « Command and Control », Military Review, juillet 1990, pp. 69-79 ; Dubik J.M., « Decentralized Command – Translating Theory Into Practice », Military Review, juin 1992, pp. 27-38. Voir aussi un article publié dans la Military Review par un colonel de l’armée britannique : Rogers C.T., « Intuition: An Imperative of Command », Military Review, mars 1994, pp. 38-50.

[40] Romjue J.L., « The Evolution of AirLand Battle Concept », art. cit., p. 11.

[41] C’est principalement sur l’initiative du général Schoemaker du FORSCOM que le concept d’Auftragstaktik a été adapté au FM 100-5 de 1982. Id., From Active Defense to AirLand Battle: The Development of Army Doctrine 1973-1982, op. cit., pp. 58-59.

[42] Holly J.W., « The Forgotten Dimension of AirLand Battle », art. cit., pp. 18-25.

[43] Murray W., « Clausewitz: Some Thoughts on What the Germans Got Right », dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 267-286.

[44] Beaumont R.A., « Wehrmacht Mystique Revisited », art. cit., pp. 64-75.

[45] Romjue J.L., « The Evolution of AirLand Battle Concept », art. cit., p. 13 ; Galloway A., « FM 100-5: Who Influenced Whom? », art. cit., pp. 46-51 ; Hall W.M., « A Theoretical Perspective of AirLand Battle Doctrine », Military Review, mars 1988, pp. 36-37.

[46] Romjue J.L., From Active Defense to AirLand Battle: The Development of Army Doctrine 1973-1982, op. cit., pp. 53-55. Les références des deux ouvrages cités sont : Ardant du Picq, Battle Studies – Ancient and Modern Battle, (translated from the eight edition in the French by Greely J.N. and Cotton R.C.), Harrisburg, The Military Service Publishing Company, 1946, 273 p. ; Keegan J., The Face of Battle, 1976, New York, The Viking Press, 354 p.

[47] Betts R.K., Surprise Attack, op. cit., p. 5 ; Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., pp. 47-48 ; Vaughn Th.B., « Morale: The 10th Principle of War? », art. cit., p. 36-38 : Rinaldo R.J., « The Tenth Principle of War », art. cit., pp. 55-62 (voir aussi supra sur la trinité) ; Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit. Voir aussi un article d’un officier allemand : Zimmer W., « Clausewitz and the Human Dimension of War », Military Review, mars 1994, pp. 51-56.

[48] Argersinger S.J., « Karl von Clausewitz: Analysis of FM 100-5 », art. cit., p. 71 ; Betts R.K., « Conventional Deterrence: Predictive Uncertainty and Policy Confidence », World Politics, janvier 1985, pp. 163-164.

[49] Romjue J.L., art. cit., p. 14 ; id., From Active Defense to AirLand Battle: The Development of Army Doctrine 1973-1982, op. cit., p. 59.

[50] Headquarters, Department of the Army, FM 100-5, Operations, Washington D.C., 1986, p. 129.

[51] Headquarters, Department of the Army, FM 100-5, Operations, 1993, pp. 6-16; 6-19. Voir aussi, par exemple, pour le Corps des Marines: Headquarters United States Marine Corps, FMFM 1, Warfighting, Washington D.C., 1989, p. 24.

[52] Schneider J.J., « The Loose Marble – and the Origins of Operational Art », art. cit., p. 97.

[53] Voir aussi : Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., p. 46.

[54] Swain R.M., « The General and the Philosopher », Military Review, mai 1988, pp. 70-75.

[55] Forbes J., « On Jomini and the Stronger Form of War », Military Review, octobre 1998, p. 84.

[56] Swain R.M., « Swain Responds », Military Review, octobre 1988, p. 85.

[57] Furlong R.B., « Strategymaking for the 1980’s », art. cit., p. 13.

[58] Handel M.I., Masters of War,  op. cit., pp. 89-98 ; 213 ; 235.

[59] John L. Romjue le traduit par point d’effort principal de l’attaque – point of main effort of attack. Romjue J.L., From Active Defense to AirLand Battle: The Development of Army Doctrine 1973-1982, op. cit., p. 59.

[60] Galloway A., « FM 100-5: Who Influenced Whom? », art. cit., pp. 46-51.

[61] Schneider J.J. & Izzo L.I., « Clausewitz’s Elusive Center of Gravity », Parameters, septembre 1987, p. 48.

[62] Headquarters, Department of the Army, FM 100-5, Operations, 1993, pp. 6-7 ; 6-8.

[63] Le centre de gravité est également présent dans le nouveau FM 3-0, Operations.

[64] Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., p. 45 ; Vaughn Th.B., « Morale: The 10th Principle of War? », art. cit., p. 36 ; Schneider J.J., « Theoretical Implications of Operational Art », art. cit., p. 22 ; Argersinger S.J., « Karl von Clausewitz: Analysis of FM 100-5 », art. cit., pp. 72-73 et 75 ; Coroalles A.M., « On War in the Information Age: A Conversation With Carl von Clausewitz », Army, mai 1996, pp. 24-34 ; D’Amura R., « Campaigns: The Essence of Operational Warfare », Parameters, été 1987, p. 48 (article republié par l’U.S. Navy: The U.S. Naval War College, NWC 2040, Operations Department) ; Swain R.M., « Clausewitz, FM 100-5, and the Center of Gravity », Military Review, février 1988, p. 83 ; Metz S. & Downey F.M., « Centers of Gravity and Strategic Planning », Military Review, avril 1988, pp. 22-33 ; Tashjean J.E., « Transatlantic Clausewitz », art. cit., p. 78.

[65] Vego M., « Center of Gravity », Military Review, mars-avril 2000, pp. 23-29.

[66] Hall W.M., « Learning to Focus on Combat Power », Military Review, mars 1988, p. 68.

[67] Id., « A Theoretical Perspective of AirLand Battle Doctrine », art. cit., p. 36.

[68] Soit en français : mission, ennemi, troupes, terrain et météo, et temps disponible. de Czege H.W., « Clausewitz: Historical Theories Remain Sound Compass References ; The Catch Is Staying on Course », art. cit., p. 42.

[69] La confusion est présente dans les documents suivants : Staudenmaier W.O., « Vietnam, Mao, and Clausewitz », art. cit., p. 88 ; Hall W.M., « Learning to Focus on Combat Power », art. cit., p. 66.

[70] Schneider J.J. & Izzo L.I., « Clausewitz’s Elusive Center of Gravity », art. cit., pp. 49-52

[71] Izzo L., « The Center of Gravity is Not an Achilles Heel », Military Review, janvier 1988, pp. 76-77. (article également republié par l’U.S. Navy ; The United States Naval War College, NWC 4200, Operations Department).

[72] Voir par exemple : Dougherty K.J., « Bridging Doctrinal Concepts of The Decisive Point », Military Review, juillet-août 1995, pp. 62-65.

[73] Forbes J., « An Undeserved Aura », Military Review, juillet 1988, p. 88.

[74] Rosello V.M., « Goodbye, Center of gravity », Military Review, décembre 1990, pp. 88-89.

[75] Marcy S.A., « Operational Art: Getting Started », Military Review, septembre 1990, p. 109. Nous avons librement reproduit le schéma à partir de cet article.

[76] Furlong R.B., « Strategymaking for the 1980’s », art. cit., pp. 9-16 (aussi publié comme Instructional Circular, Department of Military Employment, Phase 1, Military Strategy, Maxwell A.F.B., Air University, A.Y. 1983-1984, p. 12.

[77] O’Dowd E. & Waldron A., « Sun Tzu for Strategists », art. cit., pp. 28-29.

[78] Mazarr M.J., The Revolution in Military Affairs, op. cit.

[79] Voir les boucles de rétroaction incomplètes chez : Hall W.M., « Learning to Focus on Combat Power », art. cit., p. 71. L’auteur reconnaît prendre des libertés par rapport à la notion de centre de gravité tel que défini par Clausewitz (p. 65).

[80] Ce point ne fait pas l’unanimité. Metz S. & Downey F.M., « Centers of Gravity and Strategic Planning », art. cit., p. 26.

[81] Giles Ph.K. & Galvin Th.P., Center of Gravity – Determination, Analysis and Application, Center for Strategic Leadership, U.S. Army War College, janvier 31 1996, Carlisle Barracks, 26 p.

[82] Pentland P., « From Center of Gravity Analysis and Chaos Theory, or How Societies Form, Function and Fail », dans Czerwinsky T., Coping With the Bounds: Speculations on Nonlinearity in Military Affairs, Washington D.C., National Defense University Press, 1998 (http://www.dodccrp.org/copind.htm). Texte initialement publié comme : Pentland P.A., Center of Gravity Analysis and Chaos Theory, or How Societis Form, Function and Fail, Master’s Thesis, Maxwell A.F.B., S.A.M.S., A.Y. 1993-1994.

[83] Possehl W.A., « To Fly and Fight at the Operational Level », art. cit., pp. 20-28.

[84] AFDD 1, Air Force Basic Doctrine, op. cit., p. 17.

[85] Giles Ph.K. & Galvin Th.P., Center of Gravity – Determination, Analysis and Application, op.cit., p. 20.

[86] Il apparaît que les idées de vulnérabilités critiques, principes de la guerre et centre de gravité ne sont pas parties intégrantes de la doctrine de l’U.S. Navy mais plutôt des déclarations majeures de politique – major statements of policy. Tritten J.J. & Donaldo L., A Doctrine Reader – The Navies of United States, Great-Britain, France, Italy and Spain, op. cit., p. 132.

[87] Operational Maneuver from the Sea, op. cit., p. 5.

[88] Giles Ph.K. & Galvin Th.P., Center of Gravity – Determination, Analysis and Application, op. cit., p. 19.

[89] Headquarters United States Marine Corps, MCDP 1-1, Strategy, 1997, pp. 86-88; Headquarters United States Marine Corps, FMFM 1, Warfighting, Washington D.C., 1989, pp. 35-36. Voir aussi : Headquarters United States Marine Corps, MCDP 1-2, Campaigning, Washington D.C., 1997, pp. 45-47

[90] Cancian M., « Centers of Gravity Are a Myth », United States Naval Institue Proceedings, septembre 1998, vol. 124/9/1, 147 (voir site : http://www.usni.org/Proceedings/PROcancian.htm) (Colin L. Powell Joint Warfighting Essay Contest Second Honorable Mention).

[91] Joint Publication 1, Joint Warfare of the Armed Forces of the United States, janvier 1995, pp. II-8, III-9, IV-2, IV-9, A-2, A-3 ; Joint Doctrine Capstone and Keystone Primer, juillet 1997, pp. A-7 ; A-8 ; AFSC Pub. 1, The Joint Staff Officer’s Guide 1997, National Defense University, Armed Forces Staff College, Norfolk, VA, p.0-5 (dans le glossaire de ce dernier manuel).

[92] Fritz N.H., « Clausewitz and U.S. Nuclear Weapons Policy », art. cit., p. 26.

[93] Metz S. & Downey F.M., « Centers of Gravity and Strategic Planning », art. cit., p. 27.

[94] Mendel W.W. & Tooke L., « Operational Logic: Selecting the Center of Gravity », Military Review, juin 1993, p. 6

[95] Blumenson M., « Deaf Ear to Clausewitz: Allied Operational Objectives in World War II », Parameters, été 1993, p. 26.

[96] Chilcoat R.A., Strategic Art: The New Discipline for 21st Century Leaders, op. cit.

[97] Les concepts de point culminant de l’attaque et / ou point culminant de la victoire sont très proches chez Clausewitz. Echevaria A.J. II, « Clausewitz: Toward a Theory of Applied Strategy », art. cit.

[98] Hall G.M., « Culminating Points », Military Review, juillet 1989, pp. 78-86. (article également republié par l’U.S. Navy ; The United States Naval War College, NWC 4201, Operations Department).

[99] Galloway A., « FM 100-5: Who Influenced Whom? », art. cit., pp. 46-51 ; Headquarters, Department of the Army, FM 100-5, Operations, Washington D.C., 1986, p. 109 ; Headquarters, Department of the Army, FM 100-5, Operations, 1993, p. 6-8 ; Headquarters United States Marine Corps, FMFM 1, Warfighting, Washington D.C., 1989, p. 26 ; Headquarters United States Marine Corps, MCDP 1-1, Strategy, 1997, p. 27. Dans ce dernier document, il est quasiment considéré sous l’angle de la grand strategy, dans les relations entre nations et pas sur le champ de bataille.

[100] AFDD 1, Air Force Basic Doctrine, op. cit., pp. 41-42.

[101] Tashjean J.E., « The Classics of Military Thought: Appreciations and Agenda », art. cit., p. 254.

[102] Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[103] Id., Masters of War, op. cit., pp. 99-120.

[104] Tashjean J.E., « The Short-War Antinomy Resolved: or from Homer to Clausewitz », Defense Analysis, août 1992, pp. 165-171.

[105] Luttwak E.N., Le paradoxe de la stratégie, (The Logic of Peace and War, 1987 – traduit de l’américain par Saporta M.), Paris, Editions Odile Jacob, 1989, pp. 317-318.

[106] Sur la vie de Delbrück, voir : Bauer R.H., « Hans Delbrück (1849-1929) » dans Schmitt B.E. (Edited by), Some Historians of Modern Europe, Chicago, University of Chicago Press, 1942, pp. 100-129.

[107] Le titre de cet ouvrage, jamais traduit en français, pourrait être : Histoire de l’art de la guerre dans le cadre de l’histoire politique. L’édition originale en allemand comprenait sept volumes mais seuls les quatre premiers peuvent être réellement considérés comme ceux de Delbrück. Les cinquième (1928) et sixième (1932) volumes ont été écrits par Emil Daniels et le septième (1936) par Emil Daniels et Otto Haintz. Sur Delbrück, Clausewitz et l’histoire, voir par exemple : Gilbert F., « From Clausewitz to Delbrück and Hintze: Achievements and Failure of Military History », dans Perlmutter A. & Gooch J., Strategy and The Social Sciences, op. cit., pp. 11-20.

[108] Delbrück H. (edited and translated by Bucholz A.), Delbrück Modern Military History, Lincoln et Londres, University of Nebraska Press, 1997, p. 39.

[109] Craig G.A., « Delbrück: The Military Historian », dans Paret P. (dir.), op. cit., pp. 326-330 ; 341-342.

[110] Rosinski H., « Scharnhorst to Schlieffen: The Rise and Decline of German Military Thought », art. cit., p. 92. Il semblerait que Michael Howard pratique parfois la confusion. Voir, par exemple : Howard M., « When Are Wars Decisive? », Survival, printemps 1999, p. 128 (initialement texte d’une conférence à l’I.I.S.S., en septembre 1998).

[111] Certains auteurs font remonter le concept d’attrition à Clausewitz sans mentionner Delbrück. Voir par exemple : Tooke L., « Blending Maneuver and Attrition », Military Review, mars-avril 2000, pp. 7-13.

[112] Weigley R.F., The American Way of War, op. cit., p. xxii.

[113] Luttwak E.N., « The Operational Level of War », art. cit., pp. 61-79 ; id., « The American Style of Warfare and the Military Balance », art. cit., pp. 57-60.

[114] Mearsheimer J.J., « Maneuver, Mobile Defense, and the NATO Central Front », art. cit., p. 121.

[115] Hughes D.J., « Whence Military Doctrine? » Military Review, octobre 1988, p. 73.

[116] Mearsheimer J., Conventional Deterrence, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 1983, 295 p.

[117] Headquarters United States Marine Corps, FMFM 1, Warfighting, 1989, p. 28 ; Headquarters United States Marine Corps, MCDP 1-1, Strategy, 1997, pp. 58-60. Notons que certains postulent même que pour la stratégie d’anéantissement ou d’attrition – exhaustion – le but est identique, il s’agit de posséder le terrain, seuls les moyens changeraient. Jones A., « Jomini and the Strategy of the American Civil War, A Reinterpretation », art. cit., p. 127.

[118] Naval Doctrine Publication 1, op. cit.

[119] Antal J.F., « Maneuver versus Attrition – A Historical Perspective », Military Review, octobre 1992, pp. 22-25 et 31.

[120] Jablonsky D., « Strategy and the Operational Level of War : Part I », art. cit., p. 62

[121] Romjue J.L., « The Evolution of AirLand Battle Concept », art. cit., p. 14.

[122] Handel M.I., Masters of War, op. cit., p. 86 ; id., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[123] (Traduit par nous). The defender disrupts the attacker’s tempo and synchronization by countering his initiative and preventing him from massing overwhelming combat power. Defending commanders also use disruption to attack the enemy’s will to continue. They do this by defeating or misleading enemy reconnaissance forces, separating the enemy’s forces, isolating his units, and breaking up his formations so that they cannot fight as part of an integrated whole. The defender interrupts the attacker’s fire support, logistics support, and C². He deceives the enemy as to his true dispositions and intentions, unravels the coordination of the enemy’s supporting arms, and breaks the tempo of the offesinve operations. The attacker is never allowed to get set. He is hit with spoiling tax before he can focus his combat power and is counterattacked before he can consolidate any gains. Headquarters, Department of the Army, FM 100-5, Operations, 1993, p. 9-1.

[124] Voir par exemple : Furlong R.B., « Strategymaking for the 1980’s », art. cit., pp. 13-14 ; Wriston W.B., « Bits, Bytes, and Diplomacy », Foreign Affairs, septembre-octobre 1997, p. 180 ; Ronfeldt D. & Arquilla J., « Cyberwar Is Coming! », The Journal of Comparative Strategy, vol. 12, n°2, 1993, pp. 141-165 ; Rampy M.R., « Campaign Planning – Paradox or Paradigm? », art. cit., p. 43.

[125] Voir par exemple : Henry R. & Peartree C.E., « Military Theory and Information Warfare », Parameters, Autumn 1998, pp. 121-135 ; Argersinger S.J., « Karl von Clausewitz: Analysis of FM 100-5 », art. cit., p. 73.

[126] Taylor J.W., « Strategic Military Employment Options: Theory and Application », Comparative Strategy, 1991, vol. 10, n°2, pp. 155-164.

[127] Voir par exemple : Rothenberg G.U., « Maurice of Nassau, Gustavus Adolphus, Raimondo Montecuccoli, and the « Military Revolution » of the Seventeenth Century », dans Paret P. (dir.), Makers of Modern Strategy, op. cit., p. 56.

[128] Bassford Ch., Jomini and Clausewitz: their interaction, op. cit.

[129] Schneider J.J., « The Loose Marble – and the Origins of Operational Art », art. cit., pp. 85-99.

[130] Le document en question est Clausewitz C. von (édité et traduit par Paret P. et Moran D.), Two Letters on Strategy, op. cit., 46 p. Franz P. Wallace, « Two Letters on Strategy: Clausewitz’ Contribution to the Operational Level of War », dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 171-194.

[131] Nelson H.W., « Space and Time in On War« , dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 134-149.

[132] Galloway A., « FM 100-5: Who Influenced Whom? », art. cit., pp. 46-51 ; Aucoin G.C. Jr., « Clausewitz or Jomini », Marine Corps Gazette, août 1988, pp. 102-104.

[133] Par exemple : Helms R.F., « The Indirect Approach », art. cit., pp. 2-9.

[134] Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., p. 46.

[135] Voir aussi : Jervis R., « Complex System: The Role of Interactions », dans Czerwinski Th.J. & Albert D.S. (dir.), Complexity, Global Politics, and National Security, National Defence University, 1997, Washington D.C. (voir site : www.ndu.edu/ndu/inss/books/complexity/ch03.htm).

[136] Beyerchen A.D., « Clausewitz, Nonlinearity and the Unpredictability of War », International Security, hiver 1992-93, pp. 59-90 (article reproduit dans: Czerwinski T., Coping With the Bounds: Speculations on Nonlinearity in Military Affairs, op. cit.

[137] Id., « Clausewitz, Nonlinearity, and the Importance of Imagery », dans Czerwinski Th.J. & Albert D.S. (dir.), Complexity, Global Politics, and National Security, op. cit.

[138] Il ne fallait toutefois pas attendre ces théories pour arriver à ce résultat si l’on constate, par exemple, les réflexions d’un officier allemand : Hobe W. von (German Army), « Clausewitz », Military Review, mars 1981, pp. 56-61.

[139] A titre d’exemple voir Joint Doctrine Capstone and Keystone Primer, juillet 1997, p. A-9, ainsi que les plus récentes livraisons de la revue Joint Forces Quarterly.

[140] Pellegrini R.E., The Links Between Science and Philosophy and Military Theory: Understanding the Past ; Implications for the Future (A Thesis Presented to the Faculty of the School of Advanced Airpower Studies), Air University, Maxwell A.F.B., 1995, 97 p.

[141] Watts B.D., Clausewitzian Friction and Future War, National Defense Washington D.C., University / INSS, 1996, 133 p. (il existe une nouvelle version de ce document datant de 2000).

[142] Czerwinski Th.J., « Command and Control at the Crossroads », Parameters, automne 1996, pp. 121-132. Article reproduit dans : id., Coping With the Bounds: Speculations on Nonlinearity in Military Affairs, op. cit. Voir aussi : Schmitt J.F., « Command and (Out of) Control: The Military Implications of Complexity Theory » dans le même ouvrage.

[143] Notons également la publication des travaux suivants : Pape R.A., « Coercion and Military Strategy: Why Denial Works and Punishment Doesn’t », The Journal of Strategic Studies, décembre 1992, pp. 423-475 ; Luttwak E., La renaissance de la puissance aérienne stratégique, (Traduit de l’américain par un groupe de stagiaires Air du Collège Interarmées de Défense, sous la direction du colonel F. Lenne), Paris, Economica / ISC / FED, 1998, 156 p.

[144] Fadok J.S., John Boyd and John Warden: Airpower’s Quest for Strategic  Paralysis, Paper, The School of Advanced Airpower Studies, 1994, pp. 7-16 (sur Delbrück, voir supra).

[145] Nous retrouvons aussi cette opinion dans : Meilinger Ph.S., Ten Propositions Regarding Airpower, op. cit.

[146] John Warden III, La campagne aérienne – planification en vue du combat, (The Air Campaign: Planning for Combat, publié par la National Defense University en  1988 – traduit de l’américain et préfacé par Steininger Ph.), Paris, Economica / ISC, 1998, 206 p. L’ouvrage comprend également la traduction de l’article « The Enemy as a System » (« L’ennemi en tant que système ») publié au printemps 1995 par l’Airpower Journal. L’article a été traduit par le Comité de réflexion et d’études stratégiques aérospatiales de l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air (pp. 175-199). (pp. 25 ; 52-53 ; 56-57 ; 64-65 ; 80-81 ; 182 ; 186).

[147] Schwarzkopf H.N. (written with Petre P.), It Doesn’t Take a Hero – The Autobiography, op. cit., pp. 318-320. Voir aussi : E.C.L., « From Obscurity to Omnipotence : Theory Influences the Air War », Army, mars 1991, pp. 16-18. 

[148] Murphy T.G., « A Critique of The Air Campaign« , Airpower Journal, printemps 1994 (http://www.132.60.140.12/airchronicles/apj/apj94/murphy.htm).

[149] Fadok J.S., John Boyd and John Warden: Airpower Quest for Strategic Paralysis, op. cit., pp. 40-41.

[150] Ibid., 1994, pp. 17-29.

[151] On les retrouve par exemple dans le manuel AFDD 1, Air force Basic Doctrine, op. cit., p. 32.

[152] Lind W.S., « Defining Maneuver Warfare for the Marine Corps », Marine Corps Gazette, mars 1980, p. 56 ; Headquarters United States Marine Corps, MCDP 1-1, Strategy, 1997, pp. 80-82.

[153] Fadok J.S., John Boyd and John Warden: Airpower Quest for Strategic Paralysis, op. cit., pp. 48-49.

[154] Voir : Rinaldi S.M., Beyond the Industrial Web: Economic Synergies and Targeting Methodologies (A thesis presented to the faculty of School of Advanced Airpower Studies for completition of graduation requirements), School of Advanced Airpower Studies, Air Command and Staff College, Air University, Maxwell A.F.B., juin 1994, 115 p.

[155] Cohen E.A., « The Mystique of U.S. Air Power », art. cit., pp. 119-124.

[156] Mann E., « One Target, One Bomb – Is the Principle of Mass Dead? », Airpower Journal, printemps 1993, pp. 13-20. (article reproduit dans la Military Review de septembre 1993).

[157] Fracker M.L., « Psychological Effects of Aerial Bombardment », Airpower Journal, automne 1992, pp. 56-67.  

[158] Luttwak E.N., « A Post-Heroic Policy », Foreign Affairs, juillet-août 1996, pp. 33-44. Voir aussi : id., « From Vietnam to Desert Fox: Civil-Military Relations in Modern Democraties », Survival, printemps 1991, pp. 99-112.

[159] Edward N. Luttwak n’était pourtant pas un partisan de l’idée d’Airpower comme moyen décisif. Au contraire, il pensait plutôt qu’aucune arme seule ne peut se prévaloir de ce statut, même pas l’arme nucléaire. Luttwak E.N., Le paradoxe de la stratégie, op. cit., pp. 208-225. Dans un ouvrage plus récent, il se montrera par contre beaucoup plus positif à l’égard de la puissance aérienne. Luttwak E., La renaissance de la puissance aérienne stratégique, op. cit.

[160] Id., « Toward Post-Heroic Warfare », art. cit., pp. 109-122. Voir aussi : id., The Grand Strategy of the Roman Empire, Londres, The Johns Hopkins University Press, 1976, pp. ix et xi ; id., La renaissance de la puissance aérienne stratégique, op. cit., p. 97.

[161] Cerami J.R., « Presidential Decisionmaking and Vietnam : Lessons for Strategists », art. cit.

[162] Sullivan B.R., « The Future Nature of Conflict: A Critique of « The American Revolution in Military Affairs » in the Era of Jointry », art. cit., pp. 91-100. A propos des armes non létales voir : TRADOC Pamphlet 525-73, Military Operations – Concepts for Nonlethal Capabilities in Army Operations, Dpt. of the Army, H.Q. U.S. Army, Training and Doctrine Command, Fort Monroe, VA 23651-5000, premier septembre 1996 ou l’ouvrage de vulgarisation Toffler A. & H., Guerre et contre-guerre, op. cit., 431 p.

[163] Mattox J.M., « Fifth-Century Advice for 21st Century Leaders », art. cit., pp. 73-80.

[164] O.O.T.W. signifie Operations Other Than War, que nous traduirons en français opérations autres que la guerre. Ce concept récent recouvre en fait une grande quantité d’opérations : guérilla, contre-guérilla, lutte anti-subversive, maintien de la paix, lutte contre le narcotrafic, guerre psychologique, etc.

[165] Atkeson E.B., « International Crises and the Evolution of Strategy and Forces – Part II », Military Review, novembre 1975, pp. 47-55.

[166] Sur les conflits contemporains, voir par exemple : Balencie J.-M., de La Grange A. (sous la direction de), Rufin J.-C. (présenté par), Mondes rebelles, guerres civiles et violences politiques, Paris, Editions Michalon, 1999 (édition revue et augmentée), 1561 p.

[167] Laqueur W., « The Origin of Guerilla Doctrine », The Journal of Contemporary History, juillet 1975, p. 356. Opinion partagée par le spécialiste allemand de Clausewitz, Werner Hahlweg. Hahlweg W., « Clausewitz and Guerilla Warfare », dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 127-133.

[168] Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[169] Townsend P.L., « Clausewitz Would Have Wondered at the Way We Fought in Vietnam », Marine Corps Gazette, juin 1978, pp. 55-57.

[170] Sullivan G.R. & Dubrik J.M., « Land Warfare in the 21st Century », Military Review, septembre 1993, pp. 20-21.

[171] Swain R.M., « Square Pegs for Round Holes – Low Intensity Conflict in Army Doctrine », Military Review, décembre 1987, pp. 10-11 et 14.

[172] Dunlap Ch.J., « The Origins of the American Military Coup of 2012 », Parameters, hiver 1992-93, pp. 2-20 ; Ricks Th.E., « Colonel Dunlap’s Coup », The Atlantic Monthly, janvier 1993, pp. 23-25.

[173] Summers H.G., On Strategy, op. cit., 224 p.

[174] Voir par exemple, avec citation de Clausewitz : Lacey B.P., Bartan Th.L., Hoehl R.F., Furgurson G.H. III, & Sissoko M., Peace Operations: A New Use of Force?, (A Research Paper Presented to the Director of Research Air Command and Staff College, In Partial Fulfillment of the Graduation Requirement of A.C.S.C.), avril 1996, p. 83.

[175] On notera qu’il existe toute une littérature doctrinale à ce sujet. Littérature qui concerne les opérations dites de Public Affairs (affaires publiques) et Civil Affairs (affaires civiles). Citons par exemple : Joint Pub. 3-57, Joint Doctrine for Civil Military Operations, 8 février 2001 ; Joint Pub. 3-61, Doctrine for Public Affairs in Joint Operations, 14 mai 1997 ; FM 46-1, Public Affairs Operations, 30 mai 1997 ; Air Force Doctrine Document (AFDD) 2-54, Public Affairs Operations, 25 octobre 1999 ; MCWP 3-33.3, Marine Corps Public Affairs, U.S. Marine Corps, 18 janvier 2000 ; etc.

[176] Fromm P., « War and OOTW », Military Review, septembre-octobre 1995, pp. 57-62.

[177] Howard M., « The Forgotten Dimensions of Strategy », art. cit., pp.  975-986.

[178] Luttwak E.N., Le paradoxe de la stratégie, op. cit., 332 p.

[179] Voir : Colson B., La culture stratégique américaine, op. cit., pp. 295-296 ; (et par exemple) Krause M.D., « Getting to Know Jomini », Joint forces Quarterly, printemps 1995, p. 126.

[180] Le lecteur intéressé par les problèmes de logistique pourra consulter : Creveld M. van, Supplying War, Cambridge, Cambridge University Press, 1977, (sur Clausewitz et la logistique) pp. 70-71.

[181] Newell C.R., The Framework of Operational Operation, Londres et New York, Routledge, 1991, p. 99.

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Chapitre 7 – Retour au cas Liddell Hart

En 1977, Liddell Hart est encore présenté très positivement dans un ouvrage que lui consacre l’historien britannique Brian Bond.[1] Mais en 1988, John J. Mearsheimer publiait une étude franchement critique sur l’inventeur de l’approche indirecte. Mearsheimer remet en évidence l’aura ternie du Britannique lors de la Seconde Guerre mondiale. Hore-Belisha, alors ministre de la Défense en Grande-Bretagne, et Liddell Hart se virent, en quelque sorte, accusés du désastre du début de la guerre sur le front de l’Ouest.[2] Pour Mearsheimer, après la guerre Liddell Hart chercha à reconstruire sa réputation et ce en employant des techniques pas très éloignées de la fraude intellectuelle. Ainsi, le livre publié aux Etats-Unis sous le titre The German Generals Talk, construit à partir d’interviews d’officiers allemands, est d’abord pointé du doigt (celui-ci avait déjà été critiqué lors de sa publication) ; n’est-ce pas plutôt Liddell Hart qui parle par la bouche de ces généraux ?[3] L’apogée de la reconstruction de la réputation de Liddell Hart correspond, pour John J. Mearsheimer, à la publication de l’ouvrage The Theory and Practice of War. Un ouvrage composé en l’honneur de Liddell Hart pour son septantième anniversaire. Les chapitres étaient signés par une brochette de célébrités dans le milieu de la défense, de l’histoire militaire et de spécialistes des questions de sécurité : André Beaufre, Peter Paret, Michael Howard, Yigal Alon, Henry Kissinger, Alastair Buchan, etc. Mearsheimer met aussi en évidence les multiples contacts de Liddell Hart avec Paul Kennedy, Briand Bond, Jay Luvaas, Corelli Barnett, etc. Liddell Hart est parvenu à se refaire une réputation en devenant une référence obligatoire lorsque l’on écrivait sur l’histoire militaire européenne de la première moitié du XXe siècle.[4]

Dans un article publié en mars 1990 dans la revue Parameters, Jay Luvaas évaluait la thèse de John J. Mearsheimer. Jay Luvaas a bien connu B.H. Liddell Hart chez qui il a vécu plusieurs semaines en 1961, alors qu’il réalisait des recherches en Grande-Bretagne. Il rend honneur à l’historien britannique mais critique néanmoins certains de ses travers. Il affirme que B.H. Liddell Hart pouvait changer d’opinion dans une conversation mais une fois son opinion publiée, jamais.[5] Enfin, pour Brian Reid, la manie de Liddell Hart de contrôler tout ce qui était publié à son propos relève surtout d’un manque de confiance en soi. Malgré tout, pour Reid, Liddell Hart et J.F.C. Fuller restent d’excellents maîtres à penser en ce qui concerne la manœuvre, l’impact de la technique sur le champ de bataille et la prospective.[6]

On assiste donc bien à une remise en cause du statut de Liddell Hart aux Etats-Unis pendant ces années. Pourtant, les Américains étaient déjà au courant des limites de la réputation de Liddell Hart. Déjà assez tôt après la Seconde Guerre mondiale, le statut de Liddell Hart « prophète de la Blitzkrieg » est remis en cause.[7] Le modèle de la Blitzkrieg ne serait pas directement lié aux idées de B.H. Liddell Hart et J.F.C. Fuller mais plutôt d’une approche générale partagée au sein de l’armée allemande, souple et peu codifiée.[8] Il y a aussi la remise en cause de l’influence de Liddell Hart sur Patton et McArthur. Il est par exemple connu que Patton a lu de très nombreux livres d’histoire militaire et, bien qu’il rencontra Liddell Hart au moins à deux reprises pendant la Seconde Guerre mondiale, il semble que c’est Liddell Hart qui revendiqua cette influence plus que Patton ne la mentionna.[9]

Néanmoins, Liddell Hart gardera ses adeptes et aura même un impact certain sur le développement de la pensée opérationnelle américaine.[10] Il est par exemple clair que les éditions du FM 100-5 de 1982, 1986 et 1993 pillent allègrement ses idées, principalement les concepts d’approche indirecte et de torrent en crue. Liddell Hart y sert de complément à Clausewitz. Alors que le Prussien accorde beaucoup d’importance à la violence sur le champ de bataille, l’historien britannique « corrige » cette tendance par l’approche indirecte. La réflexion des deux penseurs est mise en relation avec les notions d’agilité, d’initiative, de synchronisation et de profondeur. L’importance à accorder aux destructions physiques autant que morales est aussi évoquée au travers de l’historien britannique.[11] Liddell Hart fait également recette au TRADOC où il est cité par le général Starry et, plus tard, dans une circulaire de cet organisme.[12]

Ensuite, dans un article publié en 1986 dans la Military Review, Jerry D. Morelock condense le parcours du théoricien britannique. Ce texte est un excellent résumé des concepts développés par B.H. Liddell Hart : approche indirecte, torrent en crue, objectifs alternatifs, engagement limité, l’homme dans le noir – man in the dark, qui consiste à trouver l’ennemi, le fixer, manœuvrer pour le menacer, exploiter par l’attaque toute ouverture.[13] Qui plus est, Jay Luvaas, dans une critique de l’ouvrage Strategy, écrira que Liddell Hart aurait très probablement apprécié les éditions du FM 100-5 mentionnant l’approche indirecte. Toutefois, il aurait été déçu de constater que l’exemple historique qui en était donné est celui de la bataille de Vicksburg. Lors de cette bataille, Grant tenta plusieurs fois l’approche directe avant de choisir une autre méthode.[14] Notons aussi que, parfois, l’approche indirecte est mentionnée sans références explicites à Liddell Hart.[15]

Au total, on peut affirmer que le nom de Liddell Hart reste encore bien ancré dans la pensée stratégique américaine et ce malgré les critiques que l’on peut formuler à l’égard de ce dernier. Il est donc temps de se demander si cette réputation de Liddell Hart après la guerre du Vietnam a porté préjudice à Clausewitz. La réponse paraît négative. En effet, le discours stratégique américain se révèle capable de combiner des pensées à première vue complètement divergentes. A titre d’exemple, indiquons que le général R.B. Furlong s’est servi des idées de l’historien pour expliquer le concept clausewitzien de centre de gravité.[16]

De plus, le rôle que Liddell Hart a joué dans la négation de l’œuvre de Clausewitz, et sa lecture superficielle du Traité, est maintenant assez largement diffusée dans le discours stratégique américain. La mauvaise compréhension de Clausewitz par Liddell Hart et J.F.C. Fuller a été particulièrement bien décrite par Jay Luvaas. Pour ce dernier, Liddell Hart s’avère plus proche, dans son approche, de Jomini, voire même de Schlieffen qui utilisa l’exemple historique de la bataille de Cannes pour élaborer le fameux plan qui porte son nom. Si Liddell Hart et J.F.C. Fuller ont insuffisamment compris Clausewitz, c’est parce qu’ils ne l’ont pas réellement lu, ou pas assez lu.[17]

La thèse de Christopher Bassford montre la relation entre Liddell Hart et Clausewitz sous un jour différent et complète la vision de Mearsheimer. Pour lui, Liddell Hart a avant tout réaffirmé les idées de Clausewitz en les présentant sous une autre lumière. Bien sûr, certaines critiques que l’historien britannique adresse au Prussien sont devenues caricaturales et simplificatrices, mais Bassford distingue parfois une compréhension plus fine de Clausewitz par Liddell Hart. Et Christopher Bassford en vient à se demander si Liddell Hart ne fut pas gêné par la stature du Prussien pour s’affirmer lui-même.[18]

Notons aussi que le nom de Liddell Hart revient également à côté de celui de Clausewitz à propos de la problématique de la grande stratégie. Pour Martin Kitchen, Liddell Hart a introduit le niveau Grand Strategy par réaction envers Clausewitz. Alors que la stratégie est étroitement confinée à son aspect militaire, la Grand Strategy, terme aux limites floues, se charge non seulement de la stratégie en temps de guerre mais aussi en temps de paix.[19] Dans un ouvrage collectif, sous la direction de Paul M. Kennedy sur la Grand Strategy, le nom de Liddell Hart revient à plusieurs reprises, parfois aux côtés de Clausewitz. La combinaison des deux penseurs permet de poser des jalons à la fois à partir de l’idée de la guerre comme continuation de la politique, chez Clausewitz, et l’ouverture de ce paradigme par les idées de Liddell Hart sur le rôle des autres outils de la grande stratégie, la diplomatie par exemple.[20] En d’autres termes, Liddell Hart n’aurait fait qu’adapter la Formule. Notons que Paul M. Kennedy dédiera son ouvrage Strategy and Diplomacy à B.H. Liddell Hart. On trouvera aussi des références bibliographiques à des ouvrages de B.H. Liddell Hart dans The Rise and Fall of the Great Powers. Toutefois, quelques textes poseront la question de la validité de l’approche indirecte à tous les niveaux – de la tactique à la Grand Strategy.[21]

En conclusion, le discours stratégique américain a tendance à ne pas opposer Clausewitz et B.H. Liddell Hart. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, Liddell Hart reste célèbre pour son approche indirecte. Les Américains insistent plutôt sur la différence de perspective de chacun des deux penseurs. Liddell Hart ouvre plus largement son analyse à la diplomatie, la guerre économique, la guerre navale, etc. Clausewitz centre son étude sur le phénomène de la bataille et son interaction avec le politique.[22] B.H. Liddell Hart est parfois comparé à Jomini pour son approche didactique, « prescriptive » et réductionniste.[23] Or, le discours stratégique américain recherche aussi à concilier les idées de Jomini avec celles de Clausewitz.

[1] Bond B., Liddell Hart – A Study of his Military Thought, Londres, Cassell, 1977, 289 p.

[2] Gibson I.M., « Maginot et Liddell Hart : la doctrine de la défense », dans Mead Earle E. (éd.), Les maîtres de la stratégie, vol. 2, De la fin du XIXe siècle à Hitler, (Makers of Modern Strategy, 1943 – traduit de l’américain par Annick Pélissier), Paris, Berger-Levrault, 1980, pp. 99-121. Le nom de l’auteur, Irving M. Gibson est en fait un pseudonyme pour le professeur A. Kovacs. Higham R., The Military Intellectuals in Britain : 1918-1939, New Brunswick, Rutgers University Press, 1966, p. 47.

[3] Depuis lors, la thèse selon laquelle Liddell Hart a surévalué son importance dans la création de la Blitzkrieg a encore été revue, en sa faveur, par Azar Gat : « British Influence and the Evolution of the Panzer Arm: Myth or Reality? Part I », War in History, avril 1997, pp. 150-173 ; « British Influence and the Evolution of the Panzer Arm : Myth or Reality ? Part II », War in History, juillet 1997, pp. 316-338 ; « Liddell Hart’s Theory of Armoured Warfare: Revising the Revisionists », The Journal of Strategic Studies, mars 1996, pp. 1-30.

[4] Mearsheimer J.J., Liddell Hart and the Weight of History, op. cit., pp. 208-216. John J. Mearsheimer sera sceptique envers une défense de l’OTAN par la manoeuvre. Il compare ce modèle à celui de Liddell Hart, la bataille non-sanglante – bloodless victory – et remet en cause sa validité. Id., « Maneuver, Mobile Defense, and the NATO Central Front », art. cit., pp. 104-122. Notons aussi qu’à la lueur d’un article publié en 1954 dans la revue World Politics, nous nous demandons qui, de Liddell Hart ou des généraux allemands, utilisa le plus l’autre dans le but de se réhabiliter (voir : Speier H., « German Rearmament and the Old Military Elite », World Politics, janvier 1954, pp. 147-168). On constatera également que la réputation de Liddell Hart est encore très grande en Grande-Bretagne comme le témoignent divers articles : Terraine J., « History and the Indirect Approach », Journal of the R.U.S.I., juin 1971, pp. 44-49 ; Thorne I.D.P., « Interpretations: Liddell Hart After Fifteen Years », Journal of the R.U.S.I., décembre 1985, pp. 48-51 ; O’Neill R., « Liddell Hart Unveiled », Army Quaterly and Defence Journal, janvier 1990, pp. 7-19. Ce dernier article tente de relativiser la critique de Mearsheimer.

[5] Luvaas J., « Liddell Hart and the Mearsheimer Critique: A « Pupil’s » Retrospective », Parameters, mars 1990, p. 17.

[6] Reid B.H., « J.F.C. Fuller and B.H. Liddell Hart: A Comparaison », Military Review, mai 1990, pp. 64-73.

[7] Voir par exemple : Icks R.J., « Liddell Hart: One View », Armor, novembre-décembre 1952, pp. 25-27 ; Blumenson M. & Stokesbury J.L., « The Captain Who Taught Generals », Army, avril 1970, pp. 59-63.

[8] Hughes D.J., « Abuses of German Military History », art. cit., pp. 70.

[9] Dietrich S.E., « To Be Succesful Soldier, You Must Know History – (review essay: The Patton Mind », art. cit., p. 68 ; Mearsheimer J.J., Liddell Hart and the Weight of History, op. cit., pp. 205-206. A partir de la biographie de MacArthur par William Manchester, nous n’avons aucune trace de commentaires allant dans le sens d’une influence quelconque de B.H. Liddell Hart chez l’officier américain. Manchester W., MacArthur – Un césar américain, (traduit de l’américain, American Caesar, 1978), Paris, Robert Laffont, 1981, 618 p.

[10] Ainsi, voir par exemple l’article positif de : Pickett G.B. Jr., « Basil Liddell Hart Much to Say to The ‘Army of ’76′ », Army, avril 1976, pp. 29-33 ; Swain R.M., « B.H. Liddell Hart and the Creation of a Theory of War, 1919-1933 », Armed Forces and Society, automne 1990, pp. 35-51. Un article de Liddell Hart B.H. est également republié dans la Marine Corps Gazette : « Marines and Strategy », Marine Corps Gazette, janvier 1980, pp. 22-31. Christopher Bassford semble indiquer que l’influence de Liddell Hart a été particulièrement prégnante parmi les fusiliers marins. Bassford Ch., Clausewitz in English, op. cit., p. 132.

[11] Romjue J.L., From Active Defense to AirLand Battle: The Development of Army Doctrine 1973-1982, op. cit., pp. 13 ; 56 et 70 ; Headquarters, Department of the Army, FM 100-5, Operations, 1986, p. 109 ; Holder L.D., « Offensive Tactical Operations », Military Review, décembre 1993, p. 52.

[12] Starry D.A., « To Change an Army », art. cit., pp. 21-23 ; TRADOC Pamphlet 525-5, Military Operations – Force XXI Operations, Department of the Army, HQ U.S. Army Training and Doctrine Command, Fort Monroe, VA 236551-5000, août 1st 1996.

[13] Morelock J.D., « The Legacy of Liddell Hart », Military Review, mai 1986, pp. 65-75.

[14] Jay Luvaas mentionne aussi que le problème des écrits de Liddell Hart est que ce dernier écrit comme un journaliste, un historien, un théoricien, et un réformateur, et qu’il est impossible de savoir lequel de ses personnages parle dans ses écrits. Luvaas J., « (Landmarks in Defense Literature) Strategy: The Indirect Approach By B.H. Liddell Hart (1954) », Defense Analysis, août 1992, pp. 213-215.

[15] Helms R.F., « The Indirect Approach », Military Review, septembre 1978, pp. 2-9. L’auteur cite toutefois dans sa bibliographie les Rommel Papers préfacé de Liddell Hart.

[16] Furlong R.B., « Strategymaking for the 1980’s », art. cit., pp. 9-16.

[17] Luvaas J., « Clausewitz, Fuller and Liddell Hart », dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 197-212. Voir aussi : Cannon M.W., « Clausewitz for Beginners », art. cit., pp. 48-57. A propos de Liddell Hart et Fuller et l’utilisation de l’histoire, voir : Gooch J., « Clio and Mars: The Use and Abuse of History », dans Perlmutter A. & Gooch J., Strategy and The Social Sciences, Londres, Frank Cass, 1981, pp. 30-34 (article initialement publié dans la revue Journal of Strategic Studies, vol. 3, n°3). Cet article s’avère très critique envers la méthode d’investigation des deux Britanniques, ici aussi comparée à celle de Jomini. Deviner le futur en étudiant le passé et ce en supposant un continuum linéaire passé/présent/futur est douteux. De plus, cette approche tend parfois à plier l’histoire au gré du schéma d’analyse de celui qui la pratique.

[18] Bassford Ch., op. cit., pp. 133-134.

[19] Kitchen M., « The Political History of Clausewitz », The Journal of Strategic Studies, mars 1988, p. 34

[20] Kennedy P.M. (dir.), Grand Strategies in War and Peace, op. cit., pp. 1-7.

[21] Baumann R.F., « Historical Framework for the Concept of Strategy « , art. cit., p. 9 ; Kennedy P.M., Strategy and Diplomacy, Londres, Fontana Press, 1983, 254 p. ; id., The Rise and Fall of the Great Powers, Londres, Unwin, 1988, 540 p. ; O’Meara Jr., « Strategy and the Military Professional – PART I », art. cit., pp. 38-45.

[22] Davison K.L. Jr., « Clausewitz and the Indirect Approach… Misreading the Master », Airpower Journal, hiver 1988, pp. 42-52. L’auteur de cet article attire l’attention sur les problèmes de sémantique qui opposent, en surface selon lui, Clausewitz et Liddell Hart. Ainsi, le terme engagement, signifierait non seulement le combat réel mais aussi virtuel. Quant au mot destruction, c’est à tort qu’il faut le concevoir dans le sens d’anéantissement. Il s’agit plutôt d’une conception qui vise une réduction plus que proportionnelle des forces ennemies.

[23] Shy J., « Jomini », dans Paret P., Makers of Modern Strategy, op. cit., p. 181.

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Chapitre 6 – Clausewitz comme grille de lecture des stratégies étrangères (suite)

Avant la guerre du Vietnam, le nom de Clausewitz était très régulièrement placé en regard des analyses portant sur la stratégie des pays communistes. Après le conflit en Asie du Sud-Est, ce trait de caractère si particulier de l’utilisation de Clausewitz est devenu moins systématique. Toutefois, moins systématique ne signifie en aucun cas absent.[1] Il est, par exemple, symptomatique de noter la réaction de David MacIsaac suite à la publication de l’essai de Michael Howard sur l’influence de Clausewitz, dans l’édition de 1976 du Traité. Pour MacIsaac, Michael Howard a insuffisamment développé son analyse de la filiation communiste du Prussien…[2]

Mais commençons par étudier ce que recouvre l’utilisation du nom de Clausewitz lorsqu’il est accolé à des analyses de la stratégie soviétique. Tout d’abord, c’est le contenu de cette stratégie qui est abordé. Le Prussien est donc mis en regard de la doctrine dite Sokolovsky. Pour cette doctrine, la guerre est toujours un moyen du politique même suite à l’avènement de l’armement nucléaire. L’ouvrage en question s’exprime en ces termes : Dans les remarques faites par Lénine sur le livre de Clausewitz « Sur la guerre », nous lisons que « la politique est la cause et la guerre l’instrument ; non le contraire. En conséquence, il reste à subordonner le point de vue militaire au point de vue politique ». L’acceptation de la guerre comme instrument de la politique détermine également la corrélation entre la stratégie militaire et la politique.[3]

Certains textes américains vont interpréter la doctrine Sokolovsky comme le fondement d’une pensée stratégique nucléaire qui refuse de considérer l’aspect purement dissuasif de l’arme. Pour les communistes, les armes nucléaires sont équivallente à n’importe quel type d’arme à une différence près : la plus grande puissance des ces dernières.[4] On évoque donc une doctrine soviétique dite de war-fighting et war-winning.[5]

Mais cette façon d’envisager la stratégie soviétique n’a toutefois pas fait l’unanimité. Certains se demandent si les idées de war-winning et war fighting sont réellement à mettre au crédit de Clausewitz et Lénine ? Ne peut-on plutôt avancer l’hypothèse que l’establishment militaire soviétique impose sa tyrannie sur le pouvoir politique qui est obligé d’adhérer à de telles conceptions ?[6] Ou encore l’obligation que ce même establishment a de se justifier auprès du pouvoir politique et des populations le conduit à adopter une telle doctrine. Robert L. Garnett, lui, pense qu’il existe une double façon d’envisager la Formule au regard de la pensée stratégique communiste. D’une part, la guerre peut être considérée comme la continuation de la politics, ce qui rentre dans un schéma d’interprétation marxiste et léniniste. D’autre part, la guerre peut aussi être considérée comme la continuation de la policy – donc comme un moyen rationnel de réaliser un objectif et non comme un processus dont on constate simplement l’existence – et selon l’auteur, on peut mettre en doute que cette seconde interprétation prévale en U.R.S.S.[7] Une telle affirmation remet en cause les idées war-winning et war-fighting.

Néanmoins, de nombreux auteurs américains vont utiliser le nom de Clausewitz pour noircir la stratégie soviétique. Ainsi, Richard N. Nixon envisage le comportement stratégique soviétique au travers d’une référence clausewitzienne : Comme l’observait il y a longtemps le grand stratège allemand Clausewitz, l’agresseur ne veut jamais la guerre ; il préfère envahir votre pays sans coup férir.[8] Ailleurs, Brejnev reçoit le titre du plus clausewitzien des chefs politiques soviétiques par sa politique de préparation et d’évitement de la guerre ainsi que son désir de réformer le monde – try to reshape.[9] Le Prussien sert aussi à renforcer l’idée de parfait équilibrage entre moyens et fins chez les Soviétiques.[10] Et Patrick M. Cronin reconnaît que l’on reproche encore à On War d’avoir une connotation sinistre car il a été utilisé par Lénine, Trotsky, et l’état-major soviétique.[11]

Ce dernier point conduit à des textes à vocation plus historique. Indéniablement ceux qui postulent un lien entre Sokolovsky, Clausewitz, et le corpus doctrinaire marxiste prennent appui sur ces articles. Quoi qu’il en soit, les analyses les plus historiques ne manquent parfois pas d’intérêt. Dans un article sur Lénine, Clausewitz et la militarisation du marxisme, on découvre que Lénine, dans sa lecture de On War s’est trouvé confronté à un problème de méthodologie. Le marxisme est une doctrine matérialiste, alors que On War est d’inspiration idéaliste. Lénine entreprit donc une adaptation des idées de Clausewitz. Ainsi, la guerre est bien la continuation de la politique par d’autres moyens, mais la politique, concept si peu explicité par le Prussien, n’est que le reflet de la lutte des classes transposée au plan international. Et Lénine de développer la typologie de la guerre juste (en accord avec les thèses marxistes) et injuste (impérialistes). Ces idées se répandirent ensuite dans la vulgate communiste.[12]

On pourra également trouver un article comparant la stratégie soviétique à celle des Mongols. La comparaison a de quoi faire frémir. L’analyse d’un comportement jugé irrationnel, comme les dévastations du grand Kahn, peut se révéler être un avantage offensif, donc finalement rationnel. Et ici, Clausewitz symbolise le modèle occidental de la guerre face au communisme.[13] Par cette comparaison, la différence culturelle des deux camps est accentuée.

L’œuvre de Clausewitz peut aussi servir de cadre de référence à la stratégie chinoise communiste, plus précisément à la pensée stratégique de Mao. Ici, la relation est toutefois plus discutable. On sait avec certitude que Mao a bien lu Sun Zi[14], qu’il a été largement influencé par les théories marxistes-léninistes et par des fictions populaires traditionnelles qui mettaient en valeur l’héroïsme. Mais qu’en est-il de son lien avec Clausewitz ?

D’après R. Lynn Rylander, Mao cite Clausewitz dans On Guerilla Warfare en invoquant la nature particulière de chaque guerre selon son contexte social – la guerre est un caméléon. D’autre part, les outils méthodologiques et thèmes développés par Mao sont assez proches de ceux de Clausewitz : méthode dialectique, rôle de l’homme, point de vue politique primordial. Rylander mentionne aussi la guerre prolongée – sur ce dernier point on pourrait contester l’apport de Clausewitz selon qu’on lui donne une interprétation à la Delbrück ou non. Malgré la remise en cause du mythe de Mao dans les années 80, il semble que l’on doive encore compter longtemps sur l’influence de sa pensée – donc, indirectement, sur celle du Prussien.[15] D’autres textes ne s’embarrassent pas de retrouver la filiation possible entre Mao, ou même le Vietnamien Giap, et Clausewitz. Ces textes se servent uniquement de Clausewitz comme cadre de référence. La Formule est alors mise au premier plan et le centre de gravité devient la population.[16] Harry G. Summers finit même par affirmer que l’interprétation de Clausewitz par Mao serait plus importante que l’apport de Sun Zi chez ce dernier.[17]

En résumé, Clausewitz aura bien servi à « noircir » les Etats communistes dans le discours stratégique américain. Lorsque Clausewitz est cité en rapport avec sa généalogie française ou italienne, le propos est beaucoup moins passionné.[18] Mais paradoxalement, s’il sert à pointer du doigt les « Etats totalitaires », lorsqu’il est utilisé comme référent aux Etats-Unis, il devient le chantre de la soumission du militaire au politique, un pur démocrate. Traditionnellement, la perception veut que seuls les pays totalitaires peuvent se permettre de laisser les militaires diriger la politique. Par conséquent, les militaires américains n’ont pas à formuler trop d’opinions à l’égard des choix du gouvernement.[19] Dans les faits, le discours stratégique américain ne s’en prive pas toujours.

Il existe donc bien une dichotomie en cette matière. « Clausewitz le démocrate » est conçu à partir d’une Formule presque transformée en termes structurels ; il est situé dans le prolongement de nos idées sur la séparation des pouvoirs. A l’opposé, « Clausewitz le totalitaire », celui qui sert à qualifier les régimes communistes, est plutôt fonctionnel : il efface la distinction entre le bien et le mal ; la fonction de la violence est un outil légitime du pouvoir, faisant fi de toute utopie et idée de la guerre juste – dans la tradition chrétienne et non, d’après le schéma léniniste s’entend.

En analysant les textes trouvés sur Clausewitz et la stratégie communiste, il semble que le nom de l’officier prussien a permis de « créer une image » que l’on peut qualifier de réductrice. Le concept de propagande n’est pas très éloigné. Le problème pour l’analyste stratégique est que cette image paraît « s’autonomiser ». Ne prenant pas conscience de ce phénomène, les distorsions sont inévitables. Les analystes n’auraient-ils pu plus profiter des constatations de Thomas Wolfe dans son ouvrage Soviet Strategy at the Crossroads, publié en 1964, montrant la possible séparation entre militaire et politique au niveau de l’acceptation de la Formule ?[20]

[1] A propos de la relation entre Clausewitz et la descendance marxiste, on lira en particulier : Semmel B. (dir.), Marxism and the Science of War, Oxford, Oxford University Press, 1981, 302 p.

[2] McIsaac D., « Master at Arms: Clausewitz in Full View », art. cit., pp. 85 et 92. L’essai en question est : Howard M., « The Influence of Clausewitz », dans On War, pp. 27-44.

[3] Sokolovsky (maréchal), Stratégie militaire soviétique, (trad.), Paris, L’Herne, 1984, p. 36.

[4] Moody P.J., « Clausewitz and the Fading Dialectic of War », art. cit., p. 427 ; Jensen O.E., « Classical Military Strategy and Ballistic Missile Defense », art. cit., p. 60.

[5] Cole J.L. Jr., « ON WAR Today? », art. cit., p. 23. Notons que Richard Pipes est l’un des plus célèbres chercheurs à avoir défendu l’idée que la stratégie soviétique reposait sur les idées de war-winning et war-fighting. A propos de Pipes et de ses critiques, voir d’abord l’article : Pipes R., « Why the Soviet Union Thinks it Could Win a Nuclear War », Commentary, juillet 1977, pp. 21-34 ; et sur la critique de Pipes, par exemple : Catudal H.M., Soviet Nuclear Strategy from Stalin to Gorbatchev, Berlin, Berlin Verlag, 1988, pp. 118-121

[6] Schilling W., « US Strategic Nuclear Concepts in the 1970’s: The Search for Sufficiently Equivalent Countervailing », dans O’Neill R. & Horner D.M., New Directions in Strategic Thinking, Londres, George Allen & Unwin, 1981, pp. 56-57.

[7] Arnett R.L., « Soviet Attitudes Towards Nuclear War: Do They Really Think They Can Win? », The Journal of Strategic Studies, septembre 1979, pp. 173-175

[8] Nixon R.M., La vraie guerre, (The Real War, 1980, traduit de l’américain par F.-M. Watkins et G. Casaril), Paris, Albin Michel, 1980, p. 37.

[9] Rice C., « The Evolution of Soviet Grand Strategy », dans Kennedy P. (dir.), Grand Strategies in War and Peace, op. cit., p. 158.

[10] Twinnig D.T., « Soviet Strategic Culture – The Missing Dimension », Intelligence and National Security, janvier 1989, pp. 169-187.

[11] Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., p. 48.

[12] Kipp J.W., « Lenin and Clausewitz: The Militarization of Marxism, 1914-1921 », Military Affairs, octobre 1985, pp. 185-191 ; Jones Ch.D., « Just Wars and Limited Wars: Restraints on the Use of the Soviet Armed Forces », World Politics, octobre 1975, pp. 45 et 53.

[13] Stinemetz S.D., « Clausewitz or Kahn? The Mongol Method of Military Success », Parameters, printemps 1984, pp. 71-80.

[14] Par exemple dans l’ouvrage La guerre révolutionnaire, composé de deux textes, l’un sur les problèmes stratégiques en général (décembre 1936) et l’autre sur la stratégie à adopter dans la lutte contre le Japon (mai 1938), Mao cite Sun Zi à plusieurs reprises : pour évoquer la nécessité de se connaître et de connaître son adversaire ; d’éviter le combat autant que possible s’il y a moyen d’obtenir la victoire par un autre moyen ; et de créer des « apparences ». Mao Tsé-toung, La guerre révolutionnaire, op. cit., p. 31 et p. 75.

[15] Rylander R.L., « Mao as a Clausewitzian Strategist », Military Review, août 1981, pp. 13-21.

[16] Staudenmaier W.O., « Vietnam, Mao, and Clausewitz », art. cit., pp. 79-80 et p. 81.

[17] Summers H.G., « Clausewitz: Eastern and Western Approach to War », Air University Review, mars-avril 1986, pp. 62-71.

[18] Voir : Porch D., « Clausewitz and the French 1871-1914 », et Gooch J., « Clausewitz Disregarded: Italian Military Thought and Doctrine, 1815-1943 », dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 287-302 et 303-324. (John Gooch est un chercheur britannique).

[19] O’Meara Jr., « Strategy and the Military Professional – PART I », art. cit., pp. 38-45.

[20] Voir supra. Rappelons les références de l’ouvrage en question : Wolfe Th.W., Soviet Strategy at the Crossroads, Harvard University Press, 1964, Cambridge, 342 p. Voir aussi : Schilling W., « US Strategic Nuclear Concepts in the 1970s: The Search for Sufficiently Equivallent Countervailling Parity », dans O’Neill R. and Horner D.M. (Ed. by), New Directions in Strategic Thinking, op. cit., p. 55.

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Chapitre 5 – L’apport de Clausewitz à la charnière politico-stratégique

Section 1 – La Formule suite à la fin de la guerre du Vietnam

Comme le titre du paragraphe l’indique, cette partie est consacrée aux réflexions clausewitziennes qui se placent à la charnière des domaines stratégique et politique. Ce faisant, ce passage se nourrira inévitablement de sources de provenance très diverse : académiques, politiques et militaires. Encore une fois, on constatera que sur la question du lien entre politique et guerre, le discours stratégique américain est très divisé. Il faut aussi rappeler que toutes les considérations qui vont suivre sont très intimement liées à l’échec de la guerre du Vietnam. Cet échec laisse encore des traces dans la stratégie américaine contemporaine.

La position de départ de la plupart des auteurs rejetant la Formule tient à une explication assez simple à la base. Pour eux, la guerre est la fin de la Raison, ou plutôt son abandon. Autrement dit, comment concevoir que la destruction, la mort, ainsi que l’ensemble des horreurs que véhicule la guerre puissent être perçus comme dépendant d’un phénomène rationnel. Cette conception est d’autant plus marquée par la peur qu’engendrent les armes nucléaires. En instrumentalisant la guerre comme le fait Clausewitz, on la justifie en tant qu’acte rationnel alors qu’elle ne peut l’être. La guerre ne pourrait être qu’une sorte de pathologie mondiale. Cette interprétation se nourrit toutefois d’un prérequis supplémentaire et ouvertement affiché : celui de la moralité. Le modèle clausewitzien est donc, pour cette approche, immoral – et non pas a-moral – et cynique. Par conséquent, ce modèle est en conflit avec les conceptions, les valeurs, que doit défendre une démocratie. Les tenants de cette démonstration raccrochent donc bien leur raisonnement avec une idée particulière de la moralité qui trouve des affinités bien ancrées dans le régime politique américain. De plus, selon cette tendance du discours, si la guerre peut être évitée, la Formule devrait être rejetée. Ce point de vue moraliste se retrouve largement parmi ceux que l’on nomme les libéraux, souvent proches du parti démocrate.[1]

L’idée de moralité évoquée se présente bien sous une forme avouée dans d’autres documents. En effet, les réflexions sur l’éthique et la guerre juste – jus ad bellum – sont nombreuses aux Etats-Unis. De la fin de la guerre du Vietnam à 1982, quelques 682 livres et articles avaient été produits aux Etats-Unis concernant l’histoire, la théorie et la pratique de l’éthique militaire. De 1982 à 1998, ce nombre a plus que doublé.[2] Le domaine ne reste donc pas confiné à l’appréciation de quelques philosophes ou théologiens. Les principes de la guerre juste se retrouvent même dans certains manuels militaires.[3]

En la matière, le nom de Michael Walzer fait autorité depuis la publication de son livre Just and Unjust Wars. Pour le philosophe, il existe une communauté d’Etats indépendants et souverains et toute utilisation de la force à l’encontre d’un Etat souverain est un acte criminel. Toutefois, la force peut tout de même être employée pour faire face à deux cas de figure : soit pour se défendre ; soit pour faire exécuter la loi internationale. Le premier cas s’adresse uniquement à l’Etat victime, le deuxième postule qu’un Etat non attaqué puisse faire usage des ses forces. En résumé, seule la réponse à l’agression peut justifier la guerre. Mais une fois l’agresseur vaincu militairement, il peut également être puni – la punition doit alors être envisagée comme un moyen dissuasif pour l’avenir. Pour Walzer, le cadre défini de la guerre juste est incompatible avec l’ouvrage de Clausewitz On War. Selon lui, Clausewitz est le tenant de la guerre d’anéantissement et de l’offensive. Or ces objectifs sont irréconciliables avec le concept de la guerre limitée propre à la guerre juste.[4]

A contrario, dans un ouvrage publié en 1973 (War and Politics) Bernard Brodie va illustrer la relation entre politique et guerre en prenant très largement – et positivement – appui sur Clausewitz dans le contexte de la stratégie américaine en Corée, au Vietnam et face aux armements nucléaires. Selon l’auteur, la guerre est bel et bien la continuation de la politique. Mais pour Brodie, la Formule n’implique pas qu’une fois que les hostilités ont débuté, le politique ne peut plus agir à la façon dont Moltke l’Ancien et Schlieffen le concevaient. Au contraire, la politique fait sentir son influence tout au long du conflit. La perception que Brodie a de Clausewitz est celle de l’équilibre entre fins et moyens par lequel s’exprime la vision rationnelle de la guerre.[5] Brodie est donc loin de transformer le point de vue de Clausewitz en une ontologie dans un monde menacé par l’apocalypse nucléaire : point de moralité de la guerre ici. Dans un style réaliste, Clausewitz n’est pas montré sous un jour immoral mais a-moral. Pour Brodie, le Prussien se limite à étudier la guerre dans cette relation qui est celle des moyens pour parvenir à atteindre un objectif – c’est là que réside la rationalité et l’instrumentalisme qui en découle. Le choix de l’objectif n’est pas déterminé a priori par Clausewitz, tout au plus montre-t-il comment l’obtention d’une fin rétroagit sur le politique qui fixe le but – entre autres en tenant compte de l’opinion publique. Affirmer que la vision du Prussien dans le cadre de la confrontation atomique entre l’Est et l’Ouest revient à favoriser l’éclatement d’une guerre – comme le postule Hanna Arendt, Anatol Rapoport, Walzer, etc. – est une erreur. Clausewitz laisse la possibilité de refuser la guerre. Mais, si elle est acceptée, elle sera, par définition, un instrument du politique.

Notons que la rationalité imputée au politique par Clausewitz est parfois un point d’achoppement même pour certains clausewitziens. Ainsi, James E. King s’est demandé comment interpréter les actions d’un leadership non rationnel ou irrationnel dans le schéma clausewitzien. D’après une lecture de la biographie de Paret sur le Prussien, Clausewitz and the State, on pourrait déduire que pour Clausewitz l’Etat ne peut se tromper. Toutefois, pour James E. King, la position de Clausewitz est différente. Clausewitz aurait simplement admis que le politique peut se fourvoyer – mais il ne laisse pas pour autant au militaire la possibilité de se révolter.[6]

Michael I. Handel envisagera aussi le problème de la rationalité du politique. Il répertorie trois circonstances conduisant à la fin du conflit selon Clausewitz : (1) l’incapacité de continuer le combat, (2) l’improbabilité de la victoire, (3) et des coûts inacceptables. Pour Handel, lorsque Clausewitz postule de mener une guerre de manière rationnelle, il fait bien une recommandation se basant sur l’analyse des moyens et des fins et cela peut suggérer de passer aux négociations quand cela s’avère nécessaire. Mais, toujours pour Handel, si Clausewitz discute de la formation de l’objectif politique, il ne parle pas de la possibilité dont disposent certains chefs politiques de conduire la guerre pour des motifs irrationnels, ou personnels. Selon Handel, l’exploration de cette question s’avère importante à la compréhension de la conclusion des conflits.[7]

En se focalisant sur la rationalité de l’approche de Clausewitz, certains chercheurs vont également réfuter la vision de Walzer sur la doctrine de la guerre juste. Vu que le Prussien peut être perçu comme le propagateur de l’idée d’une stratégie rationnelle – qui implique l’équilibre de moyens selon les fins -, il ouvre la voie à une réflexion sur la limitation de l’emploi de la force. Or ces limitations rendent l’acte de guerre parfaitement compatible avec la conception de la guerre juste – à la fois jus ad bellum et jus in bello. On War n’est donc pas un traité de sadisme.[8]

Notons aussi que dans un article de la revue Parameters datant de 1987, David Jablonsky, a développé une réflexion particulièrement intéressante à propos du rejet de la Formule. Ce courant qui, comme nous l’avons vu, envisage la guerre comme la faillite de la politique et non sa poursuite, procéderait d’une confusion entre les termes politics et policy. Si la politique américaine, policy, se choisit comme objectif de ne pas combattre, de rester en paix, tout conflit auquel elle devra se mêler est inévitablement une faillite de ses objectifs politiques.[9] Néanmoins, pendant la durée du conflit, la violence continuera de garder son étiquette politique, à faire partie du processus politique – politics. La contradiction entre les tenants et les détracteurs de la Formule se trouverait ainsi atténuée.

En tout cas, suite à la renaissance des études sur Clausewitz en 1976, moins de voix se sont fait entendre dans le sens du rejet de la Formule dans le discours stratégique américain. Bien au contraire, il convient de noter l’existence de deux courants de pensée relatifs à l’apport de Clausewitz à la charnière politico-stratégique. Il y a tout d’abord les travaux de Harry G. Summers (On Strategy, 1982) qui s’appuient largement sur la « trinité paradoxale » pour analyser la guerre du Vietnam. Il y a ensuite les développements relatifs à la doctrine Weinberger et aux manuels opérationnels.

Section 2 – La trinité paradoxale

L’ouvrage On Strategy de H.G. Summers a été réalisé dans le cadre d’une étude menée au sein de l’armée.[10] Ce travail fut ensuite reproduit dans une édition commerciale en 1982. Le livre a connu une très large diffusion. On Strategy a été distribué à tous les membres du Congrès lors de sa parution, sur demande du représentant Newt Gingrich, alors très actif dans le Military Reform Movement. L’ouvrage sert aussi de texte de base dans différentes universités et écoles militaires.

Dans son ouvrage, Harry G. Summers commence par constater que les deux principales erreurs des stratèges de Washington au Vietnam ont été de ne pas discerner dans quel type de conflit ils s’engageaient et d’avoir fait preuve de peu de clarté dans le choix de leurs objectifs.[11] Pour Summers, ce conflit n’était pas une guerre de guérilla mais bien une guerre de type conventionnel contre le Nord Vietnam. Après tout, la guerre s’est bien terminée lorsque des chars ont envahi Saigon en 1975. Le doute aurait été semé dans les esprits en faisant passer les opérations américaines pour des actions de police.[12] Les Etats-Unis n’auraient donc pas reconnu dans quel type de guerre ils étaient impliqués. Plus précisément, c’est le gouvernement qui est visé par cette conclusion.

En fait, le raisonnement de Summers s’avère assez proche de celui de Mao Zedong. Pour Mao, la pratique de la guerre de guérilla n’est qu’une première étape, insuffisante, de la guerre révolutionnaire. Les forces contestant l’ordre établi doivent dès que possible passer à une phase plus proche de la guerre conventionnelle qui les mènera à la victoire.[13]

Mais, pour Summers, le manque de clarté dans le choix des objectifs américains a aussi eu des implications internes, parmi l’opinion publique. C’est ici que Summers appuie la plus grande part de son argumentation sur la trinité clausewitzienne.

Rappelons la définition de la trinité d’après la traduction française de Vom Kriege : […] la violence originelle de son élément, la haine et l’animosité, qu’il faut considérer comme une impulsion naturelle aveugle, puis le jeu des probabilités et du hasard qui font d’elle [la guerre] une libre activité de l’âme, et sa nature subordonnée d’instrument de la politique, par laquelle elle appartient à l’entendement pur. Le premier de ces trois aspects intéresse particulièrement le peuple, le second le commandant et son armée, et le troisième relève plutôt du gouvernement. [14]

Summers, lui, utilise une trinité « toute personnelle ». Il la résume de manière quasiment structurelle, comme le jeu des populations, du gouvernement et de l’armée. Le trinité de Summers est devenue beaucoup plus rigide que celle de Clausewitz.[15]

Quoi qu’il en soit, l’auteur pense que l’absence de soutien populaire américain pendant la guerre du Vietnam est la raison principale de l’échec. Summers est d’ailleurs convaincu que la guerre aurait pu être gagnée par les Etats-Unis si son pays avait prolongé l’engagement. Le soutien populaire, suivant l’identification qu’en fait l’auteur, est créé par deux institutions : les médias et le Congrès.[16]

La réflexion de Harry G. Summers précède donc directement la politique de l’armée en matière de relations publiques. Durant la guerre du Vietnam, les médias avaient la possibilité de circuler librement sur le terrain des opérations. Les journalistes pouvaient retransmettre les images les plus dures du conflit. On ne pouvait guère parler de censure, ni même d’autocensure. Depuis, le système de pools a vu le jour. Ceux-ci ont été rendus célèbres durant la guerre du Golfe. Mais ce système d’ »encadrement » des journalistes date en fait d’avril 1985. C’est en effet à ce moment que le secrétaire à la défense a formalisé la règle des pools.

Globalement, le discours stratégique américain se montre satisfait de cette technique. Selon les militaires, elle permet d’assurer une bonne transparence de ce qui se passe sur le champ de bataille.[17] Mais n’existe-t-il pas un risque de dérive démocratique lorsque le militaire appelle le journaliste à plus de coopération et que la notion de « formation des esprits » est citée ?[18] Les concepts de guerre psychologique et de propagande ne semblent pas très éloignés.

Quelques remarques supplémentaires s’imposent par rapport au travail de Summers et sur son usage de la trinité clausewitzienne. Tout d’abord, mentionnons que le concept de la trinité a peu été souligné par ceux qui ont lu attentivement Clausewitz auparavant. Ainsi, par exemple, dans le chapitre consacré au Prussien par Hans Rothfels dans la première édition du Makers of Modern Strategy, on n’en trouve à peine la trace.[19] Raymond Aron sera l’un des premiers à faire largement ressortir ce concept, qui malgré tout n’occupe pas une place énorme (quantitativement) dans le Traité.[20] Néanmoins, la trinité consacre de manière évidente le rôle d’activité sociale que Clausewitz attribue à la guerre.

Ensuite, notons que l’approche de Summers ne plaît pas à tout le monde. Pour Richard M. Swain, On Strategy peut être perçu comme un moyen de reporter la plupart des responsabilités de l’échec vietnamien sur le gouvernement, le Congrès, les médias, la population mais dans une moindre mesure sur l’armée.[21] Il représente le syndrome du « coup de poignard dans le dos ».

On remarque aussi que la trinité est souvent expliquée de manière très schématique. Elle permet de montrer que la population soutient les forces armées et exerce des pressions sur le politique. Le politique, quant à lui, choisit l’objectif et justifie l’effort fourni par la population. Mais souvent, il est bizarre de constater qu’il n’existe pas de boucles de rétroactions directes des forces armées vers la population ou vers le politique.[22] Il s’agit en quelque sorte d’une trinité incomplète que présente le discours stratégique américain. Incomplète également lorsqu’elle ne montre pas en quoi les trois éléments ne sont pas délimités de façon nette mais s’interpénètrent (dans certains cas le chef politique et le chef militaire sont confondus ; dans une guerre de guérilla le civil peut être le militaire ; etc.).

Plus récemment, Christopher Bassford et Edward J. Villacres ont rappellé que la trinité clausewitzienne est le fruit de (1) la violence primordiale, la haine, et le sentiment d’inimitié, (2) du jeu de la chance et des probabilités, (3) et de l’élément de la guerre subordonné à la politique rationnelle. La trinité évoquée par Harry G. Summers serait une altération du concept. Pour les auteurs, les constituants de la trinité clausewitzienne sont des forces irrationnelles – comme les émotions violentes -, des forces non rationnelles – des forces qui ne sont pas désirées par l’être humain, comme les frictions et le jeu des probabilités -, et la rationalité – la subordination de la guerre à la politique. Chacun de ces composants, selon Clausewitz, se rattache principalement – mainly -, mais jamais complètement, aux populations, à l’armée et au gouvernement. Bassford et Villacres pensent en tout cas que le concept est indispensable à la bonne compréhension de la pratique politico-militaire. Mais la trinité ne doit pas devenir le reflet d’une structure sociale qui peut se modifier à travers le temps.[23] Cette présentation plus subtile est également présente dans le manuel MCDP 1-1 du Corps de Marines, manuel dont Bassford a assumé une partie de la rédaction.[24] L’interprétation est toutefois problématique dans le sens où elle rend Clausewitz très (trop ?) moderne.[25]

Michael I. Handel a aussi donné sa conception de la trinité. Michael I. Handel tend à appréhender Clausewitz comme un auteur totalement insuffisant en matière économique et technologique. Il en vient à proposer la transformation de la définition trinitaire de la guerre en un schéma quadrangulaire donnant une place à la technologie.[26] David Jablonsky, lui, laisse entendre plus subtilement que la trinité est en effet affectée par la technologie mais cela ne change pas pour autant l’édifice clausewitzien en profondeur.[27] De façon assez équivalente, Antulio Echevarria pense que la structure d’analyse proposée par Clausewitz est suffisamment flexible pour incorporer le changement technologique sans altérer la trinité. L’introduction de la composante technologique ne modifiera pas la structure de la guerre : elle affectera sa grammaire mais pas sa logique.[28]

Enfin, selon Tashjean, dans un article datant de 1982, la subdivision entre chefs politiques, combattants et population, est particulière à nos sociétés issues de la civilisation indo-européenne. On ne retrouvera pas trace de ce schéma dans les écrits extrême-orientaux, comme chez Sun Zi ou Mao Zedong. La tripartition de Clausewitz est fondamentalement liée aux conceptions occidentales. On en trouverait aussi des traces chez Hegel.[29]

Notons encore que dans un article publié dans la revue Parameters, un auteur liait la trinité à la perception des dommages de guerre par les civils et les politiciens.[30] Par conséquent, il deviendrait de plus en plus impératif de limiter le nombre de victimes au combat (à moins de simplement jouer sur les perceptions, ce qui ramènerait à l’encadrement des médias). A cette notion de limitation des victimes du côté américain s’adjoignent de plus en plus des idées de moralité quant au sort de l’ennemi et, plus encore, des populations civiles perçues comme otages des régimes politiques tyranniques, comme en Iraq. En fait, ce raisonnement se trouve directement en relation avec les nouvelles recherches en matière de stratégie opérationnelle sur l’école de la paralysie stratégique, les armes non létales et la guerre à zéro mort (voir infra).

En conclusion, la trinité s’avère être un concept clef dans le discours stratégique américain. Il conduit d’abord vers les réflexions relatives à l’usage des forces armées (au travers de la doctrine Weinberger, voir infra, mais aussi à propos de la paralysie stratégique et de la guerre à zéro mort). Il mène ensuite au rôle assigné aux médias pendant les conflits. Et pour terminer, il pose aussi la question de l’attitude populaire face aux pertes encourues sur le champ de bataille.

Section 3 – La doctrine Weinberger et le FM 100-5

L’ensemble des réflexions sur le rôle politique des forces armées suite à la fin de la guerre du Vietnam va donc également se traduire par l’adoption de la doctrine Weinberger. La doctrine Weinberger, du nom du secrétaire à la défense en fonction de 1981 à 1987, est résumée dans la conférence que celui-ci donna le 28 novembre 1984 à Washington D.C. devant le National Press Club. Elle consacre officiellement la Formule – Clausewitz est mentionné. D’après cette doctrine, tout engagement militaire des Etats-Unis doit répondre à quelques conditions : (1) les U.S.A. ne doivent pas engager leurs forces si leur intérêt vital n’est pas mis en cause ; (2) dans le cas où l’intérêt vital est en jeu, les forces doivent être engagées en nombre suffisant pour vaincre ; (3) tout engagement de force doit se faire selon un objectif politique bien défini ; (4) la relation entre l’objectif et la taille des forces doit être continuellement réévaluée ; (5) tout engagement de force doit s’assurer le soutien de la population américaine ; (6) et pour terminer, tout engagement doit être considéré comme une option de dernier recours.[31]

Michael I. Handel a aussi indiqué le rôle qu’a joué la lutte bureaucratique entre le secrétaire d’Etat G. Shultz et le N.S.C. contre Caspar Weinberger et la défense dans l’élaboration de la doctrine. Caspar Weinberger n’appréciait pas la tendance de Shultz à utiliser les troupes pour soutenir la diplomatie en n’importe quelles circonstances.[32] Il s’agissait surtout d’une réaction qui faisait suite à la désastreuse intervention américaine au Liban.[33]

Quoi qu’il en soit, les six « tests » de la doctrine Weinberger ont ultérieurement servi de base à l’évaluation ex post de diverses interventions américaines – Première Guerre mondiale, Seconde Guerre mondiale, Corée, Vietnam, quarantaine de Cuba, etc.[34] Le test peut aussi servir à analyser la guerre du Golfe ; il démontre l’adéquation entre la doctrine et la pratique.[35] Pour Thomas Dubois, Caspar Weinberger tout comme Clausewitz approuveraient la façon dont le conflit a été mené.[36]

La doctrine Weinberger conduit à évoquer le général Colin Powell, chef d’états-majors interarmes lors de la guerre du Golfe. Celui-ci travaillait, dans les années 80, pour Caspar Weinberger. Il reconnaît avoir été largement inspiré par l’œuvre de Clausewitz.[37] Il découvrit le Prussien au National War College, qui fait partie de la National Defense University de Fort McNair. Que retient Colin Powell de Clausewitz ? Il évoque les forces morales et le génie militaire mais il assimile aussi l’officier prussien à l’idée d’employer des forces écrasantes dans le but d’obtenir la victoire. Le plus intéressant dans la relation entre Colin Powell et Clausewitz se trouve peut-être dans les concepts de trinité et de la Formule. Selon Powell, le primat de l’autorité civile sur le militaire est aussi raccroché à la philosophie de Jefferson – et l’idée selon laquelle on ne commence pas la guerre sans avoir au préalable réfléchi à quoi l’on s’engage. A ce propos, notons qu’au début de l’opération Desert Shield, le général fit photocopier, et expédier, aux principaux commandants sur le terrain un exemplaire de l’ouvrage de Fred Iklé Every War Must End.[38]

De manière officielle, la Formule est également mise en évidence dans les manuels opérationnels, tels que le FM 100-5 d’août 1982. Dans ce document, les opérations militaires sont définies comme un moyen de la victoire : elles doivent donner au commandement politique un outil de négociation.[39] La leçon s’avère tirée du Vietnam où les forces ont trop servi à envoyer des signaux et pas assez à combattre. Les unités avaient été employées en vue de dissuader l’agression, mais on ne leur a pas dit que faire quand la dissuasion échoue.[40] Le manque d’attention accordé à la guerre et à sa grammaire, au profit de sa logique, est aussi une raison évoquée par certains comme source de l’échec vietnamien.[41] L’intérêt porté à la guerre, et plus particulièrement à la guerre limitée, par les politologues américains avant et pendant la guerre du Vietnam était-il superficiel au point de n’accorder au conflit qu’une valeur de signal au niveau politique, et ce au détriment des événements sur le champ de bataille ? Les différents manuels FM 100-5 de 1976, 1982, 1986 et 1993 feront en tout cas bien ressortir le rôle des forces armées qui consiste à combattre et vaincre sur le champ de bataille.[42]

Malgré que la Formule ait trouvé une bonne place dans la littérature opérationnelle américaine après le conflit vietnamien, certains critiquent encore le manque d’importance que le Military Reform Movement accorde à la charnière politico-stratégique. Jeffrey Record, par exemple, est perplexe car l’efficacité recherchée par les militaires se limiterait uniquement aux niveaux tactique et opérationnel. L’interrelation avec le politique ne serait que sommairement envisagée.[43] Pourtant, les références à l’utilité des militaires dans l’édification de la politique étrangère ne manquent pas dans le discours. On retrouve encore des références à Clausewitz dans ce domaine. A titre illustratif, on fait apparaître le rôle que le Prussien devrait jouer dans la formation de la politique du président. Quels conseils Clausewitz pourrait-il lui donner ? Il devrait tenir compte de l’opinion publique, faire preuve de cohérence, utiliser l’ensemble des ressources disponibles – économiques, diplomatiques, et la propagande -, planifier les opérations à long terme, identifier un consensus autour de l’idée d’intérêt national, etc.[44] Clausewitz peut aussi être appelé en renfort à l’idée de la séparation de pouvoir. La Formule devenant quasiment un accessoire supplémentaire aux dispositions institutionnelles en vigueur. Dans ce cas, le militaire, sauf dans des Etats totalitaires, ne peut se permettre de prendre une part de responsabilité dans la politique du pays.[45] Mais en fait, il existe un certain paradoxe à ce niveau. D’une part les militaires américains n’arrêtent pas d’encenser la démocratie et de justifier leur soumission au pouvoir politique, d’autre part, ils ne peuvent s’empêcher de remettre en cause la gestion des opérations militaires par le pouvoir civil.[46] Prenant aussi Clausewitz à témoin, des officiers demandent qu’un poids accru soit accordé à l’état-major combiné – Joint Chief of Staff. La justification peut encore une fois passer par Clausewitz. L’officier prussien note que si le militaire est soumis au politique, le commandement doit néanmoins être en mesure de conseiller le chef politique.[47] Comme on le voit, Clausewitz peut servir à défendre deux tendances dans le discours, soit une séparation stricte des sphères militaires et civiles, soit la coopération entre elles.

Section 4 – Les remises en cause de la valeur du paradigme clausewitzien

Récemment, la Formule, et plus généralement le paradigme clausewitzien de la guerre ont été remis en question par plusieurs auteurs.[48] Dans le discours stratégique américain, un coup de semonce avait déjà été lancé en 1989 dans la Military Review. Deux auteurs se demandaient si la guerre chez les Aztèques pouvait rentrer dans le paradigme clausewitzien ou si leurs conflits n’étaient que l’expression de leur culture, selon des motifs religieux. Pour le tenant de l’approche du Prussien, la culture n’était rien d’autre qu’une couche de vernis sur les intérêts politiques. Pour le détracteur de Clausewitz, la culture, au sens large s’entend, prenait le dessus sur le politique.[49]

Plus récemment, les remises en question du paradigme clausewitzien se sont surtout exprimées dans les travaux de Martin van Creveld et de John Keegan. Tout d’abord, Martin van Creveld est un historien israélien qui a bien sa place dans le discours stratégique américain vu la large diffusion de ses idées, et le caractère polémique de ses travaux. Selon lui, notre époque est marquée par l’érosion du concept d’Etat-nation.[50] Les conflits actuels et ceux de l’avenir confrontent, et confronteront, de plus en plus d’entités et / ou de groupes humains différents : mouvements ethniques, mafias, terroristes, etc. En ramenant Clausewitz à un théoricien de la guerre étatique, l’historien pense que le Prussien n’est plus valable aujourd’hui. La trinité clausewitzienne, simplifiée en population, gouvernement et armée, n’est plus une matrice d’actualité. Elle est dépassée et ne peut plus permettre d’appréhender tous les conflits modernes. D’où l’auteur se pose la question de savoir ce qui motive les combattants de ces entités et soulève l’hypothèse du désir de l’homme de se battre et de risquer sa vie. La guerre ne serait que la continuation du sport par d’autres moyens, des moyens violents.[51]

John Keegan, un historien militaire britannique, sert, comme Martin van Creveld, de révélateur à la pensée stratégique américaine. John Keegan réfute partiellement l’idée que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Partiellement car, pour lui, cette affirmation n’est exacte que dans les pays occidentaux. Si l’on étudie d’autres sociétés, la guerre peut devenir, toujours selon John Keegan, un phénomène culturel et non plus politique. Or, Clausewitz n’apporterait rien à la compréhension de la guerre – ou de l’absence de guerre – chez les Zoulous, les Samouraïs, les Mamelouks ou en Polynésie. Il n’éclairerait pas plus le poids des institutions sacrées.[52] Chez Keegan, le Prussien est de nouveau ramené à l’idée de la bataille décisive, à la stratégie d’anéantissement. Il redevient le père spirituel des massacres de la Première Guerre mondiale. Christopher Bassford réagit fortement contre cette vision dans le Times Literary Supplement. Ce dernier insistait sur la flexibilité du cadre d’analyse clausewitzien et des multiples dimensions que l’on peut donner à la Formule.[53] John Keegan répondit ensuite à la réflexion de Christopher Bassford en mettant en évidence que Clausewitz est avant tout le produit d’une conception occidentale de la guerre et que la guerre peut devenir culture en soi. Pour le Britannique, l’étude comparative de la guerre amène à relativiser la valeur de Clausewitz.[54] En fait, les tentatives de faire sortir la guerre du paradigme clausewitzien semblent se multiplier aujourd’hui.[55]

Christopher Bassford prolongea sa critique de John Keegan, ainsi que plus globalement de tous ceux qui remettent en cause le paradigme clausewitzien, dans un article publié dans la revue War and History. Il y reproche à John Keegan d’induire le lecteur en erreur par rapport à On War. Clausewitz n’a pas défini deux types de guerre : l’une conduite par les Etats avec des armées régulières sous les ordres d’un commandant, l’autre, symbolisée par le conflit en ex-Yougoslavie ou les combats menés par les Cosaques, en l’absence d’Etat. C’est une vision totalement abusive d’après Christopher Bassford. Comme cela a déjà été indiqué, John Keegan pense que la guerre est avant tout une activité culturelle, un rite symbolique, qui ne se confond que partiellement avec la politique dans le sens policy. Mais Bassford rappelle que la signification de la Formule est double car elle implique à la fois politics et policy (ce qui le rapproche de Jablonsky, supra).[56] Alors que la policy utilise rationnellement des moyens en vue de réaliser une fin, le politics est composée d’éléments rationnels, irrationnels et non rationnels comme la trinité paradoxale le mentionne. Le politics baigne plus particulièrement dans le processus politique : elle indique une lutte ou une compétition, qu’elle soit maintenue dans des limites pacifiques ou non. John Keegan utilise de façon indifférenciée politics et policy, flouant ce que signifie Clausewitz. En conclusion, l’idée de Clausewitz selon laquelle la guerre est la continuation de la politique n’est peut-être pas plus une vérité immuable que celle de John Keegan, mais le schéma d’analyse clausewitzien permet, grâce à sa grande flexibilité, d’incorporer les idées de l’historien britannique.[57] Clausewitz reste donc non dépassé … pour le moment.

Michael I. Handel a aussi réagi à ces remises en cause de Clausewitz. Il s’est refusé à accepter la transformation de la Formule selon Martin van Creveld – continuation du sport par d’autres moyens, soit des moyens violents. Il lui semble inadmissible de tenir un raisonnement équivalent, en particulier dans les Etats démocratiques (en un certain sens, Handel réintroduit une idée morale là où les clausewitziens l’avait évacuée).[58] De plus, répondant aussi à John Keegan, pour Michael I. Handel, la justice, la religion ou l’autodétermination peuvent être considérées comme des motifs politiques (il ne donne toutefois pas de définition compréhensive du politique). D’autre part, ce n’est pas parce que l’Etat moderne disparaît que la trinité disparaîtra automatiquement. Pour Handel, la trinité préexiste à l’apparition de l’Etat, même si la fonction gouvernementale ne s’y retrouve institutionnalisée qu’en embryon.[59]

Les tenants de l’approche clausewitzienne s’en prennent non seulement à John Keegan et Martin van Creveld mais aussi à Alvin et Heidi Toffler. Si la notoriété des premiers les autorise à « exécuter Clausewitz sur la place publique », les seconds le « laissent mourir en silence ». En effet, pour les Toffler, les frictions deviennent des erreurs de computation. Elles ne sont plus liées à la nature intrinsèque de la guerre.[60] A contrario, Christopher Bassford et Stephen Metz ne veulent pas enfermer le Prussien dans son époque. Ils ne le considèrent pas uniquement comme le théoricien de la période industrielle. Pour eux, les Toffler n’apportent guère plus qu’une couche – overlay – supplémentaire à la compréhension de la guerre selon le mode clausewitzien.[61]

Les attaques contre Clausewitz ont également emprunté un autre front. Selon Stephen J. Cimbala, la relation entre le politique et le militaire a évolué. Alors que le militaire était soumis au politique, il est maintenant immergé dans le politique au travers de conflits de basse intensité où le soldat occupe de plus en plus des tâches de gestionnaire ou d’administrateur.[62] Cette nouvelle tendance risquerait de supprimer la subordination du militaire au politique prônée par Clausewitz. On pourrait donc assister à une politisation malsaine de la fonction militaire selon Cimbala. Une telle politisation pourrait ouvrir la voie à la corruption et provoquer de nombreux conflits avec l’autorité civile.[63] On peut se demander si S.J. Cimbala ne fait pas une lecture trop figée de la subordination politique du militaire chez Clausewitz. En effet, Clausewitz évoque les cas où les autorités militaires et politiques sont confondues, comme chez Napoléon Bonaparte. La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens mais cela ne signifie pas qu’un militaire ne puisse être à la tête du gouvernement d’un Etat. Il ne faut pas confondre la fonction politique – ce pourquoi elle existe – et la structure de cette fonction – premier ministre, président, etc.

Ailleurs, la Formule se voit complètement désarticulée sous les coups de butoir de la R.M.A. On évoque le renseignement économique et l’espionnage industriel comme continuation de la guerre par d’autres moyens.[64] Ces essais relèvent toutefois plus de la polémique que de l’analyse sérieuse.

En opposition avec la remise en cause du paradigme de Clausewitz, pour David Jablonsky, la R.M.A. entraînera un renforcement des liens entre la politique et la guerre. Lors de la guerre du Golfe par exemple, des systèmes d’armes ont été employés de manière quasi-indifférenciée aux niveaux tactique, opérationnel ou stratégique. On assiste à une compression des niveaux de la guerre et l’émergence de moyens de communication de plus en plus élaborés donne un plus grand poids encore à cette tendance. Le leader politique dispose presque d’autant de moyens de diriger les opérations que le commandant sur place (le « micro-management » avait pourtant été critiqué après la guerre du Vietnam).[65]

Mark T. Clark a tenté de résumer les différentes approches de la guerre aujourd’hui, sur base de l’acceptation ou du rejet de Clausewitz. Il distingue trois tendances. La première est la « critique centriste » : la guerre est toujours le fait du paradigme étatique et Clausewitz reste valide. Les tenants de cette approche sont divisés en deux groupes : ceux qui pensent que la technologie diminuera les effets des frictions et ceux qui ne considèrent pas d’amélioration notable en la matière. La deuxième tendance, celle de la « critique de gauche » considère que la guerre devient un phénomène à incorporer dans une structure supranationale, que le futur est post-clausewitzien, que la révolution dans les affaires militaires propose des solutions techniques mais la résolution des conflits est à rechercher dans le cadre d’institutions régionales ou multilatérales. La dernière critique, « critique de droite », considère la guerre comme un phénomène infranational. Le futur serait donc pré-clausewitzien. La révolution dans les affaires militaires devrait se concentrer sur les conflits de basse intensité et non sur les problématiques purement techniques. Les solutions des problèmes de conflictualité devraient donc être recherchées au niveau politique. Parallèlement, pour la critique de droite, il existe le risque de destruction de l’Etat.[66]

Section 5 – L’avenir de la Formule

Quoi qu’il en soit, tous les manuels de doctrine consultés – parmi lesquels différentes éditions du FM 100-5, le FMFM 1, l’AFDD 1, etc. – consacrent la primauté du politique sur le militaire. Plus encore, la publication AFSC Pub.1, The Joint Staff Officer’s Guide 1997, élabore une méthodologie nommée JOPES, Joint Operation Planning and Execution System, dont le but même est de traduire les objectifs politiques en objectifs opérationnels.[67]

Par ailleurs, Clausewitz est toujours étudié dans les écoles militaires. Il éclaire en particulier les cours sur la nature des guerres.[68] Citons aussi l’exemple du général Shelton, alors chef d’état-major interarmes, qui reprenait la Formule lors d’une conférence de presse à propos de la situation au Kosovo en 1998. Pour ce général, la guerre est un outil du politique, mais pas le seul. Cette référence venait illustrer le rôle d’exercices de l’O.T.A.N. menés en Albanie et en Macédoine en vue de faire pression sur la Serbie.[69]

En fait, la pérennité de la Formule est aussi le résultat de la souplesse intellectuelle dont font preuve les tenants de Clausewitz. Pour eux, la Formule n’implique plus une relation linéaire selon le schéma « début des hostilités, destruction de l’ennemi, fin des hostilités ». Reprenant Clausewitz, ses disciples indiquent que les chemins qui mènent à la victoire sont multiples. L’anéantissement de l’ennemi n’est pas le seul moyen. Le militaire dispose donc d’une série d’options pour terminer un conflit. Il peut créer un levier coercitif pour limiter l’escalade, réduire la puissance des forces adverses, diminuer les tensions régionales, etc. Ensuite, tout conflit amène des responsabilités lorsque celui-ci s’est achevé – concept de war termination. Les chefs militaires et politiques doivent en être bien conscients. Plus encore, la stratégie, dans sa dimension war termination, doit reposer sur la coopération entre de multiples organisations.[70] Tout cela fait toujours partie de l’aspect politique d’un conflit.

Les manuels les plus récents du Corps des Marines sont aussi exemplaires au point de vue de l’adaptation de la relation politico-militaire. Cette relation est évaluée dans un nouveau cadre à la fois plus fluide et plus dynamique. La sphère politique n’est plus conçue comme l’univers unique de l’Etat(-nation). Elle incorpore désormais de nouvelles structures telles que la tribus ou le clan. La compréhension de la guerre passe donc par la compréhension des groupes humains sous toutes leurs formes : familles, entreprises commerciales, Eglises, gangs de rues, mafias, alliances, confédérations, bureaucraties, hiérarchies féodales, etc.[71] De plus, la tonalité du FMFM 1 raisonnait de façon très clausewitzienne sur ce point. Le FMFM 1 indiquait d’ailleurs que la paix absolue, tout comme la guerre absolue sont rares en pratique. Le document reconnaissait aussi l’incertitude, les frictions – qui peuvent être surmontées par la volonté – et la dimension humaine de la guerre. La guerre étant une activité dangereuse et violente, elle ne doit jamais être considérée comme romantique – dans le sens commun, et non philosophique, du terme. On y décrit la guerre comme le domaine de l’art et de la science. Bien entendu, le manuel affirmait que la guerre est un instrument de la politique – policy – et qu’elle peut prendre de multiples formes.[72]

Le plus récent manuel MCDP 1-1, également du Corps des Marines, revient encore sur la notion de guerre et la relation entre politique et conflit. Pour le MCDP 1-1, la guerre est un instrument du politique comprenant à la fois les notions policy et politics. La guerre est donc, avant tout, une forme de violence organisée, elle ne doit pas obligatoirement se dérouler entre nations. Ainsi, même si les Kurdes n’ont pas d’Etat, ils sont néanmoins les acteurs d’une guerre. Pour résumer, la guerre possède donc les caractéristiques suivantes ; (1) elle est faite de violence organisée ; (2) elle implique au moins deux groupes de combattants ; (3) elle est la poursuite d’un objectif politique ; (4) son impact est suffisamment grand que pour attirer l’attention des chefs politiques et ; (5) elle continue aussi longtemps que les interactions entre les opposants ont un impact politique. Le manuel détaille ensuite, de manière très didactique, la différence entre puissance continentale et maritime ainsi que la notion d’équilibre des puissances.[73]

A la lecture des manuels, on peut se demander s’il n’existe pas une disjonction entre le discours officiel et doctrinal d’une part et les multiples articles que produisent les diverses revues des forces armées. Ainsi, dans un texte publié par les U.S. Naval Institute Proceedings en 2000, un commandant de l’U.S. Navy se demandera si l’apport des classiques ne doit pas être largement relativisé. L’auteur se demandait si les classiques sont encore capables d’aider les militaires à saisir le sens des conflits contemporains, comme ceux en Irak ou au Kosovo. Une fois de plus Clausewitz – mais également Sun Zi, Liddell Hart, Thucydide, et Machiavel – est mis sur la sellette.[74]

Même dix ans après la fin de la guerre froide, il existe toujours un sentiment de malaise quant à la compréhension des conflits contemporains. Souvent, Clausewitz sert de matrice à partir de laquelle les auteurs peuvent se situer.[75]

Section 6 – La Grand Strategy

La notion de Grand Strategy évoque aussi des considérations sur la charnière politico-stratégique. Ici le discours stratégique américain est moins prolixe en citations clausewitziennes. Notons aussi que le terme de Grand Strategy partage des limites assez floues avec celui de politique étrangère.

Ainsi en 1977, un article de la Naval War College Review introduisait le lecteur à la pensée de Clausewitz sur le comportement des Etats. Pour l’auteur, James E. King, le Prussien permet d’éclairer le concept d’équilibre des puissances en Europe. Clausewitz percevrait le système étatique comme non parfaitement régulé. Il laissait la possibilité à des incidents mineurs de jouer le rôle de catalyseur d’événements majeurs. Pour King, la pensée de Clausewitz montrait une tendance favorable au statu quo interétatique, à l’équilibre, au maintien d’un intérêt commun entre les Nations. Malgré tout, toujours pour James King, Clausewitz avait bien perçu la possibilité qu’un Etat suffisamment puissant arrive à asseoir sa domination sur tous les autres.[76]

Mentionnons ensuite un article de Michael Howard publié dans la revue Foreign Affairs en 1979. L’historien britannique évoquait aussi le concept de Grand Strategy, de manière indirecte il est vrai. Il indiquait que la définition clausewitzienne de la stratégie avait rétréci le champ d’analyse de ce terme. Selon Howard, trop d’importance était accordée aux aspects techniques et au combat dans la guerre et pas assez à sa dimension sociale. Au travers de cet article, Michael Howard mettait en évidence les multiples dimensions et niveaux de la stratégie. La réflexion sur la Grand Strategy est bien à l’œuvre ici.[77] Paul H. Nitze utilisa aussi la référence de Clausewitz à la stratégie de manière à élargir la perpective à l’idée de Grand Strategy. Selon lui, il s’agissait d’une approche de la guerre qui lie les résultats des engagements dans le temps et l’espace.[78] Paul H. Nitze, ancien haut fonctionnaire du State Department, auteur du document NSC 168, semble d’ailleurs avoir une connaissance de base de Clausewitz.[79]

D’autres mettront en évidence le concept de concentration dans la pensée de Clausewitz, concept transposable à l’idée de projection de puissance si présente dans les réflexions des modernes de la Grand Strategy. Par ailleurs, la puissance américaine n’est pas seulement considérée comme militaire mais aussi culturelle, politique et économique. Quel que soit le domaine, la concentration constituerait un atout.[80] Il est vrai que la Formule peut aisément servir de moyen intégrateur des outils de la puissance. Comme la guerre est la continuation de la politique par adjonction d’autres moyens, la Formule s’ouvre à la diplomatie. Ainsi un article à forte tonalité clausewitzienne, publié dans la revue Comparative Strategy, suggérait de façon intéressante que négociations et combat doivent être menés en parallèle dans le temps, et qu’il n’existe pas de coupure entre les deux domaines.[81]

La Formule en tant qu’outil intégrateur des moyens de puissance, c’est encore une fois la sujet choisi par les auteurs de l’ouvrage collectif Grand Strategies in War and Peace (sous la direction de Paul Kennedy, 1991). L’introduction précise bien entendu que la grande stratégie doit être conçue dans une perspective aussi large que possible. Le rôle de la direction politique est mis en évidence. On attire également l’attention du lecteur sur les moyens non militaires de la grande stratégie – diplomatie, moral, culture politique – et sur les relations fins-moyens. Clausewitz et Liddell Hart servent de cadre de référence à la série d’essais qui suivent.[82] Indéniablement, Liddell Hart vient relativiser l’importance que Clausewitz donnait à la bataille. Dans Grand Strategies, Denis Showalter reprochera aussi à Clausewitz de ne pas avoir tenu assez compte de l’aspect économique de la guerre.[83] Dans le même ordre d’idée, certains auteurs préfèrent se référer à Sun Zi, car ce dernier permettrait de mieux comprendre la notion de non-guerre, ou de dissuasion.[84] Plus récemment, l’apparition de la R.M.A. a fait renaître la fameuse critique de Clausewitz qui consiste à affirmer que le Prussien est trop peu attaché à la technologie / technique pour être réellement valable dans la réflexion sur la Grand Strategy. La référence à Clausewitz, dans ce domaine, a donc diminué.

En sortant légèrement du cadre de la Grand Strategy et en empiétant sur la géopolitique[85], Clausewitz a aussi été considéré par certains comme le tenant d’une stratégie « territorialisée ». D’après ce type d’analyses, le contrôle des facteurs physiques que sont le territoire et la population seraient les fondements de toute stratégie efficace.[86] Il peut paraître paradoxal que Mahan et Jomini n’aient pas pris plus de place dans cette réflexion. A contrario, dans un article de la revue Parameters de 1977, le général de brigade Edward B. Atkeson n’avait pas classé Clausewitz parmi les théoriciens de l’approche spatiale de la stratégie. Assez étrangement, cet auteur n’avait pas non plus classé Jomini dans cette catégorie qui reprenait A.T. Mahan, Vauban, Carnot et Douhet. Jomini et Clausewitz étaient repris comme penseurs de la puissance et de la mobilisation populaire – donc, encore une fois, comme les exégètes de la guerre napoléonienne et de l’anéantissement.[87]

Section 7 – L’armement nucléaire[88]

Avant la guerre du Vietnam, peu de véritables adeptes de Clausewitz se sont intéressés à la stratégie nucléaire aux Etats-Unis, si ce n’est Bernard Brodie. Après 1976, les références au Prussien dans cette matière deviendront plus nombreuses.[89] Elles ne sont pourtant pas toutes positives. On constate d’abord une ligne de fracture entre ceux qui mettent en évidence l’absence de rôle de politique que peut jouer l’arme nucléaire et ceux qui la réconcilient avec le schéma clausewitzien. Dans la première optique, on retrouvera par exemple Peter Moody.

En effet, Peter Moody réfute l’idée que les armements nucléaires aient une quelconque valeur politique. Selon lui, le M.A.D. – Mutual Assured Destruction, ou destruction mutuelle assurée – constitue simplement une abdication de la politique. De plus, il remet en cause la valeur de l’idée d’une séparation entre la guerre en théorie et en pratique. Pour lui, toute guerre risque de devenir rapidement une guerre absolue dans le contexte de confrontation Est-Ouest.[90] Wendell J. Coats partage, approximativement, la même opinion. Pour lui, la théorie de la dissuasion ne laisse guère de place à l’utilité politique de l’instrument nucléaire et ce malgré sa réévaluation de la relation entre l’offensive et la défense. Coats montre en effet qu’il est possible de pratiquer une dissuasion offensive – obtention d’un gain – ou défensive – maintenance du statu quo.[91]

Les tenants de la seconde optique peuvent être divisés en deux branches. Les premiers pensent que la fonction défensive de l’arme nucléaire permet le recouplage avec les idées de Clausewitz. Cette conception se rapproche nettement de celle défendue par Bernard Brodie. Citons Bruce Nardulli pour qui la stratégie nucléaire ne doit en aucun cas sortir du cadre politique. Ce cadre doit toujours déterminer les objectifs. Et Bruce Nardulli de critiquer le choix de l’administration Carter pour la Presidential Directive n°59, désignant la countervailing strategy qui fut appréhendée comme un retour du concept war-fighting. Pour Nardulli, la directive 59 repose trop sur une analyse purement militaire. Elle s’avère insuffisante dans le cadre de la dissuasion.[92] L’historien britannique Michael Howard tiendra un raisonnement équivalent : la dissuasion n’est qu’une stratégie dont l’objectif est négatif. Howard pense que le point principal à mettre en évidence à partir de la pensée de Clausewitz est sa tentative de placer la guerre dans un cadre rationnel. Et la dissuasion est certainement plus rationnelle que les conceptions nuclear war-fighting ou war-winning – combattre et gagner la guerre nucléaire. Pour Howard, il serait faux de voir en Clausewitz l’édificateur d’une pensée stratégique uniquement centrée sur l’action.[93] Notons que Michael Howard a toujours fait preuve d’une vision très équilibrée quant au rôle des armes nucléaires.[94]

Les conceptions dites war-fighting et war-winning représentent justement la seconde branche de ceux qui voient une utilité politique à l’arme nucléaire. Toutefois les notions war-winning et war-fighting ne sont, théoriquement, pas un nouveau douhetisme. Le point de départ de l’analyse des tenants de cette école, comme le Britannique Colin S. Gray, consiste à se demander ce qu’il adviendrait si la dissuasion échouait.[95] Dans ce cas, il faudrait bien, selon eux, être prêt à mener une guerre. Dans une telle guerre, les armes nucléaires seraient bien sûr utilisées comme les autres armes. En d’autres termes, une telle analyse en vient à saper les bases des mécanismes de dissuasion – l’acceptation des vulnérabilités réciproques consacrées par le M.A.D. Dans le même ordre d’idées, il faut encore mentionner ceux qui défendent la construction de systèmes anti-missiles – A.B.M. Parfois, ces auteurs font également référence à Clausewitz.[96]

Après avoir vu comment le discours stratégique américain abordait la valeur politique des armes nucléaires, il faut maintenant passer à un outil clausewitzien plus « technique ». Il s’agit du concept de montée aux extrêmes qui est mieux connu sous le vocable d’escalade.

Suite à la guerre du Vietnam, quelques auteurs se sont intéressés à ce concept en pratiquant une relecture des travaux de Clausewitz. Il faut d’abord remarquer que certaines de ces relectures envisagent le concept d’escalade en terme non nucléaire – ou, pas uniquement nucléaire. Ainsi, Russell F. Weigley écrivait, dans un ouvrage publié en 1976, que la guerre a beau être la continuation de la politique par d’autres moyens, la grammaire du conflit risque rapidement de prendre le dessus sur l’objectif politique. Il ne décrivait pas vraiment la guerre comme une simple continuation de la politique. En effet, pour Weigley, une fois la guerre commencée, le désir de vaincre pour des raisons de dissuasion ultérieures, ou pour obtenir une position de force, se rajoute à l’objectif de départ.[97] En termes généraux, c’est le mécanisme d’ascension aux extrêmes qui était visé ici. En fait, la notion d’ascension aux extrêmes lorsqu’elle est discutée dans le discours stratégique américain débouche sur plusieurs axes de réflexion. Elle n’est pas confinée à la question du nucléaire militaire. Ainsi, un auteur britannique, Norman H. Gibbs, publié dans la Naval War College Review, commençait une analyse de la polarisation des conflits en partant des rôles du moral et de l’idéologie. Moral et idéologie étaient, d’après lui, des éléments nécessaires à la compréhension de la violence des guerres révolutionnaires du XVIIIe et du XIXe siècle. Pour Gibbs, le Traité devrait être abordé comme un ouvrage sur la guerre limitée car, au travers du livre, Clausewitz avertit des conséquences potentielles de la guerre dans un contexte idéologisé. Pour Gibbs, il existerait des limites à l’instrumentalisation de la force.[98] On retrouvera également un raisonnement assez similaire dans le contexte de la stratégie nucléaire. Pour Thomas H. Etzold, la conduite de la guerre selon des critères rationnels et le contrôle de celle-ci paraît difficile à exécuter. Les frictions et le moral, les éléments non quantifiables et non prévisibles laissent percevoir une quête de l’impossible.[99] L’ascension aux extrêmes est donc perçue comme un phénomène automatique, qui ne ressort pas de la volonté des belligérants.[100] En fait, ces discussions perpétuent les anciennes considérations sur la guerre limitée. Prédominance du politique, refus de l’anéantissement à tout prix, équilibre de l’enjeu politico-stratégique sont réaffirmés.[101]

Mais la question de l’escalade se pose aussi en termes nouveaux durant les années 80. L’administration Reagan a en effet institué le concept d’escalade horizontale dont l’U.S. Navy était un des acteurs principaux. Selon cette conception, si une guerre ne peut être menée victorieusement par l’O.T.A.N. en Europe Centrale, la Navy devrait alors passer à l’action en ouvrant un front supplémentaire. L’Europe deviendrait une zone de fixation des communistes. Des pressions pourraient être exercées en d’autres points du globe.[102] Ces nouvelles perspectives d’escalade vont être bien étudiées par Richard Ned Lebow et Stephen J. Cimbala, avec référence à Clausewitz.

Richard Ned Lebow montre bien la dichotomie qui existe dans le travail de Clausewitz entre, d’une part, la guerre considérée sous l’angle de l’instrumentalisation politique et, d’autre part, l’importance des éléments intangibles comme les frictions, les forces morales, les émotions, etc. Ensuite, l’auteur dégage quatre grandes catégories de phénomènes propres à déséquilibrer l’état des relations internationales en temps de crise : la relation civil-militaire et ses conflictualités potentielles, la perte de contrôle due aux émotions, et le « sabotage politique » – une prise de position contraire à l’autorité nationale par un subordonné en toute conscience ; les cas du général MacArthur en Corée et du général LeMay préparant des frappes préventives au Strategic Air Command sont mentionnés – et ce qu’il nomme countervailing force, soit les forces d’inertie, comme la bureaucratie, la routine, la lassitude, etc. Lebow replace en fait les frictions au centre du mécanisme d’escalade. Alors que Clausewitz présente les frictions sous la forme d’un frein à la montée aux extrêmes, il semblerait que dans un contexte de dissuasion, elles soient plus de nature à accélérer cette ascension. D’autre part, la chaîne de commandement au sein des unités stratégiques n’est-elle pas devenue tellement élaborée par le renforcement des mécanismes de rétroactions, que le système est devenu trop sensible à toute pression de la part de ces même frictions ?[103]

Pour Stephen J. Cimbala, le mécanisme d’escalade mis en évidence dans On War est très utile à la compréhension de la stratégie nucléaire et de la confrontation Est-Ouest. Il constate que l’une des plus grandes craintes de ceux qui s’intéressent à la stratégie nucléaire est le risque d’escalade incontrôlée. Il décide donc d’étudier ce mécanisme dans une perspective clausewitzienne, en tenant compte des variables que le Prussien met en évidence dans la formation de la guerre. Il commence par déterminer deux approches majeures existant en matière de gestion de l’escalade. La première, à laquelle est associée Thomas C. Schelling, est appelée risk-provoking – provocation du risque – laisse délibérément certains facteurs en friche. Ces facteurs créent une zone d’incertitude dans les mécanismes de dissuasion, ce qui est censé les renforcer. La seconde approche est nommée force-dependant – dépendante des forces. Ceux qui adhèrent à cette approche croient en la possibilité de se défendre et cherchent à s’assurer une supériorité numérique de force, ou une égalité, par rapport à l’adversaire. Quelle que soit l’approche choisie, le risque d’escalade est toujours présent, bien qu’il soit de nature différente. Laisser une zone d’incertitude est de nature à rendre anxieux un acteur stratégique quant au choix de son adversaire. L’autre posture peut au contraire effrayer l’acteur quant aux potentialités de l’ennemi – ce que l’on nomme le dilemme de la sécurité. Les deux sentiments ont un rôle à jouer dans l’escalade.

Pour Stephen J. Cimbala, dans la pratique, trois stratégies de contrôle de l’escalade sont envisagées dans le cadre de l’O.T.A.N. La première consiste à se défendre de manière conventionnelle en vue d’élever le palier à partir duquel l’arme nucléaire risque d’être employée. Mais il existe un danger d’escalade si l’un des protagonistes se retrouve en situation désavantageuse – « dos au mur » en quelque sorte.

La deuxième stratégie consiste à utiliser l’escalade horizontale – escalade étendue géographiquement, comme celle prônée par la doctrine de l’U.S. Navy et développée sous l’administration Reagan. Il s’agirait de pratiquer une stratégie contre-force appliquée sur d’autres théâtres d’opérations. Toutefois, cette stratégie serait en mesure d’introduire une telle ambiguïté dans l’esprit de l’adversaire que le risque d’escalade verticale se trouve réintroduit ultérieurement.

La troisième stratégie consiste à employer une milice-(techno-)guérilla en Europe Centrale. Stephen J. Cimbala reprend les critères de Clausewitz en matière de guerre populaire mais les considère difficilement applicables. Le problème principal de cette pratique est qu’elle s’avère matériellement irréalisable en Europe occidentale par le manque d’attention qui y a été porté et la mise en question de la volonté de se battre des populations. Et enfin, On War de compléter la perspective de l’auteur quant à ces approches par l’analyse du rôle du renseignement, des ruses – deception -, de l’incertitude, de la relation attaque-défense, du génie et de la rationalité de la prise de décision, etc. dans le cadre du risque d’escalade de la stratégie nucléaire.[104]

L’escalade sera encore traitée en termes clausewitziens par quelques autres auteurs. Ainsi, pour Wendell J. Coats, il est possible d’établir deux modèles type d’escalade à partir des idées de Clausewitz. Le premier type aurait pour but d’amener l’ennemi à la table des négociations. Ici, il n’est pas question de victoire dans le sens militaire du terme. Le second type d’escalade rechercherait, à l’opposé, la destruction des forces ennemies. L’auteur insiste sur la nécessité de comprendre l’utilisation réelle des forces et de la distinguer de l’utilisation virtuelle, dissuasive.[105]

Notons aussi l’opinion de Daniel Moran, dans une perspective qui n’est pas uniquement centrée sur le nucléaire, à propos de la R.M.A. et de l’escalade. Selon lui, la R.M.A. n’a pas fait disparaître les risques d’escalade dans les conflits. Le contrôle politique sur la guerre est toujours nécessaire. Les risques d’escalade – verticale ou horizontale – sont toujours présents.[106]

En résumé, le discours stratégique américain, dans ses considérations sur Clausewitz et la notion d’escalade, regroupe essentiellement deux tendances. La première cherche à comprendre les mécanismes d’escalade en vue de pouvoir circonscrire la spirale de la violence. La seconde semble plus encline à utiliser la menace de l’escalade en vue de mener des stratégies d’action.

Pour conclure ce passage, ajoutons encore que selon John Shy, il existerait une tension entre approche jominienne et clausewitzienne dans la pensée nucléaire, et ce au même titre que pour la stratégie conventionnelle. Pour Shy, l’approche jominienne est réductrice. Elle n’appréhende la réalité qu’à travers quelques facteurs – le temps, l’espace, les objectifs, l’intérêt national – et quelques outils qui lui sont particuliers – probabilités, scénarii, analyses coûts / bénéfices. Mais cette approche ne tient pas compte de la myriade d’autres facteurs qui peuvent intervenir. Ces derniers facteurs sont jugés quotités négligeables.[107]

[1] Voir : Thibault E.A., « War as a Collapse of Policy: A Critical Evaluation of Clausewitz », Naval War College Review, mai-juin 1973, pp. 42-56 ; Moody P.J., « Clausewitz and the Fading Dialectic of War », World Politics, juillet 1979, pp. 417-433 ; Furlong R.B., « Strategymaking for the 1980’s », Parameters, printemps 1979, p. 10.

[2] Brinsfield J., « Ethics and Counter-revolution – Book reviews », Parameters, hiver 1998, p. 171.

[3] Par exemple : Headquarters United States Marine Corps, MCDP 1-1, Strategy, Washington D.C., 1997, pp. 93-94.

[4] Walzer M., Just and Unjust Wars – A Moral Argument with Historical Illustrations, New York, Basic Books, 1992 (deuxième édition, publié pour la première fois en 1977), pp. 79, 110, 122. L’auteur reconnaît avoir lu une édition abrégée de On War (celle compilée par Edward M. Collins en 1962) vu que l’édition de 1976 par Michael Howard et Peter Paret est sortie après que Just and Unjust Wars ait été achevé. Voir aussi, dans la même lignée que Michael Walzer sur Clausewitz et la guerre juste, le point de vue de Homes R.L., On War and Morality, Princeton, Princeton University Press, 1989, 310 p.

[5] Brodie B., War and Politics, Londres, Cassel, 1973, pp. 11 ; 439-440 ; 452-453 ; 494-495.

[6] King J.E., « On Clausewitz: Master Theorists of War », art. cit., pp. 26-27 et 31-32.

[7] Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[8] Lepper S.J., « On (the Law of) War: What Clausewitz Meant to Say », Course Number 5602, Seminar « I », Class of 1998, National War College (http://www.ndu.edu./ndu/ndz/5602paper.html) ; Johnson J.T., « Threat, Values, and Defense: Does Defense of Values by Force Remain a Moral Possibility? », Parameters, printemps 1985, pp. 13-25 ; id., Just War Tradition and the Restraint of War, Princeton, Princeton University Press, 1981, pp. 251, 268, 275. Voir aussi des articles rédigés par des auteurs non américains : Creveld M. van, « The Clausewitzian Universe and the Law of War », The Journal of Contemporary History, septembre 1991, pp. 403-429 ; Smith D., « Just War, Clausewitz and Sarajevo », The Journal of Peace Research, vol. 31, n°2, 1994, pp. 136-142.

[9] Jablonsky D., « Strategy and the Operational Level of War: Part II », art. cit., p. 57.

[10] Voir : Summers H.G., On Strategy, op. cit., 224 p.

[11] Critique qui a trouvé un large écho sur base de Clausewitz : Allen R.L., « Piercing the Veil of Operational Art », art. cit., pp. 111-119 ; Jablonsky D., « Strategy and the Operational Level of War: Part I », Parameters, printemps 1987, pp. 67 et 70 ; Staudenmaier W.O., « Vietnam, Mao, and Clausewitz », Parameters, printemps 1977, p. 87-88.

[12] Voir : Freudenberg G.F., « A Conversation with General Clausewitz », Military Review, octobre 1977, pp. 68-71.

[13] Voir : Mao Tsé-toung, La guerre révolutionnaire, Paris, 10/18, 1955, 185 p.

[14] De la guerre, p. 69 (Livre I, Ch. 1). Sur la trinité, lire aussi la réflexion du sociologue britannique Roxborough I., « Clausewitz and the sociology of war », The British Journal of Sociology, décembre 1994, pp. 619-636.

[15] Voir aussi, par exemple: Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., pp. 41-42.

[16] Voir également : Summers H.G., « Clausewitz and Strategy Today », Naval War College Review, mars-avril 1983, pp. 40-46.

[17] Voir par exemple : Brown J.B., « Media Access to the Battlefield », Military Review, juillet 1992, pp. 10-20.

[18] Summers H.G., « Western Media and Recent Wars », Military Review, mai 1986, pp. 4-17.

[19] Rothfels H., « Clausewitz, dans Mead Earle E.(éd.), Les maîtres de la stratégie, vol. 1, De la Renaissance à la fin du XIXe siècle, (Makers of Modern Strategy, 1943 – traduit de l’américain par Pélissier A.) Paris, Flammarion, 1980, pp. 186-213.

[20] Nous retrouvons cette notion à de très nombreuses reprises, en particulier dans le premier volume que l’auteur consacre à Clausewitz. Aron R., Penser la guerre – Clausewitz, t. I, Paris, Gallimard, 1976, 472 p. Voir aussi : Aron R., « Clausewitz’s Conceptual System », art. cit., pp. 49-59.

[21] Swain R.M., « On Strategy II – Book Reviews », Military Review, juin 1992, p. 81.

[22] Grant A.V., « Strategic Decisions: The Mire of Low-Intensity Conflict », Comparative Strategy, vol. 10, n°2, 1991, pp. 168-169 ; Rice T.L., « Forging Security Through Peace », Military Review, avril 1992, p. 20.

[23] Villacres E.J. & Bassford Ch., « Reclaiming the Clausewitzian Trinity », Parameters, mai 1983, pp. 22-39.

[24] Headquarters United States Marine Corps, MCDP 1-1, Strategy, 1997, p. 31.

[25] Echevarria A.J. II, « Clausewitz in English »(book review) in Armed Forces and Society, automne 1995 (http://www.clausewitz.com/cwzhome/books/Bassford/ECHREV.htm).

[26] Handel M.I., « Clausewitz in the Age of Technology », dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 51-92.

[27] Jablonsky D., « US Military Doctrine and the Revolution in Military Affairs », Parameters, automne 1994, pp. 18-36.

[28] Echevarria A.J. II, « The Legacy of Clausewitz », Joint Forces Quarterly, hiver 1995-96, pp. 76-82.

[29] Tashjean J.E., « The Transatlantic Clausewitz », art. cit., pp. 75-76.

[30] Eikenberry K.W., « Take No Casualties », Parameters, été 1996, pp. 109-118.

[31] Weinberger C.W., « U.S. Defense Strategy », Foreign Affairs, printemps 1986, pp. 675-697. Sur le caractère clausewitzien de cette doctrine, voir aussi : Otis J.F. Jr., « Clausewitz: On Weinberger », Marine Corps Gazette, février 1988, pp. 16-17.

[32] Handel M.I., Masters of War, op. cit., p. 185.

[33] Powell C. (avec la collaboration de Persico J.E.), Un enfant du Bronx, (My American Journey, 1995, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Garène M., Henry J., Joly Cl., Mourlon J.-P., Pedussaud J.-J.), Paris, Odile Jacob, 1995, pp. 254-255.

[34] En se présentant sous forme de tests, la doctrine Weinberger partage une certaine similitude avec les principes de la guerre. De même que les principes de la guerre, dont l’interprétation et la flexibilité dans le discours stratégique américain ont déjà été montrées, les tests de la doctrine sont parfois adaptés aux circonstances. Avella J.R., « Evaluating Criteria for Use of Military Force », Comparative Strategy, vol. 10, n° 3, 1991, pp. 217-240. Voir aussi l’application des tests par Michael I. Handel aux conflits du Vietnam, de la Grenade, du Liban, de l’Amérique Centrale, de Panama, de la guerre du Golfe, de la Somalie et de la Bosnie. Handel M.I., Masters of War, op. cit., 321 p.

[35] Colson Br., Le tiers monde dans la stratégie américaine, Paris, Economica / ISC / Centre d’Analyse Politique Comparée / Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1994, p. 17.

[36] Dubois Th.R., « The Weinberger Doctrine and the Liberation of Kuwait » Parameters, mars 1991-92, p. 38.

[37] Powell C., (avec la collaboration de Persico J.E.), Un enfant du Bronx, op. cit.

[38] Roth D., Sacred Honor – Colin Powell – A Biography, New York, Harper, 1993, pp. 111-113 ; 159 ; 246 ; et 295. Notons que Fred Iklé dans son ouvrage Every War Must End ne mentionne Clausewitz qu’une seule fois sous forme de citation de début de chapitre, page 17. Cette citation insiste sur l’incertitude et le peu de valeur des informations obtenues en temps de guerre. Comme son titre l’indique, ce livre discute des conditions dans lesquelles une guerre prend fin et des problèmes que la dynamique de la guerre soulève dans cette optique. Iklé F., Every War Must End, New York, Columbia University Press, 1971, 160 p.

[39] Mis en évidence dans Romjue J.L., « The Evolution of AirLand Battle Concept », art. cit., p. 6.

[40] Hoffmann S. / Huntington S.P. / May E.R. / Neustadt R.N. / Schelling Th.C., « Vietnam Reappraised », International Security, été 1981, pp. 10-11.

[41] Rosen S.P., « Vietnam and the American Theory of Limited War », International Security, automne 1982, p. 85. R.E. Osgood est ici pointé du doigt.

[42] La connexion est directement établie avec Clausewitz dans l’édition de 1986: Headquarters, Department of the Army, FM 100-5, Operations, Washington D.C., 1986, p. 6.

[43] Record J., « Sizing Up Military Effectiveness », Parameters, décembre 1988, pp. 25-29.

[44] Par exemple : Montano J.J. & Long D.H., « Clausewitz’s Advice to the New US President », Parameters, décembre 1988, pp. 30-41 ; Furlong R.B., « On War, Political Objectives and Military Strategy », Parameters, décembre 1983, pp. 2-10.

[45] O’Meara Jr., « Strategy and the Military Professional – PART I », Military Review, janvier 1980, pp. 38-45.

[46] Voir par exemple : Clarcke W. & Gosende R., « The Political Component: The Missing Vital Element in US Intervention Planning », Parameters, automne 1996, pp. 35-51 ; Cerami J.R., « Presidential Decisionmaking and Vietnam: Lessons for Strategists », Parameters, hiver 1996-97, pp. 66-80 ; voir aussi l’enquête réalisée par John M. Collins sur demande de membres du Congrès ; Collins J.M., U.S. Defense Planning – A Critique, Boulder, Westview Press, 1982, 337 p.

[47] McFetridge Ch.D., « Foreign Policy and Military Strategy: The Civil-Military Equation », Military Review, avril 1986, pp. 22-30.

[48] Actuellement, il existe peu de traces en français de ce débat. Voir tout de même : Battistella D., « Irrationalité des conflits contemporains? », dans Guerres et conflits dans l’après-guerre froide, Problèmes politiques et sociaux (dossiers d’actualité mondiale), La documentation française, n°799-800, 20 Mars 1998, pp. 59-72 ; Hassner P., « Par-delà le totalitarisme et la guerre », Esprit, Décembre 1998, pp. 12-23 ; Coutau-Bégarie H., Traité de stratégie, Paris, Economica / ISC, 1999, p. 195.

[49] Forbes J., « Aztec Warfare Shows Clausewitz Erred », Military Review, avril 1989, p. 82 et Rosello V.M., « Vindicates Clausewitz On War », Military Review, juillet 1989, p. 104.

[50] Voir aussi : Tucker D., « Fighting Barbarians », Parameters, été 1998, pp. 69-79 ; Jablonsky D., « Time’s Arrow, Time’s Cycle: Metaphors for a Period of Transition », Parameters, hiver 1997-98, pp. 4-27 ; Bunker R.J., « Technology in a Neo-Clausewitzian Setting », dans de Nooy G. (dir.), The Clausewitzian Dictum and the Future of Western Military Strategy, La Haie-Londres-Boston, Netherland Institute of International Relations ‘Clingendael’, Kluwer Law International, Nijhoff Law Specials, vol. 31, 1997, pp. 137-165.

[51] Creveld M. van, On Future War, Brassey’s, 1991, Londres, p. 36 (l’ouvrage est paru aux Etats-Unis sous les références suivantes : The Transformation of War, The Free Press, 1991, 254 p.) ; id., « What is Wrong with Clausewitz? », dans de Nooy G. (dir.), The Clausewitzian Dictum and the Future of Western Military Strategy, op. cit., pp. 7-23. Nous trouvons déjà une référence à la guerre comme continuation du sport par d’autres moyens dans Moody P.J., « Clausewitz and the Fading Dialectic of War », art. cit., p. 418.

[52] Keegan J., « Peace by Other Means? », Times Literary Supplement, 11 décembre 1993, pp. 3-4 ; id., A History of Warfare, Reading, Pimlico, 1993, 432 p. ; voir aussi la critique positive par Morrow L., « Chronicling A Filthy 4.000-Year-Old Habit », Time, novembre 29, p. 76. ; et la critique britannique de Lambert A., « The Transformation of War – Book Reviews », The Journal of Strategic Studies, mars 1992, pp. 128-130. Les idées de Keegan ne sont pas sans rappeler celles de l’historien américain Victor D. Hanson qui défend la thèse de l’existence d’un style occidental de la guerre dont les racines peuvent déjà être trouvées dans le modèle de la phalange grecque de l’Antiquité. Notons que Keegan a préfacé cet ouvrage. Hanson V.D., Le modèle occidental de la guerre, (The Western Way of War, infantry battle in classical Greece, 1989 – traduit de l’américain par Billault A.), Paris, Les Belles Lettres, 1990, 292 p.

[53] Bassford Ch., « In Defense of Clausewitz », Times Literary Supplement, 15 janvier 1993, p. 17.

[54] Keegan J., « Clausewitz and Asian warfare », Times Literary Supplement, 22 janvier 1993, p. 15.

[55] Voir aussi : Cale K., « Cultural Wars », The Marxist Review of Books, Living Marxism, issue 73, novembre 1994 (http://www.clausewitz.com/cwz/calrev.htm) ; Cohen E.A., « Blood Rites – book review », Foreign Affairs, mars-avril 1998, p. 146.

[56] Voir aussi : Echevarria A.J. II, « The Legacy of Clausewitz », art. cit., pp. 76-82. La validité des deux termes chez Clausewitz est aussi évoquée par Raymond Aron . Aron R., Penser la guerre, Clausewitz, t. I, op. cit., p. 112.

[57] Christopher Bassford, comme Richard M. Swain se demande si l’ouvrage de John Keegan n’est pas délibérément polémique. Bassford Ch., « John Keegan and the Grand Tradition of Trashing Clausewitz (A Polemic) », art. cit.

[58] Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[59] Id.., Masters of War, op. cit., pp. 257 et 262.

[60] Toffler A. & H., Guerre et contre-guerre, op. cit., pp. 59, 117, et 166.

[61] Metz S., « A Wake for Clausewitz: Toward a Philosophy of 21st Century Warfare », Parameters, hiver 1994-95, pp. 126-132 ; Bassford Ch., « A Wake for Clausewitz? », article proposé par l’auteur à la revue Parameters mais non publié

[62] Cimbala S.J., The Politics of Warfare, University Park, Pennsylvania State University Press, 1997, pp. 204-206.

[63] Loc.cit.

[64] Friedman R.S., « War By Other Means: Economic Intelligence and Industrial Espionage », Parameters, Autumn 1998, pp. 150-154.

[65] Jablonsky D., « US Military Doctrine and the Revolution in Military Affairs », art. cit., pp. 18-36.

[66] Clark M.T., « The Continuing Relevance of Clausewitz », Strategic Review, hiver 1998, pp. 54-61.

[67] AFSC Pub. 1, The Joint Staff Officer’s Guide, 1997, op. cit.

[68] Par exemple : U.S. Army War College, Department of Distance Education, Distance Education Curriculum, Class of 1998, Course 2: The Theory and the Nature of War ; U.S. Army War College, Department of Distance Education, Distance Education Curriculum, Class of 1998, Course 4: National Military Strategy: Theory and History – Lesson 1: The Fundamentals of Military Strategy (http://carlisle-www.mil/usawc/class98/course2/crs220.htm).

[69] DoD News Briefing NATO Headquarters, Remarks by Secretary Cohen and General H. Shelton, Chairman of the Joint Chiefs of Staff, NATO Headquarters, Brussels, Belgium, Friday, juin 12, 1998.

[70] Rampy M.R., « The Endgame: Conflict Termination and Post-Conflict Activities », Military Review, octobre 1992, pp. 42-54.

[71] Bassford Ch., « Doctrinal Complexity: Nonlinearity in Marine Corps Doctrine », art. cit.

[72] Headquarters United States Marine Corps, FMFM.1, Warfighting, 1989.

[73] Headquarters United States Marine Corps, MCDP 1-1, Strategy, 1997, pp. 9-30.

[74] Laingen Ch.W., « On War », U.S. Naval Institute Proceedings, mai 2000, pp. 34-37.

[75] Voir encore : Glick E.B., « Politics is Really Other Things », Military Review, juillet-août 2000, pp. 92-93 ; Gray C., « Clausewsitz rules, OK? The future is the past – with GPS », Review of International Studies, décembre 1999, pp. 161-183.

[76] King J.E., « On Clausewitz: Master Theorist of War », art. cit., p. 32.

[77] Howard M., « The Forgotten Dimensions of Strategy », Foreign Affairs, été 1979, pp. 975-986.

[78] Nitze P.H., « Strategy in the Decade of the 1980’s », Foreign Affairs, automne 1980, p. 82.

[79] Voir : id., « Assuring Stability in an Era of Détente », Foreign Affairs, janvier 1976, pp. 210-211

[80] Henrikson A.K., « The Emanation of Power », International Security, été 1981, p. 161.

[81] McMillan J., « Talking to Enemy: Negotiations in Wartime », art. cit., pp. 447-461

[82] Kennedy P. (dir.), Grand Strategies in War and Peace, New Haven and Londres, Yale University Press, 1991, pp. 1-7.

[83] Showalter D.E., « Total War for Limited Objectives: An Interpretation of German Grand Strategy », dans Ibid., p. 107.

[84] Foster G.D., « A Conceptual Foundation for the Development of Strategy », dans Gaston J.C. (dir.), Grand Strategy and the Decisionmaking Process, Washington D.C., NDU Press, 1992, pp. 55-76

[85] A titre informatif, voir aussi le géographe français Yves Lacoste à propos de Clausewitz et de la géographie. Lacoste Y., « A propos de Clausewitz et d’une géographie », Hérodote, juillet-septembre 1976, pp. 65-75 (l’article est suivi de morceaux choisis de De la Guerre, pp. 76-94) et La géographie ça sert d’abord à faire la guerre, Paris, Maspero, 1976, p. 6

[86] Hansen D.G., « The Immutable Importance of Geography », Parameters, printemps 1997, p. 55.

[87] Atkeson E.B., « The Dimensions of Military Strategy », Parameters, vol. VII, n°1, 1977, pp. 41-52.

[88] Le lecteur intéressé pourra également trouver des commentaires sur Clausewitz et l’arme nucléaire chez les Français Lucien Poirier, Raymond Aron , Alain Joxe et le Britannique Lawrence Freedman. Poirier L., Des stratégies nucléaires, Bruxelles, Complexe, 1988 (publié pour la première fois en 1977), 406 p. ; Aron R., Penser la guerre, Clausewitz, t. II, L’âge planétaire, Paris, Gallimard, 1976, 365 p. ; Joxe A., Le cycle de la dissuasion (1945-1990), essai de stratégie critique, Paris, La découverte / FEDN, 1990, 313 p. ; Freedman L., Strategic Defence in the Nuclear Age, Oxford, Adelphi Papers 224, Brassey’s / I.I.S.S., Autumn 1987, 72 p.

[89] Par exemple : Mandelbaum M., The Nuclear Question: The United States and Nuclear Weapons, 1946-1976, Cambridge, Cambridge University Press, 1979, pp. 96-98 ; id., The Nuclear Revolution, International Politics Before and After Hiroshima, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, 283 p.

[90] Moody P.J., « Clausewitz and the Fading Dialectic of War », art. cit., p. 428.

[91] Coats W.J., « Clausewitz’s Theory of War: An Alternative View », art. cit., pp. 368-369

[92] Nardulli B., « Clausewitz and the Reorientation of Nuclear Strategy », The Journal of Strategic Studies, décembre 1982, pp. 494-510.

[93] Howard M.E., « On Fighting Nuclear War », International Security, printemps 1981, pp. 3-17.

[94] Voir par exemple : id., « The Relevance of Traditional Strategy, Foreign Affairs, janvier 1973, pp. 253-266.

[95] Gray C.S., « Nuclear Strategy: What Is True, What Is False, What Is Arguable », Comparative Strategy, vol. 9, n°1, 1990, pp. 1-32

[96] Jensen O.E., « Classical Military Strategy and Ballistic Missile Defense », Air University Review, mai-juin 1984, pp. 54-63 ; Fritz N.H., « Clausewitz and U.S. Nuclear Weapons Policy », Air University Review, novembre-décembre 1982, pp. 18-28.

[97] Weigley R.F., « Military Strategy and Civilian Leadership », dans Knorr K. (dir.), Historical Dimensions of National Security Problems, op. cit., p. 70

[98] Gibbs N.H., « Clausewitz on the Moral Forces in War », Naval War College Review, janvier-février 1975, pp. 15-22.

[99] Etzold Th.H., « Clausewitzian Lessons for Modern Strategists », Air University Review, mai-juin 1980, pp. 24-28.

[100] King J.E., « On Clausewitz: Master Theorist of War », art. cit., p. 25 ; Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[101] Simpson B.M., « The Essential Clausewitz », art. cit., pp. 54-81.

[102] Gray C.S., « Ocean and Continent in Global Strategy », Comparative Strategy, vol. 7, n°4, 1988, pp. 442-443.

[103] Lebow R.N., « Clausewitz and Nuclear Crisis Stability », Political Sciences Quarterly, vol. 103, n°1, 1988, pp. 81-110.

[104] Cimbala S.J., Clausewitz and Escalation – Classical Perspective on Nuclear Strategy, Portland, Frank Cass, 1991, 218 p. On trouve également quelques références (3 au total) à Clausewitz, moins importantes, dans id., The Past and the Future of Nuclear Deterrence, Londres, Praeger, 1998, 235 p.

[105] Coats W.J. Jr., « Economic Reasoning and Military Strategy: Lessons from the Vietnam Era », dans Baumann F.E. & Jensen K.M., American Defense Policy and Liberal Democracy, Charlottesville, University Press of Virginia, 1989, p. 68

[106] Moran D., The Fog of Peace – The Military Dimensions of the Concert of Europe, juin 1995, U.S.A.W.C., S.S.I.

[107] Shy J., « Jomini », dans Paret P. (dir.), Makers of Modern Strategy, op. cit., p. 183.

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur Chapitre 5 – L’apport de Clausewitz à la charnière politico-stratégique

Chapitre 4 – En quête d’une nouvelle approche de Clausewitz

Section 1 – Les obstacles à la compréhension

Il est difficile de suivre les références à Clausewitz dans le discours stratégique américain de la fin de la guerre du Vietnam à nos jours. En effet, les références au Prussien partent dans tous les sens. A première lecture, il paraît quasiment impossible de tirer une cohérence quelconque de l’objet – un élément de réponse à l’hypothèse de départ s’ébauche. Pour gagner en clarté, on découpera le sujet en quelques grandes rubriques qui permettront de rendre le sujet plus commode à l’étude.

Tout d’abord, il semblait intéressant de connaître les raisons évoquées par certains textes pour ne pas lire le Traité. Autrement dit, il faut envisager les obstacles à la lecture de ce texte. Ensuite, il sera utile de voir de quelle manière le discours appréhende la méthodologie clausewitzienne – utilisation de l’histoire, philosophie, guerre en tant que science ou art. Ces thèmes, en particulier ceux consacrés à l’histoire et la science, permettront de passer aux principes de la guerre et de voir en quoi ils ont évolué.

Enfin, les références à Clausewitz en rapport avec la charnière politico-stratégique – sur la Formule, la Grand Strategy, la définition trinitaire de la guerre, etc. – seront traitées. D’autre part, une littérature abondante existe sur les concepts clausewitziens appliqués à l’art opérationnel – génie, moral, centre de gravité, etc. Ces deux catégories peuvent être dissociées avec une relative facilité.

Mais, comme ont l’a déjà indiqué, il convient de commencer par étudier les difficultés mentionnées à l’égard de la lecture de Clausewitz. En effet, le Traité est toujours considéré comme un ouvrage d’accès difficile. Plusieurs auteurs du discours stratégique américain s’en sont plaint à diverses occasions. Pêle-mêle, on peut citer plusieurs raisons évoquées par ceux-ci. Il y a d’abord la tonalité philosophique – et en particulier la sémantique datée – de l’oeuvre et le fait que le livre soit inachevé. Ensuite, la structure du Traité est aussi pointée du doigt. Son aspect est complexe car Clausewitz tient compte des interactions, il laisse donc une place aux réactions de l’ennemi, et que les arguments s’entrecroisent sans cesse. Donc, l’œuvre se laisse très difficilement abréger, résumer ou condenser.[1] Mais d’autres considérations entrent en ligne de compte. Premièrement, certains reprochent à On War de faire fi de la puissance navale. Deuxièmement, le Traité serait trop décalé par rapport à notre environnement. Il est vrai que Clausewitz n’a pas connu la puissance aérienne, ni la puissance nucléaire – qui a permis à de nombreux commentateurs de remettre en cause la valeur de la Formule -, ni les nouvelles menaces contemporaines – par exemple, lutte contre les narcotrafiquants, les opérations anti-terroristes liées à l’érosion du cadre de l’Etat-nation, bref, les phénomènes transnationaux -, ni la constitution de forces de maintien de la paix – le rôle dit de police militaire ou constabulatory force en anglais.[2] On verra toutefois que bien des auteurs sont parvenus à réconcilier le travail de Clausewitz en dépit de ces décalages.

Sur un autre plan, des considérations éthiques constituent parfois un obstacle supplémentaire. Ce point est valable pour ceux qui assimilent le Prussien à sa descendance marxiste.[3] D’autres voient en lui un ancêtre des Nazis. Eric Alterman remarque que l’on retrouve chez Clausewitz des passages antisémites – ce qui est exact. Pour cet auteur, lorsque l’on évoque le génocide des Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale, Clausewitz est spirituellement bien présent. De plus, le Prussien est ici perçu comme un glorificateur de la guerre. Dans ce schéma, la Formule n’est plus envisagée que sous le jour d’une excuse dont le militaire peut se prévaloir lorsque le politique manque de connaissances en stratégie. En d’autres termes, la Formule ne servirait plus qu’à justifier toutes les erreurs des militaires.[4]

Suivant un autre raisonnement, l’importance du politique dans On War met des officiers mal à l’aise. Pour eux, le livre est tellement entremêlé de considérations sur la politique qu’il pourrait suggérer aux soldats qu’ils ont un mot à dire dans l’édification de celle-ci. Or, tout ceci est largement contraire à la tradition américaine, et même plus largement anglo-saxonne. David MacIsaac rapporte encore un obstacle à la diffusion du Traité – obstacle qu’il démonte dans son article. Selon certains, On War est un ouvrage de stratégie qui concerne les plus hautes instances militaires, pas les officiers subalternes. Pourtant, c’est bien aux officiers juniors qu’est enseignée la pensée de Clausewitz. Dès lors, il serait facile de comprendre le moindre intérêt de ces jeunes officiers. Pour MacIsaac, Clausewitz peut être utile à des officiers juniors car certains de ceux-ci monteront dans la hiérarchie et qu’ils n’auront alors probablement plus le temps de lire Clausewitz.[5]

A côté de cette liste d’obstacles à l’enseignement des idées de Clausewitz, il existe pourtant de nombreux éléments qui permettent d’affirmer que le Prussien est maintenant plus accessible outre-Atlantique. En ce qui concerne la difficulté d’aborder On war à cause de sa tonalité philosophique et du vocabulaire, on notera les progrès de la nouvelle traduction du Traité par Peter Paret et Michael Howard. Cette édition corrige des erreurs présentes dans les éditions précédentes – comme celle relative au retournement de la primauté du politique sur le militaire – mais elle rend également la lecture plus aisée, certains diront au détriment de l’authenticité du texte. L’ouvrage est complété par des essais de Peter Paret, Michael Howard et Bernard Brodie. Ces textes fournissent un contexte utile à la compréhension de Clausewitz. On a toutefois critiqué le premier de ces essais, celui de Bernard Brodie. Son texte est intitulé, The Continuing Relevance of Clausewitz.[6] Il y met en évidence les raisons valables pour continuer à lire Clausewitz. Il est vrai que Brodie apporte peu au débat ici.[7]

Brodie a écrit un second commentaire dans l’ouvrage. Il s’agit d’un guide d’aide à la lecture qui figure à la fin du livre. Ce commentaire procède en établissant de nombreux parallèles historiques qui sont des espèces d’illustrations. Mais ici la critique est divisée. Bien entendu, le caractère pragmatique et l’utilité de cet essai sont indéniables.[8] Mais le traitement de Brodie fait passer au second plan toute la richesse théorique du Traité.[9]

Notons aussi que certains regrettent l’absence d’index dans la nouvelle traduction de 1976. Il existait pourtant un index sommaire à l’édition de 1873 (traduction du colonel J.J. Graham). Un deuxième index fut ensuite réalisé dans les années 60 sur ordinateur mainframe. Cet index était tellement long qu’il en devenait quasiment impropre à l’utilisation. L’édition de 1984, basée sur celle de 1976 de Peter Paret et Michael Howard, contient par contre un court index des noms propres. Depuis, un nouvel index conceptuel a été réalisé en 1994-95 à Fort Leavenworth par l’U.S. Army’s School of Advanced Military Studies et un deuxième pour le compte de la Clausewitz Homepage de Christopher Bassford que l’on peut trouver sur l’Internet.[10] Ces index constituent bien entendu des aides supplémentaires à la compréhension de l’oeuvre du Prussien.

Ensuite, la lecture de Clausewitz sera facilitée par l’émergence d’articles et autres textes sur sa vie et ses écrits. De nombreux textes cherchent à expliquer qui était Clausewitz, quelles étaient ses idées, dans quel contexte il vécut et comment apprécier son œuvre au regard de ses filiations.[11] La qualité de ces textes est souvent considérable. Ils permettent de faire connaître et de rectifier les nombreuses erreurs d’interprétations qu’a subi le travail de Clausewitz. Ils donnent également des conseils au lecteur désirant aborder On War. Ainsi, dans un cours que Michael I. Handel enseigne aux élèves du Naval War College figure un texte intitulé Who is Afraid of Carl von Clausewitz ? – littéralement, Qui a peur de Carl von Clausewitz ? Si ce document est une introduction toute personnelle, elle constitue néanmoins l’un des guides de lecture le plus didactique qui existe. L’auteur y recommande de commencer la lecture du Traité par le Livre II dans lequel résident les fondements méthodologiques de l’analyse. Michael Handel prend également en compte quelques autres difficultés relatives au livre, ce qu’il considère être des contradictions – par exemple entre les concepts de point culminant et de continuité. Pour lui, pour surmonter les difficultés de On War, la meilleure solution est de le relire attentivement à plusieurs reprises.[12] Lloyd J. Matthews suggérera également que pour améliorer la compréhension de l’ouvrage, s’aider d’interprètes historiques peut s’avérer utile.[13]

Il existe aussi des articles qui tentent de condenser la pensée de Clausewitz en quelques pages. Ceux-ci mènent parfois à un résultat assez paradoxal. Bien que les articles en question « vénèrent » l’aspect non dogmatique de Clausewitz, son approche philosophique, sa méfiance des lois de la guerre, ils finissent par définir l’œuvre du stratégiste en termes étroits et quasi-jominiens, ressemblant aux principes de la guerre.[14] Nul doute qu’une telle approche aide également à la compréhension de On War mais elle tend à figer l’analyse clausewitzienne. Par contre, l’approche de Handel mentionnée ci-dessus est peut être trop moderne, mais elle a l’avantage de développer un questionnement critique. Les textes qui résument Clausewitz en rapidité donnent parfois l’impression de vouloir se débarrasser de lui aussi rapidement que possible. Quoi qu’il en soit, Clausewitz n’est en tout cas plus simplement un nom que l’on cite pour rehausser le contenu d’un écrit. Il est devenu source d’intérêts à part entière.

Section 2 – La méthode de Clausewitz et le rôle de l’histoire

Evoquer la méthode Clausewitz est aussi une étape importante pour mieux comprendre son oeuvre. Du point de vue académique, sa méthode est devenue un sujet de discussions acharnées. Mais on constate également que certains des commentateurs militaires ont réellement pris le temps d’analyser les fondements théoriques de la pensée de Clausewitz. Il est vrai que ces commentaires ne sont pas légion, ni foncièrement originaux, par comparaison aux travaux académiques. Mais notons que l’originalité ou l’intellectualisme à tous crins ne sont pas les objectifs premiers du soldat, qui veut comprendre pour transformer cette connaissance en capacité. Il convient donc de rendre justice à l’effort fourni par plusieurs auteurs des forces armées. Ceux-ci auraient largement pu se passer du labeur méthodologique. Au total, ce travail dénote bien souvent un intérêt réel pour Clausewitz et une volonté « d’aller plus loin ». Indéniablement, ces auteurs ont encore facilité la tâche de compréhension du Traité. Bien entendu, c’est le rôle de l’histoire qui est le plus largement illustré, discipline traditionnelle à l’étude militaire et élevée au rang d’incontournable dans l’armée prusso-allemande de von Moltke.

Dans le discours stratégique américain, on peut bien entendu retenir le rôle général, illustratif et didactique, qui est conféré à l’histoire. Ainsi le FM 100-5 d’août 1982 donne pour exemple de l’approche indirecte la bataille de Vicksburg. Ensuite, l’exemple de passage réussi de la défense à l’offensive, est celui de la bataille de Tannenberg.[15] L’histoire sert aussi à donner une assise à la réflexion sur la Grand Strategy.[16] Elle devient quasiment la recette de la réussite militaire, comme la mise en évidence du cas du général Patton le montre. Celui-ci exigeait de ses officiers une lecture quotidienne de 30 minutes minimum d’histoire militaire.[17] En résumé, on constate que l’étude historique a pris une place d’envergure au sein du mouvement des réformateurs militaires.[18]

Dans ce contexte, on posera la question de savoir pour quel motif la relation qui lie Clausewitz à l’histoire militaire est évoquée dans le discours stratégique américain ? La réponse est en fait assez simple. Clausewitz et sa méthode permettent de comprendre la guerre au travers d’une analyse historique. Mais sous cette simplicité apparente, le rôle conféré à l’étude historique varie selon les auteurs. Un élément de consensus émerge toutefois parmi ceux-ci ; la guerre n’est pas une science – dans le sens de science dure – mais le domaine des frictions et du moral. La guerre est donc plutôt perçue comme un art, d’autant plus que selon Clausewitz elle appelle le génie. Vu que la guerre n’est pas une science, l’histoire devient nécessaire à son étude.[19]

Mais plus précisément, comment l’histoire peut-elle aider à analyser la guerre ? Pour Jay Luvaas, la méthode de Clausewitz amènerait en fait son lecteur à se placer dans la peau de chacun des grands capitaines qu’il étudie au travers de sa méthode critique.[20] Se mettre dans la peau d’un personnage historique c’est aussi, plus largement, revivre les événements du passé. De cette manière, les étudiants de la School of Advanced Military Studies de Fort Leavenworth ou de la School of Advanced Airpower Studies de Maxwell A.F.B. sont amenés à raisonner sur base d’hypothèses du type : que se serait-il passé si … La pratique de cette méthode implique au départ une connaissance honnête de l’histoire militaire, principalement au niveau opérationnel. Un investissement personnel en la matière est nécessaire. La méthode employée au sein de ces écoles constitue en fait la base de la critique militaire. Et cette critique militaire n’est rien moins qu’une véritable théorie.[21] Plus accessoirement, le rôle de l’histoire dans la formation identitaire du militaire professionnel est aussi mentionné. Quoi qu’il en soit, il existe malgré tout une coupure entre l’historien académique, pratiquant une recherche scientifique et l’historien militaire dont la vertu est d’être didactique.[22]

Mais cette vertu pédagogique ne doit-elle pas d’abord être attribuée à Jomini, et non à Clausewitz ? On voit déjà poindre une brèche dans le soi-disant caractère irréconciliable des deux penseurs. Cette brèche s’élargit encore lorsque l’on évoque la question des principes de la guerre. En effet, pour l’U.S. Army, le rôle de l’histoire est devenu primordial dans l’étude des principes de la guerre. La méthode d’investigation historique critique de Clausewitz – découverte des faits et agencement de ceux-ci, recherches effets-causes, évaluation des moyens employés – passe ici au premier plan.[23] Par conséquent, les principes jominiens prennent leur pleine validité au travers de l’enquête historique clausewitzienne.

Notons aussi qu’il existe une certaine similitude entre l’approche choisie par les écoles militaires de l’armée de terre et de la force aérienne avec celle choisie au sein du Naval War College. Les membres de cette dernière institution pensent que leur but est plus d’éduquer des officiers que de les entraîner techniquement. Dans ce processus, l’histoire est encore une fois mise en évidence. Mais pour cette école, le précepte est surtout attribué à Alfred Thayer Mahan.[24]

Néanmoins, dans le cadre du Military Reform Movement, quelques-uns critiquèrent l’ampleur prise par l’étude de l’histoire. N’est-elle pas déjà assez étudiée ? Chaque situation historique n’est-elle pas trop particulière que pour établir des enseignements valables aujourd’hui ?[25] Dans un article sur Clausewitz, Patrick M. Cronin mettait également ses lecteurs en garde contre l’abus d’histoire – ou plutôt contre les comparaisons douteuses.[26]

Mais alors où situer le point d’équilibre entre trop de comparaison et pas assez ? Clausewitz sert encore à éclairer le chercheur sur ce point. Il envisage quatre possibilités d’utilisation de l’histoire: pour expliquer un phénomène, pour montrer l’application d’une idée, pour démontrer la possibilité d’existence d’un phénomène ; ou pour déduire une doctrine.[27] C’est sur ce dernier point que les difficultés se montrent réellement car il convient de convenablement différencier ce qui ressort du contexte et ce qui est valable en dehors de celui-ci.[28] Malgré tout, la valeur de l’histoire dans le développement des idées – dans le domaine de l’imagination – est largement reconnue.[29]

Toujours dans le domaine de la méthode historique, mentionnons que la voix de l’historien militaire britannique Michael E. Howard se fait encore souvent entendre au sein du discours stratégique américain. Michael E. Howard insiste sur la nécessité d’étudier l’histoire dans son contexte, le contexte social en particulier, et on retrouvera là un des enseignements de Clausewitz. Le rôle de la technologie doit aussi être relativisé selon cette approche.[30] Les prescriptions méthodologiques de l’historien sont régulièrement rappelées : objectivité, utilité, et caractère littéraire – literacy – ensuite nécessité d’étudier le passé dans son contexte, en profondeur et en largeur.[31] Peter Paret, lui, se sert aussi des enseignements clausewitziens pour affirmer que toute histoire militaire ne peut se contenter de considérations uniquement … militaires. Ce qui s’avérait vrai en 1827 conserve toute sa validité à l’époque de la guerre du Golfe.[32] L’arrivée de nouvelles technologies au sein des forces armées – la révolution dans les affaires militaires – ne réduit pas à néant le besoin d’histoire. Les enseignements de Clausewitz servent encore de justificatifs sur ce point.[33]

Pour terminer, citons le travail pionnier de Eliot A. Cohen et John Gooch dans Military Misfortunes, publié pour la première fois en 1990. La méthode de Clausewitz, sa Kritik, a servi de point de départ à la rédaction de cet ouvrage sur les grands échecs militaires. Plutôt que de copier les réussites des grands capitaines, les auteurs trouvent plus intéressant de découvrir les raisons de leurs échecs majeurs grâce à quelques analyses de cas : Gallipoli, la guerre anti-sous-marine américaine en 1942, l’action des forces aériennes françaises en mai-juin 1940, etc. Par ailleurs, les deux chercheurs se sont conformés au principe de Clausewitz selon lequel il vaut mieux connaître en profondeur un ou deux événements militaires – relativement récents – et non une multitude d’entre eux en surface.[34]

Section 3 – La philosophie

La relation entre Clausewitz et la philosophie est largement discutée dans les travaux académiques de Peter Paret, Azar Gat, Raymond Aron , Amos Perlmutter, etc. Mais, ici, on portera attention à des textes de plus grande distribution au sein du discours stratégique américain, comme ceux publiés dans la Military Review ou la Naval War College Review.

En fait, il y a assez peu de discussions à l’égard de l’approche philosophique de Clausewitz. Dans les revues professionnelles, sa méthode est souvent comparée à celle de Hegel et sa dialectique ou à Kant pour sa différenciation entre la réalité et la théorie. Le sujet porte à débat. Bernard Brodie, lui, rattachait d’abord Clausewitz à Hegel et ensuite à Kant. Le concept d’idéal, et ses manifestations, propre aux socratiques, est aussi évoqué. Les auteurs plus pointilleux citent tout d’abord Montesquieu, dont Clausewitz admirait le style direct.[35] Clausewitz est aussi représenté comme un « enfant de son époque », soit l’époque de l’Aüfkalrung, ou des Lumières. Dans un sens large, loin d’être étroitement philosophique, il faut bien le reconnaître, il est cité aux côtés de Schiller, Herder, Fichte, Ranke, les frères Humboldt, etc. Cela permet de découvrir que son entourage était composé d’éducateurs, de poètes, d’économistes, d’historiens et de réformateurs politiques. Son époque est décrite comme celle de mouvements contradictoires : la continuation de l’âge de la Raison, le Romantisme, ou la synthèse des deux courants auxquels Clausewitz se raccrochait.[36]

Mentionnons aussi Richard M. Swain qui rédigea un article sur les concepts philosophiques de Clausewitz au travers de l’analyse de Raymond Aron – ce qui ne l’empêche pas de citer les travaux de Peter Paret. Reprenant Paret, l’auteur conçoit la méthode de Clausewitz comme phénoménologique : le Prussien considère le phénomène guerre et le fait varier dans son imagination. De cette manière il est en mesure de percevoir quels éléments sont, ou ne sont pas, nécessaires à sa définition. Cette façon de procéder l’amena a établir le concept de guerre absolue. Ensuite, c’est à Raymond Aron qu’il s’adresse en vue de donner les différentes définitions de la guerre selon le Prussien : moniste d’abord (la guerre est le moyen d’asseoir notre volonté face à l’autre), dualiste ensuite (la lutte entre deux adversaires avec pour résultat l’ascension aux extrêmes) et trinitaire pour terminer.[37]

Par contre, certains cours dispensés dans les écoles militaires, comme ceux de Michael I. Handel, s’attardent nettement moins à l’apport philosophique chez Clausewitz. Michael Handel évoque le mot gestalt, pointant par-là l’impératif de la totalité dans l’analyse clausewitzienne. Il mentionne aussi le terme d’idéal-type de la guerre absolue par rapport à la guerre réelle, mais il ne cite pas le nom de Max Weber, ou de Montesquieu, au passage.[38] Michael I. Handel comparera tout de même la guerre absolue chez Clausewitz à la méthode de Newton. Pour Handel, le physicien théorisa la gravité dans un monde sans frictions. Il confronta ensuite son modèle à la réalité.[39]

Bref, comme on l’a vu, il existe depuis la fin de la guerre du Vietnam, un intérêt certain pour Clausewitz. Cet intérêt a permis à plusieurs auteurs de s’aventurer non seulement dans le contenu de l’œuvre du Prussien, mais aussi, en moindre mesure il faut le concéder, dans les fondements épistémologiques de son travail. Indéniablement, ce fourmillement de réflexions a amélioré la compréhension de Clausewitz et fait régresser bien des appréciations abusives de son Traité.

Section 4 – Les approches scientifiques de la guerre

Grossièrement, deux optiques prévalent au sein du discours stratégique américain quant au rôle de la technologie. La première est parfaitement compatible avec Clausewitz et s’appuie même souvent sur celui-ci. Selon cette approche, la guerre est une activité sociale irréductible à une science parfaite, « mathématisable » et prévisible. La guerre est le fruit de la société de laquelle elle émerge ; elle est soumise au politique ; elle laisse place aux frictions, au moral, au génie militaire et ; le rôle de l’histoire pour la comprendre est primordial.[40] De cette « école » découle une relativisation de l’importance à accorder aux moyens automatiques utilisés dans la guerre – principalement ceux qui servent à traiter l’information. Parfois, cette approche pousse la relativisation jusqu’à la méfiance.[41] Après tout, comme le faisait remarquer Bernard Brodie, l’époque de Clausewitz est surtout marquée par une révolution politique et non par des changements technologiques.[42] Le Prussien est donc bien perçu comme idéaliste et non matérialiste. De cette « école » découle également l’idée que On War n’est pas un livre de recettes mais une réflexion sur la guerre.[43] Cette approche entre en conflit avec la tendance qui consiste à affirmer que les technologies dont disposent maintenant les forces armées américaines sont de nature à venir à bout des frictions. Les tenants de la deuxième approche seront peu décrits ici car la plupart du temps, lorsqu’ils prennent la parole dans le discours stratégique américain, ils ne font pas mention à Clausewitz, même pas pour le dénigrer.

On verra donc comment le discours stratégique américain organise sa réflexion à propos du rapport qui unit Clausewitz et l’idée de science, ou plus généralement de l’approche dite scientifique de la guerre.

En premier lieu, il convient de retenir des auteurs qui critiquent l’approche bureaucratique et managériale du Pentagone. Cette tradition trouve principalement son origine à l’arrivée de Robert S. McNamara à la tête du département de la défense en 1960.[44] Il est assez aisé de montrer un parallélisme entre ces méthodes managériales, basées sur des comparaisons coût-efficacité ou analyse des systèmes, et le paradigme jominien de la guerre. Le lien les unissant est indéniablement le rationalisme extrême et le pragmatisme que recherche tant le soldat américain dans des sources prescriptives. A contrario, Clausewitz pose problème à ce niveau. Sa tonalité romantique et le peu d’indication qu’il donne sur le « comment » de l’agir constituent de véritables obstacles pour l’utilitarisme à court terme.[45]

Comme on l’a vu, Bernard Brodie mettait déjà en garde ses lecteurs, dans les années 60, contre les limites des approches recelant de formules et de chiffres. Le stratégiste poursuit sa critique en 1976 en prenant appui sur Clausewitz. Pour Brodie, lorsque Clausewitz désirait comparer la valeur relative des différentes armes de son époque – cavalerie, infanterie, artillerie – il lui était facile de calculer le coût individuel de chaque Arme. Par contre, la comparaison de la valeur des différentes composantes de l’armée entre-elles lui était un problème autrement plus délicat. Le résultat d’une telle comparaison ne pouvait être que le fruit d’une situation donnée. Quelle que soit la méthode employée, pour Brodie, il subsistera toujours un degré d’intuition dans ce type de recherche.[46]

Edward N. Luttwak est un autre ténor de la critique de l’approche managériale.[47] Pour lui, l’histoire doit jouer un rôle fondamental dans l’apprentissage. C’est grâce à cette discipline que l’on peut éviter de retomber dans les écueils bureaucratiques de l’équipe McNamara. Dans cette critique, Luttwak s’appuiera aussi sur Clausewitz.[48] L’opinion de ce réformateur n’est toutefois pas partagée par tout le monde. Richard K. Betts par exemple considérera que Luttwak va trop loin. Bien entendu, note Betts, les classiques de la stratégie sont d’un apport certain, mais ils demeurent insuffisants pour faire face à toutes les questions modernes. Betts pense donc qu’il est nécessaire d’établir un bon équilibre dans l’usage qui est fait des outils techniques, mathématiques, logiques et des outils historiques, parmi lesquels les classiques de la stratégie.[49]

James J. Schneider remettra aussi en cause les approches dites scientifiques. Il mentionne cinq raisons à ce propos : (1) les approches scientifiques manquent d’une vision interdisciplinaire unifiée ; (2) lorsqu’elles sont le fruit de civils, elles sont défaillantes par rapport à l’image qu’elles donnent de la réalité du combat (3) ; il n’existe pas de relations symbiotiques entre l’historien militaire et le scientifique militaire (4) ; souvent le leadership militaire ne pose pas les bonnes questions aux scientifiques (5) ; l’art opérationnel est souvent non traité par ces approches. Schneider propose donc un retour aux grands classiques et à l’histoire. Il cite en vrac : Clausewitz, T.E. Lawrence, R. Aron , Paul Kennedy, Schlieffen, Gustave Adolphe, Moltke l’Ancien, Jean Bloch, Mikhaïl V. Frounzé, Mikhaïl Toukhatchevsky, J.F.C. Fuller, B.H. Liddell Hart, etc. Le retour aux classiques est bien entendu envisagé en vue d’apprendre, ou de réapprendre, l’art opérationnel.[50]

Globalement, lorsque le nom de Clausewitz apparaît dans la thématique des approches scientifiques de la guerre, il sert à remettre en valeur les facteurs intangibles de ce phénomène, ceux qui peuvent être abordés mais jamais complètement analysés par l’histoire. Clausewitz est généralement mis au regard d’une vision non seulement plus historique de la guerre mais aussi plus proche des sciences sociales. Pour illustrer ce point, une critique du Makers of Modern Strategy, de Peter Paret,[51] publiée en 1987 dans International Security est très éclairante. Pour son auteur, Stephen Walt, la lecture de l’ouvrage édité par Paret montre un manque de rigueur scientifique. Les essais présentés dans le Makers of Modern Strategy ne sont pas suffisamment critiques. De tous les classiques présentés, seuls les essais sur Clausewitz et, dans une moindre mesure, sur Hans Delbrück, résisteraient mieux à l’épreuve du temps. Walt préconise une approche systématique et une enquête critique de la stratégie. Il prône en fait une méthode proche de la sociologie, capable d’analyser des phénomènes comme les rivalités inter-services, l’opposition à l’innovation, le rôle du politique, etc.[52] Constatons aussi la réaction de Michael I. Handel face à l’assertion du britannique John Keegan selon qui, chez Clausewitz, la guerre est une activité purement rationnelle toute faite de calculation. Handel contredit vivement une telle opinion. Pour lui, les concepts de coup d’œil, charisme, créativité sont inconciliables avec une vision purement rationnelle de la guerre.[53]

Enfin, le nom du Prussien sert aussi à rappeler que les possibilités de mathématisation des recherches en relations internationales sont limitées. Les prédictions sont très difficiles à établir, car, entre autres choses, les mathématiques ne permettent pas de prendre en compte les facteurs moraux ou idéologiques.[54]

A l’opposé de cette tendance qui consiste à utiliser Clausewitz pour relativiser l’importance des théories scientifiques, Trevor N. Dupuy s’est servi du Prussien de façon étrange, voire même déconcertante. Cet auteur a tenté de développer un modèle mathématique de la guerre. Mais, le plus surprenant est de constater qu’il s’inspire très largement – et très librement il le reconnaît – de Clausewitz. Considérant l’histoire comme matière première, Dupuy commence son exposé par un tour d’horizon des classiques de la stratégie (Jomini, Clausewitz, Ardant du Picq, D.H. et T.H. Mahan, etc.) et de leur apport. Il livre ensuite treize affirmations qu’il considère être des vérités immuables du combat : l’impératif de mener des opérations offensives pour obtenir des résultats positifs au combat ; la défensive comme forme la plus forte de la guerre ; la nécessité de prendre une position défensive lorsque le passage à l’offensive s’avère impossible, l’initiative comme moyen d’appliquer sa puissance de façon prépondérante ; le fait que la puissance de combat supérieure gagne toujours ; etc. Après maints « calculs », Dupuy finit par présenter la formule P = N.V.Q. où P est la puissance de combat, N le nombre de troupes, V les circonstances variables affectant le combat et Q la qualité des forces. V n’étant pas défini, on peut se demander quelle est la valeur de l’exercice.[55]

Aujourd’hui, les développements de la R.M.A. ont soulevé des craintes parmi les tenants d’une étude historique et classique de la stratégie. Williamson Murray se demande si l’importance accordée actuellement aux facteurs techniques, au matériel, n’est pas de nature à faire retomber la pensée stratégique américaine dans des travers identiques à ceux qu’elle a connu pendant la guerre du Vietnam. Le sentiment qu’il est possible de se débarrasser des frictions clausewitziennes, grâce aux moyens de renseignement, de commandement et de contrôle, ne serait rien de plus qu’une illusion.[56] Bien que l’on vive à l’âge du traitement automatisé des informations, les « clausewitziens » font malgré tout remarquer que les subjectivités continuent d’opérer et qu’à côté de la sphère physique, une sphère morale coexiste. Ils ajoutent que la chance ne peut-être proprement quantifiée. L’emploi d’un jargon technique donne peut être une impression de scientificité aux théories militaires, mais c’est à mauvais escient.[57] Ceux qui s’inspirent de Clausewitz ont la bienséance de mettre en garde les nouveaux « faiseurs de systèmes ».

Notons pour terminer que le nom de Clausewitz revient de plus en plus régulièrement dans l’application que les militaires américains font des théories de la complexité. Ici, l’emploi des idées de Clausewitz se situe à la croisée des chemins. Les théories de la complexité se développent de plus en plus comme un nouveau paradigme scientifique. Issues des sciences de la nature, elles tendent à s’infiltrer parmi les sciences humaines, voire à les absorber et leur imposer une nouvelle lecture. Certains auteurs utilisent le modèle complexe comme une sorte de métaphore, en acceptant ses limites. Il le confronte ensuite aux idées de Clausewitz. D’autres adaptent le Prussien dans un nouveau schéma positiviste complexe. Comme l’indique John E. Tashjean, les théories de la complexité ont en tout cas l’avantage de faire régresser l’empirisme logique traditionnel du discours stratégique. Elles ont permis à des concepts en provenance des sciences sociales de s’insérer dans la réflexion des soldats.[58] Toutefois, ces dérives rationalisantes à l’extrême – encore une fois positiviste – ne sont peut-être pas si éloignées (nous traiterons plus en profondeur des théories de la complexité, voir infra).

Section 5 – Les principes de la guerre

Les quelques constatations générales établies à propos des principes de la guerre de 1945 à la guerre du Vietnam restent encore valables de la fin de la guerre du Vietnam à nos jours. Un seul point change réellement ; on ne retrouve quasiment plus d’articles d’auteurs étrangers en parlant dans les revues américaines. Par contre, on peut affirmer que les principes ont encore gagné en stature avec le mouvement de réforme militaire – non des moindres, par l’utilisation qu’en fait Harry G. Summers dans son fameux ouvrage On Strategy.[59] Etudions rapidement leur diffusion dans la structure doctrinale des différentes forces armées.

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que l’édition de 1976 du manuel FM 100-5 avait été critiquée car elle ne renfermait pas la liste des principes de la guerre, considérés comme fondement de tout l’art opérationnel.[60] Ces principes réapparaîtront dans l’édition suivante, celle de 1982. Ils sont encore présents dans l’édition de 1993 du FM 100-5, mais répartis en deux listes : principes de la guerre et principes des opérations autres que la guerre.[61] Il avait ensuite été proposé de fondre les deux listes dans l’édition suivante du manuel.[62] Cette proposition a bien été retenue pour la dernière édition du manuel qui est maintenant rebaptisé FM 3-0, Operations.[63] Le manuel FM 100-1, The Army publié en 1978 reprenait également les principes.[64] Ce dernier manuel les reprendra encore dans sa version de juin 1994.[65] La dernière version à ce jour, juin 2001, a été rebaptisée FM 1. Elle mentionne à peine les principes – sans en donner la liste – dans la préface.[66]

Pourtant, l’actuelle révolution dans les affaires militaires n’a pas mis un terme aux discussions sur les principes. De nouveaux principes plus au goût du jour sont même proposés : tromperie, rapidité d’exécution, façonnage de l’ennemi et exploitation de la victoire. Sun Zi, Napoléon et Stonewall Jackson servent ici de modèle.[67]

Dans l’U.S. Navy par contre, le corpus doctrinal est plus rebelle aux principes. Elle ne les accepte qu’en 1994, et encore sous forme de « déclaration de politique » et non sous une forme complètement officielle doctrinale.[68] Néanmoins, les principes figurent encore aujourd’hui dans le document NDP 1 de 1994, l’équivalent du FM 100-5 (et FM 3-0 actuellement) pour l’U.S. Navy.[69]

Au sein du Corps des Marines, les principes ne figuraient pas véritablement dans le manuel FMFM 1, Warfighting. Ce dernier ne mentionnait que les principes de concentration et de vitesse et non la liste habituelle.[70] Actuellement, les principes sont repris dans les manuels MCDP 1, Warfighting de juin 1997, MCDP 1-0, Marine Corps Operations de juin 2000 (qui reprend également à deux reprises le concept de points décisifs) et MCDP 5, Planning de juillet 1997. De plus, le manuel MCDP 1-1, Strategy de novembre 1997 fait référence aux principes sur base de la pensée de Corbett. Par contre, le MCDP 1-2, Campaigning ne les contient pas.[71] Ajoutons aussi que dans un White Paper commun à l’U.S. Navy et au Corps des fusiliers marins – Operational Maneuver from the Sea -, on trouve des principes exprimés sous une forme légèrement modifiée.[72] Au total, pour le Corps des Marines, tout comme pour l’US Navy, la référence aux principes est moins systématique qu’au sein de l’armée de terre.

Pour l’U.S. Air Force, le document AFM 1-1 reprenait les principes. Il en va de même pour le manuel AFDD 1 plus récent.[73] Les principes sont cités aux côtés de concepts clausewitziens comme les frictions ou mis en parallèle avec Sun Zi.[74] Sous une approche assez similaire, le colonel Phillip S. Meilinger, de l’U.S. Air Force, les utilise aussi dans un document nommé Ten Propositions Regarding Airpower. Ce colonel historien montre un certain scepticisme vis-à-vis des principes mais rappelle qu’ils correspondent à une attente réelle de la part des soldats.[75]

La doctrine interarmes consacre également les principes. On retrouve la liste de principes de la France, des Etats-Unis, de la République Populaire de Chine, de l’ex-U.R.S.S., de la Grande-Bretagne / Australie dans le manuel AFSC Pub. 1, The Joint Staff Officer’s Guide de 1997.[76] La liste figurait aussi dans Joint Publication 1, Joint Warfare of the Armed Forces of the United States, de 1995, et dans Joint Doctrine, Capstone and Keystone Primer, de 1997. On trouve une référence à Sun Zi en rapport avec les principes dans ce dernier manuel.[77]

Il convient de se demander maintenant ce qu’il en est du contenu et des réflexions tournant autour de ces listes. On a déjà indiqué que les constatations émises à ce propos avant la fin de la guerre du Vietnam restent majoritairement valides. Les textes sont avant tout très peu dogmatiques à l’encontre des principes. Tout un chacun peut encore proposer un raisonnement qui permet de modifier ou additionner un principe. On citera, à titre d’exemple, la tentative de proposer le soldat individuel comme principe supplémentaire et de faire valoir la nécessité de le protéger, le « blinder », entre autres en le plaçant dans un véhicule … blindé.[78] Ailleurs, dans un article signé par le général Starry, celui-ci pense que la valeur du soutien populaire pourrait être un facteur supplémentaire répertorié parmi la liste des principes[79] Il arrive également que le discours stratégique américain assimile Sun Zi aux principes de la guerre.[80] Le penseur chinois est toutefois légèrement différencié de l’approche jominienne. Les catégories utilisées dans l’œuvre de Sun Zi ont des racines autres que celles de Jomini : harmonie et chaos, vide et solide, méthode directe et indirecte – crafty et straightforward -, disposition et puissance – form et power.[81]

Ensuite, on affirme toujours que les principes doivent être étudiés dans le contexte de l’histoire militaire. Ainsi, un auteur se servit des principes comme schéma d’analyse de l’opération Just Cause menée à Panama en 1989.[82] On ajoute également qu’ils ne constituent pas une check-list mais un outil théorique.[83]

Il a déjà été mentionné que Clausewitz et Jomini étaient parfois confondus comme sources des principes dans le discours stratégique américain de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la guerre du Vietnam. C’est toujours le cas, mais de manière moins fréquente.[84] Le Prussien est ainsi parfois assimilé au principe d’économie des forces – défini comme l’utilisation du minimum de forces requises en vue d’accomplir une mission.[85] Dans un autre cas, il est mis en regard du principe du moral, en complément de Jomini.[86] Quant à l’ouvrage Principles of War, qui avait largement contribué à la confusion entre le Suisse et Clausewitz, il est encore largement disponible. Ce document fut réimprimé en 1987 et est actuellement disponible sur l’Internet.[87] Mais la critique tend à considérer ce texte comme accessoire à son œuvre. On War est donc devenu un point de passage obligatoire à la compréhension de Clausewitz. Les Principles ne sont pas considérés comme un résumé du Traité.[88]

On assiste donc à un effort notable du discours stratégique américain en vue de mieux comprendre Clausewitz et ne pas le réduire à une liste de principes. Il y a pourtant matière à critique. Parfois, des articles publiés dans les revues des différents services des forces armées simplifient à outrance On War, ou des parties de cet ouvrage. Par exemple dans un article publié en 1980 dans l’Air University Review à propos de On War, chaque titre de paragraphe est mis en évidence comme le serait un principe : (1) la connaissance doit devenir capacité ; (2) la guerre est un moyen sérieux d’un but sérieux ; (3) le courage est la première nécessité du soldat ; (4) la guerre est le domaine de la souffrance physique et de la violence ; (5) en tactique, comme en stratégie, la supériorité du nombre, est l’élément le plus commun de la victoire ; (6) la guerre est instrument du politique.[89]

Proche de cette description, on trouve un autre texte, de Patrick M. Cronin, paru dans la Military Review en 1985. Le Traité y est résumé comme suit : (1) la guerre est la continuation de la politique par des moyens violents ; (2) la guerre est le résultat des interactions du gouvernement, du peuple et des forces armées ; (3) le politicien donne forme à la stratégie militaire ; (4) le politicien doit être au fait des affaires militaires ; (5) le politicien guide la guerre ; (6) le soldat aide le politicien à formuler les buts de la politique ; (7) la théorie est un guide ; (8) la guerre est le domaine des frictions ; (9) la défense est la forme la plus forte de la guerre ; (10) les forces armées ennemies figurent parmi les objectifs principaux ; (11) les forces numériques sont fondamentales mais insuffisantes à assurer une victoire ; (12) l’offensive est le moyen d’obtenir un but positif, etc. La méthode se rapproche une fois de plus de celle de Jomini et de ses principes.[90]

Néanmoins, ces travaux s’avèrent fondamentaux pour la compréhension de On War. Mais il est dommage que cette façon de procéder réduise pratiquement à néant l’aspect dynamique du travail de Clausewitz. Il est vrai que les principes de la guerre se limitent le plus souvent à un concept dont l’interprétation est large, tandis que les articles tentant de résumer Clausewitz établissent des espèces de maximes qui mettent généralement deux éléments en relation, ce qui est un premier pas vers une approche plus dynamique. Dans un article publié en 1965, Peter Paret mettait déjà en garde contre l’appauvrissement des tentatives de résumer Clausewitz sous cette forme. Cela conduit le plus souvent à oublier, ou reléguer au second plan, les aspects méthodologiques et « dialectiques » du travail de l’officier prussien.[91]

En fait, l’inimitié notable sur le plan intellectuel de Clausewitz et Jomini, quand ils étaient encore vivants, ne dérange pas outre mesure le discours stratégique américain. Les deux approches longtemps considérées comme incompatibles deviennent complémentaires.[92] Cet aspect des choses sera encore plus visible lorsque les concepts de point décisif et de centre de gravité (voir infra) seront abordés.[93] Pour Richard M. Swain, Clausewitz a tenté de ramener tout son travail à un point focal. Jomini, lui, n’est pas tant mauvais, qu’il est plus limité dans son approche : la somme de l’œuvre du Suisse n’est pas plus grande que ses parties. Swain pense que chacun des penseurs occupa une sphère d’activité différente. Il serait inutile de les opposer car leurs cadres de référence sont différents.[94] Mais l’enthousiasme pour Jomini n’est pas partagé par tout le monde. Pour Christopher Bassford, Jomini a été complètement absorbé dans la façon d’écrire la doctrine militaire. Ce qui n’est pas le cas de Clausewitz.[95]

Notons aussi la réaction de Phillip Crowl envers les principes. En prenant appui sur Mahan, Crowl pense qu’il peut affirmer qu’il n’existe pas de principes scientifiquement historiques de la guerre. L’auteur propose donc d’étudier la guerre sous la forme d’une série de questions, constituant une sorte de cadre d’analyse : comment se présente la stabilité du front domestique, quelles sont les alternatives aux opérations, quel en est l’objectif, etc. L’histoire aide bien entendu celui qui veut comprendre la guerre, mais elle est insuffisante. Et Crowl de conclure que la notion clausewitzienne de génie arrive en renfort lorsque les plans s’avèrent désuets en cours d’opération.[96]

[1] On retrouve des considérations assez identiques de la part d’un critique britannique : Thorne I.D.P., « Correspondance On Clausewitz », The Army Quaterly and Defence Journal, octobre 1971, p. 116.

[2] Shepard J.E., Jr., « On War : Is Clausewitz Still Relevant? », Parameters, septembre 1990, pp. 85-99.

[3] Voir par exemple : Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », Military Review, août 1985, p. 48 (article reproduit pour le Congressional Research Service, The Library of Congres, par exemple disponible à le site : www.au.af.mil/au/awc/awcgate/clausewitz/clswtz-c.htm) ; Matthews L.J., « On Clausewitz », Army, février 1988, pp. 20-24 (republié dans la Military Review, août 1988, pp. 83-84).

[4] Alterman E., « The Use and Abuse of Clausewitz », Parameters, été 1987, pp. 27 ; 30-31.

[5] McIsaac D., « Master at Arms: Clausewitz in Full View », art. cit., p. 83.

[6] Brodie B., « The Continuing Relevance of Clausewitz », dans On War, pp. 45-58.

[7] Lowenthal M., « Carl von Clausewitz – Reviews of Books », art. cit., p. 609.

[8] Voir l’opinion positive de : Luttwak E.N., « Reconsideration: Clausewitz and War », dans Luttwak E.N., Strategy and Politics (Collected Essays), New Brunswick & Londres, Transaction Books, 1980, p. 261 (initialement publié dans The New Republic, mai 14, 1977).

[9] King J.E., « On Clausewitz: Master Theorist of War », Naval War College Review, automne 1977, p. 31.

[10] Bassford Ch., « Indexes to Clausewitz’s On War », (s.d.) (http://www.mnsinc.com/cbassfrd/cwzHOME/wordndx.htm). Les deux derniers index sont consultables sur l’Internet.

[11] Voir, par exemple : Cannon M.W., « Clausewitz for Beginners », art. cit., pp. 48-57.

[12] Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ? A Guide to the Perplexed, Department of Strategy and Policy, United Naval War College, 6th Edition, été 1997.

[13] Matthews L.J., art. cit., pp. 20-24.

[14] Par exemple : Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., 40-49 ; Cole J.L. Jr., « ON WAR Today? », Air University Review, mai-juin 1980, pp. 20-23.

[15] Romjue J.L., « The Evolution of AirLand Battle Concept », art. cit., p. 14.

[16] Baumann R.F., « Historical Framework for the Concept of Strategy », Military Review, mars-avril 1997, pp. 2-13.

[17] Dietrich S.E., « To Be Successful Soldier, You Must Know History – (review essay : The Patton Mind », Military Review, août 1993, p. 67.

[18] Cette place accordée à l’histoire s’avère durable. Voir par exemple en 1990 : Krause M.D. & Newell C.D., « Introduction », Military Review, septembre 1990, p. 1. Voir aussi l’impressionnante revue commentée d’ouvrages d’histoire militaire par Richard M. Swain publié dans la Military Review. Y figurent pêle-mêle T.E. Lawrence, John Keegan, Napoléon, Liddell Hart, Churchill, van Creveld, etc. Swain R.M., « The Written History of Operational Art », Military Review, septembre 1990, pp. 100-105.

[19] Allen R.L., « Piercing the Veil of Operational Art », Parameters, été 1995, pp. 111-119.

[20] Luvaas J., « Thinking at the Operational Level », Parameters, printemps 1986, p. 3.

[21] Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit. ; King J.E., « On Clausewitz: Master Theorist of War », art. cit., pp. 7 et 17.

[22] Winton H.R. & Swain R.M., « The Fog of Military Education – Review Essay », Military Review, janvier 1991, pp. 73-77.

[23] Swain R.M., « On Bringing Back the Principles of War », art. cit., pp. 40-46 ; Hassler W.W. Jr., « Military History: The Army Pivotal Study », Military Review, octobre 1976, pp. 29-33

[24] Crowl Ph.A., « Education versus Training at the Naval War College: 1884-1972 », Naval War College Review, vol. 26, n°3, 1973, pp. 2-10.

[25] Davis M.T., « Military Reform Movement and Military History », Marine Corps Gazette, août 1986, pp. 27-28.

[26] Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., p. 44.

[27] L’utilisation de la méthode historique – critique – de Clausewitz est aussi prônée dans le cadre de l’évaluation des achats de matériel en complément à des approches plus centrées sur les systèmes. Anderson W.M., Acquisition Renaissance: The Birth of Critical Analysis in the Acquisition Workforce (A Research Paper Presented to the Research Department Air Command and Staff College – In Partial Fulfillment of the Graduation Requirements of A.C.S.C.), Air War College, Maxwell A.F.B., mars 1997, 37 p.

[28] Swain R.M., « Military Doctrine and History », Military Review, juillet 1990, pp. 80-81 ; voir aussi Winton H.R., « Reflections on the Air Force’s New Manual », Military Review, novembre 1992, pp. 20-31.

[29] Marvin F.F., « Using Military History in Military Decision Making », Military Review, juin 1988, p. 31.

[30] Howard M.E. & Guilmartin J.F. Jr., Two Historians in Technology and War, S.S.I. Paper, U.S.A.W.C., 5th Annual Strategy Conference, juillet 20 1994.

[31] Skaggs D.C., « Michael Howard and the Dimensions of Military History », Military Affairs, octobre 1985, p. 182 et Howard M., « The Use and Abuse of Military History », Parameters, printemps 1981, p. 14, texte déjà publié comme : Howard M., « The Use and Abuse of Military History », Military Review, décembre 1962, pp. 8-12.

[32] Paret P., « The New Military History », Parameters, automne 1991, p. 18.

[33] Baumann R.F., « Historical Perspectives on Future War », Military Review, mars-avril 1997 (voir http://www-cgsc.army.mil/milrev/index.htm).

[34] John Gooch est un professeur britannique qui enseigne à Yale et l’U.S. Naval War College. C’est d’ailleurs de cette dernière école qu’est sorti le projet de ce livre. Cohen E.A. & Gooch J., Military Misfortunes, The Anatomy of Failure in War, New York, Vintage Books, 1991 (1990), pp. 44-46. Cet ouvrage a été très bien reçu par la critique de la Military Review : Hughes D.J., « Military Misfortunes – Book Reviews », Military Review, septembre 1990, p. 118.

[35] Par exemple : Simpson B.M. III, « The Essential Clausewitz », Naval War College Review, mars-avril, 1982, p. 54 ; Coats W.J., « Clausewitz’s Theory of War: An Alternative View », Comparative Strategy, vol. 5, n° 4, 1986, p. 356 ; Cannon M.W., « Clausewitz for Beginners », art. cit., pp. 48-57.

[36] King J.E., « On Clausewitz: Master Theorist of War », art. cit., pp. 5-7.

[37] Swain R.M., « Clausewitz for the 20th Century: The Interpretation of Raymond Aron « , Military Review, avril 1986, pp. 38-47.

[38] Voir par exemple : Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[39] Handel M.I., Masters of War – Classical Strategic Thought, (second, revised ed.), Londres, Frank Cass, 1996 (1991), p. 205.

[40] Scales R.H. Jr. & van Riper P., « Preparing War in the 21st Century, Parameters, été 1997, pp. 4-14 article initialement publié dans la Strategic Review, été 1997). Voir aussi l’historien israélien Creveld M. van, « The Eternal Clausewitz », dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op cit., pp. 35-50.

[41] Betts R.K., Surprise Attack, Washington D.C., The Brookings Institution, 1982, pp. 186-187.

[42] Brodie B., « Technological Change, Strategic Doctrine, and Political Outcomes », dans Knorr K. (dir.), Historical Dimensions of National Security Problems, Lawrence, the University Press of Kansas, 1976, p. 266.

[43] Vaughn Th.B., « Clausewitz and Contemporary American Professionalism », Military Review, décembre 1982, pp. 39-44.

[44] Après la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle il fut assigné a un poste du quartier-général de la 8th Air Force en Grande-Bretagne, McNamara rentra au service de la Ford Company (1946) avec huit autres experts en management. Ils étaient connus sous le nom de whiz kids – approximativement, « gamins géniaux ». Sa carrière dans la compagnie a été très rapide grâce à ses prouesses en matière de redressement financier. En 1960, il devient président du constructeur automobile, le premier président ne faisant pas partie de la famille Ford. Peu après, l’administration Kennedy lui demanda d’assumer le poste de secrétaire à la défense, ce qu’il fera jusqu’en 1968 sous la présidence Johnson. Pendant cette période, il diminue le poids des armes nucléaires dans la défense des Etats-Unis au profit de plus de forces conventionnelles. Il organise l’envoi de troupes au Vietnam (de 1961 à 1967) mais prendra position contre l’escalade vers la fin 1965. Il commençait alors à douter de la politique choisie. On lui doit l’introduction – assez systématique – de méthodes d’analyse basées sur des comparaisons coûts-bénéfices dans les procédures d’achat de matériel et d’armes. De 1968 à 1981, il sera à la tête de la World Bank. Sweeney J.K. (dir.), A Handbook of American Military History, From the Revolutionary war to the Present, Boulder, Westview Press, 1996, p. 282.

[45] Palmer G., The McNamara Strategy and the Vietnam War, Westport, Greenwood Press, 1978, pp. 3-17. Gregory Palmer est un analyste de la défense britannique.

[46] Brodie B., « Technological Change, Strategic Doctrine, and Political Outcomes », dans Knorr K. (dir.), Historical Dimensions of National Security Problems, op. cit., p. 303. Sur la même thématique, voir aussi : Cannon M.W., « Clausewitz for Beginners », art. cit., pp. 48-57.

[47] Luttwak E.N., « The Decline of American Military Leadership », art. cit., pp. 82-88.

[48] Id., « Reconsideration: Clausewitz and War », dans id., Strategy and Politics, op. cit., p. 261.

[49] Betts R.K., « Conventional Strategy – New Critics, Old Choices », art. cit., pp. 141-162.

[50] Schneider J.J., « Theoretical Implications of Operational Art », Military Review, septembre 1990, p. 218-25.

[51] Paret P. (dir.), Makers of Modern Strategy, op. cit.

[52] Walt S.M., « The Search for a Science of Strategy », International Security, été 1987, pp. 140-165.

[53] Handel M.I., Who Is Afraid of Carl von Clausewitz ?, op. cit.

[54] Falk K.L. & Kane Th.M., « The Maginot Mentality in International Relations Models », Parameters, été 1998, pp. 86 et 90.

[55] Dupuy T.N., Understanding War, New York, Paragon House Pub., 1987, 312 p. Cet ouvrage est en grande partie un développement basé sur un autre livre de Dupuy ; id., Numbers, Predictions and War, Londres, MacDonald and Jane’s, 1979, 244 p. Voir aussi : Sloan Brown, J., « Colonel Trevor N. Dupuy and the Mythos of Wehrmacht Superiority », Military Affairs, janvier 1986, pp. 16-20.

[56] Murray W., « Strategic Culture Does Matter », Orbis, hiver 1999 ; id., « War, Theory, Clausewitz and Thucydides: The Game May Change But the Rules Remain », Marine Corps Gazette, janvier 1977, pp. 62-69.

[57] Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., p. 44.

[58] Tashjean J.E., « The Classics of Military Thought: Appreciations and Agenda », art. cit., p. 263.

[59] Summers H.G., On Strategy – a critical analysis of the Vietnam War, Presidio, Novato, 1995 (1982), 224 p.

[60] Jones A., « The New FM 100-5: A View From the Ivory Tower », art. cit., pp. 27-36.

[61] Headquarters, Department of the Army, FM 100-5, Operations, Washington D.C., 1993, pp. 2-4 ; 2-5. Dans la liste de principes appliqués aux opérations autres que la guerre, nous retrouvons : Objective, Unity of Effort, Legitimacy, Perseverance, Restraint et Security (pp. 13-3 ; 13-4).

[62] La liste proposée consisterait en : Objective, Offensive, Massed Effects, Economy of Force, Maneuver, Unity of Effort, Security, Surprise, Simplicity, Morale, et Exploitation. Glenn R.W., « No More Principles of War? », Parameters, printemps 1988, p. 58.

[63] Headquarters, Department of the Army, FM 3-0, Operations, op. cit., pp. 4-11 et 4-12.

[64] Starry D.A., « To Change an Army », art. cit., p. 25.

[65] En fait, le FM 100-1 a connu quatre versions avant 2001 : 1978, 1981, 1986, 1991 et 1994. Johnson D.V. III, « Professional Note – Field Manual 1, The Army », Defense Analysis, décembre 2000, pp. 343-344.

[66] Headquarters, Department of the Army, FM 1, The Army, Washington D.C., 14 june 2001 (voir site : http://www.adtdl.army.mil).

[67] Dans leur ordre respectif, voici les termes originaux employés pour désigner les principes évoqués : deception, celerity (swiftness / speed), shaping the enemy, exploiting victory. Sleevi N.M., « Applying the Principles of War », Military Review, mai-juin 1998, pp. 47-52.

[68] Tritten J.J. & Donaldo L., A Doctrine Reader – The Navies of United States, Great-Britain, France, Italy and Spain, op. cit., p. 132.

[69] Naval Doctrine Publication (NDP) 1, Naval Warfare, op. cit.

[70] Voir aussi : Glenn R.W., « No More Principles of War? », art. cit., pp. 54 et 65. L’auteur notait que nous pouvions trouver une liste embryonnaire dans : FMFM 1-3, Tactics et FMFM 1-2, The Role of the Marine Corps in the National Defense.

[71] On retrouvera l’ensemble de ces manuels sur le site www.doctrine.USMC.MIL.

[72] Operational Maneuver from the Sea met en évidence six principles. Operational Maneuver from the Sea – A Concept for the Projection of Naval Power, Headquarters Marine Corps, Washington, s.d., p. 6 (voir site : http://www.dtic.mil/doctrine/jv2010/usmc/omfts.pdf).

[73] AFDD 1, Air Force Basic Doctrine, Air Force Doctrine Document, op. cit., p. 11-21.

[74] Winton H.R., « Reflections on the Air Force’s New Manual », art. cit., pp. 22.

[75] Meilinger Ph.S., Ten Propositions Regarding Airpower, School of Advanced Airpower Studies, Maxwell A.F.B., 1998 (http://www.au.af.mil/au/saas/theory/air_meil.htm).

[76] AFSC Pub. 1, The Joint Staff Officer’s Guide, 1997, National Defense University, Armed Forces Staff College, Norfolk, Virginia, p. 1-4.

[77] Joint Publication 1, Joint Warfare of the Armed Forces of the United States, 10 janvier 1995, p. III-1 à III-9 ; Joint Doctrine, Capstone and Keystone Primer, 15 juillet 1997, p. 4.

[78] Katz P., « The Additional Principle of War », Military Review, juin 1987, pp. 36-45.

[79] Starry D.A., « The Principles of War », Military Review, septembre 1981, pp. 2-12.

[80] McMillan J., « Talking to Enemy: Negotiations in Wartime », Comparative Strategy, vol. 11, n°4, pp. 447-461

[81] O’Dowd E. & Waldron A., « Sun Tzu for Strategists », Comparative Strategy, vol. 10, n° 1, 1991, p. 33.

[82] Bennet W.C., « Just Cause and the Principles of War », Military Review, mars 1991, pp. 2-13.

[83] Swain R.M., « On Bringing Back the Principles of War », art. cit., pp. 40-46.

[84] Par exemple dans : Murry W.V., « Clausewitz and Limited Nuclear War », Military Review, avril 1975, pp. 15-28 ; Starry D.A., « The Principles of War », art. cit., pp. 2-12. W.V. Murry pense que les Principles de Clausewitz sont la base On War.

[85] Argersinger S.J., « Karl von Clausewitz: Analysis of FM 100-5 », Military Review, février 1986, p. 70. A partir de la notion d’économie des forces à laquelle Clausewitz consacre un court chapitre (Chapitre 14, Livre III). On War, p. 213.

[86] Vaughn Th.B., « Morale: The 10th Principle of War? », Military Review, mai 1983, p. 37 ; Rinaldo R.J., « The Tenth Principle of War », Military Review, octobre 1987, pp. 55-62.

[87] Clausewitz C. von, Principles of War, Harrisburg, Military Service Company, 1942, 82 p. réimprimé dans Roots of Strategy, Military Classics, All in One Volume, (vol. 2 ;3), Harrisburg, Stackpole Books, 1987, 560 p. Ce volume reprend aussi Studies of Battle de Ardant du Picq et le (Precis of the) Art of War de Jomini. On pourra trouver la version électronique du texte de Clausewitz sur le site : http://www.clausewitz.com/ (avec un commentaire de Christopher Bassford).

[88] Swain R.M., « Roots of Strategy (book reviews) », Military Review, août 1988, p. 90.

[89] Cole J.L. Jr., « ON WAR Today? », art. cit., pp. 21-22.

[90] Nous avons ici repris quelques-uns des titres de paragraphes principaux de Cronin P.M., « Clausewitz Condensed », art. cit., pp. 40-49

[91] Paret P., « Clausewitz – A Bibliographical Survey », art. cit., p. 272.

[92] Harned G.M., « Principles for Modern Doctrine From Two Venerated Theorists », Army, avril 1986, pp. 10-14. Voir aussi l’article de l’israélien Lanir Z., « The ‘Principles of War’ and Military Thinking », The Journal of Strategic Studies, mars 1993, pp. 1-17.

[93] Galloway A., « FM 100-5: Who Influenced Whom? », art. cit., pp. 46-51.

[94] Swain R.M., « The ‘Hedgehog and the Fox’: Jomini, Clausewitz, and History », Naval War College Review, automne 1990, p. 107.

[95] Bassford Ch., Jomini and Clausewitz: Their Interaction, an edited version of a paper presented to the 23rd Meeting of the Consortium on Revolutionary Europe at Georgia State University, 26 février 1993.

[96] Crowl Ph., « The Strategist’s Short Catechism: Six Questions Without Answers », dans Reichart J.F. & Sturm S.R., American Defense Policy (5th ed.), The John Hopkins University Press, 1982, Baltimore, pp. 84-89 (initialement texte d’une conférence au Harmon Memorial Lecture in Military History, n°20, 1978).

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