Chapitre 3 – A propos de Clausewitz et de l’attrait de la pensée allemande

Dans les paragraphes qui suivent, nous avons voulu donner une idée de la diffusion de la pensée germanique outre-Atlantique. Cela permettra ultérieurement de mieux distinguer ce qui ressort de Clausewitz ou d’autres auteurs allemands dans le discours américain.

Les noms des grands théoriciens germaniques de la guerre reviennent en effet très souvent dans ce discours. L’attrait de la pensée stratégique allemande est présent de longue date aux Etats-Unis. On peut évoquer diverses raisons à cet égard. Ainsi, dans l’introduction de la nouvelle publication américaine de 1951, des instructions à ses généraux de Frédéric II, on apprend que les patriotes de la Révolution américaine, dont Washington et Franklin, appréciaient beaucoup le roi de Prusse. En effet, celui-ci refusa la traversée de ses territoires à des troupes allemandes qui devaient s’embarquer pour soutenir les Anglais dans les colonies américaines en 1777-1778 – ultérieurement il revint sur sa décision car il eut besoin du soutien de la Grande-Bretagne pour faire face à l’Autriche en 1778-1779. Par ailleurs, Frédéric II était très bien perçu parmi les populations protestantes de Pennsylvanie et de New York. Washington accueillit aussi un instructeur prussien à son service : le baron Steuben.[1]

Mais, plus sérieusement, l’attrait pour la Prusse / Allemagne et sa pensée ne prendra sa pleine mesure que bien plus tard. Russel F. Weigley note que, jusqu’en 1870, le modèle de référence de l’armée américaine fut la France d’où émanait le style napoléonien de la guerre. Après la victoire prussienne sur la France pendant la guerre de 1870, le prestige de l’Allemagne se développa rapidement jusqu’à contrebalancer l’influence française. Ce fait n’est d’ailleurs pas limité aux Etats-Unis. Le modèle germanique se diffusa rapidement dans le reste de l’Europe.[2] Par conséquent, le modèle allemand devint de plus en plus celui de référence aux Etats-Unis. Cela s’avéra surtout exact au niveau de l’armée de terre.[3] De plus, la fin de la Seconde Guerre mondiale donna un nouveau coup d’accélérateur à ce phénomène. Les soldats américains étaient en mesure de tirer les leçons du conflit en mettant à contribution leurs anciens ennemis. Les Américains cherchaient en particulier à obtenir une meilleure connaissance sur la façon de se battre contre les Soviétiques en prenant appui sur les méthodes allemandes.[4]

L’influence allemande est encore observable dans le mouvement de réforme militaire de la fin des années 70 – début des années 80. On assiste alors à une sorte d’apogée de la redécouverte des classiques de la stratégie allemande.[5] Les réformateurs puisèrent une part importante de leur inspiration chez Clausewitz mais aussi chez Moltke (1800-1891), Schlieffen (1833-1913), Guderian (1888-1954), Rommel (1891-1944), etc.

Si Clausewitz a largement été associé au paradigme de la bataille d’anéantissement de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la fin de la guerre du Vietnam, il a ensuite été analysé avec plus de subtilité. Et, loin de le mettre dans le même sac que Moltke ou Schlieffen[6], le discours stratégique américain a appris à le différencier de la généalogie des penseurs germaniques.

Déjà en 1976, Herbert Rosinski, le stratégiste d’origine allemande, signait un article mentionnant le glissement qui s’était opéré dans la pensée militaire allemande de Clausewitz à Schlieffen en passant par Moltke. Pour Rosinski, on assistait à une application toujours plus mécanique de l’édifice clausewitzien. Selon lui, Schlieffen faisait toutefois exception à ce processus de mécanisation – l’exception ne s’étend toutefois pas aux disciples de ce dernier. Rosinski concluait ensuite que la Seconde Guerre mondiale prouvait que l’Allemagne avait su retrouver une vision plus flexible de la tradition clausewitzienne au travers de la Blitzkrieg.[7] Martin Kitchen partagea le point de départ de l’analyse de Rosinski – soit l’application toujours plus mécanique des préceptes clausewitziens – mais ne voyait pas en quoi Schlieffen était un cas différent. Selon Kitchen, Schlieffen, comme Moltke, croyait en la possible élimination des frictions clausewitziennes. Tous deux avaient une conception de la guerre centrée sur le dogme de la bataille d’anéantissement, dogme très vivace selon l’auteur.[8] Par contre, toujours pour Kitchen, les tenants de la défense – défensive ne seraient peut-être pas si éloignés de Clausewitz car l’origine de leur raisonnement découle de la primauté du facteur politique dans la guerre.[9]

Quoi qu’il en soit, la vision mécaniste de la pensée stratégique allemande est encore une fois retenue dans le chapitre consacré à Moltke, Schlieffen et la doctrine de l’enveloppement stratégique dans l’édition de 1986 du Makers of Modern Strategy. L’auteur, Gunther E. Rothenberg, pense tout d’abord qu’il est difficile d’évaluer l’influence réelle de la pensée de Clausewitz en Prusse et en Allemagne. Mais quelle que soit cette influence, il décrit Schlieffen et Moltke comme des « grammairiens » de la guerre. D’un part, Moltke fait passer au second plan les enseignements clausewitziens sur la primauté du politique. D’autre part, Schlieffen entreprend tous les efforts possibles pour éliminer les frictions dans sa pensée, ce qui fait de lui l’antithèse de Clausewitz.[10]

Daniel J. Hughes précisera l’image de Moltke. Il mettra complètement en doute une possible influence de Clausewitz chez Moltke. Moltke fut bien élève à la Kriegsakademie lorsque Clausewitz y était directeur. Mais, de par sa position, Clausewitz n’y enseigna jamais et avait apparemment peu de prise sur la matière et les méthodes d’apprentissage. De plus, il n’existe aucune preuve de contact direct entre Moltke et Clausewitz. Daniel J. Hughes illustre également le peu de compréhension dont Moltke faisait preuve à l’égard de la Formule par l’épisode de la guerre franco-prussienne. Moltke pensait qu’une fois les hostilités commencées, la stratégie devait prendre le pas sur la politique.[11] Moltke était peut-être capable de discerner la composante politique de la composante militaire – opérationnelle – de la guerre[12], mais pas de les agencer avec subtilité. Cette approche est à comparer avec celle de Colmar von der Goltz (1844-1904), un des théoriciens de la guerre totale. Goltz pensait, comme Moltke, que la guerre devait être poussée jusqu’à sa limite supérieure, refusant par là l’idée de soumission de la grammaire militaire à la logique politique. S’il existe un impact de la pensée de Clausewitz dans la réflexion de ces hommes, il doit être trouvé à un autre niveau. Moltke, par exemple, rechercha surtout des conseils opérationnels dans Vom Kriege – quasiment des recettes.[13]

On vient donc de voir qu’il était abusif de confondre Clausewitz et la généalogie des stratèges et stratégistes allemands. Le discours stratégique américain, lui, ne pratique pas non plus cette confusion pour la période considérée.

Une question supplémentaire se pose maintenant quant à savoir en quoi, la pensée germanique intéresse la stratégie américaine – et quelles sont les limites de cet intérêt. En fait, lorsque l’on rassemble les textes mentionnant les penseurs allemands, plusieurs thématiques particulières se dégagent rapidement et, parfois, se recoupent :

A La première thématique en question est celle du rôle que doit assumer un grand état-major. Il est vrai que l’élaboration des états-majors « modernes » remonte surtout à l’armée prussienne de l’époque de Moltke.[14] Le discours stratégique américain n’a pas manqué de se poser la question de l’applicabilité de ce modèle aux Etats-Unis. La démarche est souvent très éloignée d’une interrogation historique « gratuite ». Le modèle du grand état-major s’avérait très seyant au premier abord. La structure et les prouesses intellectuelles de cette institution étaient remarquables.[15] Mais il existe un certain nombre d’objections à la transposition. Une telle greffe serait-elle possible dans un milieu totalement dissemblable ? Le système allemand n’était-il pas avant tout l’expression de son milieu d’origine ?[16] Des protestations à caractère plus éthique ont aussi été formulées ; au point de vue organisationnel, la création d’un organe militaire tout puissant ne risque-t-elle pas de mettre en péril la démocratie ? La réflexion prend d’autant plus d’acuité que l’armée américaine, après la guerre du Vietnam, est devenue professionnelle. On pensait alors aux risques de dissociation entre le militaire et la société américaine.[17]

B La deuxième thématique abordée est celle de l’art opérationnel. Dans sa recherche des fondements de l’art opérationnel, le mouvement de réforme militaire, ainsi que sa descendance, puisera largement dans la pensée classique allemande. Les noms de Moltke et Schlieffen reviennent souvent et se voient même attribuer une certaine paternité en la matière. Assez étrangement, certains auteurs mettent en évidence leur approche flexible, contredisant la thèse de la mécanisation développée par Herbert Rosinski et Martin Kitchen. Ce courant justifie son opinion à la lueur de la médiocre valeur que Moltke attribuait à la planification. Il est vrai que Moltke a affirmé qu’une fois la ligne de départ des opérations franchie, le plan perd toute sa valeur sous le poids des contingences.[18] Indirectement, le rôle des frictions se trouve ici réintroduit. La flexibilité mentionnée est en fait plus proche de l’improvisation.

C Toujours dans la thématique opérationnelle, les réformateurs vont beaucoup s’intéresser à la Blitzkrieg de la Seconde Guerre mondiale. La Blitzkrieg revêt une image quasi mythique d’efficacité. De plus, son application face à une éventuelle offensive du Pacte de Varsovie paraissait envisageable dans les années 80.[19] Les Américains ont été séduits par le concept de disruption – soit l’emphase du choc psychologique et de la désorganisation en résultant – que l’on retrouve dans la Blitzkrieg. En effet, la Blitzkrieg ne visait pas uniquement la destruction physique, ou l’anéantissement pur et simple. Cette « doctrine » semblait alors bien convenir à la situation des forces de l’O.T.A.N. en Europe. L’O.T.A.N. était en position d’infériorité numérique, comme l’Allemagne l’était contre l’Union soviétique pendant la guerre.[20] Mais le fait de vouloir transformer la doctrine de l’U.S. Army en une nouvelle forme de Blitzkrieg rencontra l’opposition de certains auteurs comme Daniel J. Hughes. Pour Hughes, l’association des termes doctrine et Blitzkrieg était abusive. Selon lui, la manière de combattre des Allemands n’était pas formellement codifiée – comme doit normalement l’être toute doctrine. Il s’agissait plutôt d’une sorte de consensus informel, d’une approche commune particulière, parfois assez floue, du combat. Le tout était caractérisé par une grande latitude d’initiative donnée aux officiers.[21]

D La troisième thématique souvent évoquée par le discours stratégique américain est issue d’une réflexion sur la valeur relative des combattants, sur leur aptitude à combattre. Cette notion a été rendue en anglais par le terme fighting power. Cette thématique a été propulsée dans le discours stratégique par l’ouvrage Fighting Power écrit par l’historien militaire israélien, Martin van Creveld. Ce livre, sorti en 1983, eut un grand retentissement aux Etats-Unis. Il remettait en question de nombreuses affirmations qui circulaient quant à la valeur respective des troupes américaines et allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Fighting Power comblait également un vide. Avant la guerre du Vietnam, trop de publications s’étaient intéressées aux matières situées en amont et en aval du combat – comme la logistique -, mais rarement au combat lui-même. Le livre s’insérait dans un courant de réflexion engagé par des chercheurs comme E.N. Luttwak et T.N. Dupuy, que Martin van Creveld remercie dans son introduction. Au total, pour l’historien israélien, les unités allemandes ne se battirent pas mieux que les unités américaines pendant la guerre. Toutefois, il en vient tout de même à cibler certaines faiblesses dans la gestion des unités américaines. En premier lieu, le style américain de la guerre est trop « managérial » et il attache trop d’importance au détail. On y retrouve un certain taylorisme où l’homme est perçu comme une sorte de machine. Cette situation joue au détriment de la créativité et de l’initiative. A contrario, les Allemands développèrent le concept d’Auftragstaktik – une forme de commandement extrêmement décentralisé et souple -, concept qui semble remonter aux troupes de la Hesse qui combattaient lors de la Révolution américaine. Cette approche de commandement est mise en valeur et présentée comme une espèce de modèle dont les forces américaines pourraient s’inspirer. On verra que le terme d’Auftragstaktik a connu une grande diffusion dans le discours stratégique américain. Van Creveld met une deuxième notion en exergue : l’importance de la cohésion du groupe primaire – un groupe composé d’individus entretenant des contacts interpersonnels directs. Alors qu’au sein des unités américaines, cette cohésion est généralement faible – le type d’entraînement, les rotations fréquentes de soldats au sein d’une unité et non la rotation de l’unité dans son ensemble, l’individualisme traditionnel sont quelques-unes des explications qui peuvent être avancées -, elle était très développée dans la Wehrmacht. La cohésion permettrait d’expliquer pourquoi les soldats allemands continuaient à combattre dans des situations quasi-désespérées : pour la sauvegarde du groupe. En conclusion, l’auteur relativise le rôle de l’idéologie dans le comportement du soldat allemand.[22] Van Creveld précisera tout de même, dans un article, que l’armée allemande n’était pas dénuée de points faibles et qu’il ne faut pas la transformer en un modèle absolu d’apprentissage.[23] Cette vision du « soldat-manager » américain et du « soldat-combattant » allemand a fait des émules depuis la publication du livre Fighting Power.[24] Mais, ici aussi, la question de la transposition possible du système de la Wehrmacht aux Etats-Unis soulève des problèmes de compatibilité. Christopher Bassford se demande si le tempérament américain, trop individualiste, permet véritablement d’instaurer le modèle de cohésion du groupe primaire. Le schéma germanique ne serait donc pas la panacée.[25] Roger Beaumont, lui, continue à penser que le rôle de l’idéologie, de la propagande, ou le pouvoir charismatique de Hitler, restent des éléments explicatifs très valables de la haute combativité de la Wehrmacht.[26]

Pour terminer, certains auteurs finiront par être agacé par la référence perpétuelle au modèle allemand. Les critiques portent d’abord sur la constatation que l’Allemagne a perdu la guerre 40-45. Pour David Schoenbaum, les Allemands n’ont jamais été capables de consolider leurs succès opérationnels au niveau stratégique. Leur compréhension de la Formule reste donc limitée.[27] D’autre part, la quasi – absence de doctrine du côté américain n’a pas empêché les Etats-Unis de vaincre le nazisme.[28] De plus, le peu de considérations d’une puissance continentale comme l’Allemagne pour la marine rend le modèle moins parlant outre-Atlantique.[29] Encore une fois, la critique juge que l’armée allemande n’est pas le seul modèle d’apprentissage.[30]

Une autre série de critiques portera sur des questions d’ordre plus éthique.[31] Martin van Creveld évoquait déjà le fait qu’il est grossier de séparer totalement le nazisme de la Wehrmacht.[32] L’allégeance des officiers à Hitler est aussi discutée que présentée comme une source d’inspiration négative : l’officier doit rester loyal envers la société pas envers le dictateur. Le soldat devrait donc répondre à un impératif de moindre politisation.[33] Clausewitz est parfois aussi mis sur la sellette dans ce débat sur la Wehrmacht. Présenté comme le chantre du nationalisme allemand, Clausewitz serait spirituellement aussi coupable que les officiers allemands de la Seconde Guerre mondiale. Les recherches académiques à ce propos sont par contre nuancées. Peter Paret avait déjà écrit à ce propos en 1965 qu’il existait deux écoles d’interprètes de Clausewitz en Allemagne durant les années 30. L’une respectait le principe de la soumission du militaire par le politique, la deuxième réinterprétait Clausewitz dans un sens contraire à la Formule. La première école est représentée par Groener, dernier chef d’état-major de l’armée impériale et Hans von Seekt, une des figures de proue de la Reichswehr jusqu’en 1926. La seconde école est symbolisée par Ludendorff – qui rejeta la Formule.[34] Mais quelles que soient les raisons morales invoquées pour appréhender avec précautions l’apport du modèle allemand, il existe encore une poignée d’irréductibles qui se justifient simplement par le fait que la Wehrmacht combattit superbement bien.[35] Ce débat semble loin d’être clos.[36]

[1] Frederic the Great, Instructions for his Generals, Harrisburg, Military Service Pub. Co., 1951, pp. 2-3.

[2] Voir à ce propos : Luvaas J., The Military Legacy of the Civil War – The European Inheritance, Chicago, The University of Chicago Press, 1959, 252 p. (par exemple p. 115 en ce qui concerne la Grande-Bretagne).

[3] Weigley R.F., The American Way of War, op. cit., p. 210.

[4] Soutor, K., « To Stem the Red Tide: The German Report Series and Its Effect on American Defense Doctrine, 1948-1954 », The Journal of Military History, octobre 1993, pp. 653-688.

[5] Citons à ce propos une remarque de Denis Showalter: Uniformed intellectuals have embraced Clausewitz, Moltke and Guderian like hermits discovering sex: with more enthusiasm than finesse. Showalter D., « Goltz and Bernhardi: The Institutionalization of Originality in Imperial German Army », Defense Analysis, décembre 1987, p. 305.

[6] Helmuth von Moltke (1800-1891) était le chef d’état-major prussien lors des guerres prusso-danoise de 1864, prusso-autrichienne de 1868, franco-prussienne de 1870. Il ne faut pas le confondre avec son neveu, qui porte les mêmes nom et prénom que lui, et sera chargé de l’exécution du plan Schlieffen. On distingue généralement les deux hommes en appelant le premier des deux l’ancien et le second le jeune – the Elder et the Younger en anglais. Nous ne ferons pas référence au plus jeune des deux. Alfred von Schlieffen (1833-1913) est surtout célèbre pour avoir donné son nom aux bases du plan d’offensive allemande du début de la Première Guerre mondiale.

[7] Rosinski H., « Scharnhorst to Schlieffen: The Rise and Decline of German Military Thought », Naval War College Review, été 1976, pp. 83-103. (article traduit en français par Lionel Fischer dans : id., « De Scharnhorst à Schlieffen : Grandeur et décadence de la pensée militaire allemande », Stratégique, 4-2000, 76, pp. 53-84).

[8] Opinion partagée par l’historien militaire israélien Jehuda L. Wallach ; Wallach J.L., « Misperceptions of Clausewitz’ On War by the German Military », dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 213-139.

[9] Kitchen M., « The Traditions of German Strategic Studies », The International History Review, avril 1979, pp. 163-190.

[10] Rothenberg G.E., « Moltke, Schlieffen, and the Doctrine of Strategic Envelopment », dans Paret P. (ed .), Makers of Modern Strategy, op. cit., pp. 297 et 312

[11] Hughes D.J., « Points on Moltke Redefined », Military Review, janvier 1991, pp. 86-87. Opinion que nous retrouvons également dans : Echevarria A.J., « Moltke and the German Military Tradition: His Theories and Legacies », Parameters, printemps 1996, pp. 91-99.

[12] Krause M.D., « … And Further Redefined », Military Review, janvier 1991, pp. 87-89.

[13] Cannon M.W., « Clausewitz for Beginners », Airpower Journal, été 1989, pp. 48-57. Voir aussi : Echevarria A.J., « Borrowing from the Master: Use of Clausewitz in German Military Literature before the Great War », War and History, juillet 1996, pp. 274-292.

[14] Il existe une littérature importante à cet égard, de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à nos jours. Voir par exemple : Bucholz A., Moltke, Schlieffen and the Prussian War Planning, Oxford, Berg. Pub., 1991, 352 p. ; Demeter K, The German Officer Corps, (Das deutsche Offizerkorps in Gesellschaft und Staat 1650-1945, 1962 – traduit de l’allemand par Malcolm A.), Londres, Weindenfeld & Nicolson, 1965, 414 p. ; Görlitz W., The German General Staff – Its History and Structure – 1647-1945, (Der Deutsche Generalstab, trans. by Br. Battershaw, with a Preface by C. Falls), Londres, Hollis and Carter, 1953, 508 p. Ces trois ouvrages ont été écrits par des Allemands. Mentionnons que Karl Demeter est un ancien étudiant de Hans Delbrück. A cela, il faut encore ajouter des ouvrages classiques comme : Craig G.A., The Politics of the Prussian Army – 1640-1945, Londres – Oxford – New York, Oxford University Press, 1968 (1955, 1964), 538 p. ; Kitchen M., A Military History of Germany from the eighteenth century to the present day, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1975, 384 p. Ces ouvrages citent Clausewitz même s’ils ne s’attardent pas spécialement sur lui. Le livre de Görlitz est celui qui lui consacre le plus de place, avec une vision tournée vers l’approche directe. L’auteur souligne néanmoins la valeur de la Formule dans la pensée de Clausewitz (voir surtout : pp. 60-64).

[15] Starry D.A., « To Change an Army », Military Review, mars 1983, p. 26 (texte issu d’une conférence – Committee on a Theory of Combat – du général Donn A. Starry le 10 juin 1980 à Carlisle Barracks, U.S. Army War College).

[16] Voir : Betts R.K., « Conventional Strategy – New Critics, Old Choices », art. cit., p. 149.

[17] Beaumont R.A., « On the Wehrmacht Mystique », Military Review, mars 1987, pp. 2-13.

[18] Hoschouer J.D., « von Moltke and the General Staff », Military Review, mars 1987, pp. 62-73 ; Krause M.D., « Moltke and the Origins of Operational Art », Military Review, septembre 1990, pp. 28-44.

[19] Linvingtson N.B. III, « Blitzkrieg in Europe: Is It Still Possible? », Military Review, juin 1986, pp. 26-38.

[20] Oberer W.Fr., « The True Difference », Military Review, avril 1988, pp. 74-81. L’auteur est un juriste allemand.

[21] Hughes D.J., « Abuses of German Military History », Military Review, décembre 1986, pp. 68-69.

[22] Creveld M. van, Fighting Power – German and U.S. Performance, 1939-1945, Londres, Arms and Armour Press, 1983, 198 p. Cet ouvrage est à situer en droite ligne d’un article de Morris Janowitz et Edward A. Shils sur la cohésion des unités allemandes. Ces deux auteurs, qui avaient travaillé auprès de services alliés de guerre psychologique, utilisaient largement la notion de groupe-primaire dans leurs explications. Shils E.A. & Janowitz M., « Cohesion and Disintegration in the Wehrmacht in World War II », Public Opinion Quarterly, été 1948, pp. 280-315.

[23] Creveld van M., « On Learning from the Wehrmacht and Other Things », Military Review, janvier 1988, pp. 62-71.

[24] Voir, par exemple : Gray C.S., « National Style in Strategy », International Security, automne 1981, pp. 21-47.

[25] Bassford Ch., « Cohesion, Personnel Stability and the German Model », Military Review, octobre 1990, pp. 73-81.

[26] Beaumont R.A., « Wehrmacht Mystique Revisited », art. cit., pp. 64-75.

[27] Schoenbaum D., « The Wermacht and G.I. Joe: Learning What from History – A Review Essay », International Security, été 1983, p. 205.

[28] Beaumont R.A., « On the Wehrmacht Mystique », art. cit.

[29] Record J., « Operational Brilliance, Strategic Incompetence – The Military Reformers and the German Model », Parameters, automne 1986, pp. 5-7.

[30] Tritten J.J. & Donaldo L., A Doctrine Reader – The Navies of United States, Great-Britain, France, Italy and Spain, op. cit., p. 146.

[31] Notons au passage une très intéressante thèse historique. Rappelons que Clausewitz distinguait deux types de guerre : la guerre dans la réalité et la guerre absolue, ou conforme à sa nature abstraite. Les Nazis auraient réinterprété Clausewitz en retournant le concept d’absolu. Par l’idéologie, ils ont élaboré une politique totale – une politique aux objectifs illimités – qui devait s’adapter à l’idée de guerre absolue. Ici, la politique n’est plus l’un des éléments censé limiter la guerre. Elle sert, au contraire, à lui permettre de se conformer à sa tendance absolue. Baldwin P.M., « Clausewitz in Nazi Germany », The Journal of Contemporary History, janvier 1981, pp. 5-26.

[32] Creveld M. van, « On Learning from the Wehrmacht and Other Things », art. cit., pp. 62-71. Sur ce sujet, voir par exemple : Bartov O., Hitler’s Army : Soldiers, Nazis, and War in the Thord Reich, Oxford, Oxford University Press, 1992, 238 p.

[33] Wakenfield K.R., « The German Generals 1918-1933 », Military Review, novembre 1974, pp. 32-40.

[34] Paret P., « Clausewitz – A Bibliographical Survey », art. cit., p. 280. Voir aussi, dans la même ligne que l’interprétation de Peter Paret : Müller K.-J., « Clausewitz, Ludendorff and Beck: Some Remarks on Clausewitz’ Influence on the German Military in the 1930s and 1940s », dans Handel M.I., Clausewitz and Modern Strategy, op. cit., pp. 240-266. ; Sadoff L.R., « Hans von Seeckt: One Man Who Made a Difference », Military Review, décembre 1987, pp. 76-81.

[35] Evancevich M.S., « Wermacht Lessons », et Richey S.W., « Into The Frey Again », dans le même numéro de la Military Review, juillet 1988, p. 89.

[36] Voir en particulier : Baxter C.F., « Did Nazis Fight Better Than Democrats? Historical Writing on the Combat Performance of the Allied Soldier in Normandy », Parameters, automne 1995, pp. 112-117.

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Chapitre 2 – La renaissance des études clausewitziennes

La renaissance des études de Clausewitz est largement due à un petit cénacle d’intellectuels, principalement des historiens militaires. Cette renaissance prend racine en Allemagne, avec les travaux du professeur Hahlweg, qui fait publier en 1952 la 16iè édition de Vom Kriege. L’édition est remarquée car Werner Hahlweg a mené un véritable travail de restauration du livre à partir de textes originaux.[1]

Ensuite, en 1967, en Grande-Bretagne, Robert Ashley Leonard publie un livre sur Clausewitz. L’auteur, qui montre une bonne compréhension du Prussien, divise son ouvrage en deux parties. La première est une sorte de guide de lecture qui aide à la compréhension de Clausewitz. La seconde est une compilation de textes issus de On War. Ces textes sont basés sur la traduction de Graham / Maude de 1908.[2] Puis, en 1971, une biographie du Prussien est éditée par Roger Parkinson, toujours en Grande-Bretagne, elle est préfacée par Michael Howard.[3] Les spécialistes sont critiques vis-à-vis de l’ouvrage.[4] On en discute surtout les erreurs factuelles. Bernard Brodie affirme que l’auteur se trompe à propos de Gneisenau et que Frédéric Guillaume II n’était pas le fils mais le neveu de Frédéric II comme le prétend Parkinson. De plus, Brodie se sent mal à l’aise avec l’idée de Parkinson de rattacher la méthode Clausewitz à celle de Kant. Peter Paret ajoutera que l’ouvrage contient des références bibliographiques fausses ou inexactes.[5]

Néanmoins, on retiendra l’opinion de Christopher Bassford lorsqu’il affirme que Parkinson a le mérite d’avoir rédigé un livre vivant, plus accessible au grand public.[6] Ainsi, Parkinson n’hésite pas à donner des récits de batailles. De plus, ici et là, il donne de bons aperçus de l’ambiance de l’époque. Cela rapproche Clausewitz du lecteur.[7] Enfin, en 1983, Michael Howard fera lui-même publier un petit ouvrage très didactique permettant de mieux comprendre Clausewitz et On War.[8]

Mais la renaissance des études sur Clausewitz aux Etats-Unis trouve sa source dans un projet, datant de 1962, initié à l’Université de Princeton. Le « Clausewitz Project » rassemble des intellectuels anglo-saxons et allemands : Michael Howard, Bernard Brodie, Gordon Craig, Klaus Knorr, John Shy, Werner Hahlweg et Karl Dietrich Erdmann. Basil H. Liddell Hart est également impliqué, mais en faible mesure ; il aidera Peter Paret à obtenir une bourse de recherche. L’objectif de ces chercheurs consiste à rassembler, reproduire et traduire la plus large collection possible des travaux de Clausewitz. Le projet finira par s’embourber. Il n’en résultera qu’une traduction de Vom Kriege, celle de 1976, par Paret et Howard. La même année, une nouvelle biographie de Clausewitz par Paret, Clausewitz and the State, sort également.[9] Il est vrai que les recherches sur l’officier prussien ne sont pas aisées. Les grandes bibliothèques universitaires américaines ne disposaient que de fragments de son œuvre.[10] Néanmoins, la nouvelle édition du Traité sera un succès commercial et très bien accueillie par la critique.[11] En 1980, 13.000 exemplaires de l’édition de 1976 de On War ont déjà été vendus.[12] Neuf ans plus tard, ce chiffre atteint les 40.000 copies.[13] Le seul véritable reproche à l’encontre du livre est un questionnement sur sa traduction peut-être trop moderne.[14] La célèbre revue Foreign Affairs considérera en 1997 que On War est l’un des principaux ouvrages sur la guerre des 75 dernières années. Le livre de Clausewitz est placé en compagnie du Makers of Modern Strategy de E.M. Earle, de The Soldier and the State de S.P. Huntington et des écrits militaires de Mao Zedong.[15]

Indiquons encore que l’année 1976 coïncide aussi avec la sortie, en France, des deux tomes que Raymond Aron consacre au Prussien, Penser la guerre, Clausewitz.[16] Ces deux livres seront édités et traduits en anglais en 1985. La traduction sera pourtant souvent qualifiée d’insuffisante.[17] Les deux tomes de Aron seront néanmoins cités par les spécialistes. Peter Paret saluera le formidable travail de Raymond Aron mais mettra en cause certains aspects du second tome. Pour lui, On War donne une base insuffisante pour aborder l’ensemble des problèmes de sécurité contemporains évoqués par R. Aron. Pour Paret, les points de vue politique, éthique et stratégique ne sont pas suffisamment intégrés et la méthodologie de Aron est en reste.[18] Pour terminer, mentionnons que Aron est également l’auteur de plusieurs textes de conférences et articles sur Clausewitz, dont certains seront traduits en anglais.[19]

Enfin, plus important pour notre propos, c’est en 1976 qu’est introduite l’étude de Clausewitz dans le corpus du Naval War College, en 1978-1979 pour l’Air War College, et en 1981 pour l’Army War College. De plus, il fait directement partie du cursus de l’U.S. Army’s School for Advanced Military Studies de Fort Leavenworth, fondée en 1981. Il est aussi étudié à la National Defense University de Fort McNair, Washington D.C.[20] Sa lecture est également préconisée pour les officiers de la Garde Nationale.

Il devient d’autant plus facile de se prétendre clausewitzien que le Prussien est de moins en moins entaché d’une réputation trouble. Nombreux sont les officiers qui reconnaissent la valeur de On War, comme Alexander M. Haig. Le champ des études stratégiques académiques reconnaît aussi les mérites de On War, de plus en plus cité dans les travaux sur la stratégie nucléaire. Le nom de Clausewitz est aussi accolé à ceux des sénateurs Hart et Taft, actifs dans le mouvement de réforme militaire.[21]

Mais l’apogée de la reconnaissance de Clausewitz aux Etats-Unis date peut-être bien de 1985. En effet, les 25 et 26 avril 1985, une conférence sur Clausewitz a lieu à Carlisle Barracks, à l’U.S. Army War College. C’est la première conférence dédiée au Prussien aux Etats-Unis. Elle rassemble un important panel de spécialistes américains et internationaux, civils et militaires.[22] Depuis, ces dernières années, certains textes du Prussien sont encore (ré)apparus, (ré)édités et traduits.[23]

Notons que cette redécouverte de Clausewitz va de pair avec une redécouverte plus générale de la pensée stratégique classique. En effet, à la même époque des critiques s’attaquent à l’éducation dispensée à West Point car les cadets sont insuffisamment préparés à leur tâche principale : le combat. Le retour aux grands classiques est invoqué en vue de combler cette lacune. On War a une place de choix dans ce retour aux classiques. Mais on cite également Sun Zi, Machiavel , Jomini, Mahan, Douhet, Liddell Hart, Mao Zedong, Beaufre et Brodie ainsi que l’ouvrage Strategies of Containment de John Lewis Gaddis – ce dernier en passe de devenir un classique à part entière. L’apport de ces auteurs pour la compréhension de la guerre est jugé pratiquement irremplaçable. Ce mouvement aura de l’influence jusqu’au sein de l’U.S.C.G. – United States Coast Guard – qui désire une éducation moins technique et plus centrée sur l’acquisition de capacités de combat. En fait, dans le sillage de la rénovation de l’armée de terre, les autres forces suivent le mouvement.[24]

Précisons tout de même que l’étude des auteurs classiques est privilégiée dans une perspective comparative : les écoles militaires s’attachent moins à l’authenticité de chaque auteur qu’à la substance que l’on peut tirer de leurs travaux.

Parmi les classiques ainsi remis au goût du jour figurent nombre de penseurs issus de Prusse ou d’Allemagne. Toutefois, ici, les références ne se limitent pas à Clausewitz. Elles tiennent aussi compte de Moltke, Schlieffen, Rommel, etc. Plus généralement encore, les réformateurs américains vont beaucoup débattre de l’institution militaire prusso-allemande.

Donc, avant de s’intéresser aux références clausewitziennes dans le discours stratégique américain, on évaluera l’impact de ce modèle germanique de manière à le différencier de l’apport de Clausewitz.

[1] Tashjean J.E., « The Transatlantic Clausewitz 1952-1982 », Naval War College Review, vol. 35, n° 6, 1982, pp. 69-70 ; id., « Book Reviews – Prof. Dr. Werner Hahlweg (dir.), Carl von Clausewitz: Vom Kriege, Neunzente Auflage », The Journal of Strategic Studies, juin 1981, pp. 209-211.

[2] Leonard R.A. (dir.), A Short Guide to Clausewitz On War, Londres, Weindefeld and Nicolson, 1967, 237 p.

[3] Parkinson R., Clausewitz : A Biography, New York, Stein and Day, 1979 (1971), 332 p.

[4] Brodie B., « On Clausewitz: A Passion for War », World Politics, janvier 1973, pp. 288-308.

[5] Paret P., Clausewitz and the State, New York-Londres-Toronto, Oxford University Press, 1976, p. 443.

[6] Bassford Ch., Clausewitz in English – The Reception of Clausewitz in Britain and America, 1815-1945, Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 270. Voir aussi : Brodie B., « In Quest of the Unkwown Clausewitz: A Review », International Security, hiver 1977, pp. 62-69.

[7] Voir par exemple : Parkinson R., op. cit., pp. 89-91 (dans les salons de Madame de Staël).

[8] Howard M., Clausewitz, New York, Oxford University Press, 1983, 79 p. On lira la critique de Harry G. Summers : « Clausewitz, Book Review of Michael Howard », Marine Corps Gazette, décembre 1984, pp. 78-79.

[9] Bassford Ch., op. cit., pp. 207-208.

[10] Paret P., « Clausewitz – A Bibliographical Survey », World Politics, janvier 1965, p. 276. Sont mentionnées, les bibliothèques de Princeton, Berkeley, University of California et Standford.

[11] L’ouvrage est souvent revu en même temps que Clausewitz and the State de Peter Paret : Mandelbaum M., « Clausewitz – New Books in Review », The Yale Review, été 1977, pp. 613-620 ; Behrens C.B.A., « Which Side Was Clausewitz On? », The New York Review of Book, octobre 14 1976, pp. 41-44 ; Price D.H., « Book Review – On War – Clausewitz and the State », Infantry, mai-juin 1977, pp. 56-57 ; Lowenthal M., « Carl von Clausewitz – On War – Reviews of Books », The American Historical Review, vol. 82, n° 1, 1977, pp. 608-609. Voir aussi : Bassford Ch., « Book Review: Carl von Clausewitz, On War (Berlin 1832) », Defense Analysis, juin 1996 (sur le site http://www.clausewitz.com/). Le lecteur intéressé pourra aussi consulter les critiques publiées par des auteurs non américains : Best G., « Master at Arms », Times Literary Supplement, 18 mars 1977, p. 297 ; Rosenbaum E., « Clausewitz », Times Literary Supplement, 8 avril 1977, p. 432 ; Windsor Ph., « The Clock, the Context and Clausewitz », Millenium, automne 1977, pp. 190-196 ; Wallach J., « On War – Book Review », The Journal of Modern History, mars 1978, pp. 125-128 ; Gallie W.B., « Clausewitz Today », European Journal of Sociology (ou Archives Européennes de Sociologie), vol. XIX, 1978, pp. 143-167.

[12] Paret P., « Clausewitz Bicentennial Birthday », Air University Review, mai-juin 1980, p. 20.

[13] Bassford Ch., op. cit., p. 3.

[14] Nous soulevons la question par rapport à un terme employé à la page 185 : impressionistic. Ce mot se réfère bel et bien au mouvement artistique impressionniste, qui ne naîtra qu’en 1874, soit bien après la mort de Clausewitz, suite à une exposition du tableau « Impression, soleil levant » de Monet. Par comparaison, dans la traduction française aux Editions de Minuit le mot impressionniste n’a pas été employé. On War, p. 185 ; Clausewitz C. von, De la guerre, p. 191.

[15] Cohen E.A., « On War », Foreign Affairs, septembre-octobre 1997, pp. 219-220.

[16] L’ouvrage de Raymond Aron sur Clausewitz a été traduit en anglais sous le titre Clausewitz : Philosopher of War par Christine Booker et Norman Stone.

[17] Echevarria A.J. II, « Clausewitz: Toward a Theory of Applied Strategy », Defense Analysis, vol. 11, n° 3, 1995, pp. 229-240 (voir le site http://clausewitz.com/).

[18] Paret P., « Penser la guerre – Reviews », The Journal of Interdisciplinary History, automne 1977, pp. 369-372.

[19] Aron R., Sur Clausewitz, Bruxelles, Complexe, 1987, 188 p.

[20] McIsaac, « Master at Arms : Clausewitz in Full View », Air University Review, janvier-février 1979, p. 83 ; Bassford Ch., « John Keegan and the Grand Tradition of Trashing Clausewitz (A Polemic) », War and History, novembre 1994, pp. 319-336 (voir site http://www.clausewitz.com/) ; Tashjean J.E., « The Transatlantic Clausewitz », art. cit., p. 76.

[21] Haig A.M. Jr., « From My Bookshelf », Military Review, septembre 1988, p. 89 ; Nutting W.H., « From My Bookshelf », Military Review, juillet 1988, p. 91 ; Ropp Th., « Strategic Thinking Since 1945 », dans O’Neill R. & Horner D.M., New Directions in Strategic Thinking, Londres, George Allen & Unwin, 1981, pp. 1-13 ; Walters R.E., « The Nuclear Trap », N.Y. Times, 7 septembre 1980, p. 211.

[22] Les participants de la conférence sont les suivants : Michael I. Handel, Martin van Creveld, Katherine L. Herbig, David Kahn, Werner Hahlweg, Harold Nelson, Jay Luvaas, Wallace P. Franz, Jehuda L. Wallach, Klaus Jürgen Müller, Williamson Murray, Douglas Porch et John Gooch. Suite à la conférence, un ouvrage a été publié reprenant les textes des participants : Handel M.I. (dir.), Clausewitz and Modern Strategy, Londres, Frank Cass, 1986, 324 p. L’ensemble parut aussi dans une édition du The Journal of Strategic Studies, vol. 9, n° 2 et 3, 1986.

[23] Paret P., « An Anonymous Letter by Clausewitz on the Polish Insurection of 1830-1831 », The Journal of Modern History, n°2, 1970, pp. 184-190 ; id., « An Unknown Letter by Clausewitz », The Journal of Military History, avril 1991, pp. 143-151 ; Clausewitz C. von (édité et traduit par Paret P. et Moran D.), Two Letters on Strategy, Art of War Colloquium, U.S.A.W.C., novembre 1984, 46 p.

[24] Cole J.L., « Why Guard Officers Should Study Clausewitz », National Guard, octobre 1982, pp. 17-18 ; Zais M.M., « West-Point : Swordmaking or Swordmanship ? », Armed Forces Journal International, mars 1990, pp. 57-62 ; Luvaas J., « From My Bookshelf », Military Review, mai 1988, p. 90 ; Hardcastle B.D., « Ten Important Books – Strategic Thought », The Army Historian, printemps 1984, pp. 11-15 ; Macak R.J. Jr. & Noble J.E., « The U.S. Army’s School of Advanced Military Studies: A Marine Overview and Perspective », Marine Corps Gazette, juillet 1989, pp. 66-70 ; McEntire J.F., « Engineers or Guardians? », United States Naval Institue Proceedings, décembre 1990, pp. 74-77 ; Possehl W.A., « To Fly and Fight at the Operational Level », art. cit., pp. 20-28. Notons qu’en 1992, la Military Review publiera même un article sur le Strategikon de l’Empereur Maurice : Petersen Ch.C., « The Strategikon – A Forgotten Military Classic », Military Review, août 1992, pp. 70-79.

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Chapitre 1 – Le renouveau de l’édifice doctrinal

Après la guerre du Vietnam, le nom de Clausewitz va véritablement émerger au sein de la communauté militaire américaine. Ce n’est pas un hasard. En effet, après le conflit vietnamien, les forces américaines vont d’abord connaître une période de perte de confiance. Perte de confiance qui se manifesta par un mauvais moral mais aussi par une diminution de la visibilité de l’institution au sein de la société américaine. Les budgets vont également refluer. Mais dès 1976, des officiers vont tenter de prendre les choses en main. On assiste alors à un mouvement de réforme doctrinal qui prend son point de départ au sein de l’U.S. Army. C’est dans ce contexte que plusieurs théoriciens classiques de la stratégie vont être redécouverts. Clausewitz occupe une place de choix parmi ces derniers. Parallèlement, la pensée du Prussien est remise au premier plan par quelques historiens militaires. La convergence de ces événements va permettre à Clausewitz de gagner une réelle notoriété outre-Atlantique.

Mais avant d’étudier la diffusion des idées de Clausewitz, il convient de s’interroger sur le mouvement de réforme doctrinal américain. Celui-ci constitue un contexte nécessaire à notre analyse.

Section 1 – Le FM 100-5 de 1976

L’échec de la politique étrangère et de la stratégie américaine en Asie du Sud-Est va avoir un certain nombre de conséquences dans l’évolution doctrinale des forces armées de ce pays. Cette évolution est d’abord le fruit d’une critique portant sur de multiples dimensions relatives aux problèmes de sécurité. D’emblée, on peut citer quelques-uns des points mis en relief par la réflexion stratégique. Tout d’abord, la guerre du Vietnam a été marquée par l’imprécision, et l’ambiguïté, dans le choix des objectifs. Cette imprécision est elle-même liée à une difficulté de comprendre la nature – éminemment politique – des guerres limitées. Plus techniquement, l’approche managériale, principalement symbolisée par l’équipe MacNamara, est accusée d’avoir causé des « surcharges » en portant trop d’attention aux détails du – ou plutôt, dans le – conflit. En fait, l’entièreté de l’utilisation de la composante conventionnelle de la flexible response est mise en cause. Les militaires accuseront les intellectuels de la défense de cet état de fait.[1] A un échelon moins élevé, les fréquentes rotations, sur base individuelle et non pas par unité, sont aussi blâmées. Cette technique empêcha la création d’une cohésion interne suffisante au sein des groupes primaires.[2]

A la lueur de l’échec vietnamien, une forte crise de confiance va entamer le moral des forces armées. Cette crise est inévitablement renforcée par les restrictions budgétaires qui émanent du Congrès – à lire également dans le contexte de la détente. Ce contexte entraîne la transformation de l’armée de conscription qui devient professionnelle, et donc plus réduite en effectifs. Or, ce passage ne s’exécute pas sans problèmes dans une institution déjà gangrenée par des problèmes raciaux, l’abus de stupéfiants et le manque de discipline.[3] En politique étrangère, le syndrome vietnamien se traduira aussi par la naissance d’un sentiment néo-isolationniste. Toutefois, les Etats-Unis veillent à conserver un engagement ferme vis-à-vis de l’O.T.A.N.

La guerre israélo-arabe de 1973 et l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979, seront deux coups de semonce. Ils sortiront le pouvoir politique et les officiers de leur léthargie. De ces événements naîtra le TRADOC – Training and Doctrine Command – et l’édition du manuel FM 100-5, Operations en 1976 sous l’égide du général DePuy.[4] On assiste alors à un mouvement de réforme doctrinal « salvateur ». On peut aussi avoir une deuxième lecture, plus fonctionnelle, de l’action du général DePuy ; à l’arrière plan des considérations purement doctrinales, DePuy désirait aussi donner à l’armée un instrument doctrinal pour faire valoir des demandes financières auprès du Congrès.

Les jalons contextuels qui ont permis l’apparition du nouveau manuel ayant été posés, il convient maintenant de se demander en quoi le renouveau doctrinal méritait tant de considérations. En fait, le point focal du développement du FM 100-5 relève principalement d’une question : comment vaincre une invasion du Pacte de Varsovie en Europe avec des moyens matériels numériquement inférieurs. Par rapport à cette question, une première constatation s’impose. La pensée du général DePuy est toute orientée vers la probabilité d’une attaque de type blindée – mécanisée en Europe. Il se montre par contre très sceptique quant à l’apport des expériences vietnamienne et coréenne. Un seconde constatation en découle, il s’agit de la prééminence de l’Allemagne lorsque l’Europe est évoquée. L’Allemagne est perçue comme la pièce maîtresse du dispositif O.T.A.N. D’après ce raisonnement, on comprend mieux l’intérêt porté par DePuy à l’homologue germanique du TRADOC et les multiples contacts entre les deux organismes. On constatera aussi des similitudes entre le manuel HDv 100/100, Command and Control allemand et le F.M. 100-5 de 1976. Les manuels allemand et américain font montre d’une grande cohérence d’approche ; tous deux postulent une défense de l’avant en Allemagne. Cette forme de défense était par ailleurs la seule admise politiquement dans ce pays.[5]

Détaillons ensuite le contenu du nouveau manuel opérationnel. Premièrement, le manuel dénote une approche « prescriptive » et « mathématique » du combat – des ratios de force y sont inclus. Deuxièmement, le manuel place en premier plan le rôle des forces blindées et mécanisées, comme on l’a déjà indiqué. Le TRADOC analysa donc statistiquement pas moins de 1.000 batailles de chars en vue de confirmer l’hypothèse qu’il était possible de gagner une bataille avec moins de moyens que l’ennemi.[6] Troisièmement, le manuel met l’accent sur la défense active. La défense active vise à la stabilisation du front aussi près que possible de la frontière, en vue de protéger le territoire O.T.A.N. La stabilisation devait permettre de gagner du temps en attendant l’arrivée de renforts. Les troupes en renfort devaient ensuite pratiquer des rocades – donc insistance sur la mobilité – à l’arrière de la ligne principale de défense partout où le front est menacé de pénétration. Ces rocades auraient permis de renforcer les unités sur place et leur donner la possibilité de passer à la contre-offensive. Quatrième constatation, la doctrine forme un édifice théorique à même d’intégrer les armes modernes – missiles sol-sol, hélicoptères, etc. – dans un ensemble cohérent. Cinquième remarque, le manuel de 1976 va permettre l’éclosion de divers autres documents pratiques sur le combat dit how to fight. Le FM 100-5 devient la clef de voûte de l’édifice doctrinal.

Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, ce manuel n’a pas fait l’unanimité, loin de là. Il est vrai qu’il a, indirectement, assuré une fonction stratégique, voire même de politique étrangère, qui ne lui était pas dévolue. Il a clairement débordé son rôle opérationnel. La forme que devait prendre la défense de l’O.T.A.N. aurait dû impliquer un nombre beaucoup plus important de décideurs. Le manque de consultation au niveau politique est donc évocable. Sur ce point, la personnalité du général DePuy peut être mise en cause. Il était décrit comme une personne autoritaire et peu encline au consensus. Néanmoins, dans la situation de quasi-déliquescence de l’U.S. Army, l’action « forte » de cet officier était probablement un moindre mal pour certains.

Mais la critique a aussi porté son attention au niveau purement opérationnel. Le système de rocade que l’on retrouve dans la défense de l’avant nécessite de disposer de réserves importantes. Or le manque de réserves américaines sur le théâtre européen hypothéquait la mise en oeuvre de ces opérations.[7] On reprocha également au manuel d’être trop exclusivement axé sur des perspectives tactico-techniques et non réellement opérationnelles. Le FM 100-5 confie une responsabilité excessive à la puissance de feu et à la défense statique. Le rôle de la manœuvre passe au second plan. Les rocades sont surtout des déplacements et non des vraies manœuvres selon le sens traditionnel que l’on donne à ce mot. Elles n’impliquent pas directement la pratique d’enveloppement, ni l’attaque de points faibles. Quant à la notion d’offensive, elle n’est pas assez mise en évidence. Une critique supplémentaire jugera que le manuel est de peu d’utilité pour le combat en dehors de la zone O.T.A.N. Cela constitue bien une faiblesse pour une nation comme les Etats-Unis. Et pour terminer, il est reproché au manuel de ne pas incorporer ce que d’aucuns considèrent comme les fondements des opérations : les principes de la guerre.[8]

Entre-temps, la pensée stratégique soviétique a subi des mutations importantes. La doctrine militaire de l’U.R.S.S. a été longtemps reconnue au travers de l’ouvrage Stratégie militaire du maréchal Sokolovsky. Cette doctrine ne reconnaissait pas officiellement la rupture introduite par l’avènement des armes nucléaires ; elle souscrivait à une rapide montée aux extrêmes en cas de conflit entre l’Est et l’Ouest. A la fin des années 70, cette doctrine est supplantée par celle, dite d’Orgakhov, du nom du chef d’état-major de 1977 à 1984, qui prend en compte la rupture stratégique introduite par l’apparition de l’arme nucléaire et tente de réintroduire la possibilité de guerres conventionnelles.[9] Dans la foulée de cette nouvelle doctrine, le concept des groupes de manœuvre opérationnels voit le jour. Les groupes de manœuvre opérationnels doivent mener des opérations rapides d’infiltration en profondeur dans le dispositif O.T.A.N. grâce à l’emploi massif de moyens blindés, mécanisés et aérotransportables. Les troupes qui ont percé doivent ensuite passer à l’encerclement et la destruction des unités O.T.A.N. sur leur chemin. On compare rapidement cette pensée à la Blitzkrieg. Un des enjeux est la neutralisation des armes nucléaires tactiques sur le territoire des nations de l’O.T.A.N. et la possibilité de placer les alliés devant un « fait accompli ».[10]

Quelques analystes civils américains vont initier un débat relatif à l’adéquation entre la doctrine de l’U.S. Army, et plus largement des forces O.T.A.N., et l’apparition du concept de groupes de manœuvre opérationnels. Leurs travaux procèdent globalement d’une question : comment réagir face à une attaque potentielle du Pacte de Varsovie en Europe ? Parmi ces analystes civils, on retrouvera Edward N. Luttwak, John J. Mearsheimer, Richard K. Betts, Samuel P. Huntington, etc. La revue International Security servira largement de chambre d’écho à leurs réflexions.

Reprenons pour commencer les idées de Edward N. Luttwak. Pour Luttwak, le Pacte de Varsovie dispose de la supériorité numérique en Europe, alors que les Etats-Unis et leurs alliés ont l’ascendant en matière de technologie. Par conséquent, l’O.T.A.N. devrait dépasser le paradigme de la guerre d’attrition et donner plus de poids à ses armes modernes en vue de pratiquer ce qu’il nomme la manœuvre relationnelle – relational-maneuver. La manœuvre relationnelle est définie comme la recherche des faiblesses de l’ennemi et leur exploitation par le mouvement des unités sur le champ de bataille en vue d’appliquer la juste quantité de puissance de feu là où elle est indispensable. De plus, la manœuvre relationnelle doit autant jouer dans la sphère physique que psychologique. A l’opposé, le modèle d’attrition est basé sur des quasi-règles de proportionnalités numériques, induisant un rapport direct entre l’effort et le résultat. La manœuvre relationnelle consiste en fait à employer la technologie et le mouvement comme levier compensateur de la faiblesse numérique de l’O.T.A.N.[11]

Samuel P. Huntington se montrera favorable aux idées de Edward Luttwak et de l’école manœuvrière, car un renforcement de la composante conventionnelle de l’O.T.A.N. s’avère un élément indispensable au renforcement parallèle de la doctrine des représailles graduées – flexible-response.[12]

John J. Mearsheimer, lui, est opposé au choix d’une stratégie manœuvrière. Il en admet la teneur au niveau tactique, mais pas au niveau opérationnel. Cette approche serait trop risquée sur un terrain comme celui de l’Europe Centrale. De plus, l’amalgame des unités O.T.A.N. complique encore les choses car toutes ne sont pas préparées à ce type d’opérations. La position de l’Allemagne est aussi évoquée. Choisir un modèle manœuvrier implique de disposer d’espace qui ne pourrait se trouver que sur le sol de la R.F.A. Cela entraînerait inévitablement des dommages civils, industriels, etc. Il est peut probable que l’Allemagne accepte une telle défense.[13] Par ailleurs, John J. Mearsheimer relativise la possibilité pour les Soviétiques de mener une offensive suffisamment efficace sur le modèle de la Blitzkrieg. Il base son analyse sur des comparaisons numériques et conclut que tout au plus, le Pacte de Varsovie pourrait obtenir une victoire limitée, comme une portion du territoire de l’Allemagne de l’Ouest, option qu’il juge très peu attractive.[14] Quoi qu’il en soit, il semble que c’est bien l’école manœuvrière qui l’ait remporté à en juger par l’édition de 1982 du FM 100-5. Malgré tout, selon Richard K. Betts, il convient de prendre un certain recul par rapport aux arguments manœuvriers du mouvement de réforme militaire. La question n’est pas tant de choisir soit la manœuvre, soit l’attrition – la puissance de feu reste un élément fondamental pour lui. C’est un équilibre entre les termes qui doit être trouvé.[15]

Section 2 – Le FM 100-5 de 1982

Notons rapidement qu’en 1979 survient la Révolution iranienne qui joua un rôle important dans le changement de l’administration Carter par celle de Reagan. Cette dernière était plus prompte à consacrer les deniers de l’Etat à la remilitarisation.[16] L’échec de l’opération Eagle Claw, qui consistait à récupérer les otages américains en Iran, semble avoir focalisé le changement de la part de l’électorat américain. De même, cette période correspond à l’invasion soviétique en Afghanistan. On assiste à ce que d’aucuns appelleront un nouveau nationalisme américain.[17] Comme le fait remarquer Stanley Hoffmann, [e]n fait, tout au long des années 1978 et 1979, les rapports entre les deux grands se sont détériorés, et dans les milieux américains qui s’intéressent aux affaires du monde, une vaste contre-offensive s’est développée contre l’optimisme de Carter, contre son intention originelle de reléguer au second plan les rapports avec l’URSS et contre la politique de détente commencée par Nixon et Kissinger […].[18] L’effet se fait ressentir sur l’ensemble des moyens dont dispose le Pentagone : les forces nucléaires tactiques, les forces de déploiement rapide, et les forces conventionnelles. De plus, l’administration Reagan initie le programme Star Wars.[19]

Parallèlement, au sein de l’armée de terre américaine, les insuffisances du FM 100-5 conduisent à une procédure de révision à partir de nouvelles conceptions qui germaient déjà dans l’esprit de certains en 1978. Il s’agit de considérer l’option d’opération menée dans la profondeur du dispositif ennemi – à l’aide de moyens technologiques et de vecteurs à longue portée. Le but est de n’opposer qu’une résistance suffisante à contenir l’adversaire sur le front, et de concentrer ses ressources sur les échelons suivants.[20] Un des premiers pas officiel de la rénovation du document est posé par la publication du document Battlefield Development Plan par le TRADOC en 1978. Le texte, qui avait vu naissance sous l’impulsion du général Donn A. Starry, maintenant à la tête du TRADOC, demandait aux soldats de ne plus penser en termes de branches d’organisations mais selon des fonctions et concepts nouveaux.[21] Approximativement au même moment, l’étude Division 86 était lancée. Cette étude était largement mise en relation avec le Battlefield Development Plan, et incluait les opérations menées par des divisions légères, des corps d’armée et des échelons au-dessus des corps d’armée. Ce projet devait stimuler la réflexion doctrinale de l’armée. Plus tard il mua en Army 86 Study, après demande du général Meyer, chef de l’état-major de l’U.S. Army. Enfin, le général Meyer lança officiellement, en 1980, la révision du FM 100-5.[22]

La tâche de révision incombait au TRADOC, en collaboration avec le Combined Arms Center de Fort Leavenworth, ce dernier dirigé par le lieutenant général Williaw R. Richardson.[23] En 1981, Don A. Starry baptise le projet. Celui-ci prend le nom de AirLand Battle. Ce terme indique non seulement la relation avec les forces aériennes, mais met aussi l’accent sur toute combinaison d’éléments terrestres et aériens dans le cadre d’opérations utilisant avant tout le feu et la manœuvre. L’option retenue est celle d’attaques de l’ennemi dans la profondeur de son dispositif et l’exploitation des moyens technologiques pour y parvenir.[24] La tâche de réécriture du FM 100-5 était principalement confiée à trois officiers : le lieutenant-colonel Huba Wass de Czege, le lieutenant-colonel L.D. Holder et le lieutenant-colonel Richmond B. Henriques.[25]

L’armée de terre américaine se dirigeait vers des conceptions nettement plus opérationnelles et surtout vers l’extension du champ de bataille et l’utilisation de « fenêtres de vulnérabilité » permettant des actions malgré la supériorité numérique adverse. Dans la même lignée, l’intervention soviétique en Afghanistan servit de point focal à une nouvelle réflexion sur les conflits en dehors de la zone O.T.A.N. La 9th Division fut établie comme modèle de développement d’équipements légers facilement déplaçables à travers le monde.[26] Tirant leçon de la rédaction du manuel de 1976, les auteurs de la nouvelle doctrine cherchèrent à s’assurer un consensus autour de leurs idées avant de les diffuser, non seulement dans les cercles militaires mais aussi au sein du gouvernement et du Congrès.[27] Ainsi, il sera demandé à Edward N. Luttwak et Bill Lind de donner leur opinion sur le brouillon du manuel. Le manuel sera officiellement présenté au vice-président George Bush et aux membres du caucus du mouvement des réformateurs militaires du Congrès Newt Gingrich de Géorgie et G. William Whitehurst de Virginie.

Dans le manuel, les ratios de forces étaient abandonnés, les forces morales davantage mises en évidence de même que l’art opérationnel. De plus, le concept de victoire sur le champ de bataille était réaffirmé. L’aspect managérial découlant de l’influence de MacNamara passa au second plan. Comme pour l’édition de 1976, de nombreux contacts eurent lieu entre les écrivains du FM 100-5 et l’armée allemande de manière à assurer la compatibilité avec le HDv 100/100.[28] Le FM 100-5 était aussi influencé par un manuel écrit en 1941 par George C. Marshall, impressionnant de par sa clarté.[29] Fluidité, innovation, pensée indépendante, flexibilité, adaptabilité servirent largement de maîtres mots à la doctrine mettant en évidence la force de « l’homme Occidental ».[30]

Section 3 – Le FM 100-5 de 1986

Une nouvelle édition du manuel FM 100-5 eut encore lieu en 1986. Elle donnait plus d’importance au concept de conflit de basse intensité et aux forces légères.[31] Comme pour la version précédente, le manuel était rédigé comme un cadre de pensée, et non pas comme un livre de recettes.[32] Globalement, les changements de la nouvelle édition n’étaient pas très importants. L’édition de 1986 est dans la droite ligne de celle de 1982.

Un point particulier mérite attention dans cette édition, car plus encore que dans sa version de 1982, les rédacteurs du manuel ont véritablement « pillé » les classiques de la stratégie. Sun Zi, Jomini et Clausewitz sont les principaux noms repris mais l’ombre de Liddell Hart plane aussi sur le guide. Sun Zi colore la doctrine avec les notions de surprise, de manœuvre et de combats menés en position numériquement inférieure. Liddell Hart est présent au travers de Sun Zi et de son analogie de l’offensive et de la rivière en crue. Clausewitz apporte les idées de friction, de point culminant, de centre de gravité et de volonté – will. Ensuite, le concept de points décisifs inspiré par Jomini est repris et combiné au centre de gravité clausewitzien. La notion d’Auftragstaktik (voir infra) – bien qu’elle n’apparaisse pas formellement – reste aussi dans l’ombre du document.[33]

Section 4 – Le FM 100-5 de 1993

Le manuel de 1993 se caractérisait, par rapport à ces prédécesseurs, par l’introduction du concept O.O.T.W. – Operations Other Than War ou opérations autres que la guerre – la reconnaissance de la multipolarité du monde, et l’insistance sur la projection des forces.[34] On y retrouve également beaucoup plus de références à l’apparition des techniques modernes de communication, contrôle, renseignement, ordinateurs, etc. Et lorsque l’on évoque la pleine dimension du combat, il s’agit maintenant non seulement des trois dimensions classiques mais également de la dimension non matérielle, qui deviendra le cyberspace. Parallèlement, l’impact de la pensée des futurologues Alvin et Heidi Toffler se fait nettement ressentir dans le discours stratégique américain à partir de ce moment.[35]

Alvin et Heidi Toffler se sont fait connaître au travers de plusieurs ouvrages de vulgarisation tentant de cerner l’évolution du monde. Pour les deux auteurs, le monde a subi à une révolution agricole, ensuite une révolution industrielle et vit actuellement la troisième vague, forme de nouvelle révolution qui prend appui sur les développements des ordinateurs et des moyens de communication.[36] Ces évolutions techniques devraient amener des changements importants au niveau social, entre autres dans la répartition et la structuration du pouvoir, probablement moins formellement hiérarchisé et plus centré sur la spécialisation et l’habilité.[37] Le travail des Toffler est qualifié de matérialiste et évolutionniste. Ils sont également les auteurs d’un ouvrage sur l’avenir de la guerre. Traduit en français sous le titre Guerre et contre-guerre, ce livre reprend le schéma de la troisième vague ; les auteurs mettent en relation chaque grande révolution – agricole, industrielle, moderne – avec un type de guerre. Comme futurologues, ils prédisent qu’un style nouveau de conflits émerge, conflits liés à l’évolution technique de notre monde. Les guerres futures seront, selon eux, caractérisées par une application plus « chirurgicale » de la force, et surtout une diminution des massacres militaires, qu’ils jugent rédhibitoires à l’ère industrielle. Une grande partie de l’ouvrage est également consacré aux armes non létales. D’après les Toffler, l’ouvrage a démarré suite à une rencontre avec le général Don Morelli, un des membres du TRADOC. Il semblerait que la rédaction de l’ouvragelivre soit le fruit d’une « demande » du chef d’état-major de l’armée de terre, le général Gordon R. Sullivan et du commandant de l’époque du TRADOC, le général Frederick M. Franks. [38]

Section 5 – Le FM 3-0 de 2001

Une nouvelle édition du FM 100-5 vient de voir le jour en juin 2001. La publication était initialement prévue pour l’année 1998. Elle est maintenant baptisée FM 3-0, Operations.[39] Une pré-version (draft) du document avait été postée sur l’Internet à partir du 4 avril 1997.[40] Le document avait été placé sur la toile afin de recevoir toutes les critiques possibles, soit par courrier, fax ou e-mail.

Ce document contenait un certain nombre de références à Clausewitz et à d’autres penseurs classiques : Ardant du Picq pour la notion d’esprit de corps, Raymond Aron pour la polarisation des adversaires en vue de faire valoir leur intérêt national, Clausewitz pour sa définition de la guerre et le principe d’économie des forces, Jomini et l’importance du moral, Sun Zi et la connaissance de soi-même et de l’adversaire, J.F.C. Fuller et les principes de la guerre (onze prévus : Offensive, Maneuver, Massed Effects, Economy of Force, Simplicity, Surprise, Unity of Effort, Exploitation, Security, Morale), etc. Globalement, le manuel en construction reflétait une importance accrue accordée au rôle de l’information, aux armes non létales, aux menaces asymétriques et aux opérations dites opérations autres que la guerre – O.O.T.W.

Finalement, cette dernière version reprend les concepts de centre de gravité, principes de la guerre et points décisifs. L’impact de la pensée classique se ressent encore dans le manuel. Parallèlement à la révision du FM 100-5, son pendant des opérations autres que la guerre, le FM 100-20, devait également être réévalué. Ce dernier manuel existe depuis 1981. A cette époque, son titre était conflit de basse intensité – Low Intensity Conflict. Une discussion sur la division des tâches des deux manuels était en cours.[41]

Section 6- La doctrine des autres armes

Dans la foulée des développements doctrinaux de l’U.S. Army, l’U.S. Navy et l’U.S. Air Force vont aussi attacher plus d’importance à leur doctrine. Notons également que depuis la fin de la guerre froide, la doctrine interarmées – joint – a tendance à se formaliser. Ce trait se manifeste de plus en plus au travers de l’édition de différents manuels et de publications dans diverses revues, non des moindres, le Joint Forces Quarterly. Le rôle de la National Defense University joue aussi un rôle non négligeable dans cette évolution.

a. La doctrine de l’U.S. Navy

Longtemps, l’U.S. Navy n’a pas réellement eu de doctrine. En lieu et place de celle-ci, la Navy faisait usage de plans d’urgence – contingency plans.[42] Mais à partir des années 70, la stagnation doctrinale prend fin. Assez logiquement pour cette époque, l’U.S. Navy élabore une doctrine centrée sur un conflit potentiel contre l’Union soviétique.

Cette période correspond en effet au développement de la puissance navale de l’U.R.S.S. L’amiral Gortchkov symbolise alors l’amélioration de la marine soviétique. Les forces amphibies soviétiques gagnent en stature. Traditionnellement considérée comme une puissance continentale, l’U.R.S.S. défie véritablement l’O.T.A.N. Sa stratégie vise en premier lieu le tiers monde et s’accorde à la doctrine Brejnev. Le défi soviétique prendra fin vers 1985.[43]

Quoi qu’il en soit, la doctrine de la marine américaine sera avant tout le résultat de réflexions découlant de la pensée de Alfred Thayer Mahan et de Julian Corbett. Elle met l’accent sur la capacité à vaincre l’ennemi et non sur la dissuasion ; le rôle de l’offensive y occupe une place prépondérante. Il s’agit d’un trait particulier de longue date de la Navy.[44]

Pendant les années 80, la stratégie de l’U.S. Navy est à replacer dans le contexte de l’escalade horizontale. Le but est, en passant à l’offensive, d’obliger les forces soviétiques à combattre là où l’attaquant le décidera et d’étendre le conflit géographiquement, mais pas en intensité.[45] A l’époque est créé un organe de développement de la doctrine : le Center for Naval Studies, qui sera rebaptisé Naval Doctrine Command en 1993. L’U.S. Navy se retrouva avec une doctrine du nom de Forward Maritime Strategy – stratégie maritime de l’avant – aussi appelée The Maritime Component of National Military Strategy – la composante navale de la stratégie nationale.[46] Le principal manuel opérationnel de l’US Navy est intitulé NDP (Naval Doctrine Publication) 1, Naval Warfare. La dernière édition date de mars 1994.[47] Ce manuel contient des concepts hérités de la pensée stratégique classique comme les principes de la guerre ou la notion de centre de gravité. Le nom de Sun Zi figure également dans le texte à propos du rôle de la manœuvre dans le combat. On notera que NDP 1 est complété d’une bibliographie recommandant la lecture des ouvrages de Liddell Hart, Corbett, Mahan, Sun Zi et Clausewitz.

b. La doctrine de l’U.S. Air Force

Pendant longtemps, la doctrine de l’U.S. Air Force a été embryonnaire. Rappelons que cette arme n’acquit son indépendance qu’en 1947 – auparavant, elle était intégrée au sein de l’U.S. Army. Cette indépendance est ressentie comme précaire car l’U.S. Navy, le Corps des Marines, et dans une moindre mesure l’U.S. Army, disposent tous de leurs moyens aériens. La défense du concept d’Airpower peut être comprise comme le moyen de perdurer, de se donner une raison d’être, de la force aérienne.[48] Une très grande partie de la réflexion stratégique de cette Arme tourne donc toujours autour de ce concept.

Le principal manuel opérationnel de l’U.S. Air Force des années 80 était nommé AFM 1-1, Basic Aerospace Doctrine of the United States Air Force. Parallèlement aux révisions successives du FM 100-5 de l’U.S. Army, l’édition de 1979 de ce manuel est révisée en 1984, elle le sera aussi en 1992. Ce document contient une liste des principes de la guerre qui servent de véhicule au commandement centralisé recherché par les forces aériennes. AFM 1-1 sera critiqué à plusieurs égards. Ainsi, il n’accorde pas assez d’attention aux conflits de basse intensité et les interrelations entre offensive et défense y sont insuffisamment discutées. Bref, on lui reproche sa tonalité jominienne, trop « prescriptive ».[49] Actuellement, ce manuel a été rebaptisé AFDD 1, Air force Basic Doctrine.[50]

On peut globalement affirmer que l’évolution doctrinale de l’U.S.A.F. suit celle de l’U.S. Army. Comme l’armée de terre, l’U.S. Air Force fera grand usage des classiques de la stratégie, dont Clausewitz. Notons en particulier que le rôle du centre de gravité clausewitzien attirera beaucoup les planificateurs de l’arme aérienne.[51]

c. La doctrine du Corps des Marines

Depuis les années 90, considérons également l’important effort du Corps des Marines en vue de se doter d’une véritable doctrine. Celle-ci se révèle être largement influencée par Clausewitz mais aussi par Sun Zi et Liddell Hart. A cela s’ajoutent des considérations pionnières sur les théories de la complexité (voir infra).

Le point de départ de la rénovation doctrinale du Corps des Marines prend racine dans l’édition du manuel FMFM 1, Warfighting publié en 1989. Le manuel avait été rédigé par John Schmidt sous la direction du commandant Alfred M. Gray. Il était destiné à tous les membres du Corps des fusiliers. Actuellement, le manuel FMFM 1 a été remplacé par le manuel MCDP 1-2, Campaigning. Néanmoins, le premier document constituait une bonne introduction à la lecture de la nouvelle série de publications, dite MCDP pour Marine Corps Doctrinal Publications, qui le suivront. En effet, ces manuels partagent une forte coloration clausewitzienne revue par les concepts non linéaires. Le tout fait largement ressortir l’enseignement de l’officier prussien en matière de relation politico-militaire et de frictions. Les MCDP représentent le niveau le plus élevé dans la hiérarchie des manuels du Corps des Marines. Ils ont été développés à partir d’avril 1996, sur demande du général Paul K. van Riper, commandant du Marine Corps Development Command (M.C.D.C.).[52] Nombre de ces documents font référence à la pensée stratégique de Clausewitz et reprennent des concepts classiques comme les principes de la guerre ou le centre de gravité.

Section 7 – La Révolution dans les Affaires Militaires

Il existe depuis les années 90 une nouvelle réflexion stratégique aux Etats-Unis. Cette réflexion a pris le nom de Révolution dans les Affaires Militaires (R.M.A.) ou, en anglais, Revolution in Military Affairs. En fait, le terme est loin d’être aussi nouveau que l’on puisse penser. Le terme R.M.A est déjà cité dans les années 70 sur base des réflexions soviétiques. A cette époque, le concept impliquait que les Soviétiques se dotaient de moyens en vue de surprendre l’ennemi et, en corollaire, de raccourcir la durée des conflits. Selon cette approche, la frontière entre l’arrière et le front devait s’effacer davantage encore. Parallèlement, la structure des armées devait s’adapter à cette évolution.[53]

La R.M.A. américaine des années 90 diverge toutefois de celle des Soviétiques. Nul doute que l’assise principale de cette approche doit être recherchée dans l’utilisation toujours plus importante des technologies modernes. C’est en particulier l’émergence de nouveaux systèmes de communication-commandement-contrôle, la navigation par satellites, le traitement informatisé des informations, etc. qui donnent ses fondements à la R.M.A. Cette technologie a provoqué le développement de nouveaux concepts, dont la valeur reste discutée (et discutable). Il en est ainsi des frappes chirurgicales ou des armes dites non létales. Les tenants de la R.M.A., qui se présentent volontiers comme des « disciples » des Toffler, postulent que tout changement dans la façon dont on produit la richesse entraîne inévitablement un changement dans la façon dont on pratique la guerre. Mais au-delà de ces considérations étroitement matérielles, les penseurs américains ont tenté d’élargir le paradigme de la R.M.A. et de le transposer, principalement, aux niveaux stratégique et opérationnel. Ce mouvement entend renouveler la façon de concevoir l’utilité politique du militaire. Il vise également à retarder l’émergence de compétiteurs armés potentiels à moyen et à long terme et à donner une forme – to shape – à l’environnement mondial.[54] L’accent est posé sur l’intégration des composants militaires, économiques, diplomatiques et informationnels.[55]

C’est aussi à partir de cette base qu’a pu émerger une pensée sur les nouvelles menaces, pensée qui était elle-même développée sous le couvert de la notion de Operations Other Than War, mais aussi sur des phénomènes qui ne ressortent pas directement de la lutte entre êtres humains : famines, menaces écologiques, épidémies, catastrophes démographiques, pathologies sociales à grande échelle, etc.[56] Notons que le concept de R.M.A. englobe l’ensemble des développements doctrinaux des forces armées américaines et ne limite pas son applicabilité à une seule Arme.

Trois remarques s’imposent par rapport à la R.M.A. La première consiste à se demander si on assiste réellement à une révolution ou simplement à une évolution dans les affaires militaires. La réflexion sur la R.M.A. est touffue, elle touche à une multitude de sujets et donne l’impression que chaque auteur a une interprétation particulière de sa signification – ou de son absence de signification. A certains égards, on peut se demander si la R.M.A. ne tente pas seulement de faire du neuf avec du vieux rafistolé. Il est très difficile d’appréhender les facteurs de rupture des facteurs de continuité à ce niveau. Les menaces transnationales que le nouveau cadre de pensée évoque régulièrement ne sont pas propres à la fin de la guerre froide. Peut-être sont-elles plus visibles, mais elles préexistaient néanmoins à la chute du Mur de Berlin. Il existe en fait un débat quant à savoir si une véritable révolution dans les affaires militaires a éclo ou s’il s’agit simplement une Révolution Technique Militaire – Military Technical Revolution. Une véritable R.M.A. devrait contenir des éléments de changements radicaux et pressants dans les objectifs politiques, stratégiques et sociétaux. On peut se demander s’ils sont tous réellement présents, et en quelle mesure ils sont radicaux.[57] Ensuite, notre deuxième remarque porte sur le lien entre le contenu de la R.M.A. et son objectif. Un des objectifs avoués de la littérature gravitant autour du concept de la R.M.A. est de donner une forme au monde – to shape. Vu la grande prodigalité avec laquelle les informations sur cette révolution sont disponibles – entre autres sur l’Internet – on peut se poser la question de savoir si une des fonctions principales de ces textes n’est pas justement de former les esprits comme le ferait une quelconque propagande. Ces documents auraient, en une certaine mesure, un rôle de self-fullfiling prophecy et leur usage serait à la fois interne et externe – pour les acteurs stratégiques américains et non américains. Enfin, notre troisième remarque porte sur la situation mondiale depuis la fin de la guerre froide. La fin des blocs Est-Ouest a laissé un vide conceptuel dans la façon d’appréhender les relations internationales et stratégiques. Il est vrai que les élaborations sur base de la R.M.A. cherchent à dépasser le champ de référence de ces cinquante dernières années. Mais, de ce point de vue, on peut s’interroger sur la nécessité de faire table rase de l’édifice stratégique théorique élaboré durant cette période. La R.M.A. n’a-t-elle pas trop rejeté au profit de la nouveauté ?

Après ce « détour », il convient d’indiquer que le développement de la R.M.A. va actuellement de pair avec une importance moindre accordée à la pensée stratégique classique. La vision matérialiste des choses prend bien souvent le dessus sur le monde des idées. On verra que, malgré tout, les réflexions stratégiques les plus récentes sur Clausewitz le placent en regard des théories non linéaires, comme dans la doctrine du Corps des Marines. Mais, de manière générale, la réputation du Prussien tend à s’éclipser au profit de Sun Zi – plus facile à lire et plus aisément adaptable à la notion de cyberwarfare.

[1] Mayer L.A. & Stupak R.J., « The Evolution of Flexible Response in the Post-Vietnam Era », Air University Quarterly Review, novembre-décembre 1975, pp. 18-19.

[2] Luttwak E.N., « The Decline of American Military Leadership », Parameters, décembre 1980, pp. 82-88 (article initialement publié dans Commentary en 1980).

[3] A ce sujet, les mémoires du général Schwarzkopf constituent un bon témoignage. Schwarzkopf H.N. (written with Petre P.), It Doesn’t Take a Hero – The Autobiography, New York, Bantam Books, 1992, 530 p.

[4] Romjue J.L., « AirLand Battle: The Historical Background », Military Review, mars 1986, pp. 52-55.

[5] Herbert P.H., Deciding What Has to Be Done: General William E. DePuy and the 1976 Edition of FM 100-5, Operations, Fort Leavenworth Papers, n°16, Combat Studies Institute, Fort Leavenworth, juillet 1988, pp. 21 ; 30 ; 35 ; 62 ; 66.

[6] Starry D.A., « A Tactical Evolution – FM 100-5 », Military Review, août 1978, pp. 2-11.

[7] Romjue J.L., « AirLand Battle: The Historical Background », art. cit., pp. 52-55.

[8] Jones A., « The New FM 100-5: A view From the Ivory Tower », Military Review, février 1978, pp. 27-36 ; Swain R.M., « On Bringing Back the Principles of War », Military Review, novembre 1980, pp. 40-46.

[9] Collet A., Histoire de la stratégie militaire depuis 1945, Paris, PUF, 1994, pp. 63-64.

[10] Voir par exemple : Holden G., The Warsaw Pact – Soviet Security and Bloc Politics, New York, The United Nations University / Basil Blackwell, 1989, pp. 73-85 ; Doerfel S., « De la nécessité de relever le défi sur le plan stratégique », Revue internationale de défense, n°3, 1984, pp. 251-255 (article initialement publié dans la Military Review en mai 1982, « The Operational Art of the AirLand Battlefield ») ; Donelly C.N., « Le groupe de manœuvre opérationnel soviétique – un nouveau défi lancé à l’OTAN », Revue internationale de défense, n°9, 1982, pp. 1177-1186.

[11] Luttwak E.N., « The Operational Level of War », International Security, hiver 1980-81, pp. 61-79 ; id., « The American Style of Warfare and the Military Balance », Survival, mars-avril 1979, pp. 57-60.

[12] Huntington S.P., « Conventional Deterrence and Conventional Retaliation in Europe », International Security, hiver 1983-1984, pp. 32-56.

[13] Mearsheimer J.J., « Maneuver, Mobile Defense, and the NATO Central Front », International Security, hiver 1981-82, pp. 104-122.

[14] Id., « Why the Soviets Can’t Win Quickly in Central Europe », International Security, été 1982, pp. 3-39.

[15] Betts R.K., « Conventional Strategy – New Critics, Old Choices », International Security, printemps 1983, p. 150 ; voir aussi l’échange de lettres entre R.K. Betts et E.N. Luttwak: Luttwak E.N., « Correspondance – Attritional, Relational Maneuver, and the Military Balance », International Security, automne 1983, pp. 176-179 ; Betts R.K., « Correspondance – Thesis, Antithesis, Synthesis? Reply to Luttwak », International Security, automne 1983, pp. 180-182.

[16] Notons au passage que nous n’avons trouvé aucune référence montrant un rapport entre Ronald Reagan et Clausewitz, mais lors d’une allocution à l’Académie militaire de West Point le 28 mai 1981, il mentionna Sun Zi. Cité par : Tashjean J.E., « The Classics of Military Thought: Appreciations and Agenda », Defense Analysis, septembre 1987, p. 247.

[17] Gurfinkiel M., « Une Amérique nationaliste », dans Carrère d’Encausse H. et de Rose Fr. (présenté par), Après la détente, Paris, Hachette, 1982, pp. 506-512 (article initialement paru dans Politique Internationale, Printemps 1981).

[18] Hoffmann S., La nouvelle guerre froide, Paris, Berger-Levrault, 1983, pp. 10-11.

[19] Sur la remilitarisation américaine, voir par exemple : Posen R. & Evera S. van, « Defense Policy and the Reagan Administration », International Security, été 1983, pp. 3-45 et Lefeber W., America, Russia and the Cold War (1945-1984), (fifth edition), New York, Knopf, 1985, pp. 284-315.

[20] Romjue J.L., « AirLand Battle: The Historical Background », art. cit., p. 53.

[21] Id., « The Evolution of AirLand Battle Concept », Air University Review, novembre-décembre 1985, p. 6.

[22] Romjue J.L., « AirLand Battle: The Historical Background », art cit., p. 54.

[23] Le général Starry sera remplacé par le général Glenn K. Otis lors du processus de rédaction du nouveau manuel. Id., « The Evolution of AirLand Battle Concept », art. cit., p. 12.

[24] Starry D.A., « Extending the Battlefield », Military Review, mars 1981, pp. 31-50.

[25] Romjue J.L., art. cit., p. 54.

[26] A cet égard, voir par exemple: Morelli D.R. & Ferguson M.M., « Le conflit de faible intensité – Une perspective opérationnelle », Revue internationale de défense, n°9, 1984, pp. 1219-1220. Les deux auteurs étaient membres du TRADOC lors de la rédaction de l’article. Voir aussi, Berry F.C., « La 9e division d’infanterie motorisée – le « cobaye » de l’U.S. Army », Revue Internationale de défense, n°4, 1984, pp. 1224-1229 ; Lopez R., « La future division légère de l’U.S. Army – un élément clé de la « Rapide Deployment Force » », Revue internationale de défense, n°2, 1982, pp. 185-192.

[27] Romjue J.L., From Active Defense to AirLand Battle: The Development of Army Doctrine 1973-1982, TRADOC Historical Monograph Series, juin 1984, p. 58 et p. 66.

[28] Nous nous sommes renseignés quant à savoir si le manuel HDv 100/100 VS-NfD, Truppenführung (TF) contenait des références explicites à Clausewitz et si « un canal d’influence » pouvait être décelé à partir de là. Le manuel ne contient aucune référence directe à Clausewitz, ni à aucun autre penseur classique. De la même manière, il n’inclut pas d’exemples historiques comme les éditions du FM 100-5 d’après 1976. Il semblerait que la seule notion directement héritée de Clausewitz que l’on puisse trouver dans le manuel est celle du centre de gravité – Schwerpunkt. Ces informations proviennent de l’édition de 1987 du HDv 100/100. Notons que ce manuel doit être révisé sous peu. Source : correspondance personnelle, Herr Engelmann, Bundesministerium der Verteidigung, 15 décembre 1998 ; Adjudant-Chef Ooghe, Attaché Belge à la Défense, Bonn, 18 décembre 1998. Dans un article de la Military Review, le lieutenant colonel Gertmannn Sude, de l’armée allemande, affirmait que conceptuellement le manuel FM 100-5, tout comme son homologue allemand le HDv 100/100, est fortement lié aux idées de Clausewitz. Sude G., « Clausewitz in US and German Doctrine », Military Review, juin 1986, p. 47. John L. Romjue met en évidence que malgré tout, le manuel HDv 100/100 n’était que d’application limitée pour les contingences mondiales des U.S.A. Romjue J.L., From Active Defense to AirLand Battle: The Development of Army Doctrine 1973-1982, op. cit., pp. 59.

[29] Ibid., p. 43.

[30] Id., « The Evolution of AirLand Battle Concept », art. cit., pp. 4-15.

[31] Holder L.D., « Doctrinal Development, 1975-1985 », Military Review, pp. 50-52.

[32] Holly J.W., « The Forgotten Dimension of AirLand Battle », Military Review, août 1985, pp. 18-25.

[33] Galloway A., « FM 100-5: Who Influenced Whom? », Military Review, mars 1986, pp. 46-51 ; Romjue J.L., « AirLand Battle: The Historical Background », art. cit., pp. 52-55 ; Newell C.R., « Exploring the Operational Perspective », Parameters, Autumn 1986, pp. 19-25.

[34] TRADOC Pamphlet 525-51, Military Operations – Force XXI Operations, Chapter 3, Land Operations, Department of the Army, HQ U.S. Army Training and Doctrine Command, Fort Monroe, VA 236551-5000, août 1st 1996.

[35] Franks F.M., « Full-Dimensional Operations: A Doctrine for an Era of Change », Military Review, décembre 1993, pp. 5-10.

[36] Toffler A., La 3ème Vague, (The Third Wave, traduit de l’américain par M. Deutsch), Paris, Denoël, 1980, 623 p.

[37] Id., Les nouveaux pouvoirs, (Powershift: Knowledge, Wealth and Violence at the Edge of the 21st Century – 1990, traduit de l’anglais – Etats-Unis – par Charpentier A., avec la collaboration de Meunier D., Chatelain E., Chicheportiche J., Diacon E.), Paris, Fayard, 1991, 859 p.

[38] Id. & H., Guerre et contre-guerre, (War and Anti-War – 1993, traduit de l’américain par P.-E. Dauzat), Paris, Fayard, 1994, 431p. ; Swain R.M., « War and Anti-War (book reviews) », Military Review, février 1994, p. 77.

[39] Headquarters, Department of the Army, FM 3-0, Operations, Washington D.C., 14 juin 2001.

[40] L’U.R.L. du document était : http://www-cgsc.army.mil/cdd/f465.htm.

[41] Fastabend D., « The Categorization of Conflict », Parameters, été 1997, pp. 75-87 ; Shultz R.H. Jr., « Low-intensity conflict – Future challenges and lessons from the Reagan years », Survival, juillet-août 1989, pp. 359-373.

[42] Voir par exemple : Clayton J.D., « American and Japanese Strategies in the Pacific War », dans Paret P.(dir.), Makers of Modern Strategy from Machiavelli to the Nuclear Age, Oxford, Clarendon Press, 1986, pp. 703-731 ; Matloff M., « The American Approach to War, 1919-1945 », dans Howard M. (dir.), The Theory and Practice of War, Londres, Cassel, 1965, pp. 215-243 ; Weigley R.F., The American Way of War – A History of United States Military Strategy and Policy, Indiana, 1977, Bloomington, 584 p.

[43] Collet A., Histoire de la stratégie militaire depuis 1945, op. cit., pp. 64-69.

[44] Voir à ce propos : Heigmann R., « Reconsidering the Evolution of the US Maritime Strategy 1955-1965 », The Journal of Strategic Studies, septembre 1991, pp. 299-336.

[45] Friedman N., « US Maritime Strategy », International Defense Review, vol. 18, n°7, 1985, pp. 1071-1075.

[46] Hattendorf J.B., « The Evolution of the Maritime Strategy: 1977 to 1987 », Naval War College Review, automne 1988, pp. 7-28 ; David Ch.-Ph., « Le culte de l’offensive », dans David Ch.-Ph. (et collaborateurs), Les études Stratégiques – approches et concepts, Montréal, Méridien / FEDN / Centre Québécois de Relations Internationales, 1989, pp. 269-338.

[47] Naval Doctrine Publication (NDP) 1, Naval Warfare, 28 mars 1994, (voir le site : http://www.nwdc.navy.mil/).

[48] Voir : Mowbray J.A., « Air Force Doctrine Problems 1926-Present », Airpower Journal, hiver 1995, pp. 21-41.

[49] Fabyanic T.A., « War, Doctrine, and A.F.M. 1-1 », Air University Review, hiver 1985, pp. 14-29.

[50] AFDD 1, Air Force Basic Doctrine, Air Force Doctrine Document, septembre 1997.

[51] Possehl W.A., « To Fly and Fight at the Operational Level », Airpower Journal, hiver 1988, pp. 20-28.

[52] Bassford Ch., « Doctrinal Complexity: Nonlinearity in Marine Corps Doctrine », dans Hoffman F.G. & Horne G. (dir.), Maneuver Warfare Science, United States Marine Corps Combat Development Command, 1998 (voir site : http://www.clausewitz.com/).

[53] Lamov N.A. (Soviet Army), « Scientific-Technical Progress and the Revolution in Military Affairs », Military Review, juillet 1974, pp. 33-39.

[54] Metz S. & Kievit J., Strategy and the Revolution in Military Affairs: from Theory to Policy, juin 1995, U.S.A.W.C., S.S.I. ; Report of the Quadrennial Defense Review, (William S. Cohen, Secretary of Defense), mai 1997

[55] Chilcoat R.A., Strategic Art: The New Discipline for 21st Century Leaders, octobre 1995, U.S.A.W.C., S.S.I.

[56] Kipp J.W., The Revolution in Military Affairs and its Interpreters: Implications for National and International Security Policy, Foreign Military Studies Office, Fort Leavenworth, août 1996.

[57] Sullivan B.R., « The Future Nature of Conflict: A Critique of « The American Revolution in Military Affairs » in the Era of Jointry », Defense Analysis, août 1998, pp. 91-100. Voir aussi : Johnsen W.T., « The Report of the National Defense Panel », dans Tilford E.H. Jr. (dir.), World View: The 1998 Strategic Assessment From the Strategic Studies Institue, février 26, 1998, p. 29 ; Tritten J.J. & Donaldo L., A Doctrine Reader – The Navies of United States, Great-Britain, France, Italy and Spain, The Newport Papers, 9th, Naval War College, Newport, décembre 1995, 151p. (Luigi Donaldo est un amiral en retraite de la marine italienne).

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Chapitre 7 – Des considérations plus opérationnelles

Section 1 – Clausewitz et les principes de la guerre

Nous en arrivons maintenant à une thématique plus particulière de l’utilisation de Clausewitz par le discours stratégique américain. Cette thématique est celle des « principes de la guerre ». En effet, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la fin de la guerre du Vietnam, le nom de Clausewitz est régulièrement associé aux principes. Cette association mérite un commentaire d’ordre général. Le fait de placer Clausewitz en regard des principes revient aisément à raccrocher le Prussien à la promotion de la bataille d’anéantissement. Cette idée trouve une racine commune dans la formation d’une sorte de paradigme de la guerre napoléonienne dont Clausewitz et Jomini se seraient faits les exégètes.

Aujourd’hui, les principes de la guerre sont plus volontiers attribués à Jomini. Un bref rappel historique peut être utile sur ce point.[1] Au milieu du XVIIIe siècle, les individus vivent une période d’émancipation par rapport à l’autorité politique et à l’Eglise. Cette période est faste en découverte. C’est durant cette époque que la méthode empirique se développe. Les empiristes observent la réalité et tentent d’en dégager des lois universelles. Ils définissent les lois comme des relations qui existent entre deux phénomènes naturels. De nombreux penseurs militaires vont tenter d’étudier l’art de la guerre selon cette méthode. Des éléments mathématiques et topographiques constitueront la base de cette réflexion. Parmi les principaux propagateurs de la méthode, il faut bien entendu citer Lloyd, Bülow, l’archiduc Charles, etc.

Cette école dite géométrique va s’opposer à celle des « romantiques ». Les « romantiques », comme Georg von Berenhorst, refusent la formalisation de Lloyd et proposent d’étudier l’art de la guerre selon des notions de génie, de moral, de chance, etc. Jomini et Clausewitz se sont tout deux rebellés par rapport aux idées des deux écoles, mais restent néanmoins liés à ces courants. L’approche de Jomini est nettement plus formaliste que celle de Clausewitz. Jomini définit un corpus de concepts : lignes stratégiques, points stratégiques, pivots des opérations, lignes de manœuvres, etc. Ce corpus rappelle malgré tout celui de Lloyd, de Bülow et de l’archiduc Charles. Clausewitz insiste davantage sur les phénomènes intangibles, tel le moral.[2] Le discours stratégique américain va attribuer une filiation directe entre l’approche géométrique de Lloyd et celle, par principes, de Jomini. Le Suisse n’aurait fait qu’expliciter plus clairement les conceptions de Lloyd.[3]

Mais en quoi consiste exactement les principes de la guerre ? Ils se présentent actuellement sous forme d’une liste de mots-clef dont le nombre est variable. Chacun de ces mots est censé donner des indications aux officiers sur la manière de conduire une opération. On peut établir une filiation entre les principes modernes et ce que les stratégistes plus anciens nommaient des « maximes ».

Au sein de l’U.S. Army, les principes existent officiellement depuis 1904. Néanmoins, ils étaient déjà enseignés en 1800 dans les académies militaires. En 1921, ils sont incorporés dans une sorte de discours qui les replace dans un contexte. Ils ne prennent la forme connue aujourd’hui qu’en 1949.[4] A titre illustratif, le tableau ci-dessous compare les principes repris par plusieurs armées. Dans ce tableau, la liste américaine date de 1968.[5]

U.S.A.

G.B. / Australie

France

U.R.S.S.

Israël

Chine

Objectif

Sélection et maintenance du but

Avance et consolidation

Objectif

Sélection et maintenance du but

Simplicité

Initiative et flexibilité

Unité de commandement

Coopération

Combinaison des armes

Coordination

Offensive

Action offensive

Offensive

Initiative et Offensive

Action offensive

Manœuvre

Flexibilité

Liberté d’action

Manœuvre et initiative

Continuation et Perpétuation

Liberté d’action et mobilité

Concentration

Concentration des forces

Concentration de l’effort

Concentration

Concentration de l’effort

Concentration des forces

Economie des forces

Economie de l’effort

Economie des forces

Profondeur et Réserve

Surprise

Surprise

Surprise

Surprise et tromperie / leurage (Deception)

Stratagème

Surprise

Sécurité

Sécurité

Réserves adéquates

Sécurité

Sécurité

Maintenance du moral

Moral

Moral

Moral

Administration

Administration

Anéantissement

Epuisement des forces ennemies (Exhaustion)

 

 

C’est en effet en 1968 que les principes sont repris dans le manuel FM 100-5 Operations of the Army Forces in the Field. On y retrouve les principes d’objectif, d’offensive, de concentration – mass -, d’économie des forces, de manœuvre, d’unité de commandement, de sécurité, de surprise et de simplicité.[6]

Plusieurs remarques s’imposent quant à la réception et l’évaluation des principes au sein des forces armées américaines. Tout d’abord, dans le discours stratégique américain de l’après-guerre, il faut constater que les réflexions sur les principes sont souvent « importées » ; les principes sont principalement évoqués dans des reproductions d’articles étrangers.[7] Parallèlement, le nom de Clausewitz se retrouve, durant cette période, le plus souvent dans des reproductions d’articles étrangers.[8]

Un autre constat s’impose. Les principes sont appliqués à tout ce qui touche à la chose militaire, de près ou de (parfois, très) loin. Ainsi la démocratie est présentée comme dixième principe car elle seule serait en mesure de perpétuer une paix durable.[9] Les principes sont également évoqués dans le cadre de la stratégie navale à partir de Mahan.[10] On les retrouve aussi pour les opérations de renseignements, à condition de leur donner une certaine flexibilité.[11] On en discute dans le domaine de la guerre psychologique, où ils seraient encore tout aussi valides.[12] Et bien entendu, ils sont applicables à tous les niveaux de la guerre et même à la Grand Strategy / National Security Strategy. Par conséquent, on juge les principes valables en temps de paix comme en temps de guerre. Cela convient particulièrement à la situation bâtarde de la guerre froide.[13] De plus, après légère adaptation, on les adoptera aussi bien au champ de bataille nucléaire que pour des opérations de faible intensité.[14]

Ensuite, certains articles donnent un poids particulier à l’un ou l’autre des principes. Parfois, les principes ainsi discutés ne sont pas officiellement reconnus. Les auteurs construisent alors leur raisonnement autour du principe en question. Les autres principes, « découlant assez logiquement » du premier, s’articulent de manière subsidiaire. Le principe de destruction des forces ennemies, et non de possession de terrain, est parfois mis en exergue. Ce principe peut être nuancé ; c’est la volonté de l’ennemi qu’il faut vaincre plutôt que d’envisager la destruction physique brutale. Ailleurs les mécanismes de décision adverse représentent le principe d’objectif. Ou encore, on souligne le rôle de l’économie des moyens, de la confiance personnelle, de la concentration. Bref, l’ensemble de ces facteurs militaires sont ramenés à un mot-clef présenté sous forme de principe.[15] Ainsi, à titre d’exemple, on prendra un article qui mettait en évidence le poids prépondérant de l’initiative.[16] Dans ce texte, l’initiative est donnée comme le prérequis de l’offensive, de la surprise et de la manœuvre. Pour l’auteur, la manœuvre est essentielle à une époque où le champ de bataille peut rapidement devenir nucléaire. En effet, le manque de flexibilité et de souplesse peut causer des dégâts substantiels aux unités qui ne sont pas en mesure de se déplacer et de se disperser.

De la remarque précédente découle une constatation supplémentaire : le discours stratégique américain considère que les principes de la guerre sont modifiables. D’une part, les principes sont considérés comme une forme de sagesse stratégique héritée de longue date. D’autre part, on admet qu’ils ne sont pas des dogmes. Ils constitueraient plutôt une espèce de guide flexible d’action. Ils sont flexibles car les principes évolueront en fonction de la technique – facteur souvent mentionné à ce propos. L’avènement de l’arme nucléaire a ainsi remis en question l’objectif de destruction des forces ennemies, soit l’anéantissement, chez plusieurs commentateurs des principes.[17]

Ensuite, il faut se demander quelles sont les sources des principes. On a déjà noté précédemment que les principes de la guerre étaient avant tout liés à l’approche jominienne. En effet, de nombreux auteurs raccrochent les principes soit à Jomini, soit à Mahan. L’influence de Jomini chez Mahan est par ailleurs bien connue.[18] Toutefois, plusieurs autres auteurs classiques de la stratégie sont mentionnés. Le nom de Machiavel revient régulièrement quant le commandement est évoqué.[19] Sun Zi n’est pas non plus dédaigné. Il sert aussi à mettre en évidence un style de guerre indirect, moins « sanglant » que celui de Clausewitz.[20] Clausewitz, lui-même, est régulièrement cité. Il est courant de voir son nom assimilé non seulement à l’approche jominienne, mais également au maréchal Foch.[21]

En fait, un des articles probablement le plus intéressant publié à propos des principes de la guerre a paru dans la Military Review en 1961. Cet article était signé par l’historien anglais John Keegan. Pour lui, Clausewitz développait bien un embryon de principes de la guerre dans On War. Mais quoi qu’il en soit, John Keegan s’avère très critique envers les principes. Il pense que leur validité est sans cesse remise en cause car leur signification est obscure, qu’ils se contredisent et qu’ils changent de signification en fonction du contexte et de l’attitude que l’on nourrit à leur égard. Après tout, pour Keegan, la guerre n’est que ce que l’on en fait.[22] Il est vrai qu’il est aisé de montrer les contradictions possibles entre principes. Dans un article publié en 1964 dans la Military Review, un auteur note qu’un commandant doit faire preuve d’initiative. En plus de cela, le commandant doit aussi se montrer prudent, mais pas indécis.[23] Ces conseils peuvent paraître élémentaires, mais s’ils sont poussés à leur extrême, ils en viendront à se confronter. Prendre l’initiative va souvent de paire avec les notions d’offensive voire d’agressivité. En temps de guerre, cela peut rapidement confiner au manque de prudence. En d’autres termes, les principes ne constituent pas un étalon suffisamment précis pour donner le sens de la mesure. Plus récemment, Peter Paret écrira que les principes ont le désavantage de souvent se contredire entre eux et de difficilement s’appliquer à des situations contingentes. Les principes subissent donc très régulièrement des modifications, parfois très surprenantes.[24]

On ajoutera encore que les principes ne sont pas intrinsèquement dynamiques. La plupart des articles consultés partent d’une liste de principes, ou éventuellement d’un seul principe, et place cette liste ou ce principe dans un contexte. Sans ce contexte, la liste s’avère d’assez peu de valeur. C’est par le travail de contextualisation qu’ils prennent leur pleine signification. Pour ce faire, les auteurs se servent des principes pour analyser les actions sur un champ de bataille. Ils peuvent également éclairer leur fonction en établissant des liens entres eux.

Paradoxalement, et cela a déjà été déjà brièvement mentionné, le nom de Clausewitz revient souvent dans les discussions sur les principes. Quoi de plus étrange que de voir le nom de Clausewitz à côté d’une conception quasi positive de la guerre – telle que les principes l’affichent. Clausewitz et son Traité sont avant tout connus pour une approche non-dogmatique. Le Traité reste un ouvrage très touffu, où chaque partie renvoie à une autre partie, où la cohérence interne est très forte. En résumé, le livre donne l’opportunité de pratiquer une analyse dynamique des conflits (ce point paraîtra encore plus flagrant dans notre discussion sur l’impact des théories de la complexité, voir infra). Comment, dans ce cas, expliquer l’association de Clausewitz avec les principes ?

Indéniablement, le nom de Clausewitz, lorsqu’il est cité dans le cadre des principes de la guerre renvoie à son mémorandum à l’usage du Prince de Prusse.[25] Ce texte était généralement adjoint, sous forme d’annexe, aux éditions allemandes de Vom Kriege.[26] Ainsi, vu que On War est inachevé, nombre de lecteurs ont pensé qu’il valait mieux se référer aux Principles.[27]

Parfois, l’opinion est plus réservée à ce sujet. Ainsi, pour le lieutenant colonel Campbell du Corps des Marines il est faux d’assimiler Clausewitz aux principes de la guerre. Mais quoi qu’il en soi, pour lui, Clausewitz ne se serait pas opposé à la liste en vigueur dans les forces armées américaines.[28] Il est vrai que les principes ne sont, à cette époque, pas reconnus officiellement par l’U.S. Navy.[29] Ils sont par contre utilisés par les avocats de l’Airpower.[30]

Section 2 – La stratégie – art ou science ?

La question de savoir si la stratégie est un art ou une science est une question connexe. En effet, les principes sont un premier pas vers une approche plus scientifique ou plus positive de la guerre. On admettra toutefois qu’ils sont plus souvent évoqués en regard de l’art de la guerre que d’une science pure et dure. Toutefois, la démarche jominienne, qui cherche à découvrir des lois qui sous-tendraient le chaos ambiant de la guerre, ouvre la voie à une attitude rationalisante à l’extrême. Jomini place au second plan les facteurs inhérents à l’humain et ne reconnaît pas véritablement les limitations théoriques possibles. On peut trouver un point commun entre cette vision et celle qui vise à développer une science de la guerre, composée de lois et permettant de prédire l’action.

Cette tendance s’exprime particulièrement dans le discours stratégique américain au travers de son pragmatisme très marqué.[31] Ce pragmatisme met en avant un comportement en faveur de l’utilisation directe de toute forme de réflexion. Dans ce contexte, les nombres, chiffres et calculs rendent les résultats plus concrets, mais aussi plus proches d’un modèle dit de « science dure ». Bien que Clausewitz paraisse irréductible à une telle approche – dans un sens étroit – certains textes combinent Clausewitz avec le postulat scientifique. Par exemple, dans un article de la Military Review daté de 1948, on évoque Clausewitz en ce qui concerne la nécessité d’une réflexion saine sur la conduite de la guerre. Parallèlement, l’auteur exige une activité militaire basée sur des prémisses « scientifiques ».[32] Les tenants de l’approche « scientifique » de la guerre font aussi appel aux mathématiques. Neumann et Morgenstern sont, par exemple, cités. Leurs travaux permettraient d’élargir le spectre de la stratégie à toutes interactions entre deux personnes ou plus.[33] Notons aussi, symboliquement, que les écrits du général Beaufre sont appréciés pour les formulations de type algébrique.[34]

Bernard Brodie participa aussi à ce débat. Dans un premier temps, il écrit un article insistant sur la nécessité de développer une science de la stratégie. Cette science ne pourrait être basée sur les principes de la guerre car ceux-ci sont perpétuellement remis en cause, entre autres par les évolutions technologiques. Ici, il prend nettement position à l’encontre d’une frange du discours stratégique qui lit bien dans les principes un apport scientifique à part entière.[35] Ensuite, il constate que s’il existe bien des embryons de théorisation dans la pensée classique – il cite Mahan, Jomini, Clausewitz, Corbett -, elle s’adresse surtout à l’exécution de la bataille et pas assez aux facteurs en amont de la guerre, principalement la mobilisation des ressources. L’auteur pense que les outils économiques, comme l’utilité marginale, peuvent aider à comprendre cet élément du conflit. Ecrit pendant la guerre froide, dans une période de rivalités inter-services, l’auteur vise surtout une bonne gestion des ressources dont disposent les Etats-Unis.[36] Ultérieurement, Brodie semblera se montrer de plus en plus sceptique quant à l’apport économico-managérial dans les problèmes de défense.[37] En fait, le point de vue général de Brodie quant à l’apport respectif des différents outils théoriques utilisés par le stratégiste est très bien explicité dans La guerre nucléaire – Quatorze essais sur la nouvelle stratégie américaine (1965), ouvrage à destination d’un public français, jamais publié aux Etats-Unis sous cette forme (le livre est une compilation d’articles traduits). Ici, l’auteur reprend la réflexion développée dans Strategy as a Science et la replace dans un contexte plus large, écrivant un essai d’épistémologie stratégique. Brodie montre qu’il désire appréhender la stratégie en tant que discipline scientifique dans un sens large et pas étroitement lié aux « sciences dures ». Pour l’auteur britannique Ken Booth, Brodie perdra l’aspiration de faire de la stratégie une science après la rédaction de ce texte.[38] L’essai de Brodie s’avère pourtant symptomatique. Il y constate que ses collègues utilisent diverses approches pour traiter du sujet ; économique, mathématique, physique, etc. Par contre l’histoire est peu pratiquée – il constitue lui-même une certaine exception à cet égard. Quoi qu’il en soit, pour lui : […] dans les analyses qui ont pour but de fixer une politique il importe beaucoup plus de tenir soigneusement compte des nombreux facteurs et circonstances qui pourraient affecter ou transformer notre problème que de pousser à un haut degré de complexité mathématique et économique les méthodes analytiques appliquées pour lui trouver une solution qui soit valable en toutes hypothèses.[39] Et l’auteur d’évoquer ensuite le rôle du « bon sens ».

Dans le même essai, Brodie pense que théoriser la stratégie nécessite d’abord des prérequis théoriques et de rompre autant que possible avec les jugements de valeur. Une étape supplémentaire consiste à reconnaître les limitations inhérentes à la nature des choses, et la personnalité du chercheur. Les objets sont en effet complexes et l’expérience a des bornes. La « quantité » de savoir et d’intelligence de l’analyste n’est pas non plus infinie. Le rôle du chercheur consiste donc à remettre un peu d’ordre dans le chaos de la réalité. Brodie prêche, et fait preuve, d’une grande modestie intellectuelle.

En fait, dans sa biographie de Bernard Brodie, Barry H. Steiner a bien montré comment le chercheur a d’abord été fortement tenté par des approches assez scientifiques et économiques des études stratégiques à la fin des années quarante. Mais la toute puissance de ces approches au sein de la RAND Corporation finit par le mettre mal à l’aise. Brodie pensait qu’il était difficile d’aborder l’évolution des moyens nucléaires par les mêmes outils théoriques. Par conséquent, il s’intéressa de plus en plus largement à l’histoire militaire, à l’apport de Clausewitz mais aussi à la psychologie.[40]

Section 3 – Quelle place pour l’histoire militaire ?

Clausewitz a légué un certain nombre de préceptes méthodologiques quant à l’utilisation de l’histoire militaire. Dans le discours stratégique américain, on trouvera aussi des constatations sur l’utilisation de l’histoire. Toutefois, toutes ces constatations ne s’accordent pas toujours en droite ligne avec les prérequis de Clausewitz. Souvent, le modèle empiriste lié à l’approche des principes de la guerre prévaut.

En associant Clausewitz aux principes de la guerre, P.M. Robinett met l’emphase sur la méthode clausewitzienne de l’étude historique : retracer les effets jusqu’à leurs causes et se servir de l’histoire pour tester des propositions, de manière à en tirer des leçons.[41] Le même auteur propose de retourner aux auteurs classiques en vue d’étudier l’histoire militaire. Ici, Clausewitz est cité aux côtés de Mahan, Douhet, Fuller, Jomini, Sun Zi mais aussi de ceux qui ont écrit sur les conditions d’émergence de la guerre, soit Vattel, Machiavel, Grotius, etc. [42]

La méthode de Clausewitz est aussi utilisée avec une certaine subtilité dans un guide sur l’étude de l’histoire militaire. La méthode consiste à : (1) pratiquer une enquête historique, (2) retracer les effets à leurs causes, (3) critiquer les opérations passées, soit tester des propositions en évaluant la relation entre moyens et fins, et se servir de l’histoire comme outil pédagogique, principalement par des exemples. Dans ce cas, il n’est pas indiqué de terminer l’opération en faisant ressortir des principes, l’histoire étant trop contingente pour cela. Dans ce manuel, Clausewitz est aussi mis à contribution quant à la notion d’esprit de corps. Ici l’histoire s’avère instrumentalisée, sous les apparences de « formation identitaire », en vue de créer la cohésion des unités.[43] Notons aussi que le bilan des études stratégiques académiques va être critiqué sur base de l’absence d’importance qu’elles conférèrent à l’histoire jusque dans les années 70. Clausewitz sert de faire-valoir à cette opinion.[44]

[1] Sur l’histoire des principes, voir : Alger J.I., The Quest for Victory – The History of the Principles of War, (foreword by Gen. F.J. Kroesen), Wesport and Londres, Greenwood, 1982, 318 p.

[2] Howard M., « Jomini and the Classical Tradition in Military Thought », dans Howard M. (dir.), The Theory and Practice of War, op. cit., pp. 5-20.

[3] Elting J.R., « Jomini: Disciple of Napoleon? », Military Affairs, printemps 1964, p. 25.

[4] L’armée britannique a fait de même. J.F.C. Fuller établit une liste de huit principes, sur base de la correspondance de Napoléon. Ils sont ensuite élevés à onze, puis revu à la baisse à neuf. Ils sont adoptés en 1923. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils sont de nouveau onze. Murry W.V., « Clausewitz and Limited Nuclear War », Military Review, avril 1975, pp. 17 ; Campbell J.W., « Evolution of a Doctrine: The Principles of War », Marine Corps Gazette, décembre 1970, pp. 39-42. La discussion sur les principes de la guerre par J.F.C. Fuller se retrouve dans : Fuller J.F.C., The Foundations of the Science of War, Londres, Hutchinson & Co., s.d. (1926), 335 p. et dans un article publié anonymement, « The Principles of War With References to the Campaigns of 1914-15 » dans le Journal of the Royal United Institute Service en 1916.

[5] Sur base de Murry W.V., art. cit., pp. 15-28 ; pour la liste chinoise (cette liste semble être une adaptation assez libre) : Starry D.A., « The Principles of War », Military Review, septembre 1981, pp. 2-12 ; pour la liste israélienne : Lanir Z., « The ‘Principles of War’ and Military Thinking », The Journal of Strategic Studies, mars 1993, p. 3. Une autre liste est proposée pour les principes français : concentration des efforts, économie des forces et liberté de manœuvre, à partir de réflexions sur les travaux de Foch. Voir Mathey J.M., Comprendre la stratégie, Paris, Economica, 1995, pp. 22-23.

[6] U.S. Department of the Army, FM 100-5, Operations of the Army Forces in the Field, Washington D.C., septembre 1968, Chapter 5, Section 1, 5-3 ; 5-11.

[7] Voir par exemple : Canadian Chiefs of Staff Committee, « The Principles of War », Military Review, octobre 1948, pp. 88-89 (initialement publié dans la Canadian Army Journal, décembre 1947) ; Anon., « Principles of Modern Warfare », Military Review, novembre 1948, pp. 101-104 (initialement publié dans le Royal Air Force Quarterly, janvier 1948) ; Watson S.G., « The Principles of War as Applied by England, the United States, and Russia », Military Review, avril 1951, pp. 86-89 (adapté d’un article initialement publié dans The Army Quarterly, avril 1950) ; et un article confrontant deux officiers, l’un britannique, l’autre indien : Wright M.J.W. (British Army) & Nazareth (Indian Army), « Two Views on the Principles of War », Military Review, février 1961, pp. 26-36.

[8] Postel C., « Occupation and Resistance », Military Review, décembre 1948, pp. 98-101 (initialement publié dans Forces Aériennes Françaises, avril 1948) ; Chassin L.M., « The General Characteristics », Military Review, pp. 92-96 (initialement publié dans Informations Militaires, 10-25 mai 1948) ; Pereiro da Conceiçao A. (Brazil), « Strategy Was Never a Purely Military Science », Military Review, avril 1951, pp. 96-100 (initialement publié dans Revista Militar, février-mars 1952) ; Kveder D. (Yugoslav Army), « Territorial War – The New Concept of Resistance », Military Review, juillet 1954, pp. 46-58.

[9] Reinhardt G.C., « The Tenth Principle of War », art. cit., pp. 22-26.

[10] Carney R.B., « Principles of Sea Power », Military Review, février 1956, pp. 3-17.

[11] Platt W., « The Nine Principles of Intelligence », Military Review, Februray 1957, pp. 33-36.

[12] Connolly R.D., « The Principles of War and Psywar », Military Review, mars 1957, pp. 37-46.

[13] Eliot G.F., « Principles of War – Hot or Cold », Military Review, décembre 1956, pp. 3-9.

[14] Lathrop A.B., « Principles of War in the Nuclear Age », Military Review, juin 1959, pp. 21-27 ; Wallace J.A., « The Principles of War in Counterinsurgency », Military Review, décembre 1966, pp. 72-82.

[15] Edmond E.V.B., « The First Principle of War », Military Review, février 1961, pp. 12-15 ; Thacher C.W., « Destruction – A Factor in War », Military Review, mars 1953, pp. 33-41 ; Harris W.J., « Decision », Military Review, avril 1956, pp. 33-42 ; Robinett P.M., « Economy of Means », Military Review, février 1954, pp. 3-8 ; Hunt I.A. Jr., « Confidence – The Surest Pledge of Victory », Military Review, mai 1957, pp. 50-53 ; Battreall R.R. Jr., « Mass a Principle of War », Armor, janvier-février 1954, pp. 22-25.

[16] Devins J.H., « … the Initiative », Military Review, novembre 1961, pp. 79-85.

[17] Connolly R.L., « The Principles of War », Military Review, mai 1953, pp. 22-32 (initialement publié dans United States Naval Institute Proceedings, janvier 1953) ; Falwell M.L., « The Principles of War and the Solution of Military Problems », Military Review, mai 1955, pp. 48-62 ; Huston J.A., « Re-examine the Principles of War », Military Review, février 1956, pp. 30-36 ; Beaumont R.A., « The Principles of War Revisited », Military Review, décembre 1972, pp. 63-69

[18] Voir à propos de la relation Mahan-Jomini : Colson Br., « Jomini, Mahan et les origines de la stratégie maritime américaine », dans Coutau-Bégarie H. (éd.), L’évolution de la pensée navale, Paris, FEDN, 1990, pp. 135-151 et id.., La culture stratégique américaine, op. cit., pp. 189-201. Voir aussi : Ageton A.A., « Are the Lessons of History no Longer Valid? », Military Review, février 1953, pp. 40-50.

[19] Greaves F.L., « Machiavellian Views on Leadership », Military Review, janvier 1976, pp. 26-33 ; Hunt I.A. Jr., art. cit., pp. 50-53.

[20] Harris W.J., « Decision », Military Review, avril 1956, pp. 33-42 ; Thacher C.W., art. cit., pp. 33-41 ; Connolly R.L., art. cit., pp. 22-32 (initialement publié dans United States Naval Institute Proceedings, janvier 1953).

[21] Lippman G.J., « Jomini and the Principles of War », Military Review, février 1959, pp. 45-51 ; Skelly F.H., « The Principles of War », Military Review, août 1949, pp. 15-20 ; Falwell M.L., art. cit., pp. 48-62.

[22] Keegan J.D., « On the Principles of War », Military Review, décembre 1961, pp. 61-72.

[23] Paolini M.G., « The Fourth Rule », Military Review, juillet 1964, pp. 37-52.

[24] Paret P., « Napoleon and the Revolution in War », dans Paret P., Makers of Modern Strategy, op. cit., p. 141.

[25] Clausewitz C. von, Principles of War, op. cit. Rappelons que les Principles avait été écrits par Clausewitz avant que celui-ci quitte la Prusse pour s’engager au service du Tsar en 1812. Les principes avait été rédigés dans le but de former le prince Frédéric Guillaume, qui deviendra le roi Frédéric Guillaume IV (1840-1858). Plusieurs critiques considérèrent que les Principles constituaient le fondement, voire le résumé, de On War. Cette opinion est inexacte, bien que l’on y retrouve quelques concepts que Clausewitz réutilisera dans On War. Clausewitz insiste par ailleurs sur l’insuffisance du document qui ne devrait que servir à stimuler et servir de guide à la réflexion du prince. Voir le commentaire de Christopher Bassford à l’édition électronique des Principles sur le site www.clausewitz.com/.

[26] Paret P., « Clausewitz – A Bibliographical Survey », art. cit., p. 275.

[27] Magathan W.C., art. cit., pp. 3-12.

[28] Campbell J.W., « Evolution of a Doctrine : The Principles of War », art. cit., p. 41-42. L’auteur note que la liste des principes est reconnue dans le Corps des Marines par le document FMFM 6-3 sur le bataillon d’infanterie.

[29] Connolly R.L., art. cit., pp. 22-32.

[30] Smith D.O. (with Barker J.DeF.), « Air Power Indivisible », art. cit., pp. 5-18.

[31] A propos du pragmatisme, voir Pickett G.B., « The Impact of Philosophy on National Strategy », Military Review, septembre 1957, pp. 59-61.

[32] Rogens H.H., « Scientific Intelligence in Modern Warfare », Military Review, juin 1948, pp. 27-31.

[33] Maxwell A.R., « This Word Strategy », Air University Review, vol. VII, n°1, 1954, pp. 66-74.

[34] Kreeks R.G., art. cit., pp. 34-40. Beaufre écrit que la formule générale de la stratégie est S= kF t : k est un facteur spécifique du cas particulier, F représente les forces matérielles, les forces morales et t le temps. Beaufre A., Introduction à la stratégie, Paris, Armand Colin, 1963, p. 117.

[35] Voir : Brodie B., Strategy in the Missile Age, op. cit., p. 24 ; voir aussi du même auteur « Some Notes on the Evolution of Air Doctrine », World Politics, avril 1955, p. 349-370 ; sur l’opinion selon laquelle les principes s’apparentent à une approche scientifique de la guerre, voir par exemple : Kendall M.W., « Tactics: The Art and the Science », Infantry, juillet-août 1965, pp. 13-20 ; id., « Tactics the Science », Infantry, septembre-octobre 1965, pp. 11-20.

[36] Brodie B., « Strategy as a Science », World Politics, vol. I, n°4, pp. 465-488.

[37] Id., « The McNamara Phenomenon », World Politics, juillet 1964, pp. 672-686. Voir aussi, avec référence à Clausewitz: Miewald R.D., « On Clausewitz and the Application of Force », Air University Review, juillet-août 1968, pp. 71-78.

[38] Booth K., « Bernard Brodie », dans Baylis J. & Garnett J., op. cit., p. 23. Notons que l’article de Booth dresse de nombreux parallèles entre Clausewitz et l’Américain.

[39] Brodie B., « Les stratèges scientifiques américains », dans La guerre nucléaire – op. cit. (citation p. 31). Dans cet ouvrage, l’auteur critique encore Jomini : Il n’y avait pas eu de véritable grand auteur de stratégie depuis la mort en 1831 de Karl von Clausewitz, le plus grand de tous, et celle du mercenaire suisse, Antoine-Henri Jomini, auteur de moindre envergure mais d’une grande influence […]. (p. 11). Par ailleurs, il nous paraît quelque peu étrange que Brodie pense que Foch ne laissa pas intervenir de raisonnements mathématiques sur la puissance de feu (p. 12). On retrouve bel et bien des considérations mathématiques chez l’officier français – même si leur valeur est très discutable (voir par exemple la fameuse discussion sur la puissance de l’offensive en rapport avec l’augmentation de la puissance de feu : Foch F., Des principes de la guerre, Conférences faites en 1900 à l’école de guerre – Sixième édition, Nancy-Paris-Strasbourg, Berger-Levrault, 1919, p. 31. Le point de vue de Foch fut toutefois qualifié « d’abracadabra mathématique » par J.F.C. Fuller dans The Conduct of War – 1789-1961, Londres, Eyre-Methuen, 1972 (1961), p. 123). Notons aussi que Brodie fait preuve de considération à l’égard de la théorie des jeux qui permet de représenter le comportement de l’ennemi, vision non unilatérale de la stratégie, tout le contraire des principes de la guerre (p. 31).

[40] Steiner B.H., Bernard Brodie and the Foundations of American Nuclear Strategy, op. cit., pp. 195-225.

[41] Robinett P.M., « Advantages to Be Derived from the Study of American Military History », Military Review, juin 1951, pp. 28-31 ; id., « Observations on Military History », Military Review, décembre 1956, pp. 34-40.

[42] Id., « The Study of American Military History », Military Review, avril 1956, pp. 43-49.

[43] Department of the Army Pamphlet n°20-200, The Writing of American Military History – A Guide, juin 1956, Washington D.C., pp. 56-57 et pp. 2-4.

[44] Coles H.L., « Strategic Studies Since 1945: the Era of Overthinking », Military Review, avril 1973, pp. 3-16.

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Chapitre 6 – On War comme grille de lecture des stratégies adverses

Il est notoire qu’il existe de nombreuses connections entre Clausewitz et la lecture marxiste de la guerre. A titre d’exemple, Marx et Engels citèrent l’officier prussien dans leurs correspondances. On sait également que Lénine a lu Clausewitz et que ce dernier a influencé sa manière de théoriser la guerre.[1] Or, au sein du discours stratégique américain, il existe un nombre important de références à l’apport de Clausewitz dans la stratégie, et la politique étrangère, soviétique. On peut penser que Clausewitz a été utilisé comme grille de lecture de la stratégie soviétique. A partir de ce point, le nom de Clausewitz a pu servir soit de repoussoir, soit par ricochet de modèle pour les stratégistes américains. De cette façon on a vu que Kissinger et Osgood – et de façon plus lapidaire H. Kahn – appréhendent bien la relation de Clausewitz avec sa filiation marxiste et conseillent aux Etats-Unis d’en prendre exemple.

Parmi les références à Clausewitz, les premières sont de nature plutôt historique. C’est le cas d’un texte de Norman Gibbs, un auteur britannique. Pour lui, dans un premier temps, la généalogie stratégique russe doit être considérée comme partie intégrale de celle de l’Occident avant la Première Guerre mondiale. Ensuite, il constate que la pensée de Staline s’articule autour d’idées classiques à la plupart des théoriciens occidentaux. Les facteurs essentiels évoqués par ce dernier sont : le nombre des divisions, la qualité du commandement et le soutien de l’arrière. Norman Gibbs pense que l’ensemble de ces préceptes s’accordent en droite ligne avec la « doctrine clausewitzienne » acceptée de manière globale à l’Ouest. Si l’Union soviétique marque une rupture avec les nations occidentales dans ses attentes de la Seconde Guerre mondiale, ce pays combattit néanmoins sur des principes assez similaires à ceux des alliés occidentaux. La différence entre la pensée occidentale et communiste serait nettement plus apparente au niveau politique. Il en serait ainsi lorsque Lénine évoque la Formule pour les nations occidentales ; il implique la continuation des politiques (capitalistes) prédatrices par d’autres moyens. Norman Gibbs mentionne aussi la manipulation de la Formule au sein de l’Union soviétique car en l’adaptant à la situation de guerre froide, ou plus largement à la compétition Est-Ouest qui existe depuis la Révolution de 1917, les chefs politiques soviétiques sont parvenus à militariser l’Etat dans une théorie totalitaire de la société.[2]

Raymond L. Garthoff lie aussi Clausewitz à la pensée marxiste en matière de politique étrangère et de stratégie. Il différencie les deux canaux d’influence ; celui qui passe par la doctrine marxiste et celui qui passe par les lectures des officiers de l’armée. Il précise, comme Norman Gibbs, que l’influence de Clausewitz, quoique difficilement quantifiable, était déjà présente à l’époque du Tsar (notons que Raymond L. Garthoff assimile aussi Clausewitz à l’approche des principes de la guerre et le met en relation avec Jomini).[3]

Mais, au total, à partir du moment où la filiation devient évidente, il est possible de noircir la stratégie soviétique – par son caractère « machiavélique », dans le sens vulgaire du mot – à partir de, ou plus largement, par référence à, Clausewitz.

Les commentateurs américains s’avèrent aussi intéressés par la dimension sociale de la guerre que les Soviétiques déduisent de Clausewitz. Ainsi, pour les Américains, les communistes apprécieraient de mettre en évidence la relation qui unit la guerre et la politique pour l’élargir ensuite à l’idée de Leopold von Ranke sur le rapport entre l’Etat de la société et les méthodes de combat. A côté de cela, les noms de marxistes prestigieux sont cités en tant que disciple du Prussien : Frounzé, Toukhatchevsky, Shaposhnikov, Staline, Lénine, etc.[4]

Avec une tonalité nettement plus négative, un auteur note par contre qu’il existerait une opposition fondamentale entre Clausewitz et Lénine en ce qui concerne le phénomène guerre. Lénine aurait conçu la guerre comme un phénomène bestial alors que Clausewitz l’incorpore dans la vision d’une société civilisée.[5] Le fait de dissocier les deux hommes rend le Prussien plus acceptable et donne une vision corrompue de sa filiation marxiste. Mais la critique américaine, par une lecture anti-uptonienne, va aussi se demander si les conceptions soviétiques (voire européennes) de la guerre conçue comme continuation de la politique ne sont de nature à laisser la conduite de la guerre aux militaires, et d’en dissoudre l’objectif politique.[6] L’idée selon laquelle seuls les Etats autoritaires sont en mesure de pratiquer la guerre limitée revient également. Pour les Américains, Clausewitz propose un schéma rationnel de la guerre, qui donne la possibilité de limiter la conflictualité. Mais cette conception est elle applicable dans un Etat démocratique qui ne peut faire taire les passions de son opinion publique ? La démocratie serait-elle juste capable de pratiquer la guerre totale.[7]

A notre avis, l’opinion la plus intéressante à l’égard de Clausewitz et la stratégie soviétique provient peut-être de Thomas W. Wolfe, un membre de la RAND Corporation. Pour lui, la pensée stratégique soviétique n’est pas uniforme par rapport à la théorisation de Lénine et l’idée de la guerre comme moyen du politique. De manière parallèle à certains occidentaux, plusieurs critiques soviétiques réfutent cette idée dont la validité semble mise à mal par l’avènement de l’arme nucléaire. Pour Wolfe, les militaires tendraient à accepter la Formule alors que les commentateurs politiques la remettraient en cause.[8]

En fait, on retrouvera nettement plus le nom de Clausewitz, accolé à la pensée militaire soviétique dans les considérations politico-stratégiques que dans les discussions opérationnelles et tactiques.[9] Il est vrai que si Lénine avait bien saisi l’importance de la défense, le rôle du chef, le poids de facteurs moraux, il n’attachait par contre que peu d’intérêt à l’aspect opérationnel de Clausewitz.[10] Le nom de Clausewitz semble agir comme un symbole puissant, et négatif, à l’égard de l’attitude politique du Kremlin, mais il est pris nettement moins au sérieux quant au déroulement potentiel des opérations militaires communistes. Plus encore, à l’époque, les comparaisons les plus prééminentes entre Clausewitz et la stratégie communiste proviennent de politologues, ou en général des analystes civils, et en moindre mesure des militaires.

Enfin, les évocations américaines du rôle de Clausewitz dans la pensée stratégique soviétique trouvent visiblement leur pendant dans le discours communiste. Dans des textes soviétiques, traduits en américain, la filiation entre l’officier prussien et la nature de la guerre dans la doctrine marxiste-léniniste est bien remise en évidence mais au-delà de cela, il est « amusant » de constater que ces textes se servent aussi de Clausewitz pour noircir les intentions des Etats capitalistes. En Occident, Clausewitz n’est pas connecté à la structure léniniste de la guerre – non-reconnaissance de la nature de la lutte des classes au niveau international – ce qui le rendrait moralement douteux dans ce contexte.[11]

[1] Les annotations de Lénine dans Vom Kriege ont été publiées par : Friedl B., Les fondements théoriques de la guerre et de la paix en U.R.S.S., suivi du Cahier de Lénine sur Clausewitz, Paris, Editions Médicis, 1945, 203 p.

[2] Gibbs N., « War, Part A.: The Western Theory of War », et « War, Part B.: The Communist Theory of War », dans Kenig C.D. (dir.), Marxism, Communism and Western Society, New York, Herder & Herder, 1972-1973, vol. 8, pp. 299-307 et pp. 307-328. On retrouve la trace du rejet de Clausewitz, Moltke, Ludendorff, Schlieffen et Keitel par Staline dans une lettre, datant de 1946, à Razin, un historien militaire. La lettre a été publiée en février 1947 dans la revue Bolshevik. Dexter B., « Clausewitz and the Soviet Strategy », Foreign Affairs, octobre 1950, pp. 41-55 ; Kober P.M., « Clausewitz and the Communist Party Line – A Pronoucement by Stalin », (et « Colonel Razin’s Letter », « Stalin’s Reply « ), Military Affairs, été 1949, pp. 75-78 ; Atkinson J.D., « The Impact of Soviet Theory on Warfare as a Continuation of Politics », Military Affairs, printemps 1960, pp. 1-6. Sur Clausewitz et la stratégie soviétique voir aussi l’excellent article de Werner Hahlweg publié dans une revue britannique. Hahlweg W., « Clausewitz, Lenin and Communist Military Attitudes Today », Journal of the R.U.S.I., mai 1960, pp. 221-225. Hahlweg présente Trotsky, Staline, Lénine, Frounzé, Joukov et Shaposhnikov en « disciples » de Clausewitz.

[3] Garthoff R.L., La doctrine militaire soviétique, (Soviet Military Doctrine, 1952 – traduit de l’américain par Levi M.), Paris, Plon, 1956, pp. 41-47 et 24. Peter Paret considère que l’ouvrage de Raymond Garthoff est de bonne qualité dans son résumé de l’influence de Clausewitz sur la stratégie soviétique. Il affirme toutefois que Lénine a lu On War non pas dans une édition incomplète de juillet 1827 mais dans une édition disponible à la bibliothèque de la ville de Berne, basée sur le manuscrit de 1830, c’est-à-dire après révision du Chapitre I, Livre I. Paret P., « Clausewitz – A Bibliographical Survey », art. cit., p. 278. Voir aussi : Garthoff R.L., Détente and Confrontation – American-Soviet Relations from Nixon to Reagan, Washington D.C., The Brookings Institution, 1985, p. 47.

[4] Atkinson E.B., The Edge of War, Chicago, Henry Regnery Company, 1960, p. 46 et pp. 53-56.

[5] Franklin W.D., « Clausewitz on Limited War », art. cit., pp. 23-29.

[6] Tompkins J.S., The Weapons of World War III, op. cit., p. 7.

[7] Collins E.M., « Clausewitz and Democracy’s Modern Wars », Military Affairs, vol. XIX, n°1, 1955, pp. 15-20. Mais notons que depuis la fin de la guerre froide, de nombreux Américains pensent que les populations soviétiques ont réagi de la même manière à la guerre d’Afghanistan que les Etats-Unis la guerre du Vietnam. Voir par exemple Kohut A. & Toth R.C., « Arms and the People », Foreign Affairs, novembre-décembre 1994, p. 58.

[8] Wolfe Th.W., Soviet Strategy at the Crossroads, Cambridge, Harvard University Press, 1964, pp. 70-78.

[9] Dans un article de 1957, de la Military Review, sur les lectures des officiers soviétiques, le nom de Clausewitz n’est pas mentionné une seule fois. Jacobs W.D., « What Does the Soviet Officer Read? », Military Review, février 1957, pp. 37-43.

[10] Davis D.E. & Kohn W.S.G., « Lenin as a Disciple of Clausewitz », Military Review, septembre 1971, pp. 49-55.

[11] Published under the Auspice of the U.S.A.F., Marxism-Leninism On War and the Army (A Soviet View), Soviet Military Thought, (Progress Publishers, Moscow – 1972), 1976, p. 23-27. L’ouvrage cite aussi un certain nombre de chercheurs et hommes politiques ne croyant plus en la validité du paradigme clausewitzien de la Formule : le sénateur américain James William Fullbright, Claude Delmas, Edger J. Kingston McCloughry, Ferdinand O. Miksche, Stephen King-Hall et Fritz Sternberg. L’ouvrage ne donne pas les références de la réflexion de ces personnes. On peut se demander si, pour Claude Delmas, l’ouvrage en question n’est pas : Delmas Cl., La stratégie nucléaire, Paris, PUF, 1963, 125 p. (où Delmas oppose Kant à Clausewitz) ; pour E.J. Kingston-McCloughry (Air Vice-Marshal), War in the Three Dimensions – The Impact of Air Power upon Classical Principles of War, Londres, Johnatan Cape, 1949, p. 11 (où Kingston-McCloughry met en évidence que la pensée de Clausewitz est dépassée par l’éventualité d’une guerre totale) ; pour Fritz Sternberg, The Military and Industrial Revolution of Our Time, (translated from German by Fitzgerald E.), Londres, Atlantic Books, 1959, pp. 43-44 (également une remise en cause de la guerre totale liée à Clausewitz).

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