Partie V : La présidence impériale de Nixon

Chapitre I : L’équipe décisionnelle sous Nixon

« If Indochina went Communist, Red pressure would increas on Malaya, Thailand and Indonesia and other Asian nations. The main target of the Communists in Indochina, as it was in Korea, is Japan. Conquest of areas so vital to Japan’s economy would reduce Japan to an economic satellite of the Soviet union. »
R. Nixon,1954

1.1.La personnalité et carrière de Nixon

Richard Mulhous Nixon (1913-1994) né en Californie, d’origine moyenne s’intéresse très tôt à la politique. Il fait des études de sciences politiques et se distingue dans les différents débats auxquels il participe durant ces années. Il entame ensuite des études de droit.

Après la guerre, il s’engage dans la politique où très vite ses dons de politiciens font surface : grand tacticien, rhétorique efficace, propagande politique,… Après avoir été représentant, il devient sénateur en 1950.

Après la victoire d’Eisenhower, il laisse son poste de sénateur pour celui de vice-président. Durant cette période, il a la chance de voyager énormément et d’acquérir une bonne connaissance des relations internationales, ce qui lui permet, au moment de sa présidence, de sortir les Etats-Unis du Viêt-nam. C’est une qualité que ses prédécesseurs n’ont pas toujours eue.

En 1960 il brigue le poste de président, mais échoue devant J.F.Kennedy. Entre 1960 et 1964, il se fait plus discret sur la scène politique. Cependant, après la défaite de Goldwater aux élections de 1964, Nixon émerge comme le nouveau chef de l’opposition et n’hésite pas à soutenir la politique des bombardements de l’administration Johnson, tout en insistant que le seul objectif doit être la victoire.

Sa campagne présidentielle de 1968 est surtout marquée par l’affaire, Chennault[1] Au mois d’octobre le président Johnson donne l’ordre à Harriman et Vance de tout faire pour accélérer les négociations. Les élections présidentielles étant proches, Nixon estime qu’un accord lui ferait probablement perdre les élections. Par conséquent, Nixon par l’intermédiaire d’Anna Chennault, républicaine et proche du général Thieu, et le sénateur E. Dirksen, parvient à capoter les négociations en promettant à Thieu qu’avec l’administration Nixon il obtiendra un meilleur accord.

Cet épisode montre bien le machiavélisme de Nixon, même s’il faut reconnaître que les négociations du mois d’octobre avaient comme objectif de la part des Démocrates de faire monter le candidat démocrate Humphrey dans les sondages et qu’un accord avait peu de chance d’aboutir.

Quand Nixon prend le pouvoir en janvier 1969, une tâche importante lui incombe : finir l’engagement américain au Viêt-nam. Il hérite d’une situation qui n’a rien d’enviable :

Ø il y a 536 000 soldats américains au Viêt-nam en janvier 1969 ;

Ø chaque semaine, environ 300 corps sont rapatriés par avion ;

Ø l’engagement américain au Viêt-nam coûte 20 milliards de dollars par an ;

Ø l’année 1968 a été particulièrement douloureuse : l’offensive du Têt, Khe Sanh,…

Dans ce contexte, l’administration Nixon parvient à la conclusion qu’il lui faut définir une nouvelle stratégie pour contrer Hanoi. Cette nouvelle stratégie suppose trois mesures [2]:

A. aval du Congrès pour poursuivre la guerre ;

B. ouverture de négociations au cours desquelles Washington fera toutes les concessions possibles sans jamais accepter cependant la mainmise communiste ;

C. une nouvelle stratégie militaire axée à l’intérieur du Viêt-nam du Sud sur la défense des zones fortement peuplées, la destruction des voies de ravitaillement de Hanoi par la neutralisation de la piste Ho Chi Minh au Laos, le nettoyage des bases cambodgiennes et le minage des ports nord-viêtnamiens.

Au cours de la présidence Nixon, ces différentes dispositions comme nous allons le voir seront adoptées.

1.2. L’équipe

1.2.1. Le secrétaire d’Etat, le secrétaire à la Défense et le JCS

William P. Rogers, qui a collaboré avec Nixon sous l’administration Eisenhower est nommé au poste de secrétaire d’Etat. Nonobstant des différends nés après leur collaboration sous Eisenhower et sa méconnaissance des affaires étrangères, Nixon estime que Rogers serait parfait au département d’Etat. Sa méconnaissance des affaires étrangères est pour Nixon un atout, car cela lui permet de maintenir le contrôle de la politique étrangère. De plus, Rogers étant égocentrique et ambitieux, les fonctionnaires du département n’auraient qu’à bien se tenir. Cependant, Rogers, au lieu de devenir le défenseur de la politique présidentielle auprès de son département, du Congrès et de la presse, se fait porte-parole de ses subordonnés. Cette situation va entraîner des conflits entre les deux hommes. Afin d’éviter des affrontements permanents, Nixon et Kissinger n’hésitent pas à établir des filières non-officielles avec les principaux dirigeants étrangers. Aussi, la plupart du temps, Rogers est complètement exclu de la prise de décision.

Le département de la Défense est dirigé par Melvin R. Laird. Pendant seize années au Congrès, Laird a servi à la sous-commission de la Défense nationale au sein de la commission budgétaire de la Chambre des Représentants. Par conséquent, il joue un rôle important d’intermédiaire entre Kissinger et le JCS durant le conflit vietnamien.[3] Comme nous le verrons son rôle dans la politique américaine à l’égard du Viêt-nam est plus important qu’une partie des auteurs veulent bien faire croire.

Sous Nixon, les militaires sont très présents au sein du National Security Council staff, avec entre autres le colonel Alexander Haig. Ce dernier permet à Kissinger d’être en contact direct avec l’Etat-major interarmes, en évitant de passer par le département de la Défense. Cependant, le JCS participe peu aux réunions du C.N.S. La raison est double : le retrait des troupes du Viêt-nam et l’appropriation des négociations SALT par Nixon et Kissinger.[4]Seul le chef de l’Etat-major interarmes E. Wheeler a son mot à dire. Son mandat aurait dû se terminer en juillet 1968, mais Johnson l’avait prolongé d’un an, afin que son successeur puisse nommer son remplaçant. Cependant, l’expérience de Wheeler se révèle si indispensable que Nixon le maintient à son poste. Le général Abrams et l’ambassadeur Bunker sont également maintenus à leur poste.

Parce que Nixon ne fait ni confiance aux départements d’Etat et de la Défense ni à la CIA, il donne les pleins pouvoirs à son conseiller pour la sécurité, H. Kissinger et à son organisme, le Conseil National de Sécurité. Nixon garde un excellent souvenir du C.N.S., lors de sa vice-présidence sous Eisenhower. Aussi, son objectif est de faire renaître le C.N.S. de ses cendres sous une forme nouvelle. Car pour Nixon : « Since 1960, this Council has virtually disappeared as an operating function. In its place there have been catch-as-can talk-fests between the President, his staff assistants, and various others. I attribute most of ours serious reverses abroad since 1960 to the inability or disinclination of President Eisenhower’s successor’s to make effective use of this important Council to its pre-eminent rôle in national security planning. »[5]

1.2.2. Le C.N.S.

L’organe le plus structuré et centralisé n’est sans aucun doute le C.N.S. A la tête du C.N.S., nous trouvons H. Kissinger. Une des raisons de la nomination de Kissinger est qu’il représente au sein de l’administration la branche Rockfeller.[6] Kissinger étant le premier à avoir été nommé par Nixon, il possède l’avantage de recruter son personnel le premier.

Il s’attache les services de jeunes fonctionnaires, ayant déjà fait leurs preuves dans les différents départements et de personnalités universitaires. Le noyau dur au sein du C.N.S. est dès lors formé par des gens comme Winston Lord, Lawrence Eagleburger, Harold Saunders, Alexander Haig,…) Comme l’explique H.Kissinger lui même : « La haute valeur de cette équipe explique en grande partie l’influence croissante du Conseiller du Président pour les questions de sécurité, et le développement de mon service devint capital puisque R. Nixon forma un Cabinet d’hommes capables, astucieux et volontaires, mais qui ne purent jamais travailler réellement en équipe. »[7]

Détestant la bureaucratie, Kissinger passe avec le C.N.S. par-dessus du département d’Etat, tout en lui laissant l’illusion de participer à la prise de décision. Dès le début, Kissinger lance des passerelles et élève des barricades dans tout Washington. Comme l’explique W. Shawcross : « les barricades les plus hautes furent dressées contre W. Rogers et son département d ‘Etat et M. Laird et son département de la Défense. Les passerelles les plus importantes menaient à Nixon, à ses adjoints principaux H.R. Halderman et J. Ehrlichman , à des dirigeants du Congrès soigneusement sélectionnés, au chefs d’Etat-major et à une certaine partie de la presse. (…) »[8] Ainsi dès son entrée en fonction, Kissinger s’approprie les relations avec les ambassadeurs, tâche revenant en tant normal au secrétaire d ‘Etat. (Cfr. par exemple l’excellente relation de Kissinger avec Anatoly Dobrynin, ambassadeur de l’Union soviétique à Washington) De plus, le compte-rendu de ces rencontres ne parvient qu’à certains membres de l’équipe du C.N.S. Comme l’explique W. Bundy : « With this practice went a far more extensive use than ever before of back-channel communication links to foreign countries and american officials abroad, using the facilities of the C.I.A. or occasionally individual military services. »[9]

La raison principale de cette façon de travailler est le profond mépris de la part de Nixon et de Kissinger à l’égard des carriéristes au département d’Etat et leur résistance au changement.

Sur la base d’un projet élaboré en grande partie par M. Halperin , sous-secrétaire à la Défense, Nixon et Kissinger refondent donc le système de prise de décision, de manière à réduire l’influence du département d’Etat, du Pentagone et de la CIA. Comme le déclare S. Karnow : « Les nouvelles structures furent conçues pour placer Kissinger à la tête de tout un éventail de commissions gouvernementales et lui assurer le contrôle des recommandations soumises au Président »[10]. La structure du C.N.S. est développée de façon à décourager les différents départements à proposer ou à analyser. Toutes les études faites par le personnel du C.N.S. sont considérées comme qualitativement supérieures.

Le C.N.S. emploie un personnel permanent de 120 personnes. Il peut s’étendre jusqu’à 300 personnes, mais seul plus au moins 30 personnes participent aux prises de décisions. Toutefois, cette équipe décisionnelle de +/- 30 personnes ne tarde pas à se décomposer peu à peu. En effet, l’équipe composée d’une trentaine de sommités va tout au long des années décroître. Ainsi, plusieurs membres vont démissionner entre autres Morton Halperin, Richard Sneider,… Aussi, pour juillet 1971 seul un quart des membres, fait encore partie de l’équipe décisionnelle. Une des raisons principales, est l’inexistence de contacts avec Kissinger et Nixon et l’impossibilité d’agir au nom de Kissinger .[11]

Les analyses et études sont rédigées en commun par les groupes interdépartementaux. Il y a six Interdepartmental groups (groupes interdépartementaux) avec à la tête un Assistant Secretary of State : le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Amérique latine, l’Europe, l’Extrême-Orient et les Affaires militaires. Seul, l’Assistant Secretary du Moyen-Orient Joseph J Sisco, travaille directement avec Kissinger, Rogers ou Nixon.

D’autres groupes sont également constitués : le Senior Review Group , le Washington Special Action Group ( =le groupe d’actions spéciales de Washington (centre des crises)), Defense Program Review Committee (=le Comité de révision des programmes de défense), Verification Panel (=Commission de vérification), Intelligence Committee (=Comité de renseignement) , Forty Committee (=comité des quarante s’occupant d’ activités secrètes et clandestines)….

La politique vietnamienne est sous la supervision du C.N.S. et en particulier de Kissinger, Nixon, Haig et Laird. De manière subsidiaire, certaines unités du département de la Défense, du département d’Etat ou de la CIA, peuvent également intervenir à travers le groupe d’études spéciales du Viêt-nam avec à la tête Wayne Smith. Ce groupe a comme tâche principale d’être au courant de toutes les opérations en cours au Viêt-nam et de proposer des solutions à des problèmes qui pourraient se poser. Un second groupe, ad hoc group on Vietnam, dont le responsable est le Secretary Assistent,W.H. Sullivan, se concentre sur les négociations.[12]

Quant aux réunions du Conseil National de Sécurité, elles sont souvent orchestrées, arrangées et organisées pour les archives. Si les réunions sont régulières la première année, elles deviennent rares par la suite. Le rôle du Conseil va alors aller décroissant, Kissinger et son équipe prenant les rênes en main. Elles ne forment même pas un forum de discussions comme sous Eisenhower. Nixon, Rogers, Kissinger, Laird et Spiro Agnew (vice-président) participent aux réunions du Conseil. Parfois d’autres membres de l’administration Nixon y participent comme le général John Mitchell, le directeur des services de renseignements R. Helms,le chef de l’Etat-major E. Wheeler,…

Egalement deux nouvelles séries de notes de service ayant trait à la Sécurité Nationale sont créées :

Ø Notes d’Etudes(N.S.S.M) : sont signées par Kissinger ou Nixon et ont comme objectif de donner des directives aux divers bureaux pour examiner des situations ou des problèmes précis pour le compte du président. Ils fixent également une date limite pour effectuer ce travail. Les résultats sont alors rassemblés pour être envoyés au Groupe d’Etudes et d’Analyses, sous le contrôle de Kissinger. Ce dernier présente soit l’étude au C.N.S., soit il la renvoie aux divers bureaux. Ensuite après une discussion au C.N.S., le président prend une décision. Les différents ministères reçoivent alors une note (note exécutive)

Ø Notes exécutives : elles informent les administrations des décisions présidentielles.

L’objectif de Kissinger et Nixon est donc de constituer à travers le C.N.S.: « A new bureaucratic methodology based on probing questions followed by searching and systematic analysis of every major US policy was designed to provide Washington officialdom with a new intellectual grid.(…) The desired end-product of a massive re-analysis of foreign policy within the series was to be a series of logical options, alternatives or choices consistent with long-range US goals. » [13]

En pratique la prise de décision va se dérouler de manière différente.

[1] Pour plus de détails lire W. Bundy, A Tangled Web, London, L.B. Tauris, 1998. pp. 30-48.

[2] H. KISSINGER, Diplomatie, op.cit., p. 617.

[3] F. SCHURMAN, The Foreign Politics of Richard Nixon: The Grand Design, Berkeley: Institute of International Studies, University of California Berkeley, 1987, p. 98.

[4] J.P. LEACACOS, « Kissinger apparat », Foreign Policy, 5-8, n° 2046, p. 4 .

[5] S. HESS, Organizing the Presidency, Washington, The Brookings Institution, 1976, p. 113.

[6] Kissinger soutenait la candidature républicaine de Rockfeller au moment des élections de 1968.

[7] H.KISSINGER, A la Maison Blanche,1968-1973,(tome I),op.cit., p. 26.

[8] W. SHAWCROSS, Une tragédie sans importance, France, éd Balland, 1979, p. 96.

[9] W. BUNDY, op.cit., p. 58.

[10] S. KARNOW, op.cit.,, p. 361.

[11] I.M. DESTLER, « Can one man do », Foreign Policy, 5-8, n° 2046, p. 35.

[12] J.P. LEACACOS, « Kissinger apparat », Foreign Policy, 5-8, n° 2046, p. 6.

[13] Ibidem, p. 12.

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