Création et évolution du 13ème RDP

Historique

Créé en 1676, baptisé Dragon de Monsieur, 13ème Dragon ou Dragon de l’Impératrice, le 13ème RDP a subi plusieurs transformations. Régiment à cheval, il est mécanisé en 1933, parachutiste en 1952 et connaît une dernière transformation : le CEMAT, général Le Pulloch, décide le 1er juillet 1963″de transformer le 13ème RDP en régiment de recherche à participation interarmes, et de lui incorporer les effectifs de la 7ème Compagnie de commandos ».

Avant d’évoquer ce que fut cette réorganisation, il convient de rappeler que ce régiment s’est illustré à Nerwinden -Valmy -Austerlitz -Iéna -Moskowa -Mars la Tour -Ypres -Verdun -Gembloux -Dunkerque -Royan et Azazga. Quittant sa garnison traditionnelle de Castres, il rejoint Nancy, puis Dieuze (Moselle) en 1963, et installe un escadron à Langenargen sur le lac de Constance.

Partant de l’excellent historique (1990) de Pierre Dufour, cette étude a bénéficié des témoignages de cinq chefs de corps et d’un officier de transmission (Bichon, Marin, Lebel, Bolelli, Faivre et Esselin ), et de la consultation des archives de l’EMAT et du CCFFA(1).

Les étapes de la re-création.

Dans les années 1950, les réflexions sur le combat en ambiance nucléaire conduisent à étudier les besoins en renseignement du corps de bataille. Un an après l’exercice Javelot II (septembre 1954), qui a pour but d’expérimenter une Brigade légère blindée, la 7ème DMR met en oeuvre lors des manoeuvres Eclair de septembre 1955 des commandos de six hommes disposant d’un Unimog et d’un émetteur C9, destinés à la recherche du renseignement tactique dans une zone de 5 à 20 km des contacts, et envisage des reconnaissances d’officiers jusqu’à 30 km de profondeur.

La recherche sur les arrières immédiats de l’ennemi est recommandée à la réunion des spécialistes du renseignement en octobre 1957, où les patrouilles profondes américaines (LRRP) sont citées en exemple.

Plus réaliste, le colonel Degas chef du 2ème Bureau de Baden, envoie à Corte en 1959 une mission de 5 officiers de renseignement, en vue d’étudier les conditions de vie en zone d’insécurité. Le rapport du chef de mission (lieutenant Faivre) fait état de l’expérience recueillie en Indochine par le GCMA et en Algérie par le 11ème Choc, en particulier en matière de cache enterrée, de camouflage des liaisons, et des relations à l’intérieur d’une équipe isolée.

C’est en partant de ces conclusions que la 7ème compagnie commando (capitaines Fraisse et Cunty) est mise sur pied par l’EMAT/2 à Langenargen en avril 1960. Compagnie expérimentale de renseignement à longue distance, elle dépend pour emploi et instruction du général CCFFA. Ses personnels sont brevetés parachutistes par les Allemands à Schongau.

Mises au point par la 7ème Compagnie, les procédures de vie sur les arrières et de codage des messages (type Nogard), sont recueillies par le 13ème RDP(2). En 1964-65, dans trois exercices Eugénie, sept puis seize équipes sont engagées en recherche tactique, en liaison directe avec le Corps d’armée. Les rapports du colonel de Courson font état des difficultés du parachutage en zone ennemie, et du mauvais fonctionnement des matériels radio (C9 des équipes et 399 au niveau escadron). La transmission en onde ionosphérique, à 80 bauds, mise en oeuvre par les Allemands (Fernspäh 100 à Weingarten), semble indiquer la voie à suivre.

L’armée de terre suit de près la formation du régiment. En 1965, un dossier de l’EMAT/2 sur le rôle du CA et de la Division précise la mission d’un escadron de recherche adapté au Corps d’armée, et ses délais de mise en oeuvre. L’utilisation des ondes ionosphériques à une distance de 4 à 500 km est confirmée.

En 1968 enfin, la Commission consultative permanente sur le renseignement en campagne, précise les conditions de mise en oeuvre du régiment au complet, au niveau du Théâtre d’opération. Le TTA 187 définit désormais la doctrine d’emploi du régiment, au moment où les accords Ailleret -Lemnitzer envisagent l’engagement – non-automatique – du 2ème Corps d’armée, initialement réservé, au profit de la défense de l’avant adoptée par l’OTAN. C’est l’EMA qui met en oeuvre le régiment, en attendant qu’en 1972 la 1ère Armée soit créée. Le 13ème RDP est alors mis pour emploi à la disposition de l’Armée, qui en vertu des accords Valentin-Ferber de 1975, devient la première réserve du Théâtre Centre-Europe. Un Memento d’emploi du 13ème RDP est établi par la 1ère Armée en 1983 (non consultable).

C’est dans ce cadre que désormais vont être négociées les conditions de mise en oeuvre, de coopération et de liaison du régiment avec Centre-Europe.

Ainsi est-on passé du renseignement tactique au renseignement stratégique, et du commando de recherche divisionnaire au régiment de recherche à la disposition de l’Armée. Les évolutions ultérieures découlent de cette constatation.

La mission face à l’Est (schéma 1)

La mission du régiment est d’évaluer la nature, le volume et le dispositif d’un adversaire ayant franchi le rideau de fer. Il s’agit pour le commandement français de définir la direction d’effort de l’ennemi, de donner à la 1ère Armée les délais nécessaires à son engagement, et d’évaluer les résultats obtenus par les forces en présence, et par les frappes nucléaires.

Dans ce cadre, l’engagement du Régiment est une décision politico-militaire, liée à l’engagement de la 1ère Armée. Elle pose également un problème de sécurité nucléaire.

La mission du régiment implique la connaissance des matériels et des structures soviétiques, mais aussi du dispositif et des procédures OTAN.

Ultérieurement, il sera envisagé de passer du renseignement sur itinéraires au renseignement sur zone, par des groupes de 2 équipes, ainsi qu’à l’acquisition d’objectifs ponctuels, et au guidage de missions feu aériennes. Des unités de recherche dans la profondeur sont créées au niveau Corps d’Armée (URCA).

Procédures opérationnelles.

La mise en place est envisagée par parachutage(3), par héliportage ou par dépassement.

Le régiment peut mettre en place 60 équipes, une par pénétrante, sur un rideau de surveillance de 300 km; ou de préférence sur deux rideaux espacés de 50 km. Les cellules d’observation (un officier et un observateur) et de radio (sous-officier radio et 2 h), s’enterrent à quelques centaines de mètres l’une de l’autre.

Toutes les équipes sont autonomes. Si une équipe se fait prendre, elle ne sait pas où est sa voisine. Tout est centralisé à l’arrière. Les équipes sont en mesure de renseigner 24 à 36 H après réception de l’ordre de mise en place. Les délais de transmission vont de 30 à 45 minutes.

Lancés en l’air et répétés, les messages sont reçus et enregistrés après élimination des anomalies par quatre stations directrices. Au PC du régiment, on les déchiffre et on en déduit le volume, la direction et l’identification des unités ennemies. Après traitement des informations, l’évaluation de l’ennemi est adressée à la 1ère Armée et aux autorités intéressées.

La récupération des équipes, au bout de 4 à 5 jours, peut se faire soit à l’occasion d’une avancée amie, soit par hélicoptère, soit par une exfiltration qui peut durer deux à trois semaines.

Organisation du régiment (schéma 2).

Régiment surencadré, son tableau d’effectifs s’élève à 80 officiers, 250 sous-officiers et 700 hommes du rang, soit un total de 1.140. L’encadrement interarmes comprend 45% de cavaliers, 17% de fantassins, 9,5% de transmetteurs, et de 3 à 5% de l’artillerie, du génie et du service de Santé (plus deux officiers TDM). Tous les personnels sont soumis à une enquête SM, et les appelés sont choisis par l’officier des effectifs, qui se rend tous les deux mois, dans les centres de recrutement.

En 1960, le régiment comprend l’ECS, les 2ème et 3ème escadrons de recherche aux ordres d’un commandant, les 1er et 4ème escadrons d’instruction. Les 4 Stations radios directrices sont intégrées dans les escadrons. Le Peloton des liaisons arrières(PLA) est à l’ECS.

Dans les années 90, les stations directrices sont regroupées à l’Escadron de Transmissions. Les trois escadrons de recherche, commandés par un capitaine, sont spécialisés dans les techniques montagne, plan d’eau et sauts à grande hauteur.

Le 2ème escadron quitte Langenargen pour Friedrischafen, puis rejoint Dieuze en juin 1992. Le régiment est peu à peu professionnalisé, en 1995 il n’y a plus d’appelés en équipes. On a ainsi préféré l’efficacité à la motivation des citoyens.

Entraînement.

Deux exercices majeurs « Eugénie  » sont montés chaque année, avec ennemi fictif et plastron. 20 équipes y participent en 1964, 35 en 1969, 48 en 1973.

Le 13 est la seule unité française à participer à un exercice allié sur le terrain (Reforger).

Il coopére au cours d’exercices avec les unités alliées spécialisées : SAS, Fernspäh, Commandos belges, néerlandais et espagnols, tchèques après 1990.

Le régiment forme ses radios, chiffreurs et observateurs, il organise un stage chefs d’équipe annuel. Il s’entraîne à la montagne (vie en igloo), au saut sur plan d’eau et sur forêt, au poser par sous-marin. Des équipes de chuteurs opérationnels reçoivent des missions particulières. Deux sous-officiers sont détachés pour six mois à la Mission de Potsdam à partir de 1976, ce qui leur permet d’observer des matériels soviétiques.

Les procédures et les équipements font l’objet d’une modernisation permanente, en liaison avec les Etablissements du matériel et la SEFT (moyens d’observation, de saut et de transmissions), l’Intendance (habillement, rations) et le Service de Santé(4) (vie en milieu fermé). L’allègement des équipes est recherché en même temps que leur efficacité. Sur ce plan, le régiment est favorisé par l’absence de matériels répondant à ses besoins opérationnels. Il est donc autorisé à étudier et créer ses propres équipements.

Intérêt des exercices REFORGER.

Tous les ans, les Américains amenaient par avion des États-Unis une division complète (REFORGER) qui venait prendre en compte des matériels entreposés dans des dépôts (POMCUS). Puis, elle partait faire une manoeuvre sur le terrain où elle était engagée contre une division britannique, allemande ou belge.

Le 13e RDP, qui était engagé dans ces exercices, était tout à fait apprécié. Le commandant en chef des forces américaines en Europe écrivait en 1976:  » Comparées à celles des autres sources de recherche du renseignement, les patrouilles profondes bénéficient de plusieurs avantages distincts par rapport aux sources de recherche, tels que la reconnaissance aérienne et le renseignement par les moyens d’écoute: tout d’abord, I’engagement des patrouilles profondes est de 24 heures sur 24. La recherche se poursuit sans tenir compte de l’heure ou des conditions almosphériques. Les patrouilles de recherche opèrent en étant bien moins exposées aux contremesures de l’ennemi et, par conséquent, bénéficient d’un taux de réussite plus élevé. Elles sont à même de contrevenir les actions déjensives de l’ennemi tels que le silence radio, le camouflage, les mouvements de nuit, et le brouillage « .

L’une des divisions qui avait participé à cet exercice avait noté dans son compte-rendu :  » Aucun autre moyen ne peut fournir la précision, la souplesse, l’opportunité et les détails fournis par les patrouilles de recherche profonde « .

Voici le bilan chiffré de cet exercice de 1976 : les Français ont adressé 392 comptes rendus dont 190 ont été considérés comme importants, 110 exploitables en matière d’objectifs, 102 ont fourni des informations sur l’ordre de bataille et des indices sur les intentions de l’ennemi.

Le commandement américain en avait conclu qu’il était souhaitable de créer des patrouilles profondes aux États-Unis, mais ce projet semble avoir été abandonné.

Ces exercices du niveau tactique ont été intéressants pour les équipes, qui avaient ainsi l’occasion d’observer des matériels réels. Ils ont permis également au régiment de se faire connaître des Alliés et de négocier dans de bonnes conditions son engagement dans le cadre de Centre-Europe.

Evolution des transmissions (schéma 3).

Les procédés de transmission du BCRA ne sont pas applicables à un réseau de 60 subordonnés qui émettent toutes les heures. D’autre part, le poste C9 avec sa génératrice (40 kgs) doit être abandonné, en raison de son poids et des difficultés des liaisons par onde-sol.

La transmission en ondes ionosphériques s’impose, avec utilisation d’émetteurs de faible puissance (20w) en liaison avec le poste SCR 399 à la station directrice (400 w). Plusieurs postes sont successivement expérimentés :

– en 1966, le poste Lagier (TRTG2A) avec génératrice, poids 30 kgs (+ PP11 et piles = 6 kgs),

– en 1968, le poste allemand SP20 à transmission rapide (80 bauds) avec accus = 26 kgs,

– en 1972-73, le poste TRTG2B réalisé par la SEFT, avec codeur, à 300 bauds = 17 kgs,

– vers 1980, un poste Thomson MF de liaison intercaches, plus discret que le PP 11.

Le système adopté est la transmission radio en l’air à destinataires multiples (TRAM). Les CR d’observation sont condensés, chiffrés par la cellule radio et transmis plusieurs fois en émission brève. Au PC, le déchiffrement impose le travail fastidieux de nombreux appelés.

Les stations directrices comprennent :une station d’émission, une station de réception et une station énergie. Elles sont modernisées de 1966 à 1972 (cabines SPAIR, récepteur RRTM2, télécommande hertzienne des émetteurs 399).

A partir de 1973 est réalisé le système ERIC (Equipement de réception des émissions codées), utilisant des ordinateurs MITRA 15 militarisés. Le MITRA compare les messages successifs et les déchiffre à partir des carnets NOGLI de chiffrement.

Le peloton des liaisons arrière transmet les synthèses de renseignement à l’EMA, à la 1ère Armée et au Commandement allié intéressé, au moyen de deux chaînes hertziennes reliées aux réseaux Cartel et Air 70.

De 1968 à 1974 sont expérimentées des liaisons à grande distance depuis Dakar, Libreville, Djibouti, Tananarive, Managua et Fort de France. La réception est faite au Centre Trans de Favières, qui pilote les émetteurs de Vernon.

Traitement des renseignements.

Le 2ème Bureau du régiment s’emploie à reconstituer le dispositif ennemi, en reportant sur un rouleau de papier (le drap de lit ), les matériels observés sur chaque axe de progression.

A partir de 1982, le système SATRAPE (Système d’aide au traitement des informations analysées par ERIC) permet d’informatiser le traitement.

Au premier niveau, les matériels observés sont regroupés sur écran d’ordinateur en unités élémentaires (3 chars = 1 Section – 3 Sections= 1 compagnie).

Au deuxième niveau, des analystes identifient sur écran les niveaux Régiments et Division. Au troisième niveau, le travail de synthèse consiste à localiser sur fonds de cartes les Armées adverses et à décrire le rythme et les directions de progression de l’ennemi.

Ainsi la mission du régiment face à l’Est exige-t-elle de ses personnels l’endurance physique, l’utilisation du terrain, la connaissance des techniques de transmission, l’esprit d’équipe et l’intelligence des situations. A côté d’hommes de terrain, il a besoin de spécialistes de haut niveau.

Emploi outre-mer et dans les Balkans.

Dès 1977, le régiment est impliqué dans des missions hors d’Europe, aux ordres de l’EMA : en mai 1978, deux équipes participent à l’opération de Kolwezi, et en octobre 1978 trois équipes et un PC opèrent pendant 6 mois en Mauritanie. Un détachement participe à l’opération Daguet en 1991.

Diverses missions d’assistance technique, de liaison avec Paris, et de renseignement sont accomplies.

Les missions dans les Balkans débutent en 1990 ( informations réservées). Elles impliquent une adaptation des personnels à de nouvelles procédures et aux milieux urbain et suburbain, une présence de longue durée, une capacité d’extraction en cas d’incident. Le renseignement humain prend le pas sur l’observation des matériels. Les équipes engagées sont de composition variable, elles sont fixes ou mobiles. Le traitement est réalisé par imagerie numérique, les informations étant localisées sur zone ou non localisées.

Le 13ème RDP met ainsi sur le terrain environ le tiers de ses éléments de recherche, de traitement et de diffusion. Grâce à la motivation de ses personnels, à leur faculté d’adaptation et à la maîtrise des techniques les plus modernes, le régiment garde toute sa capacité opérationnelle dans les missions variées que le commandement lui confie.

Maurice Faivre, 12 juin 2001

(1) Archives de l’EMAT, soumises à dérogation : 2T 36, organisation du 13ème RDP – 10T 51, moyens de recherche – 10T 54, études sur le renseignement – 39T/3, rapports d’Inspection de l’ITAPA – 10T 75:exercices 13ème RDP en 1964-65. Les archives du CCFFA sont très incomplètes pour les années 50; le dossier 3U 37 traite des manoeuvres des FFA en 1955. Les archives de la 1ère Armée ne sont pas ouvertes. L’expérimentation Javelot est évoquée par le revue Défense nationale de janvier, mai et décembre 1954.

(2) Colonels de Courson, d’Harcourt et Bizard, premiers chefs de corps. Chef d’escadrons Doussau à Langenargen.

M.Messmer, Ministre des Armées et député-maire de Sarrebourg et le général Massu commandant la 6ème R.M.ont aidé l’installation du régiment dans des casernes en ruines.

(3) le problème du balisage des zones de saut (pathfinder) n’est pas résolu.

(4) vie en caisson (expérimentation conduite par le psychiatre CROCQ de la DRME)

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