IV – Entre cultures et perceptions : fondements de l’action stratégique et technologie

Si plusieurs auteurs – dont un « généticien » tel que Lidell Hart – ont rapidement démontré qu’il existait une british way of warfare ou une american way of warfare[1] et que des précurseurs peuvent remonter plus loin encore[2], le concept de culture stratégique n’a été énoncé formellement qu’en 1977 par Snyder, pour ensuite être considéré comme un prolongement de la culture politique[3]. L’objectif de Snyder était alors de tenter de comprendre le comportement de l’URSS face à la guerre nucléaire limitée[4], d’autres auteurs exploitant ensuite le concept afin de comprendre les mécanismes décisionnels et stratégiques d’Etats traditionnellement moins étudiés[5]. Définie comme « un ensemble d’attitudes et de croyances tenue au sein d’un établissement militaire concernant l’objectif politique de la guerre et la stratégie la plus efficace et la méthode opérationnelle pour la réaliser »[6] par Y. Klein, la culture stratégique est aussi un concept plus large « qui se réfère aux traditions d’une nation, à ses valeurs, attitudes, modèles de comportement, habitudes, symboles, réalisations et formes particulières d’adaptation à l’environnement et de résolution des problèmes en regard de la menace ou de l’usage de la force »[7] qui allait prendre une importance croissante dans les études stratégiques.

1) Acceptions réalistes et pluralistes des cultures stratégiques

C’est partiellement du fait que les « culturalistes » se sont vus confortés dans leurs options par Ken Booth, dont Strategy and ethnocentrism (1979) s’est avéré être une critique des études stratégiques[8]. Analysant l’adversaire avec des critères ethnocentriques, prenant trop souvent en compte les moyens de l’adversaire potentiel et non la liaison entre ceux-ci et ses intentions, les politologues et les stratégistes auraient vidé leurs discipline d’une partie de son utilité. Si quelques critiques seront adressées à Booth[9], le concept de culture stratégique ne sera pas nécessairement élaboré dans la plus grande neutralité axiologique et constituera d’abord un instrument de compréhension des processus décisionnels amis comme adverses[10], bien qu’il soit fait plus de tendances que de déterminants[11]. Orientée vers une action stratégique affinée, la culture stratégique peut tout autant dépasser le réalisme dans lequel le concept s’est initialement affirmé pour aller vers les « sécuritaires », sans pour autant écraser le « stratégiste ». Krause et Williams envisagent ainsi une combinaison des concepts de cultures politique, stratégique et diplomatique afin d’aboutir à une « culture de la sécurité », mieux à même de restituer la complexité des zones étudiées et qu’ils définissent comme « différentes coutumes et approches régionales (appliquées) aux enjeux-clés de la guerre, de la paix et de la stratégie depuis des perspectives qui sont toutes deux distinctives et profondément enracinées, reflétant leurs différentes positions géostratégiques, ressources, histoire, expériences militaire et croyance politique. Ces facteurs influencent la façon qu’a un pays de percevoir, de protéger et de promouvoir ses valeurs et intérêts en regard à la menace ou à l’usage de la force »[12].

Les tenants de ce glissement paradigmatique sont tout aussi prompts que les culturalistes réalistes à montrer l’influence du facteur culturel dans la conception des armements, même s’ils auraient tendance à l’intégrer au sein même de la culture stratégique[13].

2) De la culture stratégique à la culture technologique

Dans cette optique et pour des auteurs tels que Snyder ou Gray, la technologie est à la fois composante et champs d’action de la culture mais peut aussi la faire évoluer[14], même si la plupart des auteurs envisagent ces changements de façon progressive et non brutale. Mais deux autres positionnements, direct et indirect existent dans le rapport entre technologie et culture stratégique.

2.1. L’approche directe

Sapir prends ainsi appui sur l’expérience économique pour affirmer qu’il existe « des effets de mémoire (…). (et qu’il existe donc une culture technologique qui) traduit la constitution et l’utilisation d’un savoir collectif, qui peut exister sous des formes explicites ou implicites (…) et qui oriente et organise les connaissances (…) Cela est particulièrement important dans le domaine de la R&D » [15]. Elle s’articule à son tour avec une culture organisationnelle qui doit compter avec les rivalités bureaucratiques[16].

Les recherches américaines sur la furtivité, remontant aux années soixante, ont donné lieu dix ans plus tard à ce que l’on pourrait envisager comme une culture de la furtivité nuançant la simple rationalité de l’application déterministe des technologies disponibles. Cette culture a connu des évolutions : du F-117 au B-2 et à l’A-12, il existe des sauts technologiques que perpétuent – de façon atténuée – des appareils en cours de développement tels que le F-35 ou le F-22[17]. Au surplus, au plus les solutions technologiques intégrées à un équipement sont nombreuses, au plus les équipements possèdent une charge culturelle forte. Ainsi, l’architecture de l’A-12 est certes orientée vers sa mission, mais aussi vers sa survivabilité et celle de son équipage, prioritaire pour les armes aériennes américaines depuis le Vietnam, et en partie pour des raisons techno-stratégiques[18]. L’utilisation de PGM, techniquement déterminée par la furtivité[19], ressort aussi d’une vision culturellement enracinée et cherchant à contrôler l’application de la force. Plusieurs études ayant pour thème des équipements majeurs (chars, navires) viennent appuyer la thèse des traits culturels marquant un matériel[20], bien que peu d’études cherchent à réellement définir la culture technologique d’un Etat[21]. Dans le même temps, certains armements peuvent « servir de symboles de modernité (…) et contribuer à créer ou confirmer une identité »[22], une analyse notamment utilisée dans l’étude des proliférations classiques comme NBC[23]. Au travers de leur plaidoyer pour une stratégie technologique, Possony et Pournelle vont dans ce sens, mais limitent la portée de toute tradition assortie d’inertie pour montrer la rapidité avec laquelle les USA ont lancé des programmes de très large amplitude comme Apollo[24]. S’ils reconnaissent la forte charge technologique de la culture américaine, leurs développements – par ailleurs souvent prescriptifs[25] – vont dans le sens d’une exploitation/acceptation de ladite culture, tout en avertissant le lecteur des travers qu’elle pourrait engendrer.

2.2. L’approche indirecte

En mettant en évidence l’influence culturelle sur les orientations doctrinales – offensives ou défensives –, un auteur comme Twining[26] met indirectement en évidence la dimension technologique de la question. En effet et dans l’optique de la méthode matérielle, la liaison entre les orientations défensives et offensives des doctrines et les technologies a rapidement et notamment été isolée par les tenants de la défense défensive, dans les années quatre vingt[27], autant que par d’autres[28]. Ils rejoignent en cela une partie des tenants de l’Arms Control[29] qui comptaient réduire les intensités offensives de certaines doctrines en agissant sur les matériels disponibles (« réduction génétique des risques »)[30], parfois à outrance[31] et sous les critiques des « faucons »[32]. C’est dans cette optique que s’est opérée une réduction des capacités nucléaires, y compris dans les domaines tactiques et de théâtre. Mais il est frappant de constater qu’Américains et Soviétiques avaient évité d’inclure dans les accords leurs forces d’interdicteurs – et donc l’A-12 –, lesquels disposaient en plus d’une capacité conventionnelle d’une capacité nucléaire au moins équivalente à celle de missiles de croisière[33]. Dans le même temps, les forces de bombardiers étaient soumises au comptage des traités SALT et START, malgré leur émergence en tant qu’acteurs génétiques de la stratégie conventionnelle[34]. De toute évidence, la permanence des aspects matériels dans l’arms control (nous vous renvoyons à l’annexe IV pour le constater au sein des différents niveaux de sa structuration), permet à de nombreux auteurs de considérer que la réduction des armements constitue un des leviers disponibles pour renverser un dilemme de la sécurité à la charge génétique élevée[35].

3) Dilemme de la sécurité et charge généto-culturelle

Le dilemme de la sécurité a généralement été vu comme un des moteurs à la fois du développement des technologies militaires et de la course aux armements[36] par l’intermédiaire d’un schéma « action-réaction » où toute action adverse diminue la sécurité et nécessite une réaction rétablissant l’équilibre antérieur[37]. Les comparaisons chiffrées entre des matériels de catégories equivalents y participent et tendent souvent à émailler une littérature généto-centrée, au détriment de facteurs explicatifs plus complexes, mais plus riches, comme la culture ou la doctrine que ces matériels sont sensés servir. Comparer les chars M-1 et Merkava et retirer hâtivement des conclusions de leurs vitesses ou de leurs masses respectives induit une connaissance utile au tacticien, essentiellement dans son rapport à la géographie[38]. Mais son simplisme[39] ne renseignera le politique, le stratège ou le stratégiste que très partiellement sur les visions américaines et israéliennes en matière de combat blindé, sur leurs doctrines ou sur les menaces auxquels les matériels doivent répondre. Possony, Kane et Pournelle soulignent ainsi l’articulation de leur vision au dilemme de la sécurité lorsqu’ils considèrent que la guerre technologique est partiellement déterminée par « la nature de l’ennemi »[40], mais aussi et directement au politique, à ses élites et aux éventuels changements d’orientations de la politique étrangère, en prenant en l’occurrence appui sur l’évolution de l’URSS dès 1985. Mais les auteurs assument aussi la charge techno-déterministe de leur vision lorsqu’ils déclarent qu’ »il est futile et dangereux de baser une stratégie moderne sur une analyse des intentions de l’ennemi. Le stratégiste moderne doit être préoccupé par les capacités présentes et futures de son opposant, pas par les espérances et les rêves de ses objectifs »[41]. C’est ainsi que les Etats-Unis, assumant l’hypothèse du développement des défenses antiaériennes soviétiques, avaient légitimé des programmes furtifs tels que l’A-12. Plus largement, le développement de modèles et de forces « capacity based » plutôt que « threat based » est peut être à relier à la stratégie nucléaire[42] et trouve une actualité dans les concepts développés dans le cadre de la RMA[43].

Génétiquement parlant, l’adoption de postures de type « capacity based » implique soit des équipements véritablement polyvalents – soit l’option vers laquelle s’est dirigée l’USN -, soit une flotte réduite mais très diversifiées, au coût prohibitif et ne s’accommodant que peu de la rhétorique américaine des « deux guerres et demie »[44]. Surtout, une telle vision fait sortir les principaux modèles de course aux armements de leurs logiques de réciprocité et du concept d’« effet miroir », suivant lequel « la réaction consiste à introduire un système d’armes équivalent », « plutôt que de répondre à un nouveau système militaire chez l’adversaire potentiel par la mise en œuvre de contre-mesures appropriées »[45]. A ce stade, le cas désormais classique des Euromissiles montre que la symétrie entre les systèmes déployés pour combler les fenêtres de vulnérabilité perçues doit être nuancée[46] et pose la question d’une recherche de la symétrie se transformant en potentiel d’asymétrie.

Le statut de l’A-12 reste ambigu à cet égard. Pouvant engager des cibles durcies dans la profondeur du dispositif adverse (symétrie) ou des forces légères (asymétrie)[47], il apparaît cependant largement comme threat-based, bien que la rhétorique du constructeur l’oriente ensuite vers un élargissement de ses capacités et vers une vision capability-based. Se rapportant au rapport de force sur un secteur déterminé de la confrontation réelle ou potentielle, l’asymétrie connaît actuellement une seconde jeunesse dans les rhétoriques stratégiques, envisageant le combat comme non-linéaire et mettant en opposition des adversaires utilisant des moyens d’action différenciés[48]. A ce stade, le dilemme de la sécurité est loin d’expliquer les développements qualitatifs et quantitatifs des arsenaux, même s’il y contribue largement.

4) Culture, stratégie et conception des matériels

L’interne ne se limite pas à la décision finale du quand et du combien dans le processus génétique, y compris dans les systèmes de production très planifiés, expliquant la redondance de certains systèmes[49]. Il existe ainsi une projection des conceptions politique, stratégique, opératique et tactique dans le matériel qui est au cœur de l’argumentation génétique. Politiquement, le financement, les retombées économiques[50] et technologiques[51] que les programmes militaires peuvent engendrer sont porteurs et l’A-12, malgré le secret dont il est entouré, apporte incontestablement un plus à la recherche sur les radars et une électronique déjà largement considérée comme stratégique (des points de vue civils et militaires) dans les années 80. Tactiquement, l’A-12 confond les sphères génétique et industrielle de sa création (design et conception de l’appareil) et opératiquement, il est adapté aux environnements de haute densité létale.

Mais c’est stratégiquement qu’il est le plus riche. L’A-12 montre une congruence nette avec une grand strategy américaine des années quatre-vingt visant l’affaiblissement de l’Union soviétique – une argumentation où l’effort technologique américain doit être suivi d’une usure soviétique. Avec la « guerre des étoiles » et les options contre-forces nucléaires d’une part et la doctrine FOFA (pour l’Europe)[52] ainsi que la doctrine Weinberger[53] d’autre part, les USA des années quatre-vingt s’engagent dans une stratégie duale de nature indirecte en temps de paix et directe en temps de guerre[54]. C’est dans ce contexte qu’apparaît une escalade horizontale explicitée dès 1981[55] et approfondie tout au long de la décennie, et qui « part du concept que la perspective d’une bataille avec les Etats-Unis ou un autre pays allié de concert avec la probabilité de voir la guerre s’étendre à d’autres théâtres stratégiques, constituent l’élément dissuasif le plus sûr contre l’agression soviétique. Même si l’ennemi attaquait à un seul endroit, nous ne devrions pas choisir de répliquer à cet endroit seulement (…). Une stratégie de guerre qui défie l’ennemi sur son propre terrain, avec en plus le risque d’une contre-offensive sur l’ensemble de ses point faibles, solidifie la dissuasion »[56]. L’escalade horizontale articule ainsi les domaines politiques et stratégiques par l’affirmation de la volonté américaine de puissance dans l’ensemble des théâtres d’opérations ; les domaines doctrinaux, par la mise en évidence de la manœuvre induite par la projection de forces[57] ; des capacités génétiques et industrielles américaines offrant un catalogue de matériels à très hautes intensités technologiques. La dispersion des forces qu’induit l’escalade géographique implique l’acceptation d’un combat asymétrique qui doit être compensé par l’utilisation massive de PGM[58] et l’application du combat équationnel[59]. La rhétorique du « multiplicateur de force » est alors abondamment utilisée[60] et l’A-12 en fera partie intégrante.

La doctrine est considérée comme très offensive par la plupart des analystes. Elle implique de créer des ruptures stratégiques tout au long des frontières soviétiques et d’initier un combat de harcèlement dont la évoluant vers l’interdiction stratégique lorsqu’il visera un combat de manœuvre visant à l’élimination de la menace des sous-marins soviétiques, tout en éliminant leurs installations de soutien. A ce stade, le lien la préparation des opérations nucléaires ne peut être évité, rejoignant la tendance de l’USN à vouloir jouer un rôle dans la défense stratégique des USA. Parallèlement, privilégier des attaques ponctuelles contre des centres de gravité du dispositif soviétique se fait moins dans une optique d’anéantissement que de diversion : la simultanéité des attaques nécessite pour l’adversaire de disperser/désorganiser son dispositif et de priver un théâtre européen d’un potentiel utile[61], surtout face aux nouvelles génération d’équipements que mettait en œuvre l’OTAN à cette époque.

Si la valeur stratégique de l’escalade horizontale est plus que critiquable[62], elle permet de pallier l’érosion du containment en le renouvellant sous une forme plus militaire que politique. D’autre part parce qu’elle constitue une matrice géographique permettant l’intégration de certains secteurs stratégiques issus de décisions stratégiques prises par ailleurs. En particulier, la militarisation de l’espace, le renforcement des capacités classiques et chimiques en Europe et au sein même de l’USN[63] forment une corrélation des forces avec l’escalade horizontale.

5) Les logiques politiques internes

A la charnière entre politique, génétique et stratégie, il existe des stratégies de légitimation et de délégitimation des matériels qui s’articulent autour de deux thèmes récurrents, interdépendants et fortement liées à la culture nationale, mais aussi à des stratégies de légitimation a posteriori :

a) le besoin d’un type d’équipement particulier et qui renvoie le plus généralement à des visions culturelles nationales ou bureaucratique d’une part et perceptives de la conception de la stratégie et de la situation internationale d’autre part (« le A-12 est une réponse à un défi soviétique résurgent »). A contrario, il existe une rhétorique de délégitimation articulée sur le besoin d’autres matériels, éventuellement couplée à une appréciation concurrente de la situation internationale (« le A-12 ne réponds pas aux à l’appui-feu des troupes engagées dans les missions de maintien de la paix »). Mais les fonctions et les modalités de légitimation des équipements peuvent varier avec le temps : l’USN et les constructeurs avaient finit par élargir les missions de l’A-12 de l’interdiction à la reconnaissance ou à l’appui-feu rapproché, pour lequel il n’apparaît guère adapté[64]. La plupart des analystes avaient vu dans cette polyvalence forcée une tentative de l’aéronavale de rendre son projet incontournable dans un contexte de réductions budgétaires massives ;

b) son financement, qui sous-tends l’ingénierie qui y est associée (étalement de la production – dont bénéficia l’A-12 avant son annulation -, financements exceptionnels, compensations, partenariats internationaux) ou sa contre-ingénierie (rhétorique des coûts excessifs, des priorités plus pressantes). Dans le cas de l’A-12, l’annulation a été légitimée par les retards excessifs et l’inflation des coûts de l’appareil, pourtant systématiques dans les grands programmes aéronautiques[65] ;

c) enfin, il existe des modalités de légitimation a posteriori. Les test comme les modernisations sont porteurs d’enjeux autres que techniques. Qu’ils soient destinés à sélectionner des équipements concurrents ou à valider des choix antérieurs, ils constituent un instrument de légitimation programmatique, souvent critiqué par les professionnels[66] et qui a parfois trouvé des dénouements tragiques[67] ou coûteux[68]. Si l’A-12 n’a été testé qu’à l’état de maquette, un certain nombre d’incertitudes technologiques aurait pu invalider le programme, sauf à voir un forcing politique observé dans d’autres programmes[69]. Par ailleurs, même après avoir été testé au combat de façon satisfaisante, un équipement peut ensuite se révéler défaillant[70]. A ce moment, la modernisation peut tout autant relever d’une stratégie commerciale que de changements stratégiques ou des missions assignées à un appareil, y compris dans le cas d’un succès[71].

Ces changements s’opèrent aux niveaux politique, stratégique, opératif et tactique par des intervenants dont le nombre et la qualité est très variable. A ce stade, les sociologies politique et militaire prennent le relais pour lancer des pistes quant à l’interaction des acteurs et à leurs poids particulier dans les débats. Si les militaires sont assez généralement associés à ces discussions, leurs fonctions varient de la simple évaluation opérationnelle (qui ne garantit pas l’adoption ou le refus d’un matériel[72]) à des discussions plus larges, incluant l’évaluation de la situation internationale et l’auto-estimation des besoins. C’est plus particulièrement le cas aux USA ou en Grande-Bretagne, où achats, doctrines et évaluation de la situation internationale sont largement discutés et tirent parti d’une liberté d’expression posant la question de l’influence du système démocratique – ou à tout le moins de la culture politique – sur de telles décisions. Par ailleurs, au-delà des stricts outputs des processus décisionnels (oui ou non ; combien et quand), il existe des circuits d’influence et de feed-back dans la conception des équipements et dans leurs modernisation, et ce, à trois niveaux de la conception :

a) Au niveau stratégique de la conception ou de l’utilisation, lorsque les militaires recommandent l’adoption de solutions affectant définitivement le matériel. Les luttes d’influence entre les partisans de la spécialisation des appareils de combats (A-12 et F-18) et ceux de leur polyvalence (F-18 de seconde génération plutôt qu’A-12) en sont représentatives. Dans le courant de la vie opérationnelle d’un système d’armes, l’élargissement des missions d’un appareil tel que le F-14 de la défense aérienne à l’interdiction est tout autant de nature stratégique, dans la mesure où la capacité de frappe d’un seul porte-avions s’est trouvée accrue. S’il s’agissait aussi pour l’US Navy, en attendant les F-18E, de pallier les conséquences de l’abandon du A-12[73], il lui fallait aussi maintenir une capacité de frappe embarquée au moment où le retrait des A-6 réduisait considérablement la capacité de frappe d’un porte-avions[74] ;

b) Au niveau opératif, de nombreux systèmes et sous-systèmes d’un équipement peuvent résulter de débats internes ou externes aux forces et impliquer des réseaux d’influence[75]. L’adoption de la furtivité aux appareils de combat, par extension la disposition d’une soute à armements interne et corrélativement, l’utilisation de PGM permettant de rentabiliser le nombre d’armes plus faibles emportés par un appareil en sont un exemple. Dans le courant de leur vie opérationnelle, la plupart des modernisations n’affectant pas la nature des missions mais élargissant les capacités propres d’un appareil peuvent en relever[76].

c) Au niveau tactique, lorsque les opérateurs envisagent la modification d’équipements durant leur conception ou leur vie opérationnelle en fonction de l’expérience acquise et transmise au constructeur[77].

6)Synthèse

Si les cultures stratégiques (ou de sécurité) constituent des outils reconnus et appréciés et que la culture technologique reste insuffisamment utilisée dans son apport aux premières, ils présentent quelques fois des limites. En particulier, l’articulation entre innovation technologique et intégration de celle-ci au sein des différentes acceptions de la culture semble mal comprise. Gray, en reconnaissant l’orientation technologique des USA souligne en même temps qu’ils envisagent le progrès de façon évolutive et essentiellement linéaire, en raison de conflits de compétence et d’intérêt entre les Administrations successives d’une part et au sein de la communauté des organisations militaires d’autre part[78]. A l’aune de la pratique, l’assertion est relative : le B-2, qui devait originellement constituer l’épine dorsale de la composante pilotée de la dissuasion américaine, induisait un saut technologique majeur dont l’A-12 constituait le prolongement naval. Tous deux capables d’opérer seuls au-dessus d’un environnement hostile, il simplifiaient considérablement le SIOP (Strategic Integrated Operation Plan)[79] ; la programmation des opérations[80] ; permettaient une limitation de l’amplitude de l’escalade[81] et plus généralement, élargissaient les options de combat disponibles[82], autant de tendances lourdes de la culture nucléaire américaine[83]. C’est tout aussi vrai en ce qui concerne des détails génétiques tactiques (les performances des radars), mais montre aussi un certain nombre de ses limites, dont le conflit entre des tendances culturelles dont il est difficile de déterminer la hiérarchisation[84]. Par ailleurs, on ne peut voir dans l’émergence de la furtivité comme composante centrale de l’aviation militaire contemporaine la seule résultante d’un déterminisme technologique ou d’une tendance culturelle à la limitation des pertes. Les décisions de l’Administration Reagan en matière de développement d’une escalade horizontale[85], répondant partiellement à une culture spécifique[86], ont directement contribué à créer la demande d’un appareil tel que l’A-12. Si sa fiabilité avait été avérée et s’il avait été adopté par l’USAF[87], l’A-12 aurait induit une plus grande souplesse dans la planification[88] des opérations et d’un accroissement global des capacités d’attaques. A l’instar de l’USN, la culture de l’USAF n’aurait pas connu de bouleversement par l’introduction de l’A-12[89], confirmant des tendances antérieures.

On le voit assez rapidement, la relativité de l’instrument culturel en tant qu’instrument explicatif des évolutions génétiques impose une vision plus large et utilisant les instruments « classiques » de la stratégie, comme ses principes. Si leur définition continue d’alimenter des débats théoriques très riches dont ce mémoire ne peut rendre compte exhaustivement, force est aussi de constater que leur application à la technologie militaire montre une adéquation certaine.

[1] Weigley, R., The american way of warfare, McMillan, New-York, 1973.

[2] D’autres exemples sont cités par H. Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, op cit.

[3] D’abord développé en sociologie avant de se voir transposé en science politique, le concept cherchait initialement à cerner les matrices d’intégration/exclusion d’une communauté disposant de symboles propres. Badie, B., s.v. « culture » in Hermet, G., Badie, B., Birnbaum, P. et Braud, P., Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, op cit. Sur la culture (et approche socio-anthropologique) : Geertz, C., The significations of culture, Basic Books, New-York, 1973 et (dans une vision politologique), Badie, B., Culture et politique, 3ème Ed., Economica, Paris, 1993.

[4] Snyder, J.L., The soviet strategic culture : implications for limited nuclear operations, Project Air Force R-2154AF, Rand Corp., Santa Monica, 1977.

[5] Par exemple pour l’Inde et le Japon. Peter Rosen, S., India and its army, societies and military power, Oxford University Press, Oxford, 1996 ; Edgerton, R.B., Warriors of the rising sun. A history of the Japanese military, Norton, New-York, 1997.

[6] « a set of attitudes and beliefs held within a military establishment concerning the political objective of war and the most effective strategy and operationnal method of achieving it ». Klein, Y., « A theory of strategic culture », Comparative Strategy, Vol. 10, n°2, January-March 1991.

[7] « (…) refers to a nation’s tradition, values, attitudes, patterns of beheaviour, habits, symbols, achievements and particular way of adapting to the environement and solving problems with respect to the threat or use of force ». Booth, K., « The concept of strategic culture affirmed », cité par Krause, Keith, op cit., p. 21.

[8] Booth K., Strategy and ethnocentrism, Croom Helm, London, 1979.

[9] Notamment par une certaine virulence de l’ouvrage. Par ailleurs, suivre Booth reviendrait à risquer un relativisme culturel permettant de légitimer toute action de la part de l’adversaire et d’excuser son eventuel comportement belliqueux. Bozeman A.B., « Books reviews – Strategy and ethnocentrism », Survival, July-August 1980, cité par Wasinski, C., op cit.

[10] L’auto-perception des Etats de leur culture stratégique a été mise en évidence par Colin Gray. Gray C.S., « Comparative strategic Culture », Parameters, Winter 1984.

[11] Ce qu’un C. Gray, très « dur » dans son approche de la guerre froide reconnaîtra, comme la plupart des auteurs. Lord Carnes, en listant certaines variables plutôt que d’autres tends à pousser le concept vers une opérationnalisation à outrance. Dans le sens inverse, ratisser le plus largement afin de prendre en compte l’ensemble des données dans l’analyse induit un risque de noyade de l’objet face auquel Y. Klein ne peut qu’appeler à la raison et au discernement entre l’essentiel et l’accessoire. Klein, Y., « A theory of strategic culture », op cit.

[12] « Different coutumes and regions approach to key issues of war, peace and strategy from perspectives wich are both quite distinctive and deeply rooted, reflecting their different geostrategic situations, resources, history, military experience and political belief. These factors influence how a country perceive, protects and promotes its interests and values with respect to the threat or use of force. » Krause, Keith, op cit, p. 11.

[13] C’est notamment le cas chez Stephen Peter Rosen.

[14] Gray C.S., « Comparative strategic Culture », op cit.

[15] Sapir, J., « Information, décision, coordination : enseignements de l’histoire militaire pour l’économiste », in Henninger, L., Histoire militaire et sciences humaines, op cit., p. 129.

[16] Il rejoint en cela les sociologues militaires, mais aussi des travaux tels que ceux d’Edward Luttwak sur la concurrence entre les composantes des forces armées. Sapir, J., « Information, décision, coordination : enseignements de l’histoire militaire pour l’économiste », op cit. et Luttwak, E. D., The Pentagon and the art of war, Simon & Schuster, New-York, 1984. L’angle des rivalités bureaucratiques dans l’explication du decision-making en politique étrangère, dans la conduite des opérations ou en stratégie génétique est riche s’épanouissant dans les travaux de Graham Allison. Il définit trois modèles de decision-making : rationnel, organisationnel et bureaucratique. Allison, G., Essence of decision. Explaining the cuban missile crisis, Harper Collins, Harvard, 1971 et P.M Carpenter, op cit.

[17] Ainsi que les applications terrestres et navales d e la furtivité. C’est toutefois en aviation qu’elle est la plus visible.

[18] Le développement des défenses aériennes soviétiques, les pertes encourues lors de la guerre du Vietnam mais aussi les pertes israéliennes lors de la guerre du Kippour ont créé une réelle perception d’infériorité des Etats-Unis. Au surplus, des estimations quant à une augmentation de potentiel de 300% des capacités aériennes soviétiques ou les estimations du général Close sur les capacités de mobilisation terrestres de l’Armée rouge ont contribué au remaniement de la doctrine US et au développement de l’art opératif. Grasset, P., La drôle de détente, Coll. « Actualité », Vokaer, Bruxelles, 1979.

[19] Les appareils furtifs emportent leurs armements dans des soutes internes de sorte que les angles extérieurs, qui reflètent les ondes radars, soient minimisés.

[20] Que révèlent généralement assez bien des études comparatives menées sur des matériels spécifiques : Chassillan, M., Les chars de combat en action, Raids Hors-Série n°3, Histoire & Collections, Paris, 2001 ; Chassillan, M., Les chars de combat en action. 2ème partie, Raids Hors-Série n°5, Histoire & Collections, Paris, 2002 ; Cécile, J-J., « Le char russe T 80U », Raids, n°110, juillet 1995 ; Debay, Y., « Le chasseur de chars suédois IKV 91 », Raids, n°129, février 1997.

[21] Nous pouvons citer Jacques Sapir. L’objet de son ouvrage était de dresser un tableau de l’Armée rouge alors qu’elle était entrée dans une phase de « révolution technico-militaire ». Loin de se focaliser sur les aspects techniques – qu’il utilise pour démentir une partie des mythes sur la puissance soviétique -, il parvient à donner des éléments importants de ce qu’il définira plus tard comme « culture technologique ». Sapir, J., Le système militaire soviétique, La Découverte, Paris, 1988.

[22] Caplow, T. et Vennesson, P., Sociologie militaire, op cit., p. 81.

[23] Eyre, D.P. and Suchman, M.C., « Status, norms and the proliferation of conventionnal weapons : an institutionnal theory approach » in Katzenstein (Ed.), The culture of national security. Norms ans identity in world politics, Columbia University Press, New-York, 1996 et Promé, J-L., « Confrontation indo-pakistannaise : le spectre du conflit nucléaire », Raids, n°190, mars 2002.

[24] Possony, S.T.; Pournelle, J.E. ; Kane, F.X., The strategy of technology, op cit.

[25] Ce qui, à décharge, est dû en bonne partie à la fonction de l’ouvrage, utilisé dans les années septante et quatre-vingt dans les académies militaires américaines. Soulignant que leur travail conserve sa validité, les auteurs ne l’ont que très légèrement adapté, par des préfaces successives, et n’ont donné d’exemple plus récent que le cas du B-1.

[26] Twining D.T., « Soviet strategic culture – the missing dimension », Intelligence and National Security, January 1989 et Klein, Y, op cit.,

[27] Moller, B., Dictionnary of alternative defense, Lynne Rienner/Adamantine Press, Boulder/London, 1995 ; Faivre, M., « Défenses alternatives. II – D’autres formes de défense », Défense nationale, octobre 1984 ; Singh, J., « NOD with special reference to India and Southern Asia », NOD and Conversion, n° 33, July 1995 ; Wiliams, R., « Non Offensive Defence and South Africa. Considerations on a post-modern military, mission redefinition and defensive restructuring », NOD and Conversion, n°37, July 1996.

[28] Comme par exemple : Quester, G.H., Offense and defense in the international system, John Wiley, New-York, 1977.

[29] Y compris des réalistes comme Kissinger. Dans un registre optimiste, plusieurs réalistes ont vu dans l’arms control la possibilité de mener une manœuvre stratégique, que nous pourrions définir comme une manœuvre génétique.

[30] Brennan, D. G., Arms control, disarmament and national security, Braziller, New-York, 1961 ; Gray, C. S., The soviet-american arms race, D. C. Heath, Lexington, 1976 ; Halperin, M. H. and Schelling, T. C., Strategy and arms control, Pergamon/Brasseys, Oxford, 1985 ; Klein, J., Sécurité et désarmement en Europe, IFRI-Economica, Paris, 1987.

[31] J-M. Lavieille en vient ainsi à évacuer complètement le facteur politique et à construire toute son argumentation sur une série d’éléments économiques et technologiques présentés comme déterminants. Lavieille J-M., Construire la paix. Tome 1 : les armements détruisent l’humanité, Editions sociales, Lyon, 1988.

[32] En témoignent les vives controverses académiques sur l’utilité d’un arms control qui contribuerait en fait à affaiblir les Etats-Unis dans un contexte où, selon Gray, ce ne sont pas les armements qui posent problème, mais les décisions politiques de les employer. Contre Bull et Halperin, Gray arguera aussi de l’inanité même d’un concept de course aux armements qui lui semble artificielle. Gray, C.S., « Nuclear strategy: What is true, what is false, what is arguable », Comparative Strategy, Vol.9, n°1, 1990. et Géré, F. (Dir.), Les lauriers incertains. Stratégie et politique militaire des Etats-Unis 1980-2000, Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, Paris, 1991.

[33] La possibilité qu’avait l’Avenger II d’être ravitaillé en vol et d’emporter un minimum de deux armes nucléaires tactiques (une capacité courant en aviation de combat) lui donnait une autonomie et une capacité de frappe supérieure au missile de croisière. Dans le même temps, la disposition d’un radar et de systèmes de communications appropriés donnait à l’A-12 une capacité d’attaque d’objectifs mobiles alors que les missiles de croisière n’en étaient pas capables.

[34] Dès la Corée, au Vietnam et dans leur confirmation de plate-forme de lancement de missiles de croisière conventionnels par les Américains, mais aussi en Afghanistan par les Soviétiques.

[35] Du moins pour ce qui concerne les Etats disposant d’armées à forte intensité technologique. La charge génétique du dilemme de la sécurité dans lequel se trouvait le Vietnam juste avant l’intervention chinoise est incomparablement moindre que celle du dilemme dans lequel étaient engoncés au même moment l’OTAN et le Pacte de Varsovie. Boskma, P. and van der Meer, F-B., « Trends in military technology » in Barnaby, F. and ter Borg, M., Emerging technologies and military doctrines : a political assessment, St Martins, New-York, 1986.

[36] Canby, S., « The quest for technological superiority – A misunderstanding of war ? », op cit.

[37] Application en politique internationale du schéma d’action-réaction, le dilemme de la sécurité apparaît lorsque les actions d’un Etat ou d’une alliance A poussent à faire croire à un Etat ou à une alliance B que sa sécurité est menacée, de sorte que la perception des intentions adverses y est centrale. La théorie s’est essentiellement développée durant la guerre froide, bien que plusieurs auteurs trouvent dans l’histoire européenne des 18ème et 19ème siècle de nombreux exemples d’un tel dilemme. Pour un aperçu général du sujet : Möller, B., s.v. « Security dilemma », Dictionnary of alternative defense, op cit. et Collins, A., The security dilemma and the end of the cold war, Keele University Press/St Martin’s Press, New-York, 1997.

[38] A titre d’exemple, la mobilité des blindés comme la logistique est partiellement conditionnée par les voies de communication, par la topographie, tout comme par les conditions climatiques (il faut plus de 40cm de glace pour qu’un char de bataille passe en sécurité sur une coupure mouillée gelée). Le passage d’un navire dans une passe est conditionnée par son tirant d’eau, un avion de combat nécessite des pistes en état..

[39] Panofsky, W., « La science, la technologie et l’accumulation des armements », in Lellouche, P., Science et désarmement, IFRI, Paris, 1981.

[40] « The natures of both technology and the ennemy dictates that this will a be state (sic) of Technological War ». Possony, S. T.; Pournelle, J. E. ; Kane, F. X., op cit.., p. 8.

[41] « It is futile and dangerous to base modern strategy on an analysis of the intentions of the ennemy. The modern strategist must be concerned with the present an future capabilies of his opponent, not with hopes and dreams about his goals ». Possony, S.T.; Pournelle, J.E. ; Kane, F.X., op cit.., p. 10.

[42] Par la liaison faite entre modèles capacity-based et postures objectives (positionnant la dissuasion par rapport à tout adversaire potentiel – comme dans le cas de la théorie nucléaire française) et des modèles threat-based relevant de postures réactives (soumises à une confrontation en particulier – les cas américains et soviétiques).

[43] C’est notamment le cas pour ce qui concerne un rapport à l’information devant permettre la supériorité stratégique dans le traitement des situations asymétriques (préclusion). Bédar, S., « La stratégie américaine entre libéralisme globalisé et militarisation », in GRIP, Les Etats-Unis s’en vont-ils en guerre ?, Coll. « Les livres du GRIP » n°249-250, GRIP/Editions Complexe, Bruxelles, 2000 et Bédar, S., « La réforme stratégique américaine : vers une révolution militaire ? », op cit.

[44] Traditionnellement, les présidents américains fixent les objectifs de leurs forces et le développement de l’A-12 correspondait à l’époque où les forces US devaient engager deux conflits majeurs et un conflit limité dans le même temps.

[45] Ayache, G. et Demant, A., op cit, p. 96.

[46] Les Pershing II et SS-20 affichaient des performances très différentes et n’étaient pas destinés au traitement des mêmes cibles mais le premier était politiquement légitimé par la présence du second et cette légitimation a sans doute permis leur retrait. Tatu, M., La bataille des Euromissiles, Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, Paris, 1983.

[47] Ce qui peut apparaître comme un mauvais usage d’un appareil trouve en fait une origine historique avec l’utilisation d’A-6 mais aussi de B-52 durant la guerre du Vietnam, mais aussi contre des concentrations irakiennes en 1991. Un tel emploi relève selon Possony et Pournelle du concept de surprise technologique tactique.

[48] O’Brien, K. and Nusbaum, J., « Intelligence gathering asymmetric threats – Part one », Jane’s Intelligence Review, 12 October 2000.

[49] En URSS, la volonté de conserver plusieurs bureaux d’études capables de concevoir des appareils d’attaque au sol a ainsi abouti à la mise en service con concomitante du Mig-27 (Mig-23BN) Flogger et de la famille Su-17, 20 et 22 Fitter. Alexander l’explique par les théories bureaucratiques. Alexander, A.J., Decision-making in soviet weapons procurement¸Adelphi Papers, n°147, IISS, London, 1978-9.

[50] Soppelsa, J., Géographie de l’armement, Coll. « Géographie », Masson, Paris, 1980. Dans une optique quelque peu différente, plusieurs économistes démontrent le rôle régulateur des dépenses de défense (entre-autres Galbraith, J.K., La paix indésirable. Rapport sur l’utilité des guerres, Calmann-Lévy, Paris, 1982).

[51] Les retombées technologiques positives des programmes militaire dans le domaine civil (Spin-off) ou de ce dernier vers les capacités militaires (spin-on) constituent tout un pan du débat sur le rapport entre technologie et stratégie, mais qui reste d’une utilité marginale et essentiellement légitimatrice des programmes dans le cadre d’une vision de nature génétique. Welch, T.J., « Technology change and security », Washington Quarterly, Vol.13, n°2., 1990 et Hughes, D., « Defense Dept. must exploit commercial technology », Aviation week & Space technology, Vol. 23, n°5, 24 December 1990.

[52] Le Follow-On Forces Attack est l’application par le général Rodgers de la doctrine AirLand Battle. FOFA vise directement le second échelon des forces adverses en mettant en évidence la manœuvre sur ce qui n’est plus considéré comme un front mais bien comme une frange avancée de la zone de bataille (FEBA – Forward Edge of the Battle Area).

[53] Enoncée le 28 novembre 1984 par le secrétaire à la défense, cette doctrine subordonne tout engagement militaire des USA à (1) la mise en cause de l’intérêt vital des USA ; (2) l’engagement de forces suffisantes pour vaincre ; (3) elles doivent suivre un objectif politique bien défini ; (4) la réévaluation permanente de l’articulation entre fins et moyens ; (5) aux soutien de la population américaine ; (6) la considération que tout engagement constitue un dernier recours. Boyer, Y., Les forces classiques américaines, structures et stratégies, Coll. « Les sept épées », FEDN, Paris, 1985.

[54] Un type d’approche souligné comme traditionnel par Weigley, R. F., op cit.

[55] Pratiquement, l’escalade horizontale remonterait selon C-P. David à une réflexion entamée par le Conseil National de Sécurité dès 1974 et visant la redéfinition des rôles de la marine.

[56] David, C-P., « Le culte de l’offensive », op cit., p. 293.

[57] La vision est compatible non seulement avec le FM-100.5 de l’armée mais aussi avec les doctrines du Corps et de l’Air Force, et finit par les encadrer en définissant un cadre géographique. Toutefois, l’approche manœuvrière qu’elle induit se heurte à la vision de l’USMC, plus traditionnellement axée sur l’usure.

[58] Par ailleurs critiquée. Steven Canby arguera que les problèmes de l’OTAN ne seront pas solutionnés par la disposition de PGM mais par plus de volonté politique et par la disposition d’un nombre d’hommes et d’unité de réserve suffisantes. Canby, S., « Les limites opérationnelles des nouvelles technologies », Revue Internationale de Défense, n°6, 1985.

[59] Suivant lequel une munition tirée doit neutraliser une cible adverse.

[60] Notamment dans toutes les contributions ayant trait à l’usage de la technologie au niveau opérationnel. J. Mearsheimer souligne notamment la complémentarité de la technologie avec des facteurs tels que la connaissance du terrain. Mearsheimer, J., « Precision guided munitions and conventionnal detterrence », Survival, Vol. XXI, n°2, March/April 1982. Mearsheimer, J., « Why the soviets can’t win quickly in Central Europe », International Security, n°1, Summer 1982.

[61] Dans cette optique, la corrélation des forces devant permettre un soutien mutuel entre les différents théâtre d’opérations soviétiques – une logique d’appui fortement soulignée depuis Ogarkov – devait s’effacer devant la logique du harcèlement, laquelle impose en outre la surcharge d’une capacité de commandement soviétique considérée comme très centralisée

[62] En particulier, l’engagement de troupes loin de leurs bases principales du temps de paix et la dispersion des moyens de l’USN que la doctrine sous-tends. Bien que compensée par de massifs investissements technologiques dont l’A-12 fera partie intégrante à la fin de la décennie, l’ensemble est basé sur un calcul stratégique qui repose sur des hypothèses mathématiques et des ratios où les USA où le facteur attrition pourrait se révéler décisif pour la marine sans qu’il puisse être véritablement chiffré. Les nouveaux sous-marins soviétiques font peser une menace directe sur les convois approvisionnant en armements lourds les théâtres d’opérations, sans encore compter la possibilité que les Soviétiques ne mènent une attaque préemptive sur les moyens classiques alors que ceux-ci ne sont pas encore entrés en action. Enfin, l’hypertrophie de la stratégie classique au travers de l’escalade horizontale ne peut occulter la possibilité que les Soviétiques ne répliquent au moyen d’armes nucléaires. Eloignées de leur pays, les forces amphibies sont extrêmement vulnérables. Les groupes aéronavals ont une autonomie défensive plus importante, dans les trois dimensions de la guerre navale (aérienne, de surface et sous-marine), mais que faire face à une attaque nucléaire de saturation ?

[63] Pour elle, les années 80 sont aussi celles de la poursuite des programmes Nimitz (porte-avions géants), Ticonderoga (croiseurs anti-aériens), Virginia (croiseurs nucléaires), Spruance (destroyers anti-sous-marins), Arleigh Burke (destroyers anti-aériens, à partir de 1987-88), Los Angeles (sous-marins nucléaires de chasse), Ohio (sous-marins nucléaires lance-engins), de la modernisation des cuirassés Iowa (dotation en missiles de croisière) et de l’aéronavale. Les A-7, trop lents, sont remplacés par des F-18, les F-14 continuent d’entrer en service, les hélicoptères de lutte ASM SH-60 entrent en service et les P-3 Orion sont modernisés. Au surplus, l’USMC bénéfice de nouveaux porte-hélicoptères amphibies (classe Tarawa), de transports de docks (classes Anchorage et Widhbey Island) et surtout, bénéficient des aéroglisseurs lourds LCAC qui leurs permettent de mener leurs attaques d’« au-delà de l’horizon ».

[64] Une configuration en aile delta rends le vol à basse altitude très inconfortable, alors qu’une aile volante a une pilotabilité limitée sans compensation automatique des calculateurs. Il est possible qu’une modernisation de ces derniers ait pu être programmée, de sorte que plusieurs versions (ou « Blocks ») soient entrées en service au gré des percées.

[65] Collet, A., Armements et conflits contemporains de 1945 à nos jours, op cit.

[66] Souvent en raison des conditions de tests qui ne répondraient pas à la réalité opérationnelle.

[67] Le F-111 devait être le principal appareil d’attaque de l’USAF. Après que ses tests se soient correctement déroulés suivant les critères de l’USAF, son engagement au Vietnam dès 1968 a donné lieu à plusieurs crashs. Après une interdiction de vol, l’appareil est retourné en première ligne dès 1972. Ingram, D.U., « F-111 swing wing bomber », Carnets de Vol, n°74, novembre 1990.

[68] Dans le cas du B-1B, le constructeur a systématiquement minimisé ses problèmes d’avionique de combat, qui le rendaient incapable d’accomplir ses missions (pénétration stratégique à basse altitude et à haute vitesse de l’URSS). L’USAF a lancé plusieurs programmes palliatifs mais l’appareil n’a été utilisé pour la première fois au combat qu’en 1993, alors qu’il était entré en service en 1986. Armées & Défense, « B-1B. Entre le B-52 et le B-2 », Armées & Défense, n°3, février 1990.

[69] Le cas du B-1 autant que celui du F-111 ont en été exemplaires.

[70] C’est notamment le cas de l’hélicoptère AH-64. Disposant d’un taux de disponibilité assez bon dans le Golfe et crédité de nombreuses opérations, il a connu plusieurs crashs durant la campagne du Kosovo.

[71] Le F-16 est exemplaire. De chasseur diurne, l’appareil s’est transformé en un puissant chasseur multi-rôle aux capacités d’interdicteur : le Block 60 a un rayon d’action et une charge accrus (réservoirs conformaux plutôt que pendulaires). Hewson, R., « UAE F-16 Block 60 details », Air Forces Monthly, n°166, January 2002 ; Mungo, A-M. et Henry de Frahan, A., « F-16 fighting falcon. La saga du succès continue en 1995 », Défense 2001, n°5, avril 1995 et Gething, M.J., « Fighting the falcon into the 21st Century. F-16 evolution and upgrade », Air International, Vol. 52, n°4, April 1997.

[72] Dans le cas belge, la Force Aérienne s’était prononcée en faveur de l’équipement de guerre électronique Loral Rapport III pour équiper ses F-16 de contre-mesures électroniques. Pratiquement, c’est l’équipement Dassault Carapace qui a été choisi. Mungo, A-M. et Van Hertum, S., « Le carapace est validé sur F-16 », Défense 2001, n°5, avril 1995.

[73] Kromhout, G., « Tomcat renaissance », Air Forces Monthly, n°159, June 2001.

[74] Krausener, J-M., « L’aéronavale américaine en 1995 », Défense 2001, n°6, mai 1995.

[75] Deux auteurs britanniques utilisent l’interface entre des réseaux global (en fait politique) et local (surtout technique) en tant que modalité d’explication du développement de l’appareil TSR-2, dans les années cinquante. Law, J. and Callon, M., « Engineering and sociology in a military aircraft project : a network analysis of technological change », Social problems, n°35, June 1988.

[76] La modernisation des Tornado GR-1 britanniques au standard GR-4 améliore leurs capacités de combat tout-temps et de nuit et renforce certains composants fatigués en même temps qu’elle élargit sa panoplie d’armements. Hunter, D., « Tornado GR.4. The next step », Air Forces Monthly, n°161, August 2001.

[77] A titre d’exemples, le renforcement des réservoirs d’huile dans la conception de l’AH-64 réponds aux leçons de l’expérience vietnamienne et les tuyères plus longues des A-4 israéliens répondent à l’expérience des missiles portables SA-7. Ces modernisations sont d’ailleurs souvent menées par les militaires eux-mêmes.

[78] Gray, C.S., « Comparative strategic culture », op cit.

[79] Le SIOP est la liste des cibles adverses et des scénarios de guerre nucléaire. Géré, F. (Dir.), Les lauriers incertains. Stratégie et politique militaire des Etats-Unis 1980-2000 et Lortie, B., « A do-it-yourself SIOP », Bulletin of the Atomic Scientists, Vol. 57, No. 4, July/August 2001.

[80] Notamment en limitant les missions SEAD stratégiques. L’utilisation stratégique d’un appareil tel que le B-52 nécessitait le dégagement de couloir de pénétration dans l’espace aérien soviétique, nécessitant des moyens d’aide à la pénétration.

[81] En réduisant considérablement le nombre de têtes nucléaires utilisées contre les moyens défensifs soviétiques.

[82] Une des grandes tendances historiques de la stratégie nucléaire américaine est de s’aménager les marges de manœuvre stratégiques les plus larges possibles. Des appareils comme le B-2 et l’A-12 étaient tout autant capables de traiter des cibles « molles » que « dures », démographiques comme militaires. Par ailleurs, L’USAF comme l’USN désiraient des appareils capables de traiter les missiles mobiles soviétiques SS-24 et SS-25, de sorte qu’ils devaient être dotés de radars spécifiques. Brower, M., « Targeting soviet mobile missiles », Survival, September-October 1989.

[83] Gray, C. S., Nuclear strategy and national style, Hamilton Press-Abt books, Lanham, 1986.

[84] L’adoption du canon allemand de 120mm pour le M-1 peut être vue comme l’opposition de deux tendances : l’origine américaine des programmes majeurs derrière laquelle se cache la vision d’un Hamilton voyant en l’industrialisation la possibilité d’une autarcie d’une part et la recherche systématique du firepower d’autre part. Si ce dernier l’a emporté, la question reste aussi de savoir dans quelle mesure la culture particulière de l’US Army n’a pas réduit la portée de la réticence aux importations d’une part et, à un niveau plus élevé, quelle est la part exacte jouée par la recherche des solutions les plus pragmatiques d’autre part. Colson, B., « la culture stratégique américaine et la guerre du Golfe », Stratégique, n°51/52, 1991-3/4 et Libicki, M.C., What makes industries strategic ?, Mc Nair Papers n°5, INSS, Washington, 1998.

[85] David, C-P., «Le culte de l’offensive » in David, C-P., (et collaborateurs) Les études stratégiques : approches et concepts, op cit.

[86] La tendance au messianisme politique américain s’est doublée d’une culture de l’interventionnisme militaire. Toutefois, l’impact de cette culture doit être relativisée dans le temps. Depuis la doctrine Monroe, les Etats-Unis ont oscillé entre isolationnisme et interventionnisme. A ce stade, la centralité de la décision politique ne saurait être évacuée.

[87] Il semble qu’elle ait désiré remplacer ses F-111 par une version terrestre baptisée « F-24 » de l’Avenger II. Bien que ce projet ait effectivement été officialisé, il n’existe aucune preuve que la désignation de F-24 ait été adoptée.

[88] Furtif, il n’aurait pas eu besoin d’un accompagnement antiradar, d’une capacité de supériorité aérienne (il devait disposer d’une telle capacité) ou d’appareils de ravitaillement en vol.

[89] Depuis la fin des années 50, la spécialisation des équipements est devenue aussi nette dans l’USAF qu’elle ne l’était dans l’USN. Par ailleurs, l’adoption d’appareils issus de programmes navals est une constante (programmes A-7 et F-4) pour l’USAF (l’inverse n’étant pas vrai pour des raisons techniques de résistance structurelle des appareils).

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