Le commandant Farcy, ses canonnières et ses idées prospectives (1)

1869-1889

Eugène Farcy a la vocation maritime. Embarqué à neuf ans sur le navire-école l’Oriental, il fait naufrage au large de Valparaiso. Reçu à l’Ecole navale à 15 ans, il est classé 49ème et fait une carrière maritime assez moyenne. En 1851, il est enseigne de vaisseau sur la Jeanne d’Arc aux ordres du C.V. Jaurès. Lieutenant de Vaisseau en 1859, il sera Capitaine de Frégate en 1873 seulement.

Dès 1852, il se fait remarquer pour son goût de la mécanique. Il invente en effet en 1852 un indicateur à sonneries pour transmettre les signaux dans les soutes, en 1859 un moteur à nageoires, en 1862 une canonnière-cuirassée, en 1863 une hélice-évolueuse-gouvernail, en 1866 un modèle de transformation du fusil Chassepot, en 1869 enfin la canonnière qui porte d’abord son nom. Malgré un avis défavorable du Conseil des travaux de la Marine, la canonnière est mise en chantier en 1869 sur ordre de Napoléon III. Construite à St Denis en 5 semaines par les ateliers Claparède, elle ne coûte que 25.000 fra,ncs.

La canonnière est un affut flottant de 15m sur 4m,60; elle déplace 44 tonneaux et ne cale qu’un mètre d’eau, ce qui lui permet de passer au dessus des torpilles ennemies, et de toucher la côte a à peu près partout. Naviguant sans roulis ni tangage, elle est rendue insubmersible par des caissons étanches. Son avant est armé d’un éperon. Sa vitesse est de 6,5 noeuds; ses deux machines développent 40 chevaux et actionnent deux hélices dont l’une permet de tourner sur place. Son artillerie consiste en un canon de 240, lançant des obus de 100 kgs; il est muni d’un système de frein qui limite son recul à 40 cm. L’équipage est de dix hommes dont le commandant.

En 1869 le commandant Farcy obtient une récompense de l’Amiral de la Gravière  » pour les ingénieux travaux auxquels il n’a cessé de se livrer ». A la suite des essais effectués à Cherbourg,, le ministre de la Marine Rigault de Genouilly estime alors que la canonnière résoudra l’important problème de la défense et de l’attaque dans les rades et rivières. Elle est alors commandée par le Danemark.

Dès le début de la guerre de 1870, Eugène Farcy se démène pour obtenir que sa canonnière participe aux combats. Une dépêche du ministre s’y oppose : « n’armez pas la canonnière ». Farcy fait intervenir Edmond About, qui crie à la trahison dans le journal Le Soir. La canonnière est alors rattachée à la flottille de la Seine, qui comprend le yatch Puebla et 8 canonnières du type Estoc. Commandant la flottille, le CV Thomasset, un marin d’élite, met son pavillon sur la canonnière et donne à Farcy le commandement d’une autre canonnière, moins maniable. Au cours de la seconde quinzaine de septembre, la flottille remonte la Seine de Javel à Bercy, et tire tout ce qu’elle peut sur l’ennemi de Sèvres et Meudon. Mais en novembre, six canonnières sont désarmées et livrent leurs canons aux batteries des forts. Il en reste trois, dont la Farcy qui causent de lourdes pertes aux Prussiens sur la Seine, à St Denis et Choisy-le-Roi et sur la Marne à Champigny. Mais le 15 décembre, elles sont prises dans les glaces le long de l’Ile aux Cygnes, où les Parisiens viennent les admirer. Après qu’un bataillon de mobiles eut brisé la glace qui la retenait, le journal de Victor Hugo demande qu’elle reprenne le combat et qu’elle poursuive l’ennemi jusqu’au Rhin (sic).

Mais ce sont les Fédérés qui vont s’en emparer le 18 mars. Baptisée Liberté et confiée à un marinier, elle va bombarder les Versaillais aux Moulineaux, sans grand succès selon les uns, avec des pertes considérables selon d’autres. Elle revient ensuite à l’ile aux Cygnes . En mai une nouvelle flottille de la Seine reprend le combat contre les Fédérés à partir de Rueil; elle est rejointe par la seconde Farcy, baptisée la Mitrailleuse. La flottille remonte la Seine jusqu’à Bercy, où trois marins sont tués. Le 28 mai la Commune est vaincue. La Liberté prend le nom de Revolver. Entre temps le lieutenant de Vaisseau Farcy a été élu député du 15ème arrondissement; il siège à gauche de l’Assemblée.

En novembre 1883, le député Farcy demande au ministre que ses canonnières soient envoyées au Tonkin, où elles rendront les plus grands service. En avril 1884, nos deux canonnnières remises à neuf avec des pièces de 140 sont donc transportées en baie d’Along, à la disposition de l’amiral Courbet (2). Elles font 22 fois le voyage d’Hanoï à Tuyen-Quan par la Rivière Claire, pour ravitailler les unités de Légion. En octobre Tuyen-Quan est attaquée par 10.000 Pavillons noirs. Du 13 octobre au 16 novembre, 24 attaques sont repoussées par la garnison du commandant Dominé, grâce à l’appui de la Mitrailleuse. Venant à leur secours, le Revolver reçoit l’ordre de franchir les rapides de Yuoc ; elle brise un barrage de jonques tenu par les Pavillons noirs, 13 de ses hommes sont tués ou blessés. La Mitrailleuse reste bloquée sous Tuyen-Quan et protège la garnison. Fin février 1885, les deux canonnières rejoignent Hanoï, elles sont désormais hors de combat. Elles seron rayées des contrôles en 1889, après 20 ans de bons et loyaux services.

Ayant pris sa retraite de Capitaine de Frégate en 1875, Eugène Farcy poursuit ses activités maritimes. Bénéficiant d’une souscription de ses amis députés, il construit une nouvelle canonnière qui ne cale que 0,60m; armée d’un canon pivotant de 140, elle atteint 8 noeuds. Il fait la démonstration de sa maniabilité en 1886 et 1887 sur La loire et sur le Rhône, applaudi par la foule. Il essaie de la cèder à l’armée de terre, le général Boulanger l’admire mais ne donne pas suite.

Eugène Farcy se fait remarquer par ses interventions à la Chambre. Dès 1871, il se prononce pour une armée nationale de 4 millions de conscrits. Il intervient contre la trahison de Bazaine, contre l’augmentation du budget, contre les gaspillages de l’Intendance. A maintes reprises, entre 1870 et 1879, il critique les lourdes cuirasses des navires et prône l’adoption de croiseurs rapides, munis de caissons étanches et armés d’une artillerie très puissante, solution qui sera adoptée en 1882. Il siège à l’extrême gauche, dont les chefs ne l’apprécient pas. Marié en 1876, il aura deux filles. Il quitte l’Assemblée en 1893 et décède à Paris, entouré de sa famille et de nombreux amis le 28 février 1910. Il a 80 ans dont 53 de services rendus à la Marine et à la France.

(1) Sources : Le Commandant Farcy et ses canonnières. L’Univers illustré. 29 octobre 1870 – Eugène Farcy, député sortant. Panthéon des lettres, des Sciences et des Arts 1893 – Pierre Jullien : Le commandant Farcy et ses deux canonnières, in Neptunia déc.1983 – P.Dufour. Les canonnières à la conquête de l’Empire, in Historia n°632, août 1999 – Articles de l’Illustration en 1969 et de Cols bleus en février 1997- Documents au Musée de la Marine :Journal de bord, rapport au général Boulanger, débats parlementaires – Fascicule de 1889 sur la canonnière (68 pages, par un officier supérieur de Marine) – témoignage de sa petite fille Raymonde Rollet (agée de 103 ans, vit à Avranches).

(2) Le 23 août, avec 4 croiseurs, 2 torpilleurs et 3 canonnières, Courbet détruit la flotte chinoise à Fou Tchéou. Il lui a manqué une canonnière légère pour détruire l’arsenal et remonter les rivières chinoises.

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