Création et évolution du 13ème RDP

Historique

Créé en 1676, baptisé Dragon de Monsieur, 13ème Dragon ou Dragon de l’Impératrice, le 13ème RDP a subi plusieurs transformations. Régiment à cheval, il est mécanisé en 1933, parachutiste en 1952 et connaît une dernière transformation : le CEMAT, général Le Pulloch, décide le 1er juillet 1963″de transformer le 13ème RDP en régiment de recherche à participation interarmes, et de lui incorporer les effectifs de la 7ème Compagnie de commandos ».

Avant d’évoquer ce que fut cette réorganisation, il convient de rappeler que ce régiment s’est illustré à Nerwinden -Valmy -Austerlitz -Iéna -Moskowa -Mars la Tour -Ypres -Verdun -Gembloux -Dunkerque -Royan et Azazga. Quittant sa garnison traditionnelle de Castres, il rejoint Nancy, puis Dieuze (Moselle) en 1963, et installe un escadron à Langenargen sur le lac de Constance.

Partant de l’excellent historique (1990) de Pierre Dufour, cette étude a bénéficié des témoignages de cinq chefs de corps et d’un officier de transmission (Bichon, Marin, Lebel, Bolelli, Faivre et Esselin ), et de la consultation des archives de l’EMAT et du CCFFA(1).

Les étapes de la re-création.

Dans les années 1950, les réflexions sur le combat en ambiance nucléaire conduisent à étudier les besoins en renseignement du corps de bataille. Un an après l’exercice Javelot II (septembre 1954), qui a pour but d’expérimenter une Brigade légère blindée, la 7ème DMR met en oeuvre lors des manoeuvres Eclair de septembre 1955 des commandos de six hommes disposant d’un Unimog et d’un émetteur C9, destinés à la recherche du renseignement tactique dans une zone de 5 à 20 km des contacts, et envisage des reconnaissances d’officiers jusqu’à 30 km de profondeur.

La recherche sur les arrières immédiats de l’ennemi est recommandée à la réunion des spécialistes du renseignement en octobre 1957, où les patrouilles profondes américaines (LRRP) sont citées en exemple.

Plus réaliste, le colonel Degas chef du 2ème Bureau de Baden, envoie à Corte en 1959 une mission de 5 officiers de renseignement, en vue d’étudier les conditions de vie en zone d’insécurité. Le rapport du chef de mission (lieutenant Faivre) fait état de l’expérience recueillie en Indochine par le GCMA et en Algérie par le 11ème Choc, en particulier en matière de cache enterrée, de camouflage des liaisons, et des relations à l’intérieur d’une équipe isolée.

C’est en partant de ces conclusions que la 7ème compagnie commando (capitaines Fraisse et Cunty) est mise sur pied par l’EMAT/2 à Langenargen en avril 1960. Compagnie expérimentale de renseignement à longue distance, elle dépend pour emploi et instruction du général CCFFA. Ses personnels sont brevetés parachutistes par les Allemands à Schongau.

Mises au point par la 7ème Compagnie, les procédures de vie sur les arrières et de codage des messages (type Nogard), sont recueillies par le 13ème RDP(2). En 1964-65, dans trois exercices Eugénie, sept puis seize équipes sont engagées en recherche tactique, en liaison directe avec le Corps d’armée. Les rapports du colonel de Courson font état des difficultés du parachutage en zone ennemie, et du mauvais fonctionnement des matériels radio (C9 des équipes et 399 au niveau escadron). La transmission en onde ionosphérique, à 80 bauds, mise en oeuvre par les Allemands (Fernspäh 100 à Weingarten), semble indiquer la voie à suivre.

L’armée de terre suit de près la formation du régiment. En 1965, un dossier de l’EMAT/2 sur le rôle du CA et de la Division précise la mission d’un escadron de recherche adapté au Corps d’armée, et ses délais de mise en oeuvre. L’utilisation des ondes ionosphériques à une distance de 4 à 500 km est confirmée.

En 1968 enfin, la Commission consultative permanente sur le renseignement en campagne, précise les conditions de mise en oeuvre du régiment au complet, au niveau du Théâtre d’opération. Le TTA 187 définit désormais la doctrine d’emploi du régiment, au moment où les accords Ailleret -Lemnitzer envisagent l’engagement – non-automatique – du 2ème Corps d’armée, initialement réservé, au profit de la défense de l’avant adoptée par l’OTAN. C’est l’EMA qui met en oeuvre le régiment, en attendant qu’en 1972 la 1ère Armée soit créée. Le 13ème RDP est alors mis pour emploi à la disposition de l’Armée, qui en vertu des accords Valentin-Ferber de 1975, devient la première réserve du Théâtre Centre-Europe. Un Memento d’emploi du 13ème RDP est établi par la 1ère Armée en 1983 (non consultable).

C’est dans ce cadre que désormais vont être négociées les conditions de mise en oeuvre, de coopération et de liaison du régiment avec Centre-Europe.

Ainsi est-on passé du renseignement tactique au renseignement stratégique, et du commando de recherche divisionnaire au régiment de recherche à la disposition de l’Armée. Les évolutions ultérieures découlent de cette constatation.

La mission face à l’Est (schéma 1)

La mission du régiment est d’évaluer la nature, le volume et le dispositif d’un adversaire ayant franchi le rideau de fer. Il s’agit pour le commandement français de définir la direction d’effort de l’ennemi, de donner à la 1ère Armée les délais nécessaires à son engagement, et d’évaluer les résultats obtenus par les forces en présence, et par les frappes nucléaires.

Dans ce cadre, l’engagement du Régiment est une décision politico-militaire, liée à l’engagement de la 1ère Armée. Elle pose également un problème de sécurité nucléaire.

La mission du régiment implique la connaissance des matériels et des structures soviétiques, mais aussi du dispositif et des procédures OTAN.

Ultérieurement, il sera envisagé de passer du renseignement sur itinéraires au renseignement sur zone, par des groupes de 2 équipes, ainsi qu’à l’acquisition d’objectifs ponctuels, et au guidage de missions feu aériennes. Des unités de recherche dans la profondeur sont créées au niveau Corps d’Armée (URCA).

Procédures opérationnelles.

La mise en place est envisagée par parachutage(3), par héliportage ou par dépassement.

Le régiment peut mettre en place 60 équipes, une par pénétrante, sur un rideau de surveillance de 300 km; ou de préférence sur deux rideaux espacés de 50 km. Les cellules d’observation (un officier et un observateur) et de radio (sous-officier radio et 2 h), s’enterrent à quelques centaines de mètres l’une de l’autre.

Toutes les équipes sont autonomes. Si une équipe se fait prendre, elle ne sait pas où est sa voisine. Tout est centralisé à l’arrière. Les équipes sont en mesure de renseigner 24 à 36 H après réception de l’ordre de mise en place. Les délais de transmission vont de 30 à 45 minutes.

Lancés en l’air et répétés, les messages sont reçus et enregistrés après élimination des anomalies par quatre stations directrices. Au PC du régiment, on les déchiffre et on en déduit le volume, la direction et l’identification des unités ennemies. Après traitement des informations, l’évaluation de l’ennemi est adressée à la 1ère Armée et aux autorités intéressées.

La récupération des équipes, au bout de 4 à 5 jours, peut se faire soit à l’occasion d’une avancée amie, soit par hélicoptère, soit par une exfiltration qui peut durer deux à trois semaines.

Organisation du régiment (schéma 2).

Régiment surencadré, son tableau d’effectifs s’élève à 80 officiers, 250 sous-officiers et 700 hommes du rang, soit un total de 1.140. L’encadrement interarmes comprend 45% de cavaliers, 17% de fantassins, 9,5% de transmetteurs, et de 3 à 5% de l’artillerie, du génie et du service de Santé (plus deux officiers TDM). Tous les personnels sont soumis à une enquête SM, et les appelés sont choisis par l’officier des effectifs, qui se rend tous les deux mois, dans les centres de recrutement.

En 1960, le régiment comprend l’ECS, les 2ème et 3ème escadrons de recherche aux ordres d’un commandant, les 1er et 4ème escadrons d’instruction. Les 4 Stations radios directrices sont intégrées dans les escadrons. Le Peloton des liaisons arrières(PLA) est à l’ECS.

Dans les années 90, les stations directrices sont regroupées à l’Escadron de Transmissions. Les trois escadrons de recherche, commandés par un capitaine, sont spécialisés dans les techniques montagne, plan d’eau et sauts à grande hauteur.

Le 2ème escadron quitte Langenargen pour Friedrischafen, puis rejoint Dieuze en juin 1992. Le régiment est peu à peu professionnalisé, en 1995 il n’y a plus d’appelés en équipes. On a ainsi préféré l’efficacité à la motivation des citoyens.

Entraînement.

Deux exercices majeurs « Eugénie  » sont montés chaque année, avec ennemi fictif et plastron. 20 équipes y participent en 1964, 35 en 1969, 48 en 1973.

Le 13 est la seule unité française à participer à un exercice allié sur le terrain (Reforger).

Il coopére au cours d’exercices avec les unités alliées spécialisées : SAS, Fernspäh, Commandos belges, néerlandais et espagnols, tchèques après 1990.

Le régiment forme ses radios, chiffreurs et observateurs, il organise un stage chefs d’équipe annuel. Il s’entraîne à la montagne (vie en igloo), au saut sur plan d’eau et sur forêt, au poser par sous-marin. Des équipes de chuteurs opérationnels reçoivent des missions particulières. Deux sous-officiers sont détachés pour six mois à la Mission de Potsdam à partir de 1976, ce qui leur permet d’observer des matériels soviétiques.

Les procédures et les équipements font l’objet d’une modernisation permanente, en liaison avec les Etablissements du matériel et la SEFT (moyens d’observation, de saut et de transmissions), l’Intendance (habillement, rations) et le Service de Santé(4) (vie en milieu fermé). L’allègement des équipes est recherché en même temps que leur efficacité. Sur ce plan, le régiment est favorisé par l’absence de matériels répondant à ses besoins opérationnels. Il est donc autorisé à étudier et créer ses propres équipements.

Intérêt des exercices REFORGER.

Tous les ans, les Américains amenaient par avion des États-Unis une division complète (REFORGER) qui venait prendre en compte des matériels entreposés dans des dépôts (POMCUS). Puis, elle partait faire une manoeuvre sur le terrain où elle était engagée contre une division britannique, allemande ou belge.

Le 13e RDP, qui était engagé dans ces exercices, était tout à fait apprécié. Le commandant en chef des forces américaines en Europe écrivait en 1976:  » Comparées à celles des autres sources de recherche du renseignement, les patrouilles profondes bénéficient de plusieurs avantages distincts par rapport aux sources de recherche, tels que la reconnaissance aérienne et le renseignement par les moyens d’écoute: tout d’abord, I’engagement des patrouilles profondes est de 24 heures sur 24. La recherche se poursuit sans tenir compte de l’heure ou des conditions almosphériques. Les patrouilles de recherche opèrent en étant bien moins exposées aux contremesures de l’ennemi et, par conséquent, bénéficient d’un taux de réussite plus élevé. Elles sont à même de contrevenir les actions déjensives de l’ennemi tels que le silence radio, le camouflage, les mouvements de nuit, et le brouillage « .

L’une des divisions qui avait participé à cet exercice avait noté dans son compte-rendu :  » Aucun autre moyen ne peut fournir la précision, la souplesse, l’opportunité et les détails fournis par les patrouilles de recherche profonde « .

Voici le bilan chiffré de cet exercice de 1976 : les Français ont adressé 392 comptes rendus dont 190 ont été considérés comme importants, 110 exploitables en matière d’objectifs, 102 ont fourni des informations sur l’ordre de bataille et des indices sur les intentions de l’ennemi.

Le commandement américain en avait conclu qu’il était souhaitable de créer des patrouilles profondes aux États-Unis, mais ce projet semble avoir été abandonné.

Ces exercices du niveau tactique ont été intéressants pour les équipes, qui avaient ainsi l’occasion d’observer des matériels réels. Ils ont permis également au régiment de se faire connaître des Alliés et de négocier dans de bonnes conditions son engagement dans le cadre de Centre-Europe.

Evolution des transmissions (schéma 3).

Les procédés de transmission du BCRA ne sont pas applicables à un réseau de 60 subordonnés qui émettent toutes les heures. D’autre part, le poste C9 avec sa génératrice (40 kgs) doit être abandonné, en raison de son poids et des difficultés des liaisons par onde-sol.

La transmission en ondes ionosphériques s’impose, avec utilisation d’émetteurs de faible puissance (20w) en liaison avec le poste SCR 399 à la station directrice (400 w). Plusieurs postes sont successivement expérimentés :

– en 1966, le poste Lagier (TRTG2A) avec génératrice, poids 30 kgs (+ PP11 et piles = 6 kgs),

– en 1968, le poste allemand SP20 à transmission rapide (80 bauds) avec accus = 26 kgs,

– en 1972-73, le poste TRTG2B réalisé par la SEFT, avec codeur, à 300 bauds = 17 kgs,

– vers 1980, un poste Thomson MF de liaison intercaches, plus discret que le PP 11.

Le système adopté est la transmission radio en l’air à destinataires multiples (TRAM). Les CR d’observation sont condensés, chiffrés par la cellule radio et transmis plusieurs fois en émission brève. Au PC, le déchiffrement impose le travail fastidieux de nombreux appelés.

Les stations directrices comprennent :une station d’émission, une station de réception et une station énergie. Elles sont modernisées de 1966 à 1972 (cabines SPAIR, récepteur RRTM2, télécommande hertzienne des émetteurs 399).

A partir de 1973 est réalisé le système ERIC (Equipement de réception des émissions codées), utilisant des ordinateurs MITRA 15 militarisés. Le MITRA compare les messages successifs et les déchiffre à partir des carnets NOGLI de chiffrement.

Le peloton des liaisons arrière transmet les synthèses de renseignement à l’EMA, à la 1ère Armée et au Commandement allié intéressé, au moyen de deux chaînes hertziennes reliées aux réseaux Cartel et Air 70.

De 1968 à 1974 sont expérimentées des liaisons à grande distance depuis Dakar, Libreville, Djibouti, Tananarive, Managua et Fort de France. La réception est faite au Centre Trans de Favières, qui pilote les émetteurs de Vernon.

Traitement des renseignements.

Le 2ème Bureau du régiment s’emploie à reconstituer le dispositif ennemi, en reportant sur un rouleau de papier (le drap de lit ), les matériels observés sur chaque axe de progression.

A partir de 1982, le système SATRAPE (Système d’aide au traitement des informations analysées par ERIC) permet d’informatiser le traitement.

Au premier niveau, les matériels observés sont regroupés sur écran d’ordinateur en unités élémentaires (3 chars = 1 Section – 3 Sections= 1 compagnie).

Au deuxième niveau, des analystes identifient sur écran les niveaux Régiments et Division. Au troisième niveau, le travail de synthèse consiste à localiser sur fonds de cartes les Armées adverses et à décrire le rythme et les directions de progression de l’ennemi.

Ainsi la mission du régiment face à l’Est exige-t-elle de ses personnels l’endurance physique, l’utilisation du terrain, la connaissance des techniques de transmission, l’esprit d’équipe et l’intelligence des situations. A côté d’hommes de terrain, il a besoin de spécialistes de haut niveau.

Emploi outre-mer et dans les Balkans.

Dès 1977, le régiment est impliqué dans des missions hors d’Europe, aux ordres de l’EMA : en mai 1978, deux équipes participent à l’opération de Kolwezi, et en octobre 1978 trois équipes et un PC opèrent pendant 6 mois en Mauritanie. Un détachement participe à l’opération Daguet en 1991.

Diverses missions d’assistance technique, de liaison avec Paris, et de renseignement sont accomplies.

Les missions dans les Balkans débutent en 1990 ( informations réservées). Elles impliquent une adaptation des personnels à de nouvelles procédures et aux milieux urbain et suburbain, une présence de longue durée, une capacité d’extraction en cas d’incident. Le renseignement humain prend le pas sur l’observation des matériels. Les équipes engagées sont de composition variable, elles sont fixes ou mobiles. Le traitement est réalisé par imagerie numérique, les informations étant localisées sur zone ou non localisées.

Le 13ème RDP met ainsi sur le terrain environ le tiers de ses éléments de recherche, de traitement et de diffusion. Grâce à la motivation de ses personnels, à leur faculté d’adaptation et à la maîtrise des techniques les plus modernes, le régiment garde toute sa capacité opérationnelle dans les missions variées que le commandement lui confie.

Maurice Faivre, 12 juin 2001

(1) Archives de l’EMAT, soumises à dérogation : 2T 36, organisation du 13ème RDP – 10T 51, moyens de recherche – 10T 54, études sur le renseignement – 39T/3, rapports d’Inspection de l’ITAPA – 10T 75:exercices 13ème RDP en 1964-65. Les archives du CCFFA sont très incomplètes pour les années 50; le dossier 3U 37 traite des manoeuvres des FFA en 1955. Les archives de la 1ère Armée ne sont pas ouvertes. L’expérimentation Javelot est évoquée par le revue Défense nationale de janvier, mai et décembre 1954.

(2) Colonels de Courson, d’Harcourt et Bizard, premiers chefs de corps. Chef d’escadrons Doussau à Langenargen.

M.Messmer, Ministre des Armées et député-maire de Sarrebourg et le général Massu commandant la 6ème R.M.ont aidé l’installation du régiment dans des casernes en ruines.

(3) le problème du balisage des zones de saut (pathfinder) n’est pas résolu.

(4) vie en caisson (expérimentation conduite par le psychiatre CROCQ de la DRME)

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur Création et évolution du 13ème RDP

Le général Paul Ely, un chef d’état-major face au pouvoir politique

Le général Paul Ely, qui a été chef d’état-major général de 1949 à 1961, est un personnage mal connu. Etant à la charnière du politique et du militaire, il a pourtant joué un rôle éminent dans la politique de défense des IVème et Vème République, et en particulier dans quatre domaines de responsabilité :

            – la liquidation de la présence française en Indochine,

            – la préparation de l’expédition de Suez,

            – la politique militaire en Algérie,

            – le Plan militaire à long terme qui sera mis en oeuvre ensuite par le général de Gaulle.

            C’est dans le cadre de recherches sur la guerre d’Algérie, que voulant analyser le rôle des Etats-majors parisiens, j’ai eu accès par dérogation aux archives du ministre des Armées et au fonds privé du général Ely au Service historique de l’armée de terre (1). Je me suis aperçu alors que dans ce dépôt de 92 cartons, le général Ely avait conservé tous les documents importants reçus ou émis par son Etat-major, mais aussi les 37 cahiers de son Journal de marche et d’activités  (JMA). Tous les soirs de 1953 à 1961, avec le concours de son Cabinet, le général Ely a rapporté ses entretiens de la journée avec les responsables politiques et militaires, français et étrangers ; et lorsqu’il rencontrait le général de Gaulle ou Michel Debré, il rapporte la conversation mot à mot. Ce Journal apporte ainsi, sur la personnalité de ces interlocuteurs, des appréciations qui complètent celles qu’a relatées Alain Peyreffitte.

            J’ai complèté cette recherche par la lecture des deux livres de Mémoires  publiés en 1965 et 1969, des Actes du colloque tenu à Arc et Senans en 1984 sur « l’Aventure de la Bombe « , du colloque de 1996 sur « la France et l’OTAN  « , du livre de Georges-Henri Soutou sur l’Alliance incertaine  avec la RFA (1996), et par la consultation au Quai d’Orsay de la série des Pactes  consacrée aux relations avec l’OTAN et au Comité de Défense nationale de 1957 à 1961.

            Bien que mon livre publié en 1998 soit consacré à la période 1956-1961, j’aborderai dans cet exposé l’ensemble de la carrière du général Ely, et après sa biographie, je voudrais exposer quelle a été sa position, et ses relations parfois conflictuelles avec les responsables politiques sur les problèmes de l’Indochine, de l’expédition de Suez, de l’Algérie et du plan à long terme, pour conclure sur la personnalité d’Ely.

X

            Né en 1897 à Salonique où son père était Directeur de la Poste française, le jeune Ely s’engage en 1915 au 46ème RI, suit un peloton d’aspirant en 1916 et est admis à St Cyr en 1919 (promotion dite des Croix de guerre ) . Stagiaire à l’Ecole de guerre en 1928, il est capitaine en 1930 et est grièvement blessé en 1940, alors qu’il appartenait à l’Etat-Major du général Georges. En 1941, il commande le 10ème Bataillon de Chasseurs au camp de Thol près de Pont d’Ain. Décoré de la Francisque après que son bataillon eût été chargé de la Garde d’Honneur à Vichy, il s’engage dans l’Organisation de la résistance de l’Armée (ORA) en 1942, en devient le chef adjoint pour la Zone Sud et se rend en mission à Londres le 4 février 1944. Le même jour, sa femme est arrêtée et déportée à Ravensbrück. Ely essaie sans succès de convaincre le général de Gaulle du double jeu du Maréchal. Nommé colonel-adjoint au Délégué militaire national, il remplace Chaban-Delmas lorsque celui-ci est en mission à Londres. Il intervient alors pour retarder l’insurrection que les communistes veulent déclencher à Paris.

            Promu général en 1945, il est Directeur du Cabinet militaire du ministre de la Défense Edmond Michelet, puis Chef d’état-major du général de Lattre, Commandant de la 7ème Région à Dijon, et Représentant de la France auStanding Group  à Washington pendant 4 ans.

            En 1949, il devient Chef d’Etat-major général de la Défense nationale, Général d’Armée en 1953, Commissaire général et Commandant en chef en Indochine de juin 1954 à juin 1955, et remplace le général Guillaune en février 1956 au poste de Chef d’Etat-major général des Forces armées. Il approuve le comportement de Salan le 13 mai 1958, mais en désaccord avec le ministre de Chévigné qui a mis aux arrêts ses adjoints Challe et Martin, il démissionne le 16 mai. Le général de Gaulle le rappelle début juin comme Chef d’Etat-major général des Armées. Six mois plus tard, il reprend son poste à la Défense nationale. Il sera prolongé d’un an en 1960 et quittera le service peu avant le putsch d’avril 1961. Il sera victime d’un attentat de l’OAS. Il meurt en 1975 avant d’avoir pu écrire le troisième tome de ses mémoires, qui devait être consacré aux problèmes internationaux.  

L’INDOCHINE  

            Nommé chef d’état-major général des Forces armées en octobre 1953, Ely se trouve immédiatement confronté au problème de l’Indochine, et au plan ambitieux du général Navarre, qui vise à la fois à contrer l’offensive viet-minh vers le Laos, et à développer les armées nationales qui seront chargées de pacifier le pays. Dans une lettre du 13 novembre 1953, il fait comprendre à Navarre qu’il n’y a plus de renforts possibles : « la fleur de l’armée se trouve en Indochine « , un renforcement de 100 officiers et 1000 sous-officiers obligerait à dissoudre 16 bataillons en Europe et en Afrique du Nord.

            Il accompagne le ministre Pleven en Indochine du 7 au 28 février 1954, se rend à Dien Bien Phu dont il apprécie la solidité des défenses ( comme précédemment M. De Chevigné et le général Blanc), mais il est réservé sur cette initiative de Navarre, qui est en limite du rayon d’action de l’aviation, et qui est critiquée par Cogny commandant les Forces terrestres du Nord Vietnam.

            Alors que l’attaque du camp retranché débute le 13 mars, le gouvernement l’envoie le 19 mars aux Etats-Unis, où il est accueilli très chaleureusement par l’amiral Radford, Président des Chefs d’état-major. Le but du voyage est d’obtenir le soutien de l’aviation américaine, au cas où l’aviation chinoise interviendrait. Ely rencontre les plus hautes autorité politiques. Eisenhower promet le soutien américain, mais Foster Dulles y met des conditions politiques, à savoir l’accord des pays intéressés par le Sud-Est asiatique. Ely obtient l’aide américaine pour la fourniture de parachutes et pour l’entraînement des armées nationales. L’amiral Radford fait même préparer techniquement l’intervention de l’aviation stratégique de Manille sur Dien Bien Phu. Cette intervention sera malheureusement annulée, et l’on sait par les mémoires d’A.Eden que malgré l’accord de Dulles et de Radford, cette annulation est due à l’opposition britannique.

            Pendant que se déroule la bataille, un Comité de guerre est créé à Paris à l’instigation d’Ely qui déplore la dissémination des décisions entre plusieurs ministres. Tous les moyens de renforcer le camp retranché sont examinés par le gouvernement Laniel. L’opération Vautour de bombardement US ayant été abandonnée, on étudie une opération terrestre de secours (Condor),

et une sortie de la garnison assiégée vers le Laos (Albatros). Ces opérations ne peuvent être menées à bien, et le camp capitule le 7 mai 1954.

            Dans le même mois de mai a débuté la conférence internationale  de Genève, qui a pour but de faire la paix par la négociation. L’hypothèse d’un échec n’est pas écartée, et c’est dans cette éventualité que le Comité des chefs d’état-major, puis le Comité de Défense nationale proposent le 15 mai la constitution de 3 divisions légéres à base d’appelés, et la rétraction du dispositif sur le « Tonkin utile ».  Ely repart le 18 mai pour Saïgon et fait le point de la situation avec Navarre et Cogny. Le 25 mai il est de retour à Paris et rend compte de son impression au gouvernement. Il apprend le 3 juin sa désignation comme Commissaire général et Commandant en chef. Il est de nouveau à Saïgon le 8 juin, charge Salan des problèmes militaires, prend contact avec les autorités vietnamiennes et rend compte à G.Bidault de la situation, inquiètante au Nord-Vietnam.           

            Le 18 juin , le général Ely revient à Paris pour rencontrer Mendès-France qui a été investi le même jour à la tête du gouvernement. Il rencontre le général Koenig, nouveau ministre de la Défense, ainsi que l’empereur Bao Daï et Ngo Dinh Diem, le futur Premier Ministre du Sud. Le Comité de Défense nationale du 28 juin décide l’envoi du contingent, une Loi sera soumise au parlement en ce sens. Le même jour, de Paris, Ely fait déclencher l’opération Auvergne de rétraction du dispositif au Tonkin. Merci, lui télégraphie Salan. Grâce à Cogny et Vanuxem, cette opération est un succès, elle surprend le Viet-Minh qui subit de lourdes pertes. Elle permet en outre d’évacuer les évèchés de Phat-Diem et de Bui-Chu, sous la conduite d’un clergé très directif.

            Pendant les négociation de Genève, plusieurs messages sont échangés entre Ely et Mendès-France, qui demande l’avis du Commandant en chef sur les délais d’évacuation du Nord-Vietnam, et sur la ligne de séparation entre le Nord et le Sud. Le Vietminh proposait initialement le 14ème parallèle et la France le 18ème. Le 20 juillet,  Mendès demande à Ely son accord sur les clauses militaires et politiques des accords de Genève, et c’est au nom du Commandant en chef que les accords sont signés le 21 juillet par le général Delteil.

            Ces accords comportent le cessez-le-feu dans les 15 jours, la démarcation au niveau du 17ème parallèle, qui permet de conserver Tourane et Hué, l’évacuation de Hanoï en 10 mois, l’échange des prisonniers (12.000 Français contre 65.000 Vietminh, et 20.000 disparus en majorité vietnamiens), et le libre choix des populations, en attendant des élections générales qui devraient avoir  lieu dans un an ou deux. Grâce à l’appui des Anglo-saxons, c’est au dire d’Ely le meilleur accord que nous pouvions espérer après Dien Bien Phu.

            Alors que l’on avait envisagé l’évacuation de 300.000 nordistes vers le sud et le centre Vietnam, on atteindra un million de réfugiés, surtout catholiques, mais  également des membres des minorités comme les Nungs. Cet afflux avait plusieurs causes, l’attachement à la religion, l’encadrement du clergé catholique, les pressions de Diem et des militaires français, mais aussi les projets Vietminh de contrôle de la propriété. Malgré les obstacles accumulés par le Vietminh, le déplacement et l’hébergement de ces populations furent menés à bien par les généraux Gambiez et Cogny, avec le soutien financier des Américains, et l’aide humanitaire des épouses d’officiers et d’administrateurs, et de l’Eglise (visites du cardinal Spillman et de Mgr Rodhain).

            Le général Ely se trouve alors confronté à trois séries de difficultés politiques, de la part des gouvernements français, vietnamien et américain. Première difficulté, la désignation de M. Sainteny comme Délégué général au Nord Vietnam, ce qui laisse supposer que l’on s’oriente vers une politique d’équilibre entre le Nord et le Sud, alors que tout devrait être fait pour promouvoir un gouvernement démocratique au sud, et gagner les élections. Ely monte à Paris, il rencontre Mendès-France et Sainteny, et fait le 31 août 1954 une déclaration à France-Presse, indiquant que la France ne reconnaît qu’un gouvernement.

            Avec le ministre Diem, nationaliste et catholique intransigeant, les relations furent toujours difficiles. Dans un pays en pleine anarchie, seules les Sectes sont organisées. Alors qu’Ely souhaiterait un gouvernement d’union nationale, sous l’arbitrage de Bao Daï, Diem veut éliminer les Sectes. En avril-mai 1955, il attaque les positions des Bin Xuyen, au prix de 800 civils tués et blessés,  et de la constitution de maquis anti-gouvernementaux.

            Dans cette situation, Ely recherche le soutien des Américains, il entretient de bonnes relations avec le général Collins, chef de Mission, mais il constate que ce dernier n’a aucune liberté d’action.  Avec le Secrétaire d’Etat Guy la Chambre, Ely se rend à Washington, où Bedell Smith accepte que le soutien américain à Diem soit assorti de la coopération avec tous les Vietnamiens.

            Mais fin octobre, Eisenhower promet un soutien sans conditions  à Diem. En mai 1955, les conversations franco-américaines de Paris aboutissent à une politique de compromis,  pour laquelle Ely se considère non qualifié. Il faut un homme nouveau, dit-il. Il quitte Saïgon le 2 juin 1955.

            Dans ses mémoires, Ely porte un jugement sur la politique de la France, confrontée à une guerre révolutionnaire, dans laquelle il aurait fallu soutenir les nationalistes modérés plutôt que de s’attacher à la fiction de l’Empire français. C’était aussi le point de vue des généraux Leclerc et de Lattre, mais on l’a fait trop tard.

            Il ne fait pas de doute que dans ce drame, il a joué un rôle politique et militaire éminent, tant en recherchant l’appui des Américains pour sauver Dien Bien Phu et établir une démocratie au Vietnam qu’en conseillant le gouvernement français pour liquider les séquelles de cette guerre coloniale. La mission reçue était une mission de sacrifice, que certains lui reprocheront, bien qu’il s’en soit acquitté avec hauteur de vue et conscience de son devoir.  

SUEZ  

            Quelques mois après son retour d’Indochine, le général Ely devient Chef d’état-major général des Forces armées. A ce titre, il prend une part importante, en étroite liaison avec Guy Mollet et Christian Pineau, à la préparation de l’expédition de Suez. Il reconnaît que la position française dans cette affaire est dominée par le problème algérien, et souligne la duplicité de Nasser qui avait assuré C. Pineau qu’il ne soutenait pas la rébellion algérienne. Il fait plusieurs voyages à Londres, où il garde le secret sur le soutien de la France à l’aviation israélienne, et où il constate que le Comité des Chefs d’Etat-major est hostile à l’opération. Il ne réussit pas à éviter l’intégration des forces françaises dans le commandement britannique, et déplore le décalage de 5 à 6 jours entre l’attaque des Israéliens et le débarquement franco-britannique. C’est ce délai excessif qui permet aux réactions internationales de se développer.

            Regrettant que l’expédition n’ait pas été couverte sur le plan politique et diplomatique, il attribue l’échec de l’opération davantage à l’attitude américaine (action contre la Livre sterling) qu’aux menaces soviétiques qui n’étaient pas crédibles; mais ce sont surtout les Conservateurs britanniques qui ont lâché le Premier Ministre Anthony Eden. Cette défaite politique pour l’Occident a cependant permis à Israël d’éloigner la menace d’anéantissement que faisait peser sur elle l’Egypte appuyée par l’Union soviétique. Pour la France, elle a en partie occulté le succès de l’opération d’arraisonnement des chefs de la rébellion algérienne, le 22 octobre 1956. Le général Ely en tire la conclusion que la France doit recouvrer sa liberté d’action dans le monde, et adapter ses objectifs politiques à ses moyens d’action militaire.

L’ALGÉRIE.  

            Pour le Chef d’Etat-major général, l’Algérie constitue la priorité du moment. Estimant que la politique des petits paquets  est responsable de la perte de l’Indochine, il livre une première bataille pour l’augmentation des effectifs (courbe jointe), alors que les chefs de gouvernement successifs, de Guy Mollet à Michel Debré, escomptent une victoire militaire rapide et demandent  la réduction des contingents. « Il est impensable,  écrit Debré en 1959, que tout ne fut pas terminé en 1960″.  Faisant l’impasse sur l’OTAN, Ely réussit à porter les effectifs d’Algérie à près de 450.000 hommes, en rappelant les disponibles en 1956 et en allongeant la durée du service de 18 à 27 mois, puis à maintenir les effectifs grâce au transfert des 100.000 hommes qui servent au Maroc et en Tunisie. A partir de Challe, le recours à 120.000 supplétifs armés pallie le déficit dû aux classes creuses et permet de maintenir, jusqu’au putsch d’avril 1961, une moyenne de près de 600.000 combattants dont 380.000 de l’armée de terre.

 

Note. Cette courbe fait ressortir :

– l’importance des effectifs affectés au Maroc et en Tunisie de 1954 à 1958,

– les maximas atteints en octobre 1956 (rappelés) et octobre 1958,

– la stabilisation des effectifs instruits de l’armée de terre, de 1959 à 1961, compensée par la montée

            en puissance des supplétifs,

– la déflation qui débute à l’été 1961 et qui concerne en particulier les parachutistes et les supplétifs,

            et en 1962 les appelés et engagés musulmans.  

            La deuxième préoccupation du CEMG est la conduite des opérations militaires, associées à des actions de guerre psychologique conduites au niveau du gouvernement. Il réalise l’unité d’action en réunissant ministres et généraux dans un Comité de guerre en juillet 1957. Il met en place,  avec le concours des Services spéciaux, un système de renseignement qui a fait ses preuves en Indochine. Il décentralise le commandement au niveau des trois régions d’Algérie, et obtient la constitution de réserves mobiles qui vont permettre à Challe de nettoyer les zones d’implantation rebelle, en partant de l’Oranie vers l’Aurès. Il préconise en 1959 de passer à l’autodéfense active des populations, en confiant les secteurs pacifiés aux officiers des Sections administratives spécialisées (SAS).

            Parallèlement, le soutien du Maroc et de la Tunise aux rebelles réfugiés sur leur territoire constitue une préoccupation constante. Ely recherche d’abord une solution diplomatique en proposant , sans succès, au ministre Guedira, à Bourguiba et au Prince Hassan, de participer au contrôle de ces bandes inorganisées. Il préconise en juin 1957 le blocage des frontières et obtient du ministre Morice l’édification de barrages qui permettront en avril-mai 1958, avec l’engagement des régiments parachutistes, de gagner la bataille des frontières et d’interdire le ravitaillement en armes de la rébellion intérieure. Favorable au droit de suite et aux ripostes aériennes, il se range ensuite à l’avis des diplomates et limite les interventions en Tunisie et au Maroc à des actions secrètes de commandos de harkis, strictement contrôlées.

            Sur le plan de la politique algérienne, le général Ely se prononce dès 1956 pour une solution libérale, une association de type fédéral incluant le Maroc et la Tunisie. Il s’efforce d’en convaincre les officiers à l’occasion de nombreux voyages en Algérie, mais il est confronté aux hésitations et aux contradictions du général de Gaulle dont il ignore les objectifs politiques et avec lequel il a des échanges assez vifs, qu’il rapporte mot à mot dans son Journal. « De Gaulle a donné l’impression qu’on le trompait,  écrit-il en août 1958, que c’était la pagaille, que les chefs d’état-major étaient de pauvres types qui n’y  comprenaient rien. Et pourtant le responsable est en partie le général de Gaulle avec lequel il est bien difficile de travailler. C’est même désespérant.. » . Il ajoute en septembre :  » de Gaulle est aussi empoisonnant, il ne vous croit pas, il conteste les chiffres, n’est pas convaincu de la chute des effectifs si l’on revient à 24 mois…. » Et en avril 1959 : « Il est impossible de travailler avec de Gaulle, c’est un homme seul...Vous croyez toujours qu’on veut vous rouler, lui dit-il, il n’est pas possible de travailler dans ces conditions « .

            Ayant appris que le ministre Guillaumat a reçu l’ordre d’éliminer les gens du 13 mai, il estime en 1958 que le chef du gouvernement joue un jeu démoniaque dans les questions de personnes.. Lors de l’affaire des barricades en janvier 1960, Ely s’oppose aux civils de l’Elysée qui réclament l’ouverture du feu, (avec tout le sang qui a déjà coulé en Algérie, qu’est-ce que cela peut faire, dit le général), il conseille alors la négociation. Le rappel de Massu est pour lui une erreur politique.

            Sur la politique fluctuante du Général, Ely note qu’après le referendum de septembre 1958, de Gaulle ne voit pas de solution pour l’Algérie.  En octobre 1959, il croit que « l’Algérie va durer des années. Il n’y  aura pas de cessez-le-feu. Petit à petit, la rébellion se tassera… ». En mars 1960 à Catinat et Redjas, le Chef de l’Etat déclare aux officiers :  » La France a le droit de rester en Algérie. Elle y  restera « . Il juge que l’opérationel est une mécanique bien rôdée, mais il ne croit pas au reste, à la tâche de pacification et de contacts que selon Ely seuls les militaires sont en mesure de conduire.

            Le discours du 4 novembre 1960, qui évoque la future République algérienne,  provoque la stupeur de Debré,  de Joxe  et  d’Ely. Le 8 novembre, de Gaulle demande à Ely d’aller faire un tour en Algérie. « Vous direz que la raison commande que l’Algérie ne pouvait être une province française…L’armée n’a pas à en être touchée…elle sortira de là victorieuse…Jamais je ne donnerai l’Algérie à Ferhat Abbas … ». L’entrevue d’Ely à son retour d’Algérie, le 15 novembre, est dramatique. Il déclare à de Gaulle que l’armée ne lui fait plus confiance. Au cours de l’entrevue, il développe les idées qui lui sont chères sur la difficulté de travailler avec le général de Gaulle, sur l’intérêt qu’il y aurait à ce que les grands exécutants soient prévenus, etc.. De Gaulle a alors cette réplique étonnante :  » Et la surprise ? ».

            Après le voyage tragique du 10 décembre 1960 à Alger, où les musulmans, invités à manifester par le Directeur des Affaires politiques François Coulet, ont été repris en main par les cadres du FLN, Ely note que « les cris et les drapeaux montrent comment les musulmans vont interpréter la notion d’Algérie algérienne et de République algérienne « .

            Mais Debré croit encore que «pour de Gaulle, la République algérienne est à 30 ans…avec drapeau et armée française ». «Qu’il le dise », répond Ely. « J’ai suivi le calvaire de Debré,  dira-t-il. De Gaulle ne savait pas quelle politique suivre. Je ne savais pas ce que voulait de Gaulle, et Debré non plus « .

            En dépit de son désaccord sur la politique algérienne, le général Ely est un légaliste. Il  désapprouve et condamne sans aucune réserve  le putsch et l’OAS. Profondément attaché à l’unité de l’Armée et de la Nation, il  observe que les Français ont approuvé à une large majorité  cette politique, et ressent une immense tristesse à la pensée de se trouver séparé de ceux qui, pendant longtemps, furent si proches de (lui ) dans l’action et pour la France. ...L’Histoire serait injuste,  écrit-il, si les quelques jours d’erreur de Challe cachaient à jamais la magnifique année d’un commandement exercé en Algérie avec tant de compétence et de bonheur, et si de ce fait et du même coup, elle mettait dans l’oubli les exploits d’une armée qui fut parmi les plus belles qu’aît eue la France.  

LA POLITIQUE MILITAIRE A LONG TERME.  

            On sait depuis le colloque d’Arc-et-Senans la part prise dans la décision de fabrication de l’arme nucléaire par les chefs de gouvernement de la IVème République : Pleven, Mendès-France, Guy Mollet et Félix Gaillard. Le général Ely est en décembre 1956 le premier Président du Comité des Applications militaires de l’Energie atomique, et l’on apprend par son Journal de marche que le décret fixant la première explosion au début de 1960 a été signé le 22 avril 1958, et antidaté au 11 avril, alors que censuré par l’Assemblée nationale, Félix Gaillard n’expédiait plus que les affaires courantes.

            Peu de temps après son retour d’Indochine, le général Ely prend acte du fait que la France n’a pas de politique de défense. Il définit alors avec son Etat-Major, la doctrine qui prend en compte le fait nucléaire et idéologique, et qui sera mise en oeuvre 15 ans plus tard par la Vème République. Sa directive du 5 octobre 1956 (notez la date) définit les trois capacités qui seront celles de nos armées : capacité de frappe nucléaire, de défense permanente du territoire, et de manoeuvre-intervention. Il rédige des projets de directives que les ministres Bourgès-Maunoury et Chaban-Delmas tardent à approuver. Avec les mêmes ministres, il suit les discussions franco-germano-italiennes qui en 1957 visent à harmoniser nos conceptions et nos programmes d’armement. Il approuve le 8 avril 1958 l’accord Chaban-Strauss-Taviani qui prévoit la participation de la RFA et de l’Italie au financement de l’usine de séparation isotopique.

            Lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir, Ely poursuit sa réflexion sur le Plan militaire à long terme (PMLT) et édicte le 5 novembre 1958 une directive tout à fait prémonitoire sur ce que doit être la composition de nos armées dans l’avenir. Un jour plus tard le général de Gaulle adresse à six destinataires seulement une Instruction personnelle et secrète (IPS) au sujet des forces armées.

             La comparaison de ces deux directives simultanées ne manque pas d’intérêt, elle montre que si les objectifs sont identiques : avoir une défense qui soit nationale, adaptée à toutes les formes de conflit, étendue à l’échelle mondiale, assurant la survie de la nation, les moyens prévus par Ely sont plus réalistes que ceux du général de Gaulle. Les deux textes prévoient des moyens comparables en ce qui concerne une force de frappe de 40 rampes sol-sol et de 50 avions d’appui lourd – 5 à 7 divisions terrestres – 2 à 3 porte-avions. Mais Ely limite nos forces aériennes à 500 avions et la marine à 300.000 tonnes, alors que de Gaulle prévoit 1.000 avions et 40 sous-marins. La défense territoriale sera décentralisée pour Ely, alors que de Gaulle veut y affecter 20 Grandes Unités, appuyées sur des môles de résistance qui rappellent le précédent du « réduit breton ». On notera que seule la directive d’Ely sera diffusée par le Ministre Guillaumat, et que ce sont ses propositions qui seront réalisées 20 ans plus tard.  

La force de frappe.

            Une autre divergence entre les deux hommes est celle de leur conception de l’arme atomique. Pour le général de Gaulle, c’est une arme politique, qui doit lui permettre d’affirmer la position de la France vis-à-vis des grandes puissances et du Conseil de Sécurité. « Sa précision technique n’est pas essentielle » , déclare-t-il .

            Pour Ely , c’est une arme de dissuasion qui  est à l’échelle de nos possibilitésLa valeur de nos forces dépend de leur nature et non de leur volume, écrit-il. Il définit ainsi ce que nos théoriciens appelleront plus tard la dissuasion « du faible au fort ».

            Il ajoute que la bombe continentale, c’est-à-dire la bombe française, apporte un risque supplémentaire  à celui des armes nucléaires américaines. Cette conception sera retenue au sommet d’Ottawa en 1974, je cite : « les forces nucléaires indépendantes (du Royaume-Uni et de la France) jouent un rôle dissuasif propre et contribuent au renforcement global de la dissuasion en compliquant les plans d’un agresseur potentiel et son évaluation des risques« .

Les relations interalliées.

            L’ accord conclu par Chaban-Delmas avec Strauss et Taviani sur le financement de l’usine de séparation isotopique sera dénoncé deux mois plus tard par le général de Gaulle, à peine rentré de son premier voyage en Algérie. Les réunions du 17 juin 1958  et du 7 janvier 1959 sont l’occasion pour Ely d’exprimer son désaccord. Alors que le Chef du Gouvernement veut réviser les conditions de coopération de la Marine et de la Défense aérienne avec l’OTAN, Ely déclare que « tout cela est important mais secondaire…ce sont des problèmes mineurs. Le problème de fond, c’est celui de l’équilibre des forces. (Les Anglo-saxons) voudraient conserver pour eux les missions nobles, les continentaux étant chargés de fournir la piétailleDeuxième terme du problème, nous avons pratiquement 20 ans de retard pour les armes modernes et nous avons absolument besoin de l’aide américaine ».

            Entretenant des relations de confiance avec les généraux alliés, en particulier Montgoméry, Eisenhower, Radford, Norstad et l’amiral Strauss, Ely est persuadé que « les Américains donnent toujours le renseignement correspondant à l’étage technique auquel vous êtes vous-même arrivés. Si nous sommes une puissance atomique, nous disposerons donc des resnseignements correspondant à ce standing « .

            En accord avec M.Debré, Couve de Murville, L.Joxe et Adenauer, il critique donc la politique de rupture qui est provoquée par le memorandum du général de Gaulle du 17 septembre 1958. Tous sont d’accord sur les objectifs généraux : élargir la zone de l’Alliance à l’échelle du monde, participer à la direction stratégique de l’Alliance, améliorer la coopération interalliée, mais pas sur les propositions formulées en terme d’ultimatum, telles que : « Ou les Américains se retirent de l’Europe, ou ils acceptent la révision demandée par la France « . Ely estime alors que Debré devrait s’opposer au général de Gaulle, qui presbyte en politique, prend des positions neutralistes, et dont la lettre à Eisenhower du 26 Août 1959 est maladroite, digne d’un enfant de choeur.

            La méthode diplomatique préconisée par le général Ely obtient d’ailleurs des résultats positifs : nous obtenons en mars 1959 la livraison de 440 kgs d’uranium enrichi pour le réacteur de sous-marin. Des conversations à trois se déroulent de façon encourageante à Washington sur la stratégie de l’Alliance. La coopération en Méditerranée, l’accès à Berlin, la livraison de missiles Honest John aux FFA et l’assistance militaire américaine font l’objet d’accords avec les Etats-Unis en 1959 et 1960.

            Dans sa critique de la politique gaullienne, Ely fait le joint entre le problème de l’OTAN et celui de l’Algérie. Ayant été prolongé d’un an, il se demande (en août 1960) si on l’a prolongé pour couvrir une politique douteuse en Algérie et dans le monde, entre l’Est et l’Ouest.  Il se rend compte -je cite – que « le général de Gaulle fait fausse route en créant artificiellement et volontairement le malaise dans l’OTAN, tout en ayant sur les bras l’affaire algérienne qui nécessite l’appui de tous nos alliés « . Lui-même, à l’inverse, s’efforce de convaincre les milieux alliés du bien-fondé de notre politique algérienne, en même temps qu’il cherche à concilier les points de vue différents de la France avec ses alliés atlantiques.

            Passé dans la réserve  le 1er mars 1961, le général Ely  ne s’exprime pas sur les relations interalliées, mais on peut penser qu’il approuve son successeur le général Olié, dont une des raisons de la démission, six mois plus tard, est son opposition à la rupture avec l’OTAN.

Un chef militaire éminent

            Je voudrais conclure sur la personnalité du général Ely, qui pour les observateurs extérieurs est un personnage modeste, sans relief, ne faisant pas d’esbrouffe. Tel n’est pas l’avis des hommes politiques qui ont apprécié sa collaboration. Les chefs de gouvernement de la IVème République écoutent davantage ses conseils que ceux des ministres de la Défense. Ely  a écrasé Guillaumat,  dit le général de Gaulle, il a une position trop forte à la Défense nationale. Son successeur Olié estime que de Gaulle est jaloux d’Ely, qui lui porte ombrage.

            En Indochine, il ne ménage pas ses efforts pour redresser une situation dramatique, allant sans cesse de Paris à Saïgon et à Washington. Sans doute fait-il preuve de remarquables qualités de Chef militaire, mais il apparaît surtout comme un homme de réflexion ayant des vues à la fois prospectives et réalistes. Il juge sainement la situation internationale. Le premier, il définit la doctrine nucléaire française, proportionnée à nos possibilités, et complémentaire de celle des Américains. Il est conscient des possibilités limitées de la France dans les domaines scientifiques et industriels. Il s’efforce de montrer aux responsables politiques que la politique est l’art du possible, et que nos objectifs doivent être adaptés à nos moyens militaires.

            Au sein de la IVème République, il apparaît comme la personnification du pouvoir militaire. Conseiller du gouvernement, il use alternativement de persuasion et de critique, et joue des rivalités internes entre ministres pour imposer ses solutions. Il se trouvera plusieurs fois en désaccord avec ses ministres de tutelle, et au bord de la rupture avec Chaban- Delmas, qui est désordonné. Il ne lit pas les papiers, il fait de la politique . C’est ainsi qu’il a utilisé les crédits de renseignement pour mettre en place Delbecque à Alger.

            Ely n’est pas seulement militaire, il a le sens de la diplomatie et replace les situations dans leur cadre géopolitique. Il essaie de négocier avec les Marocains et les Tunisiens avant de condamner leur co-belligérance; mais même alors, il limite nos actions armées dans les pays  voisins de l’Algérie. Ses contacts au Standing Group lui ont fait apprécier les qualités et les défauts des anglo-saxons, auprès desquels il jouit d’un prestige certain. Il estime qu’au prix de quelques concessions, on peut s’entendre avec eux.

            Dans les armées, Ely est considéré comme un chef humain, il est un peu le directeur de conscience des généraux, dont il s’efforce de concilier l’action avec les orientations du gouvernement. Il réunit périodiquement de jeunes officiers afin d’évaluer l’état d’esprit et les aspirations des cadres militaires. Il entretient des relations amicales avec les familles des officiers de son Cabinet. Son jugement est cependant sévère, parfois mordant sur certains de ses  subordonnés. Il critique Salan et Cogny,  Bollardière et Faure.

            A coté de ses Directives et Instructions militaires, d’une grande clarté, il a publié des articles de Défense nationale, un ouvrage sur l’Armée dans la Nation , couronné par l’Académie, et deux remarquables livres de mémoires(4): l’un,.L’Indochine dans la tourmente. et l’autre,. Suez. Le 13 mai. Ses remarques sur le commandement sont marquées d’une grande pertinence. La qualité nécessaire au chef est pour lui l’ambition de réaliser. Commander, écrit-il, c’est concevoir , décider, faire exécuter. Dans cet esprit, un chef ne doit rien faire, tout faire faire, ne rien laisser faire.

            Son jugement sur la politique gaullienne fait le lien entre l’Algérie et l’Alliance atlantique. Il observe avec regret que le chef de l’Etat se brouille volontairement avec nos alliés, alors qu’il aurait besoin de leur soutien pour mener à bien la mission à laquelle le peuple français l’a appelé : la paix en Algérie. Son Journal met en lumière l’habileté politique du Chef de l’Etat, qui impose peu à peu ses vues, même quand ses ministres ne le suivent pas. Il note également ses erreurs de jugement, ainsi quand en mai et juin 1960 de Gaulle affirme que «  La guerre est inévitable. Les Russes assailleront l’Europe avant d’attaquer la Chine...Il faut règler le problème algérien pour avoir une défense efficace « . Ely est aussi le témoin des phases dépressives de Charles de Gaulle, ainsi le 13 décembre 1960 après les manifestations d’Alger, le général lui confie : Tout cela m’ennuie. Je suis au bout de mon rouleau. Ce n’est pas exaltant ; en 40 ça l’était. Personne ne peut me succéder.

             A la fin de sa vie, Ely cherche à s’élever au-dessus de l’évènement et en appelle au jugement de l’histoire. Son jugement sur le général de Gaulle apparaîtra aux uns comme l’observation anodine des travers et du caractère d’un grand homme, d’autres estimeront qu’il traduit l’échec d’une politique qui n’a pas porté ses fruits. Trente cinq ans après, on peut se demander en effet si la guerre civile en Algérie, la victoire de l’OTAN dans la guerre froide, l’influence des Etats-Unis dans les affaires européennes, et les atteintes à la souveraineté nationale, n’ont pas apporté un démenti aux ambitions de 1962.


 


(1) Fonds privé 1K 233 et dossiers du ministre des Armées : 1R 20-1R 321-325-1R 358, tous soumis à dérogation, complètés par les archives de l’Armée de terre : 7T156-157.

(4) L’armée dans la nation. Fayard 1961. L’Indochine dans la tourmente. Plon 1964. Suez. Le 13 mai. Plon 1969.

 

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur Le général Paul Ely, un chef d’état-major face au pouvoir politique

Le général Giraud et la Résistance

Le 5 juillet 2002, les décorations du général Giraud ont été déposées au Musée de l’Infanterie à Montpellier. Cette cérémonie nous offre l’occasion de rappeler l’action du général Giraud à la tête des armées françaises en 1942-44, et en particulier de son initiative, inédite à ce jour, de créer l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA) (1) .

Le Commandant en chef.

A la fin de l’année 1941, l’Etat-major de l’armée (EMA-Terre), dans la perspective de la reprise du combat, préparait l’Opération Midi de la France, et envisageait d’en confier le commandement au général Weygand, dont les Allemands avaient exigé, en novembre, le rappel

d’Alger, où il était à la fois Gouverneur de l’Algérie et Commandant en Chef des troupes d’AFN. Lors de la visite que lui fit Douglas Mac Arthur, conseiller d’ambassade américain, Weygand se récusa. L’on pensa alors au général Giraud, prisonnier dans la forteresse de Königstein(2). L’action conjointe du Groupe d’autodéfense de l’Est et des Services spéciaux permit de faire évader le général Giraud le 17 avril 1942. Cette évasion provoqua la fureur des Services allemands, qui promirent une récompense de 100.000 RM pour sa capture. Hitler lui-même intervint auprès de Laval pour demander que le fugitif se rende, ce qu’il refusa, après avoir proposé d’être échangé contre 50.000 prisonniers.

Passant par la Suisse(3), Giraud arrive à Vichy le 27 avril, et se présente le 29 au maréchal Pétain, accompagné du général Frère, commandant le Groupe de Divisions n° 2 à Royat. Il envisage alors un débarquement allié dans la midi de la France, qui serait appuyé par l’armée d’armistice et placé sous son autorité. C’est dans ce but qu’il prend de nombreux contacts. Il envoie un émissaire le 8 mai au général Weygand, qui se récuse à nouveau.

Il reçoit le 19 mai M. Lemaigre-Dubreuil, du groupe de résistants d’Alger, et désigne le général Mast pour le représenter en Afrique du Nord. Fin mai il reçoit d’autres Algérois auxquels il remet des lettres pour les généraux Mast, de Montsabert et Béthouard, ce dernier sera son représentant au Maroc. Fin août, Lemaigre-Dubreuil lui fait part de l’imminence du débarquement allié en Afrique du Nord, auquel désormais Giraud se rallie. Le 16 juin, le général Baurès rencontre en son nom Douglas Mac Arthur. Le 27 octobre, il conclut avec Murphy, représentant de Roosevelt, un accord qui sera daté du 2 novembre, suivant lequel il serait commandant en chef 48 heures après le débarquement des forces alliées (promesse mensongère de Murphy); les Américains proposent en outre d’accorder à l’armée française les avantages du prêt-bail, et d’assurer le ravitaillement des populations d’Afrique du Nord; les unités de la France libre sont exclues de cet accord. Giraud aurait sans doute préféré un débarquement simultané en métropole, mais il le sait impossible en 1942.

Après avoir écrit au Maréchal(4) qu’il estime l’heure trop grave pour rester spectateur, Giraud embarque le 5 novembre sur le sous-marin Sereph à destination de Gibraltar, où il a des entretiens difficiles avec Eisenhower, qui reconnaît son autorité sur Noguès et Juin, mais pas sur les forces alliées débarquées. Le 8 novembre, il adresse un message aux armées françaises, concluant : je reprends ma place au combat, comme l’un des vôtres. Le 9 novembre, il atterrit à Blida où il est accueilli par Murphy. Son arrivée surprend l’amiral Darlan, qui lui demande de créer une armée de volontaires. Alors que les aviateurs, et Noguès, Résidant général au Maroc et Commandant en chef, sont peu favorables à sa prise de commandement, il prépare avec le général Juin l’intervention en Tunisie. Trois jours après l’armistice conclu avec les Américains le 10 novembre, Darlan le nomme Commandant en chef des forces terrestres et aériennes. Le 14 novembre, Giraud met sur pied l’Etat-Major de l’Armée et adresse sa première directive aux généraux Barré à Tunis et Welvert à Constantine; il donne l’ordre de mobilisation générale des Français et des Musulmans d’Algérie et du Maroc.

Les 17 et 18 novembre, il se rend avec Juin auprès du général Barré et du général Anderson, commandant la 1ère Armée britannique et les troupes alliées en Tunisie. Le 20 décembre, le général François d’Astier de la Vigerie, envoyé par de Gaulle, lui propose la coopération des Forces françaises libres. Dans le même temps, Giraud charge Lemaigre-Dubreuil et le général Béthouard d’une mission à Washington pour obtenir le réarmement de 13 divisions françaises dont 2 blindées.

Après l’assassinat de l’amiral Darlan le 24 décembre, le général Giraud est élu à l’unanimité du Conseil impérial, et contre son gré, au poste de Haut Commissaire et de Commandant en chef. Le 29 décembre, au général de Gaulle qui propose de le rencontrer, Giraud répond qu’il est favorable à l’union. Un seul but, la victoire, telle est sa devise. Du 14 au 31 janvier 1943, il confère à Anfa avec le général Marshall et les chefs d’état-major combinés alliés. Le plan de réarmement de 8 divisions d’infanterie, 3 DB, 4 QG d’armée et de corps d’armée, 24 groupes de DCA et un millier d’avions, est approuvé par Roosevelt le 24 janvier, jour de la poignée de main historique avec de Gaulle. Le protocole signé Roosevelt reconnaît Giraud comme représentant les intérêts de la France.

Le 4 février, Giraud crée le Comité de guerre. Tandis que des milliers d’évadés de France rejoignent l’armée d’Afrique, commencent les difficiles négociations entre Giraud et de Gaulle, marquées par le memorandum du Comité national de Londres, la limitation territoriale de la compétence politique de Giraud, imposée par Churchill, le discours démocratique du 14 mars, inspiré par Jean Monnet, le ralliement de la Guyane, les entretiens cordiaux avec le général Catroux à Alger, le recrutement illégal de combattants par Leclerc en Tunisie, le télégramme du 15 mai de Jean Moulin refusant que de Gaulle, seul chef de la Résistance, soit subordonné à Giraud. Giraud accepte les conditions du général de Gaulle et l’accueille le 30 mai à l’aéroport de Boufarik. Le 3 juin il devient co-président du Comité français de Libération nationale (CFLN), où il se trouve en minorité.

Dans le même temps, 80.000 soldats de l’armée d’Afrique ont bloqué l’Afrika-Korps de Rommel sur la dorsale tunisienne, et participé le 13 mai 1943 à la victoire en Tunisie. Cordell Hull, Churchill et Roosevelt font l’éloge des succès militaires remportés par Giraud. Eisenhower signe avec le seul Giraud le memorandum du 19 juin, qui est rejeté par de Gaulle. Le commandant en chef se rend à Washington du 2 au 24 juillet pour accélérer le réarmement. De Gaulle met à profit cette absence pour limoger 400 officiers supérieurs et généraux. Il prend le 30 juillet la Présidence du Comité de Défense nationale et exige en août la fusion des Services spéciaux, que Giraud n’acceptera qu’en partie le 27 novembre(5) .

Entre temps, du 9 au 15 septembre, Giraud a monté avec le Front national, dirigé par le communiste Giovoni, l’opération de libération de la Corse, qui est critiquée par le CFLN, mais admirée par Roosevelt, Churchill et Eisenhower. Il met sur pied le Corps expéditionnaire confié au général Juin pour l’Italie, et se prononce, avec Churchill et Juin, pour la poursuite des opérations d’Italie vers les Balkans, en vue de devancer les Russes à Berlin.

De Gaulle s’impose le 9 novembre comme Président unique du CFLN, dont il élimine les généraux Giraud et Georges. Le 4 avril 1944, l’éviction du Commandant en chef est définitive, il apprend par la presse sa désignation comme Inspecteur général, poste qu’il décline(6). Il se retire à Mazagran, où il est victime d’un attentat le 28 août.

« Je dis bien haut, déclare de Gaulle le 15 avril, que la magnifique carrière du général Giraud fait extrêmement honneur à l’armée française. Je dis bien haut que son évasion légendaire de Koenigstein, sa volonté immuable de combattre l’ennemi, sa participation éminente à la bataille de Tunisie et à la libération de la Corse lui assurent dans cette guerre même, une gloire qui ne sera pas oubliée ». Il manque à cet éloge le rôle du général Giraud dans le réarmement de l’armée, et sa conception prémonitoire de la résistance militaire en métropole, qu’il faut maintenant préciser.

Les ordres à la résistance.

Dès son retour en métropole en avril 1942, le général Giraud établit des contacts avec les mouvements de Résistance, et d’abord avec ceux dépendant de Vichy. Il s’informe auprès du capitaine Lejeune des possibilités des Groupes d’autodéfense (GAD) en zone occupée, auprès du colonel Mollard du camouflage des matériels, et du colonel de Linarès de la mobilisation clandestine. Il donne l’ordre à ce dernier de reprendre le combat au cas où l’armée allemande envahirait la zone libre. Il s’intéresse aux Services de renseignement clandestins, en particulier aux Travaux ruraux du commandant Paillole, qui est en liaison avec l’Intelligence Service.

Son évasion spectaculaire incite les mouvements de résistance à se rapprocher de lui. En avril il reçoit la visite de Claude Bourdet, de François de Menthon et du duc de Magenta, futurs dirigeants de Combat. Il revendique de prendre la tête de la résistance européenne et, pour conserver le secret, refuse de parler à la BBC. Il n’accepte pas de se rendre à Londres et déclare à Bourdet qu’il ne voit pas d’avenir pour le général de Gaulle.

La relation avec Murphy étant réalisée par l’intermédiaire de Lemaigre-Dubreuil, c’est le réseau Alliance qui établit la liaison avec l’état-major interallié; le commandant Faye de ce réseau apprend en effet que Churchill s’intéresse à Giraud. C’est Alliance qui transmet à Londres, le 20 octobre le Memorandum de Giraud(6). Dans ce memorandum, Giraud définit le plan d’un débarquement allié en métropole, qui aurait lieu en 1943 avec le soutien de l’armée d’armistice. Il n’ignore pas, sans doute, que ce plan est dépassé, puisqu’il se prépare à rejoindre l’Afrique du Nord avec le concours du réseau Alliance(7) .

Les documents récemment découverts(8) au Public Record Office de Londres apportent un éclairage nouveau sur le rôle de Giraud dans l’organisation de la résistance militaire. C’est d’abord une directive du 3 novembre, destinée au général Frère, qui constitue l’acte de naissance de l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA). Ce texte montre que Giraud apprécie bien les problèmes de la clandestinité et de la coordination entre les maquis et les forces de débarquement :

Aller trouver le commandant Lejeune et travailler en liaison avec lui.

Toucher le général FRERE à ROYAT et lui dire que je le désigne comme chef de la résistance en France. Il aura comme adjoint le Rev et Seg.(9)

Il s’agit de tendre sur la FRANCE un filet aux mailles inégales, provinces, départements, cantons, communes, avec les chefs locaux connaissant leurs affiliés et prêts

à tout pour chasser l’envahisseur, en liaison avec les armées régulières au moment du débarquement.

Les étapes successives sont :

a/ assurer la liaison avec ALGER, par radio et par agents;

b/ recueillir tous les renseignements possibles sur l’ennemi et les faire parvenir avec un code convenu.

c/ préparer un plan d’opération, à chaque échelon, pour faciliter la progression des troupes anglaises, américaines et françaises.

d/ prévoir les gens sûrs capables de prendre en main la police et l’administration, dès l’arrivée des alliés, pour empêcher le désordre et l’anarchie.

e/ conserver le secret le plus absolu, les chefs subordonnés doivent s’ignorer entre eux.

f/ ne pas partir avant le signal convenu. Les attentats ou sabotages isolés nuisent plus qu’ils ne servent.

g/ enfin se rappeler que la qualité des affiliés vaut mieux que la quantité.

Des gens sûrs, discrets, résolus. S’il y a des traîtres, exécution immédiate. Quant aux impatients, leur dire qu’ils n’ont qu’à obéir.

(sgd) GIRAUD.

Dès son arrivée à Alger, le général Giraud se préoccupe d’aider la Secret Army que constitue l’ORA. Une réunion préparatoire a lieu à Alger le 12 décembre 1942 avec les responsables britanniques du SOE (Special Operation Executive ). Faisant le point de la situation à la suite de la dissolution de l’armée d’armistice, la note du SOE conclut à la nécessité de venir en aide à l’organisation secrète militaire (désignée sous le terme de Secret Army) en France. Sans se rendre très bien compte des besoins réels, elle propose :

– de regrouper les forces dispersées (5.000 officiers et sous-officiers),

– de leur fournir les moyens financiers nécessaires,

– de leur procurer des moyens de liaison.

La planification de l’aide britannique à l’ORA est organisée le samedi 13 février 1943 lors d’une conférence tenue à Alger au Palais d’été, co-présidée par le général Giraud et le major général GUBBINS. Des ordres précis sont donnés aux commandants Lejeune et Paillole, et au lieutenant britannique Goldsmith, en vue de faire le point sur la situation de la Secret Army, ses besoins en transmissions, armement, instructeurs, officiers de liaison et finances (texte joint en annexe).

Les directives de Giraud sont diffusées en France aux cadres démobilisés de l’armée d’armistice. C’est ainsi qu’en février 1943 le colonel Bertrand, commandant le 1er RI(10) à Saint Amand Montrond, transmet à ses officiers les instructions du général Giraud : « ne doivent partir en AFN que les spécialistes, aviation, blindés, troupes nord-africaines. Giraud va faire réarmer l’armée d’Afrique par les Américains. Les jeunes officiers doivent encadrer en métropole les jeunes qui veulent échapper au STO « . L’accord du 13 février rentre rapidement en application : le 1er RI est la première formation de résistance en France à recevoir, le 18 avril 1943, un parachutage d’armement, en présence du commandant Lejeune, arrivé de Londres en mars.

Giraud, dès avril 1943, se préoccupe d’organiser la résistance en Corse. Utilisant le sous-marin Casabianca, il transmet au capitaine de gendarmerie Colonna d’Istria, le message suivant : « Ordre former armée secrète vraiment nationale, rechercher terrains parachutage, définir objectifs à attaquer le jour J pour permettre le débarquement du Corps expéditionnaire que l’état-major du Commandant en chef prépare secrètement « . Ainsi la mission de la résistance en relation avec un débarquement est-elle clairement définie.

Le contact de Giraud avec Frère sera toujours maintenu, même quand Laval relèvera Frère de son commandement, en abaissant la limite d’âge des généraux, le 1er septembre 1942. Lorsque Frère est arrêté le 13 juin 1943, c’est le général Verneau, ancien CEMA, qui prend la direction de l’ORA. Il établit la coordination de l’action avec les mouvements de résistance Nord, et avec le général Dejussieu, chef d’état-major de l’Armée secréte de la zone Sud. Le colonel Zeller lui est subordonné pour le Sud-Est, le colonel Pfister pour le Sud-Ouest, le commandant Cogny pour la zone Nord. Le 28 septembre, il envoie le colonel Zeller, à bord d’un sous-marin, en mission à Alger, où il rencontre les généraux Giraud, de Gaulle et Juin. Zeller se rend ensuite à Londres où il retrouve le commandant Lejeune et est reçu par le colonel Buckmaster, chef de la section française du SOE.

Ainsi la liaison entre le Commandant en chef, l’ORA, et le SOE est-elle encore renforcée. Le général Giraud suit avec attention les activités de résistance armée, grâce aux Services spéciaux d’Alger, particulièrement efficaces dans la recherche du renseignement militaire. Il s’oppose à leur fusion avec les Services gaullistes, davantage politisés.

Après les arrestations de Jean Moulin et du général Delestraint en juin, Verneau est à son tour arrêté le 23 octobre, en même temps que Cogny. Le général Revers, qui prend la suite, rencontre des difficultés pour se faire reconnaître des mouvements civils de résistance, qui sont profondément divisés, et plus gaullistes que giraudistes. Les commandants régionaux de l’ORA s’emploient également à l’intégration de leurs unités dans les FFI. Le 14 février 1944, le Conseil National de la Résistance (CNR) reconnaît l’existence de l’ORA, et le 10 mars le Comité d’action en France, auquel participe Giraud sous la présidence du général de Gaulle, organise la résistance intérieure et fait admettre le général Revers au Comité d’action militaire de la résistance (COMAC). C’est la dernière intervention du Commandant en chef en relation avec la résistance de l’armée.

X

L’éloge du général de Gaulle, cité plus haut, montre bien les mérites du Commandant en chef dans l’organisation des campagnes de Tunisie et dans la libération de la Corse. Mais il ne souligne pas suffisamment les éminentes qualités du chef militaire, qui crée les grandes unités (Armée, Corps d’Armée et Divisions), organise la mobilisation de l’Afrique du Nord, obtient des Américains la modernisation des armements, conçoit la stratégie et la tactique adaptée, coordonne les services du renseignement, participe à l’unification des FFI. Il est après Weygand et avec l’aide de Juin, le rénovateur de l’armée d’Afrique, et le fondateur du Corps expéditionnaire français (CEF) en Italie.

La campagne de Corse est un modèle d’opération combinée, dans laquelle coopérent les marins français, les gendarmes, les résistants communistes, le BCRA et l’OSS, le bataillon de choc de Gambiez et les tabors marocains, avec in fine le concours de l’armée italienne.

Le bilan militaire de l’ORA est tout aussi brillant(11). Il faut rappeler l’efficacité du réseau de passage en Espagne, la formation d’unités prestigieuses comme le Corps franc Pommiès, le 1er RI, la Brigade Charles Martel et la Division légère d’Auvergne, la coopération du renseignement avec le réseau TR, la participation aux maquis des Glières et du Vercors, l’appui au débarquement de Provence(12) et la reddition de la colonne Elster, qui constitue la plus importante bataille offensive de la Résistance (résumée dans l’annexe 2).

Il faut souligner enfin le grand courage du général Giraud, qui conduit toutes ses activités en sachant que sa famille est soumise aux représailles de l’ennemi : sa fille Renée Granger et ses quatre enfants déportés de Tunis à Friedrichroda (Thuringe), où elle-même trouve la mort. Son gendre André Marguet et son frère Fernand Giraud déportés à Plansee (Tyrol), son épouse et six membres de sa famille expulsés d’Aix en Provence et internés à Vals-les-Bains, puis à Saint-Romain de Lerps (Ardèche), avant d’être déportés sous la conduite des SS à Paris, Vittel et finalement Friedrichroda. Dans le même temps, deux fils et un gendre du général servent dans l’armée d’Afrique. Quelle famille d’officier a subi de telles persécutions, et rendu de tels services à la libération de la France ?

Si face à de Gaulle il ne fut pas un bon manoeuvrier politique, ce grand chef militaire fut un grand résistant et un grand Français. Il semble qu’on l’ait oublié.

Annexe 1 PUBLIC RECORD OFFICE

February 14th. 1943

NOTE ON THE CONFERENCE HELD AT THE PALAIS D’ETE

ON SATURDAY, FEBRUARY 13TH.1943.

Present : General GIRAUD Major General GUBBINS

General CHAMBE Lt. Colonel HESWICK

Colonel de LINARES Lt. GOLDSMITH.

Commandant PAILLOLE

—————————

General Giraud decorated Lt. Goldsmith with the Croix de Guerre avec citation à l’ordre de l’armée, for his work in France, and the arrangements made for General Chambe’s escape from there to North Africa.

1. The subject under discussion was the evolution and future of the Secret Army in France . Up to the time of General Giraud’s departure he was the chief of this Secret Army, and among his principle lieutenants were the General Chambe, Baurès, Frère, Colonel de Linares and Commandant Lejeune. The General Giraud, Chambe and Colonel de Linares are now in North Africa . General Baurès is under arrest in France . General Frère remains free in France . Commandant Lejeune has been to North Africa and is now on his way to France to pick up the threads of his organisation and to report back to General Giraud as soon as possible.

2. From the attached papers it will be seen that considerable elements of the Secret Army still exist in organised form, but that with the German occupation of the whole of France, they are now in need of communications (especially with North Africa), arms, instructors, liaison Officers, and money. Through S.O.E. British help has offered in France to General Baurès to maintain and develop this Secret Army against the day of the Allied return to the Continent. General Baurès, who was by General Chambe and Lt. Goldsmith shortly before their departure from France and before the General’s arrest, asked for General Giraud’s directive on the acceptance of this British offer. General Giraud has accepted and has instructed his staff to co-operate with S.O.E. in the realisation of this project.

3. Il will be necessary for S.O.E. to etablish communications with the Secret Army to send arms, organisers, and instructors. On the question of money Commandant Paillole scated that the necessary funds, at any rate for the time being, were available in France . This question, therefore, as far as S.O.E. is concerned, does not arise.

Immediate steps that can be taken in this task are as follows :

(i) Commandant Lejeune will go to France and report back on the existing organisation that remains.

(ii) Lt. Goldsmith will proceed to London with General Giraud’s written directive to the existing chiefs of the Secret Army and this will contain instructions to work in closest collaboration with S.O.E. Lt. Goldsmith will hand the instructions to Commandant Lejeune, if he has not already left for the field. If he has, he will follow him at the first suitable opportunity in order to make necessary contact with Commandant Lejeune and the leaders of the Secret Army in France .

(iii) A wireless set wich is in direct contact with S.O.E. Algiers has been established in Southern France . This will be the first communications link in the organisation.

(iv) Two french Officiers are at present in training in Algiers and will be available within the next few weeks to go to France and form the nucleus of the instructors required.

(v) General Chambe has promised to assist in the provision of future personnel, more particularly wireless operators in order to build up communications between the Secret Army ans General Giraud’s headquarters here.

Further plans will have to await the return of Commandant Lejeune from the field, and any such reports that Lt. Goldsmith will send from France after he has had an opportunity of carrying to the leaders of the Secret Army General Giraud’s directive.

Annexe 2 Le 1er RI dans la Résistance

Plusieurs unités de l’armée d’armisitice sont entrées en résistance. Aux côtés du Corps franc Pommiès, le 1er Régiment d’Infanterie est un des plus prestigieux. Régiment à trois bataillons, aux ordres du colonel Bertrand, il est implanté en 1941 dans le Cher à St Amand Montrond, Issoudun et Dun-sur-Auron. Ses compagnies sont installées dans les villages et sont bien intégrées à la population. Le régiment est également proche du groupement n°32 des Chantiers de Jeunesse à Bruères.

Dissous le 27 novembre 1942, après avoir observé le 11 novembre le franchissemnt de la ligne de démarcation par la Wehrmacht, le régiment a pu camoufler des armements. Dans son ordre du jour, le colonel Bertrand s’incline devant les plis du drapeau, autour de lui nous nous rallierons tous au jour de la résurrection que nous savons certaine. Plusieurs officiers sont mis en place dans des administrations du département ( sous-préfectures, service de la main d’oeuvre, défense passive)et dans l’exploitation forestière. Leur mission sera de :

– rechercher le renseignement sur l’ennemi (agents de la Gestapo, Abwehr et Milice), en liaison avec la Gendarmerie, les Chantiers de jeunesse et les mouvements Combat et FTP,

– recruter et encadrer les jeunes qui veulent échapper au STO; suivis par des sous-officiers, ils sont mis à l’abri dans des fermes-maquis avant de rejoindre les maquis -mobilisateurs,

– contacter les Saint-Cyriens qui après dissolution de l’Ecole Spéciale militaire d’Aix ont rejoint les Chantiers de Jeunesse,

– instruire des équipes secrètes sur le parachutage, l’emploi de l’armement et des explosifs.

Le colonel Bertrand recommande à certains d’encadrer les troupes scoutes du département; c’est ainsi que le lieutenant Roidot organise avec Michel Menu un camp de cadres scouts, qui trouveront ensuite leur place dans la résistance.

Le commandant du 1er RI élargit son action dans la Nièvre où il devient responsable ORA. En liaison avec les généraux Frère et Verneau, il accueille en mars 1943 le général Olleris, accompagné de deux officiers alliés. Il organise des réunions clandestines et décline le commandement du 1er régiment de France, force gouvernementale dépendant de Laval, mis en place le 28 juillet 1943 à Le Blanc, St Amand et Dun. Le commandant Rauscher et 3 officiers du régiment sont arrêtés le 10 décembre 1943 par la Gestapo de Bourges, aidée par la Milice. Se sentant surveillé dans le Cher, le colonel Bertrand installe ensuite son PC à Paris. C’est au profit du 1er RI qu’a lieu le premier parachutage du SOE le 18 avril 1943; d’autres suivront le 25 août, le 6 octobre et le 20 novembre.

En mai 1944, le 1er RI à deux bataillons de chacun 5 compagnies, renforcé d’une compagnie des Chantiers, constitue la 33ème demi-brigade aux ordres du colonel Trousseau. Ultérieurement, il sera rejoint par six compagnies du 1er régiment de France, qui ont éliminé leurs officiers supérieurs. Le 1er RI reçoit la mission de déclencher le plan Vert de destruction des convois ferrés venant du Sud, puis de l’Ouest. En contact avec le mouvement Combat, le colonel Bertrand refuse de participer le 6 juin à la « libération » de St Amand, qui est réoccupé le 8 et soumis aux représailles des Allemands et de la milice. Exécutant le 15 août l’ordre de Koenig de passer à la guérilla généralisée, il mène un combat d’embuscades contre les unités ennemies et libère Bourges le 6 septembre, en liaison avec le colonel de Vogüe et le colonel Hubert des FTP.

Il participe du 7 au 11 septembre à la gigantesque embuscade coordonnée par les FFI du Sud-Ouest et d’Auvergne contre l’importante colonne Elster(13), évaluée à 18.000 hommes, qui se replie de Bordeaux vers Dijon par Chateauroux.

Au cours de ces engagements, généralement de courte durée mais entraînant de vives réactions allemandes, le 1er RI a perdu une soixantaine de tués dont deux officiers, et de nombreux blessés. La mémoire des soldats morts pour la France est conservée dans le Cher par de nombreuses stèles entretenues avec fidélité par les anciens du 1er RI et les municipalités. Le régiment a été cité à l’ordre de l’armée par le général de Gaulle le 3 avril 1945.

CITATION A L’ORDRE DE L’ARMEE

LE 1er REGIMENT D’INFANTERIE

Splendide Corps, dont la foi ardente dans les destinées de la Patrie n’a pu être abattu par la dissolution de 1942. En dépit des arrestations, déportations et perquisitions, a réussi à mettre à l’abri une partie importante de son armement, de son habillement et de ses approvisionnements. A établi entre la troupe et ses cadres des liens tels qu’en juin 1944, à l’appel de son chef, le Colonel Bertrand, le Régiment a pu se regrouper autour de ses équipes clandestines qui n’avaient jamais cessé de mener le combat. Conduisant une guérilla continuelle, du 8 août au 12 septembre 1944, a manifesté les plus belles qualités d’une troupe de choc par ses actions de harcèlement au cours desquelles il a causé à l’ennemi des pertes dépassant 500 tués, un millier de blessés, 150 prisonniers, et a contribué à la reddition d’un groupement de colonnes ennemies fort de 18.000 hommes.

Annexe 3 La reddition de la colonne Elster

Attaquée par l’aviation alliée et par les FFI, la colonne est bloquée sur la Loire à Decize par la division Auvergne du colonel Fayard. Seule l’avant-garde du colonel Bauer a atteint Autun où elle est encerclée par le Corps franc Pommiès et le 2ème Dragon, elle se rend le 10 septembre. Tandis que le 1er RI et les FFI de l’Indre aux ordres du colonel Chomel attaquent le gros de la colonne, les FFI du Limouzin et de Corrèze talonnent l’arrière-garde. Le colonel Chomel obtient l’ouverture de pourparlers à Issoudun avec le général Elster, qui signe sa reddition le 10 septembre au soir entre les mains du général Macon, chef de la 83ème DI-US et du colonel Chomel. Le 11 septembre, il négocie à Arcay avec les colonels Bertrand et Vogüe l’accord lui permettant de faire mouvement au nord-ouest, vers les camps de prisonniers américains.

(1) réf. – Dainville (colonel de). L’ORA, la Résistance de l’armée. Lavauzelle 1974.

– Henri Michel. Histoire de la résistance. PUF 1980.

– François-Georges Dreyfus. Histoire de la résistance. de Fallois. 1996.

– Christine Lévisse-Touzé. L’Afrique du Nord en guerre. 1939-1945. A.Michel. 1998.

– Henri-Christian Giraud. Conférences du Figaro. 24 mars 2000.

– Général Georges Roidot – Témoignage sur l’ORA, colloque de la France combattante, 27 janvier 2000.

– Les jeunes dans la résistance du Berry, Exposé du 19 mars 2003.

(2) M.Solborg, représentant l’OSS à Lisbonne, estime que Giraud est l’homme qu’il faut pour obtenir l’appui sans réserve des Américains.

(3) A Mulhouse le fugitif fut pris en charge par Paul Weiss d’Oberbruch, qui le conduisit en voiture à Liebsdorf. La famille Weiss réussit à s’échapper et à gagner clandestinement la Suisse. La maison Weiss fut alors pillée, puis occupée par la Wehrmacht.

(4) lettre postée le 9 novembre

(5) réf. Colonel Paillole – Services spéciaux, 1935-1945. Laffont 1975 – L’homme des services secrets. Julliard. 1995.

(6) la même manière de faire sera utilisée pour le général Salan à la fin de l’année1958

(6) texte dans F.G. Dreyfus, op.cit. p. 227

(7) Il convient de rappeler que Jean Moulin, parachuté en janvier 1942, rencontre fin août le général Delestraint, que de Gaulle nomme chef de l’Armée secréte en octobre 1942.

(8) par le sous-lieutenant Philipona

(9) Rev. est probablement Revers. Seg . non identifié.

(10) voir annexe sur le 1er RI, à ne pas confondre avec le 1er Régiment de France créé par Laval (JO du 28 juillet 1943).

(11) p.m. les 4 promotions passées par Aix en Provence de 1940 à 1942 ont eu 220 tués et plus de 60 déportés

(12) début août 1944, le colonel Zeller est envoyé à Naples pour renseigner le Commandement allié en vue des opérations de débarquement, auxquelles coopérera l’ORA de Marseille.

(13) Résumé et schéma ci-joints, établis par le général Roidot, ancien du 1er RI et président des Anciens de l’ORA.

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur Le général Giraud et la Résistance

L’histoire des Harkis

Guerres mondiales et conflits contemporains, janvier 2002

L’histoire des harkis a fait l’objet de nombreux ouvrages, articles et mémoires universitaires, pas toujours bien informés, et de témoignages partiels et souvent partiaux. Avec l’ouverture des archives en 1992, et surtout les dérogations obtenues pour des archives non ouvertes ( Comité des Affaires algériennes, documents des Affaires étrangères, du Centre de coordination interarmées, et du cabinet Messmer), on peut maintenant proposer un historique objectif (1), que je me propose de résumer en trois parties :

– les harkis dans la guerre,

– l’abandon, le massacre et le rapatriement sélectif,

– les politiques d’insertion de 1962 à 1999.

Il convient en introduction de rappeler que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de harkis toutes les autres catégories de supplétifs de la guerre d’Algérie : moghaznis, Groupes Mobiles de Sécurité (GMS), Groupes d’Autodéfense (GAD), à l’exclusion des appelés et des militaires sous contrat.

I. La guerre d’Algérie.

Quand éclate le soulèvement du 1er novembre 1954, la plupart des unités nord-africaines se trouvent encore en Indochine, et le recours aux supplétifs est proposé dès novembre par le préfet de Constantine et par M.Vaujour, directeur de la Sûreté générale. F. Mitterrand, ministre de l’Intérieur, signe en janvier 1955 l’Instruction de création de 30 goums de 100 h. : ce sont les Groupes mobiles de protection rurale (GMPR), qui deviendront ensuite GMS. Il y aura 114 GMS en 1962 (6T 7775, 1H 2029).

Le 5 septembre 1955, le Gouverneur J.Soustelle crée les Sections administratives spécialisées (SAS), chargées d’encadrer les zones rurales. Protégées par un maghzen de 25 à 50 moghaznis, 700 SAS seront créées et complètées par 30 Sections urbaines (SAU). Elles contribueront à l’armement de 2.000 villages en autodéfense (1H 1207, 1209, 2456).

C’est le 8 février 1956 que le général Lorillot prescrit de former des harkas dans chaque Quartier d’Algérie, à l’imitation de ce qui a été fait par le général Parlange dans l’Aurès et par le bachaga Boualem dans les Beni Boudouane. La montée en puissance des harkas est relativement lente en 1956-57, en raison de l’action du FLN qui s’impose dans les villages par la propagande et la terreur (6T 7775, 1H 2028). Les succès militaires de 1958 permettent d’augmenter les effectifs, et en décembre 1958 le général Challe obtient du général de Gaulle de passer de 28.000 à 60.000 harkis (1K233). En 1959, 6 à 7.000 d’entre eux seront affectés dans les Commandos de Chasse créés dans chaque Secteur ( Arrondissement) pour éliminer les rebelles qui ont échappé aux opérations du plan Challe (1H 2456).

C’est au début de 1961 que le recrutement des musulmans atteint son maximum, comme le montrent les courbes jointes (page 6-7). Il y aura trois à quatre fois plus de musulmans dans l’armée française que dans l’ALN, et 3.200 supplétifs sont tués au combat ou par attentat.

Alors que GMS et Moghaznis étaient engagés sous contrat de 6 mois, les harkis avaient jusqu’en 1961 un statut de journaliers, bien qu’ils restent en service plusieurs mois, et qu’ils soient payés mensuellement (22.500 AF). Environ 3.000 d’entre eux étaient des rebelles ralliés. Les harkas amalgamées avaient le même armement que les unités régulières. Quant aux autodéfenses, elles étaient armées à 50% de fusils de chasse et de 8 mm, et en principe n’étaient pas rémunérées (MAA 340, 1H 2028, 2029).

S’étant engagés davantage pour la défense de leurs familles que pour la solde, les supplétifs étaient opposés à la conception totalitaire du parti unique du FLN. Ils faisaient confiance à l’armée pour faire évoluer l’Algérie dans un sens démocratique et égalitaire. Le rappel de Challe en mars 1960 ne permet pas de mener à bien son projet de Fédération des UT et des autodéfenses, qui aurait constitué un parti français opposé au FLN (7T 249).

Crépin, le successeur de Challe, avait promis en janvier 1961 que les harkis, considérés comme vainqueurs, auraient la première place dans l’Algérie future, et qu’ils resteraient groupés et armés pendant un an après le cessez-le-feu (1H 1096/1). Mais dès l’été 1961, le gouvernement décide d’amorcer la réduction des effectifs des harkas et des autodéfenses, et de « civiliser  » les SAS, ce qui reviendrait à supprimer les maghzens, alors que Challe leur avait confié la responsabilité opérationnelle des Quartiers de pacification (1H 1304, 2027, 2028, 2556).

II. L’abandon, le massacre et le rapatriement sélectif.

Les promesses de Challe et de Crépin n’ont pas été tenues. Les négociateurs d’Evian se sont préoccupés, il faut le reconnaître, de l’avenir des « musulmans fidèles à la France « . En novembre 1961, ils ont obtenu du FLN à Bâle la promesse qu’il n’y aurait pas de réprésailles (SEAA 111, MAA 155). Croyant à tort à cette promesse, L.Joxe a adopté une politique de maintien de la plupart des supplétifs en Algérie. Huit jours avant le cessez-le-feu, M. Messmer leur a proposé le choix entre trois solutions : l’engagement dans l’armée pour les plus aptes, le retour au village avec une prime (1mois et demi de solde par année de service), un contrat civil d’attente de 6 mois. Ceux qui se sentaient menacés avaient la possibilité de demander leur rapatriement, mais le 15 mai 1962, il n’y avait que 5.000 demandes, familles comprises. Les rapatriés (réfugiés serait plus juste) devaient conserver la nationalité française, à condition d’en faire la demande au Juge d’instance, condition considérée comme contraire aux accords d’Evian (SEAA 107). Les GMS et les auxiliaires de la Gendarmerie étaient transférés en bloc dans la Force de l’ordre, qui, avant et aussitôt après l’indépendance, déserta en masse ; 26.000 armes passent ainsi au FLN (SEAA 109 à 112, 6T 792, 7T 136, 1H 1322).

90% des harkis ont choisi le retour à la vie civile, parce que le FLN leur a promis qu’ils seraient pardonnés et considérés comme des frères. Mais ces promesses étaient mensongères, comme le prouvent les directives des wilayas (1H 1643, 1803, 15 CAB 144). Il y a donc eu des règlements de compte entre le 19 mars et le 1er juillet, dans les villages évacués par l’armée française, où l’on ne savait pas ce qui se passait. A partir du 5 juillet, les massacres ont été massifs et accompagnés de supplices inimaginables, il s’agissait de les faire mourir deux fois. Même les ralliés de la 11ème heure n’y ont pas échappé (1H 2402, 2716, rapport S/Préfet Robert).

Les historiens ne sont pas d’accord sur le nombre des harkis massacrés. J. Lacouture ayant énoncé 10.000 victimes, dans le Monde du 13 novembre, ce chiffre a été retenu par l’ambassadeur. Le Contrôleur général de Saint-Salvy (approuvé par le colonel Schoen)a fait une évaluation de 150.000, à partir d’ une péréquation basée sur l’arrondissement d’Akbou. Le Service historique n’a fait aucune estimation et s’est contenté de citer celle de Saint-Salvy. L’historien d’Alger X.Yacono, ayant calculé que les pertes dues à la guerre étaient inférieures à 300.000, a jugé inacceptable le chiffre de 150.000. Nicolas d’Andoque, ancien SAS, a retenu 60.000, ce qui paraît être une limite courte.

La méthode de calcul par différence entre le total des pertes et le nombre des victimes dues à des actions de guerre aboutit à une fourchette de 60 à 80.000 harkis tués en 1962-63. Il semble, écrit JC Jauffret dans Historiens et géographes, qu’un consensus rassemble peu à peu les historiens français, et qu’une évaluation de 60 à 80.000 victimes soit retenue. Utilisant la même méthode, Jean-Jacques Jordi propose 70.000(2). Mais on ne connaîtra jamais la vérité, car une évaluation précise est aujourd’hui impossible.

L’attitude des autorités politiques et militaires doit être dénoncée comme ayant fait preuve de « non-assistance à personne en danger « . Sans doute une dizaine de centres d’accueil ont-ils été ouverts en Algérie, de nombreux officiers se sont alors efforcés de sauver leurs supplétifs. Mais le gouvernement a interdit le 12 mai les initiatives de rapatriement (SEAA 39). La raison – irréaliste- invoquée par Mrs. Joxe et Frey a été la crainte de voir des commandos de l’OAS, à base de musulmans, s’installer en France (1R 367, 1K 744). Alors que le Commandement et M.Pompidou avaient recommandé les initiatives de secours aux personnes menacées, le Comité des Affaires algériennes du 21 juin 1962 a interdit ces initiatives en dehors des cas de légitime défense ou d’attaque caractérisée (SEAA 39, 40, 41)

Les premiers transports maritimes ne débutent que le 12 juin. Les rapatriements sont ensuite suspendus le 19 juillet, et l’ambassadeur Jeanneney s’oppose aux interventions de l’armée. Les rapatriements ne reprendront qu’après le 19 septembre, sur décision de M. Pompidou (1H 1260, 2584).

L’accueil en France a souffert des mêmes indécisions. Ce n’est que le 26 mai que le ministre des Armées décide d’ouvrir pour trois mois le camp du Larzac, et le 19 juin celui de Bourg-Lastic. Le 30 mai, à la demande du colonel Buis, il accepte de recevoir 5.000 moghaznis, familles comprises (1R 336). Ainsi 10.000 personnes sont rapatriées avant le 1er juillet. En septembre, l’approche de l’hiver impose de transférer les rapatriés de Larzac et Bourg-Lastic à Rivesaltes et Saint-Maurice l’Ardoise. L’armée de terre fait alors diligence pour mettre en place les structures d’accueil : 1 officier ou sous-officier pour 100 rapatriés, des dizaines de médecins, d’assistantes sociales et d’instituteurs. Malgré ces efforts, les camps restent inconfortables, de nombreux harkis vont passer l’hiver sous la tente (1R 274 à 277, 2T 60, 7T 253, 14T 91-92).

Le 14 juin, un Conseil interministériel présidé par M. Boulin a créé un groupe de travail (3) qui recense l’arrivée des musulmans. En août et septembre, M.Pompidou préside des conseils restreints qui prennent les décisions les plus urgentes : ouverture de chantiers de forestage, allocations de subsistance et de reconversion, recherche d’emplois industriels, construction de logements. Par manque de moyens civils, c’est l’armée qui est chargée du transfert, de l’hébergement, de l’encadrement, de la pré-formation professionnelle, et même de la gestion de 42 chantiers forestiers (MAA 157).

Le général de Segonzac propose un programme de formation et d’adaptation, destiné en particulier aux femmes et aux enfants. Mais en septembre, l’Elysée prescrit de disperser les rapatriés dans les départements, où « les préfets s’en débrouilleront  » (source personnelle). Les familles ne sont donc restées dans les camps que quelques mois.

Au total, 21.000 personnes ont été rapatriées en 1962, 15.000 en 1963 et 5.340 en 1964-65.. De 1965 à 1970, des négociations engagées par M. de Broglie permettent de recueillir 1.330 prisonniers du FLN (plus leurs familles), alors qu’on en avait recensé 7.000 en 1963 et 24.000 en 1964. Nombreuses sont les familles qui ne sont pas passées par les camps. Le recensement de 1968 indique 90.000 rapatriés nés en Algérie(4)., dont seulement 15.000 anciens supplétifs, soit 10% des effectifs de 1961 ( 1H 1856, 1R 336, 337).

Quel jugement porter sur les responsabilités ? Il faut dire que l’indécision française et l’information trop tardive sur les rapatriements ont incité les supplétifs à regagner leurs villages, où ils ont immédiatement été pris en mains par le FLN. La responsabilité de la France est donc entière dans ces retards, ainsi que dans l’interdiction des opérations de secours, et dans l’insuffisance de l’accueil en métropole. Le regroupement des harkis était imposé par les menaces du FLN dans les usines et les banlieues. S’il est exagéré de parler de « camps de la honte, ou même de camps de concentration « , comme l’affirment certains enfants de harkis, il est certain que l’on aurait pu et dû faire mieux, en appliquant le programme de Segonzac et en ouvrant des installations militaires plus confortables ( camps en dur, centres mobilisateurs).

Quant à la duplicité du FLN, et sa responsabilité dans les massacres, elles sont évidentes. Les négociateurs français ont été abusés par la bonne foi de Krim Belkacem, qui a été démentie par Ben Bella et Boumediene au Congrès de Tripoli (27 mai au 7 juin 1962).

III. Les politiques d’insertion (5) .

Il est exagéré d’affirmer que l’insertion des FMR a été complètement négligée. Sans doute peut-on dire qu’elle ne faisait pas partie des priorités du Chef de l’Etat. En revanche, dès l’été 1962, le Premier Ministre s’en est préoccupé, sans qu’il lui soit possible de rattraper les retards et les indécisions du passé. Le principal reproche qu’on puisse faire à cette politique est son manque de continuité; en 37 ans en effet 15 ministres ou Secrétaires d’Etat ont été successivement chargés du dossier. En survolant ces 37 années, il apparaît que 4 ou 5 politiques successives ont été mises en oeuvre.

De 1962 à 1970, l’effort a été porté sur la régularisation administrative et l’intallation en métropole. 60.000 déclarations recognitives de nationalité ont été signées. Les Français Musulmans Rapatriés (FMR que l’on appelle aujourd’hui RONA) ont été suivis successivement par les Services du Premier Ministre, de l’Intérieur, des Rapatriés, et du Travail. Le camp de Rivesaltes est fermé à la fin de 1964. Deux camps d’accueil pour 1.500 personnes handicapées ou incasables ont été maintenus (l’Ardoise et Bias). Les autres sont transférés dans 87 départements, 11.000 emplois industriels sont créés, 75 chantiers forestiers ouverts pour 2.000 travailleurs et 10.000 personnes, 16 ensembles immobiliers construits par la Sonacotra pour 8.000 personnes. Les hameaux forestiers, souvent critiqués, étaient une bonne solution, ils ont contribué à la protection de la forêt, et la plupart ont été encadrés par des chefs compétents et des monitrices dévouées. L’erreur initiale a été de les implanter au milieu des forêts, où les enfants étaient à l’écart de la société française. Là où les chantiers ont été rapprochés des villages, la socialisation a été réussie.

Il faut rappeler aussi que, sans régler tous les problèmes, des responsables et des bénévoles ont fait preuve d’un grand dévouement (6).

La 2ème phase est celle de la prise de conscience des difficultés de l’adaptation. A la suite du rapport de Jean Servier en 1972, qui fait état de la surnatalité, des retards scolaires, et des problèmes de relations familiales, M. Messmer crée la Commission Barbeau qui se trouve confrontée à la crise de 1974-75 : grèves de la faim; révolte fomentée à St Maurice l’Ardoise par des agitateurs extérieurs (7). Des mesures sont alors prises au profit des anciens : construction de 1.000 logements, accès à la propriété, résorption des hameaux forestiers, et au profit des jeunes : bourses, colonies de vacances, formation professionnelle. De 1975 à 1979, des Bureaux d’information, d’aide et de conseil (BIAC) sont mis en place en vue de développer la concertation entre rapatriés et administration. Une commission interministérielle permanente est alors présidée par le Premier Ministre et animée par le préfet Belhaddad. La commission Mario Bénard est une autre de ces instances.

Le gouvernement socialiste, en 1984, implante à Carcassonne un Office national à l’action sociale, éducative et culturelle ( l’ONASEC), dont la gestion a fait l’objet de critiques. Il faut mettre à l’actif du ministre Hernu la mise en place d’appelés du contingent comme éducateurs scolaires et agents de coordination chargés de l’emploi (ACCE), et en 1989, la première cérémonie du souvenir aux Invalides, jumelée avec la sortie du timbre « Hommage aux harkis « . Le Délégué Benassayag obtient les mesures d’insertion du gouvernement Rocard : formation professionnelle, action sociale et éducative, aide au logement. Deux ans plus tard, Madame Cresson et M. Bianco tiennent compte des observations du rapport Leveau-Meliani qui constate un chômage croissant de 20 à 25%. Des mesures nouvelles sont adoptées pour pallier le surendettement, réhabiliter les logements, assurer un suivi administratif et éduquer les jeunes. Il semble cependant qu’une partie des crédits prévus sont ensuite transférés sur d’autres chapitres.

Les gouvernements Chirac et Balladur, secondés par les ministres Santini, Cabana et Romani, consentent un effort financier plus important que leur prédécesseurs. Une indemnisation de 60.000 francs est accordée en 1987, puis, à la suite des conclusions du groupe de travail Rossignol, qui réalise une véritable concertation, une allocation de 110.000 francs en 1994, accompagnée d’aides à la propriété de 15 à 80.000 francs. Un statut des victimes de la captivité et une aide aux veuves sont adoptés. Le président Chirac inaugure le 11 novembre 1996 le monument du Chapeau Rouge, à la mémoire des Rapatriés d’outre-mer. Hamlaoui Mekachera, Président du Conseil national des Français musulmans, est nommé Délégué à l’intégration. Il approuve la Charte du culte musulman du recteur Boubekeur, avant de remplacer ce dernier à la Présidence du Conseil représentatif des musulmans de France.

A la suite des grèves de la faim médiatisées sur l’esplanade des Invalides par Abdelkrim Klech, et malgré un rapport Lagarigue défavorable, Madame Aubry a accordé le 2 janvier 1999 de nouveaux avantages sociaux :

– rente viagère de 9.000 F accordée à environ 12.000 anciens supplétifs,

– prolongation de 2 ans des mesures pour le logement et l’emploi du plan Romani,

– convention partenariale avec l’ANPE et suivi des embauches par des cellules départementales spécialisées, visant à créer 3.000 emplois par an,

– convention-emploi de 70.000 F et bourse de 30.000 F favorisant la mobilité,

– recrutement d’une centaine d’ouvriers forestiers.

Ces dispositions, dont le coût est évalué à plus de 2 milliards, ont été jugées insuffisantes par la plupart des associations, même si elles vont dans le bon sens. Elles commencent à donner des résultats, comme le montre le tableau des emplois acquis de 1998 à 2000, dont 48% ont été obtenus par les ACCE, alors que les dispositifs nouveaux (cellules emplois) réalisent 41% de CDI (contrats à durée indéterminée), 17% de CDD, 10% de contrats aidés, 22% d’emplois jeunes et 14% de stages de formation :

Insertions réalisées par

1996

1997

1998

1999

2000

Cellules

579

536

1820

2645

2326

ACCE

1772

1840

2321

1747

1648

.     TOTAL                  2351                  2376                  4141                 4392                 3974

 

Les cellules emploi semblent avoir atteint leur niveau de saturation, et la Délégation aux rapatriés étudie d’autres dispositifs pour amener le taux de chômage de la communauté harkie au niveau moyen national.

XXX

En résumé, on peut estimer que les politiques d’insertion, fondées sur de bonnes analyses périodiques de situation, ont manqué de continuité et de crédits budgétaires. Le total estimé à plus de 4 milliards de francs 97 pour 35 années mériterait d’être analysé avec précision. On peut considérer que plus de la moitié des familles sont bien intégrées, que le problème du logement est en bonne voie de règlement, et que certains jeunes ont réalisé de remarquables réussites.

Il reste que la communauté harkie est confrontée :

– à de grosses difficultés de chômage, liées au manque de formation, en particulier dans le Midi,

– à la mésentente de trop nombreuses associations, dont les revendications n’ont pas le poids nécessaire face au pouvoir,

– aux tentations du clientélisme et de l’assistanat,

– à des problèmes d’intégration culturelle, dus au maintien de coutumes archaïques et à la pratique d’une religion formaliste.

La situation de l’Algérie nous convainct tous les jours que les Français musulmans rapatriés ont fait le bon choix, que la France a envers les harkis un devoir de reconnaissance, et qu’elle doit mieux les associer aux responsabilités politiques.

(source EMI-EMA)

(1) l’article sur « le drame des harkis  » de Guy Pervillé, dans l’Histoire d’avril 1999, montre que cette histoire peut maintenant être écrite en s’appuyant sur des documents nombreux et fiables. Seules les archives les plus importantes seront citées, elles sont notées dans le texte pour ne pas multiplier les notes de renvoi. En revanche, l’article de CR Ageron dans Vingtième siècle d’octobre 2000 ne mentionne pas toutes ces archives.

(2) Actes du colloque du Centre universitaire méditerranéen de Nice (1998) :La réécriture de l’Histoire. p.39.

(3) Présidé par Mlle Dissart, ce groupe réunit de hauts fonctionnaires : M.Massenet, les préfets Droueille et Vaujour, M. Lamassoure, Revol, J.Monod, J.Toutain.

(4) Selon le commandant François, le total serait de 60 à 65.000 rapatriés.

(5) Les sources de ce paragraphe sont : le fonds François (1K 803), la thèse Heinis (1977), les rapports Servier, Barbeau, Leveau, Rossignol, le mémoire Chabaga, les plans Messmer, Rocard-Benassayag, Cresson-Bianco, Chirac-Santini- Cadana, Balladur-Romani et Aubry-Montchovet.

(6) Il faut citer entre autres A.Parodi, le colonel Schoen, le préfet Perony, Madame Heinis, A.Wormser, les officiers du Service d’Assistance Technique (SAT), les assistantes sociales de l’ASSRA, certains responsables de l’ONF et de la SNCF. Les anciens des SAS, de la DBFM, des troupes sahariennes, F.Sénart, l ‘abbé de la Morandais et le capitaine F.Meyer acquièrent des propriétés agricoles pour y installer leurs rapatriés.

(7) selon la thèse du sénateur Heinis, qui dément l’existence de barbelés continus.

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur L’histoire des Harkis

Le renseignement militaire français face à l’est

Le renseignement d’intérêt militaire ne diffère pas du renseignement en général. Il s’agit d’une information ~ recherchée, recoupée, analysée et synthétisée.

Comme les autres renseignements, les renseignements militaires suivent un cycle à quatre temps. Dans un premier temps, I’autorité exprime ses besoins. Dans un deuxième temps, la cellule de renseignement anime la recherche et lance des demandes. Dans un troisième temps, les organes spécialisés recherchent l’information brute. Dans un quatrième temps, les informations reviennent à la cellule de renseignement qui procède à la critique, au recoupement et à la synthèse.

Le renseignement du temps de paix comprend à la fois le renseignement de documentation – base de données sur une armée étrangère -, le renseignement de situation et le renseignement de sécurité sur la protection des armées contre toutes les intrusions venant de l’extérieur.

Le renseignement du temps de guerre se décompose entre le renseignement de contact
– c’est-à-dire le renseignement dont a besoin une unité militaire sur l’ennemi de l’avant – le renseignement de manœuvre qui vise à recueillir des renseignements sur l’ennemi futur – et l’acquisition des objectifs.

Tout chef militaire a une zone de responsabilité du renseignement qui concerne son ennemi de contact et dans laquelle il cherche et exploite le renseignement. Au-delà de cette zone de responsabilité, se situe la zone d’intérêt du renseignement qui est beaucoup plus vaste et dans laquelle il est renseigné, non pas par lui-même, mais par ses voisins et ses supérieurs. C’est dans cette zone qu’il sera renseigné sur son ennemi futur.

ORGANISATION DU TEMPS DE PAIX

Évolution historique

Après la guerre, dans les années cinquante, il existait au plus haut niveau un État-Major de la Défense Nationale (EMGDN) initialement confié au maréchal Juin et ensuite dirigé par le général Ely. Cet état-major disposait d’un Centre d’exploitation du renseignement, le CER, auquel a été accolé par la suite un organisme technique, le Centre d’exploitation du renseignement scientifique et technique, le CERST. Dans ces deux organismes travaillaient certes en majorité des officiers, mais également quelques civils et des scientifiques.

À cette époque, les priorités du renseignement étaient évidemment orientées sur le pacte de Varsovie. L’outre-mer était également présent avec la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie. Je n’évoquerai ni l’Indochine ni l’Algérie, sinon pour préciser que les deuxièmes bureaux étaient bien renseignés sur ces deux territoires. Pourtant, les commandements et les gouvernements n’ont le plus souvent pas voulu tenir compte des renseignements qui leur étaient transmis.

– Cette période initiale est propice au renseignement pour plusieurs raisons. Premièrement, la France est encore dans le dispositif intégré des Alliés, c’est-à-dire qu’elle maintient dans les états-majors des officiers qui bénéficient de toutes les sources de renseignement des pays alliés. Deuxièmement, le SDECE s’intéresse encore beaucoup au renseignement militaire dans deux domaines: d’une part, en matière d’écoutes stratégiques – à l’époque, on parvient à déchiffrer les codes soviétiques – d’autre part, par le canal des attachés adjoints qui sont mis en place auprès des attachés militaires dans les pays de l’Est.

À ce moment là, les armées forment des soviétologues: un certain nombre d’officiers apprennent la langue russe. En 1959, le colonel Michel Garder a écrit une histoire de l’armée soviétique qui faisait autorité et dont la valeur est toujours reconnue. En 1965, il a publié L’agonie du régime en Russie soviétique, ouvrage tout à fait prémonitoire. Il avait parfaitement perçu que le seul organisme soviétique qui était informé tant de la situation intérieure que de la situation internationale était le KGB. Il en concluait que toute réforme du régime soviétique passerait nécessairement par le KGB. C’est bien ce qui s’est passé avec Andropov, puis Gorbatchev.

Les premiers changements dans cette organisation interviennent en 1959, date de l’ordonnance sur la Défense nationale. Elle crée deux organisations: le Comité interministériel du renseignement (CIR) qui regroupe les cinq ou six ministres intéressés par le renseignement en général et le Comité permanent du renseignement (CPR) qui est composé de leurs directeurs de cabinet. Le Comité permanent se réunit plus souvent que le Comité interministériel. Il revient aux CIR-CPR d’approuver un document très secret: le plan de renseignement gouvernemental, dit PRG.

Un deuxième changement intervient en 1962 avec la création de l’État-Major des Armées à la tête duquel se trouve le général Ailleret. S’il est responsable du renseignement militaire, il ne dispose pas pour autant d’organismes d’exploitation et il doit recourir au SGDN et aux deuxièmes bureaux des armées pour être renseigné. Cette situation tout à fait hybride se prolongera durant quelques années.

Il existe alors au sein de l’État-Major des Armées une division renseignement. Le chef de cette division réunit assez régulièrement un comité interarmées du renseignement auquel participent les chefs des deuxièmes bureaux, les chefs du CER et du CERST ainsi que des représentants du SDECE, de la Sécurité militaire et de la Gendarmerie.

Durant cette même période, la stratégie évolue pour devenir nucléaire et dissuasive tous azimuts. Ce changement va naturellement avoir une influence sur le plan dR renseignement gouvernemental. Le gouvernement s’intéresse désormais moins au renseignement militaire sur les forces classiques qu’au renseignement scientifique et technique: il s’agit de collecter des données pour construire nos moyens nucléaires et nos fusées. Il s’agit ensuite de définir les objectifs de la force nucléaire stratégique.

Le SDECE conserve un rôle important sur le plan militaire puisqu’il continue à assurer les écoutes stratégiques et qu’il forme les analystes des écoutes, spécialité tout à fait rare et délicate. Le SDECE poursuit les échanges avec les services étrangers mais ne dispose plus d’attachés adjoints.

La troisième réforme du renseignement en temps de paix est mise en œuvre par le général Maurin en 1973 et Méry en 1976. En effet, le CEMA devient le commandant opérationnel alors que l’EMGDN est devenu SGDN. Le général Maurin crée un organisme interarmées: le Centre de formation interarmées du renseignement qui changera d’appellation par la suite pour devenir l’École interarmées du renseignement et des langues étrangères, actuellement implantée à Strasbourg. En 1976′ le général Méry crée le CERM qu’il confie au général Laurent. L’EMA dispose donc d’une centrale d’exploitation du renseignement. La montée en puissance du CERM sera cependant lente car les armées et le SGDN répugnent à perdre leur personnel spécialisé en l’envoyant- à l’EMA.

L’organisation du renseignement dans les années 70-80

(annexes 1 et 2)

Distinguons le niveau gouvernemental du niveau des armées. Dépendent du Premier ministre: le CIR-CPR, le SGDN, avec son organisme d’exploitation – le CER-CERST – des organismes de recherche, le SDECE avec son service technique de recherche – le STR – la DST, le Groupement des contrôles radioélectriques et la chaîne nationale de goniométrie.

Le ministre de la Défense ne dispose pas d’organisme de recherche. M. Messmer a créé un Centre de prospective et d’évaluation (CPE) qui sera ultérieurement appelé Délégation aux études générales (DEG). Il a une mission prospective d’étude des menaces futurés. Il rempliti à ce titre, certaines fonctions de renseignement. En outre, sont placées sous l’autorité du ministre de la Défense, la Gendarmerie et la Direction de la sécurité militaire qui deviendra la DPSD.

À l’échelon du chef d’état-major des Armées, se trouve d’abord le Centre d’exploitation du renseignement militaire, le CERM, qui dispose des renseignements venant des écoutes du SDECE, des rapports des attachés militaires à l’étranger et des dépêches diplomatiques. Un autre organisme d’exploitation: le CIREM, Centre d’information sur le renséignement électromagnétique, recueille et analyse les signatures des radars.

Ace niveau, l’exploitation et la recherche du renseignement sont décentralisées. Le CERM a confié une mission de recherche et d’exploitation à deux organismes avancés: le Centre de renseignement avancé (CRA) de Baden d’une part, et le deuxième bureau de la FATAC à Metz d’autre part. Le premier organisme est responsable de la recherche et de l’exploitation du renseignement sur l’Allemagne de l’Est et sur la Tchécoslovaquie, tandis que le second s’intéresse aux mêmes pays et à la Pologne.

Quel est l’objectif de ces deux organismes avancés de recherche ? Àl’époque, une masse de divisions soviétiques stationnait en Allemagne de l’Est et en Tchécoslovaquie; quelques-unes se trouvaient en Pologne. Toutes ces divisions étaient de première catégorie, c’est-à-dire que leurs effectifs étaient pleins alors que les autres territoires se contentaient de divisions de réserve. Le fer de lance de l’armée soviétique était donc bien là (annexes 3 et 4).

La situation était à peu près identique pour les avions puisque sur ces territoires étaient massés quantité d’avions susceptibles d’agir sur la France et d’atteindre les côtes de l’Atlantique (annexe 5).

Ces forces étaient en permanence modernisées, et disposaient d’une puissance de feu aéroterrestre considérable.

C’est aussi la période de fort développement des missiles de portée intermédiaire et des missiles tactiques. La bataille des euromissiles a défrayé la chronique. Il y avait non seulement les SS20, mais aussi les SS12, 21, 23 qui remplaçaient les Scud et les Frog (annexe 6).

Moyens de recherche électromagnétique

Les premiers moyens de recherche en temps de paix sont les écoutes fixes et mobiles (annexe 7).

Les écoutes fixes: nous disposons à la frontière de l’Allemagne de l’Est d’un certain nombre de centres d’écoute terrestres et aériens dans la gamme VHF, notamment dans le Hartz. L’armée de Terre s’installe à Berlin à côté du SDECE. Il faut noter à cet égard que le SDECE y remplit une mission particulière: les Allemands de l’Ouest n’ayant pas le droit de s’implanter à Berlin, une coopération s’est instaurée entre le SDECE et eux. ; ~

À côté de ces écoutes VHF, existent un certain nombre de centres d’écoutes HF. Tous travaillent avec une chaîne interarmées de radiogoniométrie (CIRG) basée du Nord au Sud de l’Allemagne. Ils sont capables de localiser en quelques secondes toutes les émissions HF qui proviennent de l’Est. Les messages HF étant cryptés, ils ne sont plus déchiffrés, mais à partir de la structure des réseaux, il est possible de remonter à l’ordre de bataille des forces adverses. C’est le rôle de l’analyse.

Les écoutes mobiles: des unités mobiles du 44e régiment de transmission vont régulièrement faire des campagnes à la frontère.

Quant à l’armée de l’Air, elle dispose d’avions qui accomplissent des missions de recherche électromagnétiques: Nord Gabriel et Sarigue.

L’analyse des écoutes s’effectue à plusieurs niveaux. L’analyse air à lieu à Metz; l’analyse terre à Baden; l’analyse du 2e niveau est assurée par le SDECE.

La mission militaire française de liaison (MMFL)

Le deuxième moyen de recherche concerne les missions dites de Potsdam. Il s’agit des missions de liaison des commandements français, anglais ou américain auprès du commandement soviétique en Allemagne. Au moment des accords de Potsdam, il a été convenu de procéder à un échange de liaisons militaires. Initialement installées à Potsdam, ces liaisons ont rapidement quitté ce lieu où elles étaient trop étroitement surveillées, pour ne pas dire espionnées. Elles se sont réfugiés à Berlin-Ouest, non sans avoir conservé à Potsdam les villas qui constituent les bases de départ des équipes vers l’Allemagne de l’Est. Leur mission est de rechercher le renseignement militaire, essentiellement les indices d’alerte – et particulièrement autour de Berlin – l’ordre de bataille du groupe soviétique en Allemagne et l’étude des matériels qui arrivent dans ce pays.

Il convient de souligner l’étroitesse de la coopération qui existe entre les trois missions alliées (annexe 8): ainsi, la mission française travaille dans la zone A pendant trois semaines; les trois semaines suivantes, elle intervient dans la zone B et les trois dernières semaines, elle se déploie sur la zone C. Le même système est adopté pour la zone centrale où il est procédé à la recherche des indices d’alerte. Toutefois, là, la permutation a lieu tous les trois jours. Les renseignements recueillis sont échangés entre les Alliés par des systèmes de liaison protégés, et par la tenue de réunions hebdomadaires à Berlin-Ouest.

La mission française de liaison (MMFL) qui comprend alors 8 officiers et 21 sous- officiers (plus 2 sous-officiers du 13e RDP), dispose de 12 Mercedes 300 de grande liaison et de matériels perfectionnés d’observation: jumelles à intensification de lumière, appareils Nikon à moteur (objectifs de 28 à 100 mm), vidéo, magnétoscopes et scanner à recherche de fréquence, avion d’observation (autorisé à survoler les environs de Berlin).

Cette recherche constitue une mission difficile et dangereuse. En effet, les Soviétiques ont institué sur tout le territoire de l’Allemagne de l’Est des zones interdites permanentes, les ZIP, qui recouvrent 33 % du territoire de ce pays. C’est dire que ces missions rencontrent un certain nombre de difficultés pour se déplacer sur le terrain (annexe 9).

Circonstance aggravante: en cas de manœuvres, s’ajoutent des zones-d’interdiction temporaires qui compliquent encore la tâche des Alliés. Ils doivent échapper à la police est- allemande (VOPO) qui est chargée de les pister. Nos missions se heurtent aussi aux jalonneurs russes, ce qui donne lieu à un certain nombre d’accidents graves. En mars 1983, le capitaine américain Nicholson est tué par balles. En mars 1984, l’adjudant-chef Mariotti est tué par un camion qui percute volontairement sa voiture. En 1988, intervient un incident comique: un jalonneur soviétique qui s’accroche à la voiture d’une mission française, y reste accroché pendant quatre heures. En mai 1988, un véhicule d’aviateurs français est violé par les forces spéciales soviétiques qui s’emparent du matériel et des documents en dépit de l’immunité diplomatique.

Les convois soviétiques et allemands qui se rendent en manœuvre dans les camps militaires en Allemagne sortent des zones interdites (voir schéma). C’est alors que l’on peut les observer, mais l’observation se pratique de manière différente suivant les périodes.

En effet, les armées soviétiques et satellites appellent leur personnel tous les six mois: les recrues soviétiques arrivent par avion en avril et en octobre. Pendant les trois premiers mois, ils vont suivre une instruction élémentaire. Les missions, qui n’ont alors pas de convois à observer sur le terrain, portent leur intérêt sur les objectifs et les infrastructures. Les trois mois suivants sont consacrés à la période d’exercice. Toute l’attention des missions se concentre alors sur les convois, les matériels aériens et terrestres et sur les franchissements de rivières.

C’est une tâche difficile, puisque chaque semaine, six équipages sont sur le terrain. En principe, deux équipages sont dehors en même temps, le plus souvent pour 48 heures.

La mission soviétique (par réciprocité, il y a à Baden une mission de liaison soviétique) était pour la France un souci. En effet, si la réciprocité des zones interdites avait été instituée, il n’y avait personne pour en assurer la surveillance. En 1976, la Sécurité militaire a enfin obtenu une R30 de grande liaison. Ainsi, les gendarmes étaient en mesure de suivre, de temps à autre, les Soviétiques. À vrai dire, tout ce qu’ils pouvaient faire consistait à surveiller leurs villas. En outre, les services français avaient mis au point un système de brouillage pour gêner leurs liaisons avec Berlin.

Coopération interalliée

Les Alliés, notamment les Américains, disposaient de moyens très importants en matière de recherche du renseignement, par exemple le réseau Nadge qui avait pour but de reconnaître toutes les pistes aériennes qui venaient de l’Est et le réseau BMEWS qui suivait les missiles balistiques. Il existait en outre à I’état-major américain un système dit d’alerte: Warning Indicator System in Europe (WISE) qui recevait des renseignements du monde entier.

Les Américains et les Alliés pratiquaient la fusion du renseignement. À chaque échelon, ils disposaient d’organismes intégrés où l’ensemble des renseignements de toute nature était centralisé. Les avions faisaient de la recherche par radar (systèmes MOHAWK et JSTARS). Des unités de reconnaissance: les ACR, Armored Cavalry Regiment, étaient très performa~n1es. Plutôt que des régiments, il s’agissait en fait de brigades de recherche de renseignement qui étaient équipées de chars lourds et d’hélicoptères. Ils effectuaient en permanence des patrouilles le long du rideau de fer.

En 1966, quand la France a quitté le commandement intégré de l’OTAN, la coupure a été durement ressentie par tous les deuxièmes bureaux – sans doute plus par l’armée de l’Air et la Marine que par l’armée de Terre.

Il faut attendre 1967 pour que le général Ailleret conclue un accord avec le général Lemnitzer. Cet accord institue une coopération en temps de guerre entre le 2e corps d’armée situé à Baden, les moyens air qui l’appuieraient et le Groupe d’armées Centre de l’OTAN (CENTAG). Il prévoit également que les liaisons seraient établies par des missions françaises de liaison auprès des commandements alliés et que des échanges de renseignements seront organisés en particulier en ce qui concerne l’alerte, l’évaluation de l’ennemi et l’utilisation des procédures opérationnelles.

En 1970, les accords Fourquet-Goodpaster concernent la coopération pour l’armée de l’Air. On coordonne les réseaux de détection et de renseignement; on adopte les mêmes procédures opérationnelles; on admet le principe d’échanges sur les états d’alerte, le brouillage et sur certa~nés pistes aériennes. Un troisième accord, Valentin-Ferber, intervient en 1975. La coopération gravit un degré: l’ensemble de la lère Armée et la FATAC peuvent, dans certaines conditions, être mises à la disposition de l’OTAN.

Au terme de ces accords, la concertation entre les états-majors s’établit d’abord à l’échelon le plus élevé, c’est-à-dire le CERM qui participe annuellement aux réunions organisées par le comité militaire de l’OTAN et à la rédaction de documents annuels qui s’appellent MC 16-1, 16-2, etc…(Military Committee). La FATAC établit les mêmes relations avec le commandement de l’armée de l’Air allié à Ramstein. À Baden, le deuxième bureau établit des relations très étroites avec la British Army implantée à Monchengladbach. Il y a des échanges réguliers, des réunions en commun. Il arrive également que se tiennent des réunions à l’échelon du BND, Bundes Nachrichten Dienst à Munich. Cela se fait par l’intermédiaire des officiers du SDECE. Il faut noter que Baden pilote un groupe de travail logistique qui réunit des exploitants de tous les pays, y compris des Danois. Il s’efforce de compter tous les matériels qui entrent ou qui sortent de l’Allemagne de l’Est, de façon à établir un bilan. Ce groupe de travail est particulièrement efficace. En la matière, la coopération entre les Alliés est très étroite.

Développement des moyens du renseignement

La conception et la fabrication des moyens de recherche et de traitement est une fonction permanente, dès le temps de paix. Ces moyens ont besoin d’être développés pour faire face au perfectionnement des techniques et à l’évolution des forces adverses (lutte traditionnelle entre l’épée et le bouclier). Cette fonction est conduite par les états-majors, la DGA et les industriels, en liaison étroite avec les utilisateurs, qui sont réunis au sein-de commissions consultatives et qui participent à l’expérimentation.

C’est dans les années 1970 que sont lancées les études sur le satellite d’observation Samro, sur l’avion Sarigue, sur les caméras optiques et infrarouges et sur la cabine de réception Sara de la reconnaissance aérienne.

Le tableau 10 indique les réalisations et expérimentations conduites par l’armée de Terre en 1975-80 (annexe 10).

Le fait que certains de ces matériels n’aient vu le jour que qu~nze ans plus tard illustre sans doute les difficultés rencontrées par la recherche scientifique et technique, mais plus encore l’insuffisance des crédits consacrés aux forces classiques et, à l’intérieur de celles-ci, au renseignement.

Dernière activité en temps de paix: la formation des personnels. Avant la création du CFIR (devenu EIREL), il existait un Centre d’instruction du renseignement et d’interprétation photo de l’armée de Terre. Le deuxième bureau de l’armée de l’Air était doté du même genre de centre de formation. Les unités de transmission et le SDECE formaiént des linguistes, des opérateurs et des analystes d’écoute. Les officiers de renseignement du régiment suivaient une instruction régulière au niveau du corps d’armée.

Enfin, l’état-major de l’arméè de Terre avait adopté pour ses personnels un système de filière du renseignement de façon à suivre les personnels spécialisés dans le renseignement et les relations extérieures.

Estimation de l’adversaire

De 1972 à 1977, on assiste à une formidable montée en puissance des forces soviétiques. En Allemagne de l’Est, non seulement les effectifs militaires augmentent, mais les gardes frontières, les groupes de combat de la classe ouvrière (Kampfgruppen), la défense civile et les réservistes, tout le peuple est-allemand, sont mobilisés pour le combat (annexes 11 et 12).

L’évaluation de l’ennemi par les bureaux français de renseignement, dans les années 70-80, était comparable aux résultats obtenus par les Alliés en ce qui concerne l’Allemagne et la Tchécoslovaquie. Ils avaient à peu près les mêmes sources et échangeaient les renseignements. En revanche, à mesure qu’on s’éloignait de l’Allemagne pour s’enfoncer dans l’empire soviétique, les Français devenaient tributaires des Américains.

PRÉPARATION DU TEMPS DE GUERRE

Plans d’emploi et exercices alliés

Les plans de défense de l’OTAN étaient basés sur le principe de la défense de l’avant, c’est- à-dire la défense sur une profondeur de 50 kilomètres le long du rideau de fer. Pour des raisons politiques, il n’était pas question d’une défense plus profonde. Cette défense était assurée par huit corps d’armée alignés. Dans ce cadre, la première réserve disponible était la 1ère Armée française qui était susceptible de venir renforcer la défense de l’avant, en particulier dans la zone de CENTAG et à la limite des deux groupes d’armées. La 1re Armée établissait des plans avec le commandement du Centre Europe. Le premier plan mis au point était le plan Charming Gorilla, dans lequel la 1re Armée devait intervenir au-delà de Francfort, dans le corridor de Hesse entre Francfort et Fulda. Les réserves américaines (plan Reforger-3e CA) intervenaient beaucoup plus tard.

Les états-majors français prenaient part aux exercices de transmission des PC alliés. Ils mettaient en œuvre les procédures OTAN, c’est-à-dire les comptes rendus de renseignement, Intelligence Report. Ils participaient à un certain nombre de réseaux spécialisés (boucles DILCS- TARRS puis BICES (voir annexe 2).

Un point particulier de cette coopération avec les Alliés était l’engagement du 13e RDP (Dragons parachutistes). Il s’agissait d’un régiment de recherche dans la profondeur créé en 1963. Il avait, à l’époque, un escadron en Allemagne. Très rapidement, il a coopéré avec toutes les unités alliées de même type, notamment les régiments de SAS britanniques, les Fernspah, (compagnies allemandes), les commandos belges et hollandais et même, plus tard, les Espagnols. Les exercices avaient lieu annuellement, tantôt en France, tantôt en Angleterre, tantôt en Allemagne. Les équipes coopéraient sur le terrain face à un ennemi plus ou moins fictif. Elles étaient mises en place, soit par voie aérienne, soit par hélicoptère, soit simplement abandonnées sur le terrain.

Le 13e RDP, qui mettait en action 60 équipes, pouvait tenir un front de 300 kilomètres. En fait, on préférait doubler et avoir deux rideaux de surveillance. Ces équipes envoyaient leurs renseignements par émissions brèves très loin en arrière au PC du régiment (annexe 7).

Toutes les équipes étaient autonomes. Si une équipe se faisait prendre, elle ne savait pas où était sa voisine. Tout était centralisé à l’arrière.

Le l3e RDP était la seule unité française qui participait sur le terrain aux exercices de l’OTAN.

Tous les ans, les Américains amenaient par avion des États-Unis une division complète (REFORGER) qui venait prendre en compte des matériels entreposés dans des dépôts (POMCUS). Puis, elle partait faire une opération sur le terrain où elle était engagée contre une division britannique, allemande ou belge.

Le 13e RDP, qui était engagé dans ces exercices, était tout à fait apprécié. Le commandant en chef des forces américaines en Europe écrivait en 1976:  » Comparérs à celles des autres sources de recherche du renseignement, les patrouilles profondes bénéficient d e plusieurs avantages distincts par rapport aux sources de recherche, tels que la reconnaissance aérienne et le renseignement par les moyens d’écoute: tout d’abord, I’engagement des patrouilles profondes est de 24 heures sur 24. La recherche se poursuit sans tenir compte de l’heure ou des conditions almosphériques. Les patrouilles de recherche opèrent en étant bien moins exposées aux contremesures de l’ennemi et, par conséquent, bénéficient d’un taux de réussite plus élevé. Elles sont à même de contrevenir les actions déjensives de l’ennemi tels que le silence radio, le camouflage, les mouvements de nuit,~et le brouillage « . L’une des divisions qui avait participé à cet exercice avait noté dans son compte-rendu :  » Aucun autre moyen ne peut fournir la précision, la souplesse, l’opportunité et les détails fournis par les patrouilles de recherche profonde «  ».

Voici le bilan chiffré de cet exercice de 1976: les Français ont adressé 392 comptes rendus dont 190 ont été considérés comme importants, 110 exploitables en matière d’objectifs, 102 ont fourni des informations sur l’ordre de bataille et des indices sur les intentions de l’ennemi.

Le commandement américain en avait conclu qu’il était souhaitable de créer des patrouilles profondes aux États-Unis. Ce projet a été abandonné, faut d’avoir trouvé un personnel adéquat pour y participer.

La recherche électromagnétique

Pour le temps de guerre, l’armée disposait de différents moyens de guerre électroniques mobiles. Chacun des corps d’armée avait une compagnie d’appui électroniques (CAECA) qui pratiquait des écoutes dans les gammes VHF, VHF et radar. La lre Armée avait deux compagnies mobiles de la gamme HF.

Pour chacun des plans d’opérations, était définie une position de base sur laquelle était installée une compagnie HF. Son domaine de recherche était un carré d’environ 400 km sur 400, avec la possibilité de passer d’une position à l’autre (voir schéma) par une manœuvre en perroquet (annexe 13).

La planification était uniquement nationale et la coopération avec les Alliés a été très difficile à négocier.

Les moyens du champ de bataille (annexe 14)

Comment voyait-on en 1977 l’organisation de la recherche au niveau de la lère Armée et du corps d’armée ? L’état-major estimait avoir un certain nombre de moyens de recherche du renseignement sur une armée soviétique: au niveau avant, c’étaient les escadrons d’éclairage des divisions, les radars de différents types, la section d’interrogatoire des prisonniers de guerre…; au niveau du corps d’armée, un régiment de reconnaissance de corps d’armée, des radars de surveillance du sol, un régiment d’acquisition d’objectifs. Au niveau de l’Armée-FATAC, se trouvaient le 13e RDP, les compagnies d’écoute HF et la reconnaissance aérienne. Une étude menée en 1977 concluait à la nécessité de créer des unités de recherche de corps d’armée. Des URCA furent créées quelques années plus tard.

Estimation de la menace et doctrine alliée

La doctrine soviétique a beaucoup évolué depuis les années cinquante durant lesquelles Staline avait déclaré que la guerre était inéluctable. En 1952, il estimait qu’elle pouvait peut-être être évitée. Il n’en avait pas moins conservé une mobilisation permanente des armées et du peuple soviétiques. En 1960, la doctrine Sokolovski reposait sur une utilisation massive de l’arme nucléaire. Dix ans plus tard s’établit la parité nucléaire entre l’Est et l’Ouest. Il faut alors faire face à une triple menace: la menace de guerre offensive en territoire allié grâce aux moyens classiques notablement renforcés, une menace nucléaire qu’on estime différée – c’est l’époque de la bataille des euromissiles – et enfin, une menace mondiale grâce à la marine de l’amiral Gorchkov qui appuyait en Afrique, en Asie et en Amérique tous les mouvements de libération nationale.

Il faut attendre les années 1980 pour que l’URSS adopte une doctrine nouvelle: celle d’une guerre sans l’arme nucléaire, fondée sur la surprise, c’est-à-dire l’attaque rapide et profonde.

Comment enrayer cette menace au centre-Europe ? Le rapport de force était estimé de trois à quatre contre un en défaveur des Alliés. En 1984, le CERM estimait ainsi les forces soviétiques sur le théâtre d’opérations de l’Ouest: 82 divisions, 25 000 chars, 700 missiles nucléaires, 4 000 avions, 16 000 matériels d’infanterie blindés, 860 hélicoptères et 66 navires (annexe 15). Deux hypothèses d’attaque étaient envisagées de la part des Soviétiques: l’une sans montée en puissance et l’autre avec montée en puissance.

La première hypothèse d’attaque sans montée en puissance faisait intervenir en Centre- Europe une partie seulement des effectifs (50 divisions, 4 000 avions). La deuxième hypothèse mobilisait l’ensemble en plusieurs échelons stratégiques avec une réserve sur le territoire soviétique (80 divisions, 4 800 avions au total).

Malgré leur infériorité numérique, les Américains estimaient qu’ils disposaient d’un préavis de 48 heures et qu’ils auraient donc le temps de se mettre en place pour la défense de l’avant. Ils considéraient qu’il n’y aurait pas d’emploi de l’arme nucléaire: en 1967, ils avaient adopté la doctrine de la flexible response, mais ils se sont aperçus quelques années plus tard que cette défense de l’avant était insuffisante. En 1982, ils ont donc considérablement augmenté les renforts qui venaient d’Amérique qu’ils ont porté à six divisions et 1 000 avions. C’est à ce mon~ent-là qu’ils ont créé un troisième corps d’armée dont les matériels étaient stockés à la limite entre l’Allemagne, la Belgique et la Hollande et qui devait intervenir au profit du premier échelon.

En 1984, intervient un nouveau changement de doctrine (plan FOFA du général Rogers). Les Américains estiment alors qu’ils ont les moyens de contenir le premier échelon ennemi mais qu’ils ne pourront pas s’opposer au deuxTème échelon. Leur idée est d’attaquer le deuxième échelon avec des armes intelligentes. Pour eux, la riposte nucléaire est également différée (no earlyfirst use).

Divergences d’appréciation

À l’époque, les mouvements pacifistes trouvaient que la menace venant de l’Est avait été exagérément grossie. Un certain nombre d’experts, notamment Bastian en RFA, Cockburn aux États-Unis et l’amiral Sanguinetti en France, développaient une théorie selon laquelle les Américains gonflaient la menace pour obtenir davantage de crédits. Tout n’était pas faux dans cette critique. Il est certain que l’organisation soviétique souffrait d’un certain nombre de faiblesses et de vulnérabilités. Leurs matériels et leur doctrine n’étaient pas sans failles. Il fallait donc exploiter ces vulnérabilités pour réduire une supériorité numérique qui était réelle.

Une critique plus réaliste était celle du général Méry qui écrivait en 1983:  » Il ne faut pas une réponse flexible, mais une réponse inflexible et un dispositif plus profond ».

Quelques années plus tard, on a d’ailleurs constaté que des généraux allemands et britanniques étaient d’accord sur l’idée de profondeur du dispositif et qu’ils la mettaient en œuvre dans certains exercices. C’était d’autant plus nécessaire que le dispositif de l’OTAN en temps de paix était déséquilibré (annexe 16). Les Belges et les Néerlandais ont retiré la plupart des troupes et les ont rapatriées dans leur pays. Les Britanniques ont ramené une division en Angleterre. Le temps d’arrivée de ces divisions très en arrière ne permet donc pas d’assurer la défense de l’avant, ce qui est très dangereux dans la plaine du Nord où les Soviétiques ont leurs trois armées blindées. Il y a donc un risque de percée soviétique et d’enveloppement des divisions américaines et allemandes de CENTAG. À ce moment-là, le plan Rogers ne sert plus à rien.

Les archives de la NVA

Cette manœuvre soviétique a été confirmée par les archives de la National Volks Armee découvertes à Berlin-Est. En effet, si un certain nombre d’archives ont été détruites peu de temps avant la réunification, on a néanmoins retrouvé dans un blockhaus tout ce qui concerne les exercices du pacte de Varsovie de 1975 à 1990. 25 000 documents ont ainsi été analysés par la Bundeswehr.

Il apparaît que tous les plans d’exercice du pacte de Varsovie qui peuvent être considérés comme un démarquage des plans réels étaient offensifs. C’est seulement à partir de 1985 que quelques-uns d’entre eux sont défensifs. Il faut de 13 à 15 jours aux troupes soviétiques pour atteindre la frontière française et 30 à 35 jours pour atteindre la frontière espagnole. Telles étaient les données des exercices qui étaient joués par 80 divisions, sous le commandement des maréchaux Kulikov et Ogarkov. Leur plan de frappe nucléaire était soit de première frappe, soit de frappes en riposte. L’effort nucléaire était porté sur les divisions américaines et allemandes, alors que l’effort classique était exercé sur les forces britanniques et belges (annexe 18).

Dans ces mêmes archives, on a trouvé tous les documents concernant l’éducation de défense (Wehrerziehung) de la population est-allemande et des simples soldats. Totale était la désinformation sur les intentions et les effectifs de l’Alliance atlantique : on expliquait que l’OTAN avait des visées agressives sur l’Allemagne de l’Est, avec une supériorité de quatre contre un – ce qui est exactement l’inverse de la réalité – et que l’OTAN envisageait une attaque nucléaire sur l’Allemagne de l’Est !

Le document le plus intéressant est le plan de conquête de Berlin, qui n’est pas un plan d’exercice mais un plan réel. Il a été retrouvé dans les archives du ministère de la Sécurité de l’État (MFS). Il désigne exactement les unités qui doivent participer à la conquête de Berlin: à l’Ouest, une division allemande et à l’Est, une brigade soviétique renforcée d’unités allemandes. Ce plan énumère 170 points forts qui doivent être occupés à Berlin-Ouest, la liste des personnes qui doivent être arrêtées par la Stasi et la désignation nominative de tous les administrateurs communistes qui vont prendre en mains les districts de Berlin-Ouest, 604 personnes désignées, dont 343 officiers à raison d’un gauleiter par arrondissement (annexe 19).

Il est intéressant de noter que l’estimation faite par les Alliés était assez proche des plans soviétiques (annexe 17).

Enseignements

L’organisation du renseignement face au pacte de Varsovie constituait un système efficace dès le temps de paix, utilisant toute la gamme des moyens de la recherche humaine et technique. Il était opérationnel, c’est-à-dire préparé à sa mission du temps de guerre

dans un cadre interallié. Quelques enseignements sont valables en tout temps, et donc pour le

temps présent.

Le premier enseignement concerne la responsabilité du commandement. Il est important que le commandement se sente investi d’une responsabilité en matière de renseignement. Il doit apprécier les menaces, faire confiance à son organisme d’exploitation et de recherche. Il doit orienter la recherche dans les directions qui lui paraissent prioritaires.

Deuxième enseignement: en temps de paix, le renseignement se prépare longtemps à l’avance. Il repose sur des bases de données, une documentation précise et complète, un suivi des exercices et des matériels en cours de fabrication.

Troisième enseignement: la complémentarité et la modernisation des moyens de recherche. Il n’existe pas de gadget qui permette de tout savoir et de tout voir. Il faut une combinaison de systèmes rustiques et de systèmes perfectionnés.

Enfin, un quatrième et dernier enseignement: la nécessaire coopération entre les services de renseignement et les Alliés. En effet, aucun service national et aucune nation ne sont capables de tout savoir sur les menaces à venir. Il est indispensable de coopérer pour disposer à temps de renseignements précis et exacts.

(1) M. Faivre. Le renseignement dans et après la guerre du Golfe, Revue Stratégique, 10/91 et 3/92.

LE RENSEIGNEMENT MILITAIRE FRANÇAIS SUR L’ALLEMAGNE DE l’EST- 1970-1985

L’organisation décentralisée française.

Les activités de renseignement militaire à Berlin sont intégrées dans le système français de renseignement sur les forces soviétiques et satellites de l’avant. L’organisme de synthèse de l’EMA à Paris (le CERM) a décentralisé la recherche (collecting), l’exploitation (analysis-traitement) et la diffusion du renseignement au niveau subordonné :

– le 2ème Bureau du Commandant en chef à Baden-Baden est responsable du renseignement terrestre,

– le 2ème Bureau de la FATAC à Metz est responsable du renseignement Air.

Le CERM se réserve l’évaluation globale de la menace.

Moyens de recherche (collecting) du temps de paix.

Les 2ème Bureaux cités disposent des moyens suivants de recherche :

– moyens humains :

– la MMFL et l’AFA Prague (p.m.diapo des zones interdites et avion d’observation)

– le 2ème Bureau de Berlin, par observation terrestre et sources ouvertes.

– moyens techniques, COMINT et ELINT :

– 3 stations d’écoutes VHF et radar à Berlin (Terre – Air – SDECE)

N.B. Le SDECE à Berlin fait des écoutes non militaires au profit du BND.

– 4 stations d’écoutes VHF et radar en RFA (Bahrdorf, Goslar, Stoberhai, Fürth im W.)

– 4 stations d’écoutes HF entre Baden et Metz

– 1 chaîne de radiogoniométrie (direction finding) entre Hambourg et Constanz, en liaison automatique avec les stations HF

– 3 centres d’analyse à Baden, Metz et Strasbourg.

– les échanges avec les alliés se sont poursuivis, malgré la sortie de la France du commandement intégré en 1966 :

– missions de liaison et B2 à Berlin,

– B2 Baden et G2 Northag et Centag,

– groupe de travail (Baden) sur les mouvements de matériels, avec B2 danois et alliés,

– B2 FATAC et 4ème ATAF-AAFCE,

– p.m. CERM Paris et Comité militaire ; SDECE, BND et Services alliés.

Préparation du temps de guerre

Dans le cadre des plans de CINCENT et LIVE OAK, et conformément aux accords Ailleret-Lemnitzer , Valentin-Ferber et Fourquet-Goodpaster :

– Exercices PC-Transmissions de Centag et Cincent,

– Exercices Reforger avec participation du 13ème RDP (deux rideaux sur arrières ennemis),

– pas de planification interalliée SIGINT.

Evaluation de la menace.

Le traitement des renseignements recueillis permet d’assurer :

– le suivi des équipements militaires en DDR (diapos chars, artillerie, nucléaire, avions, DDR)

– l’étude des directions d’attaque possibles,

– l’évaluation des TVD Ouest et Sud-Ouest (schéma du CERM en 1984)

Les activités de renseignement à Berlin ont largement contribué à la connaissance de l’armée soviétique, de la NVA et des forces paramilitaires de DDR. Le ‘organsystème décentralisé, efficace dès le temps de paix, utilisait toute la gamme des moyens de la recherche humaine et technique, en coopération aussi étroite que possible avec les alliés. Il s’efforçait d’être opérationnel, c’est-à-dire préparé à sa mission du temps de guerre.

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur Le renseignement militaire français face à l’est