Trois scénarios de règlement négocié

L’erreur stratégique initiale a pris un caractère si évident que plus aucun expert ne songe à la contester. Les gouverne­ments de l’Alliance s’efforcent de faire front. En pointe, le britan­nique Blair persiste à affirmer qu’il suffit de conserver la même stratégie alors que manifestement l’Alliance procède à sa trans­formation. Aux frappes aériennes limitées avec des moyens limi­tés, pour une durée limitée, se substitue une stratégie d’usure, à caractère massif, pour un temps indéterminé.

Deux buts de guerre avaient été énoncés : protéger les popu­lations et prévenir une extension des troubles dans les Balkans. Un troisième était venu s’ajouter : forcer M. Milosevic à accepter l’accord de Rambouillet.

Pour ce qui est du premier, l’échec est flagrant. Seule une action au sol eût permis de protéger efficacement les Kosovars albanais qui, aujourd’hui, fuient en tous sens, masse humaine tournoyante, manipulée comme une arme par Belgrade.

Or plus les bombardements vont s’intensifier, plus les “bavures” seront nombreuses.

Le second but est la stabilisation des Balkans. Ce qui se produit aujourd’hui risque de produire une instabilité croissante.

Quant au retour de M. Milosevic au cadre défini par “l’accord” de Rambouillet, il n’a plus aucune chance d’advenir. D’abord, parce qu’il devient de plus en plus difficile de retrouver en position d’interlocuteur responsable un homme désormais voué au TPI pour crimes contre l’humanité. Ensuite, parce que la situation du Kosovo (et dans une large mesure celle de l’Albanie) n’est plus celle du mois de mars 1999. Enfin, parce que l’idée, déjà bien risquée, d’une coexistence paisible entre les différentes communautés ethniques a été tuée dans l’œuf par les horreurs de la guerre6.

Comment se sortir de cette impasse ? Comment ne pas avouer une défaite devant Milosevic ? Peut-il encore sortir quel­que bien de ce vertige d’erreurs et d’inconséquences ? Trois cas de figures se présentent, l’urgence, le moyen et le long terme.

l’urgence : aboutir à un cessez-le feu et commencer à négocier.

Compte tenu du désastre humanitaire, le bon sens consis­terait à obtenir au plus vite un cessez-le-feu permettant d’enga­ger des négociations préliminaires. qui ne préjugent ni d’une éventuelle reprise des combats, ni de la solution négociée finale. Au lieu de faire du maximalisme, on pourrait rechercher un dénominateur commun provisoire : suspension de toute activité militaire supervisée par un retour des observateurs soit de l’OSCE, soit de l’ONU.

Mais cette solution ne paraît pas en vue, tant les passions qui mutuellement s’attisent, semblent l’emporter.

Second cas de figure, il faudra bien, à moyen terme, arrêter la guerre. Et nul ne peut prédire dans quel état se trouveront alors les différents protagonistes. Dans l’improvisa­tion d’une imprévisible situation engendrée plus par les effets de la force que par la recherche d’un but rationnel, on trouvera un arrangement baroque, inspiré par les idées de Rambouillet. Ce replâtrage à caractère temporaire ne serait qu’une sorte “d’entre deux guerres” parce que les Albanais s’estimeraient insuffisam­ment dédommagés de leurs souffrances et les Serbes trop injustement sanctionnés.

À mesure que s’affaiblissait l’Empire ottoman, les Balkans ont connu ce phénomène de conflits par saccades, chaque guerre favorisant le renversement des gouvernements qui changeaient alors de politique et d’alliances.

Dans un scénario de ce type, les Balkans constitueront un abcès de fixation permanent où s’épuisera la diplomatie euro­péenne. L’Union pourrait, après bien d’autres grandes puis­sances tutélaires, prétendre à une sorte de nouvel imperium sur la partie orientale de l’Europe. Voir facture.

pour le long terme, jeter les bases de la stabilité profonde et durable dans les Balkans. Il faudrait accepter de fait une progressive partition du Kosovo où la Serbie conserverait une bande Nord-Ouest allant jusqu’à Petc. La question de Pristina pourrait n’être pas fondamentale. Le Kosovo albanais recevant un régime de “self-governement” temporaire (comme prévu à Rambouillet) déciderait, par auto-détermination, de son éventuel rattachement à l’Albanie (que nul n’a besoin d’appeler “Grande” pour envenimer les choses). Cet arrangement permet­trait de donner une solution décente au sort des Serbes du Kosovo que l’on est raisonnablement en droit d’évaluer à plus de 200 000 âmes. Pourquoi devraient-ils connaître le sort de leurs compatriotes de Krajina, en 1995 ?

Tel devrait être le but de la conférence sur les Balkans, prévue pour fin mai à Berlin. Cette stabilisation durable est d’autant plus nécessaire que l’Alliance a introduit un principe potentiellement explosif dans cette zone de l’Europe. Toute mino­rité (et il en reste un grand nombre) qui s’estime brimée, toute faction politique qui prétendrait incarner la résistance à la tyrannie, pourra s’inspirer de ce qui vient de se produire pour rechercher l’émancipation en espérant le secours de l’Alliance.

Si donc l’Alliance atlantique a désormais prétention à faire appliquer, au moins en Europe, une nouvelle règle du jeu, si l’Union européenne a l’intention de placer le Kosovo sous mandat de tutelle, il faudra que chacun des États membres de ces deux organisations, fort différentes, conservent un même sens de la responsabilité politique et de la générosité économique pour pouvoir se maintenir à hauteur de leurs ambitions.

20 avril 1999

_____Notes: 

        À ce point même que l’on voit, en juillet 1999, l’UCK s’en prendre aux Tziganes, tenus pour collaborationnistes.

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