AVANT-PROPOS

La transformation du système international survenue depuis 1989 est d’une ampleur que personne n’avait osé imaginer. L’effondrement du bloc soviétique a entraîné la fin de ce que Jean Baechler a appelé « la grande parenthèse » (1917-1989). Les commentateurs ont beaucoup de difficultés à intégrer tous ces changements et à proposer une vision équilibrée du nouveau paysage stratégique. D’un côté certains annoncent une ère radicalement nouvelle, de l’autre un grand nombre d’auteurs, parfois éminents, ont du mal à prendre conscience de l’ampleur de la mutation intervenue. Entre ces deux extrêmes, il a paru utile de faire le point et d’esquisser un bilan des stratégies des grandes puissances face à cette rupture.

Le présent volume est le premier issu de ce programme lancé par l’Institut de stratégie comparée en association avec la Fondation pour les études de défense. Il présente un panorama de la stratégie russe et soviétique depuis 1917. Derrière les stéréotypes idéologiques, qui donnent trop facilement l’impression d’un discours figé, il identifie des évolutions significatives et les traces d’un débat plus actif qu’on ne le croit. La pensée stratégique russe a été active dès le XVIIIe siècle et seul l’obstacle linguistique a empêché sa diffusion à l’étranger : Souvorov, Dragomirov, Leer, Makarov, à des époques et dans des domaines différents, ont produit des travaux qui valaient largement ceux des stratégistes européens dont nous avons retenu les noms. Cette tradition ne s’est pas arrêtée avec la Révolution d’Octobre et la discussion sur des thèmes tactiques ou opérationnels est restée vive même aux pires heures des purges staliniennes. La pensée stratégique a réussi à composer avec le monolithisme idéologique imposé par le pouvoir et à reconnaître les transformations provoquées par les bouleversements techniques bien avant que le parti n’en prenne acte. Et cela malgré l’empreinte très forte d’une culture stratégique spécifique durablement marquée par l’expérience de la campagne de 1812 et dont certains des traits perdurent encore aujourd’hui. Jean-Christophe Romer, dont on connaît les éminents travaux sur la stratégie nucléaire et sur la politique étrangère et de sécurité de l’Union soviétique nous offre là une synthèse qui faisait défaut et qui permet d’identifier les axes autour desquels pourrait s’organiser la nouvelle doctrine militaire dont le gouvernement russe vient d’annoncer la mise en chantier.

 

Hervé Coutau-Bégarie
Président de
l’Institut de Stratégie Comparée

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