Chapitre I – La biographie de QI Jiguang

I.1-Le contexte de « guerre » sur la côte orientale Chinoise au XVIème siècle :

Durant les décennies 1520 et 1530, de petites bandes de pirates exécutaient leurs méfaits tout au long de la côte  sud-est, du ZHEJIANG au GUANGDONG. Ces raids étaient menés par des groupes aux chefs différents et qui se combattaient entre eux autant que contre les milices de défense locales. Ces bandes de pirates étaient composées de gens communs qui s’étaient mis hors la loi pour des raisons très diverses et qui n’avaient aucune aspirations personnelles. Lorsqu’ils pouvaient subvenir à leurs besoins par le commerce, ils le faisaient ou agissaient pour le compte d’autres marchands  et pirates ; lorsqu’ils ne pouvaient pas commercer, ils pillaient ; mais le plus souvent, ils faisaient les deux à la fois. Pour endiguer ces actions hors la loi, la cour promulguait de façon répétée des édits d’interdiction de commerce outre-mer. Mais de tels édits n’étaient pas facile à faire respecter par les autorités locales civiles et militaires, qui , par ailleurs étaient souvent impliquées dans la conduite de ce commerce illicite.

La discipline dans les garnisons côtières s’était détériorée et la plupart des officiers (qui détenaient leur charge militaire par hérédité) n’avaient pas d’expérience au combat. Les autorités militaires qui étaient supposées supprimer le commerce illicite outre-mer, étaient souvent les intermédiaires entre les pirates, les commerçants locaux et étrangers. En 1529, plusieurs commandeurs à Wenzhou dans le FUJIAN furent exilés pour avoir été mêlés à ces trafics[1]. Par ailleurs, l’Empereur avait donné instructions aux autorités locales de saisir et de détruire les navires et embarcations qui servaient à commercer au profit des familles influentes de la région. Les groupes d’intérêts locaux refusèrent en grande partie de coopérer. Une large frange de la société locale étaient en rapport de diverses manières avec ce commerce illicite. Les familles aisées fournissaient les capitaux pour la construction des navires (qui étaient le plus souvent armés de canons) et les marchandises ; les  officiels militaires servaient d’intermédiaires pour les échanges. La population locale servait comme personnel de ces flottes et vendait les marchandises qu’elle pouvait grappiller à l’intérieur du pays.

Le commerce d’outre-mer représentait une part importante des moyens de subsistance de nombreuses familles et il y avait donc aucun intérêt à le stopper.

Les autorités locales avaient tout simplement ignoré  les édits impériaux. En 1532, le gouverneur du GUANGDONG fut rappelé à l’Empereur car il avait échoué à éradiquer la piraterie locale qui agissaient depuis plus d’une décennie. En 1533, le ministère de la guerre se plaignait que l’interdiction de commercer outre-mer n’était pas respectée et que des flottes armées pillaient encore tout le long de la frange côtière de la Chine.

Un pirate capturé en 1534 avait plus de 50 navires de différents tonnages sous son commandement. Il pillait depuis plusieurs années les côtes du ZHEJIANG et fut finalement pris à l’issue d’une bataille sanglante au cours de laquelle de nombreuses troupes impériales périrent. Les autorités judiciaires locales prononcèrent à son encontre une peine légère que l’Empereur demanda de réviser et dépêcha une cour spéciale pour la révision. Elle prononça la mort pour toutes les personnes impliquées dans de telles actions. Le pouvoir local fut bien averti qu’il ne s’agirait plus dorénavant, en matière de piraterie, de cas d’offense mineur vis à vis du pouvoir.

A partir de 1540, les groupes disparates de pirates et de commerçants s’organisèrent mieux. Ils se rencontraient sur des îles au large des côtes du ZHEJIANG et du FUJIAN où ils rassemblaient d’importantes flottilles afin de pourvoir au commerce d’outre-mer . Leur principal point d’appui au ZHEJIANG était au large de la préfecture de Ningbo, sur des îles . Dans ces ports sécurisés, ils pouvaient décharger les navires et distribuer les marchandises, rencontrer les marchands étrangers, stocker les armes et fournitures ainsi que faciliter l’achat et la vente de marchandises sur la côte. Un tel commerce outre-mer fut organisé en premier lieu dans les mouillages de Daishan proche de Ningbo, qui servait comme enclave commerciale depuis au moins 1525. En 1539, des marchands portugais (qui étaient interdits de commerce à Canton depuis 1522) furent conduits dans cette enclave et en 1545, les flottes de commerce japonaises s’y introduirent pour la première fois.

         L’arrivée des japonais en 1545 a tout changé. Avant cela , il n’y avait pas une tendance marquée à commercer outre-mer avec les japonais. Bien que les marchands du FUJIAN s’étaient déjà établis dans le port de Hakata dès 1537 et des bandes de pirates japonais avaient commis quelques raids, mais de manière marginale, sur les côtes chinoises depuis le début du XVIème ; la plupart des contacts s’établirent dans un cadre bien déterminé (le tribut). Ce cadre était favorable aux japonais jusqu’à la fin du XVème siècle. Mais en 1496, les envoyés  du tribut japonais sur leur chemin de retour de Pékin tuèrent plusieurs personnes, ce qui fit prendre des mesures limitatives à l’encontre des délégations, de 100 envoyés, elles seraient désormais de 50. Pendant cette période, trois puissantes familles ( les Ise, les Hosokawa et les Ouchi) avaient déjà commencé une compétition effrénée pour le contrôle du commerce avec la Chine. Depuis  qu’une seule mission  de 50 envoyés était autorisée à commercer avec Pékin, la lutte était encore plus féroce entre ces familles pour obtenir cette autorisation. En 1510 et 1511 deux missions mandatées (le tribut) arrivèrent à Pékin et devant chaque instance les représentants de la famille Ouchi menacèrent d’avoir recours à la piraterie si sa famille se voyait refuser la permission de commercer.

1.1-Politique de la cour envers le commerce outre-mer

         En 1523, deux missions commerciales arrivèrent encore à Ningbo, l’une représentait la famille Hosokawa, l’autre la famille Ouchi. Les Hosokawa étaient les premiers arrivés. Les Ouchi, soudoyèrent les eunuques en charge des affaires maritimes de Ning-po afin de bénéficier d’un traitement préférentiel. Lorsque les Hosokawa l’apprirent , ils attaquèrent la mission Ouchi[2]….

Dans la suite de cet incident, plusieurs officiels de la cour critiquèrent l’action des autorités locales, lesquelles furent accusées de mauvaise gestion et de laxisme dans l’exécution de leur devoir. L’eunuque en charge des affaires maritimes pour le ZHEJIANG fut accusé de corruption et d’avoir causé les troubles à l’ordre. Cependant, rien fut fait. En 1525 le même eunuque était à nouveau en charge de coordonner les autorités des affaires maritimes et celles de la défense des côtes. Cet état provient du fait que les autorités qui avaient fustigé ce même eunuque quelques années auparavant, étaient également opposées au respect des règles rituelles impériales, notamment en matière de commerce. Aucune action en profondeur fut engagée au ZHEJIANG jusqu’en 1527, lorsque l’eunuque en charge des affaires maritimes fut démis de ses fonctions, dans un vaste mouvement de purges des eunuques liés à l’ancien règne.

L’intendance au commerce maritime fut abolie en 1529, pour le motif qu’il n’était nécessaire au ZHEJIANG  que d’un eunuque pour gérer les affaires maritimes. Aussi, la responsabilité des affaires maritimes fut transférée à l’eunuque intendant militaire, qui était en général responsable de la sécurité de la région. Le problème de la piraterie côtière était encore largement sous estimé à la cour impériale.

En 1527, le tribut japonais fut à nouveau autorisé à commercer pour la décade à venir, avec la restriction d’une délégation de 100 envoyés au maximum, sans guerriers parmi eux, et trois navires. Cependant, les familles qui au début avaient organisé de telles délégations officielles n’étaient plus assez puissantes pour monopoliser le commerce avec la Chine. Pendant les années 30 et 40, de petites flottes marchandes japonaises établirent des contacts avec les commerçants chinois et ceux-ci installèrent des points de commerce au large (offshore) afin de faciliter ces échanges. Peu de commerce se réalisa après 1523, dans le cadre organisé du tribut, puis l’intendance pour le commerce maritime au ZHEJIANG fut fermée en 1529, les autorités impériales avaient de ce fait encore moins le contrôle qu’avant sur le commerce d’outre-mer.

Des propositions furent faites pour appointer un gouverneur investi de pouvoirs particuliers sur toutes les affaires de défense côtières, en 1524, après l’incident de Ningbo. Les promoteurs de cette politique  argumentèrent que les japonais représentaient une menace aussi prégnante que les hordes mongoles et que les dispositions administratives appliquées le long de la frontière nord du pays devraient s’appliquer de la même manière aux côtes . Un mandarin de haut rang avec l’autorité de promulguer  des lois sur sa propre initiative fut affecté au ZHEJIANG afin de nommer, de coordonner et d’encadrer les responsables locaux. L’eunuque en charge des affaires maritimes pour le ZHEJIANG se proposa en 1525 d’être investi d’une fonction similaire. En 1526, les autorités de la cour firent d’autre propositions, mettant en cause la mauvaise gestion des affaires par les eunuques et encore insistèrent pour que soit appointé un officiel civil. Bien que l’eunuque en charge des affaires maritimes fût finalement rappelé en 1527, aucun officiel civil ne fut appointé dans ce poste, et l’affaire fut entendue.

En 1529, après le soulèvement d’une garnison côtière qui rejoignit les rangs d’une bande de pirates, Xia Yen(qui devint secrétaire principal en 1537) remit la question à l’ordre du jour. Un censeur fut envoyé pour inspecter les défenses côtières, pour coordonner la lutte contre la piraterie, et pour punir les fomenteurs des soulèvements. Cependant, aucune des autorités envoyées pour résoudre les désordres ne fut capable de stopper le commerce outre-mer et les actes de piraterie.  En 1531, le censeur en charge de la défense côtière  fut muté et non remplacé. La situation restait comme avant. Le grand secrétaire Zhang Cung (qui provenait d’une préfecture côtière du ZHEJIANG) opposa aucune action contre les pillages et exactions ainsi que la prohibition du commerce outre-mer jusqu’à son départ en 1535. Pendant la décennie 1530, les inspecteurs de la cour n’avaient de cesse de se plaindre de la complaisance des autorités locales en faveur du commerce outre-mer, du refus de celles-ci de faire respecter les édits impériaux et d’ignorer les exactions des pirates. En conséquence, rien n’avait été entrepris pour résoudre cette situation au cours de ces seize dernières années.

Pendant cet intermède, le système  du tribut au commerce s’estompa complètement. En 1539, lorsque les premières missions commerciales japonaises depuis 1523 à Ningbo, réapparurent, les autorités locales confisquèrent les armes des émissaires et les encadrèrent fermement. Ils n’eurent aucune chance de commercer avec les commerçants chinois et ne tirèrent aucun bénéfice de cette mission. En 1544, quand une autre mission arriva pour commercer, les officiels chinois refusèrent de la rencontrer sous le prétexte que cette mission était prévue arriver en 1549, ainsi, les émissaires japonais commercèrent avec les commerçants chinois, hors de la filière officielle. L’un d’entre eux, Wang Zhi, rentra au japon avec la délégation. En 1545, il conduisit une mission privée de commerce sur les rivages de Dinghai. Dans la lignée de cette première mission privée, de nombreuses autres suivirent et cela devint commun jusqu’à ce que la taille des flottilles japonaises croisant dans ce but s’agrandit d’année en année.

         En même temps que se développait le commerce entre les deux rives les actes de violence associés aussi. En de nombreuses occasions de violentes altercations survinrent en raison de la non volonté des familles aisées impliquées dans le commerce illégal de payer leurs dettes aux groupes commerciaux d’outre-mer. Dans certains cas ces familles usèrent d’intimidation en menaçant de jouer d’influence auprès des autorités locales pour qu’elles agissent contre leurs créditeurs. Les commerçants se vengèrent en pillant et brûlant les propriétés de ces familles aisées.

         En 1547, un censeur consignait que la piraterie était hors de contrôle tout le long de la côte sud-est. Il recommandait qu’un haut officiel investi de l’autorité d’agir à sa guise devait être envoyé dans cette région  pour plusieurs années afin d’éradiquer les causes de la piraterie liées au commerce outre-mer. En juillet 1547 Zhu Wan (1547-1550), qui avait été chargé de supprimer la piraterie le long des côtes du JIANGSU et du FUJIAN depuis 1546, fut chargé d’organiser la défense côtière du ZHEJIANG et du FUJIAN.

Chu pris ses fonctions en novembre 1547 et installa son quartier général Zhangzhou, le principal centre du commerce outre-mer dans le FUJIAN. Les autorités officielles locales refusèrent de coopérer avec lui dans la lutte contre le commerce outre-mer, ainsi il recruta sa propre équipe. Immédiatement il parcouru les défenses côtières du nord de sa zone de responsabilité. En février 1548, il réitéra ses remarques quant au non respect de l’interdiction du commerce outre-mer, peu de temps après la diffusion de cette recommandation, plusieurs bandes de pirates s’abattirent sur les côtes des préfectures  de Ningbo et Taïzhou (Linhai, aujourd’hui) dans le ZHEJIANG, tuant, brûlant et pillant sans rencontrer la moindre opposition de la part des forces armées impériales.  Ce fut jusqu’à lors le raid le plus meurtrier et destructeur que connu cette province. Il devenait urgent dès lors, d’écraser ces bandes de pirates. Cependant, en février 1548, le grand secrétaire Xia Yen, qui avait appuyé la nomination de Zhu et lui avait donné les moyens d’agir, fut démis de ses fonctions mandarinales et condamné à mort pour trahison. Aussi, lorsque Zhu regagna Ningbo en avril 1548, il n’avait plus d’allié de poids à la cour. Peu de temps après, il échafauda des plans pour attaquer les enclaves commerciales à Dinghai et Dongsha, qui étaient les principales places de commerce outre-mer le long des côtes du ZHEJIANG. L’attaque de Dinghai se déroula de nuit et pendant une tempête ce qui permit à de nombreuses embarcations de s’échapper et de se regrouper le long de petites îles plus au sud. Consécutivement à ce nouveau regroupements de ces flottes marchandes, un nouveau chef de bande émergeât, en la personne de Wang Zhi. Wang avait rejoint le groupe de Dinghai en 1544, il fut également le premier marchant à avoir commercer avec la japon en 1545. Il pris progressivement le contrôle du restant de la flottille de commerce , en tuant son ancien leader par surprise. Le commerce outre-mer continuait donc.

Wang organisa le commerce entre les côtes chinoises du sud et le japon, de 1549 à 1550. Dinghai était remplacée par d’autres petits ports  abrités sur des îles au larges des côtes du ZHEJIANG et du FUJIAN.

Mais, les pouvoirs que Zhu détenait en matière de lutte contre le commerce outre-mer illicite ne le laissa pas sans réponse. Il fit exécuter toutes les personnes ayant participés aux raids de 1548, malgré les protestations des autorités locales, l’un des truands était l’oncle du juge préfectoral de Ningbo, ce juge était l’une des nombreuses personnalités qui voulaient empêcher Zhu de réaliser son mandat d’éradication du commerce outre-mer et de la piraterie dans le ZHEJIANG  et le FUJIAN. En août 1548 les pouvoirs de Zhu furent réduits. En effet, un censeur du FUJIAN fit remarquer qu’une autorité ne pouvait pas posséder autant de pouvoir juridictionnel. Zhu, néanmoins continua de faire respecter la loi d’interdiction du commerce d’outre-mer en concentrant ses troupes  et sa flotte de chasse le long des côtes sud du ZHEJIANG. En mars 1549, il attaqua une importante flotte marchande stationnée au large du FUJIAN, de nombreux pirates furent capturés et 96 d’entre eux furent exécutés sommairement sous son autorité. Juste au moment ou sa campagne de lutte semblait être couronnée de succès , il fut démis de ses fonctions. Un censeur l’accusait d’avoir commis des crimes sans en être dûment autorisé. Il n’obtint pas la grâce de Pékin, car la procédure resta au niveau des autorités locales, dont le censeur en chef était natif de Ningbo. Lâché de tous il se suicida en janvier 1550. Toute son organisation fut démantelée, sa flotte de défense côtière dispersée et les autorités locales rétablirent le commerce outre-mer[3].

1.2-Le commerce et la piraterie pendant la décennie 1550

         Ce fut dans de telles conditions que des marchands chinois comme Wang Zhi cherchèrent à influencer la politique de la cour envers le commerce outre-mer. Wang Zhi avait pendant tout ce temps organisé un véritable consortium commercial et était à la tête d’une flotte bien armée servi par des hommes entraînés au combat et défendant cette organisation. Wang Zhi et quelques autres avaient l’avantage d’être les pionniers dans cette voie. Afin de mieux préserver leurs intérêts respectifs, il tombait sous le sens qu’ils allaient s’appliquer à contrôler la piraterie en limitant ses incidences le long des côtes, notamment en forçant les flottes pirates à se joindre au consortium, au risque de se faire détruire autrement.

Entre 1549 et 1552 Wang coopérait avec les intendants militaires locaux à plusieurs reprises, au point même de capturer et de livrer des chefs pirates. En retour, il attendait de la part des autorités locales la levée de l’interdiction de commercer outre-mer. Mais l’effet inverse s’instaura. En 1551, même les bateaux de pêche furent interdits de prendre la haute mer. Tout le commerce outre-mer était hors la loi. Ayant échoué à atteindre ses objectifs par le compromis, Wang décida d’user de la force. Les raids après 1551 furent plus nombreux et particulièrement bien organisés contre les établissements officiels ; greniers à grains, préfectures, et les trésoreries de district, parfois aussi, dans la campagne environnante, qui était pillée en coupe réglée.

         Les raids à grande échelle conduits entre 1552 et 1556 faisaient suite aux calamités naturelles (sécheresse dans le bassin du Yangzi jiang en 1546  et 1547, famines dans le ZHEJIANG en 1543 et 1544)  et aux mouvements de rébellions paysannes. Les milliers de personnes qui avaient tout perdu et qui erraient à la recherche de moyens de subsistance, étaient des recrues idéales pour les bandes de pillards et gangs de pirates. A partir de 1550, la piraterie était si répandue le long des côtes du ZHEJIANG que les villes et villages érigeaient des palissades pour se protéger. Au début des raids, les pirates effectuaient des attaques souples avec replis immédiat sur leurs navires. Puis à partir du printemps 1552, les raids étaient menés par plusieurs centaines d’hommes le long de la côte du ZHEJIANG. Pendant l’été 1553, Wang rassembla une flotte de plusieurs centaines de navires est mena une succession de raids le long de la façade maritime du ZHEJIANG. Plusieurs garnisons furent prisent aux forces impériales  et d’autres assiégées. Après cette campagne de raids, il apparu aisé pour les pirates d’établir des bases terrestres le long de la côte. Dès le début de 1554, des bases fortifiées furent établies le long de la côte du ZHEJIANG. A partir d’elles d’importants raids de marins, de pirates, de guerriers japonais, d’aventuriers étrangers et de bandits chinois partirent en direction de l’intérieur des terres. En 1555, ces raids atteignirent les grandes villes de Hangzhou, Suzhou et Nankin, au point qu’à partir de l’année 1556, toute la région du sud de Nankin à Hangzhou était hors de contrôle des forces impériales.

1.3-Tentatives de suppression de la piraterie et du brigandage 

En 1552, Wang-yu (1507-60), le gouverneur du SHANDONG, fut nommé responsable des affaires militaires au ZHEJIANG et dans les préfectures du FUJIAN (Cette fonction était vacante depuis la relève de Zhu Wan en 1549). Wang remis immédiatement en liberté les commandeurs qui avaient servi sous les ordres de Chu afin de reconstituer une armée. Cette armée impériale reconstituée subit défaites sur défaites de 1553 à 1554. Les pirates et bandes armées investirent encore 20 citées administratives et garnisons. En mars 1554, la ville de Sung-chiang fut attaquée, en mai la ville de Chia-hsing tombait, T’ung-chou était assiégée, et l’île de Chungming occupée. Wang n’eu qu’une suggestion utile, il recommanda l’édification de murs de protection autour des villes saccagées[4]. En novembre 1554 Zhang shing, le ministre de la guerre de Nankin fut investi du commandement des armées du sud-est, doté de pouvoirs discrétionnaires et chargé personnellement de la suppression de la piraterie. Cependant, les pirates n’étaient pas resté inactifs, et avaient établis de nombreuses bases fortifiées autour de villes et édifiés des fortins sur la côte du ZHEJIANG, abritant une force hétéroclites de 20.000 hommes. Le premier objectif de Zhang était de reprendre les villes fortifiées et de détruire les fortins. Pour cela, il lui fallait une armée plus nombreuse, à cet effet, il mobilisa 11.000 soldats aborigènes provenant du JIANGXI et du HUNAN pour suppléer aux forces impériales déjà engagées au ZHEJIANG. Toutefois ces renforts n’arrivèrent pas avant le printemps 1555, et pendant ce laps de temps les armées impériales tinrent uniquement les villes fortifiées et les dépôts à grains, laissant le reste au pillage. En effet, Zhang shing refusait de livrer combat aux forces pirates tant que le renfort des troupes aborigènes nécessaire ne serait à pied d’œuvre au ZHEJIANG.

En mars 1555, la situation au ZHEJIANG ne s’était guère améliorée et l’empereur dépêcha un censeur du nom de Zhao Wen-Hua pour s’enquérir de la situation militaire. Les bandes de pirates menaçaient les tombes impériales au nord de Nankin et s’en prenaient aux barges à grains transitant par le delta du Yangzi jiang. Le censeur  impérial exhorta Zhang shing à réagir sans délai à ces attaques, celui-ci en pris ombrage du fait de sa différence de rang, plus élevé dans la hiérarchie et de son peu de loyauté envers le régime impérial qu’il servait. Ces différends furent rapportés à l’Empereur, avec une légère déformation consistant à accuser Zhang d’avoir détourné  les fonds destinés à sa mission et d’avoir donc échoué dans sa défense de la région, celui-ci fit arrêté Zhang .

Dans le même temps, en mai 1555, les Armées combinées de Zhang obtinrent une victoire éclatante sur les forces pirates à Chia-hsing (plus de 2000 têtes), c’était la première du genre en faveur des forces impériales. Cela ne sauva pas la tête de Zhang qui fut décapité peu de temps après, le bénéfice de cette victoire ayant été indûment attribué à l’action mobilisatrice du censeur Zhao Wen-Hua.

Zhao Wen-Hua (qui était de Ningbo), n’était pourtant pas favorable à l’interdiction du  commerce outre-mer. En 1549, il avait tenté de corrompre Zhu Wan au moyen d’une promotion afin de le faire quitter le ZHEJIANG, mais l’offre lui fut décliné. Aussi, bien que l’empereur promulgua une loi de pardon et de pacification concernant ce commerce, en 1554, Zhao était déterminé à obtenir malgré tout et par ce biais la reddition du chef des pirates Wang Zhi, lui accordant de ce fait le monopole du contrôle de ce commerce. Il gagna à sa cause le Censeur-général Hu zung-xian, qui allait être muté au ZHEJIANG, et qui provenait du district de Wang Zhi dans l’ANHUI.

1.4-Hu zung-xian et Xu hai 

En 1554, lorsqu’il débuta sa coopération avec Zhao, Hu zung-xian était censeur en charge des affaires militaires pour le ZHEJIANG. En 1556, il était la plus puissante autorité civile et militaire dans tout le sud-est de l’Empire. Durant ces trois années, il travailla à faire aboutir les plans de Zhao, affrontant des protestations ouvertes de la part de ses subordonnés, n’ayant de cesse de rappeler la stratégie impériale de pardon et d’apaisement  à l’encontre des acteurs du commerce outre-mer. En mai 1555, Hu obtint la permission d’envoyer une délégation à la cour du roi du Japon afin de solliciter son assistance dans la lutte contre la piraterie  et plus particulièrement d’obtenir la reddition du pirate Wang Zhi, cette démarche était en contradiction avec les édits impériaux.

Au cours du printemps 1556, Wang Zhi manifesta son intention de mettre un  terme aux actes de piraterie sur les côtes du ZHEJIANG en contrepartie d’un pardon et d’une autorisation de commercer légalement avec l’outre-mer. Il assorti son geste d’une mise en garde contre un de ses lieutenants, Xu hai qui projetait  un raid d’envergure le long des côtes et contre lequel il ne pouvait malheureusement plus rien faire. Cet avertissement compliqua les plans de Zhao, qui se retrouvait à présent face à une menace militaire sérieuse.

En avril 1556, Hu zung-xian fut nommé commandant suprême des forces armées des régions sud, ZHEJIANG et FUJIAN. Les armées impériales avaient été sérieusement défaites tout au long de l’année 1555 dans les combats qui les avaient opposé aux forces rebelles. La situation militaire s’était détériorée et les raids continuaient. Hu zung-xian, passa les premiers mois de l’année à trouver un arrangement avec Xu hai afin de le dissuader de lancer ses raids sur le ZHEJIANG. Ceux-ci débutèrent le 19 avril 1556.

         Xu hai commença sa carrière comme moine bouddhiste, mais en 1551 il quitta son temple à Hangzhou et se mit au service de son oncle, marchand appartenant au consortium de Zhi. Entre 1551 et 1554 fait partie de toutes les expéditions maritime en direction du japon et accumula de la sorte une petite fortune. Mais en 1555, lorsque son oncle échoua dans la conduite d’un raid au GUANGDONG, le seigneur Osumi (qui était le patron et le créditeur de son oncle) ordonna à Xu hai de rembourser les dettes de son oncle en menant à son tour un raid de large envergure sur le ZHEJIANG. Sa flotte pris la mer au début de l’année 1556. L’objectif de cette campagne était de piller les villes de Hangzhou, Suzhou et de Nankin. Conscient de son incapacité à gagner la bataille décisive contre les forces de Xu hai, Hu zung-xian essaya de négocier sa reddition. Pour cette raison, il refusa de s’engager et de donner ordre à ses hommes d’attaquer. Toutes les forces disponibles furent stationnées dans la garnison d’Hangzhou, lieu d’implantation du quartier général de Hu zung-xian. Cependant, Juang O (1509-67), le nouveau gouverneur du ZHEJIANG, décida d’attaquer sur sa propre initiative. Il fut lourdement défait et forcé de se retrancher dans la ville assiégée de Tong-xiang, il ne reçu aucune aide militaire mais servit à Hu zung-xian comme monnaie de négociation avec Xu hai, qui dès lors leva le siège après plus d’un mois, en signe de bonne volonté et dans le but d’obtenir le « pardon » des autorités. 

         Au même moment, à la cour de l’Empereur, la lutte contre la piraterie et la mise en œuvre d’une politique agressive d’éradication devenaient les maîtres mots de toute la stratégie à appliquer aux incursions telles que celle que venait de conduire Xu hai, le temps du pardon n’était plus à l’ordre du jour.

         Toutefois, les contacts entre le représentant de l’autorité impériale et le chef des pirates Xu hai se renforçaient et visaient au démantèlement organisé et coordonné des bandes de pirates sévissant dans cette région,  mécontentant un certains nombres d’autres chefs de bandes. Ces derniers continuèrent à piller et à poser des problèmes pour l’autorité. Les leaders de ces bandes éparses n’affichaient aucune confiance dans la parole des autorités concernant le « pardon à l’issue » de leur reddition. Un arrangement fut conclu entre Hu et Xu hai, et consista à accorder aux ralliés le bénéfice de leurs navires pour rentrer au Japon ou l’octroi de charges militaires pour ceux qui souhaitaient rester en Chine. Pendant ce temps les hommes de Xu hai continuaient de débarrasser la région, comprise entre les bords de la rivière de Wu-song entre Suzhou et la mer, des pirates, en attaquant également leurs points d’appuis le long de la côte. La stratégie de Hu semblait bien fonctionner. Les commerçants d’outre-mer faisaient ce que les troupes impériales étaient dans l’impossibilité de faire. Cependant, Xu hai souhaitait désengager ses troupes dans la mesure ou il aurait bientôt assez d ‘argent pour ne plus être l’obligé du seigneur OSUMI, Hu se posait en intermédiaire. Tout changea dès l’arrivée de Zhao Wen-Hua en août 1556.

         Peu de temps après son arrivée au ZHEJIANG, Zhao Wen-Hua réfuta ouvertement la politique d ‘apaisement menée par Hu zung-xian, tout en se gardant de suggérer la manière de résoudre cette crise. Hu compris qu’il n’avait d’autres choix que de faciliter le repli des bandes de pirates ou de précipiter les luttes fratricides, en accord avec Xu hai, qui finalement se rendit à Hu zung-xian en septembre 1556. Zhao Wen-Hua, voulu obtenir la mort de ce chef pirate et dirigea la campagne finale d’éradication des bandes pirates affiliées à Xu hai, qui fut découvert mort étouffé[5].

1.5-La reddition de Wang zhi

La politique de lutte contre la piraterie menée par Zhao Wen-Hua était issue de trois observations. La première était d’accorder le pardon aux personnes engagées dans le commerce d’outre-mer, la seconde était de réussir à les engager dans la lutte à leur tour contre la piraterie, enfin, de leur permettre de s’assurer malgré tout d’une condition d’existence décente, cela afin de retourner la tendance envers la piraterie. La volonté également de recruter Wang zhi, de l’intégrer dans la hiérarchie militaire et de le convertir dans la lutte à son tour pour la suppression de  la piraterie.

En octobre 1557, Wang zhi accosta avec une flotte nombreuse sur l’île de Shenjiamen au large des côtes du ZHEJIANG. Il dépêcha immédiatement des envoyés au quartier général de Hu pour annoncer sa reddition et sa volonté de continuer son commerce outre-mer. Hu accepta et reçu la reddition de Wang zhi, ce dernier fut mis en prison et y resta jusqu’en décembre 1559, date de son exécution, sur ordre de l’ Empereur. Le lieutenants de Wang se sentirent trahis et se replièrent sur l’île de Shenjiamen à partir de laquelle ils lancèrent dès avril 1558 à nouveau des raids sur les villes côtières du ZHEJIANG et au nord du FUJIAN. Fin juillet 1558, l’Empereur releva de leur commandement les principaux commandeurs de l’armée de Hu zung-xian, notamment QI Jiguang et Yu Da-Yu et leur confia la mission de supprimer définitivement la piraterie en l’espace d’un mois, assortie d’une peine de mort en cas d ‘échec exécutée à Pékin. Hu zung-xian s’était fixé lui même ce délai pour venir à bout des dernières résistances pirates le long de la côte et sur le port fortifié de Shenjiamen. En revanche, il échoua et essuya de nombreuses pertes en tentant d’occuper l’île de Shenjiamen en décembre 1558. Toutefois l’Empereur fit preuve de mansuétude à son encontre en raison des succès obtenus à terre. Hu n’eut pas le même comportement à l’égard de ses commandeurs dont Yu Da-Yu qui fut arrêté sur ses ordres en avril 1559, pour n’avoir pas réussi à reprendre l’île de Shenjiamen. Malgré cela les pirates décrochèrent de cette île fortifiée pour se réfugier en partie au FUJIAN.

         Le général QI Jiguang fut également démis de ses fonctions durant l’été 1559, mais ordre lui fut donné de constituer une armée, de l’entraîner et de recouvrer son honneur en combattant à nouveau les pirates. Le général recruta 3.000 hommes de la province sud de Hangzhou (une région connue pour les révoltes paysannes), les entraîna tout particulièrement et selon de nouvelles méthodes de combats propres à vaincre les guerriers japonais, que QI considérait comme des combattants hors pairs. Cette armée, qui plus tard se rendit célèbre par son appellation « d’armée du général QI », prouva sa valeur et fut engagée avec succès dans la suppression des bandes de pirates et des autres formes de banditisme jusqu’en 1567.

1.6-La piraterie après 1567

         Après que les restes de la flotte de Wang zhi eut abandonné l’île de Shenjiamen en 1559, seulement de petites bandes de pirates continuèrent à causer des troubles dans la région du delta du Yangzi jiang, en particulier autour de la préfecture de Yangzhou, sur la berge nord du Yangzi. Ces bandes furent graduellement réduites durant l’été 1559 et les plus sérieux troubles dès lors, ne se manifestèrent plus qu’au moment du désengagement des troupes recrutées pour éradiquer cette piraterie en 1560. A présent les zones les plus exposées au brigandage et aux raids de pirates étaient limitées au FUJIAN, au GUANGDONG et au sud du JIANGXI (graphique 1).

         Entre 1560 et 1563, les bandes de pirates restantes se réunissaient au large des côtes du FUJIAN, notamment sur l’île de Zhi-men (l’île actuelle de Quemoy). Les raids les plus dévastateurs étaient conduits au sud du FUJIAN et au nord du GUANGDONG. En décembre 1562, la préfecture de Xing-hua et ses environs furent pris par les pirates après un long siège. Les inspecteurs de la cour rapportèrent que la situation dans la région était hors de contrôle. Dès le début de l’année 1563, le général QI Jiguang et son armée furent envoyés au FUJIAN. En renfort des forces armées locales il repris la préfecture de Xing-hua et vers le mois de mai de la même année ils avaient détruit les principales bases pirates le long des côtes du FUJIAN. Les bandes de pirates ayant réussis à se déplacer ou à s’échapper furent peu à peu détruites  ou capturées au cours des nombreuses campagnes menées entre 1564 et 1566. Durant ces mêmes campagnes  d’importants territoires et populations (les régions montagneuses comprises entre le GUANGDONG, le FUJIAN et le sud du JIANGXI) qui étaient depuis fort longtemps sous la férules des pirates furent rendus à la gouvernance de l’Empereur.

A partir de 1567, la piraterie n’était plus un problème sérieux le long des côtes du sud-est de l’Empire. Le problème qui subsistait était lié à la politique de la cour envers le commerce outre-mer, qui n’avait pas changé d’orientation et qui s’obstinait à l’interdire. Cependant, sur les recommandations avisées du gouverneur du FUJIAN, en 1567, l’interdiction du commerce outre-mer fut levée et encadrée par la création d’un office central des douanes maritimes. Aussi, cela mettait un terme au débat au sein de la cour sur la politique à adopter quant au commerce d’outre-mer commencé depuis bientôt quatre décennies. A cette même période les côtes du sud-est de l’Empire furent ouvertes aux échanges avec les commerçants espagnols, implantés aux Philippines depuis 1565, idéalement positionné pour pouvoir accéder au commerce avec la chine. Le commandant de la première flotte espagnole aux Philippines écrivait :  « Nous devons accéder au commerce chinois, pourvoyeur de soie, de porcelaine, de benjoin, de musc et bien d’autres richesses ». Ce commerce commença dans les faits, à partir de 1573, et permit d’instituer une route maritime commerciale, entre la Chine et les Amériques.  

I.2-La stratégie et la pensée militaire MING au XVIème siècle :

Ces raids étaient la contrepartie extrême orientale de la piraterie contemporaine portugaise, anglaise, française qui florissait le long des routes maritimes commerciales de l’autre côté du monde. Pour les chinois, c’était une nouvelle forme d’agression transposée du nord mais par voie maritime, qui visait au pillage sans véritable conquête territoriale. La réponse chinoise tout au long de la décennie 50 fut plus défensive qu’elle ne l’avait été jusqu’ici le long de la grande muraille au nord. La solution n’était pas en la création d’une puissance navale, une contre force en mer, mais plutôt dans la réalisation de postes de gardes, de fortins, de lignes de défense le long du rivage défendus par de petites mais nombreuses garnisons, soutenues par un corps de forces spéciales intervenant dans la profondeur du territoire sur les bandes de pirates, mais souvent après que celles-ci aient occasionnées de sérieux dommages.

La principale structure d’organisation des Ming était les colonies militaires (wei) reposant sur la charge héréditaire, indépendantes de l’administration locale. Quelques 500 wei étaient enregistrées soit comme garnisons attachées à une ville ou un village, soit comme colonie dédiée à la défense des frontières. Ainsi , il régnait une grande hétérogénéité parmi ces formations. La pensée militaire émanait de ces regroupements armés, en terme d’organisation et de commandement. A titre d’exemple, on comprend ainsi mieux que toute la campagne de suppression des incursions armées de la part des pirates entre 1555 et 1567 fut largement influencée par les écrits du général QI Jiguang, un des principaux protagonistes.

2.1- La voie chinoise dans la conduite de la guerre

         La plupart des expériences militaires chinoises sont directement comparables aux autres aventures militaires de par le monde. Que ce soient les incursions mongoles en chine, les Huns en occident, la bataille de Poitiers au cours da laquelle les francs, sous le commandement de Charles Martel en 732, défirent l’invasion arabe d’Abd-el-Rahman, la bataille de Talas en 731, pendant laquelle les arabes vainquirent les troupes d’invasion chinoises de la dynastie Tang, dans le Turkestan et qui étaient placées sous le commandement du général coréen Kao Hsien-Chih ; le non moins important et pas toujours bien visualisé, flux multidirectionnel de technologies militaires entre l’Extrême-Orient, le Moyen-Orient et l’Europe, portant sur la technique des chariots, de l’arbalète, l’étrier, la poudre à fusils, les armes à feu, en particulier, la technique médiévale de siège répandue dans toute l’Eurasie, mais aussi, la rencontre entre la machine de guerre mongole et la société sédentaire chinoise, Perse, Russe, sans oublier le contrôle militaire des places fortes, sous les empires chinois, byzantin, et ottoman, incluant les troupes particulières qu’étaient, les captifs, les mamelouks, les janissaires, les « wokou » ou les vikings, finalement, chaque observateur attentif à l’histoire militaire peut ainsi établir sa liste opportune de comparaison. Alors, si toutes ces études comparatives auraient tendance à prouver qu’il n’existe pas de manière particulièrement chinoise de conduire l’engagement, il faut néanmoins reconnaître qu’il existe de par l’empreinte géographique et historique chinoise des habitudes de pensée et d’action spécifiques, telles que nous pouvons ainsi les décrire[6].

         1-Une tendance à n’accorder aucune estime à l’héroïsme et à la violence, et à préférer les attitudes non violentes pour surmonter un adversaire et parvenir à un but politique. La force militaire  étant dans cette perspective, seulement un moyen parmi de nombreux autres de soumettre ou maîtriser un ennemi, et non une fin en soi. Le commandement militaire ne doit en aucun cas revenir exclusivement aux militaires, et c’est ainsi que l’autorité de décision échappe en majeur partie à l’intelligentsia militaire.

         2- Une tradition continentale de combat qui préfère la défensive à l’offensive, visant à l’épuisement d’un attaquant, ou à une pacification des rebelles, stratégie moins coûteuse que l’extermination de l’adversaire. Cette stratégie vaut également pour la force militaire navale[7], qui sous les Ming appliquait aux marines adverses le concept de lutte développé par les stratèges terriens, qui s’exprimait par un regroupement des forces, des vivres et autres ressources au sein de bastions côtiers ou de villes fortifiées en vue de priver de tout ravitaillement l’agresseur, espérant ainsi l’affamer et le pousser au retrait. Cette stratégie a prévalu tout au long de l’époque du général QI Jiguang, mettant à mal plusieurs régions et ne portant que très partiellement ses fruits.

 

         3- Une union entre la bureaucratie et le militarisme plutôt qu’entre le militarisme et l’expansion commerciale, au moins pour tout ce qui a touché le commerce outre-mer. Au contraire des grandes expéditions européennes, les autorités impériales n’éprouvent que mépris pour le commerce et ses revenus. Les revenus de l’Empire sont essentiellement intérieurs, la terre, la taxe sur le sel et la corvée. Les profits personnels des élites impériales proviennent de multiples malversations bureaucratiques au détriment des plus pauvres. Cela valait autant pour la classe civile que militaire. Aussi, cette façon de faire développa les guerres punitives et les pillages au profit des généraux qui dirigeaient de telles expéditions. C’était une façon d’entretenir l’émulation militaire et de faire régner l’ordre intérieur pour les classes civiles dirigeantes.

2.2- La nature du problème militaire 

La stratégie traditionnelle de réponse aux menaces militaires s’articule autour de trois invariants majeurs guidant l’action militaire :

–         Les troubles domestiques fomentés par des sujets mécontents qui sont souvent très violents et à l’origine de nombreuses succession de règne.

–         Les raids incursifs ou les invasions occasionnelles massives de la part des hordes nomades du nord de la chine

–         La résistance permanente des peuples aborigènes du sud et sud-est à l’implantation forcées des colonies de peuplement chinoises et de leur mode d’organisation politico-sociale.

Contre toutes ces menaces, les gouvernants chinois ont toujours compté avec la plus grande confiance sur leur réseau administratif et bureaucratique, qu’ils tenaient pour supérieur à tout autre organisation, et capable de solutionner tout problème majeur. Mais derrière cette façade morale et rigoureuse, il y toujours eu des armées nombreuses, bien encasernées, que ce soit le long de la grande muraille au nord, ou à proximité de routes et points d’eau stratégiques plus à l’intérieur des terres. Afin de s’accommoder de tous les dangers, l’attitude impériale oscillait entre deux types d’action : l’initiative purement militaire pour briser toute association belligène et s’octroyer un espace naturel de protection, ou bien garder l’ennemi dans l’incertitude par un affichage de puissance, par des initiatives diplomatiques, des menaces, des tentatives de séduction, par la confusion et bien d’autres subterfuges. Lorsque des hostilités faisaient éruption, le gouvernement considérait traditionnellement deux possibilités de réponses ; une réponse directement militaire, souvent qualifiée ‘’d’exterminatrice’’ (zhao, mie), ou plutôt une solution indirecte, politico-économique, appelée ‘’pacificatrice’’ (zhao-an, zhao-fu). Dans une vision pragmatique, les gouvernants chinois dédaignaient le recourt à la solution militariste, ultime et dernière réponse en cas de menaces patentes de chute de la dynastie, ils étaient généralement plus enclins à préférer la pacification de l’adversaire, cette préférence reflétait le penchant confucianiste naturel pour que tout s’arrange à l’intérieur de la communauté et souvent à n’importe quel prix, par la médiation, le compromis, gardant bien soin de sauver la face et de ne point porter atteinte à la susceptibilité de chaque partie.  

2.3- Le défi sans précédent des raids en profondeur japonais 

         Les japonais furent les premiers à faire peser une menace pour la sécurité de l’Empire, qui ne provenait pas d’un territoire parfaitement attenant[8]. A l’origine ces raids ont commencé à sévir au cours du XIIIème siècle le long des côtes coréennes, ce qui déclencha la volonté d’invasion de l’île de Kyushu par Kubilai Khan en 1274 et 1281, qui se solda par un échec. Ces raids, par la suite s’élargirent vers les côtes de chine. Dès le début de la dynastie Ming, d’importants contacts s’établirent.

De significatifs efforts diplomatiques et défensifs ont été déployés par les premiers empereurs de la dynastie Ming et qui ont eu pour effet de diminuer sensiblement l’impact de ces raids et d’instaurer des relations sino-japonaises sous le régime des ‘’missions de tribut’’, qui étaient ressenties comme un comportement acceptable et admis de la part des étrangers. Mais en 1548, faisant suite à de nombreuses anicroches au système du tribut, ces relations formelles furent rompues. Mais bien avant, les campagnes de raids côtiers avaient reprises en ampleur et atteignirent leur point culminant au cours de la décennie 50. Les efforts chinois pour endiguer cette vague de raids étaient rendus complexes par plusieurs facteurs.

         1- Ils s’agissait en premier lieu de la difficulté pratique de mettre en place et de maintenir un dispositif efficace de défense tout au long de la grande façade maritime chinoise. Les autorités Ming, tentèrent de créer une ligne de défense côtière équivalente à la grande muraille. Pour ce faire, ils établirent un dispositif de citées fortifiées, de fortins, de tours de guet, d’obstacles et de digues le long de la côte, de la Corée à l’Annam.  En même temps, ils entretinrent une flotte de guerre importante qui était supposée patrouiller dans les estuaires, autour des îlots, des petits archipels qui abondaient au sud du delta du Yangzi jiang. La marine de guerre Ming comportait des navires biens supérieurs à ceux utilisés par les pirates et étaient en temps normal victorieux en combat naval au large ; les autorités Ming avaient réalisés qu’il était préférable de s’attaquer aux Wokou (pirates japonais) en pleine mer plutôt que de les maîtriser une fois débarqués à terre. Malgré tout, il y avait encore dans beaucoup d’esprit une assez faible confiance absolue dans la capacité de la flotte à elle seule de défendre correctement les côtes.

Poursuivre les maraudeurs en pleine mer est une chose, empêcher leur débarquement sur les côtes en est une autre. Alors, bien que très défendue, la côte chinoise était extraordinairement vulnérable aux attaques de la piraterie.

         2- Interdire aux maraudeurs l’implantation de bases à terre et le bénéfice des places protégées en mer à proximité de la côte, exigeait la conquête de la part des armées impériales et le contrôle des îles au large du Zhejiang, de Taïwan, et jusqu’à une certaine partie du japon lui-même. Les capacités pour mener de telles actions ont existé au début de la dynastie MING mais aucun Empereur a été assez hardi pour donner l’ordre de le faire, d’autre part la menace ressentie comme principale par la cour Impériale venait du nord et a donc laissé peu à peu s’instaurer le déclin de ses moyens et forces maritimes pour se concentrer sur ses forces terrestres et aucun conseiller en 1550 se sentait le courage et l’opportunité nécessaire pour suggérer à l’Empereur de défendre ses côtes par la conquête d’un espace tampon. En effet, au moment où les attaques de pirates atteignaient leur paroxysme, toute l’attention de la cour était focalisée sur la frontière nord, au-delà de laquelle le chef mongol Altan Khan revitalisait ses troupes et représentait la menace militaire la plus prégnante, engageant de ce fait d’importantes dépenses pour l’Empire afin de renforcer les installations de défense au nord. Le temps n’était pas à l’engagement dans une aventure risquée de quelque sorte que ce soit ailleurs.

         3- Par ailleurs, le maraudage côtier n’était uniquement qu’un problème de relations internationales. Les maraudeurs étaient généralement appelés « Wokou » (pirates japonais), car c’était bien les japonais les premiers à avoir commis des raids sur les côtes chinoises. Mais les Wokou étaient les agents d’aucune organisation gouvernementale et au milieu du XVIème siècle, les aventuriers japonais ne représentaient plus qu’un faible pourcentage de guerriers à l’intérieur de ces bandes organisées.  D’ailleurs, à la vérité la plupart de ces bandes étaient dirigées par des renégats chinois, des insulaires, des personnes déshéritées de l’intérieur des terres  à la recherche d’une condition de vie meilleure et quelquefois apparemment des portugais et leur hommes de mains malais. Ceux qui étaient donc qualifiés de Wokou en 1550 représentaient une communauté de contrebandiers qui agissaient sur mer et dans les terres avec la connivence de sommités locales et influentes dans bien des cas. Les pirates connaissaient bien les conditions de vie dans les régions attaquées, avaient d’excellents contacts à l’intérieur des villes et villages et ceux qui leur assuraient ce soutien étaient souvent les mêmes qui prêtaient aide aux troupes impériales lors de leur déploiement sur le terrain. Il était ainsi, très difficile de trier l’ivraie du bon grain et d’appliquer une simple solution militaire à ce lancinant problème.

         4- La richesse et la difficulté d’accessibilité à la zone convoitée et menacée compliquaient singulièrement les données du problème. La zone privilégiée des attaques pirates Wokou était contenue entre les régions traditionnellement appelées Zhuan-nan (sud de la rivière), Dong-nan (sud-est), incluant également Shanghaï-Suzhou dans le Jiangsu et Hangzhou-Ningbo dans le Zhejiang, qui ont de tout temps été d’une importance stratégique à la fois dans les relations intra régionales à la chine et également internationales. De la dynastie Tang à la dynastie Ming, les villes de Ningbo et de Hangzhou furent des centres de commerce outre-mer très actifs. Aussi, cette région du sud-est chinois était une cible toute désignée, et naturelle pour les maraudeurs. Son accès était aisé par mer à cause de la permanence de vents orientés du large vers la terre, de ports bien abrités. Enfin, cette région était densément peuplée, intensément cultivée et très productive tant dans le secteur agricole que manufacturier. La population y avait un niveau de vie bien plus enviable que dans l’intérieur des terres. C’était en outre, le grenier de Beijing, grâce au réseau de canaux permettant d’acheminer les grains des taxes impériales.

2.4- La défense militaire dans le sud-est à l’abord de la décennie 1550

         L’ensemble de la région n’a cessé de subir les incursions des pirates tout au long de la décennie précédente, ce qui décida le renforcement  progressif du dispositif de protection des côtes. Ce renforcement pris surtout la forme d’un remaniement dans l’organisation du commandement militaire de la région. En 1547, un grand coordonnateur fut  investi de pouvoirs militaires spéciaux et responsable de la défense côtière pour la province du Zhejiang et le sud du Fujian. De même, fut créé le poste de commandeur suprême pour les forces engagées le long des côtes du sud-est (provinces du Fujian, Zhejiang, et Anhui). Parallèlement, de nouvelles troupes du nord furent acheminées en renfort et les villes du littoral renforcées par des barricades et des murs d’enceinte, pour la première fois de leur histoire[9].

I.3-Le milieu familial du « général »

3.1-L’enfance de QI Jiguang

Le 12 novembre 1528 dans le bourg de Lu Qiao, à 60 Li                             ( un Li = 0,5 km ) au Sud-Est  de Ji Ning (aujourd’hui Ville de Wu Lin), à l’aube du petit matin, les pleurs d’un nouveau né sortent d’une petite maison en paille. Le maître (chef de famille) de cette maison est le Général QI Jing Tong. Nous nous situons à la 7ème Année sous la règne de l’Empereur Jia Qing, de la Dynastie des Ming. Le nouveau né est son fils aîné, celui là même qui deviendra l’un des généraux les plus accomplis et reconnus aux quatre coins (traduction littérale : aux quatre mers) du pays, le général QI Jiguang.

Les ancêtres de la famille QI sont d’origine du Wei Hui Fu (aujourd’hui Qi Xian), province du HUNAN. Pendant les dernières années de la dynastie de Yun, les guerres civiles sont nombreuses. L’aïeul de QI Jiguang (6 générations précédentes) fut QI Xiang. Afin d’éviter le chaos de la guerre, il s’exile et s’installe dans un village de la Province du ANHUI. Mais il  comprend rapidement que la vie dans l’Anhui n’est pas meilleure qu’ailleurs, et en 1352, il se joint aux mouvements de sédition dirigés par Zhu Yuan Zhang. QI Xiang a suivi ce dernier dans toutes ses campagnes militaires et lui a toujours été d’une grande loyauté. En 1367, Zhu Yuan Zhang fonde la dynastie Ming et devient le premier des empereurs de cette nouvelle dynastie. Quant à QI Xiang, il est nommé Bei Hu Guan (chef d’escouade de cent hommes). QI Xiang meurt en 1381, au cours d’une campagne de conquête. L’empereur, afin de récompenser le dévouement de QI Xiang, nomme son fils héritier QI Bin « Général Ming Wei » du département de Deng Zhou de la province du Shandong, un titre héréditaire qui désormais peut être transmis de père en fils. Dès lors, la famille QI intègre les familles militaires héréditaires et va se destiner à honorer cette fonction.

L’arrière grand-père de QI Jiguang se prénomme QI Jian. Il a deux fils :     

– l’aîné : QI Xuan qui n’aura pas d’enfant.

– le cadet : QI Ning qui n’aura qu’un fils, QI Jing Tong.

QI Ning, le grand père de QI Jiguang est décédé très jeune laissant son fils orphelin de père dès l’âge de 6 ans.

Le grand oncle, QI Xuan a pu adopter son neveu comme fils et lui a laissé la charge héréditaire de la famille QI après sa mort[10]. Ainsi, QI Jing Tong, le père de QI, est devenu à son tour, chef militaire du département DENG ZHOU. Il travaille sans relâche et est apprécié par tous. Il monte très rapidement en grade et devient un haut fonctionnaire militaire.

QI Jiguang voit le jour alors que son père est déjà âgé de 56 ans. La naissance d’un fils héritier apporte le plus grand bonheur à toute la famille QI. Le père du nouveau né prénomme son fils « JI GUANG » 

JI = succéder, continuer, hériter.

GUANG = la lumière, le splendeur, la gloire.

afin de symboliser la continuité de la prospérité et de la gloire de la famille.

De génération en génération, la famille QI a assumé la tâche de  fonctionnaire militaire, on pourrait croire qu’elle soit parvenue à constituer et transmettre un important  patrimoine familial et à bénéficier d’une vie aisée. Mais, ce n’est pourtant pas le cas. Fonctionnaire intègre et honnête, la famille est pauvre et incorruptible. Pendant plusieurs dizaines d’années où QI Jing Tong rempli sa fonction de Général du département Deng Zhou, il n’entretient sa famille qu’avec ses faibles émoluments en refusant le bénéfice  de tout avantage et faveur. De ce fait, la Cour Impériale le prénomme « Le Fidèle et Intègre Général ». C’est aussi dans cet état d’esprit que QI Jing Tong éduque et influence son fils sans jamais lui accorder le moindre privilège.

A l’âge de 10 ans, la mère naturelle de QI décède. Ce drame le rend plus mature en comparaison des enfants de cet âge et il commence déjà à réfléchir sur son avenir.

Deux évènements d’enfance le marquent profondément:

1) L’installation des fenêtres en bois sculpté en 1539.

Cette année, le père de QI Jiguang, âgé de 67 ans est souffrant et se voit accorder un congé pour se reposer à la maison. Il a alors décidé d’entreprendre des travaux de réparation de la maison de famille qui est dans un très mauvais état de par son manque d’entretien. A cette occasion, quatre fenêtres en bois sculpté ont été changées pour améliorer l’éclairage intérieur. QI, âgé de 12 ans, séduit par la belle allure de ces nouvelles fenêtres, a formulé une demande auprès de son père afin de changer toutes les fenêtres de la maison malgré le coût très élevé : « nous sommes de haut fonctionnaire d’Etat, nous devons avoir des fenêtres de cette allure pour montrer notre rang… ».

Son père, choqué par l’esprit vaniteux de QI Jiguang n’a pas pu s’empêcher d’entrer dans une grande colère. QI, voyant rarement son père, n’a encore jamais vu une telle réaction de la part de ce dernier.

2)     Les chaussures en soie : 1540

Dès sa naissance et jusqu’à l’âge de 13 ans, QI Jiguang n’a jamais eu une paire de chaussures en soie. A l’occasion de ses fiançailles, le belle famille de QI lui en offre une paire. QI, ravi, les a porté le jour de la fête sans attendre. Le père de QI, voyant les chaussures de QI, lui a demandé de les enlever immédiatement devant tous les invités.

Ces deux évènements d’enfance n’ont jamais été oublié par QI Jiguang, et qui dès lors,  a compris que la vanité et la recherche de la satisfaction matérielle sont des maux auxquels il convient d’échapper autant que d’une maladie contagieuse.

En effet, le père de QI Jiguang essaya en toute occasion de lui  inculquer la ligne de conduite de la famille QI, respectée par tous ses membres:

n    servir l’Empire sans restriction

n    la probité et l’honnêteté absolues envers les administrés ;

n    le désintéressement quant aux envies matérielles.

C’est au sein d’un environnement familial aussi stricte que QI Jiguang, l’un des futurs grands généraux de la Chine des Ming fut élevé.

Entre-temps, il apprit à lire et à écrire ainsi que l’initiation aux arts martiaux. Tous les matins, il se levait dès l’aurore pour s’entraîner physiquement et suivre des leçons de culture générale.

Mais, les jeux préférés de QI restaient les jeux de guerre. En imitant les scènes de guerre des pièces de théâtre, il forme et entraîne ses officiers et ses soldats de bois peints de couleurs différentes : il trouve une stratégie pour une troupe attaquante et invente immédiatement une autre stratégie pour la troupe adverse. Il était tellement passionné par ces jeux qu’il ne voulait pas aller au lit avant d’avoir pu trouver une stratégie en mesure de contrecarrer la précédente.

Dès la retraite de son père, il n’eu plus beaucoup de temps pour jouer avec ses petits soldats de bois car, son père se chargea de lui enseigner les arts littéraires classiques et l’art du commandement militaire afin de le préparer pour prendre sa suite et assurer la charge militaire héréditaire. A l’âge de 15 ans, il est devenu fort et connu dans la région de Deng Zhou pour sa maîtrise du maniement de l’épée

  3.2-L’adolescence de QI Jiguang

Eté 1544, QI Jing Tong, gravement malade, ne peut plus se lever. Il se rend compte qu’il ne peut plus servir l’Etat et décide de transmettre sa charge à son fils QI Jiguang. Il  fit appeler son fils à son chevet et l’informa de sa décision: « Mon fils, je ne peux plus servir efficacement  notre pays, c’est à toi de reprendre le flambeau et de diriger les troupes contre les ennemis. Tu as 17 ans et tu es capable de participer aux affaires tant militaires que civiles. Ainsi la famille QI ne manquera pas de successeur et les œuvres inachevées seront accomplies par toi»[11].

Dès le lendemain, QI part pour Jing-Chi (Pékin), la capitale des Ming, pour accomplir les formalités officielles propres à ce  transfert de charge. Afin de faire ses adieux à son fils, QI Jing Tong s’efforça de se lever et revêtit son costume de guerre. Il suivit de ses yeux l’ombre de son fils du plus longtemps qu’il pu jusqu’à sa disparition de l’horizon. QI n’a jamais songé que c’était la dernière fois qu’il voyait son père, car, le voyage  dura plus de trois mois et entre-temps, la maladie de QI Jing Tong s’aggrava, au point qu’il  mourut sans pouvoir attendre le retour de son fils.

Sa nomination officielle, le décès de son père, sont autant d’événements en moins d’un an qui ont fait mûrir QI, il  franchi d’un seul coup le seuil qui sépare l’adolescence de l’âge adulte. Sur ses jeunes épaules, il supportait  toute la charge familiale, c’est à dire, une mère, un frère et une sœur.

QI Jiguang se marie dès l’année suivante avec l’une des filles de la famille WANG, une famille de militaire de haut rang. Son épouse, laborieuse et organisée devint très vite une aide indispensable pour lui, car en prenant à sa charge toutes les tâches domestiques, elle lui permis de se concentrer uniquement sur son travail. Dès le début de sa carrière, il se montre très brillant.

Au seuil de la 25ème année de Jia Qing (1546), il occupa une fonction qui consistait à organiser la culture des terres par les militaires. En effet, depuis la fondation de la dynastie Ming par son fondateur, Zhu Yuan Zhang, les soldats des Ming ont toujours eu pour  tradition de cultiver la terre par leurs propres moyens pour se nourrir afin d’alléger les charges d’Etat. Des lois définissaient précisément la composition des troupes (système de poste de garde) et la proportion des soldes de garde par rapport à ceux qui devaient travailler la terre (système de culture des terres). Selon la loi, pour un régiment de gardes de l’intérieur comprenant 5600 soldats, 20% étaient dévolus aux tâches purement militaires et les 80% autres, cultivaient la terre. Pour les troupes de gardes des côtes et frontières, le pourcentage était de 30% et de 70%.

La garnison de Deng Zhou (aujourd’hui ville de Penglai dans la province du Shandong) est une garnison côtière car elle se situe au bord de la mer de Chine. Par conséquent, 70% des soldats se voient chargés de la culture de la terre pour subvenir aux besoins de toute la garnison. QI Jiguang doit justement encadrer ces derniers. C’est donc une tâche assez lourde pour un jeune officier. En plus de cela, de mauvaises habitudes se sont installées dans la troupe : la corruption, l’indiscipline, la paresse et la passivité.

Dès sa prise de fonction, QI Jiguang a décidé de lutter contre :

1) la cupidité

2) le désorganisation

3) la paresse

afin d’instaurer une ambiance pure et honorable parmi la troupe.

Il a compris depuis toujours que le moyen le plus efficace pour se faire respecter des hommes est de se donner en exemple : Quand un poste de secrétaire se libéra, un sous-officier, croyant bien faire, lui offrit de l’argent afin d’obtenir un traitement de faveur. QI Jiguang le lui  retourna sans même y toucher et infligea une punition très lourde au sous-officier délictueux. Après cela, il choisi quelqu’un d’autre qui possédait un très bon profil pour occuper ce poste. La personne choisie par QI, après avoir appris l’histoire du sous-officier, fut très émue et pour exprimer sa gratitude, offrit des cadeaux à QI. Ce dernier, furieux, le convoqua immédiatement pour lui expliquer que s’il avait ce poste, ce n’était pas parce qu’il l’apprécia plus que quiconque d’autre mais que c’était tout simplement parce qu’il correspondait le mieux pour ce poste et qu’il était déçu par sa réaction.

Pendant les quatre années où il occupa ce poste, il ne toucha que son salaire sans jamais prélever un denier ou une graine de blé de plus. Son honnêteté et son intégrité sont légendaires et appréciées de toute la garnison. En plus de cela, il rédige des règlements intérieurs très précis, contenant des chapitres entiers sur les barèmes de récompenses et de punitions. Il a aussi précisé les différentes tâches et devoirs de chacune des catégories : officiers, sous-officiers et soldats.

Grâce à son propre exemple et à toutes ces initiatives, il a réussi à mettre de l’ordre et de la discipline et à faire changer complètement le moral et l’état d’esprit des troupes. Jeune officier, il a ainsi obtenu le respect de ses proches et l’estime de ses chefs.

Mais, le rêve de QI Jiguang n’était pas de rester dans une petite garnison et de s’assurer de la parfaite culture des terres confiées à l’armée, mais plutôt de conduire ses troupes et de prendre une part active à la défense de l’Empire par la rencontre avec ses ennemis. Cette occasion se présenta enfin en 1548 (27ème année de Jia Qing). Car, cette année-là, il reçu l’ordre de conduire une partie des troupes du SHANDONG jusqu’à Jizhou (= Jixian à 120km au nord-est de Pékin, la capitale des Ming) afin de renforcer la défense de la capitale. En effet, les clans Mongols, installés le long de la frontière nord de l’empire, pénétraient régulièrement en Chine pour razzier et leurs attaques avaient généralement lieu au printemps et en automne.

QI, se réjouit de cette nomination, mais est aussi très conscient de sa conséquence éventuelle. Alors, il  prépara avec beaucoup de dignité les cérémonies funéraires de sa mère et  maria son jeune frère. Ainsi, prêt à sacrifier sa vie pour l’Empire, à l’âge de 21 ans, il parti avec ses troupes à Jizhou.

Une fois caserné à Jizhou, QI Jiguang ne  perd pas une seule minute et commence immédiatement l’entraînement de ses hommes avec méthode

n    il continue à faire régner l’ordre et la discipline et ne tolère pas une seule entrave à leur application.

n    ne connaissant pas le secteur, il commence par envoyer des soldats pour effectuer les reconnaissances nécessaires de la région.

n    ne connaissant pas les techniques spécifiques à la défense des plaines, il recherche et trouve un professeur local spécialiste des steppes et des grandes étendues.

Le fait d’être dans un nouvel environnement et de diriger ses troupes pour une contre-attaque lui fait prendre conscience de son insuffisance tant au niveau des connaissances qu’au niveau de la pratique, alors, il se replonge avec acharnement dans l’étude de tous les récits et ouvrages militaires : il lit jour et nuit les livres de stratégie, il prend des notes et essaie de les adapter aux situations concrètes qu’il rencontre au quotidien. Il soumet même un  projet de défense contre les attaques des Mongols à l’Empereur (graphique 2). Malgré le fait que ses conseils ne sont pas appliqués, il a su faire remarquer son talent de jeune officier par la Cour et les hauts responsables du Bureau de la défense.

En 1553,il a été nommé responsable de la grande ville de Ningbo afin de diriger trois régiments composés de vingt cinq compagnies. Désormais commence la longue et non moins fameuse histoire de la lutte contre les «Wokou ».

         3.3-Ses premières réflexions militaires

Mais la faiblesse de la chine fit la force du japon. Tout en manquant d’unité au sommet, les japonais firent la démonstration d’une remarquable capacité d’organisation sur le champ de bataille. Cela indiquait qu’une certaine solidarité guerrière existait dans leur ordre social, avec des racines profondes contrairement à la chine. Les écrivains chinois furent unanimement impressionnés par la discipline stricte que les envahisseurs pouvaient imposer à leurs combattants dans l’action comme au campement[12]. Les pirates plus que les mercenaires recrutés à titre temporaire se distinguaient par l’uniformité de leur habileté militaire. A l’inverse de ce qui se passait lors des soulèvements de paysans chinois, ils infligeaient de fréquentes défaites aux forces gouvernementales dont la supériorité en nombre était écrasante.

L’invincibilité des japonais reposait sur leur habileté dans le maniement d ‘armes de combat rapproché et un travail d’équipe dans de petite unités n’excédant pas une section ou une escouade. En particulier, ils brandissaient leurs deux épées avec une telle dextérité que les spectateurs ne pouvaient voir que le flamboiement des lames, pas celui qui les maniait. Les commandants d ‘escouades donnaient leurs ordres au moyen d’éventails pliants. En général, ils ordonnaient aux soldats armés d’épées de tenir leurs armes pointées vers le haut ; dès que l’attention de l’ennemi faiblissait, ils ordonnaient d’abaisser les lames qui étaient plus fines que celles que fabriquaient les chinois. Comme chaque soldat pouvait couvrir un diamètre de 18 pieds, cela donnait l’avantage aux envahisseurs dans le combat rapproché. Les observateurs chinois notèrent aussi que les japonais se servaient d’arcs de 8 pieds de long et de flèches dont la pointe 2 pouces de large et que leurs javelots partaient avant qu’on les ait vus. Les pirates n’avaient jamais considérés que les armes à feu étaient d’une importance vitale. QI Jiguang lui-même mentionnait que les japonais avaient introduit l’arquebuse en chine, mais rien ne montre qu’ils l’utilisaient régulièrement. Dans la première phase de la campagne, les fonctionnaires chinois négligèrent avec persistance l’importance du travail d’équipe. Comme on reconnaissait que les japonais étaient de meilleurs soldats, un effort fut fait par ces fonctionnaires pour recruter des chinois capables de performances acrobatiques, y compris des entraîneurs de boxe, des moines bouddhistes, des hommes qui faisaient la contrebande du sel et des indigènes du sud-ouest pour répondre à ce défi. Ce n’est qu’après que les troupes soient tombées dans de nombreuses embuscades et aient été taillées en pièces par l’ennemi que les organisateurs de la défense parvinrent à la conclusion que le problème était plus fondamental qu’ils l’avaient cru. Bien que les japonais entrassent généralement sur le champ de bataille en groupes qui n’excédaient pas trente hommes, ces sections étaient bien coordonnées, même quand elles fonctionnaient à distance l’une de l’autre. Les signaux étaient donnés en soufflant dans des conques. Les envahisseurs étaient rompus à l’utilisation des guides indigènes, à l’envoi de patrouilles, aux déploiements en profondeur, à l’usage de supercheries, à l’utilisation des réfugiés comme protection pour harceler et confondre l’ennemi[13]. L’ironie du sort voulait que les forces gouvernementales ne fussent pas versées dans ces tactiques de base. Au mieux, les plus résolus se ruaient sans protection au devant de l’ennemi et étaient immanquablement les victimes des pirates les mieux entraînés qui commençaient alors à encercler puis à supprimer ce qui restait des troupes gouvernementales. Les nombreuses rivières, criques et lac du territoire étaient la cause d’autres sujets d’affliction pour les unités en déroute. Une fois que les hommes commençaient à fuir, beaucoup mouraient noyés. Ayant l’avantage, les pirates assuraient généralement des positions défensives s’ils avaient le choix. Ils préféraient attendre les erreurs des chinois.

         QI Jiguang fit l’observation suivante :

« Les nombreuses batailles que j’ai livré ces dernières années me donnent l’impression que les pirates s’arrangent toujours pour s’installer sur des hauteurs pour nous attendre. Ils tiennent généralement jusqu’au soir au moment où nos soldats se fatiguent, et alors ils s’élancent. Ou bien, quand nous, nous retirons, ils nous surprennent, quand le pas est rompu, et lancent leur contre-attaque. Il semble qu’ils parviennent toujours à utiliser leurs unités quand elles sont fraîches et fougueuses. Ils ornent leurs casques de cordons de couleurs, de cornes d’animaux aux couleurs métalliques et aux formes effrayantes pour faire peur à nos soldats. Beaucoup portent des miroirs. Leurs lances et leurs épées étincellent au soleil tant elles sont polies. Nos soldats vivent donc dans la terreur pendant les heures qui précèdent le contact[14] ».

         Ainsi, malgré ce que les milieux officiels appelaient « la campagne des forces gouvernementales pour venir à bout des pirates », sur le plan de l ‘exactitude militaire, cette phrase pouvait induire en erreur. Au moins jusqu’au moment où QI Jiguang perfectionna sa tactique de commandement, on aurait décrit plus justement cet engagement comme une lutte entre des professionnels japonais et des amateurs chinois.

En organisant son commandement, QI Jiguang tourna le dos aux familles héréditaires et aux colonies militaires. Ses volontaires furent recrutés dans les districts de l’intérieur du Zhejiang. Cela était possible parce que le gouvernement, devant une campagne qui traînait en longueur, avait autorisé pour la financer une surtaxe sur toutes les recettes qui existaient[15]. QI exhortait ainsi ses soldats :

« Tant que vous êtes dans l ‘armée, chaque jour, qu’il vente ou qu’il pleuve et que vous restiez les bras croisés, personne ne peut vous enlever les trois pièces d’argent qui vous sont dues. Mais cet argent vient entièrement de l’impôt payé par toute la population, une partie vient de votre lieu d’origine. Là-bas, vous êtes fermiers. Lequel d’entrevous ne l’est pas ? Vous devez maintenant penser au labeur et aux soucis des travaux des champs pour parvenir à rassembler l’argent de l’impôt et vous réjouir d’avoir maintenant la facilité de recevoir des paiements en argent. Les contribuables vous nourrissent une armée entière sans vous demander de travailler. Tout ce qu’ils espèrent, c’est que vous les débarrassiez des pirates, en une ou deux batailles. Si vous n’essayez même pas de tuer les pirates pour apporter à ces gens une protection, alors pourquoi vous nourrissent-ils ? Vous pourriez passer en cour martiale, mais même alors le ciel laisserait le soin à quelqu’un, quelque part, de vous mettre à mort[16] ».

         Avec ce mélange de persuasion morale et les menaces de religion populaire, QI instaura une discipline de combat parmi ses recrues. Il déclara qu’il exécuterait un officier si son unité entière fuyait devant l’ennemi ou ses commandants en second si la débandade se produisait et si l’officier périssait en s’efforçant d’arrêter la retraite. Si un commandant d’escouade mourait sans recevoir le soutien de ses hommes, la peine de mort serait appliquée à tous les soldats de l’escouade[17]. Bien que des mesures aussi extrêmes ne pussent devenir effectives que dans quelques cas précis, son effet d’intimidation fit mouche et il devint difficile de battre en brèche le commandement de QI.  Pour maintenir ces conditions, il devait fréquemment invoquer cet article. Il faisait ressortir que même au milieu d’une défaite désastreuse il devait y avoir des individus méritants dont la valeur devait être reconnue. Réciproquement, même après une victoire écrasante, les quelques officiers et soldats qui avaient manqué à l’exercice de leur devoir ne devaient en aucun cas échapper au châtiment[18] . Dans un mémoire adressé à l’empereur, QI racontait la bataille de 1562 où ses troupes essayèrent de reprendre aux japonais un pont de pierre. La première tentative échoua et les trente-six hommes de la section moururent. La deuxième section qui arrivait sur ses talons perdit la moitié de ses effectifs. A ce moment, les survivants commencèrent à battre en retraite. QI, qui se trouvait sur place, abattit lui-même le chef de section qui s’enfuyait et fit renouveler l’attaque. Pour finir l’ennemi fut dépassé et la bataille se termina par une des victoires les plus satisfaisantes de la carrière de QI[19].

         La discipline appliquée pas QI avait parfois de quoi terrifier. Il laissa de nombreuses instructions pour couper les oreilles de ses soldats pour nombre de fautes[20]. On disait, sans que cela fût confirmé, qu’il alla jusqu’à ordonner l’exécution de son second fils. Seulement, brutal ou pas, grâce à son obstination et sa supervision personnelle constante, il organisa une armée vraiment invincible. Il pouvait rassembler une division entière sous la pluie ; elle restait là trempée, pendant des heures, sans qu’un seul essayât de s’esquiver.

         La discipline, et surtout la discipline dans le combat, allaient de pair cependant avec la fierté et la confiance en soi qui ne peuvent se passer de talent ni de capacité. QI Jiguang eut beaucoup à faire avec ses hommes sur le terrain d’entraînement. Comme les japonais, il concentra son attention sur les armes de combat rapproché. C’était une technique de base, insistait-il, celle qui consiste à apprendre à manier un simple bâton de bois, qui menait à la maîtrise de toutes ces armes[21]. QI tenait les techniques d’hommes qui les lui avaient transmises par tradition orale ; certains étaient instructeurs de l’armée. Yu Da Yu s’était bien efforcé de rédiger ces techniques, mais ce fut QI qui rassembla les instructions sous forme de manuel technique. Le principe fondamental consistait, pourrait-on dire, en une « approche dialectique » de l’art du combat[22]. A chaque position correspondait une position opposée : les aspects statiques, les aspects cinétiques, les parties du corps gardées et celles qui ne l’étaient pas, l’alignement frontal et l’alignement latéral, les potentiels défensifs ou offensifs – en fait l’art du Yin et du Yang. On pouvait aussi manœuvrer ces armes en suivant les techniques utilisées pour la danse et la boxe puisque chaque mouvement comprenait trois phases : le départ, la pause, ou le changement et la continuation jusqu’à l’arrêt. Pour que cet art soit parfaitement maîtrisé dans la recherche de l’efficacité ou de la grâce, il fallait trouver le bon rythme, ou régler convenablement l’adaptation du Yin et du Yang. Le général insistait beaucoup auprès de ses officiers et soldats pour qu’ils se rappelassent que dans un combat corps à corps, la règle primordiale était d’amener l’adversaire à faire un faux mouvement avant de lui asséner  le coup fatal[23]. Dans une analyse plus détaillée, il donnait des dénominations fantaisistes aux différentes poses et aux divers mouvements comme par exemple « chevaucher le tigre », « un ermite à la pêche », l’aiguille à broder de la jeune fille », « un buffle de fer labourant la terre » etc… . Chaque situation était l’étude d’un mouvement à l’instant de l’équilibre qui précède le changement.

         La part la plus créatrice de sa tactique concernait le travail en équipe dont l’idée essentielle était que chaque escouade d’infanterie doit coordonner l’utilisation des armes courtes et longues, offensives et défensives. Dans la lutte contre les pirates, l’arme la plus efficace était la lance, qui avait une longueur totale de douze pieds ou même davantage. Idéale pour faire des mouvements qui trompaient l’ennemi, elle devait toutefois être manipulée à une certaine distance. Une fois que le lancier avait manqué son but et se trouvait à une distance d’où son adversaire pouvait le frapper de son épée, il était pratiquement désarmé[24]. Pour fournir aux quatre lanciers de l’escouade un écran protecteur, QI plaça devant eux quatre soldats l’un portant un bouclier à cinq côtés sur la droite et l’autre portant un petit bouclier rond sur la gauche, suivis de deux soldats portant des bambous entiers avec leurs branches supérieures. Derrière les lanciers venaient deux soldats d’arrière-garde avec des armes en forme de fourche à trois pointes d’où l’on pouvait aussi faire partir des flèches en allumant des fusées. Une escouade était composée de douze hommes et comprenait un caporal et un cuisinier[25]. La symétrie de l’escouade lui valut le nom de « formation de canards mandarins ». Cependant, bien que les deux soldats porteurs de boucliers fussent armés d’épées, celui de droite qui portait le long bouclier était chargé de maintenir la position avancée de l’escouade. L’homme de gauche au bouclier rond devait lancer des javelines, ramper sur le sol jusqu’à ce qu’il atteignît l’ennemi qu’il devait amener par ruse à découvert. Cela fait, les porteurs de bambous maintenaient les adversaires à une distance qui permettait aux lanciers d’agir plus facilement. Les deux derniers soldats gardaient les flancs et l’arrière et, quand c’était nécessaire, il fournissaient une seconde ligne de frappe. Leurs armes en forme de fourches ne pouvaient pas toutefois être manœuvrées de façon à tromper l’ennemi[26]. 

         Il est clair que le succès de cette opération dépendait de la coopération des soldats ; peu de place était laissée à l’héroïsme individuel. QI Jiguang donnait fréquemment des instructions pour que les soldats d’une même escouade fussent récompensés ou punis collectivement et qu’en aucune circonstance, les lanciers ne fussent séparés de leur écran protecteur. Mais quand c’était justifié par le terrain et la position de l’ennemi, l’escouade pouvait se scinder en deux parties identiques et avancer de front ; ou bien, laissant derrière les porteurs de fourches, elle pouvait aligner les huit soldats en une ligne de front continue, les lanciers alternants avec les porteurs de boucliers et de bambous[27]. L’utilisation de boucliers de rotin, de fourches et de bambous comme armes courantes montre bien que QI ne reniait pas ses origines paysannes. Plus tard le bambou fut remplacé dans certaines circonstances par une arme métallique en forme d’andouillers, mais elle avait toujours pour fonction de gêner les mouvements de l’ennemi plutôt que de lui infliger des blessures. Sa tactique qui faisait faire à deux soldats le travail d’un seul, ne pouvait selon les normes objectives, parvenir à une grande efficacité.

         Que QI jiguang n’ait pas eu conscience de la signification des armes à feu serait inexplicable. Il les utilisa de façon satisfaisante dans des engagements, fit à ses officiers et soldats des conférences sur leur importance et les signala à l’attention de l’empereur. Il n’abandonna pourtant pas la formation et les méthodes de combat de son escouade d’infanterie, qui, comparées aux utilisations contemporaines des armes, semblaient avoir cent ans de retard. Cette contradiction avait des raisons très complexes. La proposition d’une modernisation complète de la conduite de la guerre avait été faite auparavant. Yu Da Yu qui avait souvent battu les japonais sur mer, avait fait ressortir que les soi-disant pirates, très forts quand ils se battaient en campagne, manquaient d’expérience dans la guerre maritime. Il n’avait pas cessé de plaider en faveur de l’équipement d’un plus grand nombre de bateaux de guerre en artillerie lourde ; il était aussi favorable à l’interception des intrus avant leur arrivée sur les côtes. « dans une bataille navale, disait-il, il n’y a pas de ruse spéciale. Les grands bateaux l’emportent sur les plus petits, les gros canons sur les petits canons. Le côté qui a le plus de bateaux l’emporte sur celui qui en a le moins. Le côté qui à le plus de canons l’emporte sur celui qui en a moins ». Dans un message adressé au gouverneur général, il déclarait nettement que si la moitié des fonds qui soutenaient les forces terrestres avait été détournée au profit d’opérations maritimes, le problème des pirates aurait été réglé. Pourtant, malgré son prestige et ses actions d’éclat, tout ce que put faire Yu ne parvint pas à changer le cours de la guerre ni la politique du gouvernement vis-à-vis de l’équipement.

         QI Jiguang pris son commandement en 1559 avec 3000 hommes. Deux ans plus tard, on doubla les forces qui lui étaient accordées. En 1562, elles atteignirent 10.000 hommes[28]. Mais QI n’eut jamais d’officiers d’intendance, d’intendant général d’armée, ni de service central responsable dans le gouvernement civil avec lequel il put traiter. Comme l’entretien de ses troupes était assuré par plusieurs sous-préfectures ou préfectures, on ne créa jamais d’usines unifiées ou permanente capable de produire des modèles d’armes avancées[29]. La procédure normale nécessitait la fixation des contingents aux districts locaux par les fonctionnaires provinciaux. En tant que général commandant, QI fournissait les modèles des armes ; les fonctionnaires locaux les faisaient recopier en se servant des moyens dont ils disposaient. Les arquebuses ainsi fabriquées avaient tendance à exploser selon ce que rapportait QI. Les soldats n’osaient donc pas les tenir des deux mains pour ajuster leur tir. Souvent il arrivait que la grenaille de plomb ne soit pas adaptée au canon des fusils pour lesquels elle était faîte, les amorces ne s’allumaient pas[30]. Etant donné le temps qu’il fallait pour charger les arquebuses, QI Jiguang ne put moins faire que de limiter leur utilisation. Même dans les dernières années de sa carrière, il n’autorisa que deux arquebuses pour chaque escouade d’infanterie et maintint que chaque  compagnie d’arquebusiers fût accompagnée d’une compagnie de soldats portant des armes de combat rapproché. Favoriser les armes à feu serait irréaliste et mettait en danger l’ensemble de l’armée[31].

         La composition de l’escouade d’infanterie de QI reflétait aussi les influences sociales. Dans son recrutement, il rejetait délibérément les volontaires venus de la ville et n’acceptait que les paysans. Un préjugé lui faisait classer les premiers dans la catégorie des coquins rusés. Il n’était pas logique qu’un homme ayant en ville une position stable s’enrôlât dans l’armée comme soldat pour une maigre solde et sans promesse de possibilité d’avancement. Par conséquent, le recrutement n’attirait généralement que des citadins inadaptés qui considéraient leur engagement comme une solution temporaire à leur problème de nourriture et de logement jusqu’à ce que se présenta une autre occasion. Ces indésirables que QI choisissait de refuser étaient des hommes « dont la physionomie était plaisante, les yeux brillants et les mouvements légers et agiles ». Son armée n’avait-elle pas de quoi utiliser l’agilité ? L’expérience lui avait appris qu’un homme répondant à cette description « quand il se trouvait devant l’ennemi, imaginerait une méthode d’auto-conversion et, au moment critique, non seulement déserterait mais aussi inciterait les autres à en faire autant pour avoir une couverture ». Tout bien considéré, QI Jiguang devait chercher dans la population rurale son contingent de soldats dont les caractéristiques étaient « la vigueur et la solidité[32] ». En conséquence, sa tactique avait été en partie élaborée suivant les caractéristiques de ses recrues. Les deux soldats qui portaient les bambous par exemple, devaient nécessairement être musclés, on n’attendait pas d’eux qu’ils se livrent à des manœuvres. Il était reconnu que l’utilisation des arbres comme armes rendait les soldats plus hardis. A l’inverse de Yu Da Yu qui continua à lutter pour moderniser l’équipement et élever le niveau des forces armées, ce qu’on réalisait en entretenant un soldat avec les allocations de deux. QI Jiguang se contentait d’accepter la situation telle qu’elle était. En raison du milieu social, la proposition d’élever la qualité de l ‘armée avec moins de soldats d’un meilleur niveau avait un côté irréaliste. Fondamentalement l’armée impériale était une armée à vocations multiples ; en tant qu’institution permanente, elle devait être appariée aux autres institutions d’Etat et, par dessus tout, être intégrée dans la société chinoise. Parmi ses nombreuses missions dans le pays, la plus importante était d’écraser les rebellions paysannes et quelquefois de maîtriser les minorités des régions montagnardes. La surpopulation locale, le chômage rural, les fléaux naturels et la mauvaise administration était souvent à l’origine de tels soulèvements, dont la nature mouvante et imprévisible dépassait les possibilités des forces mobiles de répression. Souvent les rebelles parvenaient à contraindre des contingents de l’armée impériales à poursuivre leurs opérations en partageant les conditions de vie des zones rurales.

         S’alignant sur la politique traditionnelle et l’importance qu’elle attachait à la paysannerie, QI Jiguang forma son corps de volontaires. Ses hommes se battaient parfois côte à côte avec des soldats de familles héréditaires. Ils étaient payés au tarif des journaliers ; mais ils recevaient en plus pour les encourager des « récompenses » après les campagnes, dont le taux était fixé à trente onces d ‘argent par tête d’ennemi coupée et rapportée[33].

         Le récit du commandement tactique de QI atteste que, depuis le commencement en 1559, il avait attaqué des positions fortement défendues, été au-devant des engagements, délivré des villes assiégées et poursuivi les pirates jusque sur des îles au large des côtes sans perdre une bataille. QI ne fit jamais de tentative trop ambitieuse, il ne fut même pas vraiment novateur ; mais quand il se lançait dans un projet, il en envisageait tous les aspects. Il avait noté dans son carnet d’infimes détails pratiques à savoir qu’au cours d’une marche il prévoyait que des soldats se serviraient du besoin d’uriner comme excuse pour abandonner leur unité, et aussi qu’au cours d’une attaque ennemi « le visage de certains soldats deviendrait jaune et leur gorge sèche », et qu’ils « oublieraient tout ce qu’ils avaient appris sur le combat ». Il prédisait le pourcentage des armes à feu qui ne partiraient pas, le nombre de coups qui seraient tirés sans causer de dégâts à l’ennemi. Sur le champ de bataille , signalait-il avec candeur , peu nombreux étaient ceux qui pouvaient mettre en œuvre plus de vingt pour cent de leur habileté. « quiconque pourrait utiliser cinquante pour cent de son savoir-faire serait inégalable[34] ». Il ne s’agissait pas pour autant d’évaluations pessimistes. Ces sombres réalités nécessitaient un entraînement d’autant plus intensif et une organisation d’autant plus réfléchie avant le contact avec l’ennemi. Deux ou trois jours avant une bataille QI Jiguang se faisait communiquer toutes les deux heures les derniers renseignements des services secrets. Il gardait sous son commandement une compagnie de reconnaissance. Des cartes dessinées à l’encre rouge et à l’encre noire étaient préparées pour faire à ses officiers des comptes rendus de la situation, chaque fois que c’était possible avec des maquettes d’argile pour représenter le terrain[35]. Ses unités portaient des tableaux indiquant les heures du lever et du coucher de soleil certains jours de l’année. Sept cent quarante perles enfilées en chapelet servaient de pendule. Comptées en synchronisation avec un pas de marche ordinaire. De cette façon, QI Jiguang  envisageait tous les facteurs possibles en préparant un engagement, avant l’attaque à laquelle il prenait souvent part personnellement[36]. Comme commandant en chef QI, qui connaissait ses hommes, les connaissait à fond. Bien des années plus tard, il pouvait encore dire d’un trait le nom des hommes qui avaient lancé les premières vagues d’assaut de ses batailles, petites ou grandes.

         En 1563, QI Jiguang devint commandant en chef de la province du Fujian. Même alors, il ne fit entrer qu’une faible part d’organisation stratégique dans ses opérations. Son corps de volontaires demeura essentiellement tactique. Avec des armes à feu qui ne jouaient pas un rôle important au combat, et des charges de cavalerie que les rizières du sud rendaient impossibles, il n’y avait aucune chance de donner libre cours à l’utilisation combinée des diverses armes dans le combat. Les manœuvres sur le terrain étaient généralement limitées. La tactique favorite de QI était de prendre d’assaut les forteresses de lignes ennemies. Le risque qu’il y avait à attaquer la portion la plus substantielle des retranchements de l’adversaire était en grande partie réduit par le choix de voies d’arrivée inattendues et la grande vitesse à laquelle le coup était porté[37]. Les hommes de QI étaient assez entraînés pour supporter les rigueurs d’un terrain accidenté de façon à pouvoir faire jouer l’élément de surprise. Ils tendaient des embuscades chaque fois que c’était possible. Leur équipement très simple favorisait la vivacité de leurs mouvements. A maintes reprises, le commandant en chef ne craignit pas en livrant bataille d’assumer la perte du début d’un combat. L’expérience avait convaincu QI que, lorsque la partie la plus dure d’une bataille était passée, les lignes tenues par les pirates se désintégraient. Nombre de leur partisans, surtout les chinois, abandonnaient la volonté de résister et déposaient leurs armes. Un succès continu établit la réputation que le commandement de QI pouvait en l’espace de quelques heures annihiler des divisions de pirates que d’autres troupes gouvernementales n’avaient pu soumettre pendant des mois. Dans ces opérations, QI avait généralement recours à la supériorité numérique, pour mener à bien ses victoires rapides et totales, avec toutefois une exception notoire pendant l’hiver 1563-1564 où il fut nettement dépassé par le nombre et où la bataille se prolongea pendant cinquante jours[38].

         Pourtant quand le siège de Xian Yu[39] fut levé au printemps 1564, la campagne contre les pirates changea de caractère. Les japonais, voyant que les raids armés sur la côte n’étaient plus profitables, se dégagèrent progressivement de l’aventure. Ceux qui restèrent, étaient en majorité composés de bandes chinoises qui prirent la direction de la province de Canton, loin de la région où le commerce sino-japonais avait jadis été florissant. Sans déclaration officielle, l’empire avait atteint son objectif militaire. Les pirates amphibies pouvaient dorénavant être traités comme des insurgés de l’intérieur. Au cours de ces évènements, QI Jiguang s’était imposé comme le général Ming le plus éminent. S’il n’était pas le plus inventif, il était celui qui savait le mieux s’adapter. En tant que tel, il voyait la guerre d’abord comme un  conflit de volonté et ensuite, comme une application de la science et de la technologie militaires. Pour une nation agricole, dirigée par une bureaucratie civile dont l’objet était de s ‘opposer au commerce international, l’utilisation de la technologie ne devrait jamais pouvoir renverser la constitution de l’Empire ni par conséquent, s’opposer à son but.

         3.4-Sa maturité dans l’art militaire et la fin de sa carrière

Après les victoires obtenues le long du littoral au sud-est de la Chine, les Wokou, ayant de plus en plus de mal à piller ces régions côtières, se sont  dispersés pour ne plus représenter qu’un épiphénomène. Depuis 1566, il y a de moins en moins d’alerte : les crises des Wokou se sont apaisées. A cette époque, QI ne s’occupe plus uniquement des provinces du Zhejiang et du Fujian mais aussi des provinces du Guangdong et du Jiangxi. De ce fait, il s’est orienté vers la lutte contre les bandits de montagne. Mais, pour l’Empereur de Chine, les bandits de montagne, bien que nombreux ne causent pas de menaces sérieuses pour le trône. En revanche, les tartares, les mongols situés le long de la frontière  nord de la Chine qui manifestent de plus en plus d’agressivité envers l’Empire, deviennent le souci principal. En octobre de l’année 1566, QI a reçu l’ordre de quitter son état-major provincial pour Pékin, la capitale de la Dynastie de MING. Le nord de la Chine n’est pas inconnu pour QI, car il y a déjà été en poste pendant les 5 premières années de sa carrière militaire : il est chargé de la défense de JI MEN.

Dès son arrivée, compte tenu de sa connaissance du Nord de la Chine, de la situation qu’il découvre et des opinions des  responsables civils et militaires qu’il côtoie, il a tout de suite présenté son avis à la Cour. Dans cet avis, il commence par une analyse de la situation : pour lui, la lutte contre les tartares (Da Dan, en chinois) est très différente de celle menée contre les Wokou:

1/ les tartares sont souvent beaucoup plus nombreux, ils attaquent la plupart du temps à plusieurs centaines de milliers;

2/ les tartares ne sont pas des fantassins, mais des cavaliers très agressifs et rapides ;

3/ les tartares ne sont pas limités dans leurs actions  par la succession des saisons comme l’étaient les Wokou ;

4/ l’existence d’une frontière très étendue entre le territoire mongol et la chine, implique par conséquent, pour les chinois le maintien d’une ligne de défense cohérente très difficile. Lorsque les tartares se rassemblent pour attaquer en un point choisi, les soldats de l’empire Ming, faute de pouvoir se regrouper et converger dans de très courts délais sont souvent en nombre insuffisant pour empêcher le franchissement de cette frontière.

5/ malgré le fait que les troupes des Ming possèdent des armes à feu, ils se trouvent souvent contre le vent, ce qui rend l’utilisation de ces armes moins efficace.

Compte tenu de cette analyse, QI Jiguang exprime son souhait de former une nouvelle armée de 100. 000 hommes dont la grande moitié sera composée de cavaliers afin de pouvoir lutter contre les envahisseurs d’une façon efficace. Il a ajouté que s’il ne pouvait pas obtenir 100.000 hommes, alors il se contenterait avec 50.000 hommes. Ainsi, même s’il n’arrive pas à tuer tous les tartares, au moins il arriverait à défendre les frontières. S’il ne peut même pas avoir 50.000 hommes, alors 30.000 c’est le minimum, sans pouvoir garantir qu’il réussira à chasser les tartares, ce format au moins lui permettra de renforcer les postes de garde et de  remplacer les soldats âgés. Il a également expliqué son point de vue sur la provenance des soldats ainsi que la procédure de recrutement ; la réquisition des ravitaillements des troupes ; la fabrication des armes et des chariots ; l’entraînement des troupes avec la règle des récompenses et des punitions bien définie.

Mais ses avis n’ont pas été pris en considérations immédiatement, car au lieu d’être chargé de l’entraînement des soldats, il a été nommé à un poste de vice conseiller en stratégie dans un état-major de la Capitale, bien éloigné des frontières et des soldats. Il est très déçu et ne peut rien faire d’autre qu’attendre son heure.

Ce n’est qu’en mai 1568 (=2ème année de Long Qing) et grâce à Tan Lun qu’il réussi enfin à se faire nommer responsable de l’entraînement des soldats de Yuchang et de Paoding (aux environs de Pékin). Il croyait enfin  réaliser son projet, mais la réalité était bien différente. Au lieu d’avoir 100.000 ou 50.000 soldats, comme il l’avait demandé, il n’obtint que 30.000 hommes. Au lieu d’avoir de nouvelles recrues, il n’eut que les soldats déjà en poste et réaffectés sous ses ordres. Pourquoi ? Deux raisons essentielles ont conduit à ce résultat :

1/l’Empereur ne peut pas se permettre d’autoriser à qui que ce soit de posséder une grande armée dans des régions si proche de la capitale comme Yuchang et Paoding;

         2/la trésorerie de la Cour n’étant pas très approvisionnée, toutes demandes d’augmentations de budget ne peuvent être satisfaites.

C’est pour cela qu’il écrit  dans un article concernant la défense des frontières : « que la solution ne se trouve pas dans les frontières lointaines mais à l’intérieur de la Cour et que le problème essentiel ne provient pas des fonctionnaires civils ou militaires mais des discussions incessantes et les entraves qu’elles provoquent ».

Mais malgré tous ces obstacles, QI Jiguang a quand même commencé son entraînement et va créer par la suite tout un système de défense contre les tartares.

1/ La création d’un régiment de chariots et de cavaliers ;

2/ La restauration des tours de guets, des murailles et des poste de contrôles

3/ L’amélioration des équipements et des armes

4/ La conception d’un système de défense complexe et complémentaire

Pendant les 15 années que le général a passé à Jizhou (de 1568 à 1583) il a rempli avec grand succès sa mission : défendre la population, chasser les envahisseurs. Il a eu quelques affrontements avec les tartares, mais ces derniers n’ont jamais réussi à franchir la ligne de défense et à piller les terres Chinoises comme ils le faisaient auparavant. Il a peut être moins de victoires, mais il a gagné la plus grande et la plus irréalisable : la paix, 15 ans de paix ! Il a en effet accompli ce qui est le but suprême de tout stratège : vaincre sans combattre.

3.5- La fin de vie du général

  • ·        En 1575, l’un de ses soutiens politiques, Wang Dao Kui a quitté ses fonctions pour prendre une retraite loin des affaires.
  • ·        Printemps 1577, il tombe malade suite à des années de travail sans relâche.
  • ·        Avril 1577, son autre soutien politique et également ami de confiance  Tan Lun décède des suites d’une longue maladie.
  • ·        En 1578, c’est le départ en retraite et le décès soudain de son autre ami Yu Da Yu
  • ·        En 1582, une autre mauvaise nouvelle encore plus grave lui parvient, le décès de Zhang Juzheng. Ce premier ministre nommé depuis 1567 a conduit une série de réforme et a toujours soutenu les mesures prises par QI Jiguang en matière de défense des frontières.
  • ·        En 1583, la mutation de QI au sud, et la fin de sa carrière militaire au Nord de la Chine. Ce retour vers le sud pacifié et ne subissant plus d’attaque des Wokou sonne comme  une relégation.
  • ·        Pendant presque plus d’un an, au lieu de se morfondre, il met à profit ce temps pour rédiger et recorriger toutes ses œuvres
  • ·        En 1585, au mois d’octobre, il pu enfin rentrer chez lui, à Penglai dans le Shandong, son pays natal.
  • ·        Le 17 janvier 1588, QI Jiguang décède de la tuberculose, épuisé et abandonné de tous.

Toute sa vie, pour mieux gagner l’affection de ses soldats, il n’a jamais hésité à donner de ses deniers pour les aider. Ce qui explique qu’il n’a jamais récolté de fortune pour lui ni pour sa famille : il n’a même pas de quoi à payer ses médicaments pour guérir sa maladie.

Mais avant de mourir, QI achève la collection de ses œuvres littéraires intitulées Zhi Zhi Tang Ji[40].

         Le diplôme de licence militaire de QI n’était pas de nature à impressionner les fonctionnaires civils. Par ailleurs sa poésie ne révélait pas de grandes qualités littéraires. Elle ne produisait ni cette sorte d’impression  intrigante qui émerge d’un choc émotionnel profond, ni le naturalisme sec qu’engendrent des rythmes syncopés et leur répétition inévitable ; deux techniques importantes où excellaient la plupart des poètes chinois. En qualité d’artiste, QI Jiguang devait encore apprendre l’exercice de la réserve pour gagner en subtilité ; mais il se souciait trop de l’aspect formel de l’art pour être vraiment lui-même. Il est heureux que ses publications n’aient jamais été jugées sur le plan du seul mérite littéraire. Son habileté à manier le pinceau le distinguait déjà tellement des autres généraux. Parce qu’il pouvait citer les classiques confucéens et émailler  sa conversation avec ses collègues civils d’allusions aux évènements historiques, QI Jiguang put d’abord dissiper la crainte où ils étaient qu’il fût du genre à mettre à sac la capitale ; et à mesure que grandissaient sa réputation et ses bonnes relations avec les bureaucrates il fut accepté par eux comme leur pair, partageait leurs libres propos et échangeait des poèmes et des compliments. Il s’est lié d’amitié avec Wang Shizen, historien, poète et surtout le plus grand prosateur du siècle. Wang écrivit des vœux d’anniversaire louant la vertu de QI et composa aussi les introductions pour Jixiao Xinshu et Zhi Zhi Tang Ji.

         Peu de gens à son époque pouvaient même espérer accomplir ce que QI avait accompli. Il n’avait jamais rien fait qui semblât impossible, mais dans les limites de ce qui était possible, il réussissait généralement. Ce qu’il décidait était rarement ce qu’il y aurait eu de mieux en tout état de cause, mais c’était ce qu’il y avait de mieux dans les circonstances données. Il avait obtenu tous les honneurs dus à un officier excepté le titre de comte. Ce fut seulement à cause des coutumes en vigueur dans cette dynastie qu’il ne put aller plus loin dans sa carrière. Le général QI Jiguang avait atteint le plus haut échelon en devenant commandant en chef d’un district de défense. Mais peu de temps après la mort de son protecteur, Zhang Juzheng, QI fut affecté à Canton comme commandant en chef  et fut ainsi privé de l’honneur et du prestige de garder les portes de la capitale avec les formations de combat les plus redoutables de tout l’empire. Quelque temps plus tard, en mauvaise santé et découragé, QI présenta sa démission. On ne lui fit même pas la grâce de le laisser partir en toute quiétude, en marge de la vague de purge concernant les associés et fidèles du grand secrétaire défunt. Officiellement, le décret de Pékin confirmait qu’il avait été censuré et démis de ses fonctions par le trône[41].


[1] Twitchet and Fairbank « The Cambridge history-the Ming dynasty 1368-1644 » – p.502-527.

[2] Twitchet and Fairbank « The Cambridge history-the Ming dynasty 1368-1644 » – p.502-527.

[3] Roland L. Higgins, “Piracy and coastal defense in the Ming period, governmental response to coastal disturbances”, p.1523 to p.1549 ( Ann Arbor 1981)

[4] Merrilyn Fitzpatrick, « Local administration in northern Chekiang and response to the pirate invasions of 1553-1556 » in Australian National University , 1976 – p.122-175.

[5] Charles O. Hucker, « Hu Tsung-hsien’s campaign against Hsü Hai, 1556 » in Chinese ways in warfare éd. Frank A. Kierman and John K. Fairbank (Cambridge, Mass. 1974 ) pp. 273-307.

[6] Tien Chen-ya in « chinese military theory » – p.25-35

[7]Joseph Needham in « science and civilisation in China  » vol.4 – civil engineering and nautics p.476-484 – Cambridge University press 1971

[8] Kierman and Fairbank in « chinese ways in warfare » p.54-67

[9] Wu Yu-nien in « Ming-tai Wo-k’ou shih-chi chih-mu » reprinted in 1968 – vol. 6 pp.231-252 – édition Pao Tsung-p’eng – Taipei  student Book Co, 1968.

[10] Tong Lai xi in « Qi jiguang »p.47-83

[11] Tong Lai xi in « Qi jiguang »p.47-83

[12] Qi jiguang in « Jixiao Xinshu », notes préliminaires p.10

[13] Tong Lai xi in « Qi jiguang »p.167

[14] Qi Jiguang in « Jixiao Xinshu » en notes préliminaires p.10

[15] Huang, in « Taxations et finances gouvernementales » p.134-135 et « dépenses militaires » p.48-51.

[16] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.4 §7

[17] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.3 §3-5

[18] Qi in « Jixiao Xinshu » préliminaires p.28

[19] Xu in « Huang Ming Jingshi Wenbian » p.347.7

[20] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.3 §6 et Tome.4 §2

[21] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.12 §2

[22] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.10 §2 et 21, Tome.1 §2

[23] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.12 §23

[24] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.10 §1 et Tome.12 §1

[25] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.1 §6

[26] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.6 §5 et Tome.12 §3

[27] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.2 §6

[28] Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.58-63

[29] Qi in « Jixiao Xinshu » en préliminaire 17

[30] Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.142

[31] Qi in « Lianbing Shiji » §.23 et 275

[32] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.1

[33] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.3 §1-2

[34] Qi in « Lianbing Shiji » p.116, 179, 199

[35] Qi in « Jixiao Xinshu » préliminaires 27

[36] Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.23, 36 et 37

[37]Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.60-61

[38]Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.74

[39] Huang Ray in « 1587, a year of no significance »- p.170-176

[40] Goodrich, Carrington and Fang in « Dictionnary of Ming biography » p.223

[41] Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.148

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.