CHAPITRE II – UNE RÉFLEXION SUR LA GUERRE NOUVELLE (1953-1963)

Dès la mort de Staline, s’engage de fait un processus de déstalinisation. Pourtant, si c’est dans un ouvrage publié par les éditions militaires que les premières critiques du « génial stratège » apparaissent, l’armée est l’une des dernières composantes de la société à s’engager dans cette voie. La réflexion et le discours stratégiques restent bloqués. Durant la première moitié des années cinquante, les préoccupations des Soviétiques dans le domaine strictement militaire consistent à se protéger d’une attaque « atomique aérienne éclair » qui serait déclenchée par les « impérialistes ».

Par contre, c’est essentiellement dans les milieux politiques que, dès 1954, s’ébauche une réflexion sur les effets d’une guerre atomique. Le débat stratégique des années 1953-55 constitue plus un enjeu de pouvoir dans la course à la succession de Staline qu’il n’est, au moins pour certains, le résultat d’une véritable réflexion stratégique. Néanmoins, même si cette réflexion tarde à s’engager dans les milieux militaires, les recherches soviétiques dans les domaines atomique et balistique se poursuivent sans relâche et dans le plus grand secret.

L’atome : un enjeu politique

Le premier responsable politique à aborder publiquement la fonction politique de l’arme atomique été Piotr Pospelov, alors secrétaire du CC et suppléant du Présidium33. Dans un discours qu’il prononce le 21 janvier 1954, il rappelle d’abord la possibilité d’établir des relations de coexistence pacifique, mais aussi, la « nécessité de renforcer la défense de la Patrie socialiste ». Il mentionne ensuite l’importance du plan d’électrification de l’URSS lancé par Lénine pour conclure : « Aujourd’hui, nous avons entre nos mains une source d’énergie encore plus puissante que l’électricité. Les savants soviétiques ont travaillé avec succès pour utiliser les possibilités colossales de l’utilisation de l’énergie atomique pour l’édification du communisme et non pour l’assujettissement et l’extermination des peuples, non pour l’anéantissement de la civilisation mondiale » 34.

Cette appréciation de Pospelov est importante. Mais, ce même thème prend une importance encore plus grande lorsque le Premier ministre, Georgi Malenkov, aborde à son tour cette question qui devient dès lors un élément du discours officiel. Dans le discours électoral qu’il prononce le 12 mars 1954, Malenkov affirme ainsi : « Le gouvernement soviétique est favorable à la poursuite du relâchement de la tension internationale, pour une paix solide et durable et s’oppose résolument à la politique de guerre froide en ce qu’elle est une politique de préparation à une nouvelle guerre mondiale qui, avec l’utilisation des moyens modernes de lutte armée, conduirait à la destruction de la civilisation mondiale » 35.

Cette conception de la guerre atomique conduisant nécessairement à la destruction de la civilisation mondiale se retrouvera en plusieurs occasions, dans les semaines qui suivent le discours de Malenkov. Mais l’on peut également relever que ce thème ne semble préoccuper que les milieux politiques et seulement certains de ses représentants. En effet, quelques jours avant ce discours, les forces armées soviétiques célébraient leur fête, comme chaque année, le 23 février. Or, aucun des articles, aucun des éditoriaux, publiés traditionnellement en cette occasion, n’ont abordé, directement ou indirectement, la question de la guerre nucléaire36. Il est vrai que, dans le domaine militaire, l’on assiste au cumul de deux phénomènes préjudiciables à toute publicité : le goût du secret, encore mieux tenu dans le domaine de la balistique que dans le domaine atomique ; et la résistance au changement des officiers des armes classiques qui, comme ailleurs, ne sont guère enthousiastes devant la perspective d’une marginalisation de leur arme au profit d’une politique du « tout atomique ».

Mais, à ce discours politique du Premier ministre sur les conséquences d’une guerre atomique, se substitue rapidement un autre discours tout aussi politique présentant une conception qui fera office, plusieurs années durant, de position officielle du gouvernement soviétique en la matière. Lors de la première session du Soviet suprême nouvellement « élu », la nouvelle « ligne » est présentée par Nikita Khrouchtchev. Après avoir rappelé les enseignements des deux guerres mondiales, celui-ci affirme que « si les impérialistes se hasardent à déchaîner une nouvelle guerre, elle aura inévitablement pour effet la faillite de tout le système capitaliste » 37. En d’autres termes, une guerre atomique est possible et l’URSS en sortira nécessairement victorieuse.

À partir de ce moment, la position politique de Malenkov commence à se dégrader au profit de son principal rival, Khrouchtchev et ce, jusqu’à sa mise à l’écart définitive en juin 1957. Dans le même temps, Khrouchtchev – certes avec parfois des inflexions par rapport à sa position de 1954 – s’affirme de plus en plus comme le détenteur de la ligne officielle intangible. Avec l’affirmation et l’imposition de sa propre vision sur la guerre atomique incluant un concept d’emploi, Khrouchtchev met fin, pour plusieurs années, à toute analyse – au moins publique – sur la fonction spécifique de l’arme atomique.

Du point de vue de l’évolution des conceptions stratégiques à l’âge nucléaire en URSS comme aux États-Unis, il est indéniable que ce n’est qu’à partir de 1954 que l’on peut réellement parler de dissuasion. Certes, l’idée de dissuasion n’est pas née avec l’arme atomique et, par conséquent, parler en soi de dissuasion avant cette date n’est pas un anachronisme. Par contre s’il s’agit de dissuasion nucléaire, et à plus forte raison de dissuasion mutuelle, on peut douter de son bien fondé avant cette date38. Et ce, d’autant plus que dès le moment où les États-Unis vont commencer à intégrer le principe de dissuasion dans leur concept stratégique, l’URSS ne cessera de le condamner. Mais, à l’inverse, si l’on se situe dans la perspective de la conception alors en vigueur du rapport des forces en présence, cette idée peut avoir sa logique, surtout si on la rapporte au discours malenkovien.

On peut, en effet, replacer cette conclusion dans la perspective du discours de Malenkov du 12 mars 1954. Malenkov a sans doute été, de tous les dirigeants soviétiques, le seul qui aurait pensé l’arme atomique en termes effectivement de stratégie ; ou, tout au moins, le seul qui, dès 1949, aurait compris que cette arme allait changer non seulement les formes de conduite de la guerre mais également la nature de la guerre elle-même ; que cette arme était destinée à avoir une fonction plus politique que militaire.

Les considérations de Malenkov de mars 1954 sur la « destruction de la civilisation » découlent de cette approche stratégique. Son discours aurait été, sur ce point, influencé par deux facteurs. L’un de ces facteurs est d’ordre interne et serait lié au compte rendu que le Premier ministre aurait reçu de l’essai thermonucléaire d’août 1953. L’assistant de Kourtchatov qui avait assisté à l’explosion aurait été particulièrement impressionné par la puissance de cette arme nouvelle et ses effets considérables. Il aurait fait partager cette impression au Premier ministre. Sa déclaration de mars 195439 aurait ainsi été le résultat de sa réflexion quant aux conséquences catastrophiques qu’aurait l’utilisation de l’atome dans une guerre mondiale, indépendamment de toute considération d’ordre idéologique. Car, il est indéniable qu’en termes de stricte orthodoxie marxiste-léniniste, Khrouchtchev, en affirmant la supériorité du système soviétique et la victoire de l’URSS, est dans la « ligne » alors que, en envisageant le caractère suicidaire d’une guerre nucléaire, Malenkov se situe dans une logique résolument « révisionniste ».

L’autre facteur qui aurait influencé les propos de Malenkov pourrait tenir à un certain mimétisme soviétique à l’égard des États-Unis. A la suite du discours de Foster Dulles de janvier 1954 énonçant la doctrine des « représailles massives », Malenkov aurait été conduit à considérer qu’une guerre atomique ne pouvait conduire qu’à un suicide généralisé. En adoptant cette stratégie de représailles massives et en se référant au concept de dissuasion, certains experts américains estiment que les États-Unis auraient fait un « cadeau » à Malenkov et à l’URSS40 : avec leur nouvelle doctrine stratégique, les États-Unis auraient en effet reconnu implicitement que les deux superpuissances avaient, dès cette époque, une égale capacité dissuasive, ayant, l’une et l’autre, acquis les capacités de se détruire mutuellement. Malenkov aurait alors saisi l’occasion qui lui avait été « offerte » pour répondre positivement à son adversaire principal et, sans pour autant utiliser les mêmes termes, développer, à la manière soviétique, l’idée d’absurdité et donc d’interdiction de la guerre par l’atome.

Si l’on considère cette hypothèse comme plausible, on peut alors considérer que le débat de politique intérieure qui s’en est suivi en URSS et qui a conduit au rejet des conceptions de Malenkov, aurait été l’une des premières causes d’une course aux armements rendant difficile puis impossible la mise en œuvre d’une dissuasion minimum entre les deux grands. Mais, dans le même temps, alors que l’arme atomique et ses vecteurs en étaient encore à leurs premiers balbutiements, était-il réaliste d’envisager que les deux principaux protagonistes s’abstiennent de poursuivre leurs recherches, leurs travaux et leurs essais ? Les « pressions » en faveur d’une montée en puissance du potentiel tant nucléaire que balistique ne provenaient pas seulement des militaires ou du « lobby militaro-industriel » mais il semblait provenir tout autant des scientifiques et, bien sûr, des politiques41.

Les débats militaires

Marquée par le dogme stalinien, l’armée dans son ensemble a longtemps hésité à réévaluer les concepts en vigueur depuis la guerre. Certes, certaines voix, vite marginalisées, telle celle du général Talenski en 1953, se font alors entendre mais il faut attendre la seconde moitié de la décennie avant qu’un véritable débat soit lancé.

Il est pourtant une question qui dépasse les années staliniennes : celle de la perception de la menace. De la fin de la guerre jusqu’au milieu des années soixante de manière ininterrompue puis, plus épisodiquement, depuis les années soixante-dix, l’URSS perçoit deux types de menaces. La première est plus politique, théorique, voire abstraite, et consiste en une guerre atomique avec les États-Unis, considérés comme l’ennemi principal. La seconde menace est celle contre laquelle Moscou ne cessera de se préparer à combattre et qui obsède véritablement les Soviétiques : le « revanchisme et le militarisme allemands ». Cette formule n’est pas seulement un slogan parmi d’autres, visant notamment à renforcer la cohésion des peuples en URSS et dans les pays du Pacte de Varsovie autour de Moscou. Elle est aussi le reflet d’une réelle inquiétude42. Dès la fin des années quarante, l’URSS se montre en effet particulièrement vigilante à l’égard de tout ce qui peut contribuer au relèvement de l’Allemagne : création de la RFA en 1949, projet de CED, accords de Paris, perspectives de doter la RFA de l’arme nucléaire… Il s’agit là d’une dimension qu’il convient de ne pas sous-estimer au regard d’un discours stratégique qui mentionne plus l’ennemi principal – américain, atomique, aérien – que cette menace concrète, proche, immédiate et allemande. Cette distinction entre ennemi principal et menace principale43 a déterminé la réflexion stratégique soviétique des années cinquante axée – traditionnellement – à la fois sur l’offensive et la défensive.

La dimension défensive du discours stratégique de cette époque tient, à la fois, à une certaine rationalité politico-militaire héritée de Staline et à l’évolution des armements. Il semble qu’au lendemain de la guerre, Staline n’ait pas réellement cherché à étendre la sphère d’influence de l’URSS – tout au moins en termes de conquête militaire – au-delà de ce qui avait été implicitement admis entre alliés. C’est-à-dire au-delà des limites traditionnelles de la zone d’application du panslavisme. Les tentatives d’extension de l’influence soviétique en Turquie et en Iran en 1946-47 montent bien les limites que Staline n’était pas prêt à dépasser44. Les dernières années du règne de Staline semblent ainsi marquées par une posture essentiellement défensive sur le plan militaire, attendant que l’URSS soit à même de reconstituer ses forces militaires et se dote des outils nécessaires lui permettant d’adopter une approche plus offensive.

Une vision défensive : la PVO

Durant la première moitié des années cinquante, l’URSS est hantée par l’éventualité d’une offensive occidentale. Elle s’attend au déclenchement par les États-Unis d’une guerre atomique aérienne par surprise. Si la dimension défensive du discours a incontestablement une fonction de propagande, il semble que l’URSS ait aussi pris au sérieux cette menace et ait cherché par tous les moyens à s’en préserver. C’est à cette époque qu’elle développe ses moyens antiaériens, les troupes étant progressivement dotées de missiles sol-air. La PVO – troupes de la défense antiaérienne – est ainsi érigée, en 1954, en armée à part entière – au même titre que l’armée de terre, l’aviation ou la marine – à la tête de laquelle est placé un commandant en chef ayant rang de vice-ministre de la défense. Ce qui dénote de l’importance accordée alors à cette arme et, par là, à cette menace.

C’est dans cette même perspective de guerre nucléaire aérienne éclair qu’en septembre 1954 est organisée la première manœuvre en ambiance nucléaire réelle. Il ne s’agit pas seulement pour l’URSS d’empêcher que les avions américains franchissent les frontières soviétiques, mais également de tester la capacité des hommes à combattre en zone radioactive45. Cette manœuvre est bien sûr annoncée dans le cadre d’une vision défensive mais l’on peut penser qu’il peut tout aussi bien s’agir d’une charge atomique lancée dans une conception offensive de la part de l’URSS. Car, dès l’année suivante, s’engage un véritable débat sur la future guerre dans lequel la vision offensive est très présente.

Une vision offensive : les frappes préemptives

Marquées par l’apparition de nouvelles armes offensives dans l’arsenal soviétique au service d’une politique de défense qui se précise, les prémices de ce débat sur la future guerre sont à la fois prospectives et rétrospectives. Le débat est rétrospectif en ce qu’il remet en cause implicitement l’un des dogmes staliniens établis pendant la guerre : celui des « facteurs temporaires » déterminant l’issue de la guerre. Mais il est aussi prospectif en ce qu’il propose de réévaluer le rôle de la surprise dans la guerre et avance le principe des frappes « préemptives » qui sera considéré, à partir des années soixante, comme l’un des principes fondamentaux de la stratégie soviétique.

Le 24 mars 1955, le quotidien de l’armée, l’Etoile Rouge, publie un article du « maréchal de chars » (général d’armée) Pavel Rotmistrov consacré à la « réévaluation de la science militaire soviétique »46. Que dit le général Rotmistrov ? En premier lieu que, si la surprise est un « instrument des États impérialistes agressifs », il convient de réévaluer ce point « dans les conditions de l’utilisation des armes atomiques et thermonucléaires ». Il estime ensuite que, dans la mesure où les « impérialistes » envisagent de mener une « guerre éclair ou super-éclair » il convient de considérer que « le rôle de la surprise s’accroît de plus en plus ». Enfin, concession au dogme stalinien, ce « rôle croissant de la surprise ne réduit en rien celui des facteurs permanents ». De ces trois points, il tire la conclusion que, face à une menace d’attaque par surprise de la part des « impérialistes », les forces soviétiques « ne doivent pas considérer passivement un tel état de fait… Il s’agit d’empêcher qu’une attaque par surprise ne soit lancée et que l’on soit pris à l’improviste. Ceci n’est possible que dans les conditions d’une grande vigilance et d’une excellente préparation au combat… qui donnent la possibilité de faire échouer tout projet de l’agresseur et d’écraser ce dernier ».

Le principe de la frappe préemptive qui n’est que suggéré dans l’article de l’Etoile Rouge est par contre explicitement mentionné dans la revue de l’état-major. Rotmistrov y affirme ainsi : « Le devoir des forces armées soviétiques est de ne pas permettre une attaque par surprise de l’ennemi et, dans le cas où il tenterait une telle chose, non seulement de repousser victorieusement cette attaque, mais aussi de porter une contre-attaque ou même une frappe préemptive par surprise et d’une force destructrice énorme » 47.

Le lancement de ce débat sur la surprise n’est pas le fruit du hasard. Trois facteurs peuvent l’expliquer. Le premier de ces facteurs est d’ordre politique. Malenkov, qui avait perdu la « bataille » pour le pouvoir l’année précédente, est contraint d’abandonner ses fonctions de Premier ministre en février 1955 ; dans ces conditions, il ne peut plus prétendre imposer, dans la doctrine stratégique, le principe de la dissuasion qui paraissait avoir ses faveurs. La vision khrouchtchévienne d’une guerre, même nucléaire, susceptible d’être menée et, étant menée, aboutissant uniquement à la victoire de l’URSS, est de ce fait confirmée comme ligne officielle. Il convient désormais penser la conduite d’une telle guerre.

Le second facteur est politico-militaire et concerne le changement de ministre de la Défense : le maréchal Joukov remplace le maréchal Boulganine. Un maréchal « politique », qui n’a jamais suscité de grand respect au sein de l’armée, se voit remplacé par un « vrai » militaire et non des moindres : le vainqueur de la bataille de Berlin voire de la guerre. Ce changement de ministre permet alors aux militaires de se consacrer plus immédiatement à une réflexion proprement militaire, sachant que leur nouveau ministre – et ce sera l’une des causes de sa chute en octobre 1957 – fera tout pour les préserver des officiers politiques et du dogmatisme dans la réflexion stratégique.

Le troisième facteur est d’ordre technique. Si, pour les Soviétiques, la conquête de la puissance atomique a été primordiale, une autre conquête est encore plus essentielle pour eux : celle des vecteurs destinés à projeter cette puissance. Sans même revenir sur les recherches interrompues des années trente, il est un fait que, dès 1944, l’URSS se préoccupe en priorité de la construction de fusées. Or, en 1955 – les essais dureront toute l’année – les Soviétiques viennent d’expérimenter leur premier missile balistique, de portée intermédiaire. Les R-5M (SS 3 selon le nom de code OTAN) sont capables de transporter une charge nucléaire de 200 kt à une distance de quelque 1 000 km48. L’essentiel pour l’URSS tient au fait que ce type de missile est le premier qui soit réellement le fruit du travail de Korolev et de son équipe et non une simple reproduction des fusées allemandes V1 et V2, comme le furent les R1 et R2. Encore extrêmement discrets sur ce chapitre, les militaires soviétiques exerçant quelque responsabilité connaissaient sans doute l’état de la recherche dans le domaine balistique. Il est ainsi très vraisemblable que le général Rotmistrov ait pris en considération cette avancée technique dans ses réflexions. Mais il semble aussi avoir pris en compte les menaces que représentent ces armes nouvelles pour les armes classiques : l’une des causes de la méfiance des militaires à l’encontre de Khrouchtchev trouve sa source dans leurs conceptions opposées sur le rôle respectif des armes classiques et des armes balistiques et nucléaires dans la future guerre.

À partir de 1957, date de l’essai du premier missile intercontinental, Khrouchtchev devient en effet un farouche partisan du « tout nucléaire » et est prêt à sacrifier les autres types d’armes et les effectifs de l’armée soviétique. Ce que les militaires n’acceptent pas. Mutatis mutandis, l’on se retrouve dans le même cas de figure qui opposait, dans les années trente, un Toukhatchevski qui voulait développer les blindés et l’aviation à un Vorochilov ou, surtout, à un Boudenny partisan de la prééminence du rôle de la cavalerie. Dans les années soixante, c’est en fin de compte une voie moyenne qui est officiellement adoptée ; une voie dont on trouve déjà des signes dans les articles de Rotmistrov. Celui-ci affirme en effet : « Les seules armes atomiques et thermonucléaires ne résolvent pas l’issue de la guerre. C’est seulement par une frappe massive par surprise et au moyen de toutes les armes et armées complétant et exploitant les effets des coups atomiques que l’on peut obtenir des succès importants et durables dans les actions militaires actuelles » 49.

Ainsi, on peut considérer que, à partir de 1955, le débat stratégique est lancé en URSS. Mais, à la différence des années vingt et trente la littérature ouverte – et même confidentielle – ne s’en fait guère l’écho et ce n’est que par des circuits détournés que, à l’époque, l’occident en aura connaissance50. Le grand défi qu’il convient alors de relever est de prendre en considération non plus seulement l’arme atomique mais aussi le fait que, depuis 1957 – dans ses principes – et surtout depuis 1961 dans les faits, l’URSS dispose, pour la première fois, des moyens de projeter sa puissance nucléaire sur le sol de son ennemi principal. Il convient donc d’intégrer ces « nouveaux moyens de combat » dans le concept stratégique en préservant tout à la fois l’essentiel de la culture stratégique russe et les intérêts particuliers des représentants des principales armes classiques.

L’élaboration de la « doctrine Sokolovski »

Ce que l’on sait des réflexions engagées par l’état-major général51 montre que les thèmes de discussion ne sont guère éloignés de ceux développés dans les années vingt et trente : offensive ou défensive, guerre longue ou courte, rôle des différentes armes, rôle de la surprise, importance de la phase initiale de la guerre. Ce que révèle également la discussion sur l’élaboration de la future doctrine militaire est le processus de décision en la matière dans l’URSS post-stalinienne. C’est le pouvoir politique qui, en 1957, invite l’état-major général à engager une réflexion sur la future guerre en tenant compte des moyens nouveaux dont dispose l’armée soviétique. C’est au pouvoir politique qu’un « groupe spécial » d’experts de l’état-major remet ses conclusions et c’est toujours le pouvoir politique qui présente publiquement les conclusions qu’il a tirées de ce rapport. Ensuite seulement, le pouvoir politique confie à l’ancien chef de l’état-major, le maréchal Sokolovski, le soin de constituer une équipe pour rédiger un manuel destiné à présenter au public la nouvelle « ligne » du discours stratégique soviétique à l’âge nucléaire.

Il convient également de mentionner que la stratégie énoncée à partir de 1962 s’inscrit dans le cadre d’une politique, lancée par Khrouchtchev dès 1955, et qui engage une importante réduction des forces armées. Entre 1955 et 1959, le pouvoir politique avait annoncé trois réductions d’effectifs qui, cumulées, auraient dû aboutir à une réduction totale de 2,1 millions d’hommes. Il semblerait que, dans les faits, ces réductions aient été limitées à 1,2 million, ce qui est déjà significatif. Or, en janvier 1960, lors de la session du Soviet suprême, Khrouchtchev annonce une nouvelle réduction de 1,2 million d’hommes destinée à ramener les effectifs totaux de l’armée à 2,4 millions, contre 4,750 millions en 1955. L’argument avancé par le premier secrétaire est à la fois économique et militaire. Sur le plan militaire, les armes de destruction massive exigent des troupes nettement inférieures à celle des armes classiques, il est donc possible de réduire fortement les effectifs sans préjudice pour la sécurité de l’URSS. De plus, les hommes ainsi rendus disponibles seront transférés vers l’économie nationale et serviront au redressement du pays prévu par le plan de sept ans adopté en 1959, lors du XXIe Congrès. C’est dans cette perspective que Khrouchtchev présente les grandes lignes de la nouvelle stratégie militaire qui servira de « ligne » pour l’ouvrage de Sokolovski. Mais, dans le même temps, Khrouchtchev doit prendre garde de ne pas donner l’impression que cette nouvelle stratégie au service de la guerre future est fondée sur le principe des « petites armées techniciennes », régulièrement condamné lorsqu’il s’agit des armées occidentales.

De leur côté, les militaires soviétiques acceptent difficilement une telle déflation des effectifs. Certains généraux et maréchaux ont d’ailleurs manifesté leur opposition à une telle politique et se verront sanctionnés. C’est le cas du maréchal Sokolovski qui se voit limogé de son poste de chef de l’état-major. Mais comme il est aussi considéré comme l’un des officiers les plus compétents de cette époque, c’est à lui qu’est confié le soin de diriger le collectif d’auteurs chargé de rédiger l’ouvrage de synthèse sur la stratégie militaire.

on retrouve dans la première édition du manuel de Sokolovski52 mise en vente en librairie au cours de l’été 1962, les grandes lignes de la « stratégie » présentée par Khrouchtchev et son ministre de la Défense, le maréchal Malinovski, lors de la session du Soviet suprême des 14 et 15 janvier 196053. Mais l’ouvrage de Sokolovski est plus formalisé, plus complet et mieux intégré dans une vision globale de la situation passée et présente. Destiné à être publié, ce manuel – comme tout énoncé de doctrine stratégique – est donc plus un discours politique sur la stratégie que l’expression de la stratégie réelle des armées soviétiques. Certes, un tel discours, pour être crédible, doit s’appuyer sur des faits incontestables, notamment sur les capacités du pays en matière d’armement et sur une culture stratégique. L’ouvrage de Sokolovski doit ainsi être pris pour ce qu’il est – l’expression d’un discours politique à un moment donné – mais rien de plus. D’ailleurs, en 1966, Sokolovski tentera de modifier le contenu de son ouvrage pour le faire mieux coïncider avec les réalités stratégiques du moment mais il n’obtiendra pas l’approbation du pouvoir politique (voir plus loin).

La stratégie soviétique, telle qu’elle est présentée par Sokolovski, est divisée selon deux perspectives : idéologique et militaire. L’aspect idéologique, passage obligé de tout discours politique – et politico-militaire – rappelle, d’une part, que si une guerre avec l’impérialisme n’est plus inéluctable – en vertu du principe de la coexistence pacifique – elle reste possible et, le cas échéant, sera nécessairement une guerre de classes, une guerre entre les « deux systèmes sociaux opposés » ; d’autre part, et selon la même perspective, la victoire sera nécessairement remportée par l’URSS et ses alliés ou, plus précisément, par « la formation sociale communiste ». Car, étant une guerre de classes, elle ne saurait déboucher que sur la disparition du capitalisme en tant que système politique, économique et social54. Ces principes obligés étant énoncés, que dit Sokolovski sur les aspects plus militaires de la guerre ?

En premier lieu, la future guerre mondiale sera marquée par une utilisation massive des armes nucléaires dès sa phase initiale visant à obtenir « l’anéantissement ou la capitulation de l’adversaire dans les plus brefs délais ». Cette phase initiale aura pour objectif la destruction des forces armées adverses ainsi que ses arrières en utilisant « les moyens de destruction stratégiques de longue portée ». Enfin l’exploitation des frappes nucléaires sera effectuée par « les moyens terrestres se trouvant au contact des forces adverses » 55.

Les perspectives présentées sont donc celles d’une guerre courte dans laquelle les buts de la guerre sont susceptibles d’être obtenus par une frappe nucléaire massive dès la phase initiale de la guerre. Or, dès la deuxième édition (1963), Sokolovski admet également – discrètement faute, sans doute, d’avoir pu l’affirmer plus clairement pour des raisons politiques – que la future guerre mondiale est également susceptible de se prolonger ; ce qui implique une économie de guerre plus solide qu’elle ne l’est sans doute, afin d’éviter une répétition des « erreurs » de 1941.

Les conceptions stratégiques avancées dans cet ouvrage méritent certaines explications. Comme l’ont remarqué certains officiers, parties prenantes aux débats de cette époque, le manuel de Sokolovski est avant tout l’expression d’une stratégie soviétique classique dans laquelle a été introduite la dimension nucléaire. L’on retrouve en effet le principe de l’opération en profondeur destinée à effectuer une percée décisive dans les arrières de l’adversaire. Seule change finalement l’échelle de ces coups massifs et la nature du résultat obtenu au regard du déroulement de la guerre. Ce qui était conçu comme un moyen de victoire sur un champ de bataille, voire sur un théâtre d’opération, se retrouve comme moyen d’obtention de la victoire dans la guerre elle-même.

Néanmoins, la spécificité de l’arme nucléaire, sa fonction politique, n’est pas réellement prise en compte, tant par les politiques que par les militaires. Et ceci, pour deux raisons, l’une politique, l’autre, du ressort de la réflexion stratégique soviétique de l’époque. Sur le plan politique, les années 1961-63 sont celles de l’apogée de la diplomatie offensive menée par Khrouchtchev. L’URSS dispose en effet, pour la première fois, des moyens militaires de son discours politique. Ce n’est pas un hasard si ces premières années de la décennie ont été celles au cours desquelles ont éclaté les deux crises les plus graves qu’aient connues les relations est-ouest : Berlin (1961) et Cuba (1962). Pour la première fois, en 1961, l’URSS peut effectivement frapper directement le sol américain56. Le vision politique volontariste de Khrouchtchev est ainsi soutenue par un arsenal crédible et opérationnel depuis l’expérimentation, en 1961, de la deuxième génération des missiles intercontinentaux, les SS 7. Khrouchtchev a, dès lors, l’illusion de l’invulnérabilité de l’URSS et se lance dans une politique du risque calculé. On peut ainsi considérer que les trois premières années de la décennie soixante ont été celles où la guerre nucléaire était devenue une réalité envisageable par l’URSS. Pourtant, la crise de Cuba, suivie du retrait soviétique, a conduit les dirigeants politiques soviétiques à approfondir leur réflexion sur la stratégie quand bien même le discours officiel reste inchangé.

À mi-chemin du politique et du militaire, les Soviétiques revendiquent également, à l’époque, leur supériorité sur l’adversaire, les notions d’équilibre et de parité n’apparaissant qu’à la fin de la décennie soixante. Les dirigeants soviétiques tendent justement à convaincre l’Autre mais aussi leur propre peuple que, grâce à son arsenal nucléaire et balistique, l’URSS dispose d’une écrasante supériorité sur les États-Unis, confirmant la prééminence du système communiste57. La fonction essentielle du discours stratégique de ce début des années soixante est donc bien d’épouvanter l’adversaire potentiel. On serait en quelque sorte dans cette situation paradoxale où, tout en réfutant la fonction dissuasive des armes nucléaires, les Soviétiques accordent à leur discours politico-stratégique cette même fonction ! Cette hypothèse semble confirmée par le général Larionov qui, en 1991, explique que, lorsque il préparait la troisième édition de son ouvrage, Sokolovski avait souhaité en réviser le contenu afin de mieux l’adapter aux réalités nouvelles. A l’époque, et compte tenu de la très forte montée en puissance des arsenaux nucléaires, Sokolovski avait estimé nécessaire d’indiquer dans la nouvelle édition que l’URSS avait abandonné « le principe de la frappe nucléaire comme forme principale de l’action stratégique et reconnaissait l’importance des opérations classiques » dans la guerre58. La « censure » le lui refusa et exigea que soit maintenu tout « ce qui avait été publié dans la deuxième édition » car il s’agissait de « continuer d’induire l’adversaire potentiel en erreur concernant nos points de vue et, surtout de l’effrayer » 59.

Si l’idée de dissuasion est présente chez certains auteurs militaires soviétiques à l’époque, elle ne pouvait en aucun cas être explicitement adoptée. En effet, une stratégie de non-guerre est foncièrement incompatible avec, d’une part, un concept d’emploi explicitement affiché et, d’autre part, avec la conception marxiste-léniniste de la guerre qui considère celle-ci comme l’un des instruments de l’évolution des sociétés. Or, là encore, la désinformation contenue dans l’ouvrage de Sokolovski sert parfaitement les intérêts de l’autre camp, justifiant ainsi ses craintes. Pourtant, très rapidement l’on se rendra compte que le discours affiché ne correspond plus aux réalités et, dès 1964, il existe suffisamment d’indices pour considérer que le discours sokolovskien est périmé. Car l’ouvrage de Sokolovski, considéré par les Américains comme un ouvrage fondamental, doit être replacé à sa juste place : un ouvrage parmi d’autres sur la stratégie. En aucun cas, il ne peut être mis sur le même plan que des textes « fondateurs » tels l’Histoire du PC(b)US (1938), le manuel d’Économie politique de l’Académie des Sciences (1954)… qui ont fixé la nouvelle norme de réflexion dans leurs domaines respectifs. L’ouvrage de Sokolovski ne fixe pas la « ligne » et ne met pas un terme à la réflexion stratégique en URSS. Les critiques dont il fera l’objet et la publication d’ouvrages ou articles qui n’en reprennent pas les principes en sont un témoignage flagrant. L’ouvrage de Sokolovski présente un point de vue – imposé par le premier secrétaire du PCUS de l’époque – mais ne coïncide pas nécessairement avec les analyses développées par l’état-major. Ce dernier ne manquera pas d’ailleurs de faire connaître des points de vue différents tout au long des années soixante et soixante-dix.

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Notes:

 

33 En 1954, c’est P. Pospelov qui est chargé de prononcer le discours traditionnel du 21 janvier, à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Lénine. Il sera par la suite responsable de la commission chargée de dénoncer les crimes de Staline au XXe Congrès. Le Présidium correspond, à l’époque, au Bureau politique.

34 Pravda 22 janvier 1954.

35 Pravda , 12 mars 1954.

36 Voir notamment les articles ou éditoriaux publiés dans la Pravda, les Izvestija, l’Etoile Rouge du 23 février 1954, respectivement par le général Jeltov (chef du Glavpu) et les maréchaux Sokolovski (chef d’état-major général) et Vasilevski (premier vice-ministre de la Défense).

37 Pravda, 12 mars 1954.

38 Il est évident que l’adoption du concept de représailles massives fondé sur le principe de la dissuasion nucléaire n’est pas apparu le 12 janvier 1954. Le discours de Dulles a été précédé d’un certain nombre de ballons d’essai, de prises de position sur ce point dès le début de la décennie. On peut se référer aux articles de Kennan en janvier 1950 ou de Dulles lui même, en décembre 1951 et en mai 1952 (voir L. Freedman, The Evolution of the Nuclear Strategy, New York, St Martin’s Press, 1987, pp. 66-67 et 84-86).

39 Vospominanija o Kurtchatove (Souvenirs sur Kourtchatov), Moscou, Nauka, 1987, p. 41 (L’assistant dont il est question ici est l’académicien A.P. Aleksandrov).

40 Entretien avec A. Horelick (Rand Corp./UCLA), avril 1989. Même si l’ambassadeur américain à Moscou, Charles Bohlen, était très favorable à Malenkov, l’idée d’un “cadeau” d’Eisenhower à Malenkov peut paraître excessive. Il est néanmoins évident que le discours de Dulles a influencé Malenkov dans ce sens.

41 Voir notamment A. Sakharov, Mémoires, Paris, Le Seuil, 1990, chap. 11 et 12.

42 Voir notamment G. H. Soutou, L’Alliance incertaine, Paris, Fayard, 1996.

43 Pour plus de détails sur cette distinction, voir J.-C. Romer, “Image de l’ennemi et perception de la menace en URSS (1945-1965)”, Cahiers de l’IHTP, n° 28, juin 1994, pp. 145-155.

44 Certes, les déclarations de Staline à Maurice Thorez, le 18 novembre 1947 pourraient laisser supposer le contraire : “Si Churchill avait attendu encore un an avant d’ouvrir un second front au nord de la France, l’armée rouge serait allée jusqu’en France” (voir Izvestija, 18 juin 1996). Il convient néanmoins de nuancer ces affirmations et de les replacer dans le contexte particulièrement tendu de l’automne 1947 : deux mois plus tôt, lors de la conférence constitutive du Kominform, les communistes français s’étaient aussi fait accuser par les Yougoslaves de n’avoir pas tenté de prendre le pouvoir en 1945-46. Ces propos semblent plus avoir été du ressort de l’idéologie voire du dogmatisme que de la géostratégie.

45 Cette information, connue quoique gardée secrète par les Soviétiques, a fait l’objet de nombreuses publications depuis 1989 donnant de nombreux détails sur le déroulement de la manœuvre (Krasnaja Zvezda, 29 septembre et 16 novembre 1989 ou Nezavisimaja Gazeta, 14 septembre 1994).

46 Krasnaja Zvezda, 24 mars 1955. Cet article constitue la version “édulcorée” et publique d’un article publié le mois précédent dans la revue confidentielle de l’état-major, Voennaja Mysl, n° 2, 1955, pp. 14-26 intitulé “Du rôle de la surprise dans la guerre moderne”.

47 Voennaja Mysl, art. cit. n° 2, 1955, p. 20.

48 Ja. Golovanov, op. cit., pp. 458-461.

49 Voennaja Mysl, 5, 1955, art. cit., p. 25.

50 Notamment par l’intermédiaire des documents fournis par un agent des États-Unis en URSS, le colonel Oleg Penkovski, dont les papiers seront traduits et publiés à New York en 1965 et traduits en français sous le titre : Carnets d’un Agent Secret (Penkovsky’s Papers), Paris, Tallandier, 1968.

51 Ibid., pp. 234-242.

52 Voennaja Strategija (Stratégie militaire), Moscou, Voenizdat, 1962 ; une deuxième édition est publiée en 1963 et une troisième en 1968. La première traduction française (de la troisième édition) est publiée à l’Herne en 1984 sous l’égide de la FEDN.

53 Compte-rendu sténographique de la session du Soviet suprême, Moscou, Politizdat, 1960, pp. 36-45 et 82-85.

54 V. D. Sokolovski, op. cit., (2e édition), p. 258.

55 Ibid., pp. 249-250.

56 Les missiles SS6, expérimentés en 1957, peuvent certes atteindre le territoire des États-Unis. Mais leur portée, de l’ordre de 6 000 km, implique qu’ils soient déployés en Nouvelle-Zemble ce qui les rend particulièrement vulnérables à d’éventuelles frappes aériennes américaines. Vulnérables aussi en raison du temps (12 heures) nécessaire au remplissage des réservoirs de carburant. Enfin, les conditions climatiques particulièrement rudes rendent aléatoire le fonctionnement de l’électronique qu’ils contiennent. Les SS 6 sont de bons missiles qui, produits à une centaine d’exemplaires, feront d’excellents… lanceurs de satellites. Seuls 4 à 6 exemplaires de ces SS 6 ont été fournis à l’armée. Les SS7 ont, quant à eux, une portée de 11 000 km.

57 Ceci fut une des causes de la crise du “missile gap” développée aux États-Unis lors de la campagne électorale de Kennedy. Or, Kennedy une fois élu, l’on a très rapidement appris que les chiffres présentés par la CIA étaient faux. Mais cette campagne est particulièrement exemplaire de la désinformation de l’un servant la désinformation de l’autre. L’on ignore si Khrouchtchev lui-même croyait à ses propos, mais les officiers soviétiques engagés dans les débats politico-stratégiques étaient informés de la réalité de l’équilibre des forces, très nettement en faveur des États-Unis.

58 V. Larionov, Nezavisimaja Gazeta, 6 août 1991. Le général Larionov a été le secrétaire de rédaction des trois éditions du Manuel de Sokolovski.

59 Ibid., Le terme “effrayer” (Ustrachat’) employé ici correspond à l’un des deux termes utilisés par les Soviétiques pour traduire “dissuasion” (Ustrachenie).

 

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