Chapitre III : Analyse de la prise de décision

Comme les chapitres précédents  consacrés à la prise de décision, nous faisons ressortir des faits une série de variables qui influencent de manière décisive la prise de décision.

3.1. Structure formelle [1]

Nixon applique une structure décisionnelle formelle qui à l’origine ressemble fortement à celle d’Eisenhower où l’organe principal est le C.N.S.. En reprenant le schéma du C.N.S. (cfr.supra) nous avons a priori un système ouvert auquel participent les différents départements.  En pratique, Kissinger parvient à travers le C.N.S. à neutraliser tous les autres départements. En reproduisant un autre schéma du C.N.S., nous voyons que Kissinger est présent à tous les niveaux.

Aussi, comme commente B. Mazlish : « Kissinger accorda le Conseil national de sécurité de façon à en faire un instrument exquis pour les soli qu’il voulait jouer, et sans doute aussi pour ceux de Nixon. »[2] Par conséquent, Kissinger et Nixon ne faisant confiance qu’à Kissinger et Nixon, nous sommes devant un système de décision qui se caractérise par une dyarchie où tout avis, conseil ou renseignement contraire est totalement ignoré. Aussi, plusieurs décisions sont prises sans aucunes consultations sérieuses. Cela entraîne bien sûr une relation tendue  avec les membres du C.N.S. et les différents départements. La majorité du temps ces derniers ignorent la teneur des décisions prises, ayant comme conséquence une mauvaise exécution de la décision. Ainsi, Kissinger déclare au Washington Post en juillet 1970 : « the outsider believes a Presidential order is consistently followed out. Nonsense. I have to spend considerable time seeing that it is carried out and in the spirit the president intended. »[3]

Par conséquent, Kissinger prend également part à l’exécution des décisions, afin de voir qu’elles soient exécutées selon les consignes.

3.2. la variable du rôle

La performance de Bundy et Rostow paraît modeste à côté de celle de Kissinger, qui exerce une autorité inégalée parmi les Conseillers à la sécurité nationale dans le processus de prise de décision. Personne auparavant dans le domaine des affaires étrangères était parvenu à monopoliser de façon si efficace toute une série de fonctions : formulation des stratégies, supervision de la bureaucratie, relations avec la presse, négociations secrètes,….  (cfr. tableau reproduit en annexe).

3.3. La variable d’ordre individuel

Contrairement aux autres présidents, la variable d’ordre individuel joue un rôle essentiel, fondamental. Le pragmatisme de Nixon, sa connaissance de l’histoire, son expérience, ses nombreux voyages et son réalisme influencent sa prise de décision en politique étrangère. 

N’aimant pas la confrontation, il formule sa politique entouré d’un nombre très limité de conseillers. Faire face à ceux qui ne l’approuvent pas est chez Nixon presque une impossibilité physique. Il fuit l’effort de convaincre ses subordonnés. Avec le temps, il prend ses décisions  à l’intérieur du cocon qu’il a tissé autour de lui, évitant ceux qui le contredisent.

Tableau :

Evolution de la prise de décision

DATE

OPERERATIONS

EQUIPE DECISIONNELLE

 Janvier 1969 Etude du N.S.S.M.- 1  Conseillers + Départements+ Nixon
Mars 1969 Opération MENU  Conseillers + Nixon
Février 1970 Laos Division au sein des conseillers
Mars 1970 Cambodge exclusion Rogers
Début 1972 Lam Son 719 exclusion Rogers et Laird
Mai 1972 Minage des ports  Nixon

 

Cette façon de mener la politique entraîne un dysfonctionnement entre la prise de décision et l’exécution de la décision. « C’était-là », comme l’explique H.Kissinger, « le paradoxe d’un Président fort dans ses décisions, vague dans le commandement. »[4] Contrairement à l’administration Kennedy et Johnson, l’esprit d’équipe et la cohésion au sein des conseillers est absente, les conseillers du président  (Laird, Rogers) n’hésitant pas à se soustraire aux directives. 

Pour Nixon un président est élu pour diriger et commander. Aussi prendre les décisions par consensus n’est pas un signe de leadership, mais un signe de faiblesse. Ainsi, il déclare : «  A case might be made for government by consensus in domestic policy. It will not work in foreign policy. A president is elected to lead. Government by consensus is no Leadership ; it is followship, designed to produce outcomes not that are right but that most people will support. The problem is that sometimes the right decision is the least popular. »[5]  Si on ne peut pas totalement donner tort à Nixon sur ce point, il faut toutefois que les mesures impopulaires demeurent exceptionnelles. Ce qui n’est pas le cas avec Nixon.

3.4. La variable systémique[6]

Nixon a un grand avantage par rapport à ses prédécesseurs. Il perçoit très vite que le monde bipolaire a changé. Mais plus important,  il réalise que l’Union soviétique et la Chine ne forment pas un bloc monolithique. Nixon constate que le monde bipolaire se substitue en un monde tripolaire, avec l’apparition de nouveaux centres (Europe, Japon)  Par conséquent, Nixon se lance dans une politique de détente à l’égard de l’Union soviétique et d’une politique d’ouverture à l’égard de la Chine. Cette politique permet d’opposer la Chine à l’Union soviétique 

Sous Nixon les relations internationales ne sont pas analysées sous l’angle idéologique, mais bien sous l’angle géopolitique et géostratégique (= Realpolitik). Vu sous cet angle le Viêt-nam perd tout intérêt. Aussi il n’importe plus de gagner le conflit ou de protéger le Viêt-nam du Sud, mais bien de finir la guerre de manière honorable, sans que le prestige soit atteint.

3.5. Conclusion

Tout comme nous l’avons fait pour les présidents précédents, il y a moyens à partir des faits et de l’importance de certaines variables d’adapter le modèle Sui Generis à la prise de décision sous Nixon. 

            Nixon a la volonté dans sa prise de décision de se rapprocher du modèle rationnel.  Cette approche réussit fort bien jusqu’en mai 1970 ( = attaque sur le Cambodge) A partir de cette date-là, malgré une opinion publique et un Congrès s’opposant à la politique menée, il va non seulement persévérer dans cette voie, mais plus grave il exclut tous les acteurs qui s’opposent à sa politique. Aussi sa présidence se caractérise bien par ce que A. Schlesinger appelle la présidence impériale. Une présidence impériale poussée à un tel point, qu’elle mènera au Watergate et à la chute de Nixon.


 


[1] cfr. également le point 1.2. sur l’équipe décisionnelle.

[2] B. MAZLISH, Kissinger, portrait psychologique et diplomatique, Bruxelles, éd. Complexe, 1977, p. 275.

[3] M. DESTLER, « Can one man do ? », Foreign Policy, 5-8, n° 2046, p. 32.

[4] H. KISSINGER, A la Maison  Blanche, 1968-1973(tomeI), op.cit., p. 498.

[5] R. NIXON, In the Arena : A memoir of Victory, Defeat and Renewal, NY, Pocket Books, Simon&Schuster, 1991, p. 338.

[6] Cfr. le point sur la politique triangulaire.

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