Il n’y a pas de façon précise de gérer l’impact de l’Escadrille Lafayette sur la Première Guerre Mondiale. Si l’on parle en termes de bénéfice intangibles, alors dans tous les cas l’arrivée des pilotes américaine Lafayette a été une grande contribution, non seulement parce qu’elle justifiait la cause alliée, mais également, et c’est plus important, parce qu’elle représentait l’avant-garde de ce que l’on souhaitait être une intervention américaine de plus grande envergure. Bien qu’ils aient formé un petit nombre, à cet égard, les 38 pilotes américains ont eu un très gros impact.
Cependant, si l’on ne considère que les résultats tangibles de l’Escadrille Lafayette, c’est à dire ses tableaux de combat, alors sa contribution a été négligeable et représentait une toute petite patrie de l’effort global de guerre. L’escadron est loin d’avoir atteint des résultats spectaculaires ; en fait, les résultats pourraient être considérés comme étant dans la moyenne ou même en dessous de la moyenne, comparés à d’autres unités d’aviation de combat contemporaines. Personne ne remet en doute les sacrifices et les efforts de l’Escadrille Lafayette ; cependant, l’escadron doit être remis dans un contexte de référence afin de permettre d’évaluer sa vraie valeur. Ceci va sans doute déclencher la contestation des admirateurs de l’Escadrille, mais il est important de mesure de façon réaliste sa contribution afin de voir si, d’une façon ou d’une autre, les états de service sont liés à l’échec rencontré par l’unité pour laisser une impression indélébile dans le psychisme américain.
Tableau de Combat de l’Escadrille Lafayette
A l’issue des quelques 23 mois de vol et de combat, les 38 pilotes américains de l’Escadrille Lafayette et leurs 4 officiers français ont revendiqué 40 avions abattus confirmés. 1 Quels que soient les types de comparaison, le nombre de victoires officielles n’était pas important. En fait, l’Escadrille Lafayette a atteint des résultats moyens et même en dessous de la moyenne lorsque l’on les compare à ceux d’escadron français contemporains et aux escadrons de poursuite américains qui lui ont succédé et si on les compare à l’effort de guerre dans son ensemble. Ceci est particulièrement surprenant car l’Unité était toujours stationnée sur le front pour prendre part à toutes les offensives majeures qui ont eu lieu au cours de son existence. Ces comparaisons seront faites rapidement mais tout d’abord, il est peut-être utile de considérer certaines des raisons pour lesquelles l’unité n’a pas enregistré davantage de succès.
* * *
La réputation de l’escadron était en fait jugée bonne par ses contemporains d’autres unités. Selon un historien, ils ne faisaient pas de miracles « mais ils avaient la réputation d’une unité d’élite » et étaient connus pour être « une escorte digne de confiance ».2 Alors quelles sont les raisons pour ce manque de succès apparent de l’Escadrille Lafayette ?
L’Escadrille Lafayette n’a pas pris un départ rapide. En tant qu’unité nouvellement formée, elle a connu les difficultés de croissances habituelles que toutes les nouvelles unités rencontrent. Au début, il n’y avait pas suffisamment d’appareils. Désignée et mise en place le 16 avril 1916, l’unité a reçu ses premiers six avions, des Nieuport-11 et « Baby » Nieuport le 1er mai. Le Capitaine Georges Thenault a été obligé d’emmener les membres de l’escadron sans avion dans de longues ballades dans sa voiture à travers la campagne afin de chercher des pistes d’atterrissage d’urgence et de familiariser les hommes avec la campagne. « Enfin, nous les reçûmes le 1er mai. Il y en avait six », raconte Thenault dans ses mémoires ; ils pouvaient enfin se mettre au travail.3 Au début, l’escadron ne comptait que 7 pilotes américains et 2 pilotes français, ce qui était relativement peu pour une unité de poursuite du front. En comparaison, les escadrons modernes de l’époque comptaient davantage de pilotes. Les Anglais travaillaient avec trois pelotons de six hommes pour un total de 18 pilotes . les Français n’ont jamais eu moins de douze personnes par unité. L’Escadrille Lafayette a donc commencé en étant à court d’hommes et d’appareils. Il a dû être difficile d’établir un calendrier de vol en s’assurant que les équipes d’alerte de jour composées de deux pilotes étaient pourvues, que l’escadron pouvait faire face à ses devoirs d’escorte, et que ni les hommes ni les avions ne volaient au dessus de leur limites.4
La première patrouille a volé le 13 mai 1916 mais il a fallu un moment pour que l’unité établisse un rythme. Bien qu’ils aient descendu trois appareils en mai, les 18, 22 et 24, ils n’en ont descendu qu’un en juin, alors que trois hommes étaient blessés, un était rendu invalide des suites de ses blessures et un est mort en action. Il doit être rappelé que les pilotes composant l’escadrille avaient des degrés d’expérience différents. Le Capitaine Thenault et le Lieutenant de Laage, les officiers français en charge, avaient déjà précédemment volé dans des unités sur le front. Des Américains comme William Thaw et Norman prince avaient volé avant la guerre et avaient volé avec d’autres escadrilles brièvement avant de rejoindre l’unité Lafayette. Les autres membres américains de l’Escadrille Lafayette à ses débuts sortaient tout juste de la formation et étaient novices pour les combats. Certains des hommes étaient hésitants comme tous les novices. Mais pour ce qui est de Victor Chapman, il était trop imprudent et ceci lui a coûté la vie. Il a été abattu tout seul, alors qu’il attaquait un nombre supérieur d’avions allemands, au dessus des lignes ennemies, moins d’un mois après la formation de l’unité. 5
L’unité a initialement été engagée dans des missions d’escorte pour des raids de bombardement. Bien que ces missions aient souvent des risques chances d’abattre des appareils, les pilotes de l’escorte étaient attachés à la mission de bombardiers et étaient en quelque sorte limités. Ils ne prenaient donc pas part, à l’origine, aux conflits aériens qui deviendraient plus caractéristiques des futures patrouilles de combat. 6
Une fois passés juillet et août 1916, l’unité a reçu d’autres pilotes et appareils et elle semblait acquérir un meilleur rythme car elle commençait à produire de meilleurs résultats. Ceci a sans doute été renforcé par deux facteurs ; tout d’abord l’unité était transférée à Bar le Duc, Secteur de Verdun, où elle était sûre de trouver plus que sa part de combats, ensuite, Raoul Lufbery avait rejoint l’unité. L’influence première devant changer alors que l’unité se rapprochait du Front. Cependant, l’influence de Lufbery, devait rester un point positif constant dans les résultats de l’unité tout au long de l’existence de l’Escadrille Lafayette. On en parlera plus tard plus en détails.
Une fois que l’unité a pris pied solidement sur la scène de combat, se débarrassant de sa nervosité néophyte et de son inexpérience, elle n’a pas pour autant abattu beaucoup d’appareils. Un point qui est avancé par les historiens pour la défense de l’Escadrille Lafayette est le fait qu’elle aurait probablement au total une centaine d’appareils abattus non confirmés. Ce point est peut-être exact mais demeure hors sujet, malheureusement, parce que le fait est que toutes les unités, spécialement le Service Français de l’Aviation, devaient obéir à la même politique de confirmation. Les expériences au début de la guerre avec le nouveau service d’aviation avaient montré que le système de rapport des avions abattus était inexact et qu’un système rigide devait être mis en place pour revendiquer les victoires.
Le Capitaine Thenault, commandant de l’escadron, commentait ainsi la politique rigide qui avait été adoptée :
« Les autorités françaises se sont toujours montrées très strictes pour la confirmation des victoires. Elles exigeaient que, dans chaque cas, la chute de l’avion ennemi eût été signalée par l’observateur terrestre. Le nombre réel des avions abattus fût, j’en suis sûr, très supérieur à celui que donnait notre liste officielle. Guynemer (as de l’aviation Français) afin de fournir la preuve de ses succès, lorsqu’il livrait un combat trop loin dans les lignes allemandes, pour être vu par les postes d’observation, avait finalement installé un appareil photographique sur son Spad et souvent, il rapporta des clichés de ses victimes, tombant en flammes ou en morceaux. »7
Edwin Parsons, pilote de l’Escadrille Lafayette, se plaignait de ce que « les règles pour abattre un avion étaient très strictes – vous deviez avoir trois sources de témoins, vos propres compagnons d’escadrille ne suffisant pas. »8
De temps à autres, la non confirmation était une grande source d’irritation. Par exemple, durant les trois premières semaines de juillet, période importante de d’évolution de l’Escadrille Lafayette – qui devait se révéler une période exceptionnellement dangereuse au dessus du secteur de Verdun – les pilotes de l’escadron revenaient souvent en étant sûrs d’avoir marqué un nouveau point, mais ceci n’était pas confirmé. Outre le fait que la majorité de ces combats se déroulaient loin derrières les lignes allemandes, il était difficile pour les observateurs, lesquels se trouvaient dans les ballons loin derrière les lignes alliées, de confirmer les avions abattus.
Cependant, de temps en temps des confirmations bidons étaient accordées aux membres de l’escadron par des observateurs bien pensants qui n’étaient par certains des événements réels puisqu’ils étaient trop éloignés des batailles aériennes. Une fois, Kiffin Rockwell et le Lieutenant de Laage dont attaqué deux avions allemands. L’un d’eux a piqué vers le sol, ayant apparemment perdu le contrôle, mais a redressé son appareil juste à temps pour le sauver et pour s’échapper, ce qui n’était pas rare. Rockwell a expliqué ce qui est arrivé ensuite :
« Le poste (d’observation) a envoyé un rapport selon lequel un avion allemand a été abattu derrière les lignes allemande ; il voulait nous créditer mais nous savions tous deux que l’avion n’avait pas été abattu et nous le lui avons dit en expliquant les circonstances. Cependant, deux pilotes français bien connus l’ont revendiqué le lendemain et on leur a accordé le crédit. »9
Il est évident que dans la recherche de la célébrité et de la gloire, souvent des libertés étaient prises s’agissant des confirmations de victoires ; c’est la nature humaine. En fait, une des raisons de la mise en place de la politique de confirmation était que le nouveau service d’aviation était composé de nombreux hommes enrôlés et pendant cette période, leur conduite et éthique n’étaient pas considérées comme celles de gentlemen : en conséquence, leur seule parole n’était pas suffisante.10
Les membres de l’Escadrille Lafayette ont compris les lacunes du système. Certains ne tenaient pas compte de l’importance des avions abattus et du nombre, tels que Lufbery, qui de temps à autres, on le sait ne se préoccupait pas de faire un rapport sur les avions abattus ou de leur vérification. D’autres tiraient avantage du système. Un pilote dit de Bert Hall que souvent « il se dépêchait de revenir aussitôt qu’il voyait un grand feu au sol pour obtenir confirmation ».11
Que les avions additionnels potentiels soient considérés ou non est hors sujet . Toutes les unités françaises ont souffert des mêmes règles et ce point ne peut pas être utilisé pour la défense des tableaux de combat de Lafayette. De temps en temps, les hommes étaient injustement volés par le système ; mais tout aussi souvent, les hommes essayaient de battre le système ou alors faisaient des erreurs. Les rapports de chasse des Anglais et des Américains étaient beaucoup plus indulgents et leurs prétentions de victoires aériennes sont excessives par rapports à celles des Français mais pour l’Escadrille Lafayette, le chercheur doit rester dans le système français. Il faut aussi noter que les prétentions du pilote, même émanant des hommes les plus droits et honnêtes, sont souvent sujettes à la confusion de l’action. A moins qu’on ait vu effectivement un avion s’écraser au sol, personne ne pouvait être exactement sûr de l’issue, même les membres de Lafayette ont décrit des cas dans lesquels ils étaient pris et tombaient en vrille après avoir été attaqués et touchés, certains qu’ils allaient s’écraser mais être à même de redresser leur appareil à quelques mètres du sol seulement.
Mais pourquoi insister sur le nombre officiel d’avions touchés. Parce que c’est toujours le moyen le plus direct, le plus compréhensible et le plus comparable de mesurer le succès, même si cela tend à obscurcir certaines des contributions et des impacts intangibles. Les nombres sont les seules choses qui résisteront à l’assaut du temps dans la mémoire historique collective.
L’Escadrille Lafayette comparée à l’Effort Global de l’Aviation
pendant la Première Guerre Mondiale.
Il est important de remplacer l’Escadrille Lafayette dans le contexte historique exact par rapport à l’effort global de la Première Guerre Mondiale et de l’effort global de l’aviation pendant la Première Guerre Mondiale. Parce que lorsqu’on isole une unité pour l’analyser, il est facile d’oublier qu’il y avait des milliers d’autres unités et des millions d’autres hommes. Quand on réalise ce fait, c’est soudain plus facile de voir comment les efforts de 38 hommes, qu’ils soient herculéens ou lilliputiens, peuvent rapidement s’effacer au cours du temps.
Il y a une chose qu’on oublie souvent, c’est le fait que les services aériens de la Grande Guerre étaient extrêmement petits en comparaisons des forces dans leur ensemble. Une grande partie de cette mauvaise perception peut être attribuée au grand déséquilibre en matière de publicité accordée aux aviateurs car leurs exploits faisaient l’objet de beaucoup d’acclamations et de publicité dans les médias de l’époque. Ils étaient encore considérés plus comme une nouveauté et une attraction, qu’une nouvelle arme puissante de combat par les supérieurs . C’était en grande partie à raison de l’accent mis sur le combat en tête à tête, alors que des millions d’hommes se battaient dans les tranchées en dessous. Les petits gains apportés par les lâchés de bombes à l’époque n’étaient pas impressionnants et plus un outil de terreur qu’un outil vraiment efficace. Les missions d’observation, de reconnaissance et du réglage de tir de l’artillerie étaient considérées comme étant importantes mais toujours comme des fonctions d’assistance au roi et à la reine de la bataille, c’est à dire l’artillerie et l’infanterie.
Il suffit de regarder les nombres considérés pour voir à quel point la part de l’aviation était réduite. Par exemple, les 500 aviateurs que l’Allemagne a mobilisés en 1914 ne représentaient qu’un tout petit nombre comparé aux 4 millions d’hommes qui l’ont été globalement. Jusqu’en 1917, le Royal Flying Corps (RFC) (Corps d’Aviation Britannique) n’a représenté que 3% du total de la British Expeditionary Force (BEF) (Force Expéditionnaire Anglaise. 2000 hommes se sont retrouvés dans les forces aériennes en Russie contre 3.500.000 au sol. Les Français considéraient les forces aériennes officiellement comme représentant 0% de ses forces de guerre au début 1914 ; ce pourcentage n’a augmenté que pour atteindre 3,5% à l’armistice. Des nombres disparates similaires existaient pour refléter les morts et blessés dans les airs, comparés à ceux au sol. Le premier jour de la Bataille de la Somme, le RFC a perdu 5 aviateurs en comparaison des 57.000 soldats anglais qui ont été tués ou blessés sur le champs de bataille. 12
Les services aériens ont augmenté en nombre au cours de la guerre mais d’une manière générale, ils sont demeurés minuscules en comparaison. En 1918, l’Allemagne comptait 5000 pilotes, 10 fois plus qu’au début de la guerre, alors que le nombre d’Allemands en uniforme n’avait pas changé. Un autre exemple qui démontre les augmentations dans l’aviation concerne la logistique et l’assistance des forces de l’aviation. En 1914, les Allemands utilisaient 600 Kg de gasoil par mois pour l’aviation ; en 1915 la consommation était passée à 3.000.000 Kg par mois ; en 1916 4.500.000 Kg par mois ; en 1917 5.500.000 Kg par mois et en 1918 7.000.000 Kg par mois.13
Les morts et blessés ont augmenté également au fur et à mesure des vols et des combats. Selon les chiffres de l’aviation, la France a enregistré 75% de ses morts, blessés et manquants les deux dernières années de la guerre et a enregistré 48% de ces morts et blessés dans les derniers mois de la guerre.14
Afin de répondre aux demandes croissantes de l’aviation, le nombre des pilotes formés devait augmenter en conséquence. Dans le Service Français, ils étaient 134 en 1914, 1.484 en 1915, 2.698 en 1916, 5.608 en 1917 et 8.000 en 1918. Au total, les français avaient environ 18.000 pilotes, les Anglais 21.957 et les Allemands 5.000. Quoi qu’il en soit, ces nombres représentaient seulement une petite fraction des millions de personnes impliquées dans la guerre. En effet, la force aérienne était considérée par beaucoup comme ayant un rôle secondaire et ne contribuant pas beaucoup en termes d’effort. En fait, les avions ont été bannis de la parade de victoire du 14 juillet 1919, bien qu’on prétende qu’un pilote se soit présenté et soit passé sous l’Arc de Triomphe quelques jours plus tard. L’histoire officielle de l’Armée Britannique a décrit la campagne de bombardement de l’aviation de 1918 comme ayant été « sans résultats importants ».15
Même si le service aérien avait pris de l’ampleur à la fin de la guerre, il était toujours relégué à une position inférieure par les commandants qui le dirigeaient. Cependant, ils considéraient que l’aviation présentait des avantages, elle générait du travail et des biens. Et bien que nombre d’aviateurs ait augmenté, ils en représentaient toujours qu’une petite part de l’effort global de guerre. L’histoire, malgré la couverture de presse flamboyante et la fascination accordée aux aviateurs ne pouvait traiter l’aviation d’une autre façon. Alors, il n’est pas surprenant que l’Escadrille Lafayette, comme tous les autres escadrons, représente seulement une petite fraction de l’effort de guerre global.
* * *
Comme l’Escadrille Lafayette se situe-t-elle par rapport à l’effort globale de l’aviation de la Première Guerre Mondiale ? Les Allemands prétendent que selon leurs archives, seuls 3.000 avions ont été abattus. Ceci reflète une grande disparité avec le nombre avancé par les Alliés – 11.785 (il était peut être justifié que les Français adoptent des règles de confirmation aussi sévères).
Cependant, comme il est impossible de faire un décompte par pays des 3.000 avions allemands, il est seulement possible de prendre en compte les prétentions des Alliés. Sur les 11.785 avions abattus par les Alliés, les Anglais en ont revendiqué 7.054, les Français 3.950 * (les nombres diffèrent) et les Américains 781. Par rapport au nombre de 11.785, les 40 avions abattus par l’Escadrille Lafayette sur presque 23 mois de vol représentent seulement 0,00034% du total des avions abattus. Si on le considère d’une autre façon, en divisant le nombre de prétentions françaises (3.950) * par le nombre d’escadrilles françaises de chasse pendant la guerre, 92, on obtient 42,9 comme moyenne par unité. Donc, le nombre de Lafayette est juste en dessous de la moyenne. Si on prend le nombre de victoires revendiquées par les Américains, 781, et on les divise par le nombre d’escadrons de poursuite, 16, on obtient 48,8 de moyenne par unité. Une fois encore, les chiffres de l’escadrille sont en dessous de la moyenne.16
Ces comparaisons statistiques doivent seulement être considérées comme des moyennes ; elles ne reflètent pas une science exacte. Les totaux des victoires aériennes venaient de diverses sources ; tous les avions abattus ne sont pas imputables seulement aux escadrilles de chasse. L’intention de l’auteur est d’utiliser une formule simple pour comparer la contribution de l’Escadrille Lafayette par rapport à la totalité.
Si l’on compare les victoires de l’Escadrille Lafayette et la totalité des victoires de FAS sur une base mensuelle pour les 23 mois d’existence de l’Escadrille, on peut voir d’une autre façon comment l’unité s’est comportée par rapport à l’ensemble. Il y a plusieurs mois durant lesquels l’unité n’a pas abattu un seul avion. Vous trouverez ci-dessous un tableau de comparaison mois par mois des avions abattus par l’escadrille par rapport aux feuilles de combat de l’Aviation Française dans sa globalité. Ces pointages ont été enregistrés à partir du Journal des marches et opérations, Escadrille 124 dans les archives du Smithsonian Institution National Air and Space Museum Archives (NASMA) (Institution Smithsonian des Archives du Musée de l’Air et de l’Espace National) et The French Air Service War Chronology – 1914-1918. Le total différent de 66 plutôt que 40 victoires officielles enregistrées par l’Escadrille Lafayette reflète des revendications supplémentaires acceptées par Georges Thenault qui a signé le livre des opérations par opposition aux victoires effectivement confirmées par les autorités. Ils représentent également les « probabilités » des avions forcés à atterrir derrière les lignes ennemies (mais toujours intacts) et des revendications conjointes dans le cadre desquelles deux ou plusieurs pilotes ont revendiqué la même victoire. Parallèlement, il y a le même genre de différences dans le cadre des totaux français.
Mois Total général Total Escadrille Lafayette
1916
avril 49 0 (aucune mission de combat)
mai 80 4 (premier vol le 13 mai 1916)
juin 51 1
juillet 130 6 (un descendu par Nungesser)
août 172 5
septembre 172 5
octobre 218 5
novembre 139 2
décembre 182 3
1917
janvier 83 3
février 64 0
mars 102 0
avril 129 8
mai 47 0
juin 175 1
juillet 156 0
août 211 1
septembre 279 10
octobre 172 11
novembre 47 0
décembre 115 3
1918
janvier 145 1
février 131 0
total 3349 66 17
Il y a onze mois pendant lesquels l’escadron a enregistré un ou aucun avion abattu, c’est à dire pendant la moitié de son existence ; sur une période ramenée à neuf mois sans avion abattu, si le premier et le dernier mois de l’existence de l’escadron ne sont pas pris en compte, il y a quinze mois pendant lesquels l’unité a revendiqué au plus 3 avions abattus. Globalement, le nombre officiel d’avions abattus de 40 représente 1,7 avion abattu par mois. Si l’on déduit les 17 avions abattus par Lufbery, il reste à l’escadron juste 23 avions, soit 1 avion par mois. Ces statistiques seules peuvent être trompeuses, mais ce n’est pas le but de l’auteur de décomposer le total de chaque unité par mois. Cependant, il est intéressant de voir comment l’unité se situe dans le contexte général. Il est bien sûr injuste de ne pas considérer les avions abattus par Lufbery, bien que les chances soient faibles que quelqu’un d’autre dans l’unité ou un remplaçant aient pu atteindre son score. Néanmoins, si l’on retranche ses victoires, les efforts de l’unité sont encore plus insignifiants.
L’Escadrille Lafayette comparée aux autres escadrilles françaises
Comparée aux 92 autres escadrilles de chasse françaises, on a déjà vu que l’Escadrille Lafayette avait enregistré une moyenne d’avions abattus inférieure (42.9 à 40). Le lecteur pourra se demander si les chiffres inférieurs étaient réellement de la faute de l’escadrille si l’on considère que l’unité a été mise en place plus tard que les autres et que peut-être elle n’avait pas la même chance d’évoluer aussi vite que les autres sur le front. Le lecteur pourra également se demander si, l’unité ayant été démantelée au début 1918, elle n’était pas dans l’incapacité de tirer avantage de la période future dans la guerre, lorsque les avions étaient abattus plus rapidement car les Allemands étaient écrasés et la fin était proche pour eux. Bien que l’auteur ne puisse pas complètement vérifier le premier point, il peut se référer au French Air Service War Chronology et vérifier ce que les autres ont accompli pendant cette période. Malheureusement, une comparaison avec les résultats et circonstances futures est hors de question parce que cela impliquerait trop de spéculations.
Au moment de la formation de l’Escadrille Lafayette, l’aviation en était à ses balbutiements et devait plus tard enregistrer des gains en matière de vitesse et mortalité qui devaient caractériser les avions à la fin de la guerre. Cependant, courant avril 1916, lorsque l’Escadrille Lafayette a été créée, le sous-lieutenant Navarre du N-67 avait déjà abattu 9 avions ; l’adjudant Nungesser du N-65 en avait eu 7 et le sous-lieutenant Guynemer en avait eu 8 et ils devaient les accumuler à une moyenne de 1 à 2 par mois. A cette époque, en 1916, les victoires n’étaient plus enregistrée de temps en temps comme c’était le cas au début de la guerre, alors que les avions et les armes étaient rudimentaires et inefficaces et alors que les avions abattus l’étaient plus par chance que par capacité et efforts. Les hommes volaient et combattaient avec leurs machines avec déjà un certain degré de réussite.18
Comment les pilotes de l’Escadrille Lafayette considéraient-ils leur propre contribution ? Après que l’enthousiasme initial et l’attrait de la nouveauté se soient calmés, la réalité d’un conflit long et brutal s’est installée. Les hommes ont connu la frustration alors qu’ils ne pouvaient pas abattre d’avions et donc influencer les événements. Les rares avions abattus étaient certainement fêtés ; une « Bouteille de Mort » spéciale avait été incorporée dans le mess de l’escadron au nom de Rockwell, qui devait être partagée seulement après une victoire confirmée. La Bouteille a dû rester pratiquement intacte jusqu’à l’arrivée de Lufbery. Les hommes se chamaillaient au sujet des victoires et se suspectaient les uns les autres sur la véracité de leurs revendications, mais c’était seulement le résultat du manque de victoire des hommes. Certains d’entre déprimaient au sujet de leur manque de succès. Kiffin Rockwell a fait remarquer à son frère dans une lettre : « l’Escadrille n’en fait pas plus autre escadron français » 19 C’était apparemment vrai.
L’Escadrille Lafayette comparée à tous les escadrons de poursuite aéronautique de l’USAS
Comparés aux escadrons de poursuite aéronautique américains (APS) qui formaient l’élément de combat de l’USAS, les résultats de l’Escadrille Lafayette sont encore moyens. L’Escadrille Lafayette a existé pendant un total de 674 jours et bien sûr a totalisé 40 victoires (comparée à une estimation de 47,25 victoires pour l’escadron de poursuite d’USAS). Comparer l’Escadrille Lafayette aux escadrons de poursuite américains futurs – même si certains d’entre eux ont volé sur le même type d’avions – n’est pas complètement juste car les tactiques ont changé ou se sont améliorées. Les situations stratégiques étaient différentes, l’effort de guerre s’accélérait etc. Les unités étaient le produit d’époques et de circonstances différentes. Cependant la majorité de ces unités ont enregistré de meilleurs scores que ceux de l’Escadrille Lafayette, même s’ils ont connu une période de combat plus courte.
Les nombres et listes suivants dans le Chiffre 1 ont été repris à partir d’Over the Front : A Complete Record of the Fighter Aces and Units of the United States and French Air Services, 1914-1918 par Frank Bailey, document de recherche complet et exhaustif, accompagnant l’ouvrage The French Air Service War Chronology du même auteur.
Unité Jour de mise en route Victoire/avions Nombre d’as Nombre de jours de
ou 1ère patrouil vol(jusqu’à l’armistice)
N-124 16/04/16-18/02/18 40 1 674 jours
13ème APS 29/07/18 29 5 106 jours
17ème APS 15/07/18 53 6 119 jours
22ème APS 16/08/18 46 4 88 jours
27ème APS 2/06/18 56 6 163 jours
28ème APS 2/09/18 15 2 71 jours
49ème APS 14/09/18 24 0 59 jours
93ème APS 11/08/18 31 3 93 jours
94ème APS 14/04/18 67 6 212 jours
95ème APS 18/02/18 47 5 268 jours
103ème APS 26/02/18 49 7 260 jours
139ème APS 30/06/18 37 7 135 jours
141ème APS 23/10/18 2 0 19 jours
147ème APS 15/07/18 31 6 117 jours
148ème APS 15/07/18 47 7 147 jours
213ème APS 14/08/18 16 1 90 jours
185ème APS (novembre 1918) 0 0 ~ jours
total/ 553 67 as
moyenne ( ÷15) 36.86 4.46 121 jours
Note : Lufbery était avec le 94ème mais n’avait pas enregistré de victoire. Thaw était avec le 103ème et a revendiqué 2 avions. Peterson était avec le 94ème et est devenu un as.
Les 15 escadrons de poursuite américains (le 185ème n’est pas compté parce qu’il a été créé les derniers jours de la guerre) ont enregistré presque 37 victoires pour une période moyenne d’existence de 121 jours; ceci bien sûr tient compte des escadrons qui n’ont été présents que quelques semaines à la fin de la guerre, ce qui baisse la moyenne générale. Ces escadrons ont un « ration temps de service/victoires » beaucoup plus élevé que celui de l’Escadrille Lafayette. Les escadrons de poursuite comptaient en moyenne 4,2 as par unité. Parmi ces 16 escadrons de poursuite, 5 ont enregistré de meilleurs résultats que ceux de l’Escadrille Lafayette et ces 5 là y sont parvenus dans une moyenne de 165 jours, c’est à dire 24% de 674 jours.
Là encore, les chiffres peuvent être trompeurs mais l’effet général de la comparaison permet de montrer que l’Escadrille Lafayette n’a rien accompli d’extraordinaire pendant son temps de service.
L’Escadrille Lafayette comparée au 103ème Escadron de Poursuite Aérienne
La comparaison la plus directe qui peut être effectuée entre l’Escadrille Lafayette et une unité américaine est de la comparer avec le 103ème Escadron de Poursuite Aérienne (APS), le successeur américain immédiat et direct de l’Escadrille Lafayette. L’Escadrille Lafayette a été démantelée le 18 février 1918 et le 103ème, qui portait ses couleurs et sa lignée a été mis en place officiellement le même jour. Bien que le journal officiel des opérations de vol de l’escadron ne soit pas complet, le tableau ne commence pas avant e 1er avril 1918, il est ininterrompu de cette date jusqu’au 11 novembre 1918, jour de l’Armistice où les opérations de vol ont cessé. Pendant ces 260 jours, l’unité a connu 55 jours de mauvaise temps pendant lesquels les pilotes ne pouvaient pas voler, 8 autres jours ont été consacrés au transfert de l’unité vers les différentes bases. Cela veut dire qu’il y avait 197 jours effectifs possibles de vol, ou 75 % des jours. Si l’on rajoute les 69 jours pendant lesquels l’unité, pour quelque raison que ce soit, a effectué des patrouilles de combat mais n’avait « rien à signaler » (RAS), alors le nombre total de jours de vol possibles pour combattre les Allemands dans le vrai combat tombait à 128 jours, c’est à dire 49% du temps. Cependant, pendant ces 128 jours, l’unité a volé dans le cadre de 470 missions, a pris part à 327 combats, a battu 47 appareils et 2 ballons (avec 82 deux autres avions et 2 ballons listées comme « probables »), a volé pendant 3.075 heures de combat et lancé 1.620 livres de bombes dans les trois derniers mois de la guerre. On arrive à une moyenne de 1 avion ennemi abattu tous les 4.2 jours de vol ou 1 avion ennemi abattu tous les 2,7 jours de temps de combat utile. 28 différents pilotes ont enregistré des victoires individuelles ou en tandem avec un autre camarade d’escadron. L’unité comptait également un total de 7 as, dont 4 ont gagné toute leurs victoires dans le 103ème. Trois des as ont eu des transferts de victoires d’autres unités, y compris William Thaw qui a en enregistré avec l’Escadrille Lafayette. Quatre pilotes au total avaient été transférés de l’Escadrille Lafayette — Thaw, James Norman Hall, Christopher W. Ford et Charles H. Dolan – mais sans compter Thaw qui était le commandant de l’escadron et qui a enregistré 3 victoires alors qu’il était avec le 103ème, les autres n’étaient pas des responsables d’escadron et au moins 10 des autres 28 hommes comptaient davantage de victoires qu’eux. Ceci est particulièrement surprenant étant donné que la majorité des hommes dans le 103ème étaient des pilotes jeunes, sans expérience et avaient été formé en Amérique.20
On peut le comparer à l’Escadrille Lafayette qui a enregistré 40 victoires en 674 jours. Or, en soustrayant les 189 jours environ de mauvais temps (152), les transferts de l’unité (30), les jours de repos spéciaux de l’Escadrille Lafayette (7), le nombre devient 40 victoires en 485 jours de vol possibles, à peu près 1 victoire tous les 12 jours. Si les jours de RAS sont additionnés, à hauteur de 125 jours complets, l’unité a disposé de 353 jours pour rencontrer l’ennemi. 40 victoires en 353 jours équivaut à 1 victoire tous les 9 jours. L’Escadrille Lafayette a également enregistré plus de 3.000 heures de combat mais l’unité n’a pas réussi à égaler les résultats du 103ème. Et c’est seulement 1 as, Lufbery, qui a remporté la majorité des victoires et seulement 16 des 42 pilotes ont enregistré des victoires. 21
Dans cet exemple, les nombres résultant de la comparaison directe sont éloquents.
L’Escadrille Lafayette dans le contexte de l’Effort de Guerre Global
Lorsque la guerre s’est terminée le 11 novembre 1918, il y avait 45 escadrons américains de tous types, 740 appareils appartenant à l’USAS, 767 pilotes USAS, 481 observateurs, 23 tireurs aériens et des milliers d’hommes qui les assistaient à travers l’Europe. Les Américains ont revendiqué 781 avions et 73 ballons ennemis alors que les pertes américaines se sont élevées à 289 avions et 48 ballons. Les Américains ont pris part à 150 raids de bombardement, lancé 27.500 livres d’explosifs et volé pendant plus de 350.000 heures.22
Lufbery : le Seul As de l’Escadrille Lafayette
La contribution de l’Escadrille Lafayette dans le nombre d’as de la guerre était manquante, en fait seul Lufbery deviendrait un as durant l’existence de l’Escadrille Lafayette. Ci-après les nombres confirmés de victoires par les pilotes du N124 : 23
Nom Victoires
Lufbery, G . Raoul 17
DeLaage deMeux 3
Prince, Norman 3
Hall, Bert 3
Rockwell, Kiffin 2
Thaw, William 2
Hall, James 1
Haviland, Willis 1
Johnson, Charles 1
Jones, Henry 1
Lovell, Walter 1
Masson, Didier 1
Marr, Kenneth 1
Nungesser, Charles 1
Parsons, Edwin 1
Peterson, David 1
Cowdin, Elliot 1
Total 40
Sur les 42 pilotes, seuls 16 ont enregistré des victoires (Nungesser n’est pas compris ; était attaché à l’unité pour un seul vol, pendant lequel il a enregistré une victoire). La pierre précieuse de l’Escadrille Lafayette était un homme du nom de Lufbery. Ses 17 victoires officielles et éventuellement jusqu’à 40, ont remonté la moyenne des victoires pour l’Escadrille Lafayette ; il est réellement le membre le plus célèbre.
Mais pourquoi l’Escadrille Lafayette n’a-t-elle pas produit davantage d’as ? Il y avait un total de 118 as américains et 186 as français pendant la guerre. Si l’on prend le nombre d’as américains divisé par le nombre total d’escadrons américains, 45, on arrive à 2.6 as pour chaque unité, ou si l’on prend le nombre de pilote américains à la fin de la guerre en Europe, 767, divisé par le nombre d’as, 118, on arrive à la moyenne de un as pour 6.5 pilotes. Si l’on prend les 186 as que les français ont produits, divisés par le nombre d’escadrilles de chasse, 92, on arrive au moins à 2 as par unité. Bien que ces calculs ne signifient rien, cela pose encore la question suivante « Où étaient les autres as dans l’Escadrille Lafayette ? ».
Certains des pilotes Lafayette devaient devenir des as plus tard dans la guerre mais pourquoi n’y en a t-il pas eu davantage pendant les 674 jours d’existence de l’escadrille ? Cet auteur s’est reporté aux Journale des marches et opérations, Escadrille 124 qui étaient conservés par l’escadron et vérifiés par le Capitaine Thenault afin de trouver une ou plusieurs raisons possibles. L’auteur a décidé de chercher dans les archives et de pointer le nombre de vols de chaque pilote dans l’Escadrille. Etant donné que les archives ne sont pas complètes, elles commencent de façon abrupte le 24 août 1916 (mais se terminent le 25 février 1918), l’auteur a choisi de prendre en considération une année d’archives de vol de l’unité afin de mieux gérer et comparer les informations. En choisissant d’examiner les dates du 24 août 1916 au 24 août 1917, l’auteur a fait en sorte de concilier l’habitude de vol et les exemples de la majorité des pilotes de l’Escadrille au cœur de ses opérations. La date de départ qui coïncide avec la date de départ des archives d’aviation a également permis de prendre en considération tous les membres originels de l’unité et d’enregistrer leurs performances sur une année.
On doit tout d’abord examiner comment les opportunités se présentaient dans l’unité. Comme mentionné ci-dessus, un rapport sur les jours possibles d’examen indique que l’escadron disposait d’un total de 674 jours entre la période calendaire du 16 avril 1916 au 25 février 1918. A partir de ce chiffre, 152 jours ont été annulés pour cause de mauvais temps et l’unité n’a pas volé du tout. 37 autres jours ont été utilisés pour les transferts de l’escadron lorsque l’unité a été transférée d’un terrain d’aviation à un autre, procédure qui pouvait prendre de 1 à 7 jours. Ces 7 jours comprenaient également 4 ou 5 jours pendant lesquels il était accordé à toute l’unité une permission spéciale, c’est à dire le 4 juillet jour de l’Indépendance Américaine. Au total, il y avait environ 189 jours sans vol à raison du temps, aux transferts et aux permissions, ce qui représente 24% des 674 jours dont disposait l’escadron pour le combat. Il est évident qu’il y a des jours où l’unité n’a pas volé ni livré de combat. L’auteur a compté les jours pendant lesquels l’escadron a volé en patrouille complète, mais n’a pas rencontré quoi que ce soit pendant la journée, c’est à dire les jours RAS. Que ces jours RAS soient dus à un temps mauvais mais permettant cependant de voler, à un manque d’activité ennemie, ou simplement à un manque de chance pour trouver un motif de rapport, le résultat était le même, c’était un autre jour RAS. Ces jours RAS représentent 102 jours complets. En additionnant les deux, on arrive à 291 jours c’est à dire 43 de temps pendant lequel un pilote d’escadron n’a pas été ne mesure d’enregistrer une victoire ou de mener un combat. Il restait 383 jours pour sortir et voler afin d’abattre des avions. Si l’escadron était au complet pour les appareils et les hommes, soit respectivement disons 12 et 12, et si le pilote d’escadron moyen comptait voler au mois 3 fois par semaine, alors le pilote d’escadron moyen avait environ 127 opportunités de voler pendant les jours possibles. Si l’on retranche les jours de congé, de repos et détente, les alertes, maladies et tâches administratives telles que le transport d’avion à destination ou en provenance de Paris ou d’ailleurs, et toute autre chose qui pouvait affecter le statut du pilote, on peut voir que le pilote de Lafayette n’avait pas tant d’opportunité de voler. En conséquence, s’il voulait augmenter les chances de devenir un as, alors il devait voler autant que possible.
C’est ce que des hommes comme Lufbery ont fait. D’autres dans l’Escadrille en étaient loin. Pour les hommes qui volaient par passion, presque par obsession, comme Lufbery étaient surs d’enregistrer des victoires, pour peu que la chance et une dose d’adresse soient du côté du pilote. Mais il y a toute une gamme de raisons pour lesquelles les autres hommes ne volaient pas aussi souvent ; certaines étaient légitimes, d’autre non. La guerre aérienne était très stressante ; personne ne remet en question le fait que voler, spécialement durant cette période, était encore une nouveauté. On ne savait pas encore bien comme le fait de voler affectait le pilote physiquement et psychologiquement, etc. Beaucoup d’hommes avaient cherché la gloire et la célébrité que le ciel promettait mais la vérité crue était que voler était une tâche difficile et fatigante, particulièrement lorsque quelqu’un essayait de vous tuer. L’espérance de vie des nouveaux pilotes tournait aux alentours de 2 ou 3 semaines. 24 Et certains des hommes réalisaient que le point n’était pas de savoir s’ils seraient abattus, mais plutôt quand. Les hommes de l’Escadrille Lafayette avaient également enterré beaucoup de leurs camarades d’escadron ; certains enterrements ont refroidi même le moral des plus durs. Les pertes par l’escadrille de jeunes gens comme Kiffin Rockwell et Norman Prince étaient inquiétantes et douloureusement réelles. Cependant, il y a quelques hommes de l’Escadrille Lafayette qui n’ont vraiment pas beaucoup volé. Certains des noms sont surprenants ; certains étaient prévisibles. Mais, tout compte fait, ces hommes qui ne volaient pas souvent diminuaient le succès de l’escadrille et faisaient supporter à un petit nombre la charge de travail de tous et il y avait des limites à ce que pouvaient faire Lufbery et quelques autres.
A présent, l’auteur se penche sur l’examen des archives de vol des hommes. Pendant la période de référence entre le 24 août 1916 et le 14 août 1917, sur 365 jours, on a compté 205 jours de vol possibles (à raison du temps et des transferts, etc.) La grande disparité existant dans les temps de vol enregistrée par l’auteur entre les pilotes de l’escadrille durant cette période tes surprenante et dans certains cas très importante. Par exemple, sur les pilotes qui étaient présents pendant la totalité des 205 jours – c’est à dire la majorité des pilotes originels de l’escadron d’origine comme Lufbery, Thaw, Johnson, Hill et Thenault, Lufbery mène le groupe avec 155 vols sur 205 jours, soit un record de vol de 76% du temps de vol possible. Thaw comptait 109 vols sur 205 jours. Johnson, un des membres les moins courageux de l’escadrille ne comptait que 50 vols sur 205 jours, soit 24%. Hill comptait 62 vols sur 205 jours, pour un petit 30% et le Capitaine Thenault, commandant d’escadron, seulement 32 vols, soit un très petit 16%. Certains des hommes volaient plusieurs fois par jour, si bien que le nombre exact de vols ne correspond pas au nombre de jours de vol, mais cependant cette méthode donne une petite idée de la façon dont les hommes optimisaient le temps disponible pour voler. Certains avaient peut-être des excuses ; un homme comme Thenault était peut-être pris par ses obligations administratives de gestion de l’escadron ; il a également été malade pendant un mois sur l’année et n’a donc pas pu voler aussi souvent. Mais ces nombres démontent une chose certaine : si un pilote ne vole pas, il ne combat pas et en conséquence, il n’abat pas d’avion ennemi. Lufbery a réalisé la moitié de ses victoires pendant cette période ; Thaw l’une de ses deux victoires alors qu’il était avec l’Escadrille, Johnson une, Hill une et Thenault à juste titre aucune.
Une ventilation pour tous les pilotes de l’Escadrille est présentée ci-dessous en utilisant cette méthode ; les pilotes qui ont été tués en action, transférés de l’unité ou qu l’ont rejointe trop tard en 1917 pour être comptés de façon effective, sont exclus.
Dates : du 24 août 1916 au 24 août 1917 (205 jours de vol possibles pendant cette période d’un an).
Nom nombre de vols/jours possibles de vol % avions abattus
Lufbery 155/205 76% 10
Thaw, W 109/205 53% 1
Johnson, C 50/205 24% 1
Hill, D 62/205 30% 0
Thenault, G 32/205 16% 0
Soubiran, R 63/173 36% 0
Haviland, W 61/173 35% 1
Parsons, E 92/151 61% 1
Bigelow, S 62/146 42% 0
Willis, H 103/135 76% 0
Lovell, W 58/133 44% 1
Dugan, J 50/114 44% 0
Marr, K 62/113 55% 1
Campbell, A 65/104 63% 0
Rockwell, R 80/174 46% 0
Hewitt, T 60/113 55% 0
Jones, C 49/81 60% 1
Bridgman, R 54/91 54% 0
* * *
Mais qu’en est-il de Lufbery ? N’a-t-il pas assuré la gloire de l’unité avec toutes les victoires qu’il a remportées ? Tout d’abord, il est mort en action le 19 mai 1918, alors qu’il volait pour le 94ème APS. Il n’a donc pas pu faire profiter l’unité de sa célébrité. Deuxièmement, c’était un homme très secret, qui n’aimait pas les feux de la rampe. C’était un homme dévoué à l’aviation qui abattait des avions pour venger le seul véritable ami et famille qu’il ait jamais connu, Marc Poupre, célèbre aviateur français. Lufbery n’a jamais fait état des avions abattus et ne cherchait pas la publicité. S’il donnait des interviews, il racontait ses exploits d’une façon neutre, sans fioritures et sans fanfare, comme si ce qu’il faisait était la chose la plus naturelle du monde. Beaucoup des membres de l’Escadrille Lafayette ne le comprenaient pas et ne pouvaient pas le cerner. Il était très rare qu’il se confie et ce n’est sans doute pas bizarre que son meilleur ami dans l’unité ait été la mascotte, le lion Whiskey, avec qui il avait une relation particulière et qu’il préférait à tous les autres pilotes. 25
Pour Lufbery, le pilotage n’était pas inné malgré toutes les preuves du contraire. Il a volé en tant qu’observateur pendant un moment avant de devenir pilote. Il était considéré comme moyen lors des cours de pilotage et c’est seulement sa ténacité et son énergie qui lui ont fait une place dans les escadrilles de chasse. Lorsqu’il est arrivé, son temps était compté dans l’unité. Il ne parlait pas et évitait les fanfares et politiques de l’escadron, préférant se mêler de ses propres affaires. Il inspectait méticuleusement son appareil, jusqu’à charger individuellement chaque cartouche dans la ceinture de la mitraillette pour qu’elle ne s’enraye pas pendant le combat – problème notoire avec les Lewis. Il connaissait également son avion par cœur et travaillait avec les mécaniciens sur les avions pour en apprendre davantage. Cette approche a été payante puisqu’il a bientôt commencé à abattre des avions ennemis plus rapidement et plus souvent que tout autre pilote de l’Escadrille. Comme tous les as, il a montré son aptitude à traquer sa proie patiemment et impitoyablement, tirant avantage de son expérience et de ses techniques. Pendant la Première Guerre Mondiale, 4% des pilotes ont enregistré 50% des avions abattus par les Français. 26 Lufbery a contribué à hauteur de 42.5% des victoires enregistrées par l’Escadrille Lafayette
Si Lufbery avait survécu, il aurait pu être un ambassadeur remarquable pour l’escadron qui aurait pu devenir un des chouchous des Américains ; l’Escadrille Lafayette aurait eu le parfait émissaire pour transmettre l’histoire de l’unité. mais il est peu probable que ceci se soit passé étant donné que Lufbery n’était pas très charismatique et plutôt secret. Cependant, le record de victoires de Lufbery n’était cependant pas suffisant pour ancrer sa légende très longtemps car de nombreux pilotes allaient dépasser son record, totalisant plus de victoires qu’il aurait même pu imaginer. Mais même si son record a pratiquement doublé le nombre des victoires de l’escadron, les résultats d’autres ont diminué le sien. Par exemple, Billy Bishop a abattu 25 appareils dans une période de 12 jours ! Renee Fonck, l’as français de tous les temps, en a enregistré 75. Dix-sept as français et 2 as américains ont abattu plus d’avions que Lufbery.27
Le Corps d’Aviation Lafayette
Les 209 hommes du Corps d’Aviation Lafayette, comprenant les pilots de l’Escadrille Lafayette, dont certains ont volé pour les Français par la suite, a enregistré au total 199 victoires pendant la durée de la guerre. Ces victoires ont bien sûr été ajoutées aux totaux français car les hommes volaient avec des escadrilles françaises. Sur les 209, seuls 180 hommes sont effectivement allés au front. 13 sont devenus des as. Les comparaisons posent davantage de problèmes avec ces 180 hommes parce qu’ils étaient dispersés dans de nombreuses escadrilles françaises. Il convient de dire que les efforts de ces Américains était mesurés plus en termes intangibles qu’en termes de résultats palpables réels.28
Un Tableau de Combat Oublié
L’Escadrille Lafayette a été un véritable événement publicitaire lorsque l’escadron s’est organisé et elle a attiré l’attention tout au cours de son existence, comme étant la seule unité d’aviation américaine dans la guerre. Mais comme il a été démontré, les efforts de ces 38 hommes américains ne représentaient qu’une toute petite part de l’horrible et longue guerre. Et les modestes résultats de l’Escadrille Lafayette, bien qu’appréciés, ne les ont pas rendus plus spéciaux que toutes les autres unités du front ou de ceux qui volaient au dessus des lignes. D’autres unités ont enregistré plus de victoires, davantage de célébrité et de gloire.
L’auteur reconnaît que les résultats de l’Escadrille n’étaient pas le seul impact de l’unité sur la guerre mais il pense que c’est là une des raisons pour lesquelles l’unité, bien qu’elle ait été très populaire à une époque, n’a pas résisté au temps. Si l’unité avait réellement été l’élite et si elle avait contenu des personnages aussi pittoresques qu’Eddie Rickenbacker ou Billy Mitchell, alors peut-être qu’elle aurait supporté les assauts du temps.
* * *
Un exemple de ce type d’unité existe au XXème siècle et c’est une unité à laquelle les Américains s’associent et connaissent très bien. L’unité est le Groupe de Volontaires Américains (AVG) ou les « Tigres Volants » célèbres en Chine/Birmanie, et celle, en fait, qui était le plus universellement reconnue dans les sondages.
Là encore, la comparaison entre les deux unités est problématique car elle concerne des périodes, circonstances, conditions, ennemis, équipements et une assistance différents de ceux pour lesquels l’AVG avait l’approbation tacite du Gouvernement américain. L’AVG n’avait pas de concurrent parce qu’il travaillait seul ; il n’y avait pas d’autres unités stationnées avec lui ; il n’y a pas de comparaison contemporaine possible.
Néanmoins, les résultats étaient spectaculaires et ont apporté à l’unité une célébrité éternelle. En sept mois, elle a détruit 297 appareils japonais et en a probablement encore détruit 153. Bien que 22 pilotes aient perdu la vie, ils ont réalisé un ratio de victoires beaucoup plus important et dans une période plus courte que l’Escadrille Lafayette. Les personnages pittoresques comme « Pappy » Boyington, pilote appartenant aux Marines qui était à la tête d’un célèbre escadron, « les Moutons Noirs » pendant la Seconde Guerre Mondiale, et le commandant de l’AVG le Général Claire Chennault, ont assuré la célébrité éternelle de l’unité. Le nom de l’unité a également été préservé à travers l’histoire, en devenant une partie de la 4ème Force Aérienne pendant la Seconde Guerre Mondiale, et par le biais d’une société de transport privée qui porte son nom. De même, l’emblème de l’escadron, la Dent du Tigre, peinte sur les avions de l’unité, est un facteur de reconnaissance immédiat, que le Guerrier Sioux Hurlant de l’Escadrille Lafayette n’a pas réussi à créer aux Etats Unis. 29
* * *
L’auteur a tenté d’établir qu’il existe un lien possible entre les résultats moyens de l’Escadrille Lafayette et la raison pour laquelle elle a été négligée. C’est dommage mais son résultat moyen n’a sans doute pas milité en faveur de la célébrité éternelle de l’Escadrille Lafayette.
- Flammer, Philip M., Primus Inter Pares (Mémoire, Yale, 1963), p. iv.
- Ibid.
- Thenault, Georges, L’Escadrille Lafayette (Paris, Librarie Hachette), p. 32.
- Whitehouse, Arch, Legion of the Lafayette (NY, Doubleday, 1962), p. 88.
- Parsons, Edwin C., I Flew with the Lafayette Escadrille (NY, Doubleday and Doran, 1937), p. 112.
- Gordon, Pilot Biographies, p. 27.
- Thenault, L’Escadrille Lafayette, p. 93.
- Parsons, I flew with the Lafayette Escadrille, p. 145.
- Mason, Herbert M., The Lafayette Escadrille (NY, Random House, 1964), p. 88.
- Ibid.
- Genet, Edmond C., An American for Lafayette (The University of Virginia Press, 1981), p. 170.
- Kennett, Lee, The First Air War (NY, The Free Press, 1981), p. 83.
- Ibid., p. 84.
- Ibid.
- Ibid., p. 85 et 217.
- Kennett, The First Air War, p. 164.
- Bailey, The French Air Service War Chronology. Les chiffres cité viennent de ce livre.
- Ibid.
- Mason, The Lafayette Escadrille, p. 88.
- 103rd Aero Pursuit Squadron Logbook, AFHRA, Maxwell AFB, Alabama.
- Journal: Escadrille N° 124.
- The U.S. Air Service in World War I, Vol. I (Washington, D. C.: Office of Air Force History, 1978), p. 17.
- Mason, The Lafayette Escadrille, p. 295.
- Parsons, I Flew with the Lafayette Escadrille, p. 216.
- Ibid., p. 220.
- Kennett, The First Air War, p. 169.
- Ibid.
- Gordon, Dennis, The Lafayette Flying Corps (Penn., Schiffer Military Historical Press, 2000).
- Ford, Daniel, Flying Tigers (Washington, D. C., Smithsonian Institute Press, 1991).