Introduction

Pierre Dabezies et Jean Klein

Est-il opportun de débattre d’une question – la réforme de la politique française de défense – qui a d’ores et déjà retenu l’attention des spécialistes et suscité de nombreuses publications ? Si le Centre de Relations Internationales et de Stratégie (CRIS) a cru devoir organiser un colloque sur ce thème, c’est dans le dessein d’accroître la visibilité des études de défense au sein de l’Université française où elles ont acquis droit de cité dans les années soixante-dix.

L’Université de Paris-I a été pionnière en ce domaine. Le CRIS a remplacé le CEPODE (Centre d’Études Politiques de Défense), créé en 1971 et le DEA de Relations internationales (option Politique et Stratégie) a plus de vingt-cinq ans d’existence.

Des divergences peuvent parfois s’établir entre les universitaires, rétifs à la pensée unique, et les militaires, portés à ressentir comme critique toute analyse non conforme à la ligne des armées. Une bonne illustration en est donnée par l’actualité. Dans les années passées, certains spécialistes ont, en effet, préconisé un changement de style et d’attitudes de commandement, une ouverture plus grande des casernes, moins de spécificité, bref, une adaptation plus directe de l’armée aux réalités sociales nouvelles. Or, pareilles suggestions n’ont pas toujours été bien accueillies, leur auteur étant facilement suspecté de vouloir dénigrer l’armée. Aujourd’hui, dans la mesure où certains ont expliqué l’abandon de la conscription par son caractère archaïque, peut-être peut-on regretter qu’une plus grande attention n’ait pas été portée à ce type d’analyse !

Conscription/armée de métier : dans sa partie centrale, la réforme présente a, en fait, des racines anciennes, attestées par d’innombrables débats, des numéros spéciaux de revues, voire des colloques, tel, en 1991, celui de la FEDN. Des commissions avaient notamment établi que, dans un pays sophistiqué et syndicalisé, l’organisation d’un vaste « service national » était devenue illusoire… Question de droit, de finances, de compétences, d’encadrement etc. C’est dire que quand le président Jacques Chirac a annoncé son choix d’une armée professionnelle en souhaitant qu’on discute en quelque sorte « du reste », il n’y avait plus grand chose à discuter. La décision majeure aurait dû être prise en « aval » : la prendre « en amont » du débat, c’était le stériliser.

Les « écoles » favorables à la réforme avancent des arguments parfois divergents. Pour les uns, « l’État militaire » – à part, exclusif, spécifique – implique l’armée professionnelle qu’une trop grande proximité avec la société civile ne peut qu’affaiblir ou dégrader. Pour d’autres, l’arme nucléaire ayant rendu la conscription inutile, les mesures actuelles sont parfaitement fondées. Foin des gros bataillons… à ceci près qu’en l’occurrence la réforme vise à projeter des forces, ce qui précisément n’est pas dans la ligne de la dissuasion à tout prix ! D’autres enfin estiment qu’avec la Révolution, l’Empire et les grandes guerres la France traîne derrière elle un appareil martial démesuré. L’armée doit être réduite à un service public et le pays démilitarisé. Enfin, à droite comme à gauche, on trouve les tenants de ce que l’on peut appeler « l’école anglo-saxonne », hostile au refus gaullien de rentrer dans l’OTAN et à toute exception française. L’armée doit être au service de l’Europe et de l’Occident ; le reste est dépassé !

Autre problème, « l’outil » et le « projet ». On peut discuter du dilemme service militaire – armée de métier sur le plan technique, politique, sociologique, de même sous l’angle stratégique et financier, en trouvant des arguments des deux côtés. Au-delà de l’outil, du comment, il y a cependant le pourquoi, le projet. L’arme atomique n’était-elle pas d’abord, pour le général De Gaulle, un moyen politique ? Des forces projetables, pour qui, dans quel cadre ?…

L’OTAN hégémonique ou l’Europe otanisée, l’Europe européenne, la France ?… N’a-t-on pas été un peu vite en changeant l’outil, sans bien distinguer encore sa finalité, la menace étant floue et l’avenir politique mal déterminé ?

Repoussant au débat de l’après-midi deux autres questions essentielles, l’avenir du lien armée-nation et l’impasse apparemment faite sur tout ce que recouvre le vocable élargi de DOT (Défense Opérationnelle du Territoire), on peut se demander, en définitive, si cette décision précipitée aux allures de pari – source probable d’une force et d’une influence réduite – a été suffisamment pesée. Inconnue du recrutement, pesanteur négative des finances, commandes d’armement en baisse alors qu’il faut doper l’industrie, moyens de projection partiellement hypothétiques… autant de questions, parmi d’autres, que ce colloque doit aider à élucider en éclairant, du même coup, une réforme nécessaire dans son principe mais incertaine, peut-être, dans ses effets.

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