LA PENSEE NAVALE AUTRICHIENNE (1885-1914). PREMIERE APPROCHE

Olivier Chaline et Nicolas Vannieuwenhuyze  

Les responsables de la marine impériale et royale, mais aussi des terriens (publicistes ou militaires), ont doté l’Autriche d’une véritable pensée navale2. Ils ont réfléchi, non sans désaccords ni difficultés, aux opérations à envisager. Ils ont eu à concevoir des tactiques adaptées à l’espace adriatique comme à intégrer de plus en plus cette mer étroite bordière à une stratégie plus large dirigée en priorité contre l’Italie. Fallait-il s’en tenir à une prudente défense des côtes ou bien adopter des dispositions résolument offensives en portant, de surcroît, la guerre hors de l’Adriatique ? Quelles doctrines navales ont marqué la réflexion autrichienne ? Comment ont-elles été adaptées aux nécessités propres à la double monarchie ? On doit malheureusement s’en tenir, pour le moment, à un simple repérage des traits saillants. Les historiens autrichiens, s’ils ont abondamment écrit sur la marine, ses programmes et ses navires, n’ont guère envisagé cet aspect pourtant essentiel3. Il est vrai que le don par l’Autriche à l’ex-Etat yougoslave des restes de la bibliothèque maritime de Pola n’a pas facilité la tâche des chercheurs qui doivent, désormais, rassembler une matière très dispersée faite d’articles de revues, de pamphlets, d’ouvrages officiels et de livres de réflexion théorique.

Il a donc fallu se contenter provisoirement de donner ici un premier aperçu nécessairement incomplet de la pensée navale propre à un Etat multinational, continental et dont l’ »allié » italien fut le principal ennemi4. On ne saurait donc en négliger les données spécifiques, afin de mieux comprendre la vogue puis le dépassement de la « Jeune Ecole » ainsi que l’engouement tardif pour une flotte puissante.

Loin de reprendre passivement des modèles théoriques importés, la pensée navale autrichienne doit tenir compte de données spécifiques qui font peser sur elles des contraintes certaines. Elle doit d’abord parvenir à s’imposer. Même si les Habsbourg ont été les héritiers de Venise et de son domaine adriatique, l’ancienne « dominante » étant le principal arsenal, au moins jusqu’en 1848, puis restant autrichienne jusqu’en 1866, tandis que l’Istrie et les territoires de Dalmatie, accrus de ceux de l’ancienne république de Raguse, appartiennent à la monarchie jusqu’en novembre 1918, la dynastie n’a guère eu le souci de la mer. Les priorités militaires sont clairement terrestres pour la double monarchie qui est le seul grand Etat européen avec la Russie à être dépourvue de colonies outre-mer. En dépit de croisières lointaines, notamment à Guadalcanal, et de quelques visées vite oubliées, comme sur le Sahara espagnol en 1898, l’aventure coloniale n’a guère trouvé d’adeptes. Elle s’est heurtée à une farouche hostilité hongroise, tout comme la politique navale avant les premières années du XXe siècle. Les dépendances de l’Autriche lui sont attenantes, telle la Bosnie, occupée en 1878, puis imprudemment annexée au prix d’une crise internationale en 1908. Dès lors, tant que Trieste n’a pas multiplié les lignes régulières avec des ports extraméditerranéens, tant que le gouvernement de Budapest n’a pas décidé de financer le développement de Fiume sur le seul point du littoral qui lui appartient, les partisans d’une marine forte ne peuvent avancer l’argument de la protection du commerce. Même un conflit avec l’Italie apparaît comme devant se régler sur terre, comme au temps de Radetzky ou en 1859. Un corps d’armée supplémentaire semble donc préférable à quelques navires de plus. Face à l’Italie, le théâtre d’opérations s’étend des limites de la Vénétie à celles du Trentin. Il s’agit surtout de couvrir Trieste. Les besoins en effectifs terrestres sont autrement plus considérables face aux masses russes susceptibles de déferler sur la Galicie et la Bukovine, hypothèse d’une vraisemblance accrue après l’alliance franco-russe de 1891-1893. Mais il faut aussi tenir compte de possibles conflagrations balkaniques, surtout lorsque la dynastie serbe des Karageorgevitch, qui s’est emparée du pouvoir en 1903, fait preuve de sentiments réservés envers le gouvernement de Vienne. Un front est susceptible de s’ouvrir sur la Save et le Danube, voire sur

la Drina dans les montagnes bosniaques. Face à de telles éventualités, les besoins de la marine ne pèsent guère. On attend d’elle qu’elle protège les côtes d’Istrie et de Dalmatie contre d’éventuels débarquements italiens ou bien assure les communications du littoral en cas de désordres bosniaques ou balkaniques.

Déjà dénoncée en 1867 par Tegetthof, le vainqueur de Lissa, la distance entre les milieux dirigeants de Vienne, voire de Budapest, et le monde maritime est grande5. Elle tient à plusieurs raisons, dont la première est la rareté des aristocrates dans la marine, même si leur rôle politique général décroît. La marine a un corps d’officiers plus bourgeois que l’armée de Terre. Il faut plusieurs décennies pour que se constitue, à la fois grâce aux amiraux et par accoutumance, un milieu nobiliaire maritime. Les idées politiques des marins ont longtemps passé pour avancées. Sans partager les déclarations provocatrices d’un Tegetthof qui se qualifiait de « républicain rouge », ils semblent avoir été plus libéraux et ouverts au monde moderne que nombre de leurs collègues de l’armée de Terre. Il est vraisemblable que le caractère marginal de la mer dans la double monarchie a contribué à les rapprocher des marchands et des armateurs de Trieste. Mais le seul aspect technique des connaissances maritimes suffisait à faire de la pensée navale l’apanage d’un tout petit nombre, souvent éloigné de la cour et des ministères6. Deux archiducs firent pourtant exception, Maximilien avant son départ pour le Mexique, et François-Ferdinand à partir de 1898. L’un et l’autre surent s’intéresser à la marine et vouloir son développement. Mais seul le dernier eut le temps de voir les premiers résultats de ses efforts7.

Plaider la cause de la marine dans une puissance continentale n’était pas la seule difficulté, puisqu’il fallait, ce faisant, éviter les écueils institutionnels du dualisme politique d’après 1867. L’opposition hongroise à la marine fut durable. Les conséquences sur le budget naval furent sensibles. On assista à un constant déclin de 1872 à 1880, suivi d’un accroissement entre 1881 et 1887, mais bientôt d’une nouvelle décroissance jusqu’en 1891. La reprise des budgets alloués à la marine, d’abord lente, s’accéléra fortement à la veille de la Première Guerre mondiale. Entre-temps était survenu un complet changement d’appréciation du rôle de la marine. En 1881, l’archiduc Albert pouvait écrire : « dans l’effort pour la puissance maritime, nous resterons toujours en dessous des Italiens ». Une telle position n’était plus admise dans les années 1910, l’archiduc héritier François-Ferdinand et l’amiral Montecuccoli étant bien décidés à contester à l’Italie la prépondérance navale adriatique8. Ces nouvelles ambitions provoquèrent l’inquiétude des responsables de l’armée de Terre, qui, d’abord favorables au développement naval, se montrèrent de plus en plus soucieux, à partir de 1908, de restreindre les programmes de constructions propres à divertir de précieuses ressources qui trouveraient meilleur usage contre les Russes que contre les Italiens.

Durablement, cette marine fut tenue pour un appendice naval de l’armée de Terre. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les plans d’opération concernant le rôle de la marine, furent ceux élaborés dans les années 1880. Le développement de nouvelles théories offensives après 1898, ainsi que l’apparition relativement tardive de la première génération de dreadnoughts autrichiens, ne les modifièrent pas significativement. Trois types de missions formèrent une sorte d’invariant stratégique. La première fut la protection des bouches de Cattaro contre les Monténégrins qui les dominaient des crêtes du Mont Lovcen9. L’artillerie des navires aurait permis de réduire au silence les batteries adverses afin de rendre définitivement sûr un mouillage aussi utile et si bien protégé du côté maritime. On comptait aussi sur la marine pour assurer le transport des recrues dalmates vers leurs affectations. Enfin, en cas de guerre avec l’Italie, on envisagea, dès 1880, des bombardements ponctuels de la côte italienne afin de gêner l’acheminement ferroviaire des renforts ennemis. De telles tâches restaient modestes et ne nécessitaient que peu de grosses unités. Elles purent donc s’accommoder de doctrines navales variées.

L’espace adriatique fit aussi peser sur la pensée navale autrichienne de fortes contraintes. L’adaptation de modèles importés, aussi bien la « Jeune Ecole » que la valorisation du cuirassé, se fit toujours au prisme de cet univers maritime particulier. La marine autrichienne devait protéger des côtes longues, découpées, précédées d’îles nombreuses. Un tel milieu naturel semblait rendre, à première vue, la tâche très ingrate, d’autant plus que les routes étaient rares et les voies de chemin de fer presque absentes. Le littoral ne comptait que 2 % du kilométrage total du réseau austro-hongrois10. Si Trieste, Pola et Fiume étaient desservis par le train et reliés au reste de la monarchie, Spalato et Sebenico ne disposaient que d’une ligne d’importance locale. La Dalmatie méridionale n’avait rien de mieux qu’un chemin de fer à voie étroite. Les routes n’étaient guère plus développées, hormis celle établie par Napoléon à partir de Fiume et prolongée jusqu’à Cattaro. Pour toutes ces voies de communication, les liaisons avec l’arrière-pays bosniaque étaient des plus réduites. Les ports pouvaient paraître presque aussi coupés de la terre que mal fortifiés du côté de la mer. Les défenses vénitiennes étaient obsolètes. Il fallut attendre 1860 pour que Cattaro fût dotée de fortifications, et les années 1880 pour que Sebenico vît d’autres protections que les bastions du temps de Lépante. Pourtant, même si de tels ports étaient des proies faciles, les conditions naturelles s’avéraient plus défavorables encore à l’assaillant qu’au défenseur : pourquoi débarquer dans une région sans intérêt stratégique majeur, sans routes ni ressources significatives ? Appuyer un soulèvement hypothétique en Bosnie ? Mais c’était compter sans la barrière montagneuse que seule rompait la Narenta. Tout au plus pouvait-on souhaiter s’emparer pour la commodité navale des bouches de Cattaro. Afin d’assurer la défense côtière, les Autrichiens avaient disposé des stations d’observation et de signaux, avec des transmissions optiques et télégraphiques, tandis qu’en mer l’information devait être transmise par des croiseurs et des vedettes11. Installées en hauteur, elles devaient cependant tenir compte des nuages dus au sirocco. Il fallait aussi être prêt à les remplacer, si l’ennemi les faisait disparaître. C’était la fonction des torpilleurs que d’assurer leur protection, en plus des troupes terrestres. Les manœuvres des années 1890, très côtières, valorisaient nettement leur rôle, dans un dédale d’îles et de presqu’îles qu’il s’avérait finalement facile de mettre en défense grâce aux barrages de mines et aux batteries de débarquement.

Les bases navales autrichiennes furent longtemps confinées à l’extrémité nord-est de ce long couloir maritime dont l’Autriche ne contrôlait pas les accès. Les Grecs tenaient Corfou et les Italiens Otrante. Une telle situation, jointe à des budgets limités, voire en baisse, ne pouvait que favoriser une posture défensive. Les ports autrichiens, plus profonds et plus sûrs que ceux de la sablonneuse côte italienne, renforçaient encore cette disposition. Depuis 1848, la marine, s’écartant de son berceau vénitien, avait développé Pola, de préférence à Trieste. L’archiduc Ferdinand-Max contribua beaucoup à l’essor du port militaire d’Istrie, plus à distance d’un éventuel front terrestre. Mais Pola restait à l’extrémité septentrionale de l’Adriatique, à 75 milles d’Ancône, à 143 de Lissa, à 280 de Cattaro et à 355 d’Otrante. L’intérêt des responsables autrichiens se porta donc vers l’Adriatique centrale, alors même que l’Italie était officiellement alliée. Dans cette zone, l’île de Lissa était apparue dès 1866, comme une position clé, la plus avancée des îles, au cœur de l’Adriatique. En 1909, le pamphlétaire Max Schloss, dans Österreich-Ungarns Wacht zur See, ouvrage virulent contre la politique navale jusqu’alors menée, faisait de Lissa l’île dont la maîtrise permettrait aux Italiens de bloquer le littoral dalmate, d’y débarquer comme bon leur semblerait et de se rendre maîtres de la mer tout entière12. Défendre Lissa depuis Pola semblait bien délicat et on songea, dès les années 1880, à se doter de bases navales plus méridionales. Sebenico était bien située, mais trop petite, Cattaro, éloignée, exposée et mal reliée. Ce ne fut qu’en 1912, après bien des hésitations et des disputes avec l’armée de Terre, que Sebenico fut choisie. A la différence des années 1880, le temps était désormais à l’offensive. Développer Sebenico sembla à l’amiral Montecuccoli un bon moyen pour opérer en Adriatique centrale et menacer les flancs de l’adversaire13. De là, il serait aisé de prévenir tout débarquement et de protéger Lissa. La guerre survint avant que de grands travaux y fussent menés.

La pensée navale autrichienne n’eut donc pas la partie facile. Elle se nourrit de modèles importés, d’abord de France, puis d’Allemagne, plus que directement d’Angleterre ou d’Amérique. Elle fut le fait de marins, tels les amiraux Sterneck puis Montecuccoli, mais aussi de terriens favorables à une expansion maritime, tel le journaliste Anton von Mörl, éditorialiste de la Reichspost, le quotidien chrétien-social plutôt favorable à l’archiduc François-Ferdinand14. Certains militaires de terre, tels le major Hugo Schmid, ne dédaignèrent pas d’écrire sur de tels sujets15. Mais deux inconnues demeurent, qu’une étude plus approfondie devrait éliminer : d’une part les débats entre marins, que seul le dépouillement des publications militaires pourrait éclairer, et d’autre part le statut exact des pamphlétaires et propagandistes d’une politique navale active dans la décennie qui précède 1914. Appartenaient-ils au Flottenverein ? Quels étaient leurs liens avec l’entourage de François-Ferdinand, avec les compagnies maritimes de Trieste puis de Fiume, comme avec les grosses firmes sidérurgiques de Bohême ? Seule une prosopographie, militaire et civile, permettrait d’y voir plus clair et, par exemple de savoir qui est ce Carl Wanka, alias Nereus, qui fait l’apologie du cuirassé, ou bien qui se cache sous le pseudonyme de Wladimir Kuk, le fondateur du Flottenverein16. Les épais mystères qui entourent encore la personne de François-Ferdinand, l’invraisemblable perte des archives Montecuccoli lors d’un récent déménagement et le don de la bibliothèque de Pola aux autorités du défunt Etat yougoslave n’aident guère à apporter de promptes réponses. On s’en tiendra ici à indiquer des pistes et des lignes de force nettement apparentes.

La première concerne les modalités autrichiennes de la « Jeune Ecole ». Les théories françaises ont eu un écho très net vers 1885-1886 en Autriche17. Une telle vogue est moins surprenante qu’il y paraîtrait. Elle fait suite, certes après une certaine éclipse, à une tradition de contacts entre les deux marines assez développée dans les années 1870. Les Français en étaient venus à s’intéresser à une invention autrichienne, la torpille mobile, conçue par le capitaine Luppis à partir de 1859 lorsqu’il s’était trouvé bloqué dans Cattaro par des unités françaises. Après 1871, les Autrichiens commencèrent à en développer la fabrication et à réfléchir sur les conditions d’emploi. Un autre élément favorable à l’écho de la « Jeune Ecole » fut la pénurie budgétaire à laquelle furent confrontés les responsables de la marine pendant les années 1870 puis 1880. Elle se combina avec la prépondérance navale italienne dans l’Adriatique, lorsqu’en 1880 fut mis en service le navire cuirassé Duilio, dont les deux tourelles de deux canons de 450 mm déclassèrent toute la flotte autrichienne18. Une stratégie de défense des côtes permettant de couler les grosses unités adverses à moindre frais apparut, dès lors, fort séduisante. Grâce à son neveu Richard, diplomate en poste à Paris, l’amiral Daublebsky von Sterneck, commandant en chef de la marine de 1883 à 1897, se tint au courant de l’évolution de la pensée navale française. Il lui écrit le 3 mars 1886 :

Avant tout, je te remercie vraiment pour la réforme de la marine de Gabriel Charmes, un livre du plus haut intérêt, important et instructif pour de nombreuses marines. Il semble, alors même que avons eu les mêmes idées, que j’ai eu la possibilité de les mettre immédiatement en application, tandis que l’amiral Aube, pourtant si doué, a dû attendre, lui qui, à dire vrai, avec son énergie et les moyens à sa disposition, va désormais me surpasser, grâce aux gens compétents et aux extensions qu’un système une fois adopté rend indispensables. Je n’en reste pas à tout le moins aux torpilleurs et aux navires actuels et espère qu’à l’avenir notre petite flotte autrichienne se montrera à la hauteur des tâches qui lui incombent. J’attends avec anxiété la Panther construite en Angleterre ; elle correspond tout à fait à mes attentes et est un triomphe de la technique navale.

Le développement et la réorganisation de la marine française est suivi par le monde maritime avec un intérêt indescriptible et fera des émules ; à dire vrai, on ne peut faire de parallèle entre la France et l’Autriche et pourtant on porte une attention anxieuse à la solution française ; en attendant il y a aussi beaucoup d’animation du côté italien où on a en horreur les plus puissants navires cuirassés.

Si tu vois Gabriel Charmes, je te prie de lui exprimer ma particulière considération et de lui dire que ses écrits sont pour moi une sorte de Vade-mecum 19.

S’il y eut un engouement pour le torpilleur, cette vogue fut subordonnée aux enseignements des manœuvres. La « Jeune Ecole » n’eut pas les côtés quelque peu dogmatiques et les implications politiques qui la rendirent si fâcheuse en France. L’amiral Sterneck procéda à des exercices qui nourrirent une réflexion tactique poussée. La nécessité de s’adapter à l’Adriatique et la conscience d’une imitation impossible du modèle théorique français permirent aux officiers autrichiens de conserver une certaine distance critique. Ils cherchèrent le meilleur moyen de permettre à un torpilleur de s’approcher d’un bâtiment de ligne et envisagèrent de cacher les torpilleurs derrière les grosses unités jusqu’au moment où la fumée leur permettrait d’opérer. Ils réfléchirent aussi au rôle des mines pour la défense côtière, en plus de celui déjà évoqué des torpilleurs. Ils en vinrent à créer en 1885 des « navires torpilleurs » de 1 500 t., sortes de croiseurs légers pour conduire à l’attaque la flottille de torpilleurs. Les manœuvres de 1887 marquèrent clairement les limites de tels efforts. Sterneck écrivait alors à son représentant à Vienne, l’amiral Eberan von Eberhorst :

Les leçons que nous avons retirées sont importantes et probantes, notamment celle-ci : de jour, une attaque serait téméraire et peu susceptible de réussir. De nuit, bien conduite et organisée, funeste pour l’adversaire. Nos mines, barricades etc. sont éprouvées, à nos profondeurs, il faut prévoir d’autres normes pour les amarres. La lumière électrique est bonne, les Söllner pas toujours fiables, la lumière faible fragile surtout s’il pleut ou fait un temps humide, les filets de Bullivan tiennent encore à une vitesse de 5 nœuds, les navires bien équipés, le Custozza, l’archiduc-Albert et le Don Juan doivent recevoir des grues pivotantes.

Il ajoute le lendemain :

En cas de guerre, nous devons surtout nous attendre à des coups de main, c’est pour cela qu’il faut d’abord se préoccuper des débarquements. Plus encore que lors d’un débarquement, c’est surtout lors d’un embarquement que le succès dépend de la rapidité avec laquelle le travail est exécuté. Les mâts de charge ne sont pas adaptés.

Quelques jours plus tard, il note pour son neveu :

Mes manœuvres ont été très intéressantes et instructives. Elles m’ont persuadé de la justesse de mes vues sur l’utilisation des flottilles de torpilleurs et sur le caractère irréaliste de ce que l’amiral Aube attend d’elles. Je lis aujourd’hui dans des journaux allemands qu’en France on a suspendu les manœuvres trop ambitieuses des torpilleurs. Ce ne sont pas des navires de ligne et ils ne doivent pas prendre part à la guerre en haute mer, ou seulement dans des cas bien précis. Ils servent surtout à la protection des côtes, et même dans ce cas le torpilleur nécessite un soutien. Une flottille de torpilleurs ne doit pas être uniquement faite de torpilleurs, mais de bien des éléments, sinon, même pour la protection des côtes, les torpilleurs sont trop faibles et à n’utiliser que sous réserve 20.

Puisque les croiseurs légers s’avéraient insuffisants contre les bâtiments de ligne adverse, on résolut, pour conduire les torpilleurs, de lancer de plus grands croiseurs de 4 000 t. C’est ainsi que furent mis en chantier le Kaiser Franz-Joseph et la Kaiserin Elisabeth, dotés d’une artillerie significative et d’un éperon.

Les insuffisances du torpilleur ayant été bien démontrées dès 1887, on vit, dans un schéma combinant ce bâtiment et des unités plus lourdes, reparaître peu à peu des éléments tout à fait contraires aux théories alors en vigueur en France. Le cuirassé se réintroduisit discrètement dans les conceptions navales. La croissance du tonnage et de l’artillerie des croiseurs en fut un premier indice, même si, comptant sur la rapidité, on avait sacrifié le blindage. Pour protéger les flottilles de torpilleurs, il allait falloir se mesurer avec les cuirassés adverses. Paradoxalement, c’était le torpilleur qui postulait le cuirassé. C’est ainsi qu’on en vint au cuirassé de défense côtière, le Küstenverteidiger. L’amiral Sterneck avait ainsi évolué vers des conceptions un peu différentes des siennes en 1885-1886. Furent mis en chantier le Monarch, lancé en 1893, le Wien et le Budapest. Bien protégés et pourvus d’artillerie lourde (240 mm), ils devaient tenir tête à d’autres grosses unités menaçant les côtes autrichiennes. La faiblesse de leur franc-bord et la teinte des coques montrent clairement qu’ils étaient destinés, en priorité, à opérer dans l’Adriatique21.

En 1899, les opérations qu’envisage le baron de Koudelka sont essentiellement un combat d’artillerie lourde, dès que les adversaires s’aperçoivent, à 5 ou 6 km, puis à 4 km, un engagement avec les plus gros canons à tir rapide, les faibles calibres n’étant utilisables qu’à courte distance. L’éperon, dont l’usage est périlleux, et la torpille ne serviront que contre les navires avariés. Prudent, il se borne à signaler les discussions sur le rôle des torpilleurs, mais il estime qu’ils ne peuvent emporter la décision. Leur tâche est de préparer le combat, de harceler l’ennemi ou de l’achever, étant entendu que leur véritable domaine est la guerre côtière. Seuls les gros navires, par leur regroupement, leur artillerie et leur protection, feront la décision. Dans les manœuvres qu’il décrit, le rivage, surtout celui de la Dalmatie centrale, reste l’horizon proche22.

Car, de la mort de Tegetthof à la fin des années 1890, la pensée navale autrichienne a eu pour principal objectif la défense du littoral. Les exercices reflètent la conception d’opérations à mener dans les parages des côtes. Sauf quelques raids ponctuels contre les ports italiens, la défense du littoral autrichien aurait été rapprochée, appuyée sur les stations d’observation et l’artillerie côtière, afin de prévenir tout débarquement. Le point avancé n’eût pas manqué d’être, comme en 1866, Lissa. Appuyés par des unités plus grosses, les torpilleurs eussent dû opérer entre les îles ou à proximité des détroits. C’est, de préférence, en vue du littoral qu’une bataille eût dû trouver place. Mais une telle éventualité n’était envisagée qu’à titre défensif. On peut, dès lors, mesurer la distance entre les théories françaises et leur adaptation autrichienne. Au lieu de séparer les torpilleurs protégeant le littoral et les croiseurs opérant au large contre le commerce adverse, les Autrichiens comprirent qu’il fallait les réunir pour couvrir efficacement leurs côtes. Une telle évolution était d’autant plus concevable que l’Italie n’avait pas la flotte de commerce de l’Angleterre et que ses principaux ports n’étaient pas dans l’Adriatique (Gênes, Naples, Livourne, La Spezia, même Tarente).

Fallait-il envisager de porter la guerre hors de l’Adriatique ? Les plans autrichiens n’emplissaient pas même ce premier espace. Pourtant, en 1886, des unités autrichiennes avaient pris part à des opérations internationales en mer Egée. L’année suivante, des plans furent élaborés en cas de coalition contre la Russie pour l’envoi de la flotte dans la mer noire. Mais, sortir de l’Adriatique ne pouvait se faire qu’à deux conditions, ne pas être seul et ne pas avoir à livrer bataille23. Seules des opérations amphibies étaient concevables et l’armée de Terre ne cachait pas son refus d’opérations navales hors de l’Adriatique. Ni l’archiduc Albrecht, ni le chef d’état-major von Beck n’acceptèrent le projet d’aménagement de Cattaro, même pour de petites unités. De leur côté, les Italiens, inquiets de leur infériorité face à la France, auraient souhaité un appui autrichien. Dès 1889, ils avaient offert une possibilité de mouillage à Tarente pour confier aux navires de Sterneck la défense du canal d’Otrante. L’amiral refusa. Mais les projets extra-adriatiques furent abandonnés dans la dernière décennie du siècle, l’Autriche ne voulant pas indisposer l’Angleterre. L’Adriatique redevint le seul théâtre envisageable, d’autant plus que les relations avec l’Italie se tendirent après la chute de Crispi (1896).

L’allié officiel fut, de plus en plus, l’adversaire principal de la marine autrichienne. Les opérations envisagées furent essentiellement prévues contre lui, bien moins contre les Français, voire les Anglais de Malte, même si les conventions navales de la Triplice imposaient qu’on les préparât avec soin24. La défensive côtière céda la place à l’offensive, même si les éventuels débarquements et les champs de mines continuèrent d’attirer l’attention des officiers. Déjà en 1903, dans Politik und Seekrieg, le capitaine Rudolf von Labrès considère que c’est en pleine mer que s’effectue la meilleure défense des côtes. S’il n’envisage que des opérations combinées avec l’Italie, il n’est pas question d’attaquer les transports français entre Alger et Marseille. En revanche, le type d’opérations qu’il recommande est parfaitement réalisable contre l’Italie : bombardements de ports et de voies ferrées côtières25. En 1907, le major Hugo Schmid explique, dans des considérations sur la défense des côtes, qu’une guerre purement défensive serait une ruine militaire et, par conséquent, un malheur national. « La meilleure protection de notre côte réside à coup sûr dans une puissante offensive ». C’est reprendre les paroles de François-Ferdinand à la fin des manœuvres d’été de l’année précédente : la marine doit être à même « d’attaquer et battre l’ennemi en haute mer, au lieu de s’en tenir à la défense de morceaux de côtes » 26. C’est aussi reprendre, deux ans après Tsoushima, une idée mahanienne. Il faut donc que la flotte autrichienne ait un niveau à la hauteur de cette nouvelle ambition : « nous ne pouvons y parvenir sans sacrifices financiers, par une rénovation de nos unités de combat et la mise en place de nouveaux points d’appui qui permettront à la flotte d’opérer » 27. Pola lui semble insuffisant pour protéger la Dalmatie et il reprend l’idée d’un développement de Sebenico et de Cattaro. La décision doit se faire par la bataille. S’il n’évacue pas complètement les torpilleurs, il leur assigne un rôle second et nocturne. L’éperon disparaît de la panoplie en même temps que l’idée d’un combat rapproché. La bataille désormais envisagée n’est plus la confuse mêlée à l’image de Lissa dont on rêvait encore du temps de Sterneck, c’est un combat d’artillerie lourde à 5 km. La décision dépendra de la concentration du feu et de la rapidité des navires, comme de l’action complémentaire des croiseurs. Grâce à une vitesse supérieure, il sera possible de « barrer le T » à l’adversaire. La menace des torpilleurs doit obliger l’ennemi à utiliser ses filets de protection qui le ralentiront et le rendront donc plus vulnérable.

Les opérations possibles sont envisagées avec un luxe de détail tout particulier par Nereus (Carl Wanka) dans Die Probleme der österreichischen Flottenpolitik en 1912. Son but est de montrer la nécessité de la bataille décisive. Il se livre à un examen très critique des idées alors en vigueur. Diversions et débarquements sont, à ses yeux, dépourvus de sens. La décision contre l’Italie sera terrestre et en Vénétie, même si l’ennemi débarque des contingents en Dalmatie. Tirant, comme Mahan, les leçons de la guerre hispano-américaine et notant qu’il fallut en 1898 quatre jours aux Américains pour débarquer 15 000 hommes à Cuba sans opposition espagnole, il en conclut qu’une opération sur le littoral autrichien rencontrerait des difficultés d’autant plus grandes que les effectifs seraient élevés : discrétion, zone de débarquement convenable, etc.28 Le rassemblement d’une force navale considérable serait exposé à la menace des sous-marins et des torpilleurs, tandis que les unités débarquées nécessiteraient une logistique considérable. Envoyer un contingent autrichien sur la côte italienne ne serait pas plus avantageux, car on s’exposerait aux mêmes périls29. La condition préalable serait, de toute manière, la maîtrise de la mer. D’ailleurs, le littoral italien, avec les courants, les lagunes en Vénétie et la malaria, est peu hospitalier. Comme un débarquement prendrait du temps, les réserves italiennes auraient le temps d’intervenir. S’inspirant des enseignements de Napoléon et de Moltke, il estime que c’est toujours une bévue que d’affaiblir le gros de l’armée par des détachements.

Autre idée largement acceptée, le bombardement des côtes italiennes. Nereus la rejette comme insusceptible d’apporter un quelconque avantage stratégique. Il écarte aussi les projets de convois des partisans d’une protection efficace du commerce. Là encore, ce serait disperser les forces que vouloir vainement garder une route maritime Trieste-Otrante sous la constante menace italienne. Il ne faut pas perdre de vue les véritables objectifs stratégiques. Une flotte ne sert pas à protéger la navigation commerciale, mais à attaquer l’ennemi. Le principe de concentration des forces, que Mahan avait emprunté à Jomini, explique ce choix. La maîtrise de la mer est le but à atteindre, mais encore faut-il savoir qu’elle ne suffit pas à faire la décision30.

Il examine ensuite les opérations extra-adriatiques. Significativement, il s’agit bien moins de s’unir aux Italiens, pour couper les communications françaises entre Alger et Marseille, que d’isoler l’Italie de ses nouveaux prolongements africains de Tripolitaine et de Cyrénaïque. Anticipant résolument sur la situation alors en vigueur, Nereus envisage un type d’opérations calqué sur le modèle des plans de la Triplice contre la France. A plus ou moins brève échéance, il sera nécessaire d’empêcher les Italiens de rapatrier leur armée d’Afrique pour favoriser la décision terrestre entre le Trentin et l’Adriatique. Un tel plan suppose de grosses unités capables de tenir tête aux cuirassés italiens. Certes l’Italie tâchera de bloquer le canal d’Otrante, mais les pertes que ne manqueraient pas d’occasionner les sous-marins et les mines seraient si élevées que la supériorité italienne s’en trouverait compromise. Sur ce point, Nereus se distingue de Mahan qui croyait à la possibilité d’un blocus rapproché. Les amiraux italiens auraient, de surcroît, une autre difficulté à régler : trouver des ports capables d’accueillir la flotte de transport en provenance de la Tripolitaine. Le choix étant restreint, il suffirait de faire observer les quelques possibilités. Selon l’hypothèse la plus vraisemblable, les Italiens attendront d’avoir la maîtrise de la mer pour risquer leurs transports et ne prendront pas le risque de les faire escorter par leurs grosses unités qui devraient aussi affronter leurs équivalents autrichiens. Le but de la démonstration est de prouver que la construction d’une puissante flotte de haute mer sera précieuse aux forces terrestres, car, grâce à elles, les renforts italiens arriveront trop tard ou pas du tout. Cet argument par la prospective était destiné aux responsables de l’état-major qui réclamaient un corps d’armée de plus au détriment du programme naval.

A la question « de quelle flotte avons-nous besoin ? », les auteurs des années 1910-1914 sont unanimes pour répondre que l’Autriche ne peut se passer de cuirassés31. Une efflorescence d’ouvrages sur la politique navale accompagne la tardive adoption du dreadnought par la marine autrichienne. Déjà, en 1907, Hugo Schmid recommandait la construction de gros navires bien armés au rayon d’action étendu. En 1912, la vogue du cuirassé type dreadnought est pleinement lancée et de telles parutions surviennent au moment où François-Ferdinand appuie Montecuccoli contre le ministre de la Guerre favorable à l’armée de Terre32. Nereus plaide pour de grosses unités fortement armées et bien cuirassées, rapides et avec un gros déplacement. Tel lui semble le navire de l’avenir, conforme au modèle créé par les Britanniques. Une flotte constituée de telles unités pourra concentrer son tir en un point de la ligne adverse qu’elle devra anéantir. Il se livre à une critique en règle de la politique navale jusqu’alors menée par l’Autriche. Il ne faut plus de ces navires, ou trop lourds pour rester à proximité des côtes ou trop légers pour s’aventurer en haute mer. Même les dreadnoughts en cours de construction ne trouvent pas grâce à ses yeux : leur artillerie n’est que du 305 alors que déjà d’autres marines en sont au 340, voire au 356. L’Autriche est encore la dernière… et les Italiens seront, à n’en pas douter, les plus forts en 1914. Contrairement à Lengnick33, Nereus ne croit pas à une pause dans la croissance des tonnages et, sans le nommer, il cite un officier américain qui envisage des navires de 40 000 à 50 000 t34. A cette date, les plus grosses unités austro-hongroises ne dépassent pas les 20 000 t.

La même année 1912, le journaliste Anton von Mörl publie Das Ende des Kontinentalismus. Entwicklung und Bedeutung unserer Seegeltung. Il y fait un double historique, des moyens de la guerre sur mer et de la marine autrichienne en particulier35. Prenant acte de l’échec des espoirs placés dans le torpilleur, il croit ne pouvoir attendre davantage du sous-marin. Les mines lui paraissent nécessaires mais d’un emploi limité à cause de leur coût, les avions uniquement utilisables pour la reconnaissance et non le bombardement. Le blindage et l’armement lourd sont donc les nécessités. Il dénonce par conséquent, avec véhémence, la politique des deux dernières décennies du siècle précédent : « L’Autriche peut remercier la bienveillante providence divine de ne pas avoir eu au début des années 90 du siècle dernier à faire la guerre sur mer, car la flotte n’eût pas manqué d’être anéantie comme celle de l’Espagne à Cavite et à Santiago de Cuba en 1898. La flotte autrichienne n’avait alors pas un seul navire de combat moderne… » 36. Enfin vinrent Montecuccoli et François-Ferdinand. Mörl se veut modéré et rassurant. L’Autriche n’a pas besoin d’une flotte considérable et coûteuse comme l’Angleterre, l’Allemagne ou la France, mais elle a besoin d’être en sécurité du côté italien. Le premier effort de la monarchie savoyarde sera, à n’en pas douter, contre la flotte autrichienne. Si cette dernière résiste, l’armée italienne aura la tâche bien plus difficile. Si c’est l’Autriche qui jouit de la supériorité, il sera possible d’attaquer le chemin de fer de la côte italienne, puis de menacer les liaisons avec la Sicile et la Sardaigne, voire de bombarder Palerme, Naples et Gênes. Au cas où le gros des forces terrestres autrichiennes serait engagé, soit contre la Russie, soit dans les Balkans, la flotte jouerait pleinement son rôle pour aider les troupes de couverture bloquant les cols des Alpes. Là encore, il s’agit de montrer que développer la marine n’est pas un coupable gaspillage.

Mais ces deux auteurs, dont on aimerait connaître les commanditaires, poussent plus loin leur argumentation, au point de se faire les avocats d’une régénération de l’Autriche par la mer. Depuis 1904, le Flottenverein diffuse, avec un succès inégal, des thèses navalistes dans l’opinion37. Mais Nereus juge exagérées, voire ridicules et naïves, les manifestations des Flottenfreunde. Le but d’une flotte n’est pas d’exécuter des démonstrations, ni de prendre part à des parades. Montrer son pavillon n’a jamais accru la puissance politique, ni amélioré le commerce38. Il faut une bonne politique économique, comme l’a montré l’Angleterre. L’avenir passe par une sortie de l’Adriatique, notamment vers l’Orient :

des navires de haute mer, mais dont le rayon d’action n’est calculé que pour l’Adriatique, ne sont pas les bras suffisants pour l’armée qu’ils devraient être et une flotte de dreadnoughts confinée dans l’Adriatique n’est pas un instrument pour une politique mondiale. A cette fin, il faut se lancer vers l’Océan ; dans l’Adriatique, il n’y a pas de politique mondiale possible 39.

S’il s’agit seulement d’assurer sa position dans cette mer, l’Autriche n’a guère besoin que de troupes terrestres. Si elle ne songe qu’à protéger ses côtes, elle jouira d’avantages à la mesure des risques encourus et sa flotte inutile finira comme celle des Russes à Port-Arthur. Si elle porte ses ambitions hors de l’Adriatique, elle participera à toutes les affaires importantes, la guerre étant la poursuite de la politique par d’autres moyens. Tel est le choix qui s’offre à l’Etat autrichien. L’ouvrage s’achève sur une note de défi : la vie est un combat. Tout ou rien, conclut Nereus en citant Ibsen avant de claironner « Aut Caesar, aut nihil ! ».

Le ton n’est pas moins flamboyant avec Mörl qui prévoit à court terme une grande explication navale anglo-allemande que tout laisse présager dans l’histoire de la thalassocratie anglaise. Pour un pays tiers, car Mörl n’envisage pas un soutien maritime au Reich allemand et là est son originalité, une flotte puissante permettra, soit de rester neutre, soit de se protéger en attendant de faire valoir ses intérêts lors de la remise en ordre ultérieure. C’est, à la fois, se séparer de Tirpitz et le retrouver, en adoptant sa « politique du risque », tout en ne comptant pas sur la flotte pour s’attirer des alliances40. La grande thèse de Mörl est que l’Autriche doit renoncer au « continentalisme ». Toute une mythologie de l’affirmation de la puissance est mobilisée à l’appui de l’argumentation navaliste : « chaque peuple cherche, comme chaque individu, à affirmer sa puissance et son influence dans le monde » 41. C’est à la lumière d’une telle thèse qu’est analysée sommairement l’histoire de l’Angleterre. Il ne fait pas de doute que Mahan a fourni une part de l’inspiration. Il est d’ailleurs explicitement cité comme celui qui a le mieux dégagé la signification de Trafalgar. L’exemple anglais montre comment « la guerre terrestre épuise, tandis que celle sur mer nourrit ».

Toutefois, Mahan n’est qu’une référence parmi d’autres et il serait trompeur de lui accorder une influence exagérée. Ses écrits, sans doute connus par l’intermédiaire de l’Allemagne, n’eurent de retentissement que lorsque l’Autriche choisit de construire de grands bâtiments, et particulièrement des dreadnoughts. 21 années séparent la publication de The Influence of Sea Power upon History, et le lancement du Viribus Unitis en 1911. Mahan, lorsque les temps furent venus, s’avéra être une utile référence, un réservoir d’arguments possibles pour justifier la nouvelle politique navale. Son utilisation se fit non sans un sérieux filtrage. L’idée d’une supériorité historique du protestantisme, par exemple, si elle pouvait charmer les Prussiens, n’était pas de nature à plaire à l’archiduc François-Ferdinand qui ne faisait pas mystère de son catholicisme. De manière similaire, les déclarations tonitruantes sur l’affirmation de la puissance étaient moins à son goût qu’à celui du commandant en chef de l’armée de Terre, Conrad von Hötzendorf, partisan d’une guerre préventive.

Pour Mörl, il est temps de tirer les leçons de 1866 et de procéder à une ambitieuse réorientation de la politique autrichienne. L’ancien objectif, la double domination de l’Allemagne et de l’Italie, relève désormais du passé. Il faut donc renoncer au « continentalisme », ce système d’acquisition de provinces nouvelles auxquelles on cherche à imposer à grands frais une administration. Il ne débouche que sur des guerres et des défaites. La querelle franco-allemande pour l’Alsace-Lorraine en est un autre exemple. Le refus du « continentalisme » débouche sur la dénonciation de la politique balkanique autrichienne. Il n’y avait aucun avantage à occuper la Bosnie et il faudrait ne pas céder à semblable tentation pour l’Albanie, car les Balkans pourraient bien former un jour un seul Etat, selon l’exemple italien. Les visées sur Salonique ? D’inutiles et dangereuses chimères. Le seul agrandissement réaliste serait l’acquisition pacifique de Corfou à la Grèce. L’Autriche manque désormais d’un but commun à tous ses peuples. Elle en trouverait un excellent dans l’expansion maritime.

Mörl reprend ainsi un thème de plus en plus en vogue depuis 1910 : la marine associe les peuples dans un effort commun. Faut-il rappeler qu’un des premiers dreadnoughts fut baptisé Viribus unitis (« par nos forces unies »), devise du peu maritime François-Joseph ? A cette date, les Hongrois ont fini par s’intéresser aux choses de la mer et développent à grands frais Fiume, leur unique port. Les Slovènes font savoir que le maintien de leur identité nationale passe par le développement d’une flotte autrichienne. Les Croates sont pour l’expansion navale et réclament une plus grande place dans la marine42. Il ne manque pas non plus de Tchèques pour trouver que la Bohême a tout à gagner des commandes de canons et de blindages à ses aciéries43.

L’union des peuples n’a pas pour but une guerre de revanche, même contre l’Italie. Elle doit tirer parti des nouvelles conditions maritimes créées par le percement de l’isthme de Suez qui a considérablement changé l’espace commercial de Trieste. Et Mörl a pu trouver auprès des compagnies de navigation autrichiennes de Trieste et hongroise de Fiume la documentation nécessaire à son ouvrage. Il a publié en annexe deux cartes montrant les lignes commerciales au départ de ces deux ports. Trieste, conclut-il, à cet égard, peut aspirer à une position qui fut, jadis, celle de Venise44. Le mythe vénitien vient ainsi effleurer la thèse navaliste et il y a comme un lointain souvenir de Marco Polo, lorsque l’avenir de l’Autriche est signalé du côté de la Perse et de la Chine.

Les immenses régions endormies depuis des siècles de l’Asie et de l’Afrique vont s’éveiller à une nouvelle vie économique et un puissant courant se dirigera vers l’est, comparable à celui qui gagne l’ouest aujourd’hui. Une nouvelle occasion sera offerte à l’Autriche, celle de se lancer enfin sur les mers, là où peuvent s’acquérir la puissance, la richesse et la considération. Le Danube deviendra l’Elbe de l’Autriche et portera les marchandises jusqu’à la mer Noire et, de là, on les acheminera vers l’Asie mineure et la Perse. Vienne est donc à la porte de l’Asie, Trieste peut s’attirer le trafic vers l’Afrique et vers l’Orient, proche et lointain, et dès lors avoir une importance comparable à celle actuelle de Hambourg 45.

Dans cette vision syncrétique, le modèle allemand vient se superposer à l’exemple anglais et au mythe vénitien. Si l’Autriche n’a obtenu jusqu’à présent que de médiocres résultats, c’est à cause du désintérêt des gouvernants, du peu de travail à Trieste et du manque d’esprit commercial combinés avec la routine bureaucratique.

Seule notre jeunesse peut entreprendre la dure tâche du rajeunissement de l’Autriche, aussi ce livre est-il dédié à la “ Jeune Autriche ”. C’est elle qui devra montrer si elle a la force de briser les liens étroits du continentalisme pour entrer dans le combat du vaste monde où seul un peuple peut montrer ce qu’il y a en lui 46.

La pensée navale autrichienne la plus originale fut celle des années de critique pragmatique des thèses de la « Jeune Ecole ». Elle correspondit à l’étiage des budgets. Lorsque vint le temps de l’expansion maritime et des dreadnoughts, elle se fit beaucoup plus militante et quelque peu irréaliste, plus difficile à adapter aux contraintes adriatiques. Il s’avérait, malgré tout, délicat de donner en exemple Venise, l’Angleterre ou le Reich allemand. L’Adriatique sembla fort justement bien étroite, mais l’essor commercial réel eut cette particularité d’être dépourvu du moindre point d’appui outre-mer, à la différence de ces illustres modèles. En serait-on venu un jour à envisager de saisir les colonies italiennes ? Il n’y eut, avant 1914, que des stations navales, au Levant et en Chine. N’y avait-il pas contradiction entre des constructions navales accrues alarmant l’Italie et la prudence conservatrice de François-Ferdinand, moins belliciste qu’on ne l’a dit ? Si la pensée navale autrichienne suivit à son rythme les inflexions générales du temps, elle le fit avec ses modalités spécifiques, la conviction que le véritable ennemi était l’allié italien et le souci, sans doute plus marqué qu’ailleurs, d’une coopération terre-mer. Dans un cas comme dans l’autre, l’étroit couloir adriatique en fut la cause, par la menace de débarquements et la possibilité d’une articulation des combats en Vénétie et des opérations navales.

La Grande Guerre donna à la fois tort et raison à toutes les thèses défendues depuis 188547. Elle vit le triomphe d’une invention autrichienne, la torpille, mais celle du sous-marin plus que du torpilleur. Les Français en firent l’amère expérience dès 1914 et c’est une vedette italienne qui torpilla le cuirassé Szent-Istvan en 1918. Il n’y eut pas non plus la bataille décisive qui eût été le Lissa de l’âge de l’artillerie lourde. Pourtant, la simple présence à Pola des grosses unités de l’amiral Haus fit évacuer l’Adriatique par les principales forces italiennes. Il n’y eut pas de débarquements, tout au plus quelques coups de mains contre des stations de signalisation et l’envoi de saboteurs efficaces dans les ports italiens. Il y eut toutefois, dès l’entrée en guerre de l’Italie en mai 1915, des bombardements de la côte des Marches par la flotte autrichienne qui s’assura ainsi la domination de la mer pour toute la guerre. L’Adriatique devint, tout à la fois, une mer autrichienne et un piège à escadres. Corfou et Otrante étant solidement tenus par la Triple-Entente, il fut impossible d’accéder à la Méditerranée et la tentative de l’amiral Horthy en mai 1918 tourna court avant la bataille qui en serait résultée. L’Autriche, à la différence de Venise puis de Napoléon, n’avait pas su voir à temps l’importance de Corfou.

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Notes:

1 Nous tenons à exprimer notre gratitude à l’amiral Kessler qui a facilité nos recherches au Service historique de la Marine, à l’amiral Coldefy qui nous a familiarisé avec les conditions de navigation adriatiques, à Hervé Coutau-Bégarie ainsi qu’à Martin Motte.

2 Il est plus juste de qualifier cette pensée navale d’autrichienne que d’austro-hongroise, car la Hongrie a durablement freiné l’expansion maritime. Il fallut attendre 1904 pour qu’elle fût touchée par la grâce navaliste et se tournât vers la mer avec le zèle des néophytes. L’amiral Montecuccoli, qui s’écria “les Hongrois sur mer !” devant les délégations le 31 octobre 1908, et le comte Tisza eurent une grande part dans ce retournement.

3 On trouvera la bibliographie la plus complète dans le tome V de P. Urbanitsch et A. Wandruszka, dir., Die Habsburgermonarchie, 1848-1914, Vienne, 1987, pp. 687-763. Il existe désormais une remarquable synthèse due à L. Sondhaus, The Naval Policy of Austria-Hungary. 1867-1918. Navalism, Industrial Development and the Politics of Dualism, West Lafayette (Indiana), 1994. Signalons aussi de très utiles mises au point dans le n° 45, 1980, de la Revue internationale d’histoire militaire, “Österreich zur See”. On trouvera une présentation bien illustrée dans H. Mayer et D. Winkler, Als die Adria österreichisch war, Vienne, 1989. Pour la décennie précédant la Grande Guerre, la meilleure étude est celle de M. Vego, The Anatomy of Austrian Sea Power, 1904-1914, Ph. D., Washington University, 1981, 2 vol. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questions dans une Histoire de l’Adriatique en préparation aux éditions du Seuil, sous la direction de P. Cabanes.

4 Une fructueuse comparaison pourra être effectuée avec E. Ferrante, “La pensée navale italienne II. De Lissa à la Grande Guerre”, dans L’évolution de la pensée navale III, pp. 97-122.

5 L. Höbelt, in P. Urbanitsch et A. Wandruzska, op. cit., pp. 748-749.

6 En 1885, l’amiral von Sterneck écrit à son neveu : “Je ne suis pas persuadé qu’on soit convaincu en Autriche de la nécessité d’une marine, et tant que ce ne sera pas le cas, les succès momentanés ne sont pas le but que je recherche…”. Deux ans plus tard, il est un peu moins pessimiste : “On commence à savoir que l’Autriche a une côte magnifique et qu’il y a une marine de guerre. On porte aux deux un grand intérêt, et avec le temps viendra la compréhension du commerce et se répandra celle de l’importance de la mer comme route de communication”, Max Freiherr von Sterneck, Erinerrungen aus den Jahren 1847-1897, Vienne, 1901, pp. 228 et 253. Il fallut, en fait, attendre les années 1900.

7 Les biographes de François-Ferdinand ne se sont malheureusement guère intéressés à son action maritime. Il faut donc croiser divers ouvrages pour glaner l’information en attendant qu’un chercheur, à partir des papiers laissés par la chancellerie de François-Ferdinand et les archives de la Marine, tâche de lever une part du voile de mystère qui continue de recouvrir les idées de l’archiduc héritier. Voir cependant R.A. Kann, Erzherzog Franz-Ferdinand Studien, Vienne, 1976 et R. Egger, “Erzherzog Franz-Ferdinand und die Kriegsmarine”, Scrinium, 38, pp. 313 et suivantes. C’est en 1902 que l’archiduc, déjà général de cavalerie, fut nommé amiral. Le tour du monde à bord du croiseur Kaiserin Elisabeth en 1892-1893 lui avait donné une expérience maritime rare chez les Habsbourg. Depuis 1898, il poussait à la construction de navires au tonnage accru. On a souvent avancé l’hypothèse que ce serait Guillaume II qui l’aurait convaincu de la nécessité d’une flotte puissante, sans preuve décisive toutefois.

8 Le 27 février 1913, François-Ferdinand déclara à Conrad von Hötzendorf : “Notre principal ennemi, c’est l’Italie contre qui il faudra faire la guerre. Nous devons reprendre la Vénétie et la Lombardie”. Il était hostile aux projets allemands d’opérations austro-italiennes. Conrad von Hötzendorf, Aus meiner Dienstzeit, Vienne, 1922-1925, tome III, p. 157.

9 L. Höbelt, op. cit., pp. 721-722. On pourra comparer avec les plans d’opérations définis par Montecuccoli. M. Vego, op. cit., pp. 514-527.

10 M. Vego, op. cit., pp. 8-11.

11 A. von Koudelka, Unsere Kriegsmarine, Vienne, 1899, pp. 223-268.

12 M. Vego, op. cit., pp. 153-156.

13 M. Vego, op. cit., pp. 164-168.

14 A. von Mörl, Das Ende des Kontinentalismus. Entwicklung und Bedeutung unserer Seegeltung, Saaz in Böhmen, 1912.

15 H. Schmid, Einiges über Kriegsmarine une Marinetaktik, Vienne, 1907.

16 Nereus, Die Probleme der österreichischen Flottenpolitik, Leipzig-Vienne, 1912.

17 Sur toute cette période, voir L. Höbelt, op. cit., passim, mais aussi du même : “Von der “Jeune Ecole” zur “Flottenpolitik”. Die Rolle der österreichischen-ungarischen Kriegsmarine im letzten Viertel des neunzehnten Jahrhunderts”, Etudes danubiennes, IV, 1988, 2, pp. 148-156.

18 J. F. von Kronenfels, Das schwimmende Flottenmaterial der Seemächte, Vienne, 1881, pp. 365-398 pour l’Italie.

19 M. von Sterneck, op. cit., p. 232.

20 M. von Sterneck, op. cit., pp. 254-256.

21 Sur les navires réalisés à partir de la classe Monarch, voir P. J. Kemp, Austro-Hungarian Battleships, Londres, 1991.

22 A. von Koudelka, op. cit., pp. 266-267.

23 L. Höbelt, op. cit., pp.151-152.

24 En 1913 encore, la Marinesektion mit sur pied des plans d’opérations combinées dans le cadre de la Triplice à l’occasion du renouvellement de la convention navale. Les Autrichiens étaient réticents, mais il y eut cependant une entrevue rocambolesque entre l’amiral Haus (moins anti-italien que son prédécesseur Montecuccoli) et son homologue italien Thaon di Revel en Suisse et le travail fut mené jusqu’au bout. Ces projets n’en trouvaient pas moins leur place dans la dérive vers le large qui caractérise la pensée navale autrichienne de l’avant-guerre.

25 R. von Labrès, Politik und Seekrieg, Berlin, 1903, pp. 242-243.

26 Cité par M. Vego, op. cit., p. 110.

27 H. Schmid, op. cit., pp. 21 et 25-26.

28 Il cite à l’appui de son propos le premier lord de l’Amirauté sir Arthur Wilson qui estime nécessaire une escorte de navires de guerre supérieure aux forces adverses.

29 Une telle idée avait été avancée à plusieurs reprises dans la Danzersarmeezeitung, notamment par un nommé Salvator R. qui, sous le titre “Ohne Seesieg kein Landsieg” (sans victoire navale, pas de victoire terrestre), envisagea des débarquements grand style.

30 Rappelons que la réflexion de Wanka est contemporaine des tractations menées entre la Marinesektion et les marins italiens en prévision du renouvellement de la convention navale. Mais il est bien difficile de savoir de qui il exprime les convictions.

31 Mais, en ces années de course aux armements de part et d’autre de l’Adriatique, tous les auteurs ne sont pas unanimes sur le bien-fondé des politiques jusqu’alors suivies. Voir F. Mirtl, Unsere Marine sinkt. Ein Mahnwort in letzter Stunde, Vienne, 1912 (“Notre marine coule. Un ultime avertissement”).

32 Sur la politique navale de ces années, en plus de M. Vego et J. Kemp, W. Aichelburg, L. Baumgrtner et alii, Die “Tegetthof” Klasse. Österreich-Ungarns grösste Schlachtsschiffe, Munich, 1981 et C. Ramoser, Österreich-Ungarns Weg zur Tegethoff-Klasse, thèse, Vienne, 1992.

33 Arthur Lengnick, auteur notamment de Unsere Wehrmacht zur See, Vienne, 1904.

34 Nereus, op. cit., pp. 85-88. Nereus recommande une flotte de 8 superdreadnoughts pour s’en prendre au gros italien, 4 croiseurs de bataille pour des actions tactiques en coopération avec les précédents, les attaques des transports adverses, la reconnaissance et l’observation, 12 croiseurs pour la reconnaissance et la conduite des torpilleurs, 20 à 40 contre-torpilleurs et autant de sous-marins.

35 Pour une fois dans ce type de littérature, l’auteur indique sa bibliographie. Elle comporte des officiers autrichiens tels que Koudelka, Lehnert, Lengnick, Klimburg, les historiens de la marine autrichienne (Benko von Boinik pour 1848-1849, Fleischer pour 1866) et de Trieste, Mahan (traduction de The influence of Sea Power upon history), ainsi que l’ouvrage de Plüddemann, Der Krieg um Kuba, 1898 et plusieurs études sur la guerre russo-japonaise : Klado, Die Kämpfe zur See im russisch-japanischen Kriege, Politowski, Von Libau bis Tsushima, Semenov, Die Schlacht bei Tsushima et Winterhalder, Kämpfe um China.

36 A. von Mörl, op. cit., pp.113-114.

37 Voir par exemple L. A. Gebhardt Jr, The Development of the Austro-Hungarian Navy, 1897-1914. A Study in the Operation of Dualism, New Brunswick, 1965, pp. 32-34. Son orientation fut d’abord commerciale et le nombre de ses membres limités. A partir de 1908, François-Ferdinand en devint le protecteur honoraire. En 1911, le mouvement, présidé par le prince Alfred von und zu Liechtenstein, avait pris un caractère quasi-officiel et jouissait du soutien de la Reichspost, le journal dans lequel écrivait précisément Anton von Mörl. Mais, même avec ses 42 000 membres de 1914, il ne pouvait être comparé à son aîné allemand (1898) qui alignait 600 000 adhérents.

38 Pourtant dès 1906, dans un mémorandum à l’Empereur, le chef de la Marinesektion, Montecuccoli, insiste diplomatiquement sur la défense des côtes en ajoutant, parmi les missions de la flotte, la protection des intérêts économiques outre-mer. Montrer son pavillon n’est pas toujours inutile et le développement économique de la monarchie danubienne entraîne déjà de telles interventions, notamment lors des guerres balkaniques. Mörl l’ignore-t-il ?

39 Nereus, op. cit., p. 80.

40 Voir, à propos de la directive n° IX de 1894, F. E. Brézet, “La pensée navale allemande des origines à 1914”, L’évolution de la pensée navale, p. 126.

41 A. von Mörl, op. cit., p. 7.

42 L. A. Gebhard, “The Croatians, the Habsburg Monarchy and the Austro-Hungarian Navy”, Journal of Croatian Studies, 11/12, pp. 152-159. Aussi, I. Karaman, Jadranske studije, Rijeka, 1992.

43 L’intervention aux délégations du député tchèque Udrzal mérite d’être citée : “si nous réussissons, grâce à l’aide de la marine, à écarter nos mesquineries autrichiennes à propos des questions de nationalités, si, grâce à elle, nous parvenons à un horizon élargi et à une conception tolérante et humaine, alors je jugerai justifiées ces grosses dépenses malgré notre détresse économique”, d’après H. F. Mayer, Die K. u. K. Kriegsmarine 1912-1914 unter dem Kommando von Admiral Anton Haus, thèse, Vienne, 1962, p. 77.

44 Mörl explique, arguments historiques à l’appui (l’occupation napoléonienne), que Trieste ne peut que dépérir si elle est privée de l’arrière-pays que lui fournit la monarchie. A ses yeux, l’Italie, si elle annexait l’Istrie, perdrait l’unité qui fait sa force en intégrant des Slovènes, vues d’ailleurs en partie justifiées par la situation en Istrie après 1918. Voir A. Ara et C. Magris, Trieste, une identité de frontières, trad. fr., Paris, 1991.

45 A. von Mörl, op. cit., p. 158.

46 A. von Mörl, op. cit., p. 189.

47 H. Sokol, La marine austro-hongroise dans la guerre mondiale (1914-1918), trad. par le C. C. Jouan, Paris, 1933. A. Thomazi, La guerre navale dans l’Adriatique, Paris, 1927. P. G. Halpern, The Naval War in the Mediterranean 1914-1918, Annapolis, 1987.

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