LA VOIE SACRÉE ET LA NAISSANCE DES INSIGNES MILITAIRES

Christian Benoit

            Parler des insignes militaires dans un colloque consa­cré à l’émergence des armes nouvelles à Verdun peut appa­raître incongru, et je ne doute pas que beaucoup se soient demandés ce que ce sujet pouvait bien faire entre les chars et les avions, vraies créations de la Grande Guerre et spéciale­ment de l’année 1916.

            Mon propos n’est cependant qu’à moitié inattendu dans la mesure où c’est véritablement dans ces circonstances à Verdun que l’automobile et surtout le camion ont remplacé la voiture hippomobile, dont la capacité d’emport ne satisfaisait plus le besoin des armées, dont la vitesse de déplacement ne correspondait plus à l’accélération de la manœuvre, dont la faible endurance et les limites d’emploi du « moteur » – le cheval – bridaient la tactique des généraux. A partir de Verdun, le service automobile est devenu une subdivision d’arme du train, avant de l’absorber et de devenir le train lui-même, l’arme de la logistique.

            La deuxième moitié de la proposition contenue dans le titre de ma communication reste à expliciter. A l’heure actuelle, l’insigne est le support le plus commun, le plus accessible, le plus lisible de la symbolique militaire. Chaque corps se reconnaît à son insigne qui regroupe ses traits carac­téristiques, les symboles dans lesquels il donne à lire son his­toire et fait découvrir sa personnalité. L’insigne est une des manifestations de l’esprit de corps. En cela, il participe aux forces morales dont ont besoin les combattants dans la guerre que se livrent les armées en présence, sur le champ d’action de la guerre psychologique.  

            Les insignes militaires français sont apparus sur les camions qui roulaient sans arrêt sur la Voie sacrée au moment de la bataille de Verdun. Dès lors la question se pose de savoir pourquoi les insignes sont nés à ce moment-là et pourquoi ils sont toujours en service et occupent une place dominante dans la symbolique militaire.

La Voie sacrée  

            Ce nom donné par Maurice Barrès à la route qui relie Bar-le-Duc à Verdun exprime l’importance de cet axe routier qui pendant toute la durée de la bataille permet d’acheminer les renforts en hommes, d’évacuer les blessés et d’appro-visionner les unités engagées en armes, munitions et matériel. Le ravitaillement de la bataille de Verdun par la Voie sacrée est assuré par la mise en œuvre de 3 000 camions servis par 300 officiers et 8 000 hommes. Chaque jour en moyenne sont transportés 13 000 combattants, 6 400 tonnes de matériel, 1 500 tonnes de munitions, et consommés 2 tonnes de graisse, 20 000 litres d’huile et 200 000 litres de carburant. Pour assu­rer la « noria », c’est-à-dire la circulation dans les deux sens sur la route entre l’avant et l’arrière, des carrières sont ouver­tes le long de la route et des équipes de territoriaux et d’auxiliaires indochinois jettent sans cesse des pelletées de pierres sous les roues des véhicules qui se succèdent.

            En 1914, le service automobile ne compte que quel­ques dizaines de véhicules automobiles : voitures légères pour les quartiers généraux et camions tracteurs de pièces d’artillerie lourde dont les premiers groupes sont équipés peu avant la déclaration de la guerre. Au terme de la mobilisation, le service automobile aligne près de 7 000 véhicules, pour la plupart fournis par la réquisition, selon les plans précédem­ment établis. Les véhicules des particuliers et tous les autobus parisiens sont mis à la disposition de l’armée. Des actions spectaculaires sont menées par les autobus, bien avant les célèbres taxis de la Marne, comme le transport d’un bataillon du 45e régiment d’infanterie employé en renfort du corps de cavalerie pendant la phase de couverture de la mobilisation. Au moment de l’armistice de 1918, le service automobile ali­gne 95 000 véhicules qui transportent chaque mois 900 000 tonnes de matériel et 1 200 000 hommes.

            Le service automobile est organisé en sections qui regroupent 20 véhicules. La section est une unité commandée par un officier, qui s’administre elle-même. Les sections sont de plusieurs types identifiés par un sigle : TM (section de transport de matériel), TP (section de transport de personnel), RVF (section de ravitaillement en viande fraîche), SS (section sanitaire), TMR (section routière chargée du transport de matériaux pour la réfection des routes), TPT (section de trans­port de personnel télégraphique), SMA (section de munitions d’artillerie), SP (section de parc pour l’entretien des véhicu­les). Les sections portent des numéros : TM 670, TP 112, etc. Les sections sont réunies par quatre aux ordres d’un capitaine, en un groupe qui porte le nom de son chef : groupe Durant, groupe Denis, par exemple.

            Les routes sont toutes numérotées par le service auto­mobile sous le nom d’itinéraires : b.12, l.17, c.14, etc. Les unités elles-mêmes sont désignées par des numéros dès qu’elles sont embarquées sur les camions. Elles devien­nent : élément n° 117, élément n° 312.

Les commissions régulatrices automobiles  

            Sur la Voie sacrée, en mars 1916, il est compté jusqu’à 6 000 passages de camions en un seul point par jour, soit une moyenne d’un camion toutes les 14 secondes. Ces camions transportent, par semaine, environ 90 000 hommes et 50 000 tonnes de matériel et ils effectuent un million de kilomètres. Ce résultat ne peut être atteint que grâce à une organisation rigoureuse des transports qu’assure la commission régulatrice automobile.

            La surveillance de la circulation est confiée au service automobile. Dès les premiers mois de la guerre, il parvient à rendre la circulation fluide par la définition et l’application de règles d’embarquement, de débarquement et de marche, une discipline stricte des convois en eux-mêmes. Mais il se rend bientôt compte que souvent ces convois, une fois mis en mou­vement, rencontrent des obstacles dus aux hasards de la route : autres convois coupant le chemin, encombrements aux croisements, passages à niveau obstrués, voitures à chevaux ralentissant la marche. Vers la fin de 1915 et au début de 1916, la direction du service automobile étudie la création d’un organe nouveau chargé de prévenir et de régler tout acci­dent survenant sur la route suivi par un convoi.  

            L’attaque allemande sur Verdun se déclenche, le 21 février 1916. Le lendemain la première commission régula­trice automobile (CRA), celle de Bar-le-Duc, est créée à midi. En moins de quatre heures, la route est entièrement dégagée et appartient à la commission régulatrice. Dès le lendemain, une division entière est transportée sur ses positions. Le 29 février, 3 000 camions empruntent la Voie sacrée.

            La route est d’abord gardée, c’est-à-dire réservée à l’usage exclusif des unités automobiles commandées par la commission régulatrice. Elle est divisée en cantons, système qui favorise la surveillance ainsi que l’entretien. Chaque can­ton a une longueur de 15 km. Tous les moyens sont centralisés dans les mains d’une seule autorité : celle du commissaire régulateur. Il fait jalonner et flécher les routes, organise la circulation transversale, dispose de plusieurs équipes qui se relaient jour et nuit pour effectuer les dépannages et dégager la voie en cas d’accident.

            Dans les jours qui suivirent la déclaration de guerre le 2 août 1914, le transport ferroviaire a donné la mobilité straté­gique aux armées dans la phase de concentration. Au cours du premier semestre 1916, le transport routier automobile démontre sa capacité à leur apporter la mobilité tactique qui leur faisait encore défaut.

Les insignes  

            La TP 670 transportant l’élément 112 sur l’itinéraire b.14 est un langage suffisamment rébarbatif pour que rapide­ment les soldats lui en substituent un autre plus humain. Les insignes sont nés.

            Ils sont nés d’autant plus vite qu’ils répondent à un vrai besoin éprouvé dans l’emploi des convois. La régulation du trafic impose un système simple que les insignes permet­tent de réaliser. Il est plus agréable, plus facile et finalement plus efficace de parler du Fiacre que de dire la TM 55, de la Coccinelle que de la SS 20. C’est une petite figure peinte sur la bâche ou sur la boiserie qui sert à distinguer les sections les unes des autres. Presque toutes les sections ont à la fin de la guerre leur insigne. Il est généralement choisi unique pour le groupe et reproduit avec une couleur propre à chacune des quatre sections. Le service automobile suit en cela la pratique du train des équipages en faisant usage des couleurs tradition­nelles des unités montées pour indiquer le numéro des sec­tions : bleu (1)., rouge (2), vert (3) et jaune (4).

            Rien, bien sûr, n’autorisent les soldats ou leurs chefs à dessiner et peindre des insignes sur les véhicules. Le com­mandement réagit devant cette pratique. Dans un premier temps, il interdit cette mode au nom du respect du matériel. Devant l’indifférence à son ordre, il demande alors que lui soit soumis les projets d’insignes pour approbation. Finalement, il doit se contenter d’enregistrer l’adoption des insignes sans intervenir. Cette façon de procéder est symptomatique de la manière dont le règlement entérine la pratique, incapable d’imposer ses vues. C’est le mode de fonctionnement normal que l’on rencontre dans toutes les affaires qui ont trait à la tradition.

            L’inspiration qui guide les créateurs d’insignes ne connaît pas de contrainte, elle est sans limite, aucune règle ne jugule les élans des hommes qui s’expriment librement. Les sources d’inspiration sont la vie quotidienne, les rêves, les sentiments des soldats. La femme est très présente, souvent représentée (femme masquée 1, parisienne courant pour mon­ter dans son autobus), parfois sous les traits de l’infirmière (l’infirmière, le retour du convalescent, la PCR ou la Poule de la Croix-Rouge). Tout un bestiaire, familier (chien, chat, che­val, taureau, cigale, escargot, coq, grenouille, poussin), exoti­que (éléphant, ours brun ou blanc, girafe) ou fantastique (griffon) fournit des motifs à près de 40 % des insignes connus. Le souvenir de la vie d’avant la guerre et aussi l’espoir de retrouver cette félicité avec le retour de la paix sont à l’origine de dessins (le Fiacre, le Flic, l’autobus). La vie du front et le déroulement de la guerre elle-même alimentent l’imagination des soldats (Alsacienne, cigogne, la Tête de nègre, la Statue de la liberté, le Sioux). Quelques réminiscen­ces de leurs humanités classiques complètent les sources d’inspiration des dessinateurs (discobole, statue antique,

amphores). La mission de la section dicte parfois le choix (la Borne, clé anglaise, roue ailée). Par antiphrase sans doute, le fer à cheval est choisi par une section. Les figures géométriques sont tout autant employées (disque, damier, carré, triangle). Les cartes à jouer et les dés offrent des possi­bilités multiples d’emploi que les chars découvrent à la même époque. Les CRA se dotent d’insignes qui souvent retiennent les couleurs vert et blanc du brassard qui identifie leur per­sonnel. Ce sont là les premières manifestations de règles, non écrites encore, qui régissent la conception des insignes, les premières traces de la symbolique militaire. Des jeux de mots peuvent être à la base d’un insigne (Le Vert blanc) mais aussi le mauvais goût (Le Singe affreux, d’après le nom du chef de groupe, le capitaine de Saint-Chaffray). Les insignes sont ces créations spontanées, révélatrices de l’univers des combat­tants.

            Le retour à la paix rend au commandement toute l’autorité qu’il avait dû concéder aux chefs au plus près des hommes engagés dans les combats. Cette remise en ordre est facilitée par la démobilisation de la plupart des unités en 1919, puis par la dissolution de nombreux corps de troupe à partir de 1923. La fin de la guerre et le retour à la paix doivent s’accompagner de la disparition des insignes peints sur les véhicules. L’organisation d’une exposition à Paris marque la volonté du commandement de faire sortir de l’usage courant ces insignes et l’annonce de leur présentation dans le nouveau musée de la guerre est une élégante façon de les supprimer. Témoignage d’un passé révolu et voué au souvenir d’une guerre définitive (la « der des der »), l’insigne est mort-né.

            L’exposition se tient à la galerie Georges Petit, organi­sée par l’union des arts et sa présidente, Mme Rachel Boyer. « 155 insignes – sur les 600 environ que renferme la collec­tion officielle du Grand Quartier Général -, sont présentés. La plupart des insignes ont été acquis par le musée de la Guerre, pour que s’en perpétue le souvenir » écrit le journaliste Paul Heuzé 2. De fait, certains insignes sont présentés ensuite dans le musée de la Grande Guerre, installé dans le pavillon de la Reine du Château de Vincennes. Le guide du musée, édité en 1931, signale leur présence dans l’escalier qui mène aux salles du premier étage : « A la rampe supérieure de l’escalier, remarquer une frise formée de spécimens des insignes dont étaient ornées les voitures automobiles militaires ». En bonne logique, « sur le mur d’en face, quelques aquarelles repré­sentant des insignes d’avions ».

Pourquoi les insignes apparaissent-ils à Verdun ?  

            Les insignes sont apparus dans ces circonstances parce qu’ils permettent de satisfaire un besoin immédiat, simple et précis tout en donnant une identité aux hommes qui les adop­tent. Depuis l’apparition d’un uniforme de teinte neutre – le bleu horizon – les soldats des différentes armes éprouvent un besoin urgent de s’identifier, de se reconnaître. Les insignes en tissu portés sur le collet des effets satisfont ce besoin dans un premier temps, mais quand l’homme est enfermé dans un engin – char, avion ou camion – une nécessité nouvelle appa-raît et les insignes fleurissent sur ces engins. Ils fleurissent d’autant plus que ce sont des armes jeunes, nouvelles qui ont besoin de s’affirmer pour exister et imposer leur existence.

            La tenue satisfait un besoin d’identité. Elle sert à indi­quer un état – militaire, policier, fonctionnaire, magistrat, ecclésiastique, enseignant, etc., l’appartenance à un groupe organisé – sociétés, associations, confréries, métiers, entrepri­ses, clubs, etc. -, ou encore une circonstance particulière de la vie personnelle – mariage, baptême, deuil, etc. Un vêtement de travail peut devenir tenue reconnue par l’usage : les infirmiè­res dans leurs manifestations revendicatives portent la blouse blanche qui les identifient sans ambiguïté. La mode vesti­mentaire sert à marquer son appartenance à une classe d’âge ou à une tranche de la société. Ces exemples qu’on pourrait multiplier et diversifier mettent en évidence le rôle joué par la tenue dans la vie de la société. Le besoin d’identité est collec­tif et individuel, la tenue étant un signe lancé par celui qui la porte pour indiquer son appartenance à un groupe humain clairement identifié. Ce signe s’adresse de façon symétrique aussi bien à ceux qui en font partie du groupe pour dire la confraternité qui unit les porteurs de la tenue qu’à ceux qui n’y appartiennent pas pour les exclure. Dans l’armée, la tenue répond à ce besoin fondamental. Le militaire affirme son état militaire par le port de l’uniforme, qui le distingue de tous les civils, et en même temps il affirme par ce moyen son identité personnelle : les attributs qu’il porte le définissent clairement aux yeux de qui sait interpréter les signes ; les insignes et les couleurs qu’il arbore le situent au sein de l’armée, indiquent son arme, son unité, son grade, disent assez clairement son histoire personnelle, son passé, son origine.

            La tenue militaire est devenue uniforme quand l’armée est devenue nationale. Quand Louis XIV « nationalise » l’armée, il la dote d’uniformes, mettant à la charge de l’État la fourniture du matériel militaire. L’uniforme est alors coloré pour permettre une identification de l’ami et de l’ennemi sur le champ de bataille, obscurci au moment du combat par l’emploi de la poudre noire qui dégage de grandes quantités de fumée en se consumant. La tactique impose l’emploi des unités en masses compactes bien repérées.

            Cette situation dure jusqu’à l’invention de la poudre sans fumée (poudre B) mise au point par l’ingénieur des pou­dres et salpêtres en 1886, à Vincennes. Le tir ne crée plus dès lors de nuées sombres. Les conséquences sont immédiates sur la tactique d’une part et sur l’uniforme d’autre part. Désor­mais, les troupes doivent chercher à se disperser sur le champ de bataille pour tenter d’échapper aux vues de l’ennemi. Elles doivent pour la même raison se faire discrète et ne plus se montrer ostensiblement, avant d’avoir recours au camouflage.

            Les uniformes de teinte neutre font leur apparition. Toutes les nations qui comptent sur la scène internationale de l’époque, toutes celles qui entendent y jouer un rôle abandon­nent leurs uniformes colorés. Les Britanniques en 1902 et les Américains en 1903 adoptent le kaki, les Allemands le feldgrau en 1907, les Russes le vert en 1907, les Italiens le gris-vert en 1909, etc. La plupart des pays d’Europe suit ce mouvement. Les Français gardent leurs uniformes anciens et n’en changent pas.

            Ils sont pourtant à l’origine de l’invention qui a poussé les armées à adopter des uniformes de teinte neutre. Ils sont avertis de la mise en service de ces nouveaux uniformes par les attachés militaires en poste à l’étranger qui fidèlement rendent compte des changements intervenus. Les archives du Service historique renferment les témoignages de leur activité de renseignements. La série MR (mémoires et reconnaissan­ces) contient les documents publiés par les pays qui ne font pas mystère de leur décision. Les nouveaux uniformes sont décrits et étudiés, des morceaux de tissu sont même joints aux notices, comme par exemple dans les cartons contenant les archives de l’attaché militaire près l’ambassade de France à Rome. La presse spécialisée en rend compte fidèlement. Les revues militaires étudient l’évolution des uniformes dans les armées étrangères. La Revue d’infanterie, par exemple, publie dans chacun de ses numéros entre juillet 1913 et juillet 1914 une étude du commandant Bertrand intitulée : Le fantassin en campagne dans les principales armées. En 1902, le comman­dant Lavisse publie Sac au dos, un ouvrage dans lequel il fait une étude comparative des différentes armées européennes, sur deux questions : l’allégement du fantassin et la visibilité des uniformes. Il ressort nettement des expériences effectuées sous la forme de tirs à différentes distances sur des cibles tendues de tissu des diverses nuances qui habillent les armées observées que la couleur bleu foncé qui vêt l’infanterie fran­çaise est la plus visible.

            Le constat est fait sans ambiguïté et la conclusion s’impose d’elle-même. Les uniformes français doivent être changés sans tarder. En fait ils ne le sont pas ! Les raisons de ce refus de s’adapter aux exigences du combat moderne tien­nent à l’histoire de la IIIe République et à son origine, ainsi qu’aux règles qui régissent son fonctionnement.  

            La défaite de 1870 a entraîné la chute de l’Empire et l’instauration de la République. Cette dernière s’est construite en rejetant les causes de la défaite sur l’Empire qui est accusé de n’avoir pas su préparer l’armée française à vaincre, de ne lui avoir pas donner les moyens de battre l’Allemagne alors que le peuple français est vaillant. Le courage malheureux des soldats est célébré, notamment par l’art. La peinture présentée dans les salons officiels fait une très large place aux sujets militaires qui retracent la guerre de 1870-1871. Une part importante de l’œuvre d’Édouard de Neuville, par exemple, est consacrée à cette guerre. Des monuments aux morts dédiés aux mobiles, notamment dans la région parisienne et sur la Loire exaltent le sacrifice de la Nation en armes levée contre l’envahisseur.

            A partir de 1871, les manifestations patriotiques visent à entretenir la Nation dans le sentiment de la revanche que la France devra prendre sur l’Allemagne en récupérant ses pro­vinces perdues. La défaite sera effacée par la victoire. L’armée s’y prépare. Le moyen le plus patent de parvenir au but pour­suivi sera de remporter la victoire dans la tenue portée lors de la défaite. L’uniforme sera alors lavé de la souillure de la défaite. Le soldat est figé dans sa tenue de 1870. Il n’est pas question d’en changer en dépit des nécessités nouvelles. Tou­tes les tentatives d’esprits clairvoyants sont combattues au nom du maintien d’un passé figé, sacralisé. « J’ai tenu à protester en faveur du légendaire pantalon garance que les soldats de France n’ont pas toujours porté, mais qui est devenu la caractéristique même de notre soldat moderne, l’uniforme consacré par la gloire, et je dirai sacré par la défaite 3» lit-on dans la presse. Les débats à la Chambre des députés se font l’écho de cette pensée. Le ministre de la Guerre, Estienne, venu devant la commission de l’armée justi­fier ses demandes de crédits, s’écrit : « Supprimer le pantalon rouge ? Non ! Le pantalon rouge, c’est la France ! ».

            Les raisons d’ordre psychologique ne sont pas les seules à empêcher le changement de l’uniforme. Le processus de prise de décision dans ce domaine s’y ajoute.

            Jusqu’à la fin du Second Empire, le choix de l’uniforme avait toujours été une prérogative du souverain ou du ministre de la Guerre. Napoléon III avait, en moins de vingt ans de règne, donné quatre uniformes différents à l’infanterie (1855, 1858, 1860, 1867). Les hommes au pouvoir après 1871 sont conscients du coût de telles pratiques pour le budget de l’État. En élus attentifs à ménager les finances publiques alimentées par l’impôt, ils veulent s’assurer que toute dépense inutile est évitée. Cette sagesse doit aussi leur valoir la reconnaissance des contribuables et leur ménager les suffrages des électeurs. Les parlementaires se donnent le pou­voir de légiférer en la matière. L’article 10 de la loi de 1873 relative à l’organisation de la nouvelle armée, voté lors de la séance du 16 mai adopte la disposition suivante au sujet des uniformes : « Il n’en peut être créé de nouveaux, ni apporté de changements dans la constitution normale de ceux qui exis­tent, dans leur équipement et uniformes, si ce n’est partielle­ment et à titre d’essai, qu’en vertu d’une loi ». Il faut donc une loi pour que soit adopté un nouvel uniforme. Le ministre de la Guerre qui veut entreprendre une réforme doit disposer d’une durée de vie ministérielle suffisante 4 pour concevoir et faire étudier un projet avant de le faire adopter par les deux Chambres. Dans la pratique, il faut beaucoup de courage à un homme politique pour se lancer dans une telle aventure. Les obstacles à vaincre les font tous reculer sauf un. Maurice Berteaux, qui est bien près de réussir en 1912. Le malencon­treux accident dans lequel il est tué anéantit avec lui son projet de tenue réséda. Son successeur fait mine de poursuivre son œuvre mais en confiant à deux peintres, Édouard Detaille et Georges Scott, le soin d’étudier les nouveaux uniformes, il est sûr de faire capoter le projet tant leur volonté de raviver les fastes du Premier Empire va à l’encontre du besoin et provo­que un rejet unanime. C’est ce qui ne manque pas de se pro­duire. C’est ainsi qu’en 1914, avec l’assentiment général de l’opinion publique et le soutien presque unanime des jour­naux, favorables au maintien des uniformes colorés, l’armée française porte une tenue qui dans beaucoup de ses aspects est celle de 1870.

            Les premières semaines de guerre de 1914 sont catas­trophiques, les pertes immenses. La défaite est évitée de jus­tesse. Les raisons de l’échec sont multiples. Le reproche fait à l’uniforme d’être trop voyant cache mal les autres faiblesses de l’armée française sur lesquelles on se montre plus discret en public. La tactique et les moyens sont déficients. Néan­moins, l’uniforme rendu responsable de tous les maux est l’objet de toutes les critiques. Des mesures sont immédiate­ment prises par le général Joffre pour diminuer la visibilité du pantalon rouge notamment. Ce dernier est maintenant vili­pendé avec autant de virulence qu’il avait été défendu précé­demment. Il est décidé d’adopter enfin un uniforme de teinte neutre. Le choix de Joffre se porte sur le kaki mais la France n’en fabrique pas et la Grande-Bretagne ne peut lui venir en aide alors qu’elle doit équiper de nombreux contingents four­nis aussi bien par la conscription nouvellement adoptée que par ses colonies associées à son effort de guerre. En désespoir de cause, la solution retenue est le drap tricolore.

            Devant la menace de guerre, les parlementaires avaient fini par adopter en juillet 1914 un uniforme de teinte neutre. Le nom retenu, s’il témoigne de l’esprit dans lequel sont les parlementaires à la veille de la guerre et de leur refus de sortir d’une logique colorée, s’explique par le mélange des laines employées pour le tisser : 60 % de laine blanche, 30 % de laine bleue, 10 % de laine rouge. La couleur obtenue est un gris-bleu à nuance violette. Le projet n’aboutit cependant pas car la teinture rouge manque. En effet, depuis la déclaration de guerre, la France n’en dispose plus. La teinture utilisée était l’alizarine synthétique importée d’Allemagne, depuis que la garance, plante tinctoriale traditionnelle, avait cessé de fournir la matière nécessaire. La plante n’était plus produite en quan­tité suffisante pour les besoins de l’intendance. Le ministère de l’Agriculture enregistrait la production de 81 quintaux en 1881 ; pour 1882 il notait qu’il n’en était plus question et l’année suivante, il signalait que « cette culture a complète­ment disparu ». Le fantomatique groupe de pression des garanciers accusés d’avoir imposé le maintien du pantalon rouge pour conserver des débouchés à leur production est une légende tenace que l’on propage encore parfois 5. Le pantalon si français que défendaient les tenants de l’immobilisme était en fait teint d’un produit allemand ! Les seules laines blanches et bleues disponibles donnent un drap bleu clair (nom offi­ciellement adopté par la décision du 25 novembre 1914) que l’histoire a retenu sous le nom de bleu horizon depuis qu’un journaliste de L’Illustration a évoqué « un nouveau manteau gris-bleu, dit couleur d’horizon 6».

            Les uniformes colorés permettaient, au premier coup d’oeil, de faire la différence entre un hussard et un chasseur à pied, un artilleur et un cuirassier. Le soldat entré en guerre dans ses uniformes du XIXe siècle est soudain anonyme. Le changement brutal de tenue impose la mise en place d’un jeu de signes permettant d’identifier les armes et les subdivisions d’armes. La notice provisoire du 9 décembre 1914 sur les nouveaux uniformes qui généralise l’emploi du drap bleu clair introduit des pattes de collet dans ce but. La tradition impose le choix de couleurs et d’attributs entérinés par l’usage, avec quelques adaptations nécessaires pour répondre à une grande demande immédiate, avec un jeu limité de possibilités. La couleur du fond des écussons indique l’arme d’appartenance et les soutaches et numéros d’une nuance autre précisent la subdivision d’arme. La présence des soutaches indique une arme combattante, leur absence un service. Ce système, qui est resté en vigueur jusqu’en 1990 quand a été adoptée la tenue terre de France, est bientôt assimilé et donne satisfac­tion, au moins par défaut.

            Quand les hommes se retrouvent à bord d’engins, le besoin d’identité se manifeste à nouveau. C’est là que les insignes apparaissent. A Verdun, au printemps 1916, les conditions sont réunies pour cette apparition. La beauté des tenues, leur ancienneté, leur conformité à la tradition, la per­manence des modèles et des couleurs leur avaient donné un côté presque intangible que les nouveaux uniformes ont anéanti. S’il est possible de changer aussi radicalement les uniformes que personne jusque-là ne s’avisait de modifier ni même envisageait d’adapter à des considérations locales ou du moment, il est possible de s’affranchir d’un interdit incon­scient. Le règlement de discipline générale en son article 26 a beau dire jusqu’à la Seconde Guerre mondiale que « les bre­loques apparentes sont interdites », les insignes fleurissent sur les uniformes.

            Les insignes de poitrine sont nés en même temps et pour les mêmes raisons que les insignes peints. Si les Français adoptent les insignes au cours de l’année 1916, ils ne sont pas les premiers sur ce terrain. Les Russes portent des insignes métalliques dès avant la Première Guerre mondiale, insignes de corps et insignes d’école que les officiers arborent pour rappeler l’académie militaire où ils ont été formés. Les Bri­tanniques entrent en guerre avec des insignes dont le dessin souvent remonte au moins au Premier Empire, au temps des plaques de shakos.

            Les insignes de poitrine sont apparus dans des unités à tradition forte comme les chasseurs à pied – certains bataillons sont dotés d’un insigne dès 1916 ou 1917 – ou dans les armes de création récente – aviation, chars de combat, service auto­mobile – qui ne négligent rien de ce qui peut les aider à se forger un esprit de corps. Au printemps 1917, l’artillerie spé­ciale en cours de formation se dote d’un attribut commun à toutes les formations. Il s’agit de la salamandre, insigne à la fois de subdivision d’arme et de spécialité, marque d’appartenance à une formation mais aussi signe apparent d’une qualification reconnue. Ce n’est sans doute pas le pre­mier insigne à se présenter comme une broche, mais il est le premier à être d’emploi généralisé, bien qu’il ne soit pas offi­ciel. Le général Estienne, le commandant des chars, le consi­dère comme un « bijou de fantaisie » et lui préfère un attribut tissé – un heaume de profil sur deux canons posés en croix – dont il rend le port réglementaire par l’ordre général n° 1 du 3 septembre 1917. Au même moment, l’insigne du train auto­mobile se dessine peu à peu. C’est d’abord une roue de camion – référence à la Fortune souvent représentée dressée sur la roue et portant une corne d’abondance, par analogie à la mission du service automobile livrant les approvisionne­ments – à laquelle sont ajoutées des ailes. La roue se trans­forme peu à peu en couronne d’engrenage, symbole de la motorisation. L’insigne du train est officialisé par circulaire ministérielle du 28 mai 1931 pour les plateaux du ceinturon de grande tenue des officiers, puis la note n° 72 du 12 novembre 1939 de l’inspection générale du train l’impose comme base distinctive des insignes à créer. Cette décision est confirmée en 1940 pour les unités de l’armée d’armistice. Il figure toujours sur les bérets et depuis 1990 sur les fourreaux d’épaule des trainglots.

L’officialisation des insignes  

            Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il est tenté de revenir à la règle ancienne. Le 23 septembre 1920, une circulaire détermine les dispositions à observer pour les « vignettes distinctives » des véhicules automobiles de l’artillerie et du train des équipages. Le 29 juillet 1921, une seconde décision introduit des restrictions : « Les vignettes dont il s’agit seront maintenues provisoirement et seulement sur les véhicules du service automobile, en raison de l’utilité qu’elles peuvent présenter pour la police de la circulation (…). Toutefois, certains sujets de vignettes tolérés pendant la campagne devant être évités en temps de paix, les sujets choi­sis par les chefs de corps ou de service seront, au préalable, soumis au ministre (cabinet) (…). Les vignettes figurant sur les voitures hippomobiles de toute nature seront effacées ». Cette mesure est de peu effet. Une nouvelle fois, le règlement entérine la pratique, quand le 11 janvier 1940 il fixe que les insignes sont « placés sur les flancs du véhicule ». En prati­que, l’insigne est généralement peint sur la portière, ou en arrière des sièges lorsque les véhicules ne comportent pas de portière, ou bien encore placé sur un panneau amovible fixé sur les ridelles de certaines caisses bâchées.

            Dans les années trente, les insignes peints sur les véhi­cules fleurissent aussi vite que les insignes métalliques sur les uniformes. La similitude de dessin entre la vignette peinte sur le véhicule et la broche émaillée de poitrine ancre l’insigne dans la tradition du corps et en fait un élément d’identité.

            En 1935 7 est institué un attribut commun aux unités des troupes motorisées à porter sous la forme d’une broche accrochée à l’uniforme. C’est un premier pas officiel vers l’adoption des insignes. La circulaire ministérielle 8 du 23 novembre 1937 dispose que « tout nouvel insigne sera doré­navant soumis à l’approbation du commandant de région militaire ». C’est admettre l’existence et tolérer implicitement le port des insignes d’unités. Pendant ce temps, la direction de la cavalerie tente de codifier les insignes pour tous les régi­ments de l’arme. Elle confie au chef d’escadrons Brachmann le soin d’établir un projet qui ne voit pas le jour en raison de tous les attributs royaux et impériaux apparaissant sur les des­sins proposés en référence à l’origine et au passé de ces corps. Le projet est ajourné ; en fait il est enterré.

            La circulaire 9 du 25 juillet 1938 précise les règles. « Les insignes distinctifs métalliques » sont réservés aux corps de troupe, avec quelques exceptions, en particulier pour les troupes dites indigènes. Il est interdit de porter plus de deux insignes métalliques. Toute création nouvelle est à soumettre au chef d’état-major de l’armée par l’intermédiaire de la direction d’arme ou service concerné, ce qui revient à retirer au commandement régional le pouvoir de décider en la matière. Les insignes déjà réalisés peuvent être vendus et portés sous réserve de respecter la limite fixée du nombre d’insignes portés. En 1940 10, le commandant en chef sur le front du Nord-Est rappelle que les projets doivent être soumis au 3e bureau de l’état-major de l’armée et que quatre exem­plaires des insignes réalisés doivent lui être fournis. Cette dis­position est confirmée en 1945 11 mais limite à deux le nombre d’exemplaires à fournir. Les textes de 1938 et 1940 préfigu­rent l’homologation et la constitution d’une collection offi­cielle annoncée dès 1919.

            La mode des insignes de poitrine se développe égale­ment parce qu’il est possible alors de les faire réaliser et de les acquérir à un prix abordable. Un fabricant niçois, Drago, met sur le marché des insignes émaillés qui restent parmi les plus beaux jamais fabriqués. Il fait connaître ses réalisations par des procédés encore peu fréquents. Le numéro du 15 juillet 1939 de L’Illustration présente en double page centrale les insignes qu’il a réalisés pour les unités qui, la veille, ont défilé sur les Champs-Élysées. La mobilisation quelques semaines plus tard entraîne la mise sur pied de nombreuses unités de réserve qui trouvent dans l’insigne un moyen commode et rapide de se donner un symbole commun. La demande est telle pendant la drôle de guerre que les fabricants habituels de médailles et broches et les émailleurs ne peuvent faire face. De petits ateliers se lancent dans la fabrication. L’armistice ne met pas fin aux projets qui n’ont pas abouti et les amicales régimentaires prennent le relais des corps dissous. C’est ainsi, par exemple, que l’insigne de la 4e division cuirassée du géné­ral de Gaulle est livré à l’amicale des anciens en 1941.

            La Seconde Guerre mondiale voit naître de nombreux insignes, en particulier pendant la drôle de guerre et la Libé­ration. Ne pouvant plus juguler le phénomène, le commande­ment reconnaît l’existence des insignes. Le 3e bureau de l’état-major demande au Service historique de l’armée de Terre de lui fournir les avis dont il a besoin pour prendre ses décisions. Le Service historique crée en juin 1945 le bureau d’études de la symbolique militaire mais demande que la décision soit de son ressort exclusif, ne voulant pas être un simple donneur d’avis. Satisfaction lui est donnée en 1948. Le bureau de la symbolique militaire est, à partir de 1951, rattaché directe­ment au cabinet du ministre de la Défense nationale, pour traiter des insignes de l’ensemble des armées. Les résultats ne sont pas satisfaisants et le 1er septembre 1955, le bureau rega­gne le sein du Service historique qui détient les archives, base de l’étude des insignes. Cependant le pouvoir d’homologuer les insignes est donné à un officier général placé à la tête du bureau d’études. Ce n’est qu’en 1960 que le pouvoir d’homo-logation est donné aux chefs des différents chefs des services historiques. En 1961, le bureau d’études devient section sym­bolique. Aujourd’hui chaque service historique, Terre, Marine, Air, Gendarmerie, comporte une section symbolique chargée, entre autres, de ces questions, les services communs étant du ressort de l’armée de Terre.

Le marquage des véhicules  

            L’histoire des insignes peints ne s’est pas arrêtée avec la fin de la Première Guerre mondiale et les années qui l’ont suivie immédiatement. En 1939, les véhicules portent souvent encore ces insignes mais aussi diverses marques d’identifi-cation. Les symboles d’arme voisinent avec les insignes d’unités élémentaires.

            Les symboles d’arme sont créés par circulaire du 11 janvier 1940, afin de permettre l’identification de l’arme d’appartenance au premier coup d’oeil. Des « figures géomé­triques simples, de couleurs différentes incluses dans des car­rés blancs de 20 cm de côté » sont peintes « à l’avant du véhi­cule ». Six symboles, de 15 cm sur 10 cm, sont retenus : un rectangle jaune pour l’infanterie, un losange bleu pour la cavalerie, un triangle rouge pour l’artillerie, un ovale brun pour le génie, un cercle vert pour le train, une étoile à six pointes orange pour les forces aériennes.

            Les unités élémentaires sont identifiées par la couleur d’un des éléments de l’insigne de corps. Selon la circulaire du 11 mars 1937, les insignes à peindre sur les véhicules du train automobile apparaissent en bistre sur un fond obligatoirement blanc, au centre d’une roue dentée à vingt dents, de couleur bleu ciel (compagnie hors rang), brun (1ère compagnie), bleu foncé (2e compagnie), vermillon (3e compagnie) et jonquille (4e compagnie).

            Au sein des unités élémentaires, d’autres insignes permettent d’identifier les petites formations. Dans les com­pagnies de chars de combat, le système des quatre as (pique, coeur, carreau, trèfle, dans l’ordre du jeu de bridge) est employé de manière réglementaire pour désigner les sections. La cavalerie utilise parfois ce système pour identifier les pelotons d’un escadron. L’artillerie y a quelque fois recours. Il se rencontre plus rarement dans le train automobile qui utilise plutôt, pour l’identification de ses plus petites unités élémen­taires, voire de chaque véhicule, divers systèmes numériques.

            A partir de 1943, l’armée française adopte le système américain d’identification des unités, qui englobe tous les besoins et toutes les circonstances, servant aussi bien pour la circulation routière que pour l’embarquement à bord des navi­res. Les marques peintes apparaissent sur les véhicules et les matériels ou les sacs à paquetage. Un jeu complet de signes de couleurs différentes permet de désigner très précisément les plus petites unités. Le système est si complexe qu’on peut douter de son efficacité et qu’à l’heure actuelle seulement il livre ses secrets à de rares spécialistes. C’est sans doute pour­quoi les grandes unités françaises emploient des marques peintes qui reprennent les traits essentiels de leurs insignes métalliques. Les trois croissants tricolores de la 3e division d’infanterie algérienne peints au pochoir directement sur la carrosserie des véhicules ou sur les pancartes directrices répondent plus sûrement et plus efficacement aux nécessités de l’heure que les barres de couleurs variées d’emploi officiel.

            Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les marques peintes sont réduites à des idéogrammes d’un gra­phisme normalisé simple mis en vigueur au sein de l’OTAN, sur le modèle américain. Ces dessins géométriques peints en blanc sur fond noir désignent aussi bien les plus grandes uni­tés que les plus petites. Les insignes peints n’ont cependant pas totalement disparu des véhicules, ils sont parfois encore présents pour des raisons de promotion des armées. Dans les actions extérieures, surtout celles à caractère humanitaire ou celles conduites sous l’égide d’organisations internationales, ce sont les couleurs nationales qui sont employées.

Aujourd’hui  

            Les insignes font partie de la vie quotidienne des corps. C’est souvent la marque distinctive unique d’un régi­ment qui figure sous tout document qu’il émet. Il sert à l’identifier. Certains de ces insignes ont acquis une telle per­sonnalité qu’ils sont désignés par un nom, comme au temps de leur origine. Les dragons parachutistes du 13e régiment parlent de L’Impératrice pour désigner leur insigne. L’homologation des insignes assure la pérennité des modèles et sert en fait à en protéger la création originale. C’est la raison pour laquelle près de 200 insignes, dont une large majorité au profit des promotions d’élèves des écoles militaires, sont homologués chaque année par la section symbolique de l’armée de Terre.

            Mais aujourd’hui l’emploi des insignes de corps ne satisfait plus entièrement les besoins. La demande est forte pour l’adoption d’insignes par les unités de rang inférieur au régiment. De nombreux insignes non officiels voient le jour chaque année, notamment au cours des opérations extérieures. Le processus de leur création est identique à celui de leurs devanciers au cours de la Première Guerre mondiale. Pour l’instant, aucune homologation n’est envisagée, mais il n’est pas interdit de penser que cette situation évolue vers la régula­risation d’une situation de fait, ne serait-ce que pour éviter les débordements.

            La collection officielle dont la constitution est envisa­gée dès 1919 existe réellement. Chaque service historique en détient une des insignes de son armée. Le musée de la symbo­lique militaire de l’armée de Terre, en voie d’achèvement, est ouvert au public dans sa nouvelle présentation depuis 1994. Il a vocation à montrer tous les insignes qui ont été portés depuis la Première Guerre mondiale. Il ne manque pas de faire référence aux vignettes peintes sur les camions qui roulaient sur la Voie sacrée. Ces dessins ne furent pas des créations sans lendemain. Le 1er régiment du train, qui assure le soutien de l’administration centrale et de l’état-major de l’armée de Terre, porte un insigne inchangé, au moins dans son motif sinon dans son dessin, du Petit Poucet que le 19e escadron du train des équipages, qui accomplissait alors la même mission, s’était choisi !

Références bibliographiques :

François Vauvillier, Jean-Michel Touraine, L’automobile sous l’uniforme, 1939-1940, Éditions Ch. Massin, 1992.

Louis Delpérier, L’habillement et l’équipement du soldat français, 1871-1914. Thèse pour le doctorat de 3e cycle pré­sentée à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 1983.

Jean de Lassalle (commissaire-colonel), La symbolique mili-taire, 2e édition, réservée aux membres de la Société d’études historiques Symboles et traditions.

Alain Huyon (colonel) et Jean-Claude Mourot (capitaine), Les insignes du train., Service historique de l’armée de Terre, 1988.

* Lieutenant-colonel, chef de la Division des traditions du Service historique de l’armée de Terre

1 Quand le nom d’une section est connu, il est transcrit en italiques. Les autres noms sont des descriptions sommaires des insignes, sans préjuger du nom employé à l’époque.

2 « L’automobile dans la guerre », L’Illustration, n° 3 961, 1er février 1919.

3 L’Illustration, n° 2459, 12 avril 1890.

4 44 ministres de la Guerre se succèdent en 44 ans entre 1871 et 1914.

5 C’est une illustration parfaite du rôle du bouc-émissaire dans une société qui se sent menacée.

6 N° du 16 janvier 1916.

7 Modificatif du 10 octobre au bulletin officiel, édition méthodique n° 105.1.

8 Circulaire ministérielle n° 11416.1/EMA

9 Circulaire ministérielle n° 6662.1/EMA

10 Note n° 11768-1/NE du 23 avril 1940.

11 Circulaire ministérielle n° 1766/EMA/H du 25 août 1945.

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