Préface

L’ouvrage de John Warden, paru sous le titre original de The Air Campaign – Planning for Combat, est le fruit de la réflexion d’un homme de terrain. Elle est celle d’un militaire que la défaite du Viêt-nam a laissé frustré, convaincu qu’il était que la cause en revenait à l’absence de clarté dans la définition des buts politiques du conflit, et à la cohérence approximative des opérations militaires menées pour leur aboutissement. Cette caractéristique essentielle ne doit jamais être oubliée si l’on prétend vouloir prendre toute la mesure de la pensée de l’auteur. Stagiaire à l’École de guerre en 1985, Warden s’était fixé comme objectif, lors de cette pause dans la carrière opérationnelle du pilote de combat1 qu’il était alors, de courir le Marathon et d’écrire un livre. De cette dernière résolution, il nous reste The Air Campaign, écrit en six mois pendant le temps resté disponible entre les conférences au National War College. L’ouvrage fut finalement publié en 1988 après que John Warden eut terminé son temps de commandement d’escadre de chasse à Bitburg en Allemagne.

Alors que la pensée américaine en matière d’utilisation stratégique de l’arme aérienne était envisagée surtout jusque-là dans le champ économique (annihilation des capacités industrielles adverses), John Warden l’envisage d’emblée dans le champ politique. Il a la conviction que ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler le « fait aérien » – cette combinaison unique de rapidité, d’ubiquité et de puissance dans l’action de l’aviation de combat – doit être appliqué en vue de l’élimination de la capacité décisionnelle au plus haut niveau de l’ennemi. Il reconnaît à ce sujet l’influence du penseur britannique J.F.C. Fuller dont l’ouvrage La stratégie d’Alexandre le Grand finit de le convaincre du bien-fondé d’une recherche de la paralysie stratégique de l’adversaire par sa lobotomie. Il prend dès lors la décision de consacrer son livre à l’évocation du génie d’Alexandre le Grand dans la perspective d’une utilisation stratégique de l’aviation de combat. Cependant, sur les conseils de ses professeurs, il s’oriente vers un travail moins historique et plus stratégique qui débouche sur ce qui va devenir The Air Campaign, un ouvrage traduisant en termes opératifs des buts de guerre relevant de stratégie générale. Naturellement, le pilote de combat qu’il est accorde dans ce schéma intellectuel une place prééminente à l’arme aérienne. Après avoir évalué l’accueil réservé à ses écrits auprès de quelques personnalités influentes de l’US Air Force, le colonel Warden prend la décision de publier sa thèse.

Warden pousse sa réflexion un peu plus loin dès la parution du livre. Alors qu’il y articule sa pensée autour de deux principes – l’exigence absolue de la supériorité aérienne, même locale, d’une part et l’attaque des très clausewitziens centres de gravité de l’ennemi par l’aviation d’autre part -, il cherche un moyen simple de la synthétiser. Cette démarche débouche sur la modélisation de l’ennemi considéré comme un système organisé en cinq anneaux concentriques. Leur importance, à la fois stratégique et en valeur numérique, de constituants internes va en augmentant vers l’extérieur. Leur vulnérabilité, quant à elle, évolue à l’inverse : forte au centre, plus faible à l’extérieur, principalement en raison de leur redondance en constituants internes. Pour lui, toute entité stratégique peut se concevoir selon ce modèle. Il identifie comme telle toute organisation autonome dans sa pensée et son action ce qui fait par exemple d’un cartel de drogue une entité stratégique, tandis qu’une armée adverse ne pourra prétendre à cette appellation.

Pour illustrer son modèle, Warden cite le cas des forces de l’Axe lors de la seconde guerre mondiale : le IIIe Reich ne pouvait s’en prendre qu’aux quatrième et cinquième anneaux du système allié en raison d’une déficience prononcée en termes de capacité de bombardement à longue distance, tandis que les Japonais n’étaient en mesure d’attaquer que le cinquième anneau du dispositif américain. L’issue du conflit ne faisait dès lors aucun doute et n’était qu’une question de temps, ce que le général De Gaulle avait d’ailleurs bien évoqué dans son appel du 18 juin 1940. Plus tard, après la guerre du Golfe, Warden décrira le cas de l’Irak en 1991 comme celui d’une nation sans perspective de victoire puisqu’étant dans l’incapacité d’atteindre l’un quelconque des anneaux stratégiques de la coalition mise en place face à elle.

Chacun de ces anneaux constitue un ou plusieurs centres de gravité stratégique de l’ennemi à neutraliser selon trois modes opératoires retenus par Warden :

– la coercition ou l’imposition d’un coût de combat trop élevé pour l’ennemi ;

– la recherche d’une paralysie stratégique de l’autre camp par le biais « d’attaques parallèles » des composants des anneaux les plus proches du centre. Il faut entendre par « attaques parallèles » des actions simultanées visant les centres de gravité stratégiques ennemis sur l’ensemble du théâtre des opérations ;

– la destruction du système en partie ou en totalité.

En outre, Warden soutient dans ses travaux que la capacité de combat de l’adversaire peut s’évaluer comme le produit de sa force physique, son « ordre de bataille stratégique » en quelque sorte, et de sa force morale. Si, historiquement, la seconde prenait traditionnellement le pas sur la première, il est convaincu qu’une évolution se dessine depuis le début du XXe siècle qui équilibre les deux valeurs. Warden poursuit en remarquant que, si ce qui relève du domaine physique est par essence quantifiable, tangible, il n’en est pas de même pour ce qui se range dans le champ des « forces morales ». Dès lors, le planificateur d’opérations militaires s’en prendra plus volontiers, avec raison selon Warden, à la partie « palpable » de l’ennemi. Celle-ci suffisamment réduite, elle sera de toute façon, par l’effet multiplicateur du produit, un facteur réducteur de la capacité globale de combat. En poussant le raisonnement à l’extrême, il apparaît clairement, en effet, que le meilleur moral ne pourra rien si la capacité physique est totalement annihilée. La pensée de Warden est donc bien éloignée de celle de Douhet qui envisageait de briser le moral de l’ennemi par des bombardements stratégiques que l’on qualifierait aujourd’hui, dans le jargon stratégique, d’anticités. Douhet y voyait le moyen de « faire rendre grâce » à une nation terrorisée. Warden précise bien à ce sujet que la recherche de l’attrition de la population de l’adversaire n’est non seulement pas souhaitable pour des raisons morales, mais pas non plus efficace comme l’ont prouvé Allemands et Britanniques lors du dernier conflit mondial, et de toute façon très coûteux en termes de moyens et d’énergie mobilisés. Pour autant, depuis des temps immémoriaux, la population d’un pays a constitué un objectif militaire, c’est la raison pour laquelle elle figure dans sa modélisation de l’ennemi. On remarquera qu’elle ne figure cependant qu’en quatrième position dans l’ordre d’importance et de vulnérabilité retenu par Warden.

Ces travaux, postérieurs à la publication de son livre, ne font en réalité que préciser et clarifier la pensée de l’auteur exposée avec toute sa force dans The Air Campaign qui en contient déjà tous les ingrédients.

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En 1988, alors que The Air Campaign est publié, John Warden rejoint à Washington l’état-major de l’US Air Force au bureau des plans où il est responsable des recherches doctrinales et stratégiques. Deux années plus tard, alors que le Koweit est envahi par les forces irakiennes, une cellule de planification y est constituée sous l’appellation de « Checkmate » ou « échec et mat » ; le colonel Warden en est le chef. Il met en application ses principes et se trouve en mesure de proposer très vite au général Schwarzkopf un plan d’attaques aériennes (Instant Thunder) visant, in fine, à contraindre l’Irak à se retirer du Koweit d’une part, et à diminuer notablement ses capacités stratégiques d’autre part. Selon les détracteurs de Warden, l’adhésion du haut commandement national américain à ce plan devra d’ailleurs plus à sa rapidité de conception qu’à sa pertinence. Warden répond que seul le recours à sa modélisation de l’ennemi lui a permis d’établir si rapidement un plan de frappe. La planification conçue par Warden, autour d’attaques ayant pour objet la paralysie stratégique de l’Irak par la neutralisation de ses capacités de commandement et de communication, constituera la première phase, dite stratégique, d’un plan d’ensemble plus vaste en comprenant quatre :

– phase 1 : attaques aériennes stratégiques sur les centres de gravité de l’Irak ;

– phase 2 : acquisition de la suprématie aérienne au dessus du territoire des opérations ;

– phase 3 : préparation du champs de bataille (réduction du potentiel militaire terrestre irakien de 50 %) ;

– phase 4 : soutien aérien de l’offensive terrestre.

Il est, dès lors, légitime d’affirmer, avec Warden lui-même, que la guerre du Golfe constitue « un cas de validation par l’expérience d’une théorie déjà existante ». Quelle validation éclatante, en effet, où 100 heures de combat terrestres auront suffi pour atteindre les buts de guerre fixés grâce à 43 jours d’opérations aériennes ayant réduit l’Irak à un pays privé de son « système nerveux central » et, en conséquence, incapable de la moindre action militaire d’envergure. Pourtant, le plan Warden fut accueilli froidement par certains généraux, dont le général Horner en charge des opérations aériennes au sein de la coalition mise en place. Ce dernier lui reprochait, en particulier, de trop négliger la recherche de l’attrition de l’armée irakienne elle-même. C’est, en fait, la caractéristique plus stratégique que tactique de cette planification qui gênait cet officier. D’autres responsables militaires craignaient que l’attaque de l’Irak en profondeur eût pour conséquence de déclencher une fuite en avant de son armée vers l’Arabie saoudite. Pour autant, même adaptées et aménagées, ce sont les idées de Warden et sa vision de la guerre qui seront au cœur de la conception de l’offensive alliée. Leur justesse, confortée par la réalité, confère à The Air Campaign sa vertu première. Elle est d’ailleurs très probablement imputable, pour une assez large, part à l’expérience opérationnelle de Warden2.

Certes, ces concepts ne sauraient s’appliquer sans prudence à toutes les formes de conflits, mais leur fraîcheur et leur pertinence ont ouvert la voie à une manière nouvelle de planifier l’emploi de l’aviation de combat, ce qui n’est pas sans rappeler l’action de Billy Mitchell dans les années 20, lui aussi en faveur du bombardement stratégique. Ce dernier également se faisait en effet l’avocat d’une recherche de la paralysie stratégique de l’ennemi par le biais de bombardements aériens et écrivait à ce sujet dans son dernier livre Skyways : « Le dispositif militaire ennemi déployé constitue un faux objectif, les véritables objectifs sont ses centres vitaux. La théorie surannée selon laquelle la victoire passe par la destruction de ce dispositif militaire ennemi est désormais sans fondement ». Il existe néanmoins une nuance de fond entre les deux hommes car, si Mitchell (comme Trenchard en Grande-Bretagne) imaginait surtout obtenir la paralysie stratégique de l’ennemi par la destruction de son industrie d’armement, ce qui constitue une approche économique, Warden quant à lui s’inscrit d’emblée dans une perspective politique en visant la capacité décisionnelle de l’ennemi.

Par ailleurs, peut-être n’est-il pas inutile de relever qu’accessoirement, le succès des armes américaines lors de la guerre du Golfe, imputable pour l’essentiel à celui de l’arme aérienne, a permis d’effacer les années d’échec et de doutes des années 70 et 80 et a restauré une assurance perdue. Plus encore, l’Amérique, à la faveur des événements se déroulant en Europe au début des années 90, pouvait, dès lors, se poser en première puissance mondiale incontestée. Une ère d’hégémonisme américain, dont on mesure encore aujourd’hui la vigueur dans bien des domaines, s’ouvrait…

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John Warden, en publiant son livre, précise en avant-propos que celui-ci s’adresse avant tout aux militaires (son éditeur est d’ailleurs le commandement des écoles de l’armée de l’air américaine), et vise donc plus le stratège que le stratégiste. L’auteur n’accorde d’ailleurs lui-même aucune prétention en matière de stratégie générale à ses écrits. La pensée de Warden se situe au niveau opératif et se veut pratique, facilement assimilable, et pouvant aisément être mise en application. Le recours au concept de l’ennemi en tant que système et à sa modélisation selon cinq anneaux concentriques est venu plus tard rendre sa pensée plus facilement appréhendable. C’est encore ici une des qualités du travail de Warden, qui va puiser dans une expérience opérationnelle de pilote de combat longue et riche sa limpidité et sa pertinence. Dans le Traité des grandes opérations militaires, Jomini écrivait, en substance, que, dans l’art de la guerre, il avait de tout temps existé des principes fondamentaux sur lesquels reposait le succès des engagements et que ceux-ci étaient invariables et indépendants du type d’armes utilisées, de l’époque considérée, et de l’endroit où se déroulait l’action. C’est le sens de la démarche de Warden de vouloir les préciser. Dans son livre, ils prennent la forme de la recherche volontariste et prioritaire de la supériorité aérienne et de l’attaque parallèle des centres de gravité de l’ennemi.

Cependant, The Air Campaign ne saurait être considéré comme un recueil de recettes tactiques. Bien au contraire, à travers son ouvrage, Warden cherche à faire évoluer la manière de penser des officiers de son armée. Il a remarqué l’évolution de la pensée navale américaine après la guerre du Viêt-nam qui vit se dessiner une véritable « stratégie navale », élaborée autour de textes fondateurs qui servirent de cadre à l’organisation et à l’entraînement de l’US Navy. Warden apporte, par son livre, sa contribution au renouveau de l’US Air Force. Il estime, en effet, que l’entraînement reçu tend à faire raisonner les militaires américains de l’US Air Force plus en termes tactiques qu’en termes stratégiques. Il regrette cette propension à concevoir un plan d’ensemble en raisonnant du petit vers le grand, ce qu’il considère être une vision tactique des choses, tandis qu’il faudrait décliner des principes généraux, éventuellement jusqu’au niveau du détail, ce qui lui semble être une démarche stratégique. The Air Campaign a pour vocation de fournir les outils nécessaires pour appliquer une telle démarche à la planification des opérations aériennes au niveau d’un théâtre d’opérations.

Là réside la deuxième vertu du livre de Warden qui se veut pratique et enraciné dans de solides vérités historiques. Sa valeur didactique, en particulier pour les officiers destinés à prendre part à des travaux de planification, est incontestable. Dès lors, il ne serait pas incongru d’inscrire les travaux de Warden dans une sorte de vade-mecum de l’officier d’aviation. Ils constituent une sorte de corpus minimal de connaissances stratégiques que ces derniers devraient posséder.

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De tout temps, le stratège a eu le choix entre un mode d’action direct et une approche indirecte. Tandis que la première option se réalise à travers des affrontements militaires violents, la seconde cherche à soumettre la volonté de l’adversaire par des moyens plus subtils. Il y a vingt-cinq siècles, Sun Zi avait clairement expliqué les vertus de la stratégie indirecte dans L’art de la guerre. Il y écrivait notamment : « Remporter cent victoires en cent combats n’est pas ce qu’il y a de mieux, soumettre l’ennemi sans combat est ce qu’il y a de mieux ». À quelques exceptions anglo-saxonnes près, la tradition militaire occidentale, à travers Clausewitz et Jomini, a surtout retenu la stratégie directe comme mode opératoire, les succès des armées napoléoniennes en Europe y ont certainement largement contribué. Warden, quant à lui, en prônant la recherche de la paralysie stratégique de l’ennemi plus que son anéantissement, s’inscrit dans la lignée de Sun Zi. Il conclut d’ailleurs un de ses articles dans l’Air Power Journal par ces quelques lignes, qui ne sont pas sans rappeler celles de Sun Zi citées plus haut : « Le combat n’est pas l’essence de la guerre, ni même un de ses constituants souhaitables. L’essence véritable de la guerre est d’entreprendre ce qui contraindra l’ennemi à accepter nos propres objectifs ». À l’heure où la recherche de l’économie des moyens est plus que jamais d’actualité lorsqu’il s’agit de stratégie militaire, la stratégie opérative de Warden, qui ne vise que les centres de gravité de l’ennemi en rapport avec les buts poursuivis en délaissant les nombreux objectifs purement militaires, prend un intérêt supplémentaire et se montre parfaitement en phase avec son époque. Elle permet, en effet, de limiter les affrontements directs ayant pour objet unique de diminuer le potentiel militaire de l’ennemi en concentrant les efforts sur la recherche de sa « paralysie stratégique ». L’économie des moyens employés, en terme d’attrition notamment, est incontestable. C’est là la troisième vertu de la réflexion du colonel Warden.

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Justesse du concept prouvée par l’expérience, clarté exemplaire d’une réflexion doctrinale qui se veut pratique, actualité d’une stratégie opérative génératrice d’économie des forces, sont les trois vertus essentielles du travail de John Warden dont The Air Campaign rend compte. Elles suffisent à elles seules à fournir trois bonnes raisons de traduire cet ouvrage. Qu’elles rappellent de manière éclatante les capacités uniques de l’aviation de combat n’est pas non plus inutile. L’aviation de combat, près d’un siècle après sa naissance, doit, en effet, être considérée comme une arme aux capacités stratégiques avérées et plus seulement comme une force auxiliaire de soutien. Puisse cette caractéristique en forme de qualité singulière être présente aux cœurs des arbitrages stratégiques que les rigueurs budgétaires ne manqueront pas d’imposer à la nation.

D’aucun argumenteront que la vision de Warden n’est pas suffisamment interactive en ceci qu’elle ne laisse que peu de place à l’action de l’ennemi. Elle leur apparaîtra donc trop théorique et trop éloignée des réalités de la guerre où chacun des protagonistes se voit contraint de réagir à l’action de l’autre, parfois dans ce que Clausewitz appelait le « brouillard de la guerre ». D’autres estimeront que la réflexion de Warden semble bien adaptée à une guerre totale où chacun mobilise toutes ses forces et ses composantes dans l’affrontement, mais la verront inapplicable dans une crise de faible intensité, du type bosniaque par exemple. Pour d’autres, les évolutions qui se dessinent dans la société de l’information qui se met en place, et qui tendent à faire céder du terrain à un processus décisionnel vertical au profit d’une organisation plus horizontale, feront perdre de la vigueur à la vision de Warden visant le centre décisionnel ultime d’un système. Quoi qu’il en soit, le travail de Warden existe, mérite d’être connu et est susceptible d’ouvrir un débat. C’est sans doute là une de ses vertus supplémentaires.

Par ailleurs, le fait que cette traduction française soit éditée dix ans après sa version originale révèle sans doute une certaine pauvreté de la réflexion française dans ce domaine. Cette lacune, qui a tendance à se pérenniser depuis plusieurs années, a été une motivation supplémentaire d’entreprendre la traduction de The Air Campaign. Il reste à souhaiter que la lecture du présent ouvrage stimulera la réflexion stratégique de ceux qui prennent quelque intérêt à l’emploi de l’arme aérienne et les incitera à compléter, voire infirmer, les théories de John Warden.

Philippe Steininger

Notes:

1 John Warden est né en 1943 dans une famille texane. Dès les années 70, il occupe également divers postes d’état-major, notamment au Central Command alors en pleine montée en puissance, et sert auprès du chef d’état-major de son armée à Washington. Il sert notamment au début de sa carrière au Viêt-nam sur OV-10 Bronco, en tant que contrôleur aérien avancé. Il gravit successivement les échelons de la hiérarchie opérationnelle et est affecté à Eglin, en Floride, où il vole sur F-15 Eagle, puis à Moody, en Géorgie, sur F-4 Phantom en tant qu’adjoint au chef des opérations de l’escadre. Dans ces deux unités rattachées à la 9th Air Force, la composante aérienne du Central Command, il organise, dirige et participe à des opérations de projection de puissance à longue distance impliquant de nombreux avions de combat et de soutien. Il prend le commandement, en 1986, du 36e Tactical Fighter Wing à Bitburg en Allemagne.

 

2 Deux mois après la fin des hostilités, le colonel Warden rejoint la Maison Blanche en tant que conseiller spécial du vice-président Quayle où il ne traite d’ailleurs plus de questions militaires. Il est ensuite nommé commandant de l’Air Command and Staff College où il refond le programme d’instruction, mettant l’accent sur l’apprentissage de la planification d’opérations aériennes. Il y termine sa carrière militaire. Il est aujourd’hui président d’une société de conseil en stratégie, qui compte parmi ses clients de grandes entreprises commerciales et des armées de l’air de différents pays, dont plusieurs sont européennes.

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La campagne aérienne

John Warden III

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Le colonel John Warden III a acquis la célébrité en 1991 en tant que planificateur des frappes aériennes contre l’Irak durant l’opération « Tempête du Désert ». Il a mis en œuvre, à cette occasion, une conception qu’il avait mûrie au cours des années précédentes et exposée dans ce livre sur la campagne aérienne. Il s’agit d’un exemple rare de modèle théorique validé par l’expérience dans un délai très bref. John Warden III rompt avec les anciennes théories du bombardement stratégique héritées de Douhet, qui causaient des dégâts immenses sans procurer de résultats décisifs. Il leur substitue une approche fondée sur la recherche des centres de gravité de l’ennemi qu’il s’agit moins de détruire que de frapper en vue de les paralyser avec le minimum de dégâts collatéraux. Cette nouvelle approche résulte évidemment de l’apparition des armes guidées avec précision, mais aussi d’une grille théorique plus fine que celles des théoriciens précédents, et qui fait une large application des concepts de Clausewitz.

Ce livre est devenu un classique. Il le mérite, non seulement parce que le modèle qu’il propose a subi avec succès l’épreuve du combat, mais aussi parce qu’il montre de manière exemplaire comment une théorie rigoureuse permet de tirer le meilleur parti des progrès techniques.

Table des matières

Préface par Philippe Steininger

Avant-propos

La campagne aérienne en perspective

Les niveaux de la guerre

Les deux niveaux de guerre pratiques en Europe occidentale

« Centre de gravité »

Chapitre Premier : Le concept de supériorité aérienne

Généralités sur la suprématie aérienne dans les opérations

La supériorité aérienne, condition sine qua non du succès

Les cinq cas de guerre

Chapitre II : Le choix entre l’offensive et la défensive ou la partie d’échecs

Privilégier la défensive, ou se concentrer sur l’offensive ?

Défensive et chronologie de guerre

Le combat de McArthur en faveur de la supériorité aérienne

Erreurs de jugement

Chapitre III : Les opérations offensives

Scénario idéal

À l’assaut des centres de gravité

L’équipement

La logistique

La géographie

Le personnel

La chaîne de commandement

Doctrine d’emploi de l’arme aérienne

Doctrine allemande

Doctrine américaine

Doctrine syrienne

Chapitre IV : Les opérations défensives

En position d’infériorité

Infliger à l’ennemi des pertes élevées

La concentration des forces

Utilisation des systèmes d’alerte et de contrôle

Chapitre V : Hypothèses d’emploi limité

Les hypothèses d’emploi sont fonction de l’ennemi

« Le rideau de chasseurs »

L’escorte

Chapitre VI : L’interdiction

La retraite

La défense statique face à une offensive ennemie

Les deux protagonistes à l’offensive

L’offensive face à une défense statique

L’action contre un ennemi battant en retraite

L’action face à un ennemi autonome

Chapitre VII : L’appui aérien rapproché

Chapitre VIII : Les réserves

Les réserves peuvent augmenter les chances de réussite

Une sortie non réalisée n’est pas une sortie perdue

Chapitre IX : L’orchestration de la guerre

Il faut identifier les centres de gravité

Chapitre X : Planification d’une campagne aérienne

Les centres de gravité peuvent se trouver hors d’atteinte

Conclusion : La campagne aérienne en rétrospective

Appendice : L’ennemi en tant que système

Index

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Tactique et stratégie navales de la France et du Royaume-Uni, 1690-1815

Michel Depeyre

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L’histoire de la guerre sur mer à l’époque de la marine à voile est d’abord celle d’une pratique. La stratégie et la tactique sont des arts qui s’élaborent de manière empirique. Mais déjà des penseurs essaient de faire la théorie de cet art, de trouver par le raisonnement historique ou logique les moyens de surmonter le blocage engendré par la bataille en ligne.

La France est à la pointe de cette réflexion pendant les xviie et xviiie siècles. Hoste, Bigot de Morogues, Bourdé de La Villehuet, Grenier…, autant de noms de théoriciens aujourd’hui oubliés que cet ouvrage tente d’exhumer. L’angleterre, qui s’affirme durant toute cette période comme la première puissance maritime, n’a pas produit l’équivalent. Clerk of Eldin est un des rares noms à s’illustrer dans le domaine britannique.

C’est aussi à cette époque que la stratégie se dissocie progressivement de la tactique. Ramatuelle esquisse des analyses stratégiques qui ouvrent la voie aux auteurs du xixe siècle.

La connaissance de la pensée navale tactique et stratégique à l’époque moderne apporte une contribution fondamentale à l’histoire de la guerre sur mer. Elle pose aussi le problème fondamental de l’articulation entre la théorie et la pratique, entre la science tactique et stratégique et l’art de la guerre. Problème permanent qui se pose encore aujourd’hui.

Michel Depeyre, agrégé d’histoire, est maître de conférences en Histoire à l’Université de Saint-Étienne. Maître de recherches à l’Institut de Stratégie Comparée, ses travaux portent essentiellement sur la tactique et la stratégie navales des Temps modernes à l’époque contemporaine.

La thèse, dont est issu ce livre, a été couronnée par le prix « Amiral Daveluy » 1996 décerné par le ministère de la Défense.

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Conclusion générale

Dans ce mémoire, nous avons essayé d’analyser la prise de décision des différentes administrations confrontées à la guerre du Viêt-nam. Afin d’atteindre cet objectif, nous avons utilisé comme hypothèse de travail un modèle décisionnel qui s’applique le mieux à la prise de décision. Ce modèle nous a permis de mieux comprendre quel organe dans la prise de décision a une influence et lequel n’en a aucune. Cette approche nous a également autorisé à voir la guerre du Viêt-nam sous un angle différent que celui présenté de manière habituelle.

Si chaque décision suit une certaine logique, de nombreuses erreurs ont été commises dans leur processus d’élaboration. Comme ce mémoire l’a montré, l’approche cognitive (l’endiguement du communisme et la théorie des dominos) est une des raisons majeures de l’engagement américain et ensuite de l’escalade du conflit au Viêt-nam. La perception de l’histoire par les différentes administrations et l’analogie avec Munich a renforcé la politique d’endiguement. Or, cette théorie est le résultat d’une profonde ignorance de l’histoire asiatique et des différences radicales entre nations et sociétés asiatiques.

Toutefois l’approche cognitive n’explique pas seul l’échec de la politique américaine. Une série d’autres erreurs peuvent également être signalées.

Une fois engagé dans le conflit, une série de nouvelles fautes vont être commises. Les présidents en organisant leur présidence, et en particulier l’Exécutif, de la façon dont ils l’ont fait, ont formé un frein important à une prise de décision effective. Les décisions à l’égard du Viêt-nam ont souvent reflété les préférences du président et de ses proches conseillers et ont rarement été la résultante de négociations et de marchandages entre les bureaucraties. Il est à cet égard intéressant de constater jusqu’à quel point les conseillers, et en particulier le Conseiller pour la sécurité nationale, ont eu un poids de plus en plus grand dans le processus de prise de décision par rapport aux organisations traditionnelles des différents départements. Cette prééminence, cependant, ne s’est pas traduite en de meilleurs prises de décision et en un processus amélioré de considérations des options. Aussi, les différentes administrations ont été incapables d’organiser les échelons supérieurs du pouvoir exécutif pour qu’ils soient en mesure de faire face efficacement à toute la gamme complexe des problèmes politiques et militaires. A notre sens c’est à ce niveau-là que les leçons les plus importantes de la guerre du Viêt-nam se situent.

L’art de gouverner requiert la capacité de jugement, la connaissance des affaires étrangères, le calcul de l’intérêt national, l’équilibre entre l ‘engagement et la puissance effective et une structure décisionnelle effective. Quelque chose qui fait gravement défaut au moment de la prise de décision.

En outre, le principe du feed-back ne fonctionne pas ou peu et cela pour deux raisons. D’une part, le fossé entre les hommes de terrain et l’administration est à certains moments énorme. D’autre part, les conseillers n’ont pas ou peu de relations avec leurs départements. Par conséquent chaque agence, département fait à sa guise.

Ainsi, durant la guerre du Viêt-nam les différents présidents ne parviennent pas à éviter le danger de recourir de manière prématurée à des règles décisionnelles communes, comme l’analogie avec le passé, le compromis au sein de l’Exécutif, un modèle décisionnel fermé, … Dès le départ ces administrations se détournent de la possibilité de bénéficier d’un choix d’analyse plus large.

La plupart des présidents veulent appliquer un modèle rationnel (au sens strict) de la prise de décision alors que ce modèle n’est efficace qu’au moment d’une crise de courte durée. Plus une crise est longue, plus le nombre de variables influençant la prise de décision s’accroît, plus il faut en tenir compte. Aussi, les différentes administrations ne comprennent pas que le temps leur est mesuré. Par conséquent, à un certain moment l’opinion publique, les médias et autres vont également exercer leur influence dans la prise de décision.

Or les différentes administrations et en particulier l’administration Johnson, appliquant un modèle rationnel, vont être prises au dépourvu. Durant toute cette période de l’engagement américain, la Maison Blanche ne parvient pas à amener le peuple américain à peser le pour et le contre d’un engagement militaire, ni à expliquer pourquoi et comment la politique au Viêt-nam est menée. Elle néglige totalement de préparer l’opinion publique à comprendre les événements complexes de cette guerre. Une puissance totalitaire peut forcer sa population à combattre indéfiniment. Une démocratie par contre se bat tant que l’opinion publique soutient la guerre et ne supporter pas le conflit qui se traîne sans signes tangibles de progrès.

Aussi, si le degré de soutien requis varie en fonction des actions et décisions présidentielles, tout comme du jugement personnel du président du degré de consensus dont il nécessite, l’objectif est d’éviter une tension entre la qualité d’une décision et son acceptation. Ainsi, la prise de décision , qui n’est pas une prise de décision de crise, doit toujours se faire en fonction d’un consensus suffisant au sein de l’administration, du Congrès et de l’opinion publique. Dans le cas contraire, les effets néfastes de la décision ne se font pas attendre. De manière similaire, le président au moment de la prise de décision doit être sensible à un usage effectif des ressources disponibles. Ce qui n’a pas non plus été le cas durant le conflit vietnamien.

Aussi, l’enseignement principal que nous pouvons tirer des différentes adaptations du modèle décisionnel Sui Generis (cfr. tableau page suivante) est que de tous les systèmes décisionnels, celui d’Eisenhower est celui qui théoriquement, en tenant compte des dilemmes permet la meilleure prise de décision. C’est un modèle ouvert au débat, penchant vers le modèle rationnel, tout en tenant compte des variables subjectives, de l’opinion publique et du Congrès. Une restriction de taille de ce modèle est la trop grande influence dans la prise de décision de l’approche cognitive.

Le Viêt-nam se caractérise également par un conflit important entre les différentes bureaucraties des agences et départements qui veulent prouver que la voie qu’ils préconisent est la bonne. La CIA voulait prouver que son programme de pacification fonctionnerait, le département d’Etat qu’il pouvait faire du Viêt-nam du Sud un pays politiquement stable, le département de la Défense que la politique de guerre limitée porterait ses fruits, les militaires, soutenus par le complexe militaro-industriel que leur matériel était le meilleur et le plus approprié,…

En outre, face à un ennemi résolu, les dirigeants américains ne croient pas nécessaire de créer un commandement unifié, laissant libre champ aux querelles entre les différentes branches de l’armée. Ils ne savent également pas reconnaître les limites de l’équipement de haute technologie, des forces et des doctrines militaires modernes, quand il s’agit d’affronter des mouvements populaires non conventionnels et extrêmement motivés.

Par conséquent, nous rejoignons le point de vue de Carl von Clausewitz : « Since war is not an act of senseless passion but is controlled by its political object, the value of this object must determine the sacrifices to be made for it magnitude and also in duration. Once the expenditure of effort exceeds the value of the political object, the object must be renounced. » Rarement, les conséquences des actions d’une nation se seront autant écartées de leur objectif de départ. Une approche géopolitique adaptée à l’analyse de l’intérêt national aurait fait la différence entre ce qui était important sur le plan stratégique et ce qui était périphérique. Jusqu’à Nixon, les différents présidents et leur administration vont négliger ce principe fondamental de toute politique étrangère.

En définitive, pour que Washington parvienne à conduire une politique étrangère efficace, celle-ci requiert une double approche : une stratégie constructive, réalisable à l’étranger et le développement d’une explication politique qui parvienne à maintenir un certain consensus sur le front intérieure. Or comme déclarait G. Ball, « les Etats-Unis ont coutume de faire des croisades improvisées et des improvisations qui tournent en croisade. » Leur politique extérieure repose sur des vues à court terme, sur des impulsions généreuses et sur des réactions rapides aux circonstances momentanées. Ainsi, cédant à ce qu’on appelle un « universalisme haletant », les Etats-Unis comme ils l’ont fait au Viêt-nam s’engagent avec un certain enthousiasme et une certaine naïveté.

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Conclusion

Dans le livre « A la Maison Blanche », Kissinger résume bien les objectifs suivis par l’administration. Kissinger défend la politique de Washington en estimant que « les dilemmes de notre politique vietnamienne se reflétaient dans l’abîme qui séparait notre vision de la réalité et la nature du débat public. Ce qui était réel, pour nous c’était l’offensive ennemie au Laos et au Cambodge, offensive qui menaçait notre position militaire au Viêt-nam. Et pourtant, alors que les menaces objectives grandissaient, on nous demandait de poursuivre un programme de retrait unilatéral. Pour le public, nous risquions de nous voir entraîner à un nouvel engagement, dans deux autres pays lointains. Nous pensions qu’il fallait empêcher l’effondrement de ces pays, si nous voulions renforcer les Sud-viêtnamiens et leur permettre de reprendre le flambeau sans que nos retraits se transforment en déroute. »[1]

Pourtant, l’élargissement du conflit au Cambodge va se révéler être la plus grosse erreur de l’administration Nixon en Indochine. Nixon n’est pas compris ni par l’opinion publique, ni par le Congrès, ayant comme conséquence une nouvelle scission au sein de la société américaine. Mais le malaise est beaucoup plus profond. Le fond du problème n’est pas l’Indochine, mais bien les abus de pouvoir du président, les inégalités sociales, la crise d’identité,….. Aussi entre mai 1970 et 1973 nous nous situons dans une crise institutionnelle et sociale où le conflit en Indochine n’est que secondaire.

A l’échelon international, la politique nixonienne se caractérise par la Realpolitik et les idées de Mahan. Pour rappel la Realpolitik se caractérise par trois traits principaux : l’intérêt national, la compétition et l’équilibre des forces. Aussi la Realpolitik à travers la Doctrine Nixon redéfinit un périmètre de sécurité en Asie qui est celui des Etats-Unis vers 1945-1948, principalement fondé sur le réseau de bases se trouvant aux Philippines, au Japon et en Corée du Sud, excluant tout engagement dans le reste de l’Asie du Sud-Est et à Taiwan. Il y a donc une volonté de la part de l’administration de protéger la façade occidentale des Etats-Unis en évitant soigneusement de s ‘engager directement dans le maintien de l’équilibre même de l’Extrême-Orient.

Aussi d’un point de vue géopolitique, les Etats-Unis après s’être laissé entraîner par les idées de Mackinder – le sort d’une puissance maritime dépend de l’équilibre sur le continent-, en reviennent à celle de Mahan – le sort d’une puissance maritime dépend de l’importance des points-clé qu’elle contrôle à la périphérie du continent.[2]

[1] H. KISSINGER, op.cit., p. 498.

[2]F. JOYAUX, op.cit., p. 190.

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