Le commandant Farcy, ses canonnières et ses idées prospectives (1)

1869-1889

Eugène Farcy a la vocation maritime. Embarqué à neuf ans sur le navire-école l’Oriental, il fait naufrage au large de Valparaiso. Reçu à l’Ecole navale à 15 ans, il est classé 49ème et fait une carrière maritime assez moyenne. En 1851, il est enseigne de vaisseau sur la Jeanne d’Arc aux ordres du C.V. Jaurès. Lieutenant de Vaisseau en 1859, il sera Capitaine de Frégate en 1873 seulement.

Dès 1852, il se fait remarquer pour son goût de la mécanique. Il invente en effet en 1852 un indicateur à sonneries pour transmettre les signaux dans les soutes, en 1859 un moteur à nageoires, en 1862 une canonnière-cuirassée, en 1863 une hélice-évolueuse-gouvernail, en 1866 un modèle de transformation du fusil Chassepot, en 1869 enfin la canonnière qui porte d’abord son nom. Malgré un avis défavorable du Conseil des travaux de la Marine, la canonnière est mise en chantier en 1869 sur ordre de Napoléon III. Construite à St Denis en 5 semaines par les ateliers Claparède, elle ne coûte que 25.000 fra,ncs.

La canonnière est un affut flottant de 15m sur 4m,60; elle déplace 44 tonneaux et ne cale qu’un mètre d’eau, ce qui lui permet de passer au dessus des torpilles ennemies, et de toucher la côte a à peu près partout. Naviguant sans roulis ni tangage, elle est rendue insubmersible par des caissons étanches. Son avant est armé d’un éperon. Sa vitesse est de 6,5 noeuds; ses deux machines développent 40 chevaux et actionnent deux hélices dont l’une permet de tourner sur place. Son artillerie consiste en un canon de 240, lançant des obus de 100 kgs; il est muni d’un système de frein qui limite son recul à 40 cm. L’équipage est de dix hommes dont le commandant.

En 1869 le commandant Farcy obtient une récompense de l’Amiral de la Gravière  » pour les ingénieux travaux auxquels il n’a cessé de se livrer ». A la suite des essais effectués à Cherbourg,, le ministre de la Marine Rigault de Genouilly estime alors que la canonnière résoudra l’important problème de la défense et de l’attaque dans les rades et rivières. Elle est alors commandée par le Danemark.

Dès le début de la guerre de 1870, Eugène Farcy se démène pour obtenir que sa canonnière participe aux combats. Une dépêche du ministre s’y oppose : « n’armez pas la canonnière ». Farcy fait intervenir Edmond About, qui crie à la trahison dans le journal Le Soir. La canonnière est alors rattachée à la flottille de la Seine, qui comprend le yatch Puebla et 8 canonnières du type Estoc. Commandant la flottille, le CV Thomasset, un marin d’élite, met son pavillon sur la canonnière et donne à Farcy le commandement d’une autre canonnière, moins maniable. Au cours de la seconde quinzaine de septembre, la flottille remonte la Seine de Javel à Bercy, et tire tout ce qu’elle peut sur l’ennemi de Sèvres et Meudon. Mais en novembre, six canonnières sont désarmées et livrent leurs canons aux batteries des forts. Il en reste trois, dont la Farcy qui causent de lourdes pertes aux Prussiens sur la Seine, à St Denis et Choisy-le-Roi et sur la Marne à Champigny. Mais le 15 décembre, elles sont prises dans les glaces le long de l’Ile aux Cygnes, où les Parisiens viennent les admirer. Après qu’un bataillon de mobiles eut brisé la glace qui la retenait, le journal de Victor Hugo demande qu’elle reprenne le combat et qu’elle poursuive l’ennemi jusqu’au Rhin (sic).

Mais ce sont les Fédérés qui vont s’en emparer le 18 mars. Baptisée Liberté et confiée à un marinier, elle va bombarder les Versaillais aux Moulineaux, sans grand succès selon les uns, avec des pertes considérables selon d’autres. Elle revient ensuite à l’ile aux Cygnes . En mai une nouvelle flottille de la Seine reprend le combat contre les Fédérés à partir de Rueil; elle est rejointe par la seconde Farcy, baptisée la Mitrailleuse. La flottille remonte la Seine jusqu’à Bercy, où trois marins sont tués. Le 28 mai la Commune est vaincue. La Liberté prend le nom de Revolver. Entre temps le lieutenant de Vaisseau Farcy a été élu député du 15ème arrondissement; il siège à gauche de l’Assemblée.

En novembre 1883, le député Farcy demande au ministre que ses canonnières soient envoyées au Tonkin, où elles rendront les plus grands service. En avril 1884, nos deux canonnnières remises à neuf avec des pièces de 140 sont donc transportées en baie d’Along, à la disposition de l’amiral Courbet (2). Elles font 22 fois le voyage d’Hanoï à Tuyen-Quan par la Rivière Claire, pour ravitailler les unités de Légion. En octobre Tuyen-Quan est attaquée par 10.000 Pavillons noirs. Du 13 octobre au 16 novembre, 24 attaques sont repoussées par la garnison du commandant Dominé, grâce à l’appui de la Mitrailleuse. Venant à leur secours, le Revolver reçoit l’ordre de franchir les rapides de Yuoc ; elle brise un barrage de jonques tenu par les Pavillons noirs, 13 de ses hommes sont tués ou blessés. La Mitrailleuse reste bloquée sous Tuyen-Quan et protège la garnison. Fin février 1885, les deux canonnières rejoignent Hanoï, elles sont désormais hors de combat. Elles seron rayées des contrôles en 1889, après 20 ans de bons et loyaux services.

Ayant pris sa retraite de Capitaine de Frégate en 1875, Eugène Farcy poursuit ses activités maritimes. Bénéficiant d’une souscription de ses amis députés, il construit une nouvelle canonnière qui ne cale que 0,60m; armée d’un canon pivotant de 140, elle atteint 8 noeuds. Il fait la démonstration de sa maniabilité en 1886 et 1887 sur La loire et sur le Rhône, applaudi par la foule. Il essaie de la cèder à l’armée de terre, le général Boulanger l’admire mais ne donne pas suite.

Eugène Farcy se fait remarquer par ses interventions à la Chambre. Dès 1871, il se prononce pour une armée nationale de 4 millions de conscrits. Il intervient contre la trahison de Bazaine, contre l’augmentation du budget, contre les gaspillages de l’Intendance. A maintes reprises, entre 1870 et 1879, il critique les lourdes cuirasses des navires et prône l’adoption de croiseurs rapides, munis de caissons étanches et armés d’une artillerie très puissante, solution qui sera adoptée en 1882. Il siège à l’extrême gauche, dont les chefs ne l’apprécient pas. Marié en 1876, il aura deux filles. Il quitte l’Assemblée en 1893 et décède à Paris, entouré de sa famille et de nombreux amis le 28 février 1910. Il a 80 ans dont 53 de services rendus à la Marine et à la France.

(1) Sources : Le Commandant Farcy et ses canonnières. L’Univers illustré. 29 octobre 1870 – Eugène Farcy, député sortant. Panthéon des lettres, des Sciences et des Arts 1893 – Pierre Jullien : Le commandant Farcy et ses deux canonnières, in Neptunia déc.1983 – P.Dufour. Les canonnières à la conquête de l’Empire, in Historia n°632, août 1999 – Articles de l’Illustration en 1969 et de Cols bleus en février 1997- Documents au Musée de la Marine :Journal de bord, rapport au général Boulanger, débats parlementaires – Fascicule de 1889 sur la canonnière (68 pages, par un officier supérieur de Marine) – témoignage de sa petite fille Raymonde Rollet (agée de 103 ans, vit à Avranches).

(2) Le 23 août, avec 4 croiseurs, 2 torpilleurs et 3 canonnières, Courbet détruit la flotte chinoise à Fou Tchéou. Il lui a manqué une canonnière légère pour détruire l’arsenal et remonter les rivières chinoises.

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Histoire du prieuré et du Val de Morteau

Lors de sa création en 1752, l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon institua un concours d’histoire dont l’un des premiers candidats fut en 1773 un religieux Dom Roy, auteur d’un Mémoire sur les coutumes des Germains et des Gaulois perpétuées dans le Comté de Bourgogne. Parmi d’autres titulaires de ce concours, j’ai retrouvé en 1985 dans la bibliothèque de mon père un manuscrit inédit de Jean-Pierre Routhier, daté de 1887 et intitulé:

Etude historique sur le prieuré de Saint Pierre et Saint Paul et sur le val de Morteau,

depuis leur origine jusqu’en 1791.

Ce manuscrit a été largement utilisé par le vicomte de Truchis de Varenne dans son ouvrage de référence sur Le prieuré de Saint Pierre et Saint Paul de Morteau (Jacques et Demontron 1925), et cité par Gérard Louis dans sa Guerre de dix ans (Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté ,1998).

Sans vouloir faire de nouvelles recherches en archives, j’ai consulté à la Bibliothèque nationale, et à la Bibliothèque de Besançon, grâce à l’entremise de Mademoiselle Lordereau, d’autres ouvrages (1) qui complètent cette histoire :

– les Notes sur le prieuré de Morteau, rédigées vers 1786 par l’évêque Moïse,

– l’Histoire du Prieuré et de la terre de Morteau, rédigé par Pierre-Henri Roland vers 1805,

– l’article Neuchatel du Dictionnaire géographique et statistique de la Suisse du pasteur Lutz (1837)

– L’histoire de la Seigneurie de Valangin, publiée par le Suisse Matile en 1852,

– Les recherches historiques sur Morteau, présentées au concours de l’Académie par Ambroise Cart en 1856,

– Les hautes montagnes du Doubs entre Morteau, Le Russey, Belvoir et Orchamps-Vennes, publié par l’abbé Narbey en 1868,

– le Musée neuchatelois, de la Société historique du canton de Neuchatel (1895)

Outre les articles du colonel Dutriez, ceux de l’abbé Mauvais dans le Bulletin de l’école libre, et la notice du docteur Nappey sur l’église, j’ai eu accès enfin aux travaux de jeunes chercheurs originaires de Morteau,, parmi lesquels:

– Gianfranca Vegliante pour ses articles du Dictionnaire des communes du Doubs (1985) et pour son mémoire de maîtrise sur l’artisanat dans le canton de Morteau au XIXème siècle (1976),

– Henri Leiser pour ses recherches sur le batiment conventuel et sur les édifices anciens,, aujourd’hui disparus, de Morteau,

– Christophe Cupillard, spécialiste en préhistoire, directeur de publication des derniers chasseurs-cueilleurs du massif jurassien ( Lons, 1998).

Moins qu’une nouvelle étude sur l’histoire de Morteau, mon exposé constitue donc plutôt une compilation des auteurs les plus connus, que j’ai comparés au manuscrit de Jean-Pierre Routhier. J’aborderai cette histoire autour de quelques grands thèmes ; – le cadre franc-comtois – l’origine du prieuré – les gardiens du Val – les prieurs commendataires – les malheurs de la guerre – les problèmes de frontières – la Révolution à Morteau – les constructions, leurs dommages et leur dévolution – le développement économique et social.

Le cadre franc-comtois.

Avant d’aborder l’histoire politico-religieuse du val de Morteau, il convient de la replacer dans le cadre général de l’histoire mouvementée de la Franche-Comté, passant d’une subordination à l’autre, de l’occupation romaine à la dépendance germanique et à la conquête de Louis XIV, sans changer véritablement de culture, qui est gallo-romaine avant d’être française..

Les seules données historiques que l’on posséde sur la région de Morteau avant le 10ème siècle sont celles de la préhistoire. Poursuivant les découvertes du lieutenant des Douanes Chapuis, de l’archéologue suisse Vouga et de Piroutet, conduites de 1926 à 1933, sur les abris du lac de Chaillexon (Villers-le-lac) et du col des Roches, Christophe Cupillard a mis en évidence la fréquentation régulière mais discontinue de ces sites par des chasseurs-pécheurs à l’époque néolithique, de 5.000 à 2000 avant Jésus-Christ, puis à l’époque du bronze, de 1500 à 1300. Des ossements de cerf, d’auroch, de sanglier, d’ours, et des vertèbres de truite, y ont été découverts, à côté d’outils de silex, de flèches triangulaires, et de fragments plus récents de céramique.

A défaut de documents d’archives, il faut replacer l’histoire de Morteau dans le cadre général de l’Histoire de la Franche-Comté, décrite par Roland Fiétier (ouvrage collectif, Privat, 1977), par Lucien Lerat, Pierre Gresser, Maurice Gresset et Roger Marlin (PUF, 1981) et par Jean-Louis Clade (Si la Comté m’était contée. 2001). Ces auteurs nous apprennent que romanisée par Jules César au Ier siècle, la Séquanie fut envahie au Vème siècle par les Burgondes, qui lui imposent la loi Gombette de partage des terres, mais aussi par les Alamans et les Warasques venus de Bavière, qui donnent naissance au pays (pagus) carolingien du Varais et au doyenné Varasque (ou Varasco )de Pontarlier, qui conserve ce nom jusqu’en 1789.

Francisées par Clovis en 534, ces tribus germaniques de religion arienne sont converties par les moines irlandais de Luxeuil, St Eustaise et St Agile, tandis que des moines errants et des familles nomades défrichent les joux (les forêts), la terre appartenant au premier occupant. Charles Martel fait de la Comté une marche militaire destinée à contrer les incursions sarrazines.

Rattaché à Rodolphe Ier, roi de Bourgogne au IXème siècle, le Comté de Bourgogne reste administré par le comte Otte-Guillaume (982) et son fils Renaud, dont la fille Béatrice épouse Frédéric Barberousse en 1156. Elle dépend désormais de l’empire germanique, jusqu’à ce que Othon IV la cède à Philippe le Bel en 1291.

La Comté est alors soumise aux ducs de Bourgogne, de Philippe le Hardi à Charles le Téméraire, dont la fille Marie épouse l’empereur Maximilien d’Autriche en 1477. Malgré le retour à l’Empire germanique et à la dépendance espagnole, la Comté garde une certaine autonomie, grâce à l’influence sur Charles-Quint et Philippe II de leurs conseillers Nicolas et Antoine de Granvelle, et au maintien de Gouverneurs (sauf de 1668 à 1674), et de membres du Parlement de Dole d’origine comtoise.

La lutte des rois de France contre les Habsbourg, menée par Richelieu, fait de la Comté une terre d’invasion. Conduite par le duc de Lorraine en 1595, par Condé, le duc de Saxe-Weimar et Turenne de 1636 à 1648, par Louis XIV et Condé en 1668, puis en 1674, la conquête se conclut par le traité de Nimègues qui rattache la Comté au roi de France en 1678. La paix française restera cependant troublée par les remous de la Révolution, décrits par Jules Sauzay dans l’Histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs (Tuberghe, 1867), par la chute de l’Empire et par les guerres franco-allemandes de 1870, 1914 et 1939-45.

Origine du Prieuré Saint Pierre et Saint Paul

Jean-Pierre Routhier écrit dans son chapitre sur les origines que le Val de Morteau était la contrée la plus favorable sous tous les rapports à ces moines errants et à ces familles nomades qui cherchaient à s’établir dans les montagnes du Jura….Ce riche vallon était compris dans l’itinéraire des voyageurs allant de Besançon à Neuchatel…Il n’appartenait à aucun souverain, il convenait merveilleusement aux colons au point de vue de l’indépendance et de la fertilité du sol. Nous inclinons à croire que ce pays fut peuplé au plus tard dès le milieu du Xème siècle.

Les géographes décrivent le val de Morteau comme un évasement marécageux du Haut-Doubs, cloisonné entre deux défilés percés par la rivière et deux plis montagneux du Jura. Ce sont les méandres du Doubs qui donnent à ce lieu le nom d’eaux calmes, mortua aqua. (Dictionnaire de communes)

Une occupation antérieure au Xème siècle semble avoir été démontrée par la découverte d’ossements datés du VIIème siècle à Pont de la Roche. Pour les siècles anciens, il reste à prouver l’existence de voies celtiques ou romaines à Morteau, de même que la présence de druides à la Table du Roi, et la pénétration des musulmans jusqu’au hameau des Sarrazins. et au Meix Sarrazin. Les premiers actes qui font état de la cité de Morteau, recueillis par l’évêque Moïse à Neuchatel, datent de 980, 1031 et 1093, ils qualifient les habitants de nobles bourgeois, Quant au prieuré, et à son premier prieur Hugues de Durnes, il en est fait mention dans un acte de 1105 qui évoque le don à Cluny du monastère de Froidefontaine. On sait que l’abbaye de Cluny, fondée en 980 par le comte Bernon, a donné naissance à de très nombreux prieurés et monastères en Europe.

Les habitants de Morteau furent confrontés, non aux rois et aux empereurs qui ont marqué l’histoire de la Franche-Comté, mais avec leurs vassaux : les Montfaucon-Montbéliard, les Neuchatel et Valangin, les Chalon, les Joux, les Vennes et les Belvoir, enfin avec les ducs de Bourgogne. C’est avec ces seigneurs possesseurs de la terre, détenteurs de la force militaire et du pouvoir judiciaire, que les habitants de Morteau eurent à traiter, ainsi qu’avec les autorités religieuses de Cluny et de Besançon. On notera l’importance de la généalogie et des alliances matrimoniales : comme pour le duché, ce sont souvent les femmes qui exercent le pouvoir et le transmettent d’une famille à l’autre.

Les historiens du XIXème siècle émettent diverses hypothèses sur l’origine du prieuré, dédié à St Pierre et St Paul, qui aurait été édifié et offert à l’ordre de Cluny au Xème siècle, en signe de foi ou de repentir, soit par Rodolphe III roi de Bourgogne, soit par un seigneur de Montfaucon ou de Durnes, soit même par l’impératrice Adélaïde fille de Rodolphe II. Ils auraient en même temps fondé à Eysson près de Vercel, un établissement religieux (la grange d’Eysson) dont le curé desservit la paroisse de Morteau jusqu’en 1330.

L’acte fondateur du prieuré est en fait la Charte des coutumes, ou des franchises, accordée en 1188 aux habitants du val par Hughes, le second prieur. Celui-ci, accompagné de quatre de ses sujets, se rendit à Cluny pour faire approuver ces conventions, qui sanctionnaient des atténuations importantes à l’antique servage. On peut y voir l’influence de Frédéric Barberousse, soucieux de rétablir un ordre régulier face à l’anarchie féodale.

Cette charte dénomme ce pays « terre d’Eglise, terra sanctuarii »; les colons y sont appelés « hommes d’église, homines sanctuarii » ou encore « sujets du prieur, homines sui ». Le val de Morteau appartenait d’ancienneté au prieur, avec tous les droits de la souveraineté. Il faisait des lois, rendait la justice et fixait les obligations de chacun, ce que Truchis résume comme suit :.

Dans toute l’étendue du prieuré de Morteau et de la terre d’Eysson les habitants doivent la dîme et les corvées pour toutes les terres cultivées qui ne sont pas amodiées (2) ; le cens fixé par un ancien usage pour les prés et les pâturages; et toutes les servitudes auxquelles ils étaient précédemment astreints, à l’exception de la taille.

Pour se racheter de celle-ci, ils ajouteront à l’impôt en usage le paiement de trois sols estevenants (3) par animal employé au labour,…maix cet impôt sera réduit de moitié si cet animal appartient à un étranger….

En outre tous les habitants doivent annuellement trois corvées de boeuf. Le prieur percevait la dîme partout où se trouvaient les récoltes imposables…Le vassal devait le logis au prieur et à sa suite une fois par an.

Tous les habitants étaient mainmortables et les biens de celui qui mourrait sans héritier vivant avec lui revenaient au prieur, mais ses parents pouvaient racheter la terre…personne ne pouvait marier sa fille en dehors du val, sans que les biens de celle-ci ne devinssent propriété du prieur; mais si elle avait un héritier qui revint dans le val, son héritage lui était rendu. Les maisons et immeubles ne pouvaient être vendus qu’à des personnes du val, et le prieur avait droit de préférence sur les autres acheteurs. Enfin il était déclaré que les habitants ne pouvaient pas être poursuivis pour les dettes du prieur.

Le code pénal se réduisait à un petit nombre d’articles : celui qui dissimulait du blé ou une bête était soumis à une amende; les injures réciproques étaient punies de 3 sols, l’effusion de sang de 9 sols, l’adultère de 60 sols; le voleur et le traître perdaient leurs biens; le meurtrier était à la merci du prieur. Si un crime devait être jugé à Rome, la communauté devait se cotiser pour payer le voyage.

Ce système de gouvernement théocratique était supervisé par l’Abbé et par les chapitres généraux de Cluny, qui nommaient les prieurs et les sacristains, et chargeaient des visiteurs d’examiner la situation des couvents. Mais des interventions extérieures viendront perturber cette organisation politico-religieuse.

Les gardiens du Val

La première intervention extérieure fut celle de l’ambitieux baron de Montfaucon, Amédée III, fils du comte Richard de Montbéliard. En 1238, avec l’appui de son oncle Jean de Chalon, il demanda les terres d’Eysson et de Morteau en qualité d’avoyer, c’est-à-dire de gardien et de protecteur. L’abbé Hugues de Courtenay lui accorda ce privilège pour sa vie seulement, à condition qu’il pourvoie à l’entretien de quatre religieux, et qu’il verse une contribution annuelle de 220 livres tournois.

Alors que le fief de Morteau était revendiqué par Amaury de Joux, Amédée, qui parvint à posséder 150 villages, donna son fief à son neveu Odon d’Arguel, en lui garantissant un revenu de 100 livres estevenantes, prélevées sur les habitants. Il pressurait ceux-ci, et négligeait l’entretien du prieuré. Il exigeait 300 livres pour autoriser les gens de Morteau à faire paître leurs troupeaux et couper du bois dans les forêts de Vennes. A sa mort en 1280, son fils Jean Ier recueillit son héritage et suivit l’exemple déplorable de son père. Les dettes du prieuré s’élevaient alors à 600 livres. Le prieur Simon de Gonsans conclut alors un accord avec Jean de Chalon-Arlay, le puissant seigneur de Salins, pour la vente de la poix récoltée dans le Val.

En 1318 et 1326, Agnès de Durnes, veuve de Jean II de Montfaucon, fit un partage entre sa fille Jeanne et son beau-frère Henri de Montbéliard. Jeanne ayant épousé Louis de Neuchatel en 1325, l’avouarie de Morteau fut revendiquée à la fois par le comte de Neuchatel et celui de Montbéliard. Soutenu d’abord par les habitants, le comte Louis reconnut les franchises de la Charte, en échange d’une contribution de 100 livres par an et des obligations de l’ost, de la chevauchée, et de la haute justice. Mais il se livra à divers excès contre ses administrés et les engagea dans une guerre de 20 ans, la guerre de Réaumont, sur laquelle je reviendrai.

Après cette guerre, il se montra plus soucieux du sort de ses vassaux, et répara ses torts avant sa mort, en redonnant la responsabilité temporelle du prieuré à Cluny, sans charges ni dettes, et en restituant des propriétés que son père le comte Rollin avait accaparées près de Cerneux-Péquignot et du Larmont. Cependant ses libéralités étaient assorties de conditions financières élevées : 700 florins d’or pour les droits de vente et de péage, et une rente annuelle de 100 livres. Sa fille Isabelle viendra à Morteau en 1373 pour approuver les lettres de franchise accordées, en se réservant le droit d’ost, de chevauchée, la haute justice, sous le ressort judiciaire du chatelain de Vennes (4). En signe de remerciement pour ses concessions, les sujets du prieuré lui offrirent 1500 florins d’or.

Au mépris de leur serment, les prud’hommes du Val s’adressérent en 1389 à Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, sans doute pour bénéficier d’une protection plus efficace que celle des comtes de Neuchatel. Le duc agréa leur demande et les admit au nombre des bourgeois de la province. Les seules obligations qui leur étaient imposées était une redevance en nature de 200 livres de cire par an, et la participation à la milice de Pontarlier. La comtesse Isabelle et le prieur firent appel de cette décision, mais furent déboutés par le Parlement de Dole en 1392.

Conservant le titre de protectrice, la comtesse Isabelle de Neuchatel transmit son héritage à son neveu Conrad de Fribourg, ce qui entraîna une réaction violente du comte Etienne de Montbéliard. A son tour, le comte de Fribourg adopta Rodolphe de Hochberg qui devint protecteur du prieuré et se rendit à Morteau en 1458. Le comte Philippe lui succéda, puis Jeanne de Hochberg, épouse de Louis d’Orléans duc de Longueville.

Le mariage de Marie de Bourgogne avec Maximilien en 1477, fit de l’archiduchesse la protectrice du prieuré, qui passe en 1492 sous la coupe des maisons d’Autriche et d’Espagne jusqu’à la conquête française. En 1520, les Cantons suisses ont accepté, contre un dédommagement de 1.000 florins, de se désister de la possession du val de Morteau et de Vennes qui passent alors à l’archiduchesse d’Autriche (Marguerite, fille de Maximilien).

En 1769, le duc de Randans, seigneur de Vennes, sera reconnu comme gardien du prieuré et détenteur du pouvoir judiciaire.

Les prieurs commendataires

La deuxième intervention extérieure fut le fait des papes d’Avignon, qui en 1374 enlevèrent à l’abbé de Cluny la prérogative de nommer les prieurs. Quatre cardinaux furent successivement nommés prieurs commendataires par le Pape. La commende était alors la concession à vie des revenus d’une abbaye. Ne résidant pas à Morteau, ces prieurs venaient cependant prêter serment devant les gouverneurs de la cité et reconnaître les franchises des habitants. Des procureurs étaient chargés de la gestion de leur commende, tandis que des prieurs claustraux ont la charge de diriger le monastère. Jusqu’à la Révolution, tous les prieurs seront désormais commendataires, ils seront désignés par l’abbé de Cluny de 1420 à 1510, ensuite par l’empereur d’Autriche, enfin par le roi de France à partir de 1692.

Bien que Jean-Pierre Routhier affirme que le prieuré de Morteau fut un des mieux administrés, il rapporte que le monastère connut des périodes de relâchement, ce que confirme l’abbé Narbey dans un chapitre non publié de son livre. C’est ainsi qu’en 1358 un religieux fit preuve d’insoumission. Le frère Gaillard avait séduit une jeune fille et entretenait des relations coupables avec sa belle-soeur et avec une marchande de vin de Besançon, il apportait dans cette ville de la fausse monnaie et jouait publiquement aux dés. Les visiteurs de Cluny exigèrent sa comparution devant le chapitre général, où il ne se présenta pas. Il quitta finalement le couvent et se retira auprès de sa concubine.

Les relations entre les habitants et les prieurs furent parfois conflictuelles. Ce fut le cas avec Guillaume de Berne, prieur bénédictin de 1420 à 1464. Autoritaire et âpre au gain, il était détesté des habitants auxquels il imposa de lourdes taxes et amendes, allant jusqu’à excommunier 1500 fidèles pour dettes. Les habitants portèrent plainte au duc de Bourgogne et après de longues négociations obtinrent de nouveaux droits.

En revanche son successeur Antoine de Roche se montra juste et bienveillant et fut unanimement apprécié. Les habitants commencent alors à s’organiser, et après que le notaire Humbert Musy eut collationné tous les actes fondateurs dans un Livre noir intitulé De lege mortua aqua, dix prud’hommes ou gouverneurs sont élus en 1462 parmi les chefs de famille de plus de 25 ans. Le prieuré est partagé alors en cinq quartiers : la Grand’Ville, Grand’combe, Villers-le-Lac, Montlebon et les Fins.

Les prud’hommes obtiennent de nouveaux droits, adressent des requêtes au parlement de Dole, au bailli de Pontarlier ou à l’officialité de Besançon, protestant contre les charges abusives imposées par le prieur et le curé (lequel est baptisé vicaire perpétuel). En 1600, le prieur Jean Richardot les affranchit totalement de la mainmorte, mais il en profite pour augmenter ses revenus. Son successeur fut un enfant de Morteau, Jean-Jacques Fauche de Domprel, il demanda à être relevé de ses voeux monastiques, introduisit au prieuré la réforme de St Vanne et devint archevêque de Besançon.

Parmi les prieurs claustraux, il faut citer dom Hippolyte Boban qui se dévoua lors de la peste de 1637; il en mourut en 1638 et fut considéré comme un saint.

Les prieurs François et Antoine de Grammont, désignés par Louis XIV et Louis XV, furent reçus en grande pompe par les Mortuaciens. Ils auront à règler de nouvelles affaires judiciaires concernant le partage des propriétés du prieuré, et le conflit entre le curé et les moines au sujet du tarif des enterrements et des mariages, et de la célébration des messes solennelles. Les curés du Val ne percevaient que le huitième de la dîme, et le curé de Morteau était considéré par les moines comme leur vicaire, il n’avait droit qu’à célébrer des messes basses; les prudhommes prennent son parti et obtiennent en 1752 le partage de l’église entre les moines et le curé, séparés désormais par un mur.

Le partage de la mense effectué en 1776, fait ressortir que sur un revenu annuel de 19.500 livres, les deux tiers reviennent au prieur commendataire, chargé d’acquitter les charges. L’inventaire de 1781 montre que le prieuré possèdait 1.466 hectares de communaux, et que l’ensemble de ses biens équivalait au cinquième des richesses du Val. Le dernieur prieur, Pierre Loménie de Brienne, nommé à 22 ans par protection de son oncle archevêque et ministre, se contentera de percevoir ces bénéfices sans jamais venir à Morteau. Il mourra sur l’échafaud en août 1794.

Les malheurs de la guerre

Le val de Morteau eut à plusieurs reprises à subir les malheurs de la guerre, et ses habitants furent appelés à prendre les armes pour leur défense. Le premier conflit connu est celui des comtes Richard de Montbéliard et Etienne d’Auxonne contre Othon II duc de Méranie et de Bourgogne en 1209. Les habitants de Morteau furent rançonnés par le comte Richard, qui exigea le paiement de la taille et saisit quelques propriétés.

En 1338, la guerre de Réaumont opposa Henri de Montbéliard à son neveu par alliance Louis de Neuchatel. Cette guerre dura 20 ans et fut très onéreuse aux deux seigneurs.. Beaucoup d’habitants de Morteau furent enrôlés sous la bannière de Neuchatel, les autres furent rançonnés et la terre de Morteau fut entièrement ruinée. Le comte de Montbéliard avait fait construire le chateau de Réaumont près du Bélieu, face auquel son adversaire édifia une tour. Sans parler des pillages , des meurtres et des incendies, écrit JP Routhier…il est douloureux de voir des amis et des parents combattre les uns contre les autres pour des choses peu importantes…dans un état voisin de la barbarie !

En 1396, Etienne de Montbéliard contesta le testament d’Isabelle en faveur de son neveu Conrad de Fribourg et il s’empara à main armée de Morteau, Vennes et Vercel.

Le val de Morteau fut pillé en 1474 par les troupes de Berne et Fribourg, en lutte contre Charles le Téméraire. Des soldats de basse condition appartenant aux Allemands tuèrent 120 hommes dans le val, ils pillèrent et brûlèrent tout ce qui était sur leur chemin. L’année suivante, 800 hommes des mêmes troupes firent une incursion de Morteau à Pontarlier; ils laissèrent de tristes souvenirs de leur passage. Les habitants du Val de Morteau, du Saugeais et de Mouthe se mirent alors sous la protection du Sénat de Berne. En 1479, l’invasion de la Comté par le maréchal d’Amboise aboutit à la destruction du chateau du Mondey.

La tentative des réformés de s’emparer de Besançon, en 1575, incita les habitants de Villers-le -Lac à interdire le passage du Doubs aux 300 reîtres du baron d’Aubonne. Les Suisses se battirent vaillamment, mais ne purent résister à tant de vaillance. La vue des morts les effraya et ils se retirèrent. C’est à la suite de ce fait d’armes que les échevins de Morteau furent admis aux Etats de la province.

Lors de l’invasion française de 1636, le prieuré de Morteau dut envoyer des contingents au Lomont et à Salins, tout en assurant la garde des passages du Doubs. En avril 1638, l’invasion paraissant imminente, le prieur fit appel à tous ses sujets, 1589 hommes furent mis sur pied dans le Val. En janvier 1639, résolus à se défendre eux-mêmes, ils refusèrent le concours du colonel de cavalerie Clicot et se portèrent le 15 janvier au-devant des Suédois du duc de Saxe-Weimar. Le combat s’engage sur la route de Montlebon, contre 1500 à 1800 hommes du capitaine Regnard. Bien que peu aguerris et mal armés, ils combattent avec courage et forcent l’ennemi à reculer. Mais le capitaine Regnard est plus habile à la manoeuvre, il fixe les Mortuaciens et les déborde par le bois Robert. De 300 à 1.000 combattants auraient perdu la vie autour de ce qui fut appelé par la suite le pont rouge. Une dalle fut placée dans l’église à la mémoire des Heroïbus Mortuosis : ils ont vécu, ils sont morts pour la foi, pour le roi et pour la patrie, ils ne pouvaient vivre ni mourir avec plus de gloire.

Malgré la promesse de Regnard de respecter la vie et les propriétés des habitants, les Suédois se livrèrent à de graves exactions, se livrant au pillage des églises et des fermes, et assassinant ceux qui leur résistaient. C’est alors que se situe l’embuscade des trois frères Billod pour délivrer leur père emmené par des Suédois à la queue d’un cheval. Des francs-tireurs, comme le capitaine Ligier à Sancey, continuent la lutte. Plus de 2200 habitations furent détruites. Une grande disette s’étendit dans tout le pays, suivie d’une épidémie de peste. La population fut réduite d’un tiers par la famine et par la maladie.

La milice fut à nouveau levée lors de l’invasion française de 1668, mais le 9 février, Dom Frébi, bénédictin de Morteau, fut envoyé à Besançon à la demande du prieur et des échevins. Il obtint du prince de Condé la sauvegarde suivante :

 » Louis de Bourbon, prince de Condé, …ayant mis sous la protection et sauvegarde du Roy et la nostre, la seignerie et priorey de Morteau et ses dépendances, …nous défendons à toutes les troupes…d’inquiéter en aucune manière les habitans des dits lieux et de ne leur prendre ny enlever aucune chose à condition qu’ils ne porteront pas les armes pour le service de Sa Majesté catholique et ne recevront point de garnison de ses officiers et, en cas de contravention, nous ferons punir les coupables des peines portées par les ordonnances.

En mai 1674, après avoir reçu l’ordre du prince de Vandémont de « courrir à l’ennemi et de brusler le fourrage dont il pourrait se servir », les échevins envoyérent 80 hommes à Besançon, puis levèrent 60 hommes pour la guerre de partisans, et 106 hommes pour assurer la garde du val. Le 18 mai, ayant fait tout ce qu’ils croyaient humainement possible pour la défense de leur territoire, ils firent le voeu d’envoyer un ou deux d’entre eux à ND des Ermites « dès que les présentes alarmes seraient allenties ». Puis ils chargèrent deux commissaires de se rendre à Neuchatel pour obtenir la protection du gouverneur et le refuge sur ses terres en cas de danger.

Ils furent alors convoqués par le colonel de Vins, chef de corps du régiment de cavalerie qui avait pris Pontarlier. De son côté le gouverneur de Neuchatel envoya un agent auprès de M.de Vins et en obtint une sauvegarde ainsi conçue :

 » De par le Roy, le sieur de Vins, commandant pour Sa Majesté à Pontarlier, nous avons mis soubz la protection du Roy tous les habitans résidans dans le val de Morteau et leurs granges, ensembles leurs biens et familles, déffendant très expressément à ceux qui sont soubz nos charges de les trouber ni molester en aucune manière sous peine de punition exemplaire. Fait à Pontarlier le 26 may 1674 « .

La paix de Nimègue consacra en 1678 le rétablissement de la paix et le rattachement de la Comté à la France. Le duc de Duras, nommé intendant de Franche-Comté, s’efforça de respecter les coutumes et l’organisation communale du val de Morteau. Mais voyant combien ce peuple chérissait toutes ses libertés, et son peu de sympathie pour le nom français,…on ne pouvait, dit-il nationaliser ce pays que bien lentement.

Les guerres de la Révolution et de l’Empire touchèrent les habitants de ce qui était devenu le canton de Morteau. Une centaine furent requis lors de la levée en masse de 1793, et en août d’autres furent appelés à s’opposer aux révoltés de « la petite guerre de Vendée ». Le pays subit l’occupation autrichienne en décembre 1814 et suisse en 1816. Morteau vit passer en janvier 1871 les débris du 24ème Corps de Bourbaki, poursuivis par le XIVème Corps prussien; attaqués à Malpas au pied du col des Roches, les Prussiens prirent pour otages le maire er le curé de Villers.

Le 17 juin 1940, l’arrivée du Corps blindé de Guderian provoqua un début de panique. Le le 24 août 1944, les maquisards de Morteau s’emparèrent de la villa occupée par des réservistes allemands, et le 8 septembre, le général Bethouard installa le PC du Ier Corps dans l’école des filles, afin de préparer la libération de l’Alsace et la campagne victorieuse jusqu’à l’Autriche.

Les pertes subies par le val de Morteau furent de 26 morts en 1870, 433 (3,6% de la population) en 1914-18, 59 morts et 5 déportés en 1939-45, 8 morts dans les guerres coloniales.

Les problèmes de frontières

A l’origine, les seigneuries ne sont pas délimitées, elles débordent sur l’Helvétie et la Bourgogne. Neuchatel sera rattaché à la Confédération en 1815 seulement. Les limites du territoire du prieuré ont donc fait l’objet de négociations et d’accords de voisinage, mais aussi de conflits, dont le principal concernera la frontière entre Neuchatel et la Comté.

En 1338 et 1348, l’archevêque Hugues de Vennes arbitre les discussions entre les comtes de Neuchatel, celui de Montbéliard et le sire de Joux, pour fixer les limites entre le prieuré de Morteau, l’abbaye de Montbenoit, le val de Réaumont et le val de Vennes. Ces limites seront confirmées en 1510.

La délimitation du coté suisse fut difficile à établir. C’est en 1310 en effet que quatre habitants de Morteau, appelés les Bruniat ou les Brenetz, allèrent s’établir sur un terrain inculte et inoccupé sur la rive droite du Doubs. Jean d’Arberg (branche cadette des Neuchatel), sire de Valangin, se rendit à leurs revendications et accepta leur installation pour 50 écus d’or, moyennant une redevance annuelle de six quartiers de fromage et 12 livres de poix. Les colons des Brenets étendirent ensuite leur occupation jusqu’aux Planchettes et au mont Pouillerel, Ce vaste territoire fut appelé le clos de la franchise. Ils en chassèrent les colons du Locle.

En 1408, le comte de Neuchatel reconnut les droits de Valangin. En 1451, le sire d’Arberg vint avec un troupeau de 200 vaches saccager les champs de blé des Brenets. Les colons du lieu se plaignirent alors à Philippe le Bon. Un procès-verbal de bornage fut établi et le Parlement de Dole confirma en 1455 le bien-fondé des habitants des Brenets (5). Ce jugement n’empêcha pas les gens du Locle en 1478, de venir moissonner les terres des Brenets, ni le sire d’Arberg d’édifier un gibet pour effrayer les gens des Brenets, tentés de se réfugier aux Bassots (à Villers).

La réforme protestante modifia de façon notable les relations frontalières. En 1532, les habitants des Brenets adoptèrent la réforme, alors que Guillaume Farel venu prêcher à Morteau fut traité de ribaudaille hérétique et chassé de la ville. Il reviendra en 1570 et sera reconduit à coup de fourches par les femmes du Villers. Cinq ans plus tard, les gens de Villers-le lac, s’opposeront par les armes au baron d’Aubonne. Chassé du Locle en 1537, le curé Besancenot vint se réfugier à Morteau; à sa mort, il fut enterré dans l’église de Morteau. Plusieurs familles catholiques suisses s’installèrent dans le Val. Réforme et contre-réforme entraînent des sentiments de haine dans les deux camps.

En 1508, l’archiduchesse Marguerite reconnut les droits du prieur sur les Brenets. Le prieur Mareschal fit une nouvelle requête au Parlement en 1686, mais les comtés de Neuchatel et Valangin étant administrés alors par le prince de Condé, sa demande ne fut pas prise en considération.

Une autre zone frontalière fut contestée entre Neuchatel et la Comté, à savoir la région de Cerneux-Péquignot, dont le curé dépendait du prieuré de Morteau. La délimitation en fut approuvée en 1408. De nouvelles limites furent établies en 1525, désavantageuses pour la Bourgogne. Mais l’archiduchesse les accepta dans le but de complaire aux confédérés.

Dernier comte de Neuchatel, le duc de Nemours fut remplacé en 1707 par le roi de Prusse Frédéric Ier, désigné par les Trois-Etats, représentant les habitants de Neuchatel. Son ministre Metternich intrigua alors pour revendiquer le rattachement de la Franche Comté et fomenter des conspirations à Morteau même.

En 1765, une réunion entre les représentants de la Prusse et de la France confirma la perte de l’enclave des Brenets, et le maintien à la France de Cerneux-Péquignot. De nouvelles revendications pour les Brenets, en 1778 et 1781, se traduisirent par un échec politique.

Quant aux 1500 hectares de Cerneux-Péquignot, ils furent cédés à la Suisse en 1815. Les limites actuelles du canton de Morteau sont donc celles de 1819.

Les relations franco-suisses sont actuellement concrétisées par deux courants contraires, celui des 2.000 travailleurs frontaliers et celui de centaines de clients suisses des supermarchés.

La Révolution à Morteau

Critiques vis-à-vis du luxe des prieurs, les habitants de Morteau refusèrent de voter la dîme en août 1789. Ils étaient donc favorables aux réformes de la Révolution, mais ils furent choqués par la Constitution civile du clergé de 1791 et prirent le parti des prêtres réfractaires. Ils assurèrent la protection de ceux qui se cachaient, tandis que les autres s’exilaient en Suisse, en même temps que six Bénédictins. Un des moines se réfugia à Quingey où il se fit remarquer par son inconduite. L’inventaire des biens du monastère montra que les religieux ne vivaient pas dans l’opulence.

Une Société des Amis de la Liberté et de l’Egalité, dirigée par le sculpteur Joseph Boiston, semait l’esprit jacobin dans le val et faisait campagne contre les fanatiques de la religion, avec le concours des Comités de Surveillance des suspects, et d’un représentant de la Convention en mission. Les cloches et les vases sacrés furent saisis, les prêtres réfractaires déportés en Guyane ou à l’ile de Ré, les églises fermées, les notables destitués. La Garde Nationale, une compagnie de gendarmes et un bataillon de volontaires de la Drôme participèrent à la répression de l’émeute de Sancey-Vercel, appelée petite Vendée. 31 des émeutiers furent guillotinés à Ornans et Maiche en octobre 1793, tandis que dans le canton, 160 suspects étaient arrêtés et détenus au couvent des Minimes.

Plus réjouissantes étaient les manifestations républicaines organisées par Boiston, auxquelles la population est conviée. Voici comment le Musée neuchatelois, revue de la Société d’histoire du Canton de Neuchatel, rapporte ce que fut la cérémonie d’enterrement de la Royauté, le 8 décembre 1792. L’auteur de l’article rappelle que les Neuchatelois ont toujours eu la tête mousseuse malgré leur apparente impassibilité…Chez nous, les têtes s’échauffaient, les Montagnards surtout s’identifiaient avec la Révolution. Un peu partout s’élevaient des arbres de la liberté, autour desquels on chantait et l’on dansait la Carmagnole, en arborant des bonnets rouges.

1.200 Suisses des Montagnes et du Val de Ruz participérent à cette cérémonie. Précédés de 3 hommes de couleur, 4 officiers municipaux, 12 vétérans, 20 amazones armées de piques, 20 nourrissons de la république (sic) et un détachement de la Garde nationale furent accueillis à la frontière par une délégation de la Société républicaine de Morteau. De longs discours furent échangés entre les deux délégations, proclamant leur hostilité aux tyrans et aux prêtres.

Précédé d’une salve d’artillerie et du chant (travesti) de l’office des morts, un défilé burlesque a traversé la ville, derrière un mannequin représentant le scélérat Louis XVI, suivi de Voltaire, Rousseau et Guillaume Tell, de la délégation suisse, des frères du Roi précédés de leurs pages, d’un baron allemand, des maréchaux de France, de la reine entre deux docteurs de la Sorbonne qui portent la prétentaille théologique, du cardinal Collier (de Rohan), des dignitaires et de l’aumônier de la Cour, des intendants, d’un évêque, d’une cuisinière rebondie, des ordres religieux, des suppôts de la chicane, des aristocrates à longues oreilles, des banquiers et agioteurs…etc.. Le convoi, égaïé par des chants funèbres tournés en ridicule, est enfin arrivé à l’arbre sacré, au pied duquel s’est trouvée creusée la fosse de la royauté. Mercure annonce le Tems (sic) et le Destin, lequel prononce cet arrêt : « Atropos coupe le fil des crimes des rois, Clotho et Lachesis, filez les siècles d’or ». A ces mots le fantôme funeste est englouti et les emblèmes des distinctions jetés dans le vase de Pandore. Parait le génie de la France, revêtu d’une robe blanche, il prononce des paroles de consolation. Un cri général se fait entendre : « Périssent les tyrans, vive la république universelle ».

Le lendemain, 77 citoyens suisses ont adhéré à la Société républicaine de Morteau. L’oraison funèbre de la Royauté y fut à nouveau proclamée. Cependant des poursuites furent engagées en Suisse contre ces républicains, dont certains ont dû s’exiler. A Neuchatel, le chancelier de Boyve les condamna en ces termes :  » Jamais peut-être la présomption, l’aveuglement, l’amour inconsidéré des nouveautés, l’ingratitude ne furent poussés plus loin; et le jour où l’on vit des Suisses, enfants de la liberté, renier leur patrie…ce jour devint un éternel monument de honte et de reproches pour notre patrie « .

Quand lors de la famine de 1816-1817, certains demandèrent de l’aide au bailli de Berne, celui-ci répondit allègrement : « Allez trembler l’arbre de la liberté, il tombera de la graine et des pommes de terre ». Le gouvernement de Neuchatel fut moins féroce et s’employa à conjurer la famine.

Revenons à Morteau, où la chute de Robespierre est accueillie avec joie, ainsi que le coup d’Etat du 18 brumaire. Les catholiques sont largement majoritaires aux élections primaires d’octobre 1795. Le 27 décembre 1795, 1.200 catholiques bousculent le capitaine de la Garde, et imposent le retour de l’ancien curé Thomas. Venu maintenir l’ordre, le Commissaire Mourgeon de Besançon, trace un portait modéré des habitants du Val :

 » J’ai remarqué qu’en général ils étaient bons, humains, dociles à la voix de la raison. Il y a parmi eux beaucoup plus de gens instruits que dans le pays bas; j’ai cru en apercevoir la cause dans leurs relations commerciales avec la Suisse….Ils sont aussi très désintéressés…et avec cela bons citoyens…cependant il ne faudrait pas compter longtemps sur leur soumission aveugle; ils sont impatients d’avoir un culte, et je crois qu’il est de bonne politique de leur passer quelque chose à cet égard; autrement on s’exposerait à perdre leur confiance et à les révolter entièrement…ce qui ne manquerait pas d’arriver, car les prêtres, les émigrés et tous les artisans de la royauté ont les yeux ouverts sur cette partie intéressante du département et ils saisiraient avec avidité le premier signal de mécontentement pour les soulever sans retour « .

La persécution religieuse fut cependant relancée par le Directoire et ne s’apaisa qu’avec le Concordat. Les tensions demeurèrent vives entre les deux partis, elles se poursuivirent lors des compétitions électorales du XIXème et du XXème siècle. Le renouveau religieux fut mis en oeuvre par des curés d’un grand rayonnement, les abbés Balanche, Paillard, Beauquey et Barthod.

Les construction, leurs dommages et leur dévolution

L’installation initiale des Bénédictins fait l’objet d’hypothèses contradictoires. Les uns les situent au chateau du Mondey, les autres dans des maisons particulières du quartier de Glapiney. Ce quartier en effet a été occupé dès le XIVème siècle : des ossements découverts récemment sous le couvent ont été datés de 1292 à 1398 (6).

Les batiments claustraux, construits de 1412 à 1428, privés de leur aile est écroulée, ont été revendiqués par la municipalité en novembre 1792 pour un montant de 13.904 livres. Ils furent vendus aux enchères le 5 juillet 1795, à JJ Guillier et JF Singier, pour 62.010 livres. Rachetés par le curé Balanche en 1815, ils furent transformés en école communale.

Une première église de style roman fut construite au XIIIème siècle, entre le bas de la grande rue et la Guron, ses vestiges ont disparu. Une deuxième église de style gothique fut construite sur la butte de Glapiney de 1410 à 1420. Dédiée à St Pierre et St Paul, elle était à la fois église prieurale et paroissiale. Détruite par un incendie en 1470, elle fut reconstruite par le prieur Antoine de Roche en 1481-82. Dédiée au XVIème siècle à Notre Dame de l’Assomption, elle a été remarquablement restaurée en 1942 par le chanoine Pagnier. Une chapelle St Pierre et St Paul, édifiée à la Guron en 1970, rappelle le souvenir du prieuré.

Une chapelle de ND de la Compassion, avec son cimetière, découverte en 1760, est signalée par JP Routhier comme étant la première église paroissiale. Il s’agit en fait de la chapelle du Pied du Mont, de 5 mètres sur 5, située non au Caillet mais au pied du Trou au Loup, qui fut achetée par le géomètre Roland le 7 juillet 1796 pour 250 livres. Devenue en 1815 une remise de la commune, elle a été détruite (7).

Au début du XVIème siècle, Grandcombe et les Gras construisent des chapelles qui deviendront églises paroissiales. Onze autres chapelles ou églises sont construites au XVIIème siècle, et deux au XVIIIème. Le couvent des Minimes s’installe à Montlebon en 1627.

Il ne reste pas de traces du chateau du Mondey, détruit par le maréchal d’Amboise en 1479, et dont les pierres ont servi pour le clocher que les habitants ont construit en 1513 pour remplacer le clocher effondré des moines. Les ruines du chateau de Réaumont sont encore visibles au sommet du Bois banal près de Bélieu; des travaux y seraient en cours. La tour construite par le comte de Neuchatel face à Réaumont n’est pas localisée. Ni les ruines, ni la fonction du chateau indiqué sur la carte de Cassini dans la région de Volson n’ont été découvertes. Les pierres du chateau de Vennes ont été récupérées pour la construction des fermes.

Originaires de Tonnerre, les Fauche construisent en 1590 au coût de 20.000 livres, un hotel particulier qui est vendu au prieur de Grammont par Disle et Guillaume Roussel, pour le prix de 7.300 livres en 1694. Il est acheté par la municipalité qui en fait l’Hotel de Ville, le 5 mai 1791, pour un prix de 10.100 livres .

Venue de Suisse, la famille Cuche construit un chateau Renaissance en 1576. Propriété de la famille Bole, il est acheté comme bien national par Jean-Charles Pertusier(8) le 30 juillet 1796 pour le prix de 90.987 livres (incluant d’autres domaines). Le montant en fut remboursé ensuite à la famille Bole. Le chateau Pertusier fut racheté par la ville en 1934, il est devenu musée de l’horlogerie.

Le feu a été un des fléaux de la ville de Morteau, dont les édifices ont subi de nombreux incendies, en raison de leur couverture de bois . En voici l’inventaire :

– 1470. Eglise de 1410 à 3 nefs

– 1480. prieuré et quartier Glapiney

– 1640. 2200 maisons. Voute église affaissée.

– 1683. Eglise, maison Fauche, 45 maisons

-1747. Couvent, église et 45 maisons Glapiney

– 1865. Grande Rue

– 1936. Chateau Pertusier

– 1945. Clocher

– 1946. Hotel de Ville

Remarquable par son réalisme, il faut signaler le monument aux morts dû au sculpteur Georges Serraz, que Marie-Claude Fortier a présenté à l’Académie (le 16 mars 2001).

Le développement économique et social.

L’évolution démographique donne une idée des progrès de l’économie. Selon Routhier, le Val de Morteau compte plus de 2000 familles et 12.000 habitants en 1600(9). Les maisons sont au nombre de 3.000, dont 1.938 habitants sont propriétaires. L’agriculture est essentiellement herbagère. Les troupeaux de bovins et d’ovins nourrissent et habillent la population et les religieux. En 1513, le prieur de Vergy a obtenu de l’archiduchesse (Marguerite d’Autriche) la création de 3 foires annuelles et d’un marché le mardi. Le commerce était donc florissant, mais aussi une petite industrie naissante, qui comptait 80 moulins hydrauliques, 4 scieries, 6 forges, une armurerie et 17 ribes (10). Les petits métiers de transformation du bois, du métal, du cuir et du textile permettent de subvenir aux besoins de la population (Vegliante).

A la suite des ruines provoquées par l’invasion suédoise, de nombreux émigrants de Suisse et de Savoie vinrent s’installer dans le val, en même temps que furent engagés des domestiques, à condition qu’ils fussent catholiques. Ces immigrés apportaient leur savoir-faire. Toutes les terres ne furent pas cultivées, elles furent converties en paturages et l’industrie fromagère fut développée La perception des impôts fut rétablie en 1641. La statistique de 1773 dénombre 278 bovins, 10.580 boissaux d’avoine, 1.560 de froment et 900 livres de chanvre. Tuilerie, textile et fabrication de faux voient le jour.

L’élevage continue de se développer au XIXème siècle. En 1841 trois fromageries utilisent 1.500 hectolitres de lait pour fabriquer 15.000 kilogs de fromages. Les comices agricoles animent l’activité paysanne, la race montbéliarde s’impose, mais le bourg et les villages s’urbanisent rapidement, l’artisanat occupe davantage de personnes que l’agriculture. C’est un artisanat de subsistance, au moment où les indigents sont nombreux et où des bandes vivent de la contrebande. En 1826, six ateliers de tisserands occupent 60 ouvriers. Mais au milieu du siècle les tanneries, le textile et la tuilerie sont en déclin, alors que se maintiennent des fonderies de cloches.

L’horlogerie supplante bientôt toute autre activité artisanale. Dépendante de la Suisse, une main d’oeuvre qualifiée fabrique des montres bon marché. Une école d’horlogerie fonctionne de 1836 à 1850. La construction de la voie ferrée Besançon-Le Locle en 1884 favorise les échanges. En 1891, Morteau compte 22 patrons horlogers et 306 ouvriers; ils sont 750 en 1908, et 680 à Villers-le-Lac. La fabrication des ébauches, et la terminaison à domicile se développent, tandis que la dépendance de la Suisse s’atténue. Le village des Gras se spécialise dans la fabrication des outils de précision. Mais périodiquement, les crises de l’horlogerie limitent la croissance.

L’industrie alimentaire est une autre activité de Morteau, avec la chocolaterie Klaus qui produit 600 tonnes de chocolat en 1984, la brasserie, la limonaderie, la distillerie d’absinthe, et la fabrication de la saucisse fumée, spécialité mortuacienne exportatrice.

Ce développement économique s’est accompagné d’une croissance de la population. La progression est de 36% au XIXème siècle et de 59% au XXème siècle, au bénéfice en particulier de la ville de Morteau. Cette population comporte une certaine proportion d’immigrés : Italiens au début du XXème siècle, Espagnols et Portugais dans les années 1960, Turcs depuis 1970.

DATES

POPULATION DU VAL

dont MORTEAU

1600
1800
1900
2000

2.000 familles soit 12.000 selon Routhier

6.591 habitants

11.231

18.832

300 familles ? =15%

1.372 = 20%

4.110 = 36%

6.800 = 36%

Conclusion

Dans l’histoire de la Franche-Comté, l’évolution du Prieuré de Morteau est tout à fait originale, et même exemplaire en ce qui concerne l’histoire sociale. Elle nous montre comment une société de gens courageux et industrieux, attachés au monastère qui est la maison commune, sont peu à peu confrontés aux querelles des grands et à leurs guerres, à l’exploitation de certains prieurs commendataires, aux pressions des réformateurs suisses, et enfin au sectarisme de la Convention révolutionnaire. Jaloux de leurs libertés, soucieux de leur survie économique, ils désignent leurs représentants de façon démocratique et défendent leur indépendance devant les puissants et les tribunaux.

Lorsqu’ils perdent cette autonomie, ils deviennent Français à part entière, fidèles à la culture qui a toujours été la leur; car malgré la domination des Habsbourg, ils n’ont jamais été germaniques ni espagnols. Ils restent enfin attachés à la religion, envoient des missionnaires en Chine et s’opposent aux inventaires de 1905. Les relations avec la Suisse sont apaisées et marquées par une volonté de coopération. Leur population est devenue plus diverse, elle s’efforce de suivre le progrès technique face aux défits de la modernité.

(1) Références des auteurs cités : – avant d’être évêque constitutionnel de St Claude, l’abbé Moïse avait été envoyé à Neuchatel en 1786, par les échevins du val, pour rechercher des documents sur les droits du prieuré. Il vint célébrer une messe à Morteau qui fit scandale en octobre 1795. Il se retira à Morteau dans la maison Klein en 1806; très charitable envers les pauvres, il mourut en 1813 – JP Routhier pourrait être apparenté à l’huissier de Morteau qui fut arrêté le 27 avril 1794 – Ambroise Cart était contrôleur des contributions à Ornans – PH Roland, originaire du Mont Vouillot, arpenteur royal, est décrit par Routhier comme un fougueux révolutionnaire – l’abbé Narbey écrivit un chapitre sur la décadence des monastères, qui ne fut pas publié, car il était très critique envers le relâchement de certains couvents et la vie luxueuse des prieurs commendataires; ce chapitre a été retrouvé par Charles Verdot à la cure de Chapelle d’Huin – Dom Albert Chassignet, cité par plusieurs auteurs, fut prieur claustral à Morteau en 1695-98 et 1713-14 – Nicole Perrenoud-Cupillard est maire de Mouthier-Hautepierre – G.Vegliante est chargée de programme à la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) – Henri Leiser est conseiller municipal à Morteau.

(2) amodiation = exploitation d’une terre concédée contre une redevance périodique

(3) estevenant = de St Etienne, monnaie frappée par l’archevêque de Besançon. Réf. Maurice Rey. La monnair estevenante des origines à la fin du XIVème siècle (SED 1958)

(4) Les prud’hommes et la milice devaient assister aux éxécutions capitales au chateau de Vennes.

(5) Procès analysé dans le mémoire de maîtrise de Rachel Huot-Soudain en 1989.

(6) fouilles dirigées par Nicole Perrenoud-Cupillard en juillet 2001.

(7) source Henri Leiser

(8) Avocat à Besançon, JC Pertusier (1754-1822) en dirige la milice en 1788. Il vient à Morteau en 1790 pour superviser la formation de la Garde nationale. Son fils Charles (1799-1836), polytechnicien, était lieutenant-colonel du Train dans la Garde royale en 1825. Annobli en 1830, il se retira à Besançon où il écrivit des ouvrages

de poésie et d’arts. L’achat de 1796 comprenait également la domaine de Seignoley à Montlebon, et des propriétés à Baume-les-Dames, Verne et de Cour (Truchis, p. 475).

(9) chiffre probablement surestimé, même si l’on estime que le tiers a disparu lors de l’invasion suédoise.. L’évaluation de 1.792 bestiaux en 1490, indiquée par R.Fietier, paraît également très surestimée.

(10) Ribe = moulin à broyer le chanvre et le lin (expression franc-comtoise)

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La guerre d’Algérie, un conflit sur-médiatisé

Si le soulèvement du 1er novembre 1954 ne provoque pas de campagne d’opinion, c’est sans doute parce que les « évènements » d’Algérie – ainsi sont-ils prudemment désignés – sont d’abord minimisés et n’inquiètent pas les autorités. Rapidement cependant, des intellectuels français liés au nationalistes du Maghreb et engagés dans l’idéologie anticolonialiste prennent position contre les excès de la répression, sans se préoccuper des excès du terrorisme. Les dirigeants de la rébellion prennent alors conscience que les médias sont une arme de guerre qui leur donne des points face à l’opinion algérienne, métropolitaine et internationale. Ils utilisent désormais abondamment les moyens de la presse et de la radiodiffusion, avec le concours des pays arabes et socialistes (1) .

Du côté français, les médias d’Algérie et de métropole diffusent les informations sur la situation de façon dispersée, en fonction de leurs intérêts économiques et des préoccupations particulières de leur lecteurs et auditeurs. L’envoi du contingent en Algérie suscite un intérêt de plus en plus grand de la part des familles et favorise l’utilisation du transistor. Seuls les militaires ont une doctrine d’action, et même de guerre psychologique, qu’ils développent pour soutenir le moral des troupes, convaincre les populations, affaiblir le moral de l’adversaire et attaquer sa propagande, souvent avec succès. Mais l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, qui utilise avec une grande maîtrise télévision et conférences de presse, modifie les données de la situation médiatique. L’armée perd ses possibilités d’action autonome. Une collusion de fait s’établit entre l’information du pouvoir et la contestation diffusée par les médias anticolonialistes, elle fait basculer les opinions en Algérie, en métropole et dans le monde(2) .

Cet article ne prétend pas constituer une analyse exhaustive de l’évolution des médias, il en éclaire quelques aspects caractéristiques, en soulignant les manipulations de l’opinion, que l’on jugera amusantes ou accablantes selon que l’on se place dans un camp ou dans l’autre.

La guerre initialement sous-estimée par la presse .

Les liens entre les journaux d’Algérie et la grande colonisation sont connus. On sait que l’Echo d’Alger d’Alain de Sérigny et la Dépêche de Constantine des frères Morel sont à la dévotion de Borgeaud et de René Mayer, que la Dépêche algérienne a des liens avec l’armateur Schiaffino, le Journal d’Alger avec Georges Blachette, roi de l’alfa et ami du maire Jacques Chevallier. On sait aussi que ces patrons de presse prirent des positions politiques, la plupart en faveur de l’Algérie française, ce qui leur valut des difficultés avec la justice(3) .

Les liens de la presse parisienne avec les milieux économiques sont également connus, telle la direction de l’Aurore par Boussac, et de l’Express par JJ Servan-Schreiber. Mais en revanche on passe sous silence le rôle de la banque Worms dans la création de France-Observateur, en 1950, et l’influence de la Banque de Paris et des Pays-Bas sur Hachette et les messageries parisiennes
( NMPP). Tous ces organes de presse ne manqueront pas de peser sur le conflit algérien(4).

A vrai dire, ils mettront tous un certain temps avant de comprendre ce qui se passe en Algérie. Les premiers commentaires mettent l’accent sur le lien entre les affaires tunisiennes et marocaines (le Monde), sur le soutien apporté aux fellaghas tunisiens (France-Soir) ou sur l’existence d’un chef d’orchestre invisible (Paris-Presse) qui ne peut être que Nasser (Le Figaro). Mendès-France souligne les encouragement venus de l’extérieur (Dépêche du Midi). Libération cependant met en doute l’influence arabe, tandis que l’Humanité condamne la répression. Le Monde publie le projet des réformes du Gouverneur Soustelle, qui sont critiquées par l’Aurore.

Quant aux journaux algériens, ils présentent une image tronquée de la rébellion, assimilée à du simple banditisme. Zahir Ihaddaden y voit une manipulation de l’opinion, fondée sur l’idéologie coloniale, exaltant la grandeur et la souveraineté française, ignorant totalement la réalité de la révolution algérienne. Selon l’Echo d’Alger, les montagnards descendent dans la plaine pour bénéficier de la protection de l’armée. Même le maire Jacques Chevallier affirme le 10 novembre 1954 que 99% de la population réprouve les récents troubles. La thèse du complot, résultant de la collusion entre le parti (MTLD) de Messali Hadj et le parti communiste, et bénéficiant de l’appui de la Ligue arabe, a la faveur de certains commentateurs (1).

L’évolution de la guerre d’Algérie donnera lieu à des batailles d’opinion provoquées par les événements majeurs de ce conflit : les complots du 13 mai 1958, l’affaire des barricades, le procès Jeanson, le putsch, la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, les attentats de l’OAS et le cessez-le-feu. En revanche, le massacre des harkis et les enlèvements d’Européens en 1962 seront passés sous silence et considérés comme des tabous par la majorité des médias.

Contrôle de l’information et action psychologique

L’information de l’opinion par le gouvernement, et son corollaire naturel, la propagande,, ne sont pas une nouveauté. Au bourrage de crâne de 1914-18 ont succédé les causeries de Giraudoux en 1939, la guerre des ondes entre Londres et Vichy, et le bureau ACPO (action politique) de Pleven en 1951. Considérant que « les journaux communistes …auxiliaires de 5ème colonne, répandent des fausses nouvelles pour créer la psychose hostile à la Défense nationale », le premier ministre Pleven s’attache à organiser une contre-propagande efficace, qui sera mise en sommeil en 1953.

Le général Ely confirme en 1955 que la propagande défaitiste venant de métropole fut la plus démoralisante pour les combattants d’Indochine (5). Dès juillet 1955 est mis sur pied un Bureau central de documentation et d’information (BCDI) confié au général Spillman, chargé de lutter « contre la propagande anti-française dans le monde arabe ». Ce bureau sera rattaché aux services secrets ( SDECE) en avril 1957. Un Centre de diffusion française (CDF) lui succède en juillet 1957, ayant pour mission de combattre toutes les contre-propagandes qui insultent et calomnient le gouvernement, et de diffuser à l’étranger les buts de la politique gouvernementale(6).

Les officiers de retour d’Indochine ont auparavant proposé une approche renouvelée de la question, et notamment le colonel Lacheroy, qui s’impose comme le principal théoricien de la guerre révolutionnaire, et autour duquel gravite une poignée de jeunes officiers convaincus par ses idées (Hogard, Prestat, Caniot, Souyris). C’est dans les premiers mois de 1956 que des mesures énergiques sont prises contre une certaine presse qualifiée d’antinationale. Nommé par le ministre de la défense Bourgès-Maunoury à la tête du Service d’action psychologique et d’information de la Défense nationale et des Forces armées (SAPIDNFA), Charles Lacheroy a alors pour tâche de « s’efforcer de faire de la presse une alliée sûre et avertie « . Il assume la redoutable fonction de censeur pour s’attaquer aux journaux que son ministre considère comme « une entreprise de démoralisation malfaisante ». Des organes aussi réputés que France-Observateur, l’Express, Témoignage chrétien, Esprit et les Temps modernes subissent ses foudres à plusieurs reprises, en vertu de la loi sur les pouvoirs spéciaux de mars 1956, tandis que d’autres publications pratiquent l’autocensure, et que certaines ne résistent pas à des saisies répétées et disparaissent. Le journal communiste Alger Républicain a été interdit en septembre 1956, et en 1958 le journal des libéraux l’Espoir. Le directeur de l’Echo du Centre est condamné à un an de prison. Lacheroy représente même la Défense nationale à la Commission de contrôle des films cinématographiques; c’est lui notamment qui fera interdire « les sentiers de la gloire » de Ernst Lubitsch.

Des actions de plus grande envergure sont parfois entreprises, telle l’arrestation de Claude Bourdet le 31 mars 1956, et la perquisition du domicile du professeur Henri Marrou le 10 avril.(7) Evincé par Chaban-Delmas, en février 1958, pour une queston sans rapport avec la nouvelle doctrine, Lacheroy deviendra responsable de l’information et de l’action psychologique auprès du général Salan après le 13 mai et jusqu’en décembre 1958 .

Ihaddaden estime qu’il faut attendre l’arrivée du général de Gaulle pour que soit levé le tabou de l’Algérie française. En fait, le général hésitera longtemps avant de prendre sa décision finale. La Vème République sera encore plus stricte que la IVème en matière de censure, et l’action psychologique prendra des formes plus percutantes. L’Office de radio-télévision devient un outil de propagande gouvernementale. La gestion de l’information est accaparée par le pouvoir. La décision gouvernementale du 27 avril 1961 ira même jusqu’à interdire la diffusion des informations relatives à la rébellion de l’OAS(8).

Un des succès les plus marquants de l’action psychologique du général de Gaulle fut sans nul doute d’avoir persuadé les médias, grâce au montage des manifestations musulmanes du 10 décembre 1960, que tous les musulmans d’Algérie étaient favorables au FLN (9).

Les intellectuels contre la guerre (10).

Dès 1952 François Mauriac s’élève contre la répression au Maroc. Il prend pour argent comptant la déclaration de Ahmed el Allaoui, estimant que 1.000 manifestants des Carrières centrales de Casablanca ont été tués, alors que l’estimation officielle est de 32 morts. Claude Bourdet publie dans le même temps son article sur la Gestapo algérienne. En 1955, Mandouze publie des tracts FLN dans Conscience française, avec le soutien de Frossard, Mauriac et Suffert. La campagne de presse se poursuit en 1956 avec Robert Barrat et Henri Marrou, qui est soutenu par Mauriac. L’Express, le Monde, France-Observateur, l’Humanité, Franc-Tireur, Tribune des Nations et Demain participent à cette campagne.

Le dossier Jean Muller est publié par Témoignage chrétien en février 1957, et le témoignage du recteur Pereyga dans l’Observateur du 4 avril. Le 27 mars, le général de Bollardière approuve le livre tendancieux de Servan-Schreiber. Beuve-Mery, directeur du Monde, qui refuse d’aller en Algérie de peur d’être influencé par l’administration, prend la défense de Bollardière avant d’aller se jeter dans les bras de Jeanson (11).

Il faut rappeler que Albert Camus, qui avait critiqué la politique du Gouverneur Soustelle, abandonne l’Express après l’échec de la Trêve civile. Dans le Figaro, seul Philippe Barrès s’élève contre la campagne de démoralisation de l’armée.

Les années suivantes sont marquées par la publication de la Question de Henri Alleg et de la Gangrène, qui selon Pascal Kropp est un livre de propagande commandé par le FLN et regroupant des témoignages exagérés en vue de déstabiliser le patron de la DST Wibot(12). Ces ouvrages sont exploités par la presse, de même que le Memorandum du Comité Audin, le livre Djamila Boupacha de Giselle Halimi et Simone de Beauvoir, les débats du procès Jeanson et le manifeste pour l’insoumission. Le ministre de la défense a été amené à prendre la défense du colonel Simoneau, chef du Centre de coordination interarmées, chargé du renseignement, contre les accusations mensongères de Beuve-Méry

Indiscrétions des journalistes (13)

Le 2ème Bureau d’Alger s’efforce, parfois avec succès, de recueillir les indiscrétions des journalistes bien informés, qui fréquentent les bars de l’Aletti et du St Georges après être passé par Tunis ou Oujda. C’est ainsi que la description précise de la mine de Sakiet Sidi Youssef permet en février 1958 d ‘orienter les bombardiers sur le bataillon ALN qui y stationne.

A partir de 1959, le Bureau d’Etudes et Liaisons (BEL) du colonel Jacquin développe ces contacts. Il obtient du journaliste britannique S.T., pour un million de francs, un film sur les camps de l’ALN en Tunisie; ainsi sont localisés ces camps, en même temps que leurs chefs sont identifiés. Le journaliste P.L. de France-Observateur révèle le prochain retour en Algérie des chefs de wilaya, ce qui permet au BEL en mai 1960, d’intercepter le colonel Lotfi, chef de la Wilaya oranaise, de s’emparer de son poste radio, et de prendre la direction de la wilaya 5 pendant deux mois.

Héros ou propagandistes, se demande Philip Knightley au sujet des correspondants de guerre ? Les exemples qu’il donne des correspondants étrangers de la guerre d’Algérie montre que plusieurs d’entre eux ont pris le parti du camp qui les recevait, correspondant d’ailleurs à une opinion préconçue. Leurs récits, pris sur le vif, donnent l’image de la réalité du moment, mais énoncent quelques contre-vérités : ainsi la relation du soulèvement de mai 1945, les renforts mis en place avant le 1er novembre 1954, les massacres du 20 août 1955 et de Melouza. On ne peut faire confiance à cette histoire ponctuelle, qui est trop souvent ignorante de l’histoire récurrente(14)

Le journal le Bled et le limogeage de son directeur (15)

Créé par le général Lorillot en 1955 pour informer les soldats sur le terrain et les motiver, le Bled est subventionné par le Gouvernement général et diffusé dans les trois armées. Il est installé boulevard La Ferrière dans les locaux de la Dépêche algérienne.

En 1956, sa direction est confiée au commandant Caniot, Français d’Algérie, ayant l’expérience de la guerre psychologique en Indochine. Affecté en 1954 au Service information du ministre de la Défense, Caniot y a fait venir des spécialistes de l’action psychologique (Lacheroy ?). Envoyé en mission en Algérie en novembre 1954, il a fait un rapport sur la guerre psychologique qui a été apprécié par le général Blanc, chef d’état-major. Avec la bénédiction du général Salan, il fait du Bled un organe de combat pour l’Algérie française.

Tiré à 300.000 exemplaires, le Bled est diffusé en six éditions dont une en arabe, en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en France et en Allemagne. Ses éditoriaux politiques, qui sont critiqués par les médias progressistes, sont soumis au commandement. En 1958, le ministre Chaban-Delmas y fait affecter Lucien Neuwirth, qui adopte la même ligne politique dans la perpective du complot gaulliste, qui aboutira au 13 mai.

Le numéro 109 du 10 mai, consacré à Jeanne d’Arc, affirme de façon prémonitoire que l’heure est venue de donner à la France un gouvernement de salut public. Le numéro du 16 mai fait appel au général de Gaulle. Le 6 août, le Bled évoque le système et ses tares, héritage de la Constitution de 1946. Il représente Mendès-France, défilant aux côté de Daladier contre les factieux d’Alger. Mendès-France proteste auprès du général de Gaulle, qui promet que l’officier responsable sera sanctionné.

Le Bled subit alors les invectives de l’Humanité, du Monde, de France-Observateur, de Paris-Match, du Canard enchaîné, de Témoignage chrétien, de la Dépêche du Midi et des Dernières Nouvelles d’Alsace. Le 28 septembre, le Cri du peuple revendique la mise au pas de Salan et du Comité de Salut public et célèbre le courage des combattants nationalistes. Le Bled y est décrit comme le journal des factieux.

Reçu par le général de Gaulle qui exige des sanctions, Salan n’a pas l’intention d’y donner suite. Il approuve le numéro spécial du 18 décembre qui fait le bilan de l’action de nos forces. Mais il est remplacé par le tandem Delouvrier-Challe. Caniot à son tour est muté au 12ème RCA, et la direction du Bled est transférée à Paris, d’où sa ligne éditoriale sera contrôlée par le gouvernement. Le commandant Caniot se ralliera au putsch en avril 1961.

Le FLN intoxiqué par l’armée française (16)

Chargé d’orienter la presse, le BEL réussit également à intoxiquer le GPRA en utilisant les journalistes qui sont bien en cour à Tunis. Ainsi Belkacem Krim est-il informé en février 1959 des ambitions du colonel Amirouche qui envisage d’aller à Tunis demander des comptes; ce voyage lui sera fatal. Dix mois plus tard, est répandu le bruit de la vulnérabilité du barrage Nord; cette information provoque le montage de l’opération Amirouche, qui se solde par la mort de 140 moudjahid et l’échec du franchissement.

En février 1960, le conflit qui oppose le capitaine Zouibir, commandant la mintaka 51, à la direction de la wilaya à Oujda, est amplifié par la presse algérienne et parisienne, ce qui entraîne l’intervention des Forces armées royales et l’arrestation de Zouibir. A la même époque, les nouvelles des wilayas 4 et 5, diffusées dans le bled sous forme journalistique par le colonel Fournier-Foch, chef du 2ème Bureau d’Orléansville, contribuent à la démoralisation du colonel Si Salah, chef de la wilaya 4, s’apercevant que les Français n’ignorent rien de son organisation, ce qui l’incite à demander la paix des braves.

En juillet 1960, l’interdiction faite aux journalistes d’aller en zone frontalière, fait croire au colonel Boumediene qu’une opération contre la Tunisie se prépare; il fait replier ses bataillons les plus avancés.

L’intoxication la plus spectaculaire, de mars à juin 1960(17), vise le journal du FLN el Moudjahid, dont les morasses sont tranmises de Tunis à Rabat par l’avion régulier qui fait escale à Alger. Orientés par Jacquin, des spécialistes de la guerre psychologique subtilisent la page centrale du journal et la remplacent par un texte de leur composition. Ainsi les lecteurs marocains ont-ils connaissance en mars de la nouvelle Charte du CNRA, instituant un régime marxiste et raciste, s’appuyant sur des tribunaux populaires et imposant aux Européens la loi islamique. En mai, la publication d’un ancien appel de Ferhat Abbas encourage les Algériens à participer aux élections, alors que le FLN en a ordonné le boycott. Le mois suivant, une carte géographique fait état des revendications algériennes sur Figuig et le Tafilalet. Les protestations de la diplomatie marocaine amènent le général de Gaulle à interdire la poursuite du caviardage. Dans son livre la guerre secréte en Algérie, le colonel Jacquin prétend qu’il conseille à Belkacem Krim, par téléphone, d’éviter le transit des morasses par Alger.

L’affaire Catena-Main rouge (18)

Selon le Monde du 21 août 1994, »le SDECE (Service secret français) a monté une organisation secrète baptisée Main Rouge pour perpétrer des homicides et des attentats contre des revendeurs d’armes et des chefs nationalistes algériens « . Il semble qu’il s’est agi d’une couverture pour le Service Action du SDECE, qui à partir de 1952 a recruté en Tunisie et au Maroc un noyau de contre-terroristes.

De 1957 à 1959 en Europe, le Service Action a monté des opérations homo et arma contre des traficants allemands et suisses (Otto Schlutter, Marcel Léopold, Georges Puchert) et contre leurs bateaux, ce qui provoqua de violentes réactions dans l’opinion allemande. La presse (Stern, Spiegel, Daily Mail, Aurore, Express) s’empara de l’affaire, elle attribua ces attentats à l’organisation Catena-Main Rouge. Il fut prétendu que le général Olié et Jacques Foccart en étaient informés. Un interview du chef de Catena, le colonel Condé dit de Sainte-Croix, fut proposé à la rédaction du Stern au prix de 20.000 DM. Pour finir Spiegel le paya 1.500 DM.

Le Sicherungs-gruppe s’intéressa à l’affaire et le commissaire Horn interrogea Alain Roy de l’Aurore en juillet 1959. Jacques Derogy se rendit en RFA en décembre. Mais ce n’est qu’en février 1961 que l’officier de police Delarue rencontra le commissaire Horn.

Le rapport très secret de la Sous-Direction des Affaires criminelles, signé Michel Hacq le 6 avril 1961, révéla qu’il s’agissait d’un canular monté par le chef de bataillon Garder, soviétologue connu et ancien des Services secrets, qui avait réalisé l’enregistrement du colonel fictif avec l’un de ses subordonnés du SGDN. Le but recherché était d’influencer l’opinion allemande et de prendre la défense de la civilisation occidentale (sic). Le rapport ne dit pas si Garder, qui s’amusa beaucoup de l’affaire, a été sanctionné.

La propagande du FLN (19)

Dès le début du conflit, le FLN bénéficie de l’appui de la Voix des Arabes, et des radios du Moyen-Orient, avant de constituer à Nador (Maroc) la chaîne de l’Algérie libre et combattante. Le brouillage de ces stations pose des problèmes mal résolus du côté français.

A partir de 1956, le Comité de coordination et d’exécution (CCE) fait adresser à quelques journaux parisiens (le Monde, Tribune des nations, l’Express, Témoignage chrétien) des documents sur la torture, redigés par Ouzegane.

En juin 1956, la direction du FLN crée El Moudjahid, journal bimensuel qui est d’abord édité à Tetouan avant d’être installé rue des Entrepreneurs à Tunis. Tiré à 3.000 puis 10.000 exemplaires, il comporte une édition en français et une en arabe, pour un prix qui passe de 100 à 20 francs anciens. Ses thèmes de propagande ont pour objectif de faire participer la population colonisée à la lutte de libération. L’analyse de ses 91 numéros, de 1956 à 1962, fait ressortir trois ou quatre axes principaux : populariser l’armée de libération (16% des articles), discréditer les forces ennemies (14,5%), internationaliser le conflit (38%), étudier les problèmes économiques (17%). Moins importants apparaissent les problèmes humains et moraux de la guerre, l’histoire de l’Algérie et son avenir politique .

L’importance croissante du thème de l’internationalisation montre que les débats de l’ONU sur la question algérienne sont peu à peu devenus le principal champ de bataille du FLN, conjugués aux voyages internationaux des dirigeants, aux réunions d’intellectuels et au respect des Conventions de Genève.

Le combattant algérien se compare au poisson dans l’eau de Mao. Il est le peuple en armes de la théorie marxiste, composé de paysans affamés. Le journal exalte sa discipline, ses exploits au combat, son armement moderne. Abane Ramdane, étranglé par ses pairs, devient un héros mort au combat. Le moudjahidine incarne le bien, il est humble et modeste, sensible et fidèle à l’islam. Des Commissaires politiques politisent les combattants et le peuple, condamnent les sévices de l’armée coloniale, ainsi que le génocide des regroupements de population, véritables camps de concentration. Un million de martyrs, tel est le prix payé pour la destruction du colonialisme et la reconquête des terres.

A l’inverse, le combattant français représente le mal absolu. Malgré sa bombe atomique,, l’armée coloniale est aux abois, le plan Challe est un désastre; ses soldats tortionnaires, au service de la grande colonisation, sont corrompus et démoralisés. A ce discrédit intérieur, s’ajoute le discrédit extérieur d’une armée de l’OTAN et de l’Occident impérialiste, instrument d’asservissement du Tiers Monde. Violant les lois de la guerre, elle brûle les villages au napalm et torture les militants.

La résistance ininterrompue à des conquérants despotiques résume l’histoire de l’Algérie., Etat souverain en 1830, l’Algérie faisait la police en Méditerranée avant d’être militarisée par Abd El Kader. Elle n’est donc pas un mythe, elle se réclame de la résistance de Massinissa et de la révolte de Mokrani. Ayant réalisé la fusion des Arabes et des Berbères, elle s’est opposée à l’oppression économique, au vandalisme et à la spoliation. Elle a adopté en 1954 une stratégie révolutionnaire moderne, sans adhérer cependant au communisme. Les nationalistes algériens s’opposent en effet à la thèse de la nation en formation, qui fut celle du Parti communiste français.

Les problèmes économiques sont abordés sous deux angles : celui de la critique du plan de Constantine, opération diplomatique sans avenir, rejeté par les colons, au budget insuffisant, irréalisable tant que dure la guerre, et celui de la souveraineté algérienne sur les richesses du Sahara. L’aide du Maroc et de la Tunisie est souhaitée, mais sans ingérence.

A côté de ces thèmes présentés de façon manichéenne, les dirigeants du FLN n’hésitent pas à utiliser la désinformation, dont on se contentera de citer quelques exemples :

– le massacre de 300 Arabes des Beni Ilmane par les djounoud de la wilaya 3 et les kabyles de Melouza, le 19 mai 1957, est attribué par la presse nationaliste aux soldats des commandos noirs et aux policiers français,

– le franchissement du barrage par un commando qui le 24 juin 1959 est entièrement détruit à 10 km de Bône, est présenté par les radios arabes comme la prise de Bône,

– l’attaque d’Ain Zana le 13-14 juillet 1959 par plusieurs bataillons venant de Tunisie aurait abouti à la prise du poste et à la mort de 200 soldats colonialistes, alors que le BRQ de Constantine reconnaît que malgré la violence de l’attaque, un seul moghazni a été tué,

Des récits de feu ont été décrits après la guerre d’Algérie, dans le journal de l’armée nationale populaire El Djeich, contribuant ainsi à diffuser dans la jeunesse algérienne une culture de guerre, selon laquelle le FLN a remporté la victoire militaire sur le terrain (20) .

C’est ainsi par exemple que le combat du djebel Mzi, près d’Ain Sefra, se serait traduit par la mise hors de combat de 300 soldats français, alors que le rapport de l’aéronavale fait état de 2 morts, face à 73 djounoud tués, 23 prisonniers et 87 armes de guerre saisies. Noter que El Djeich situe ce combat en mai 1959, alors qu’il a eu lieu en mai 1960.

On ne peut pas souscrire à l’opinion de Zahir Ihaddaden selon laquelle la propagande du FLN était sérieuse, mesurée et nuancée. Il n’est pas douteux que ses résultats furent négatifs en ce qui concerne l’engagement des harkis, la relation des musulmans avec les Européens et les Juifs, la stérilisation des femmes et l’extermination des regroupements par la famine, mais qu’ils furent positifs pour le ralliement des partis modérés, le soutien des pays arabes et socialistes, et l’appui de l’opinion internationale et métropolitaine.

UN MODÈLE DE DÉSINFORMATION

La relance polémique des médias

Désarçonnés par les critiques exprimées contre les excès de cette guerre civile, guerre perdue par la France malgré l’action éducative et humanitaire de l’armée, les combattants ont généralement gardé le silence sur leur expérience guerrière. Ils ont cependant assuré le succès en 1972 des 112 numéros de Historia-Magazine consacrés à la guerre d’Algérie. Divisés au sujet de la date de commémoration des victimes de ce conflit, ils ont approuvé en 1999 la reconnaissance de l’état de guerre d’Algérie.

La visite en France du président Bouteflika a donné l’occasion au journal Le Monde de relancer la polémique sur la torture pratiquée par l’armée(21). Le témoignage d’une victime algérienne, et des généraux Massu et Bigeard, a été suivi des aveux par le général Aussaresses des sévices qu’il avait perpétrés et, dans l’Humanité, de l’Appel des douze pour la repentance de la France, et d’une thèse de doctorat sur la torture et l’armée. En décembre, le Président Chirac a reconnu que les atrocités pratiquées par les deux camps étaient le fait de minorités. Mis à la retraite d’office, Aussaresses fut condamné en justice(22), tandis que la polémique se poursuivait par le biais d’émissions télévisées,(23) ,auxquelles le Cercle pour la défense des combattants d’AFN répliquait par trois livres blancs (24).

L’approche du 40ème anniversaire de la fin de la guerre attirait l’attention des médias sur les victimes du conflit : Français d’Algérie et supplétifs musulmans (harkis). Alors que la plupart des journalistes rappelaient les enlèvements et les massacres de 1962, les militants proches du FLN reprenaient l’accusation de violence coloniale, et contre les harkis, de collaboration et de sévices. Une autre exploitation mensongère est celle de l’association patronnée par Ollivier Lecour- Grandmaison, qui décuple le nombre des victimes de la répression du 17 octobre 1961 à Paris (25).

La relance de cette « bataille des mémoires » ne favorise pas le travail de recherche des historiens. Elle ne peut produire que des effets pernicieux sur l’opinion :

– les soldats (1,4 million) qui ont fait leur devoir en Algérie, les rapatriés français et musulmans en sont écoeurés,

– les militants du FLN, leurs complices et les anti-militaristes traditionnels poursuivent leur combat contre la France,

– les maghrébins travaillés par la propagande islamique, y trouvent argument pour renforcer leurs sentiments de haine.

Reconnaissant que les deux camps se sont rendus coupables de brutalités, et observant que l’opinion populaire est plus avancée que celle des dirigeants, Mohammed Harbi, historien du FLN, estime qu’il serait temps de dire enfin que la guerre est finie (26) .

Maurice Faivre et Paul Villatoux

Colloque de Bucarest, Remarques finales

Le thème du colloque : Guerre, armée et médias, était très vaste, mais bien délimité. En se focalisant sur les médias, on évitait de déborder sur la politique ou la tactique.

Comme l’ont fait remarquer les Présidents de Vos et Coutau-Begarie, les relations entre les médias et la guerre sont anciennes, mais ont connu un accroissement considérable au 20ème siécle.

Les intervenants ont souligné l’utilisation de tous les moyens de communication, écrits, oraux et images, en particulier la chanson, le communiqué et la peinture de guerre, le prêche des pasteurs, et la rumeur. Ils ont mis en évidence que :

1. La vocation des médias est d’informer sur les faits de guerre :

– l’opinion intérieure et internationale (exemple de la répercussion en Amérique du sud de la révolte grecque de 1822)

– les combattants, en leur faisant comprendre le cadre de leur mission,

– les autorités, en les amenant à modifier leurs plans en fonction des réactions défavorables du public et des indiscrétions recueillies sur l’ennemi.

2.Les autorités utilisent les médias comme moyens de guerre psychologique, de propagande et de désinformation. Cette dérive utilitaire présente des aspects positifs s’il s’agit de soutenir le moral des soldats et de la population, en agissant parfois sur leur inconscient. Mais la censure des informations et le contrôle (plus ou moins sophistiqué) des correspondants de guerre peut conduire à la désinformation du public.

Leur rôle est négatif s’il vise à démoraliser, criminaliser, intoxiquer et tromper l’ennemi (techniques anciennes des ruses, stratagèmes et opérations de déception).

Le problème posé est alors de mesurer l’impact de cette propagande, différent selon les sujets concernés : prisonniers de guerre, combattants et population ennemie.

3. Les opérations militaires connaissent une médiatisation croissante,

en raison de la transmission instantanée et mondiale des informations, et de l’intervention du public dans la gestion des conflits.

L’introduction de reporters dans les unités de combat constitue une innovation. Ils rendent compte des opérations observées sur le terrain, mais n’ont qu’une vision partielle des évènements, et méconnaissent la situation générale, l’idée de manoeuvre des deux camps et les nouvelles formes de guerre (rappel de Fabrice à Waterloo, dans le rouge et le noir de Stendhal). Conditionnés par leur milieu, ils ont tendance à rechercher le flash et à présenter une vision unilatérale des faits.

En conclusion, les médias rapportent une histoire immédiate, qui n’est pas l’histoire des conflits. On peut faire une histoire des médias dans la guerre, mais ils ne constituent qu’une source que l’historien militaire doit comparer à d’autres.

(1) -Zahir Ihaddaden. La désinformation pendant la guerre d’Algérie. p.363.

in Militaires et guerilla en guerre d’Algérie. Complexe.2001

. – La propagande du FLN. in La guerre d’Algérie et les Algériens. A.Colin. 1997.

– Hervé Hamon- Patrick Rotman. Les porteurs de valises. A.Michel. 1979.

(2) – Jacques Frémeaux. La France et l’Algérie en guerre. Economica. 2002.

– Villatoux Paul et Marie-Catherine. La guerre et l’action psychologique en France. Thèse Paris I. mars 2002.

(3) J.Frémeaux, op.cit.- Claude Paillat. Vingt ans qui déchirèrent la France. R.Laffont. 1972.

(4) on rappellera que Edgard Faure provoqua en duel JJ Servan-Schreiber.

(5) Commandant en chef en Extrême-Orient. Enseignements de la guerre d’Indochine. 1955, p.15 – P. et M.C.

Villatoux, op.cit. et : la menace de subversion communiste dans les forces armées (1949-1950). RHA n°2/1999.

(6) Caroline Ollivier-Yaniv. L’Etat communiquant. PUF. 2000 – Martin Harrison. Government and press in France during the algerian War. The american political review. 2/1964.

(7) Michel Winock. La République se meurt. Chronique 1956-1958. Folio-Histoire. 1985 – Patricia Hubert-Lacombe. Le cinéma français dans la guerre froide. 1946-1956. L’Harmattan. 1996.

(8) Frémeaux, op.cit. – Hamon-Rotman, op.cit. – C. Lacheroy. Histoire orale. 1997. SHAT. 3K18.

Christian Barthélemy, dans les saisies de journaux en 1958, BDIC 1992, établit que la IVème République saisit 13 journaux par an en métropole et 32 en Algérie, alors que pour la Vème République les saisies sont de 44 et 69 par an. 36% des informations interdites concernent l’armée française, 30% les Français d’Algérie et les Comités de Salut public, 20% le FLN. Les articles sur les terroristes, leurs complices et les insoumis sont caviardés.

(9) Jean Vaujour. Archives orales. 3K5. SHAT 1999.

(10) Georges Spillmann. Du protectorat à l’indépendance. Maroc 1912-1955. Perrin 1981.

– Hamon-Rotman, op.cit.

(11) Cécile Romane. Les téméraires. Flammarion. 1993

((12) Roger Falligot et Pascal Kropp. DST police secrète. Flammarion. 1995. p.183.

((13) Historia-Magazine n° 84 et 315. Navigation en eau trouble – Des oreilles chez l’ennemi,

– Henri Jacquin. La guerre secrète en Algérie. Olivier Orban. 1977. p. 224, 229, 237.

– Michel Forget. Guerre froide et guerre d’Algérie. Témoignage sur une période agitée. Economica. 2002

(14) Pilipp Kneightley. Le correspondant de guerre, de la Crimée au Vietnam. Héros ou propagandiste ? Flammarion. 1976.

(15) – Guy Caniot. Le Bled et son limogeage. Algérianiste. Juin 1998.

(16) H.Jacquin, op.cit. – Historia-Magazine, op.cit. – M.Faivre. L’ALN extérueure face aux barrages, in Guerre d’Algérie. La défense des frontières. Les barrages frontaliers. CFHM. 1997.p.93.

(17) et non 1958 comme l’écrivent Ihaddaden et Albert Fitte

(18) – Archives du SHAT. Fonds privé Messmer. 1K 744/4. dossier 9. Les deux livres suivants, plus ou moins romancés ne sont pas fiables : – Constantin Melnik. Un espion dans le siècle. Plon. 1994

– Antoine Melero. La main rouge. Ed. du Rocher. 1997.

(19) – Albert Fitte. Spectroscopie d’une propagande. El Moudjahid du temps de guerre. Université de Montpellier. 1995.p.183- Ihaddaden, op.cit.- Hamon-Rotman, op.cit. – Collectif, Défense des frontières, op.cit.

– CR Ageron. La guerre psychologique de l’ALN. in La guerre d’Algérie et les Algériens. A.Colin. 1997.

(20) El Djeich. Organe de l’ANP. Collection BDIC. 1964-66 – La bataille du djebel M’Zi, in Revue historique

des Armées 3/1995.

(21) Le Monde des 22 et 25 juin 2000 – L’Humanité du 31 octobre – Thèse de Raphaëlle Branche, disciple de Pierre Vidal-Naquet, à l’IEP le 5 décembre. L’auteur du présent article, cité à l’ordre de l’Humanité le 18 mars 2002 : Insulte du général Faivre contre Henri Alleg; a obtenu un droit de réponse publié le 11 avril 2002.

(22) Condamnné en appel en février 2003 pour apologie de crimes de guerre, à 7.500 euros d’amende.

Noter que dans le même temps, les terroristes et tortionnaires algériens (Zirout Youssef – colonel Amirouche -Yacef Saadi..etc..) sont célébrés comme des héros.

Réf. Mohammed Ben Yahia. La conjuration au pouvoir. Récit d’un maquisard. Arcantère. 1988.

(23) Films de Patrick Rotman (l’ennemi intime), d’Hervé Bourges (Un parcours algérien- Naissance d’une nation) et d’André Gazut (la pacification en Algérie ). Pièces de théâtre contestataires à Avignon, Dijon et Paris.

(24) Mémoire et Vérité des combattants d’AFN. L’Harmattan 2001 – Le livre blanc de l’armée française en Algérie. Contretemps 2002 – La France en Algérie. Les réalisations, l’héritage, mai 2003 –

(25) Marcel Péju dans Jeune Afrique-l’Intelligent du 27 février 2001. Le Cercle pour la défense des combattants d’AFN a obtenu la condamnation du journal et de Péju pour diffamation publique

– Le professeur d’histoire El Korso est scandalisé par la présence d’un ministre harki aux côtés du Président Chirac en Algérie (journal d’Alger Le Matin, 5 mars 2003).

L’association pour la mémoire du 17 octobre 1962 est sans doute à l’origine de la manifestation antifrançaise lors du match France-Algérie.

(26) Le Monde du 4 mars 2003.

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La guerre civile des Algériens

Terre d’invasions et de colonisations successives, l’Algérie a traversé des périodes de troubles et de divisions internes. Elle n’a été unifiée dans ses frontières actuelles qu’après la conquête française et l’occupation du Sahara, à la fin du 19ème siècle.

L’histoire du Maghreb central offre ainsi une succession de soulèvements et de conflits religieux et politico-sociaux, qui se sont perpétués au cours des siècles, jusqu’aux crises de l’Algérie indépendante. Ce chapitre se propose de survoler cette évolution.

Les rivalités dans une Algérie morcelée(1) .

La société d’origine berbère se caractérise par son organisation en familles patriarcales, hostiles à toute oppression et dévouées au groupe social d’appartenance. Les rivalités existant entre familles, clans, et tribus ont parfois été surmontées, afin d’opposer des confédérations de tribus, et même d’éphèmères royaumes numides, à la domination des phéniciens, notamment Carthaginois, puis des Romains.

Lors des guerres puniques qui opposent Rome à Carthage (261 et 218 avant J.C.), les Berbères se rangent d’abord dans le camp romain, et leur chef Massinissa bat Hannibal en 202. Lorsqu’en 146 les Romains rasent Carthage, ils s’emploient à détruire l’unité de la Numidie en encourageant les revendications tribales. Les attitudes des Berbères sont alors de deux sortes, ou bien ils refusent l’occupation romaine et se réfugient dans les montagnes, ou bien ils se romanisent, avant de se christianiser. Certains de ces chrétiens abjurent leur foi pour échapper aux persécutions romaines et versent ensuite dans le schisme donatiste aux 3ème et 4ème siècles.

D’autres Berbères romanisés se soulèvent contre la colonisation romaine et rallient à leur révolte les tribus montagnardes. Succèdant à celle de Jugurtha (104 avant J.C.), huit insurrections majeures sont déclenchées de l’an 17 à 395 de notre ère. En 429, l’occupation des Vandales, qui ne pénètrent pas dans les massifs kabyles, provoque un énorme soulèvement des Berbères, appuyé par les donatistes et les misèreux d’alors, les circoncellions (ceux qui rôdent autour des granges, circum cellas ). Lors de l’intervention de Byzance en 537, les Berbères sont refoulés dans leurs villages fortifiés, et s’efforcent de reconquèrir les terres qu’ils ont perdues. De nouvelles révoltes sont conduites par les Berbères Garmel et Gelimer.

De 645 à 715, les Arabes ayant conquis la Tripolitaine envahissent à plusieurs reprises le Maghreb. Leur conquête entraîne la révolte du chef Koseila et de la Kahina dans l’Aurès. Les conversions par contrainte sont suivies, selon Ibn Khaldoun, d’apostasies successives. En 740, toute la Berbérie se soulève contre le despotisme des Califes Omaïyades de Damas, et adopte le dogme kharedjite, plus ascétique et égalitaire que l’Islam orthodoxe(2). Les Arabes sont battus sur l’oued Cheliff et l’oued Sebdou en 740 et 742. Mais au 9ème siècle, le royaume kharédjite est balayé par le soulèvement des Ketamas, confédération kabyle qui se réclame du Calife fatimide de Kairouan. A la suite de luttes très confuses, dans lesquelles les tribus kabyles s’efforcent de préserver leur autonomie, le Berbère Ziri fonde un Etat ziride, que son descendant Hammad transforme en royaume hammadite ; c’est déjà le culte de la personnalité.

A la fin du 11ème siècle, l’Algérie subit la seconde vague de l’invasion arabe, conduite par les nomades hillaliens, commandités par le calife du Caire. Les Beni Hillal occupent les steppes algériennes et refoulent les Kabyles réfractaires sur les massifs côtiers. Cependant les Hillal sont à leur tour contenus par les Berbères almoravides (morabitoun, hommes du couvent fortifié, le ribat ), mystiques exaltés et guerriers qui viennent du Sud marocain. S’emparant d’Alger en 1082, ils instituent la journée du tri, à l’issue de laquelle sont exécutés les tièdes et les hypocrites. Ils sont supplantés par leurs adversaires du Haut Atlas, les Almohades, (unitaires), aristocrates plus rigoureux encore, qui imposent le rite malékite et l’impôt foncier.

Ils battent les Hillaliens à Sétif en 1152 et éliminent les derniers Almoravides en s’emparant de Bougie et d’Alger en 1187.

Les invasions des 11ème et 12ème siècles achèvent le processus d’islamisation du Maghreb, sous de multiples influences et en plusieurs phases. Les Kabyles et les Chaouias (habitants de l’Aurès) adhèrent à la religion nouvelle sans la pratiquer complètement, et conservent leurs coutumes, dont le culte des saints. Une autre invasion est conduite au 14ème siècle par les Mérinides, rois du Maroc qui s’emparent de Tlemcen (1337), et ravagent à nouveau le Maghreb jusqu’à Bône et Tunis.

Venus également du Maroc à partir du 15ème siècle, les marabouts ont peu à peu encadré les tribus, constituant une caste fermée et exerçant dans les villages un pouvoir spirituel qui leur permettait de présider à tous les actes de la vie familiale, de la naissance au mariage et à la mort.

Refoulés vers la côte, les Berbères ont développé leur activité maritime, notamment la piraterie, qui s’exerça surtout contre le commerce espagnol. Pour y mettre un terme, le roi d’Espagne décida, après la Reconquête de son territoire, d’intervenir en occupant des Présides qui interdirent tout développement et accentuèrent le déclin des ports d’Alger, Oran et Bougie.

Pour conjurer cette décadence, la cité d’Alger fit appel en 1516 à deux corsaires turcs établis à Djidjelli, les frères Barberousse, qui installèrent une Régence ottomane, vassale de l’empire turc, dirigée par un dey désigné par la milices des Janissaires (l’Odjak ); le dey était représenté par trois beys à Médéa, Oran et Constantine. Les Marocains sont chassés de Tlemcen par les Janissaires en 1552. A cette occupation ottomane, il faut ajouter, à partir de 1609 à Oran, l’invasion pacifique de 300.000 Morisques qui, expulsés d’Espagne en raison de leur non-assimilation, vont se disperser dans le Maghreb et dans l’Empire ottoman (3).

Selon Mohamed Harbi, 200 tribus sur 516 échappaient à l’autorité de la Régence. Une fois par an, les colonnes de Janissaires, appuyées par les tribus arabes de la plaine, faisaient des expéditions dans les montagnes pour y percevoir de lourds impôts. Alliées à des tribus exemptées d’impôts et à de grandes familles, les Turcs géraient le pays comme un butin.(3). La caste militaire décrétait sans discernement la responsabilité collective des tribus. La justice était rendue selon les rites hanéfite ou malékite; conformément à la loi coranique. Les sanctions allaient de l’amende à la décapitation, en passant par la bastonnade, la lapidation et l’amputation de la main. La forme principale de l’activité économique résidait dans la course sur mer, qui trois siècles durant réduisit en esclavage des milliers d’Européens. A ces violences, il faut ajouter la cruauté des féodaux envers leurs sujets, et les souffrances endurées par les esclaves noirs, lors de leur transfert à travers le Sahara.

« Autrefois, c’était le temps de la peur, l’ouakt el keuf…quand il y avait en permanence des discordes entre les tribus, écrit le géologue Robert Laffitte. A ce moment les gens de la plaine montaient faire des incursions chez les montagnards, enlevant leurs troupeaux, violant les femmes et dépouillant de leurs habits les isolés qui dans le territoire de leur tribu se croyaient en sécurité (4) ».

L’impact de la colonisation

A l’origine, la France n’envisageait qu’une expédition punitive contre les « pirates barbaresques », qui aurait dû se terminer par la capitulation d’Alger, le 5 juillet 1830, et par la reddition des villes côtières. Mais l’effondrement du régime turc eut pour conséquence à la fois la désorganisation du pays et la résistance des chefs arabes, notamment le bey de Constantine à l’est et l’émir Abd El Kader à l’ouest.

Des accords conclus avec l’Emir lui permettent d’unifier les deux tiers du pays, et d’édifier un Etat et une armée modernes. Il se heurte cependant à la résistance des Kouloughlis (métis de Turcs et d’Algériennes) de Tlemcen, et à celle des Kabyles, qui refusent de lui payer l’impôt. « Nous n’avons pas de chefs étrangers à notre nation, lui disent-ils…Vous vous êtes annoncé chez nous en qualité de pélerin…Si vous étiez venu comme maghzen, au lieu de couscous blanc, nous vous aurions rassasié de couscous noir (de la poudre)».

Non appliqués, les accords furent dénoncés de part et d’autre, et les opérations militaires reprirent, au cours desquelles les deux camps rivalisèrent de violences. Rejeté par le roi du Maroc, l’Emir est contraint à la reddition en 1847. L’armée d’Abd el Kader est ainsi vaincue par une armée supérieurement équipée. Elle l’est aussi parce que les Algériens manquent de cohésion. Les clans familiaux qui structurent le pays sont rebelles à une forme politique capable de regrouper les diversités tribales…Dans les couches autrefois liées à la caste turque, l’apparition de nouvelles élites, d’un encadrement issu des tribus, suscite un réflexe de peur. Ici et là, les chefs de famille prépondérantes…collaborent avec la France ou se réfugient dans l’expectative (3).

La soumission de toutes les tribus demandera encore quelques années, et des révoltes sporadiques se déclenchèrent après 1856, suscitées par des chefs féodaux privés de leur pouvoir : parmi les plus importantes, l’insurrection de Mokrani, bachaga de la Medjana, qui souleva une partie de l’ouest Constantinois en 1871, et celle de Bou Amama dans le sud oranais en 1881. Elles furent sanctionnées par des expropriations de terre et de lourdes amendes. La paix française régna désormais sur l’ensemble de l’Algérie, sans éliminer totalement les structures tribales(5) , ni éradiquer immédiatement certaines coutumes archaïques.

C’est ainsi que les règles juridiques (kanoun) en vigueur à Cap Aokas conduisaient chez le marabout celui qui insulte la religion. On fond du plomb dans la bouche du blasphémateur, ou bien on le lapide à coup de pierres, ou bien encore on lui coupe la langue, sinon on l’étend par terre, on le déshabille, et un adulte vigoureux lui donne cent coups avec une tige de fer, jusqu’à ce qu’il meure (6).

Robert Gebhart, instituteur en 1930 dans les Babors, constate que la djemaa des Beni Messali pratique encore une justice expéditive(7). Quelque temps avant mon arrivée, écrit-il, le dénommé Bouskine terrorisa les habitants. A son actif : crimes, vols, viols…Son épopée se termina lorsqu’il fut tué par un justicier. On exécuta même sa femme et son fils.

Les discordes des nationalistes

Face à la colonisation française, les élites musulmanes se partagent d’abord en assimilationnistes et en réfractaires. Le mouvement des Jeunes Algériens, converti par l’école française aux valeurs des Lumières, se prononce pour l’égalité des droits, alors que les Vieux Turbans, attachés à la tradition religieuse, refusent ce qu’ils considèrent comme une apostasie. Le nationalisme algérien naît après la guerre de 1914-1918, le courant radical est représenté par Messali Hadj, formé initialement par le communisme, tandis que Ferhat Abbas et les Oulemas sont davantage réformistes que révolutionnaires. Le débarquement américain de novembre 1942 accélère la montée du nationalisme, dont le soulèvement de mai 1945 dans le Constantinois constitue l’acte fondateur.

Au sein du PPA (Parti populaire algérien) de Messali Hadj, qui après sa dissolution est devenu MTLD (Mouvement pour le triomphe des Libertés démocratiques), divers courants voient le jour, à la suite du démantèlement de l’Organisation Spéciale (O.S.) qui a perpétré quelques attentats dans les années 1949-50. Les centralistes du Comité s’opposent au pouvoir personnel de Messali Hadj et créent le CRUA (Centre Révolutionnaire d’Unité et d’Action) pour préparer l’insurrection de novembre 1954. Cette opposition sera à l’origine du conflit entre le FLN, Front de libération nationale, auquel se rallient en 1956 les modérés et les oulémas, et le MNA (Mouvement national algérien), nouveau parti de Messali.

D’autres rivalités apparaissent entre les dirigeants réfugiés au Caire et ceux de l’Intérieur, entre les régionalistes de Kabylie et de l’Aurès, puis entre les wilayas de l’intérieur et la direction de Tunis. Alors que les éléments européens et musulmans du PCA (Parti communiste algérien) sont en désaccord, les communistes tentent de créer leur propre mouvement des Combattants de la Liberté, mais sont finalement contraints de s’intégrer individuellement au FLN.

Tout en reconnaissant qu’in fine le FLN l’emporte en créant un Etat reconnu par la communauté internationale, il faut bien souligner qu’au cours d’un conflit de huit années, se font jour bien des comportements et des conceptions divergentes. Les Chaouia n’acceptent une

direction que si elle est aurésienne. Les Oranais contestent les responsables originaires du Constantinois qui dirigent la wilaya 5. L’ancrage maraboutique des uns, la cohésion patriarcale et le conservatisme anti-intellectuel des autres, sont en désaccord avec le réformisme des modérés, autant qu’avec la volonté révolutionnaire, moderniste et laïque des nationalistes les plus radicaux(8)

Dans l’Aurès, un mouvement de dissidence provoque le ralliement de Adjoul Adjoul aux forces françaises, la contestation de Mahmoud Cherif par ses pairs, et les tentatives de prise en mains népotiques du clan des Abidi. Dans la wilaya 3, après la mort d’Amirouche (dont la responsabilité est attribuée par certains aux dirigeants de Tunis), le pouvoir est disputé entre Mohand ou el Hadj et Abderahmane Oumira; le complot des lieutenants destitue à la fois les deux concurrents, avant que Oumira ne meurre au combat.

Ces dissentiments seront à l’origine de maintes liquidations : l’exécution de Chihani Bachir par ses pairs de l’Aurès, l’assassinat de Ali Mellah, du capitaine Rouget et de Tayeb Djoghlali dans la wilaya 6, l’élimination de cadres de la wilaya 5 par Si Mohammed, responsable militaire de la wilaya 4. Les purges contre les traîtres présumés des wilayas 3, 4 et 6 se traduisent par des milliers d’exécutions sommaires, accompagnés d’horribles supplices. Le ralliement de Si Salah et d’une vingtaine d’officiers supérieurs à la paix des braves entraîne leur élimination physique. L’épuration de la wilaya 4 est poursuivie par les commissions de purge itinérantes du commandant Hassan (le docteur Youssef Khatib). Se prononçant contre l’attitude bienveillante du colonel Lotfi, les officiers de la wilaya 5 sont partisans de décapiter à la hache les déviants (8).

Le FLN a l’ambition d’assurer la direction du peuple, mais ne parvient pas à éliminer le tribalisme, le régionalisme et le clientélisme. Pour s’imposer, il n’hésite pas à recourir à la violence et à éliminer physiquement les notables pro-français et les anciens combattants. De 1955 à 1956, on passe de 4 à 16 égorgés par jour (voir courbe jointe). La terreur s’installe dans les villages. Des centaines de mutilations faciales punissent ceux qui enfreignent l’interdiction de fumer et de boire.

La criminalité indigène, étudiée par les professeurs de la Société médicale d’Alger(9),est marquée par certains réflexes des temps barbares, où l’on supprime les humains aussi facilement, et du même geste que l’on égorge les moutons. En médecine légale occidentale, les égorgements, éventrations et mutilations faciales et génitales sont assimilées à des actes de sadisme, et les lynchages de la foule à une explosion de folie collective. Cette explication ne satisfait pas ces experts, qui recherchent les causes profondes de ces violences dans l’anarchie des siècles passés, dans la brutalité de la justice ottomane, et dans le mépris de la vie humaine, attestée par la pratique de la Rebka (vendetta kabyle). Le sentiment de l’honneur conduit à venger dans le sang les manquements à ce code, il autorise le fils à sacrifier sa mère et le mari à exécuter la femme adultère et son amant.

Reconnaisant le haut idéal de la religion musulmane, son attachement aux valeurs de fraternité et d’hospitalité, ces médecins observent cependant que c’est aussi une religion guerrière, intolérante envers les déviants. Selon eux, la reconnaissance de l’égale dignité de la femme aurait dû tempèrer la cruauté des moeurs.

Le 20 août 1955, le chef du Nord Constantinois Zirout Youssef entraîne la population à attaquer une vingtaine de villages, de façon à provoquer une répression massive des forces de

l’ordre; 73 Européens sont tués ainsi que 30 musulmans jugés réfractaires à la Révolution(10).

La répression sera évidemment très lourde (1200 tués selon le SLNA du colonel Schoen).

Au début de 1956, le chef kabyle Amirouche fait attaquer les villages qui s’étaient constitués en auto-défense; à Ioun Dagen et Aïn Ourabah, des centaines de villageois sont ainsi éliminés au cours d’une dramatique « nuit rouge ». En même temps dans l’Oranais, des dizaines de fellah sont assassinés à Ain Menaa, Wagram et Honaïn.

En sept ans de guerre, 16.000 civils musulmans seront tués, des dizaines de milliers blessés, et des milliers de disparus dont on ignore la destination.

La lutte FLN-MNA (11)

Surpris par les attentats du 1er novembre 1954, les chefs du MTLD s’efforcent de prendre le train en marche et de s’entendre avec les responsables FLN auxquels ils accordent une importante aide financière. En Kabylie et dans l’Aurès en effet, c’est au nom de Messali que Krim Belkacem et Mostefa Benboulaïd ont lancé l’appel à la lutte. Cependant le gouvernement dissout le MTLD le 6 novembre, et fait arrêter plus de 400 messalistes. Le Zaïm réagit en créant le MNA, Mouvement National Algérien, et en envoyant deux délégués, El Mekki et Mazerna, auprès des dirigeants extérieurs du FLN au Caire, auxquels il reproche « les promesses non tenues ». Mais les Services égyptiens du major Fathi Dib font arrêter les envoyés de Messali. Mazerna se range alors aux côtés de Boudiaf.

A Alger, le FLN est opposé à une action autonome du MNA. Messali est considéré comme traître à la Révolution. Abane Ramdane donne l’ordre au printemps 1955 d’éliminer les maquis MNA en cours de constitution en Kabylie, et même de liquider Messali. En avril, le MNA procède à quelques attentats à Boufarik et à Alger, où des bagarres éclatent entre collecteurs de fonds. Yacef Saadi recrute des truands dont la mission sera d’épurer la casbah des militants MNA. En septembre, le chef messaliste Azzouzi est tué à Alger. Messali autorise alors l’action terroriste, mais recommande d’épargner la vie et les biens des Européens.

En Kabylie, Krim Belkacem charge Amirouche d’éliminer les maquis du MNA. 800 djoundi de l’ALN écrasent en juin 1955 les groupes armés constitués à Bouira, Dra el Mizan, aux Ouadhia, à Seddouk, au Guergour, aux douars Beni Bou Abdou et Amlouline, à Ain Bessem et Ménerville. Les combats les plus durs se déroulent à Guenzet, où 500 messalistes sont massacrés. Leur chef Belounis est chassé de Er Rich près de Bouira, et s’enfuit vers le sud, où il reconstitue un groupe de choc. Au printemps 1956, la Kabylie est normalisée, et la force K, à base de messalistes recrutés par la DST, est prise en mains par Krim Belkacem.

Simultanément, le FLN élimine le MNA à Oujda et Marnia. Mais dans la vallée du Cheliff, Si Ahmed et Djillali Belhadj ont constitué deux maquis qui ne relèvent pas du FLN. Djillali, surnommé Kobus, est un leader messaliste d’Alger, mais son maquis reste indépendant du MNA. Il élimine à la fois les groupes communistes du maquis rouge, et le réseau FLN dirigé par Bagadi. Manipulé par la DST, il est soutenu à partir de 1957 par l’armée française. Disposant de 600 hommes et de 460 fusils de guerre, il devient le Commando du Doui, sous le contrôle du lieutenant Heux. Mais le FLN réussit à retourner ses subordonnés qui assassinent Kobus le 28 avril 1957.

Une autre bande messaliste va se rallier à l’armée française en juillet 1957. Il s’agit de la bande de Labhri Cherif, dit Si Cherif, qui dispose de 300 hommes implantés dans le sud algérois. Son djich, baptisé Forces auxiliaires franco-musulmanes (FAFM), va liquider les troupes de la wilaya 6. Porté à 1100 hommes armés, il participe alors à la lutte contre l’ALN et à la pacification du Sud algérois jusqu’en juin 1962.

Une autre tentative de 3ème Force est celle de Belounis, qui est crédité de 1500 combattants armés en mai 1957. Chassé de la région de Bouira, il agit d’abord autour d’Aumale contre le FLN; plus au sud, il subit une attaque de bandes ALN venues du Maroc; dans le djebel Amour, son adjoint Si Ziane est assassiné par Amor Driss. Traversant l’Ouarsenis, il est dénoncé par des agents FLN et accroché près de Boghari par des unités françaises. Il se rapproche alors des Beni Ilmane avec les 800 hommes qui lui restent. C’est alors que la wilaya 3 intervient et avec l’aide des kabyles de Melouza, massacre le 28 mai 1957, à Mechta Kasbah, 300 messalistes arabes des Beni Ilmane. Aussitôt, Belounis rencontre le capitaine Combette qui

avait entrepris de pacifier la région. Contacté par les envoyés du général Salan, il accepte de collaborer avec l’armée, mais refuse de se rallier au drapeau français et de conclure un accord politique. Suivi par un détachement de liaison du CCI, puis du 11ème Choc, il reçoit armement, véhicules militaires, postes radio et crédits de fonctionnement pour un effectif de 3.500 hommes.

L’Armée nationale Populaire algérienne (ANPA) de Belounis est baptisée par le commandement français Commandos du Sud Algérois (CSA). Elle participe à des opérations en liaison avec l’armée française, en particulier à l’opération Nivose en février 1958, qui a pour but de contrer l’offensive que les wilayas de l’ALN ont déclenchée contre l’ANPA. En mai et juin, l’ANPA obtient plusieurs succès dans la lutte contre l’ALN.

En contrepartie, Belounis a l’ambition d’étendre son influence à toute l’Algérie, il crée sa propre organisation politico-administrative, impose des réquisitions abusives et pressure la population. Son action est condamnée par Messali Hadj à la suite d’une mission d’information de Jacques Simon. Rencontrant de plus en plus d’oppositions internes, il se livre à des exécutions sommaires. Le général Salan décide de mettre fin à la coopération. Belounis est tué le 14 juillet 1958 dans des circonstances mal éclaircies. Un charnier de 430 cadavres sera alors découvert. Une partie de ses troupes se rallie au FLN, tandis que les autres continuent leur combat autonome et observent une stricte neutralité vis-à-vis des forces françaises. On en retrouvera une partie en 1961 dans les maquis constitués par le Front algérien d’action démocratique (FAAD) dans le Sud algérois.

En métropole, où le MNA était solidement implanté en région parisienne, dans le Nord et dans l’Est, les règlements de compte avec le FLN seront sanglants. Les messalistes accusent le FLN de collusion avec le Parti communiste, lequel avait condamné en mai 1955 la position du MNA. La volonté d’hégémonie du FLN est confirmée par une directive de Ben Bella qui ordonne d’exterminer tous les messalistes. Les hotels où ils logent sont attaqués par les commandos de choc du FLN en 1956 et 1957. En juin 1957, un cessez-le-feu est conclu en Belgique entre groupes rivaux. En revanche à Paris, les commandos FLN assassinent les responsables du syndicat messaliste (USTA), puis les dirigeants Abdallah Filali et Ahmed Bekhat. En décembre 1957, le FLN a pris le dessus en France, mais la lutte se poursuivra en 1958. Le bilan des affrontements en métropole est évalué à 12.000 agressions, 4.000 morts et 9.000 blessés.

Le 29 août 1959, le Bureau politique du MNA adresse à la Ligue arabe un message qui stigmatise les crimes et massacres dont sont victimes les « patriotes algériens » : il affirme que des charniers sont découverts tous les jours, et que le pays subit un bain de sang. Le 30 mars 1961, la déclaration de Louis Joxe affirmant qu’il négociera avec le MNA est rejetée par le FLN. Le MNA ne sera admis ni aux négociations, ni au référendum d’autodétermination. En 1962, la répression contre le MNA est relancée en Algérie par le FLN. Au sein de l’Exécutif provisoire, on l’accuse d’avoir « vendu son âme au diable « . Le 1er novembre, le dirigeant Moulay Merbah sera emprisonné et torturé.

Discordes au sein du FLN et de l’ALN extérieurs (12)

Soutenus par les services spéciaux égyptiens, Ben Bella et les dirigeants de l’extérieur mettent en place en 1955 des filières d’armement qui ne conviennent pas aux dirigeants de l’intérieur, Krim Belkacem et Abane Ramdane. Les représentants des premiers, Mahsas et Abdelhaï, sont éliminés par la force à Tripoli et Tunis, au profit d’Ouamrane, alors que Boussouf, qui se réclame à la fois de Napoléon, de Franco et de Staline, s’impose au Maroc. Non invité au Congrès de la Soummam, Ben Bella en refusera les décisions, en particulier la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, et l’absence de référence aux valeurs de l’Islam. Au rejet de ces conclusions par une partie des wilayas 1 et 2 s’ajoutaient les oppositions traditionnelles entre l’Aurès, les Nementcha et les Kabylie, le conflit entre bourguibistes-conciliateurs et nassériens-radicaux, et la compétition pour la possession des armements. On peut y voir aujourd’hui les prémisses de la lutte pour le pouvoir.

Les bandes qui s’installent en Tunisie et au Maroc se rattachent d’abord à leurs autorités territoriales. Les partisans d’une guérilla régionalisée s’opposent à la direction dictatoriale des trois B: Belkacem, Boussouf, Bentobbal. Après avoir assassiné Abane Ramdane, Boussouf impose au

Maroc une discipline fondée sur la prison, les tortures et les exécutions. Des pétitions circulent, condamnant cette direction arbitraire.

Après l’échec de la bataille des frontières, l’ALN ne réussit pas à introduire en Algérie les cadres et l’armement dont ont besoin les wilayas de l’intérieur. Exclu du Commandement Est et exilé au Caire par le CCE en septembre 1958, le colonel Lamouri exprime sa haine du clan kabyle. Avec l’aide du commandant Lakhal, le soutien des services égyptiens et du clan radical de la wilaya 1, il organise un putsch visant au renversement du GPRA et à la pénétration des unités frontalières en Algérie. Ayant découvert le complot, les 3 B font appel à Bourguiba qui fait encercler les insurgés par sa Garde nationale. En février 1959, un tribunal présidé par Boumediene prononce quatre condamnations à mort et la détention de treize officiers. La gravité de ce complot fait oublier la « trahison » du commandant Azzedine, qui, converti à « la paix des braves »à Alger, venait plaider cette cause à Tunis.

Du 6 au 12 décembre 1958, quatre chefs de wilayas se sont réunis et ont établi un bilan négatif de l’action du GPRA, jugé incapable de remplir sa mission de ravitailleur en armes. La mort au combat d’Amirouche et de Si Haouès (28 mars 1959) met un terme à leur projet d’aller protester à Tunis. Dans le même temps, Mohammedi Saïd est rejeté par la base de l’Est, qu’il voulait diriger. Le 21 mars, le capitaine Ali Hambli avec ses 150 djoundi, se rallie aux forces françaises; il accuse les responsables politiques de vivre dans le luxe alors que les forceurs de barrage endurent les pires souffrances.

Les sept colonels réunis de juillet à novembre 1959 refusent la présence des membres du triumvirat et mettent Belkacem Krim en minorité. Ils imposent une participation accrue des militaires au CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne), et confient le commandement de l’ALN à Boumediene. D’anciens officiers français complotent alors pour kidnapper trois colonels dont Boumediene.

Pendant le même été, l’insubordination se répand dans les bataillons de Tunisie. Par compagnies entières, les soldats abandonnent leur cantonnement. La psychose des cadavres suspendus aux barbelés électrifiés amplifie la baisse du moral. Lors d’une visite à Ghardimaou, fin 1959, Krim Belkacem est hué aux cris de «Vive la paix, vive de Gaulle ».

Les efforts d’organisation poursuivis par l’EMG n’empêchent pas les querelles internes de se développer. Au Maroc, le colonel Ben Boulaïd échappe à un attentat. Le capitaine Zouibir, avec une centaine de djoundi, entre en dissidence contre la wilaya 5 ; il attaque un détachement de l’ALN avant d’être cerné, puis condamné à mort par un tribunal présidé par Boumediene. Le capitaine Moussa est l’auteur en septembre d’une nouvelle conjuration.

Tandis que l’armée tunisienne s’oppose par la force aux infiltrations vers le Sud, l’ALN de Tunisie n’est pas à l’abri des dissensions et des manifestations d’indiscipline. Les désertions d’un bataillon à l’autre et les absences irrégulières obligent Boumediene à brandir la menace de sanctions. En août 1960, Ferhat Abbas dresse un contat alarmiste de la fracture entre les maquis et le FLN extérieur. Au début de 1961, il se rend à deux reprises à Ghardimaou pour faire la leçon à Boumediene. Leur différend concerne la passivité de l’ALN, et surtout le commandement des wilayas, que le GPRA veut conserver, alors que l’EMG le revendique. Opposé au Comité interministériel de Guerre (CIG), Boumediene constitue une nouvelle faction et cherche des alliés parmi les chefs historiques détenus en France : Ben Bella, Khider et Bitat(13).

Le GPRA, à la demande de Bourguiba, demande que l’EMG livre à la police tunisienne un pilote français abattu le 21 juin 1961. Boumediene s’incline avec difficulté, mais le 15 juillet, l’EMG donne sa démission et se constitue en direction autonome. Le 19 août, 21 officiers votent une motion réclamant le retour à la Révolution et la transformation de l’ALN en armée de militants. Le conflit ne fait que s’envenimer avec la désignation de Ben Khedda (ancien centraliste du MTLD) à la tête du GPRA, à la fin du mois d’aôut.

Les représentants de l’EMG voteront contre les accords d’Evian en février, puis en mai 1962. L’ordre du jour de Boumediene affirme que le cessez-le-feu n’est pas la paix…la lutte continue jusqu’à la Révolution. Représentant l’EMG, le capitaine Bouteflika se rend à Aulnoye en décembre 1961 et rallie Ben Bella au camp des militaires. Après l’échec du CNRA de Tripoli au début de juin 1962, Boumediene achemine des responsables et des armes en Algérie. Le 30 juin le GPRA destitue l’EMG, décision sans conséquence du fait que l’Armée Nationale Populaire est derrière Boumediene. Profondément politisée, l’armée de métier qui entre en Algérie en juillet 1962 est aussi un instrument de conquête du pouvoir.

L’anarchie de l’été 1962 (14)

Dans un interview de juin 1963, Aït Ahmed estime que « les causes de la crise, c’est la ligne Morice, c’est la ligne Challe, ce sont les barrages électrifiés…Asphyxiée, l’ALN poursuivait un combat de plus en plus inégal. La crise de direction fut fondamentalement une conséquence de la crise sur le terrain ».

Rejeter la crise sur des facteurs extérieurs, c’est oublier ou ne pas admettre les ambitions personnelles des chefs historiques de la rébellion. C’est l’attrait du pouvoir absolu qui a déterminé le choix de nos dirigeants, écrit Ferhat Abbas. Installés sur leur trône, ils se sont entourés de courtisans. Ainsi Ben Bella, désireux de prendre sa revanche, va-t-il cristalliser les oppositions, avec le soutien de Boumediene. Après avoir recherché l’investiture de Nasser, il se fait acclamer à Oujda aux dépens de Boudiaf et d’Aït Ahmed, et proclame son allégeance ethnique par le cri répété de « Nous sommes Arabes ! ».

Après la fuite de Tripoli de Ben Khedda et de quelques ministres, 39 congressistes du CNRA avaient adopté un « procès-verbal de carence », sans se mettre d’accord sur la constitution du Bureau politique. La lutte pour le pouvoir va opposer Boudiaf, Krim, Ben Khedda et la Fédération de France au clan Ben Bella- Boumediene. Ben Bella impose son propre Bureau Politique à Tlemcen, auquel Ferhat Abbas et Mohamed Khider se rallient pour des raisons personnelles d’opportunité.

En raison de cette discorde, il est impossible au GPRA d’approuver les accords Susini -Mostefaï, que Ben Khedda avait d’abord autorisés. Les wilayas prennent parti pour l’un ou l’autre camp, après l’échec relatif de la réunion inter-wilaya du 24-25 juin. Les wilayas 3 et 4 se prononcent pour Ben Khedda, les autres pour Ben Bella, non sans désaccords internes. En Wilaya 3 en effet, Mohammedi Saïd et Yazourene s’opposent à leur colonel Mohand ou El Hadj, qui s’est rallié au pouvoir établi. En wilaya 2, les commandants Berredjem et Beloucif se déclarent contre leur chef benbelliste, et enlèvent le ministre Bentobbal. Boudiaf est détenu par la wilaya 1 à M’sila. Après avoir créé le Comité de la Révolution algérienne, Belkacem Krim signe avec le Bureau politique un accord de compromis, valable un mois, que Boudiaf et Aït Ahmed rejettent. La wilaya 4 prend en main la Zone autonome d’Alger (ZAA), et Yacef Saadi déclenche une fusillade en haute casbah. Il y a des morts, et la population, qui vit sa situation comme une occupation militaire (14), manifeste aux cris de « Sept ans, ça suffit !».

Trois pouvoirs coexistent alors en Algérie, entre lesquels naviguent les wilayas. Ben Khedda se déconsidère dans une guerre de communiqués. L’Exécutif provisoire de Farès est amputé de ses conseillers démissionnaires, et de la Force de l’ordre qui a déserté avec armes et bagages. Ben Bella est le plus fort et tactiquement le plus habile.

Cette anarchie favorise toutes les violations des accords d’Evian : occupation de biens vacants abandonnés par les Européens, extorsion de fonds auprès des commerçants et des colons, pillages, enlèvements ( 3.093 Européens enlevés, dont un millier seulement seront retrouvés vivants), internement des messalistes et massacre de plus de 60.000 harkis. S’agissant de ces derniers, la préméditation et la duplicité sont évidentes : les directives des wilayas recommandent en effet de les traiter avec bienveillance, en attendant leur jugement final devant Dieu et devant le Peuple. Ces directives contredisent les promesses de novembre 1961.

Le 30 août, le Bureau politique donne l’ordre aux troupes de l’ANP de se diriger vers Alger. A Boghari, Aumale, Sidi Aissa et Chlef, le choc avec la wilaya 4, bref et meurtrier, se traduit par des centaines de morts. Ben Bella révise ensuite les listes électorales et élimine ses adversaires. L’armée des frontières impose ses propres représentants, sur une liste unique de 195 militants.

Tendances et factions prolifèrent. Le FLN a éclaté. Hocine Aït Ahmed crée le Front des Forces socialistes, Boudiaf le Parti de la Révolution socialiste, aussitôt interdits (14). Le parti de Messali Hadj et le parti communiste sont également interdits. Le peuple algérien, une fois passées les fêtes de l’indépendance, qui sont aussi celles de la paix espérée, ne se rend pas encore compte que le régime de parti unique ne répond pas aux espoirs que pouvaient formuler les partisans des droits de l’homme, du pluralisme et de la démocratie. La déception n’en sera que plus amère.

Le colonialisme a duré 130 ans. Combien de temps durera l’indépendance ?, demandent les interlocuteurs de Mohammed Benyaha, lequel, regagnant la Kabylie, constate que la Soummam vit dans la terreur(15) .

La nouvelle guerre civile

Elu Président par acclamation, Ben Bella se préoccupe sans doute de ramener le calme dans le pays, mais surtout de mettre ses partisans aux commandes de l’Etat, et d’appliquer le programme marxisant de Tripoli, et en particulier l’autogestion socialiste, recommandée par quelques gauchistes français (dont le trotskiste Michel Raptis) en dépit de son échec en Yougoslavie. La campagne d’enlèvements et les extorsions de fonds ayant fait partir les derniers colons, des comités de gestion sont mis en place en mars 1963 dans les propriétés agricoles, dont les détenteurs sont expropriés en octobre. 2,7 millions d’hectares sont ainsi conduits à la ruine, l’exode rural s’accélère, la production est en chute libre et le chômage s’accroît.

La Constitution d’octobre 1963 confirme le régime de parti unique et donne les pleins pouvoirs au Président. Un Code raciste de la nationalité consacre l’exclusion des non-musulmans. A l’incompétence des pseudo-médecins venus de l’Est s’ajoute la médiocrité de 650 instituteurs proches des Frères musulmans, dont Nasser est heureux de se débarrasser; ils vont s’employer à dispenser en Algérie un islamisme rétrograde (16) .

Le système des wilayas résiste et ne sera brisé qu’après plusieurs secousses, la révolte du colonel Mohand oul Hadj (Kabylie) en septembre 1963, et du colonel Mohamed Chaabani (Sahara) en juillet 1964 (14).

Craignant pour sa survie, Ben Bella met en place en juillet 1964 des milices populaires destinées à préserver les acquis de la Révolution. Elles ne sont pas en mesure de s’opposer au coup d’Etat du colonel Boumediene, qui le 19 juin 1965 envoie son prédécesseur en détention, pour 15 ans, dans le Sud algérien. Boumediene décrit Ben Bella comme un dictateur incompétent : amour morbide du pouvoir, intrigues traquées dans l’ombre, improvisation , irresponsabilité, mystification et illusionnisme démagogique, telles sont les aimables qualifications que le colonel attribue à celui qui a mis en prison sans jugement, ou fait assassiner, une dizaine de responsables de la Révolution.

Mais à peine au pouvoir, Boumediene renforce les pouvoirs présidentiels et policiers, et se lance avec son ministre Abdesselam dans une politique d’industrialisation forcée – sur les modèles de Mussolini et de Staline. Malgré la rente pétrolière, qui passe de 89 à 7.500 millions de dollars, c’est un échec. Des dizaines d’usines travaillent au tiers de leur capacité, les apparatchiks s’enrichissent, l’agriculture délaissée ne suffit pas à nourrir une population dont la croissance démographique est encouragée. Les fellah des camps de regroupement ne regagnent pas le djebel et s’entassent autour des villes. Cette urbanisation spontanée contribue à destructurer la famille(17).

Dans l’enseignement, l’arabisation et l’islamisation provoquent la fuite des cerveaux; comme dans d’autres pays musulmans, l’accès à la modernité est ainsi entravé. Une culture de guerre anti-française répand le mythe de la victoire militaire. Boumediene institue un islamisme d’Etat.

C’est au tour de la wilaya 1 de se soulever, en décembre 1967, en la personne de son chef Tahar Zbiri. Selon Mohamed Harbi, l’Algérie nouvelle s’avère riche en affrontements factionnels et en assassinats politiques, celui de Mohamed Khider (Madrid, 4 janvier 1967), celui de Krim Belkacem (Francfort, 18 octobre 1970). La Sécurité militaire assure le maintien de la dictature et réprime le Parti de la France. Aux côtés de 2.500 prisonniers politiques, Ferhat Abbas et Abderahmane Farès sont placés en résidence surveillée.

C’est l’Etat-Armée qui tient le pays, et non le FLN, qui est réorganisé sur le modèle nassérien. La première Assemblée populaire nationale est élue le 25 février 1977 sur le mode plébiscitaire. Le fossé s’élargit entre la société civile et l’Etat qui avec un journal anime un Parti et un Syndicat.

Après la mort de Boumediene (décembre 1978), Chadli Bendjedid relâche la pression étatique et tente de se rapprocher de l’Europe et des Etats-Unis. Mais il se heurte au régionalisme : le printemps kabyle est réprimé en avril 1980 à Tizi Ouzou. Les mesures de redressement financier provoquent les émeutes d’octobre 1988. Intervenant contre les saccages de magasins et les incendies d’immeubles, l’armée fait plus de 500 morts parmi les jeunes manifestants. Des militaires ont tiré, comme ça, parce qu’ils n’en avaient pas l’habitude, par peur, reconnaît le général Khaled Nezzar, accusé en outre par l’avocat Bourdon d’être responsable direct de l’exécution extrajudiciaire d’une cinquantaine de victimes civiles à Bab el Oued. Le dénouement de la libéralisation est amer. Le peuple a fini par se soulever contre ce régime tyrannique et corrompu, reconnaît ben Khedda.

Chadli réagit en abolissant, dans la Constitution de 1989, le rôle dirigeant du Parti. Il institue le multipartisme et la liberté de la presse(18). Mais il est trop tard. Le mécontentement populaire est exploité par les réseaux islamiques. Dès 1983 se sont constitués des maquis attribués aux Afghans. Le Code de la famille antilibéral(19), voté en 1984, ne suffit pas à apaiser les fondamentalistes , dont 135 sont déférés aux tribunaux. Aux élections municipales de juin 1990, on assiste au raz de marée du FIS (Front Islamique du Salut), qui totalise 54% des votants et rejette la démocratie et l’Occident.

A partir de 1991 s’enclenche une dynamique insurrectionnelle (18). Les élections législatives de décembre 1991 confirment la domination des islamistes, qui enlèvent 188 sièges contre 25 au FFS et 18 au FLN. 200 officiers supérieurs signent une pétition contre Chadli, qui est contraint à la démission. Un Haut Comité d’Etat fait appel à Boudiaf, qui interdit le FIS. Mais il est assassiné le 29 juin 1992 à Annaba. La guerre civile est désormais réouverte. Le terrorisme fait des milliers de victimes, journalistes, intellectuels, hommes politiques et étrangers (31 Français plus 7 religieux). 600 écoles ont été détruites, des villages décimés sans que les forces de l’ordre interviennent. A l’Armée islamique du Salut (AIS) s’ajoutent en janvier 1994 les GIA (Groupes islamiques armés).

Selon le capitaine Souaïdia, la consigne est d’exterminer non seulement les tangos (terroristes), mais tous les islamistes dans la population. Il faut éradiquer toute opposition, tuer les bergers, ramener les têtes ou les oreilles des terroristestabattus. « Pas de prisonniers, je veux des morts», aurait déclaré le général Mohamed Lamari. Après la désertion de 18 sous-officiers à la fin de 1991, les purges s’étendent à l’armée, assimilée à une Société nationale de formation des terroristes. La prière devient un acte criminel, les mosquées sont interdites dans les casernes. Certains militaires, à l’imitation des tangos, soumettent des jeunes filles à des mariages de complaisance, qui ne sont rien d’autre que des viols.

Alors que le gouvernement accuse des fils de harkis de se livrer à des opérations de vengeance, les patriotes des Groupes de légitime défense reconstituent les harkas d’autrefois. Ils ne seraient pas moins cruels que les terroristes du GIA ou les tortionnaires du Département du renseignement et de l a Sécurité (DRS).

Dans le Monde du 13 mars 2001, l’ex-officier Yasmina Khadra, qui a été chargé d’enquêter sur les massacres, dément les accusations de Souaïdia. Il attribue toutes les horreurs au GIA et évoque ces vieillards, ces femmes, ces enfants, et nourrissons, surpris dans leur misère la plus accablante, et assassinés avec une férocité absolue. Des bébés ont été embrochés, frits et brûlés vifs. De telles horreurs ne peuvent être commises que par des mystiques ou des forcenés… Il reste que ces atrocités rappellent celles des temps anciens, et plus proches de nous, celles du 20 août 1955, les supplices infligés aux traîtres de la bleuïte, et en 1962 aux harkis.

Les péripéties politiques apportent peu de répit à le lutte. La plate-forme adoptée en 1995 à San Edigio par les partis et par le FIS est refusée par le gouvernement. L’élection du général Zeroual, le succès de son parti, et la trêve décretée par l’AIS, s’accompagnent en 1997 d’épouvantables massacres. Après la démission de Zeroual, le programme de Concorde civile de son successeur Bouteflika, élu en avril 1999 à une faible majorité(20), ne produit pas l’apaisement espéré; 5.000 prisonniers ont été libérés, dont certains se livrent à nouveau à des actions de propagande islamique. La sécurité semble revenue dans les grandes villes, mais dans le bled subsistent de vastes zones d’insécurité.

Le bilan de cette deuxième guerre civile est estimé à plus de 100.000 morts, dont 20.000 militaires, et 4.000 disparitions dues en grande partie à la répression (21). Il faut y ajouter les manifestations kabyles d’avril-mai 2001, qui font une centaine de morts.

Sortir de la crise ?

Telle est la question posée aux participants d’un colloque d’historiens, algériens pour les deux tiers, réunis à Nancy par Gilbert Meynier au début de 1999. Le constat est sans appel, mais n’évite pas quelques contradictions : l’obscurantisme en Algérie a été depuis longtemps et continue d’être une production officielle…L’Algérie a un passé – le passé turc, le passé colonial français – qui est lui-même violent. Le marché mondial et l’impérialisme financier mondialisé sont les violences importées aujourd’hui…Le diable est donc bien à l’extérieur… Mais le diable est aussi à l’intérieur .

Smaïl Goumeziane, universitaire et ancien ministre, estime que le fossé ne cesse de se creuser entre une population désabusée, une opposition politique étouffée, et un pouvoir réel de plus en plus isolé. Il préconise de réhabiliter l’agriculture et l’industrie nationale, d’attaquer les monopoles et les rentes de spéculation, de faire appel à l’initiative et aux partenariats extérieurs. Selon lui, l’urgence va aux réformes démocratiques. Certains des participants mettent alors leur espoir dans la prochaine élection de M. Bouteflika(22) .

Pour d’autres observateurs, le rôle des historiens est primordial. Il s’agit, conformément à la réflexion de Paul Ricoeur, d’élargir le regard dans l’espace et dans le temps. A la lumière de l’actualité, Paul Thibaud estime que la guerre d’Algérie est devenue un évènement tragiquement négatif. G.Pervillé souhaite que l’on se libère de la mémoire obsessionnelle de la guerre d’Algérie. …Algérie et France ont besoin de reconsidérer leur passé avec esprit critique…Le jour où l’Algérie décidera de refermer les portes de cette guerre, elle pourra espérer devenir enfin un pays libre et heureux (23)

Aussi nécessaire qu’il soit, le travail historique ne parait pas suffisant. Le drame de l’Algérie actuelle va au-delà de la crise. L’analyse historique montre que la violence n’est pas seulement coloniale ou turque, elle remonte aux coutumes ancestrales, à l’inconscient collectif, à la course au pouvoir et aux richesses, à la conception d’un islam intolérant.

Dans son testament posthume (24), le roi Hassan II affirme que l’intégrisme est contraire à l’Islam, qui est animé par l’esprit de tolérance et de modération, conformément au précepte du Coran : « O gens du Livre, évitez l’excès dans la religion « . Le Commandeur des Croyants, profondément contrarié par la situation algérienne, fait confiance aux fils et filles d’Algérie pour trouver une solution aux difficultés actuelles.

Cette solution, estime Mohammed Harbi, exige un effort intérieur de la part du peuple algérien : l’idéalisation de la violence requiert un travail de démystification. C’est parce que ce travail a été frappé d’interdit, que le culte de la violence a été entretenu dans le cadre d’un régime arbitraire et que l’Algérie voit resurgir avec l’islamisme les fantômes du passé…

Décrivant la tragédie d’une démocratie sans démocrates, il confirme deux ans plus tard : Ainsi en occultant l’existence de pratiques cruelles enracinées dans une culture paysanne archaïque, dominée par un code particulier de l’honneur et de la blessure symbolique à imposer au corps de l’ennemi, on s’interdit de voir dans la cruauté actuelle des actions de terrorisme islamiste, un retour qui en vértité traduisait une permanence culturelle (25).

A son tour, l’ambassadeur d’Algérie Ahmed Ghoualmi dénonce une guerre venue du fond des âges, un terrorisme barbare, sans précédent dans l’histoire moderne . Cette opinion n’est pas sans rappeler le jugement de Tocqueville selon lequel la société musulmane « n’était pas incivilisée; elle avait seulement une civilisation arrièrée et imparfaite. Germaine Tillion souligne enfin que la société musulmane « s’est efforcée d’effacer la femme de la catégorie active et pensante de l’humanité. Or comme ce sont les femmes qui élèvent les enfants, il en résulte souvent pour cette société une arriération chronique (26).

En conclusion du colloque de 1999, Ahmed Koulakssis en appelle à la libération du peuple algérien, libération d’un Etat prédateur, d’une classe parasitaire, de la peur et des blocages culturels, du refoulement historique (8). Tout est dit.

(1) Pour ce paragraphe, on a surtout utilisé les ouvrages de CA Julien, et « l’Algérie, passé, présent et futur » de Lacoste, Nouschi et Prenant, en nuançant leur tableau idyllique de la Régence turque par les points de vue d’Augustin Bernard, H.Isnard et M.Emerit. S’agissant de la romanisation et de la christianisation, on a utilisé les ouvrages de Joseph Mesnage, de Joseph Cuoq et de Serge Lancel.

(2) Réf. Bernard Lugan. Histoire du Maroc. Perrin. 2000.

(3)Mohamed Harbi. La guerre commence en Algérie. Complexe. p. 74 à 102.

Philippe Conrad. Histoire de la reconquista. PUF.1998.

(4) Robert Laffitte. C’était l’Algérie. Ed. Confrérie Castille. 1994.

(5) Notre peuple a une tendance profonde à rester au stade de la tribu, écrit Ferhat Abbas dans Autopsie d’une guerre. Garnier. 1980. Le mythe kabyle n’est pas une invention des ethnologues coloniaux, comme le prétend CR Ageron.

(6) Rahmani Slimane. Coutumes kabyles de Cap Aokas. Société historique algérienne. 1939.

(7) Robert Gebhart. L’élève et le maître. Rapport manuscrit du 30 novembre 1987.

(8) G.Meynier. L’Algérie contemporaine. Actes d’un colloque de 1999, publiés par L’Harmattan. 2000.

(9) Professeurs A.Fournier, P.Michaux et J.Thiodet. in Algérie médicale. Vol. 61. 1957.

(10) Aujourd’hui, certains Algériens prétendent que les Européens ont assassiné leurs propres compatriotes. Réf. Entretien avec Chergui Brahim et article de JL Planche : FLN et MNA à Alger. in Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie. Complexe. 2001..

(11) Sources : J.Valette. La guerre d’Algérie des messalistes. 1954-1962. L’Harmattan. 2001. J.Simon. La passion de l’Algérie libre. Thèse de 1995. M.Harbi. Mirages et réalités du FLN. op.cit. p.143 à 168. M.Faivre. Services secrets et troisième Force. in Il n’est point de secrets que le temps ne révèle. Lavauzelle. 1998.

(12) M.Faivre. L’ALN extérieur face aux barrages frontaliers. in La défense des frontières. CFHM. Vincennes 1997. Mohamed Harbi. Le complot Lamouri. in La guerre d’Algérie et les Algériens. A.Colin. 1997.

(13) M.Harbi, La guerre commence en Algérie, op.cit. p.269-275, et l’implosion du FLN, in L’Algérie contemporaine. op.cit.p.29. F.Abbas. L’indépendance confisquée. Flammarions. 1984. p.316-317

M.Teguia. L’Algérie en guerre. OPU Alger. 1981. p.393-397. M. Lebjaoui. Vérités sur la Révolution algérienne. Gallimard. 1980.

(14) M.Harbi. L’implosion du FLN. op.cit. Ali Haroun. L’été de la discorde. Casbah édition. 2000.

B.Ben Khedda. L’Algérie à l’indépendance. Ed. Dahlab. 1997. Hervé Bourges. Mémoire d’éléphant. Grasset. 2000. M.Faivre. Les combattants musulmans de la guerre d’Algérie, des soldats sacrifiés. L’Harmattan. 1995.

(15) Mohammed Benyahia. La conjuration au pouvoir. Récit d’un maquisard. Aracantère. 1988.

(16) CR Ageron. La prise du pouvoir par le FLN. in L’Histoire d’avril 1991.

(17) André Nouschi. L’Algérie amère. 1914-1994. Maison des Sciences de l’Homme. 1995.

Michel Cornaton. Les camps de regroupement de la guerre d’Algérie. L’Harmattan. 1967.

(18) Benjamin Stora. Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance. La Découverte. 1994. L’Algérie, formation d’une nation. Atlantica. 1998. F.Abbas. L’indépendance confisquée. Flammarion. 1984. Khaled Nezzar. Octobre. Ed. Le Matin; Alger. 1998.

(19) Considérée comme vulnérable et fragile (sic), la femme est mise sous tutelle de son père puis de son mari. Elle ne peut travailler qu’avec leur autorisation. Elle ne peut rendre visite qu’à sa famille très proche. Le mariage mixte lui est interdit. Elle peut être répudiée pour infécondité. Réf. Yamina Bettahar. L’enjeu des femmes en Algérie. in G.Meynier. op.cit.

(20) Selon le Mouvement algérien des officiers libres (MAOL), Bouteflika a obtenu 28,3% des voix sur un taux de participation de 23,03%. Réf. www.anp.org.

(21) D.Malti. La nouvelle guerre d’Algérie. La Découverte. 1994. E.Schemla. Mon journal d’Algérie. Novembre1999-Janvier 2000.. Flammarion. 2000. Nesroulah Yous. Qui a tué à Benthala ? La Découverte 2000. Habib Souaïdia. La Sale Guerre La Découverte. 2001.

(22) G.Meynier, op.cit.

(23) P.Thibaud. Les violences en Algérie. Odile Jacob. 1998. p.176. G.Pervillé. Réflexions sur la réévaluation du bilan de la guerre d’Algérie. Colloque de Bordeaux. Mars 1997. Quand la guerre d’Algérie a-t-elle pris fin ? Conférence au CEHD. 14 juin 1999.

(24) Hassan II. Le génie de la modération. Réflexions sur les vérités de l’Islam. Plon. 2001.

(25) M.Harbi. L’Algérie et son destin, croyants ou citoyens. L’Arcantère, 1992. p.155. La tragédie d’une démocratie sans démocrates, in le Monde du 13 avril 1994.

(26) Alexis de Tocqueville. De la colonie en Algérie. Rapport de 1847. Complexe, 1988, p. 169.

– G.Tillion. L’Afrique bascule vers l’avenir, réédition, Tirésias, 1999, p.71.

– Mohamed Ghoualmi in le Monde du 21 novembre 2000. L’ambassadeur semble ignorer les supplices abominables infligés aux harkis.

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Un ethnologue de terrain face à la rébellion algérienne

Né à Constantine en 1918, décédé le 1er mai 2000, Jean Servier fut un des meilleurs découvreurs de la « civilisation berbère », qu’il a mise en valeur après l’avoir étudiée sur le terrain de 1949 à 1955. La spécificité berbère, manifestée par l’opposition de la wilaya 3 à Ben Bella en 1962, puis par le printemps kabyle de 1980, est revenue sur le devant de la scène en 2001, démentant ainsi les partisans de la Révolution algérienne et de l’arabisme, pour lesquels il s’agit d’un mythe forgé et imposé par le colonialisme.

La connaissance acquise dans les villages berbères d’Algérie, et les amitiés qu’il s’y est faites, l’ont conduit à s’engager dans la lutte contre le FLN de 1954 à 1958. Le terrorisme, les meurtres d’enfants, la torture des femmes, la résurgence du rêve sanglant du djihad renforcent encore son engagement, qui s’explique également par son ascendance pied-noir, et par son attachement à l’armée, attestée par d’éminents services militaires :

– engagé volontaire d’avril 1938 à avril 1941, après un stage de formation à l’Ecole des liaisons de Reims en 1939, est affecté comme aspirant à la 7ème Armée en guerre,

– rappelé au service de janvier 1943 à janvier 1946, officier de liaison auprés de la 8ème Armée US en Italie, affectation au 4ème Spahis marocains en juin 1944, puis officier interprète à l’état- major de l’armée de Lattre en juillet.

Certaines de ses activités en Algérie ont été décrites par les observateurs des médias et par les historiens, d’autres ont été sous-estimées ou volontairement occultées. Cet article se propose d’en rappeler le déroulement chronologique(1) .

La carrière de l’ethnologue – sociologue.

Après des études de Langues orientales, d’Histoire des religions, de Linguistique et de Sociologie générale, sa rencontre avec Marcel Griaule en 1947 décide de sa carrière d’ethnologue. Admis en 1949 au CNRS, il effectue des campagnes de six mois, pendant lesquelles il est complètement immergé dans le milieu berbère. Il passe ainsi, d’une année sur l’autre, du Zakkar à l’Ouarsenis, de Grande Kabylie à la Soummam, et finalement à l’Aurès.  » Je n’étais pas seul, m’écrit-il le 20 février 1999, j’avais deux mulets et des centaines d’amis disposés à m’aider, avec tous les mois la visite de la jeep de l’Administrateur qui venait prendre de mes nouvelles, là où elle pouvait arriver « .

Il soumet à son maître Marcel Griaule et au professeur René Basset le résultat de ses travaux(2) : – la conception dualiste de l’âme détermine le sens donné aux rites du labour et des moissons, qui s’inscrivent dans le cycle dualiste de l’année – le symbole de la fécondité des femmes, liée à celle de la terre – la présence du sacré dans la nature – les génies gardiens de la maison – la croyance à l’alliance des morts et des vivants, sous la protection du saint fondateur du village. Il affirme alors, preuves à l’appui, « l’unité de la pensée traditionnelle des différentes cultures issues de la civilisation méditerranéeenne, d’une rive à l’autre »(3). Il fait ainsi découvrir aux vieux des villages, la parenté entre le fonds hellénique et la culture kabyle.

Maître de conférences en 1957 à la Faculté des Lettres de Montpellier, il devient professeur titulaire de la chaire d’Ethnologie et de Sociologie créée pour lui en 1962. Il poursuit alors ses travaux, confirmant « la place prépondérante du sacré qu’il appelle l’Invisible , dans les civilisations traditionnelles, en même temps qu’il s’oppose avec force à l’évolutionnisme biologique matérialiste ».

Il s’intéresse alors à la spiritualité occidentale, à l’utopie et à l’ésotérisme, auxquels il consacre plusieurs ouvrages traduits à l’étranger(4). Il participe aux colloques d’Eranos à Ascona (Suisse), où il présente des communications d’ethnologie comparée de 1977 à 1989.

Il est nommé professeur émérite en 1983 et se consacre à d’autres ouvrages.

La Toussaint sanglante dans l’Aurès.

La connaissance en profondeur des Chaouia, qui chez lui n’est pas superficielle mais extensive, le met en position de faire face au déclenchement de la rébellion le 1er novembre 1954 à Arris. Il n’est pas nécessaire de rappeler les conditions de son intervention au secours de Madame Monnerot dans les gorges de Tighanimine, ni l’attribution des 50 fusils de la Commune mixte à l’agha Merchi(5), caïd du douar, chef de la fraction des Ouled Daoud (vulgairement Touabas) opposée au chef rebelle Mostepha Benboulaïd. « Je ne regrette pas, m’écrit-il en février 1999, d’avoir pris l’initiative d’aller chercher l’instituteur dans les gorges…même si je l’ai payé de ma carrière » (universitaire)(6) .

 » Brusquement la révolte prenait un autre aspect, ce n’était plus une guerre de libération menée par tous les musulmans contre les chrétiens, mais une rébellion ouverte contre la loi. Du côté de l’ordre et de la paix française, il y avait des musulmans, et de l’autre côté, dans l’ombre, quelques Français se réjouissaient de ces troubles et, en secret, aidaient sans doute déjà les rebelles ». Ainsi les instituteurs communistes refusaient-ils de participer à la défense d’Arris (G.Laffly).

Au-delà de ces péripéties, ce qu’il faut souligner, c’est la prescience et l’avenir de la démarche de Jean Servier, fondatrice dans l’Algérie en guerre des autodéfenses et des harkas. Le capitaine Anglada, fondateur de la SAS d’Arris, rapporte qu’en 1956 plus de 500 Touabas, étaient incorporés dans de nombreuses formations supplétives, harkas, GMPR et maghzens, sans compter les autodéfenses des villages. Ils resteront fidèles à leur engagement jusqu’au cessez-le-feu en 1962.

L’affaire K comme kabyle.

Beaucoup moins connue et parfois mal interprétée, la seconde intervention de Jean Servier se situe en Grande Kabylie. Arrivant à Tizi Ouzou en juin 1956, il rencontre deux amis kabyles qui expriment leurs doutes sur la Force K récemment constituée(7).

Le rapport que Jean Servier adresse le 8 septembre aux autorités d’Alger(8) et au préfet Vignon qui vient de relever le général Olié à Tizi Ouzou, n’est pas connu des historiens. Il mérite donc d’être cité in extenso.

Note sur l’Organisation « K » (8 septembre 1956)

En 1946, une scission se produisit à l’intérieur du comité exécutif du P.P.A., dont certains membres kabyles se plaignaient d’être écartés des postes de direction parce qu’ils étaient kabyles.

Jusqu’en 1948 il y eut diverses tentatives de créer un mouvement « berbériste » : essai d’un P.P.K. (Parti populaire kabyle) sous l’inspiration de Mouloud Maameri, professeur au lycée de Ben-Aknoun, essai pas très poussé du reste d’une section kabyle du parti communiste algérien. Ces diverses tentatives ne réussirent guère à grouper qu’un petit nombre de jeunes instituteurs kabyles.

Il est difficile de préciser à la suite de quels contacts Monsieur Eydoux, conseiller technique au cabinet du Gouverneur général Soustelle et actuellement au Ministère de l’Intérieur, eut l’idée de mettre sur pied un maquis kabyle dont les chefs étaient les promoteurs des tentatives mentionnées plus haut. Il est difficile de préciser également les données sur lesquelles s’est appuyé Monsieur Pontal, alors directeur de la Police à Alger, pour établir les listes des membres actifs de ce maquis. (8bis).

Pendant longtemps, le secret le plus absolu a entouré l’Organisation K. Le capitaine Benedetti, du S.R.O., a bien voulu m’en signaler l’existence dès mon arrivée à Alger en juin 1956. A mon arrivée en Kabylie, je pris connaissance des listes des membres actifs en même temps que j’entrais en relations avec le capitaine Hentic, que le colonel Parizot avait placé à la tête de l’organisation. Certains noms m’étaient familiers, d’autres me l’étaient moins. Après une brève enquête, je m’aperçus que nous étions en présence d’un regroupement armé et largement subventionné des éléments P.P.A. devenus M.T.L.D., et de certains communistes dissidents de Kabylie. Certains membres de cette organisation, comme le dénommé Babou Lounès, secrétaire du Centre municipal de Tala Tgana, douar Tamgout, sont soupçonnés d’appartenir au F.L.N. L’individu sus-nommé serait commissaire politique du F.L.N. et aurait participé à l’assassinat des deux commerçants d’Azazga qui n’ont pas fait grève le 5 juillet.

De son côté, le capitaine Hentic (son adjoint est Camous) m’a dit que son rôle se bornait à percevoir mensuellement une somme de neuf millions au cabinet du Ministre résidant et à remettre un certain nombre de chèques à deux des responsables de l’Organisation K, Zaïdi et Tahar. Jusqu’à présent, l’organisation K a abouti à la seule mise à mort d’un suspect : un goumier de la commune mixte de Port-Gueydon récemment passé au F.L.N. Ils revendiquent une seconde exécution, celle d’un officier du F.L.N. sans toutefois pouvoir en donner de preuve.

A l’heure actuelle, dans la région des Beni-Zmenzer, comme au douar Izarazen, l’organisation échappe complètement à tout contrôle. Certains de ses membres, arrêtés comme suspects au cours de rafles ou de perquisitions dans les villages, produisent aux officiers ou aux gendarmes un papier attestant leur appartenance à l’organisation K et invitant l’autorité militaire à prendre contact avec le Lieutenant-colonel Fauconnier, chef du 2ème Bureau de la 27ème DIA.

Au douar Iflissen(9) , la situation est sensiblement différente. Le capitaine X, commandant une compagnie du 15ème B.C.A. est entré en contact avec les membres de l’organisation de son douar; dont le responsable est un certain Thoumi du village d’Izer-en-Salem. Cet officier a refusé jusqu’à ces derniers temps d’être secondé par un officier S.A.S. Ce faisant – peut-être par simple vanité – il appliquait strictement les directives du F.L.N. Ses supérieurs lui reprochent d’avoir appartenu au Parti communiste et d’entretenir encore à l’heure actuelle des rapports avec la section de Blida. Son départ demandé depuis fort longtemps interviendra peut-être en décembre.

Je suis entré en contact avec les responsables de l’Organisation que j’ai pu rencontrer : Zaïdi, Tahar et Thoumi. Les deux premiers sont connus à Alger – surtout Zaïdi- comme souteneurs. Ils expriment tous des ambitions politiques certaines. Dans l’immédiat, ils demandent que les terres de la Mitidja soient données aux membres de l’Organisation et souhaitent remplacer peu à peu le F.L.N.

Babou Lounès avait réussi à persuader le capitaine Hentic d’installer un camp d’entraînement en même temps qu’un poste de combat non loin du village de Tala Tgana. Il est certain que bien que l’entraînement des terroristes se soit amélioré, leurs méthodes restent primitives. Eux-mêmes s’en rendent compte. De nombreux documents saisis l’attestent. Il y aurait donc un danger certain à enseigner les méthodes de combat de nos commandos à des éléments dont personne ne peut répondre.

Le capitaine Hentic voulait tester son organisation en l’emmenant combattre sur un terrain d’opérations extérieur à la Kabylie, les Aurès-Nementchas ou la région de Tlemcen. Il estimait à juste raison nécessaire, pour pouvoir tenter cette expérience, de disposer d’un commando français bien entraîné. Les différentes vicissitudes dont on retrouve trace dans ses notes, dues surtout à la lenteur administrative de l’Armée, l’en ont empêché.

De son côté, le colonel Parizot, inquiet de la tournure que prenaient les évènements, essaie de se débarrasser de l’Organisation K en en confiant la direction à la 27ème D.I.A. Le Lieutenant-colonel Fauconnier semble heureux de cette solution. Deux faits nouveaux viennent de se passer qui, à mon sens, compromettent grandement l’avenir :

Les deux responsables Zaïdi et Tahar ont été victimes d’un inexplicable accident d’auto sur la route de Maison Carrée et souhaitent se faire hospitaliser en France. Le capitaine Hentic atteint d’une phlébite risque d’être contraint à l’immobilité pendant six mois. Je pense que privé de ces éléments, il sera impossible au Lieutenant-colonel Fauconnier de prendre en mains l’Organisation K, même s’il avait une longue habitude de la Kabylie et des Kabyles, ce qui n’est pas le cas.

Au mois de juillet le général Olié a bien voulu me demander mon avis sur l’Organisation K. Je lui ai donné le 12 août les raisons que j’avais de mettre en doute les buts cachés et la valeur morale des responsables et des hommes de cette organisation.

Le 6 septembre, le général Olié m’a montré un rapport du lieutenant-colonel Fauconnier qui demandait le maintien de l’organisation sous sa forme actuelle. Il a bien voulu à nouveau me demander mon avis. Je lui ai répondu ce qui suit :

« Au fur et à mesure de l’implantation des troupes françaises, les membres de l’Organisation K doivent se présenter au commandant de secteur et au commandant d’unité, et sortant de la clandestinité, demander à combattre comme supplétifs aux côtés des troupes françaises, ou à participer à la défense des villages avec des cadres français, ou à rendre leurs armes et à reprendre leurs occupations. En aucun cas nous ne pouvons admettre la constitution d’un mouvement politique tout aussi nationaliste que le F.L.N., encore moins devons-nous en assurer l’armement et le financement ».

Dans l’état actuel des choses, avec le retrait des éléments du 11ème Choc, pour le 31octobre, du commando français chargé d’encadrer l’Organisation, j’estime imprudent de laisser survivre une organisation clandestine dont les membres sont aujourd’hui au nombre de 300 et ont à l’égard des troupes une attitude équivoque. Rien ne peut être entrepris en Kabylie tant que cette lourde hypothèque n’a pas été levée. Non seulement en supprimant à l’organisation sa subvention, ce qui est facile, mais encore en la désarmant et en supprimant la cellule terroriste qui s’y est glissée.

X

Note concernant l’état de l’Organisation « K » au 30 août 1956

En conséquence de la non réalisation des moyens prévus par la Note du général Lorillot 172/CD du 23 mai 1956, la situation est la suivante :

1°) 300 armes de guerre sont en circulation dont nous ne pouvons dire avec certitude où elles se trouvent.

2°) des zones d’action (ex. Douar Izarazen) ne sont pas contrôlées par nos forces.

3°) des sommes d’un montant de 9.000.000 Fr sont distribuées chaque mois, dont nous ne pouvons contrôler la destination.

4°) désarroi des chefs kabyles de l’organisation qui nous font part de la lassitude de leurs militants qui ne comprennent pas ce qu’ils considèrent être nos « atermoiements ».

5°) danger d’infiltration dans l’organisation d’éléments douteux profitant de cet état de fait.

Suit un compte-rendu du capitaine Hentic, faisant la chronologie de l’Organisation « K » depuis janvier 1956, et concluant :

– TED non exécuté. Le 20 août, au prix de nombreuses difficultés, perception de 2 camionnettes 203 et de 2 tentes 8 places.

– Poursuite de l’instruction et premières opérations avec les éléménts en place. Résultats satisfaisants

– La 2ème phase : prise en mains des éléments autochtones est envisagée pour le 1er septembre.

– 28 août : retrait du détachement du 11ème Bataillon de Choc.

X

On sait que le 1er octobre, la 2ème compagnie du 15ème BCA, stationnée dans les Iflissen, et dont le capitaine entretient des relations (suspectes, selon la lettre de Servier de février 1999) avec quelques membres de l’organisation K, est attirée dans une embuscade (2 tués, 6 blessés dont le capitaine Maublanc). On constate alors que 200 faux maquisards au moins ont rejoint la rébellion. L’oiseau bleu s’est envolé (10), s’écrie Hentic (d’où le nom attribué à tort à l’affaire K). L’opération Djenad, montée par la 27ème DIA, sans la participation de la 7ème DMR, du 9 au 12 octobre dans la forêt d’Adrar, permet au 3ème RPC de Bigeard de mettre hors de combat 130 rebelles armés de fusils de chasse, les armes de guerre ayant été récupérées par la wilaya 3.

Le dénouement de l’affaire K constitue un grave échec pour les services de renseignement et pour l’armée française, moins grave sur le plan militaire, que sur le plan psychologique. L’opération Jumelles en 1959 neutralisera les katibas de la wilaya 3, jusqu’à ce qu’elles renaissent en mai 1962. Dix ans plus tard, Madame Lacoste rapporte le souvenir douloureux qu’en a conservé la population

des Iflissen, qui reste inféodée au FLN (7).

Connaissance des Berbères

Dans cette affaire, Jean Servier fait la démonstration de sa connaissance des villages, famille par famille, de leur hiérarchie traditionnelle, de leur appartenance aux partis politiques, et de l’existence de sofs, le sof d’en bas opposé à la France, le sof d’en haut attentiste en raison de la peur du FLN, provoquée par les impôts forcés, les exécutions de prétendus traîtres, la prière sous contrainte, contraire à la laïcité des Kabyles. Avec sa volonté d’uniformiser et d’arabiser, la rébellion a porté un coup aux croyances et aux pratiques traditionnelles (G.Laffly).

L’affaire K donne ainsi à Jean Servier l’occasion de mettre en pratique sa compétence d’ethnologue, car il sait que le passé inspire le présent, et que rien n’est oublié : »Mille mémoires tiennent un compte précis des crimes et des vengeances ( la rebka ) ». Cette expérience est décrite dans Adieu Djebels, dont sont extraites les citations ci-après .

Le séjour en Kabylie lui permet en particulier de déjouer une parodie de cérémonial d’alliance, et ainsi d’aider l’armée à s’assurer la fidélité du village de Aït Leham. Lors d’une cérémonie dite de ralliement, il observe que les notables présentés ne sont pas les membres de la djemaa, descendants des six enfants de l’ancêtre fondateur du village. Il impose alors aux six chefs de quartiers authentiques, restaurés dans leur autorité, l’observance du rite traditionnel d’alliance, l’égorgement d’un bélier, face à l’est, avec le vrai couteau du sacrifice, suivi du serment qui engage les villageois : « La paix à Dieu, à la France ensuite »(p. 91).

Jean Servier note aussi qu’à l’exception de quelques officiers SAS motivés, les militaires ignorent tout de cette société. Avec ses amis Hentic et Camous, il se moque des compagnies de haut-parleurs, et des experts en action psychologique qui projettent dans les villages « Donald le canard », en anglais, et un film infantile : « lavez-vous les mains « (p.49-51).

Opération pilote dans le Zakkar.

De passage à Paris à l’automne 1957, Servier apprend par le journal que les habitants de Bou Maad dans le Zakkar ont remis à la gendarmerie deux collecteurs de fonds du FLN, et en ont tué deux autres à coups de hache et de bâton. Or le Zakkar, il connaît, c’est là qu’il a fait ses premières investigations en 1949. Revenu en Algérie, il remet aux conseillers politiques du Ministre résidant un plan d’action qui est rapidement accepté. Nommé Inspecteur général des opérations pilotes, (à une date non précisée), Servier est chargé de le mettre en oeuvre. En 1958 il rappelle la teneur de ce plan :

 » Le FLN, écrit-il, s’appuyait sur les petits lettrés de village, les talebs et les écrivains d’amulettes, les avocats et les médecins. Il opprimait la masse : il restait donc à faire la Révolution en Algérie avec la masse des paysans, la grande masse famélique, opprimée, exploitée, passive maintenant, désorientée, mais sans doute capable d’un sursaut qui la rendrait digne d’autres lendemains…Déjà les paysans du Bou Maad s’affirmaient en hommes…ils avaient repoussé le FLN. Ils estimaient trop valoir pour être les citoyens d’une ridicule république d’opérette, avec ses quarante voleurs et ses mille filous ». Il se rend compte que le FLN est devenu l’instrument des grands propriétaires, qui exploitent leurs fellah et sont les profiteurs de la révolte (p.147-150).

Il se rend à Tenès, informe le général commandant la Zone et le Sous-préfet. Accompagné d’un officier des Affaires musulmanes, il propose aux hommes des Beni Menacer d’être la première djemaa libre d’Algérie. Un jeune lui réplique «Nous ne voulons plus de djemaa, nous sommes l’Assemblée du peuple ». Soit! L’Assemblée est constituée, elle désigne son Président, son responsable militaire et son « moniteur politique » (p.173).

Cinq camions dodge sont équipés en dispensaires mobiles. 5 médecins auxiliaires et 20 Assistantes sociales dispensent leurs soins et leur aide à 15.000, et bientôt 22.000 consultants par mois. Une infirmière du FLN, faite prisonnière, accepte de participer, elle est rejointe par des dizaines de jeunes filles. Une Ecole d’Assistantes sociales rurales est créée. Un Comité des femmes se constitue, qui organise un atelier de tissage de nattes. Des écoles sont construites.

Une compagnie légère, composée de volontaires musulmans, résurgence de l’armée d’Afrique, entre en action… »Les hommes connaissaient les moindres sentiers de leurs montagnes et la signification des branches liées au travers d’un chemin, celle des pierres empilées au bord du sentier » (p.212). Sous la conduite du capitaine Hentic, elle met en fuite une bande rebelle.

Abandonnée par un colon rapatrié, une propriété de 500 hectares est transformée en ferme collective, rénovée et mise en exploitation.

« Mille hommes armés, six équipes mobiles, cinquante jeunes musulmanes sur les routes, cinquante moniteurs politiques sortis de stage « , ce bilan de quelques semaines inquiète le FLN. Selon un document pris à l’ennemi, un commissaire politique écrit que « les moniteurs constituent la plus grave menace contre sa propagande « . Sur le plan militaire, « l’expérience venait de prouver qu’il était possible de libérer le contingent et de ne pas demander à la métropole d’impossibles renforts. La guerre d’Algérie allait devenir moins coûteuse, plus rapide. Les seigneurs de la Guerre ne pourraient pas s’y installer à leur aise avec leurs états-majors, leurs villas et leurs parcs à voitures » (p.232-234).

Echec et désillusion

Peu à peu cependant, l’opération pilote du Zakkar se heurte à la routine administrative. Les médecins civils se plaignent au préfet de voir leur clientèle diminuer. La propriété agricole est en réalité louée par fractions à des spéculateurs qui sous-louent des parcelles de un à deux hectares à des petits paysans musulmans. Pour une fraction de 500 hectares, le bénéfice net est de quatre millions de francs. Le pouvoir politique s’oppose donc à la réquisition.

On impose aux jeunes musulmanes des équipes mobiles d’être titulaires du brevet supérieur et de subir un concours d’entrée. Le capitaine Hentic est muté. Les volontaires des compagnies légères sont repris en main par un Groupe d’artillerie qui les utilise comme porteurs et hommes de corvées. Non éclairée par ses volontaires musulmans, une batterie subit de lourdes pertes dans une embuscade, tandis que ses porteurs désarmés sont massacrés.

Jean Servier n’est plus reçu par les autorités, qui lui retirent ses moyens d’action.

Dans le même temps, le commandement fait confiance à de faux ralliés et renouvelle les erreurs de la Force K. Les amis kabyles de Jean Servier dénoncent ceux qu’ils appellent « les fellaghas des Français » : les 3.000 hommes de l’Armée nationale populaire algérienne du général Bellounis, qui se livrent à des exactions contre la population, avant d’être éliminés et de passer à l’ennemi. « Un commandement moins machiavélique et plus intelligent aurait pu lever une armée d’Afrique, au lieu de soudoyer dans l’ombre de vraies sectes ennemies et de fausses sectes amies « .

Il assiste en spectateur au sursaut du 13 mai 1958. « La transformation de l’aveugle colère du peuple en brutale gaieté méditerranéenne… La fraternisation a été un phénomène urbain comme la prise de la Bastille..La passive masse rurale ne pouvait que suivre lentement l’élan venu d’Alger. C’est sans doute ce qu’ont compris les entrepreneurs en ralliements…Seul le peuple négligé parmi tant de combinaisons savantes avait su un court moment imposer sa volonté fraternelle  » (p.283-284).

« Des montagnes vides…des villages peuplés de femmes et d’enfants, faciles à tenir par un seul des mouchards du FLN….Il n’y avait plus qu’une vérité, celle des états-majors…où l’on murmurait : « Nous risquons de perdre l’Algérie…que voulez-vous, la Politique » (p. 273-278).

C’est donc avec amertume que Jean Servier prend l’avion qui le ramène en métropole. On comprend que son livre de 1958, qui rapporte ses désillusions et sa critique des états-majors, ait été retiré de la vente sur ordre du Ministre des Armées.

Enquête sur les musulmans Français.

Malgré des travaux de recherche, de direction de thèses et de publications très prenants, Jean Servier n’oublie pas ses premières recherches ethnologiques. Il trouve un nouveau milieu d’études dans la communauté des Français musulmans rapatriés, qui sont nombreux en Languedoc-Roussillon. C’est ainsi qu’il dirige la thèse d’Anne Heinis, Inspectrice des Centres de regroupement du Midi de la France, et qu’il répond à la demande d’enquête de M.Parodi(11), en date du 27 mai 1971. Les lignes directrices fixées sont de traiter la démographie de cette population, d’en apprécier la psychologie, la scolarisation et les perspectives d’avenir, ainsi que l’attitude de la population environnante, et de faire des propositions pour l’avenir.

Dans son rapport de 1973 (12), Jean Servier note d’abord que les harkis ne sont pas des immigrés ordinaires. Ils ne sont pas mus par un besoin de promotion économique, et ne sont pas un groupe uni que l’on aurait forcé à l’émigration. L’exil leur a été imposé, et ils font partie d’une classe sociale défavorisée, marginale. Leur passé au service de la France est leur seul atout.

La population française, à l’exception des classes favorisées, n’est pas informée et les confond avec les migrants; elle rejette la guerre d’Algérie et retient les termes péjoratifs de collaborateurs, traîtres et tortionnaires. Des stéréotypes représentent les harkis comme des exclus, rejetés par les petits blancs en raison de leur mentalité différente.

Les adultes, « réfugiés » et non rapatriés, volontaires en 1955-59, étaient des ruraux et des banlieusards pauvres, analphabètes. La reconnaissance de leur statut a favorisé leur promotion sociale, mais sauf exceptions (Beni Boudouane, Touabas, Bou Maad), ils n’ont pas été préparés à la vie occidentale. La plupart se marient dans leur communauté. L’islam se réduit pour eux à l’observance d’obligations saisonnières. Le choc culturel auquel ils sont soumis entraîne leur isolement. Ils ont rompu avec le passé, leur avenir est incertain. A l’intérieur de la famille, le père s’affirme par la natalité et par sa domination sur les filles, alors que les garçons s’appuient sur la mère pour contrer le père.

S’agissant des enfants, Servier observe un retard scolaire de 1 à 3 ans, dû à l’âge d’arrivée en métropole, mais aussi à l’indifférence des parents et des enseignants. Les filles sont plus agressives, désireuses de réussir, malgré le milieu clos dans lequel elles sont surveillées et recluses. L’isolement des hameaux forestiers produit un sentiment d’infériorité. Les uns sont résignés ou désespérés, avec une personnalité bloquée à 12 ans. Tous souffrent d’être confondus avec les Algériens.

Estimant que le point de non-retour a été franchi, Jean Servier propose des mesures adaptées à chaque âge : adultes, jeunes de 18 ans, 12 et 5 ans. Il convient de ne pas noyer les harkis dans la misère des marginaux, il faut atténuer le regret du passé, rejeter le sentiment d’échec et de honte, refuser l’épithète de traîtres. La résorption des cités de transit s’impose, en même temps que l’ouverture de clubs (genre Dar el Askri) , d’ouvroirs pour les femmes, de garderies pour les moins de 5 ans, de cours de rattrapage scolaire qui ne dispensent ni « culture du pauvre », ni multiculture. Des coins musulmans doivent leur être réservés dans les cimetières.

Restaurer l’image paternelle, développer la volonté de se perfectionnner, promouvoir des rencontres avec de jeunes Français, ce sont là des propositions fondées sur la connaissance du milieu et sur le bon sens, mais qui mettront longtemps à s’imposer.

X

Ayant vu s’effondrer son rêve, qui était aussi celui de l’ethnologue Jacques Soustelle, d’une Algérie française multiculturelle où vivraient en harmonie les communautés musulmanes ( dont la berbère), juive et chrétienne (JB Renard), Jean Servier a su se reconvertir dans la recherche universitaire et dans des disciplines originales : magie, ésotérisme, sans rompre les liens avec les populations qu’il avait appris à connaître et à aimer.

Son apport scientifique est considérable. Dépassant le pointillisme des méthodes de l’Ecole des Chartes, il s’élève à la compréhension intérieure des cultures. Figure importante…de « l’Ecole Griaule », il s’oppose aux réductionnismes raciaux, économiques et structuralistes et montre que l’homme des sociétés traditionnelles pense et agit selon son rapport à la face cachée des choses, à travers des mythes, des rites et des symboles qui leur donnent sens. (JB Renard).

Un autre ethnologue estime que loin d’adopter une attitude passéiste et archaïque, et de se réfugier dans le passé, son ethnologie se révèle avoir été, au contraire, étonnamment prospective.

Son oeuvre magistrale « Tradition et civilisation berbères » met en effet en lumière les symboles choisis par les Algériens eux-mêmes, dans le domaine de l’Histoire politique contemporaine – malheureusement très actuelle- de leur pays

Le modèle de rituel du sacrifice permet en effet de différencier « le sacrifiant » qui exprime l’intention de sacrifier, du « sacrificateur », qui pour tuer agit en esclave du premier. Cette différenciation n’est peut-être pas inutile pour la compréhension du terrorisme contemporain (13) .

Enfin, au moment où les Kabyles revendiquent la reconnaissance de leur personnalité culturelle, il ne fait pas de doute que les travaux de Jean Servier éclairent à la fois le passé, les traditions et l’avenir de leur peuple.

Avec le concours de Nicole Martinez

Bibliographie sélective de Jean Servier

Jean Servier a écrit une vingtaine d’ouvrages et une soixantaine d’articles scientifiques. Ne sont cités ici que ceux qui ont rapport à l’ethnologie.

– Les Portes de l’Année, l’Algérie dans la tradition méditerranéenne, édition abrégée, Paris, Robert Laffont, 1962

– L’homme et l’Invisible, Paris, Robert Laffont, 1964; Imago, Payot 1980; nouvelle édition du Rocher, 1994. Traduit en italien et en espagnol.

– Un exemple d’organisation politique traditionnelle : une tribu berbère, les Ifflissen-Lebhar.

Revue de l’Occident musulman, Aix-en-Provence, n°2, 2ème trimestre 1966.

– L’Afrique blanche, encyclopédie de la Pléiade, Ethnologie régionale, T I Paris, Gallimard, 1972.

– Signification du mythe dans les civilisations traditionnelles, in Actes du colloque de Chantilly,, 24-25 avril 1976. Edition Les Belles Lettres, 1978, p.13-26.

– Le terrorisme, Paris PUF, Que sais-je? n°1768, 1979, 1998 (5ème édition).

– Hermès africain : les origines communes. Les limites du visible et de l’Invisible. Eranos Jahrbuch, Ascona, 1980, vol.49, 199-257.

– L’idéologie, Paris PUF. 1982, Que sais-je? Traduction chinoise.

-Tradition et civilisation berbères, édition complète; Monaco, Editions du Rocher, 1985.

– L’harmonie dans la cité, Eranos Jahrbuch, Ascona, 1986, vol.51, 369-447.

– L’ethnologie, Paris PUF. Que sais-je? N° 2312, 1986; 1994; 1997 (4ème édition)

Traductions chinoise, grecque, et turque.

– Méthode de l’ethnologie, Paris PUF, Que sais-je ? n°2313, 1986, 1993.

– Une caste sacerdotale de lieurs : les Mrabtin de Kabylie, Ethnologiques.

Hommage à Marcel Griaule, Paris, Hermann, 1987.

– Les Berbères, Paris PUF. Que sais-je ? n°718, 1990, 1999 (3ème édition).

Edition algérienne, 1997.

– Histoire des idéologies, in Histoire des moeurs, Encyclopédie de la Pléiade, Paris Gallimard 1991

– Le feu, symbole et archétype : naissance et résurrection.

Mort et vie, Hommage au professeur Dominique Zahan, L’Harmattan 1996, p.27-49.

(1) J. Servier a décrit cet engagement en guerre d’Algérie dans trois ouvrages : Dans l’Aurès sur les pas des rebelles, France-Empire 1955. Adieu djebels, France-Empire 1958. Demain en Algérie. R.Laffont 1959.

Cet article s’appuie sur la rencontre de Jean Servier en 1989, sur la correspondance échangée avec lui de 1997 à 1999, sur les archives des Etats-majors et unités concernées par l’affaire K, et des Services spéciaux en Algérie (Service de documentation et Centre de coordination interarmées), et sur le témoignage des colonels Parizot et Hentic, de plusieurs officiers SAS et de madame Jean Servier-Martinez, ethnologue.

(2) Thèse soutenue en juillet 1955 en Sorbonne : Jeux rituels et rites agraires chez quelques berbérophones, et Chants rituels et chants de circonstances des femmes de l’Aurès. Sa thèse est résumée dans Les portes de l’année, l’Algérie dans la tradition méditerranéenne.R.Laffont 1962. L’édition complète paraît en 1985 à Monaco (le Rocher), sous le titre : Tradition et civilisation berbères.

(3) Dictionnaire des philosophes. PUF, 1984.Tome II p. 2.638. Encyclopédie philosophique universelle. p.4.164.

Article de Jean Bruno Renard dans le Monde du 15 mai 2000: Jean Servier, un ethnologue spiritualiste.

Article de Georges Laffly dans Ecrits de Paris d’octobre 2000: Jean Servier d’avant-hier à après-demain.

(4) L’homme et l’Invisible. Laffont 1964. Les trois livres de la philosophie occulte. Berg 1967. Histoire de l’utopie. Gallimard-Idées 1967-1991. L’idéologie. PUF 1987. La magie. PUF 1993. Le terrorisme. PUF 1979-1998. Dictionnaire critique de l’ésotérisme, sous la direction de J.Servier. PUF. 1998. Parmi ses nombreux ouvrages et articles, ceux qui se rapportent à l’ethnologie sont cités en annexe.

(5) M. Faivre. Les combattants musulmans de la guerre d’Algérie. L’Harmattan 1998. p. 34 et 182.

L’agha Merchi Abdallah, dit Sebti ben Laâla, caïd depuis 1941, nommé agha en 1953, est issu d’une famille très honorable et influente de l’Aurès. Il a toujours fait montre d’activité de zèle, de pondération et de conscience dans l’exercice de ses fonctions, et s’est particulièrement distingué dans la répression du banditisme. Après avoir offert ses services le 1er novembre 1954, il leva le 1er juin 1955, sous son entière responsabilité, une harka de 170 partisans qui se signala par son bilan opérationnel. Objet de la suspicion, inexplicable, du sous-préfet Delnef, l’agha Merchi fut mis à l’écart au départ du général Parlange. En 1962, il a payé de 5 ans de captivité et de sévices au pénitentier de Lambèse son attachement à la France. Rapatrié ensuite, il s’est tué accidentellement en allant visiter près d’Amiens ses fidèles Touabas.

(6) Lettre personnelle du 20 février 1999.

(7) Les nombreuses références sur l’ affaire K ont été citées par Maurice Faivre in : L’affaire K comme Kabyle, Guerres mondiales et conflits contemporains, n°191/1998. La plupart des auteurs ignorent le montage de l’affaire par les « Services », et le livre « Adieu djebels ».

– Le livre de Camille Lacoste-Dujardin : Opération Oiseau Bleu. La Découverte 1997, a été critiqué pour ce fait par Jacques Frémeaux dans son compte-rendu des Annales, Histoire, Sciences sociales, janvier 2000.

– L’intervention de C.Lacoste-Dujardin au colloque du 25 novembre 2000 (Actes publiés par la Société française d’Histoire d’outre-mer) témoigne de la même ignorance du livre de Jean Servier Adieu Djebels, qui en 1958 a décrit cette affaire en baptisant les capitaines Hentic et Camous Béret rouge et Béret bleu.

(8)- Colonel Ducournau, chef de Cabinet militaire du Ministre résidant

– Colonel Parizot, chef du Service de documentation de la 10ème RM, Service de Recherche Opérationnel (SRO) en instance d’intégration au CCI

– Inspecteur Général de Lombarès, Chef de l’Etat Major mixte au Cabinet du Ministre résidant

(8bis) On a su rapidement que la liste avait été établie par un Inspecteur de la DST, Kabyle jouant double jeu, qui a été condamné par le Tribunal militaire

(9) Région « conquise » mais non ralliée en 1844, et où les administrateurs, et après eux les officiers SAS, observent des oppositions, parfois violentes, entre les notables de la colonisation, les nationalistes et les berbéristes. Jean Servier connait parfaitement ce douar, qu’il a décrit dans un article de 1966 (voir liste en annexe).

(10) sans doute en référence à une chanson popularisée par Eddie Constantine en 1956.

(11) Alexandre Parodi était Vice-Président du Conseil d’Etat et Président du Comité national pour les Musulmans Français (CNMF). La mission confiée à Jean Servier démontre à nouveau la confiance que le pouvoir accordait à son jugement.

Madame Heinis a soutenu en 1977 une thèse sur l’insertion des Français musulmans. Elle a été Sénateur de la Manche.

(12) Source André Wormser, Président actuel de la CNMF.

(13) lettre personnelle

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