Préface. La guerre franco-prussienne de 1870-1871 : penser la guerre en 2023 ?

Stéphane Faudais et Simon Ledoux

La scolarité à l’École de guerre offre de très nombreuses oppor­tunités d’ouverture sur le monde aux officiers-stagiaires français et internationaux qui la rejoignent pour une année d’études. Il leur est notamment proposé de s’investir dans des comités de réflexion aux thématiques variées : stratégie, dissuasion, histoire, debating… Ces comités permettent de mettre en œuvre deux autres principes pédagogi­ques de l’École : personnalisation et responsabilisation.

Aussi, le 29 septembre 2020, quinze stagiaires français et origi­naires de pays amis, de la 28e promotion, se sont réunis pour la première fois au sein du comité « Histoire », dans l’optique d’approfondir leurs réflexions de futurs chefs au travers d’études historiques. La notion de guerre de haute intensité étant revenue sur le devant de la scène et le calendrier des commémorations se rappelant à nous, le comité a choisi d’étudier la guerre franco-prussienne de 1870-1871.

Encadré conjointement par le colonel Stéphane Faudais, docteur en histoire et directeur du département Histoire, géopolitique et stratégie de l’École de guerre et par madame Isabelle Davion, maîtresse de conférences hors-classe de Sorbonne Université, le comité a souhaité concrétiser ses travaux de l’année par la conception et la réalisation de deux activités de fin de scolarité, à destination de la promotion toute entière.

En premier lieu, l’École a souhaité organiser un colloque, afin de partager ses réflexions historiques, géopolitiques et stratégiques – les trois domaines s’enrichissant mutuellement tout au long de la scolarité –. Et y associer, comme intervenants, des universitaires mais aussi des chercheurs, civils et militaires. Bénéficiant du réseau professionnel de son équipe pédagogique, le comité a profité, tout au long de l’année, de l’éclairage de spécialistes du xixe siècle et du conflit franco-prussien. La qualité des échanges et la richesse des enseignements tirés de la période, pour des officiers appelés à rejoindre le haut encadrement militaire, ont conforté leur choix d’étudier ce conflit majeur.

En second lieu, profitant de la proximité de sites historiques parisiens et d’expositions permanentes et temporaires sur le thème de la guerre, le comité a également conçu un battlefield tour tout à fait inédit, centré sur le siège de Paris à l’hiver 1870, afin de permettre une véritable immersion de ses participants.

Dans un esprit d’ouverture, le comité a souhaité renforcer le lien qui unit l’École de guerre au monde universitaire en délocalisant le colloque en Sorbonne et en le transformant en une véritable journée d’étude, exercice exigeant pour les intervenants et extrêmement profita­ble pour un auditoire cherchant à dépasser le stade de la vulgarisation. Placés sous la férule du professeur Georges-Henri Soutou, professeur émérite de Sorbonne Université, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, onze officiers et professeurs des universités et de l’enseignement supérieur, reconnus dans le monde universitaire, en France comme à l’international, pour leur expertise sur la période, sont intervenus.

Le projet présenté. Bien qu’il n’y ait pas, par nature, de déter­minisme historique, le comité s’est interrogé sur les causes du change­ment de paradigme entre les années précédant une guerre de haute intensité et l’arrivée subite de celle-ci au milieu des populations. À l’heure où sont rédigées ces lignes, l’actualité montre une relative simi­litude entre l’Europe de 1870-1871 et celle de 2023. Le spectre de la guerre, oublié pendant des décennies de paix relative, resurgit quasiment sans prévenir, malgré des signaux faibles qu’il fallait savoir interpréter.

L’objectif de cette journée d’étude n’était pas tant l’évocation de « l’histoire-bataille » que l’étude de « la guerre » dans sa globalité, du phénomène guerrier en tant qu’activité humaine. Aussi, consécutivement à de très riches échanges avec un collège des « dix-neuviémistes » et à l’aune de ses propres réflexions, le comité a avancé la thèse selon laquelle la guerre franco-prussienne de 1870-1871 constituait la matrice de la guerre moderne. En effet, si la guerre américaine de Sécession constitue la première guerre moderne par bien des aspects (logistique, renseignement, innovation), elle reste avant tout une guerre civile au retentissement mondial limité. La guerre franco-prussienne, elle, est un conflit moderne d’ampleur inégalée entre puissances européennes à la fin du xixe siècle. Elle bouscule l’ordre westphalien établi sur le Vieux continent depuis la fin du xviie siècle. Parce que cette première guerre entre les empires français et prussien définit ce que seront les conflits modernes, au milieu et avec les populations civiles, le terme de « matrice », qui désigne un élément qui fournit une structure, qui sert à reproduire ou à construire, s’applique parfaitement à la guerre de 1870-1871.

Après l’introduction du professeur Georges-Henri Soutou sur l’actualité et la richesse des enseignements proposés par l’étude de ce conflit, quatre thématiques sont successivement abordées, apportant cha­cune des éléments de réflexion sur le caractère matriciel de cette guerre.

La première thématique, intitulée « La fin des illusions fran­çaises », rappelle le contexte dans lequel débute le conflit franco-prus­sien, à l’été 1870, ainsi que les causes de la défaite militaire française. Le propos introductif du professeur Éric Anceau, maître de conférences habilité à diriger des recherches à Sorbonne Université et spécialiste de l’histoire politique et sociale de la France et de l’Europe contemporaine, est intitulé « Aux origines de la guerre de 1870 ». Il présente les causes profondes de ce conflit. Puis, le colonel Stéphane Faudais, docteur en histoire, au cours de son exposé « L’illusion de la France qui gagne », propose des clés de compréhension des forces et des faiblesses de l’armée du Second Empire. Enfin, le colonel Thierry Noulens, délégué militaire départemental du Calvados et chercheur associé au laboratoire Histoire, territoires, mémoires de l’université Caen Normandie, expose l’une des principales causes de la défaite française dans son allocution intitulée « La grande désillusion : la planification française à l’épreuve du conflit franco-prussien ».

La deuxième thématique aborde la guerre franco-prussienne dans le contexte international. L’objectif de cette séquence vise à élargir la vision du conflit au travers de l’étude de la participation des volontaires étrangers, de l’analyse du point de vue allemand, et, plus largement, de l’impact du conflit sur le système international. Le professeur agrégé d’histoire Jean-Philippe Namont enseigne en classes préparatoires et est chargé de missions d’inspection au rectorat de Paris. Spécialiste des relations franco-tchécoslovaques et de l’immigration tchèque en France, c’est à ce titre qu’il évoque le rôle des volontaires étrangers dans la défense de Paris, à travers l’exemple de la Légion des Amis de la France. La professeure Linn Sackarnd est diplômée en études pluridiscipli­naires sur la France contemporaine à l’université libre de Berlin, mais aussi documentaliste et réalisatrice de documentaires historiques pour la chaine Arte. Son propos intitulé « Planifier, improviser, intriguer – l’état-major prussien en 1870/1871 » vise à faire connaître la complexité de cet organisme souvent considéré comme l’artisan principal de la victoire prussienne.

La troisième thématique présente le nouveau type de guerre qui se déroule sur le sol européen et les enjeux associés, mettant en lumière des ruptures et des évolutions importantes. Michel Goya, ancien officier des Troupes de marine, est docteur en histoire moderne et contemporaine. Spécialiste de l’histoire de l’innovation militaire, il aborde ce thème dans le contexte de la guerre franco-prussienne. Gérald Arboit est docteur en histoire contemporaine habilité à diriger des recherches et chercheur associé à l’unité mixte de recherche Sorbonne – Identités, relations inter­nationales et civilisations de l’Europe. « Le renseignement, un impensé historique : reconnaissance, espionnage, opérations spéciales » est le titre de son propos, dont l’objectif est de présenter les évolutions appor­tées par ce conflit dans le domaine crucial du renseignement. Daniel Palmieri est spécialiste de l’histoire de l’humanitaire et responsable du service des archives du Comité international de la Croix-Rouge. Son intervention s’intitule « Les bénéfices du sang ? Humanitaire, droit et neutralité après la guerre de 1870-1871 », dans laquelle il aborde les apports du conflit en matière de droit humanitaire.

La dernière thématique traite des conséquences de la guerre pour la France sous deux angles particuliers : la pensée du futur maréchal Foch et l’art. Le professeur Martin Motte est directeur d’étude à l’École pratique des hautes études et responsable du cours de stratégie à l’École de guerre. Il expose les conséquences de la guerre du point de vue militaire français à travers l’exemple particulier du maréchal Foch. Le professeur François Robichon enseigne l’histoire de l’art contemporain à l’université de Lille ; il aborde les conséquences de la guerre et le poids de la mémoire du conflit à travers la représentation artistique de la guerre de 1870 à 1914.

Pour conclure, nous faut remercier la Fondation Napoléon et le Souvenir napoléonien pour leur soutien à l’organisation de cette journée, mais aussi l’Institut de Stratégie Comparée d’avoir accepté de publier ces travaux.

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