THALASSOPOLITIQUE. CARL SCHMITT ET LA MER

David Cumin

L’orsqu’il se tourne vers la mer, Carl Schmitt1 donne à son œuvre de droit international, (géo)politiquement inspirée, un nouveau point de départ et une nouvelle dimension. Il ne se contente pas en effet de désigner, à partir de 1937, un nouvel ennemi privilégié à la place de l’URSS, à savoir la puissance maritime anglo-saxonne2, mais il accède, à partir de la Seconde Guerre mondiale et au long des années 1950, à l’horizon océanique et planétaire du jus publicum europæum, discernant l’origine de la « révolution spatiale » des xvie et xviie siècles, c’est-à-dire l’acte inaugural de la modernité que fut la conquête des mers du globe3. Il commence par récuser l’assimilation britannique de la guerre sous-marine à des actes de piraterie et il finit, à partir de l’ »opposition » puis de la « distinction » terre/mer, par embrasser l’ensemble du nomos du droit des gens classique. Ce tournant vers la mer n’est pas qu’une manière « géopolitique » d’élucider l’antagonisme anglo-allemand ou l’avènement d’un nouvel ordre mondial ; il est également propice à une méditation « philosophico-historique » où sont polémiquement associés révolution industrielle, impérialisme anglais et universalisme juif4.

Cette orientation thématique, couronnée par l’opuscule Land und Meer en 1942, s’effectue dans un certain contexte biographique et historique, l’année 1937 marquant un tournant majeur.

Primo, après l’éviction consécutive à l’enquête du RSHA5, le juriste abandonne le champ du droit interne (où il occupait une position prééminente pour se consacrer presque exclusivement au droit international, acquérant au sein de la doctrine allemande une place de premier rang dans un domaine où il s’était déjà taillé une solide réputation6. À une époque où toute l’Europe voit venir un nouveau conflit, où les coalitions se dessinent et où les questions de politique étrangère prennent une importance cruciale, les écrits de Carl Schmitt sur le droit de la guerre et de la neutralité7, le « grand espace »8 ou l’opposition terre/mer9 s’inscrivent dans les nouvelles priorités du gouvernement du iiie Reich, non sans controverses doctrinales.

Secundo, l’Angleterre, ou plus généralement la puissance maritime anglo-américaine, devient l’objet des travaux et la cible des attaques du juriste, cependant qu’il ne souffle plus mot de l’Union soviétique, jusqu’alors ennemie principale désignée10. Pour lui, et au contraire de ce que pensent la plupart de ses collègues, le sens de la guerre mondiale n’est pas la destruction du communisme – il ne fait aucun écho au thème central du combat européen contre le « judéo-bolchevisme » -, mais l’avènement d’un nouvel ordre mondial (esquissé par le Pacte tripartite du 27 septembre 1940 entre Berlin, Rome et Tokyo), un Grossraumordnung, qui doit remplacer l’ordre ancien soutenu par la Grande-Bretagne, à laquelle succèdent les États-Unis.

En 1937, deux textes marquent le tournant de Carl Schmitt vers l’Angleterre et la mer : « Der Begriff der Piraterie » et « Totaler Feind, totaler Krieg, totaler Staat ».

Au moment de la conférence de Nyon et après les incidents dits de la « piraterie sous-marine » qui ont opposé l’Italie et l’URSS en Méditerranée, l’une soutenant Franco et l’autre le Front populaire, le juriste allemand s’élève contre la criminalisation de la guerre sous-marine, criminalisation qui reproduit l’argumentation du président Wilson au sujet de la guerre sous-marine allemande en 1917 – qualifiée de guerre menée « contre l’humanité », de la même manière que le pirate est déclaré « ennemi du genre humain » -, et qui est récusée comme étant une manœuvre de Londres pour garantir sa suprématie navale, menacée par le submersible. Pour Carl Schmitt, il est inadmissible de qualifier de « piraterie » n’importe quelle violation des règles du droit de la guerre maritime. C’est l’évolution technologique, avec l’apparition du sous-marin et de l’avion, qui pose de nouveaux problèmes à ce droit – le juriste le redira en 196311. La tentative anglaise de discriminer la méthode de combat sous-marine – en dénonçant comme « piraterie » toute irrégularité hostile sur mer – n’est qu’un vain jugement de valeur, dépourvu de fondement autre que politique, au regard des modifications stratégiques induites par le progrès technique – l’Allemagne s’est bel et bien servi du submersible contre la Grande-Bretagne pendant les deux guerres mondiales « comme d’une arme qui juxtapose à l’espace traditionnel de la stratégie maritime un autre espace imprévu »12.

Dans le second texte, l’ »ennemi total » n’est pas (ou plus) le bolchevisme russe, contrairement à ce qu’on aurait pu penser à la lecture des textes antérieurs à 1937, mais l’Angleterre ; apparaît le véritable antagonisme, systématisé en 1941-1942 : l’opposition entre l’idéal allemand du « soldat » et l’idéal anglais du « bourgeois »13, l’opposition élémentaire entre la terre et la mer, c’est-à-dire entre les conceptions allemandes et les conceptions anglaises du droit, de la guerre et de l’ennemi.

En 1938, c’est dans Der Leviathan in der Staatslehre des Thomas Hobbes¼ que Carl Schmitt aborde certaines réflexions fondamentales, pleinement développées en 1941-1942 : primo, l’idée « hobbesienne » de l’État s’est réalisée sur le continent européen, principalement en France et en Prusse, mais pas en Angleterre ; secundo, le peuple anglais ayant refusé la monarchie absolue au moment de la révolution puritaine, la Grande-Bretagne est devenue une puissance mondiale sans les institutions caractéristiques de l’État (constitution écrite, codification législative du droit, fonction publique, armée permanente), mais grâce à la flotte et au commerce ; tertio, le droit international anglo-saxon n’a pas retenu la conception continentale de l’État et de la guerre, mais il a développé, à partir de la guerre maritime et commerciale, ses propres concepts de guerre et d’ennemi, qui ne distinguent pas entre combattants et non-combattants, et qui sont les seuls véritables concepts « totaux ».

En 1941-1942, les mythes bibliques (tirés du Livre de Job) du Léviathan (l’animal marin géant) et de Béhémoth (l’animal terrestre géant) – inversés par Hobbes -, assortis d’allusions à la Kabbale et au « Banquet du Léviathan » d’Isaac Abravanel14, sont le fil conducteur des textes du juriste, plus ou moins influencés par la Geopolitik de Ratzel, consacrés à l’opposition de la terre et de la mer. Cette opposition, avatar de la distinction ami/ennemi, est érigée en système « gnostique » d’interprétation de l’histoire mondiale, en tant que lutte des puissances maritimes et des puissances continentales, lutte résumée par la formule, empruntée à l’amiral Castex, « la mer contre la terre ».

L’essentiel dans cette confrontation, plus mythique qu’historique – Carl Schmitt n’est pas sans ignorer que l’opposition terre/mer est en réalité une dialectique de la terre et de la mer, de la puissance aéronavale et aéroterrestre, mais cette opposition, « politique » et non pas « naturelle », a un sens spécifique en 1941-1942, car elle porte sur la « guerre maritime mondiale » entre l’Allemagne et les Anglo-Américains -, concerne le tournant de l’histoire anglaise, au moment de la « révolution spatiale » des xvie et xviie siècles, à l’époque de la conquête du Nouveau Monde et des guerres de religion, tournant fondamental, spécifique et unique au monde, dont le juriste reparlera dans le Nomos der Erde¼ de 1950 : la décision révolutionnaire d’un passage élémentaire vers une existence maritime. L’Angleterre étant devenue l’héritière de la conquête européenne des océans par les privateers, la domination maritime britannique a été le fait fondamental de l’histoire moderne, la clef de voûte du nomos de la Terre, global et océanique, du xviie au xixe siècles, reposant sur la distinction terre/mer. Carl Schmitt a été fasciné par « l’élan grandiose »15 de l’Angleterre élizabéthaine vers le grand large, dont le résultat, la révolution industrielle, a provoqué un bouleversement plus profond que la notion continentale d’État, née elle aussi au moment de la « révolution spatiale » propre à l’avènement de la modernité.

La France a choisi l’État souverain, la Grande-Bretagne la liberté des mers. Le juriste examine simultanément les deux orientations « existentielles » des deux rivales de l’Allemagne en Europe. Durant le second conflit mondial, il pense que l’État, tout comme la distinction terre/mer, sont désormais caducs : avec la nouvelle « révolution spatiale » du xxe siècle, l’ancien nomos de la Terre s’effondre en même temps que sont révolues la dimension étatique ainsi que l’hégémonie mondiale britannique et ses méthodes indirectes de domination ; c’est l’Allemagne qui est la matrice d’un ordre nouveau, fondé sur les concepts de Grossraum et de Reich.

Dans les années 1950, Carl Schmitt passe de l’opposition à la distinction terre/mer, en tant que pivot de « l’ordre spatial » du jus publicum europæum, dont il se veut le « dernier théoricien », et il introduit la dialectique terre/mer dans la guerre froide entre l’Est et l’Ouest16.

L’hostilité envers la puissance maritime anglo-saxonne

La théorie schmittienne du droit international, politiquement fondée, relève d’un « nationalisme en acte » 17 dominé par la question de l’ennemi18. Le juriste allemand balance son hostilité entre l’Est et l’Ouest : si, de 1923 à 1936, l’ennemie véritable, avec laquelle il n’existe même pas de communauté de droit des gens, c’est la Russie soviétique – encore que la France, la Grande-Bretagne puis les États-Unis soient également des adversaires du Reich -, de 1937 à 1944 (voire 1950), ce sont les Anglo-Américains qui semblent devenir les ennemis véritables – l’opposition entre puissances continentales et puissances maritimes correspondant à l’antagonisme de « deux mondes irréductibles de conceptions juridiques opposées » 19.

En 1936, l’année des « Fronts populaires », de la guerre civile espagnole et de la campagne des sanctions internationales contre l’Italie (après l’invasion de l’Éthiopie), le projet, longtemps caressé, d’une coalition européenne dirigée par l’Allemagne contre l’URSS avait fait place, du fait de l’hostilité persistante de Londres et de Paris, à la constitution du triangle Berlin-Rome-Tokyo, orienté aussi bien contre Moscou que contre les puissances occidentales.

Si la recherche de l’amitié italienne est une option partagée par Carl Schmitt et la Wilhelmstrasse, la question de l’ennemi désigné révèle à la fois la particularité de la position du juriste après 1937 et aussi une certaine interprétation de l’évolution de la politique étrangère allemande. En 1937, alors que l’OKW met l’accent sur le réarmement naval, Hitler souhaite intégrer la Grande-Bretagne à un bloc anticommuniste Allemagne-Italie-Japon-Pologne et jouer les tensions anglo-italiennes et anglo-japonaises pour peser sur Londres ; mais, après la crise de Munich, il ne croit plus à l’alliance britannique et la Grande-Bretagne apparaît comme une adversaire inconciliable, évolution confirmée après le coup de Prague de mars 1939. C’est cette orientation anti-anglaise que Carl Schmitt adoptera.

Mais, pour Hitler, si l’Angleterre devient l’adversaire principale, c’est parce qu’elle refuse de laisser à l’Allemagne « les mains libres à l’Est » : l’Union soviétique demeure l’ennemie irréductible, et la conquête d’un Lebensraum à l’Est l’objectif ultime (qui mobilisa 70 % de la Wehrmacht).

Le juriste garde le silence sur l’URSS, avant, pendant et après la période août 1939-juin 1941 : elle n’apparaît ni en tant qu’amie – il ne se réfère pas à l’idée haushoferienne d’un « bloc continental » Allemagne-Russie-Japon dirigé contre la domination mondiale anglo-saxonne – ni en tant qu’ennemie – lorsqu’il vient en France occupée, il n’appelle pas à une croisade européenne contre le bolchevisme, mais il s’en prend à la Grande-Bretagne20. Comment expliquer cette attitude21 ?

On peut émettre l’hypothèse suivante. L’Union soviétique ne saurait être une amie, mais l’Allemagne ne doit désigner et combattre qu’un seul ennemi – « n’est-ce pas un signe de déchirement intérieur d’avoir plus d’un seul ennemi réel ? » 22 ; et cet ennemi, pense Carl Schmitt, c’est décidément l’Angleterre, qui a refusé la main tendue par le Reich, qui lui a déclaré la guerre le 3 septembre 1939 – entraînant une France hésitante et appelant l’Amérique à sa rescousse -, qui refuse une domination allemande sur une Europe – alors qu’elle-même exerce une domination planétaire – ; l’URSS, elle, le 23 août 1939, avait accepté un modus vivendi avec l’Allemagne ainsi qu’un partage des zones d’influence en Europe orientale.

Certes, Barbarossa a mis aux prises deux ennemis absolus, mais le juriste désapprouve la guerre sur deux fronts : l’Allemagne aurait dû s’en tenir à la lutte contre l’Angleterre – la véritable rivale – et orienter ses efforts du côté de la mer – ce que n’a pas compris Hitler. Les textes de 1941-1942 n’exhortent-ils pas les Allemands à se tourner vers le grand large – la mer élève à la puissance mondiale, disait Ratzel – et à accéder à une vision océanique et planétaire de la stratégie, de la politique et du droit ? La bataille de l’Atlantique n’a-t-elle pas été aussi décisive que la campagne de Russie, les deux grands « fronts » de la Seconde Guerre mondiale ?

L’hostilité à l’encontre de la Grande-Bretagne et la succession de l’Empire britannique déterminent l’intérêt passionné que Carl Schmitt porte, en 1937-1944, à l’opposition terre/mer – en tant qu’allégorie, empruntée à Mackinder, de l’antagonisme entre l’Allemagne et l’Angleterre puis l’Amérique. Cet antagonisme, on le retrouve A) dans le contraste entre la guerre terrestre continentale et la guerre maritime anglaise, B) dans le conflit entre le Grossraumordnung et l’impérialisme anglo-saxon, C) dans l’opposition entre la souveraineté de l’État et les méthodes de l’indirect rule, D) dans la contradiction américaine entre la doctrine Monroe « authentique » et l’universalisme d’une puissance maritime mondiale. Enfin, E) la conquête britannique des mers, matrice de l’ère techno-industrielle, est associée à une réflexion – antijudaïque – sur le « sens de l’histoire ».

a) D’après Carl Schmitt, l’histoire européenne est dominée par le contraste entre la guerre sur terre et la guerre sur mer23.

Sur terre, l’État souverain est le sujet du droit international ; la guerre y est « juste » dès lors qu’elle est une guerre entre États détenteurs du jus belli ac pacis, livrée par des armées étatiques régulières s’affrontant en rase campagne ; les adversaires en présence sont des militaires, la population civile reste en dehors des hostilités et n’est pas traitée en ennemie aussi longtemps qu’elle ne participe pas aux combats.

À l’opposé, la guerre sur mer n’est pas une guerre entre militaires, une « relation d’État à État », parce qu’elle s’attaque au commerce et à l’économie de l’adversaire, et qu’elle considère comme ennemi non seulement l’adversaire en armes, mais aussi tout ressortissant de l’État belligérant, et même toute personne ou État neutre qui entretient des relations économiques avec lui ; les méthodes (« totales ») de la guerre maritime sont dirigées aussi bien contre les combattants que contre les non-combattants : le blocus frappe indistinctement l’ensemble de la population du territoire visé, et le droit de prise permet de s’emparer de la propriété privée de l’ennemi et même des neutres. La guerre maritime « anglaise » a ainsi forgé, imposé et entériné un système complet de droit international et des concepts spécifiques de guerre et d’ennemi : elle est « totale » au sens où elle est susceptible d’une hostilité totale, non seulement parce qu’elle rejette la distinction, propre à la guerre sur terre, entre combattants et non-combatttants, mais aussi parce qu’elle développe, pour le compte d’un impérialisme « libéral » et au nom d’une idéologie « humanitaire » ou d’une certaine « philosophie de l’histoire », une doctrine de la guerre « juste » qui assimile l’ennemi à un criminel et rompt l’égalité juridique et morale des belligérants24.

Ce dualisme fondamental du droit de la guerre, au double sens du jus ad bellum et du jus in bello, et par conséquent du droit des gens (celui-ci étant un jus belli ac pacis), procède de deux conceptions diamétralement opposées de l’ordre spatial, fermé sur terre (domaine des États souverains territorialement délimités), ouvert sur mer (espace unique et illimité « libre », staatsfrei). Pour Carl Schmitt, en 1941-1942, il n’y a pas un « droit international », mais « deux droits internationaux sans rapport entre eux » 25, ayant chacun sa propre conception du droit, de la guerre et de l’ennemi, et dont l’opposition reflète celle de deux univers politiques, juridiques et moraux, l’un privilégiant la puissance visible de l’État et l’autre, les méthodes indirectes de domination. « La terre et la mer sont devenues étrangères l’une à l’autre »26 : l’opposition entre l’esprit prussien et l’esprit anglais, systématisé par Spengler en 191927, a atteint son degré extrême d’intensité avec le conflit mondial. L’hostilité de Carl Schmitt à l’égard de la Grande-Bretagne est particulièrement nette lorsqu’il se tourne vers Ratzenhofer, le maître autrichien de la science militaire : celui-ci tire « une conclusion dont toute l’importance ne se manifeste qu’aujourd’hui [en 1941-1942]. Il dit en effet qu’une puissance maritime [l’Angleterre] qui ne respecte pas, sur mer, les biens des autres États, ne peut prétendre, après un débarquement éventuel, que la propriété et les biens possédés par ses citoyens soient respectés sur son propre sol » 28. Delenda Carthago est¼ 29

B) Avec le déclin – déjà diagnostiqué par Ratzel30 – de l’Empire britannique, c’est un nouveau nomos de la Terre qui s’annonce, un Grossraumordnung qui doit permettre à l’Allemagne de conserver sa puissance spirituelle face aux tenants du One World et qui est précisément dirigé contre un Commonwealth dispersé sur l’ensemble du globe. Pour Carl Schmitt, qui incorpore « l’analyse spatiale » (Raumforschung) à sa réflexion juridique, la reformulation, par la dynamique techno-économique, de la relation entre l’espace, le droit et la puissance politique, bref, la « révolution spatiale » du xxe siècle, signalée par les mutations technologiques et les conquêtes allemandes, impose un nouveau partage du monde et un nouvel ordre international fondé sur la notion d’Empire et opposé au concept périmé du droit interétatique aussi bien qu’à l’universalisme de l’International Law. La théorie du Grossraum, notion de géopolitique que le juriste transforme en principe de droit des gens, s’inspire de la « doctrine Monroe initiale » – c’est-à-dire la conception d’un grand espace délimité sous hégémonie à l’intérieur duquel est interdite l’ingérence des puissances étrangères à l’espace –31, laquelle est l’antithèse de la « doctrine de la sécurité des voies de communications » de l’Empire britannique.

Tandis qu’un âpre conflit oppose le Japon et les États-Unis en Asie orientale dans les années 1930, théâtre d’une lutte intellectuelle particulièrement intense autour de la doctrine Monroe – invoquée par Hitler pour la Mitteleuropa en avril 1939 -, un conflit tout aussi aigu met aux prises l’Italie et la Grande-Bretagne en Méditerranée. Le souci fondamental des Britanniques depuis 1919 est de contrecarrer la formation d’une Grande Italie eurafricaine qui pourrait menacer les routes de l’empire en Méditerranée en faisant de cette mer une sorte de « grand espace maritime » ; à l’inverse, les communications de Rome avec l’étranger gardent un caractère névralgique, car, en verrouillant Gibraltar, Malte et Suez, la Grande-Bretagne pourrait étrangler l’Italie alors que celle-ci n’a pas accès aux axes d’approvisionnements britanniques extérieurs à la Méditerranée. Le conflit anglo-italien révèle l’importance extrême que Londres accorde à la sécurité des lignes de communications maritimes : les Britanniques ne pensent pas en termes d’espaces mais en termes de routes et de voies de communications. Comme l’écrivait Ratzel, « l’histoire des puissances commerciales offre des cas typiques de politique non territoriale »32.

L’ethos juridique coordonné à un empire étendu dans le monde entier tend inévitablement à un type d’argumentation universaliste, justifiant une pratique d’intervention motivée par la configuration géographique du Commonwealth et par les intérêts du capitalisme anglo-saxon. Le « système de droit international des canaux, détroits et voies maritimes interocéaniques », relatif à Suez, Panama, Kiel, Gibraltar, Aden ou Singapour, élaboré par les Britanniques, ou encore les réserves ajoutées au pacte Briand-Kellogg par Chamberlain, selon lesquelles Londres conserve le droit d’user de la légitime défense en cas de menace sur la sécurité des Lignes de communications maritimes de l’empire, témoignent de la transformation en institution juridique d’un système de domination politique basé sur la liberté des communications et le droit d’intervention dans les espaces traversés par ces communications. Derrière l’argumentation anglaise apparaît la relation caractéristique entre l’International Law et les intérêts impérialistes d’une puissance maritime et marchande : exemple-type, souligne Carl Schmitt, de la coordination inévitable entre la façon de penser le droit des gens et une certaine forme d’existence politique « libérale ». Mais la division du globe en grands espaces imposée par une Allemagne disposant de l’avion et du sous-marin – qui remettent en cause la suprématie maritime britannique et transforment le rapport de l’homme à l’océan – pousse au démembrement d’un empire dispersé sur tous les continents, interférant dans les sphères d’influence des autres puissances, et dont l’existence est opposée au « sens (¼ ) de l’actuel conflit mondial » pour un nouvel ordonnancement géo-planétaire33, le Reich devant, « cette fois » 34, l’emporter sur la Grande-Bretagne35.

C) En optant pour la mer et en se détournant du continent, l’Angleterre, petite île située au nord-ouest de l’Europe, a instauré une suprématie mondiale fondée sur la domination des océans du globe, et est devenue le centre d’un empire planétaire qui a imposé à l’humanité ses propres conceptions du droit, de la civilisation et de l’éthique. Ayant opté pour l’élément marin, l’Angleterre, poursuit Carl Schmitt, n’est pas devenue un « État » – « l’Angleterre n’a pas de Constitution nationale, au sens d’un statut national de l’État anglais », écrit Maurice Hauriou36, car l’histoire anglaise est dominée depuis le xvie siècle par une prodigieuse expansion maritime, commerciale et coloniale. C’est parce que « le sens mythologique lui fait complètement défaut » 37 que Hobbes utilise l’image du Léviathan, l’animal marin géant, pour désigner une construction étatique qui ne s’est pas réalisée outre-Manche mais sur le continent européen ; c’est Béhémoth, l’animal terrestre géant, qu’il aurait dû prendre pour symbole de l’État, car l’État est un ordre lié à la terre et à la territorialité.

L’Angleterre exerce sa « souveraineté » sur le monde grâce à la « liberté » des mers qui lui permet de contrôler indirectement le commerce et l’économie. Si une hégémonie continentale paraît insupportable, on s’est habitué à la domination mondiale des océans et des marchés par les Britanniques. Cette domination s’appuie 1) sur les forces de la society, 2) sur les méthodes de l’indirect rule, et 3) elle repose sur un destin maritime permettant d’envisager le transfert de la métropole du Commonwealth de l’Angleterre vers d’autres parties du monde -ce que Carl Schmitt appelle : le « désamarrage » (Entankerung) de l’île.

1) L’Empire britannique n’est pas l’œuvre d’une organisation étatique et il ne constitue pas une organisation d’État(s) ; les conceptions valables sur le continent, les systèmes construits autour du concept d’ »État », ne peuvent ici trouver leur application. Ce sont des privateers (personnes faisant de la belligérance maritime une affaire privée), des compagnies commerciales ou des émigrants, qui ont créé cet empire d’outre-mer, sans, voire contre, l’ »État ». L’essentiel, du point de vue politique et « philosophico-historique », c’est que l’expansion anglaise a été celle des forces de la society, forces plus ou moins liées à la révolution puritaine qui ont cherché dans l’expansion maritime et coloniale un moyen d’échapper à l’État. Pour la vision du monde anglaise, l’État et la politique représentent le mal, tandis que la société et l’économie s’identifient au progrès. Cette interprétation du monde et de l’histoire, aboutissant au commerce et au marché « libres », c’est-à-dire affranchis de l’État, a pour « résultat concret (¼ ) de faire du capitalisme anglo-saxon le maître du monde » 38, en même temps que le garant de la paix mondiale, la suprématie économique des Anglo-Saxons les autorisant à mettre la guerre – c’est-à-dire tout perturbateur – « hors la loi ».

2) La structure de cet empire supporté par une society est à ce point spécifique qu’il est impossible, selon Carl Schmitt, de parler de « construction » ou de « constitution » pour qualifier les méthodes anglaises de domination, car ces notions sont trop liées à la terre et à la territorialité. Ce sont les voies-et-moyens de la puissance indirecte, de l’indirect rule, permettant de subvertir l’État, qui correspondent à la « souveraineté » anglaise, à l’action de la mer sur la terre. Aux xviiie, xixe et xxe siècles, l’Angleterre a ainsi utilisé les méthodes de la potestas indirecta – autrefois dénoncée par Hobbes – 39 non seulement outre-mer, mais aussi sur le continent européen. Le juriste allemand prend successivement l’exemple a) de la franc-maçonnerie, b) du constitutionnalisme libéral et c) de la Société des Nations.

a) Au xviiie siècle, les loges maçonniques, qui exerçaient depuis Londres leur action sur l’ensemble des capitales du continent, furent l’un des vecteurs par lesquels la Grande-Bretagne domina le monde : la puissance de ces sociétés secrètes – moyen d’influencer une opinion « publique » prétendue « libre » – expliqua largement le succès des écrits subversifs des philosophes des Lumières.

b) Au xixe siècle, ce furent les courants libéraux et constitutionnels qui devinrent les véhicules de l’influence anglaise chez les peuples européens. Du point de vue de la politique internationale, le constitutionnalisme signifiait que, dans l’État neutre libéral, l’économie et la presse (c’est-à-dire la formation de l’opinion publique) étaient des sphères indépendantes de l’État, qu’elles étaient affaires d’entrepreneurs privés qui se rencontraient, au-delà des frontières de l’État, sur un marché intenational « libre » et dans une presse internationale « libre » – en réalité dominés par la Grande-Bretagne.

c) Au xxe siècle, la Ligue de Genève, de 1919 à 1933, fut une tentative d’organisation universelle des méthodes indirectes de l’hégémonie anglaise ; les sanctions économiques et financières, la discrimination morale et l’état de guerre latents sous des apparences de paix furent les instruments d’une politique destinée à étrangler l’Allemagne, l’Italie et le Japon, les trois puissances désignées comme « agresseurs » car elles remettaient en cause le statu quo.

3) Parce qu’elle a choisi un destin maritime et qu’elle a édifié un Commonwealth disséminé aux quatre coins du globe, la Grande-Bretagne n’est plus que le centre – mobile – d’un empire mondial thalassocratique, dont le siège peut se transporter au-delà des mers. L’idée d’un tel déplacement n’est pas apparue pour la première fois en 1939-1941, « même si la situation désespérée de l’Angleterre lui donne un regain d’intérêt et d’actualité » 40, mais elle a été exposée, dès 1847, par Disraéli lui-même, le fondateur de l’Empire des Indes, qui envisageait explicitement de transférer de Londres vers Delhi la capitale de l’Empire britannique. Reine des océans, l’île d’Angleterre ne fait plus partie de l’Europe et sa destinée n’est plus liée à celle de l’Europe, conclut le juriste : elle a désormais rejoint l’Amérique41.

D) Pour Carl Schmitt, le sens de la guerre mondiale, en tant que « première guerre d’organisation de l’espace planétaire » 42, ne s’acquiert pas dans la lutte contre la Russie de Staline, mais dans la lutte contre l’Amérique de Roosevelt. Aussi s’attache-t-il 1) à démontrer la « trahison » de l’esprit de la doctrine Monroe par l’idéologie de l’impérialisme, 2) à élucider la signification historique de l’entrée en guerre des États-Unis en 1941, 3) à souligner la « contradiction » entre le principe « grand spatial » de ladite doctrine et la prétention à succéder à l’Empire britannique.

1) Le juriste allemand a vu dans la doctrine Monroe la préfiguration du Grossraumordnung : elle constitue la première déclaration de l’histoire du droit des gens qui pose le double principe du grand espace et de l’exclusion des puissances étrangères à cet espace, dans lequel la puissance hégémonique veille à l’intégrité et à l’indépendance des États sur la base de leur homogénéité politique (droit d’intervention délimité).

Mais la doctrine a connu un développement dialectique : elle a d’abord servi, avec l’appui de la Grande-Bretagne, à mettre le continent américain à l’abri des interventions des monarchies européennes de la Sainte Alliance et à faire de Washington le champion du régime républicain établi dans le Nouveau Monde, puis à soumettre les États de l’hémisphère occidental à l’hégémonie nord-américaine, enfin, combinée avec le pacte Kellogg et la doctrine Stimson – qui réserve aux États-Unis le droit de reconnaître ou pas les changements politiques ou territoriaux et, partant, le droit d’intervenir ou pas dans le monde entier -, à justifier l’ingérence, le droit de regard et les initiatives de « police » des États-Unis dans le reste du globe, bref, à légitimer la prétention de Washington au rôle d’arbitre international.

L’évolution de la doctrine Monroe procède de la relation spécifique entre l’impérialisme économique et l’universalisme politico-juridique impulsés par Th. Roosevelt, Wilson et F.D. Roosevelt, qui métamorphosèrent un principe de délimitation des espaces en une doctrine d’intervention mondiale et d’universalisation des conflits au nom de l’idéologie de la démocratie libérale et des conceptions s’y rattachant, liberté des mers, libre échange, commerce et marché « libres », autant de vecteurs de l’hégémonie anglo-saxonne. D’une conception panaméricaine, la doctrine Monroe est finalement devenue le paravent d’une idéologie supranationale et d’une politique d’ingérence, et l’instrument de la pénétration du capitalisme anglo-saxon sur les marchés d’Europe et d’Asie – la doctrine de 1823 se faisant en 1915 « politique de la porte ouverte » en Chine face aux prétentions du Japon.

2) L’article de 1942 : « Beschleuniger wider Willen oder : Problematik der westlichen Hemisphäre », est une sorte de mise au point sur l’entrée des États-Unis dans le conflit mondial après l’attaque japonaise sur Pearl Harbor et la déclaration de guerre de l’Axe43.

D’après Carl Schmitt, qui entend conjurer l’idée répandue selon laquelle le potentiel militaro-économique et a fortiori l’intervention militaire des États-Unis suffiraient à décider de l’issue des hostilités, Washington a l’ambition d’assurer la succession de l’Empire britannique afin de maintenir l’hégémonie mondiale anglo-saxonne, projet qui était celui de l’amiral Mahan. Sur la base de la communauté de langue, de culture et d’idéal politique, cet auteur envisageait une « réunification » des puissances anglo-américaines afin de reconduire la suprématie maritime anglo-saxonne : il appartient à l’Amérique – « la plus grande île », adaptée aux dimensions planétaires modernes, ouverte sur l’Atlantique et le Pacifique – de prendre le relais d’une Angleterre ayant amorcé son déclin. Disraéli songeait à déplacer le siège de l’Empire de Londres à Delhi ; Mahan, lui, souhaite une translatio imperii – scellée par Churchill et Roosevelt à travers la Charte de l’Atlantique de 1941 – de la Grande-Bretagne vers les États-Unis.

L’amiral américain entend sauvegarder l’héritage anglais dans un contexte radicalement nouveau, qui voit s’effondrer les rapports traditionnels entre la terre et la mer ; il a pressenti les formidables mutations spatiales du xxe siècle, dues au développement technique et industriel, mais sa pensée, observe Carl Schmitt, reste dominée par les idéaux et les schémas anciens hérités de la puissance britannique : marché mondial libre, commerce libre et liberté des mers, lesquels confèrent aux Anglo-Saxons « le plus fabuleux de tous les monopoles, celui des gardiens de la liberté de la Terre entière »44. Sa doctrine exprime un souci conservateur de sécurité géopolitique qui ne saurait résister au « sens ordonnateur et unificateur »45 d’une guerre mondiale précisément dirigée contre l’universalisme anglo-américain, et dont le caractère exceptionnel tient à ce qu’elle ouvre la voie à un ordre planétaire de grands espaces, qui met fin à la domination maritime mondiale anglo-saxonne.

3) Les États-Unis peuvent-ils amener la décision dans cette guerre d’organisation de l’espace du globe ? Sur le plan militaire, au moment où écrit le juriste (avril 1942), le Japon a incontestablement remporté une série de victoires sur les Anglo-Américains et montré « la force irrésistible de l’idée moderne de grand espace »46. L’Amérique est condamnée à la défaite car a) elle est déchirée par ses « contradictions intérieures », b) et elle se heurte au « sens de l’histoire ».

a) Washington voudrait jouer sur les deux tableaux : celui des grands espaces (dans l’hémisphère occidental) et celui de l’universalisme (en héritant de la suprématie maritime anglaise) ; il voudrait succéder à l’Empire britannique tout en gardant la haute main sur le continent américain. Cette absence de décision, illustrée par la contradiction grandissante entre la doctrine Monroe et les intérêts du capitalisme mondial, ou encore par l’hésitation entre l’absence officielle et la présence effective (en Europe après 1919), la neutralité et l’intervention (de 1935 à 1941), ne pourra éviter aux États-Unis d’être confrontés à « l’alternative mondiale qui appelle aux engagements ultimes et aux sacrifices extrêmes »47 : Grossraum ou universalisme ?

b) En devenant le légataire de Londres, Washington s’est soumis à la logique qui a régi l’existence politique de « l’ancien Empire britannique » : celui-ci a assumé depuis un siècle le rôle de « grand retardateur de la marche de l’histoire », le rôle de Kat-echon 48, et il s’y est trouvé comme enchaîné. L’Amérique deviendra-t-elle un catéchonte ? Non, car elle entend rester à l’avant-garde de la nouveauté et de l’avenir, demeurer le « Nouveau Monde » par opposition à la vieille Europe « jetée à la poubelle de l’histoire » 49 ; c’est pourquoi Roosevelt aura le destin d’un « accélérateur involontaire ». En 1942, le sens de l’histoire – problématique qui est au cœur des préoccupations schmittiennes à l’époque – semble encore favorable à l’Allemagne : celle-ci est porteuse d’un nouveau nomos de la Terre, tandis que les puissances anglo-saxonnes, confrontées à une « révolution spatiale » qui rend caduque leur domination maritime, tentent de freiner le cours « inexorable »50 des événements51.

E) Grande puissance maritime, l’Angleterre fut aussi la grande puissance industrielle, devançant toutes les autres nations : la révolution industrielle a été impulsée outre-Manche, car la révolution industrielle, écrit Carl Schmitt à la suite de Hegel52, est coordonnée à une existence maritime, laquelle a un tout autre rapport à la technique que l’existence terrestre53. Le machinisme est la conséquence de la décision anglaise de se tourner vers le grand large. L’Angleterre maritime a été ainsi à l’origine du saut ultérieur vers la totale « dé-localisation » ou « dé-territorialisation » de la technique moderne, dont le présage fut, selon le juriste, l’Utopie – terme hautement significatif – de Thomas More, livre prophétique rédigé en 1516 annonçant, avec « une conception nouvelle et fantastique de l’espace »54, la formidable possibilité d’une abolition de toute « territorialité », livre qui préfigure l’ère industrielle « a-topique » amorcée en Angleterre au xviiie siècle55, ère du progrès technique propice aux « utopies intellectuelles sur fond de paradis terrestres »56.

Le « secret » de la domination mondiale britannique, c’est qu’elle s’allia à l’idéal du One World  57, c’est-à-dire à la philosophie de l’histoire axée sur la foi dans le progrès d’une humanité civilisée. Carl Schmitt associe la conquête des océans à une « philosophie gnostique »58 où il pose la question hégélienne du sens ultime de l’histoire. L’Angleterre et le judaïsme – qui s’unissent dans la figure de Disraéli, laquelle fascinait le juriste – sont au centre de cette problématique. La symbiose qui a correspondu à « l’esprit du monde » (Hegel) et à la « philosophie de l’histoire » (Marx) a été la combinaison de l’impérialisme britannique et de l’universalisme juif, déclarait Carl Schmitt au jeune Nicolas Sombart : la puissance maritime anglo-saxonne – qui s’identifie au droit, à la civilisation et à l’humanité – et la vision juive d’un État universel – qui correspond à l’ambition « mondialiste » d’un peuple « apatride » et « cosmopolite »- se sont imbriquées pour former un projet englobant le monde entier, projet en accord avec le sens supposé du « progrès » et qui désigne l’Allemagne, mise hors la loi et hors l’humanité, comme un obstacle à éliminer – la guerre trouvant sa justification dans le sens supposé de l’histoire59.

L’avènement d’un nomos océanique et global de la Terre

Après la Seconde Guerre mondiale et l’administration interalliée de l’Allemagne (1945-1949), les travaux de Carl Schmitt sur l’Angleterre et la mer, et plus généralement son oeuvre antérieure de droit international, sont intégrés à la vaste « rétrospective historique (¼ ) du jus publicum europæum »60 qui fait l’objet du Nomos der Erde, ainsi qu’à ses textes sur l’ordre mondial et la guerre froide.

Dans la situation d’un « vaincu » 61, interrogé à Nuremberg62, exclu de l’Université, contraint à la méditation solitaire et au plaidoyer pro domo 63, le juriste allemand ne désigne plus explicitement d’ennemi, mais son éloge du jus publicum europæum – où il passe de l’opposition à la distinction terre/mer, où il écarte les concepts d’ »État total », de Grossraum et de Reich, où il souligne les notions d’État et d’équilibre européen – est un moyen détourné de disculper l’Allemagne et d’accuser les Alliés, principalement les Américains, d’avoir déchaîné, au nom de la « guerre juste », une guerre totale qui a sapé le jus in bello et détruit le droit des gens européen64.

A) La « révolution spatiale » des xvie et xviie siècles, au moment des Grandes Découvertes, de la conquête du Nouveau Monde et des guerres de religion, puis B) le triomphe du principe de la liberté des mers, par opposition à la souveraineté de l’État, principe imposé par la Grande-Bretagne, héritière de l’élan marin des peuples protestants, ont permis C) la fondation d’un nouveau nomos de la Terre, celui du jus publicum europæum, remis en question par D) la nouvelle « révolution spatiale » du xxe siècle, qui voit E) le conflit Est/Ouest succéder au conflit entre l’Allemagne et les Anglo-Saxons.

A) L’idée centrale de Carl Schmitt, développée dans Land und Meer 65, est que les conceptions que se font les peuples de la politique, du droit, de la guerre, sont enracinées dans les modalités de leur relation à l’espace. Les grandes césures de l’histoire font apparaître des formes, échelles et dimensions nouvelles de la configuration politique, en même temps qu’une nouvelle conscience du monde, pouvant aller jusqu’à une modification de la structure même de la notion et de la perception de l’espace. On peut alors parler de « révolution spatiale » : « Là se trouve le véritable noyau de la mutation globale, politique, économique et culturelle qui s’effectue alors » 66.

La transformation la plus profonde et la plus lourde de conséquences de l’histoire universelle, sur laquelle le juriste revient constamment, a coïncidé avec les Grandes Découvertes des xvie et xviie siècles, qui engendrèrent un « nouveau monde » au sens le plus audacieux du terme : cette première révolution authentique de l’espace, à l’échelle planétaire, bouleversa la conscience globale des peuples européens, puis de toute l’humanité. La découverte de nouveaux horizons et la reconnaissance du globe terrestre entraînèrent une révolution spirituelle dans la conception de l’univers, mutation proprement métaphysique qui accompagna l’extension géographique du monde connu. La gigantesque redistribution territoriale consécutive à l’expansion maritime de l’Europe n’est que l’aspect le plus tangible du changement que suggère l’expression « révolution spatiale » : le « rationalisme occidental » ou l’avènement de la « modernité » relève de ce tournant, qui correspondit, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, à une mesure scientifique de la Terre entière.

La « révolution spatiale » des xvie et xviie siècles se traduisit par une formidable appropriation coloniale, car l’ère des « découvertes » fut en réalité l’ère des conquêtes européennes : traitant les territoires des peuples indigènes en res nullius, Portugais, Espagnols, Français, Néerlandais et Anglais s’affrontèrent pour le partage des nouveaux espaces outre-mer – les Allemands, eux, regrette Carl Schmitt, furent écartés de cette conquête et entraînés de l’extérieur dans l’affrontement mondial des puissances conquérantes, catholiques ou protestantes, de l’Ouest européen, le vieux Reich s’engonçant dans ses divisions confessionnelles et kleinstaatlich. Les conflits entre Européens, d’autant plus intenses que la lutte pour la possession des terres nouvelles était aussi une lutte entre la Réforme et la Contre-Réforme – les puissances protestantes mais aussi la France contestant les titres, concessions et lignes de partage accordés à Madrid et Lisbonne par le pape à Tordesillas -, s’effacent pourtant devant ce fait fondamental : « La commune conquête européenne du Nouveau Monde »67. Chacun des conquérants invoqua sa mission chrétienne puis, au xixe siècle, sa mission civilisatrice : ces justifications de l’acquisition territoriale sont à l’origine du droit des gens classique, fondé sur la distinction entre peuples européens-chrétiens, formant une « famille de nations », et peuples non-européens et non-chrétiens, exclus de la communauté juridique internationale et non pas sujets, mais objets du droit des gens68.

B) Les écumeurs des mers, baleiniers69, pirates huguenots, « gueux de mer » néerlandais, flibustiers et boucaniers de la Jamaïque et des Caraïbes, corsaires britanniques, formèrent l’avant-garde de l’élan des peuples européens vers les océans, au moment de la découverte puis de la conquête du Nouveau Monde.

Leur épopée, maritime mais aussi technique – c’est l’époque où apparaît le grand voilier pourvu de vergues et armé de canons, qui inaugure un âge nouveau de la navigation et du combat naval -, a été d’une extraordinaire ampleur, souligne le juriste allemand : ils furent les agents historiques de la grande décision en faveur de la mer. Dans une période de transition du droit de la belligérance où la guerre n’était pas encore considérée comme l’affaire exclusive de l’État, les privateers, ayant tous un ennemi commun – l’Espagne catholique – participèrent à un grand front de l’histoire universelle, celui du protestantisme mondial d’alors contre le catholicisme mondial d’alors ; ils acquirent une importance considérable en portant les premiers coups à la puissance maritime et au monopole commercial espagnols. Leur époque héroïque, de 1550 à 1713, soit du début de la lutte des puissances protestantes contre l’Espagne jusqu’à la paix d’Utrecht, marqua ainsi l’émergence de l’élément marin dans l’histoire mondiale.

Les guerres de religion, dans le contexte de la conquête du globe, prirent leur véritable dimension à la lumière de l’opposition qui apparut alors : l’opposition de la terre et de la mer, qui révéla les « antagonismes profonds » et les « véritables relations ami/ennemi »70. La distinction ami/ennemi qui servit de pivot à l’ensemble de la politique mondiale fut le conflit tranché entre jésuitisme (hispanique) et calvinisme (anglo-néerlandais) -bien qu’elle constituât le berceau de la Réforme, l’Allemagne, divisée entre catholiques et luthériens, ne prit pas parti dans ce conflit, pas plus que la France, qui neutralisa ses clivages confessionnels par une « laïcisation » du droit et de l’État71. Reprenant l’idée de Max Weber ou de Spengler, Carl Schmitt voit une complicité géopolitique entre le calvinisme institué et les énergies maritimes européennes, lesquelles trouvèrent une assise spirituelle dans la doctrine de la prédestination : les fronts religieux de l’époque portant en eux l’antagonisme de forces élémentaires, le calvinisme fut la nouvelle religion agonale, la foi adaptée à l’élan marin, c’est pourquoi elle devint la confession des Huguenots, des insurgés néerlandais et des puritains anglais, ponctuant leur percée maritime.

La redistribution de l’espace du globe a aussi concerné la mer et non seulement la terre : la conquête britannique des océans a formé la clef de voûte du premier ordonnancement planétaire de l’espace, dont le principe central fut la distinction entre la terre et la mer.

Comment la Grande-Betagne est-elle devenue maîtresse des océans ? C’est dans la seconde moitié du xvie siècle que les Anglais, bien après les Portugais, les Espagnols, les Français ou les Néerlandais – qui demeurèrent longtemps les leaders incontestés de la construction navale et de la navigation -, se hissent au niveau de leurs concurrents. La reine Elizabeth apparaît comme l’instigatrice de l’expansion maritime anglaise – c’est elle qui engagea la lutte contre l’Espagne, qui encouragea la course et qui accorda les privilèges à la Compagnie des Indes -, et c’est sous son règne que l’Angleterre devint un pays riche où confluait le butin légendaire des corsaires. Ce ne sont pourtant pas les souverains anglais des xvie et xviie siècles – guère conscients de la révolution planétaire qui se déroule, ni du tournant historique vers la mer – mais les privateers, et eux seuls, souligne Carl Schmitt, qui parvinrent à la décision en faveur de l’élément marin et qui réalisèrent la vieille prophétie anglaise du xiiie siècle, que le juriste aime citer : « Les enfants du Lion se transformeront en enfants de la mer ». Ce sont eux qui, après avoir contribué à la défaite de Madrid, permirent à l’Angleterre de surclasser tous ses rivaux, Français ou Néerlandais, dans le combat décisif pour la maîtrise des océans.

Le Portugal, l’Espagne, la France ou les Pays-Bas conservèrent ou acquirent de vastes empires coloniaux, mais ils perdirent le contrôle des mers et des lignes de communications maritimes, détenu par Londres. Si l’Angleterre l’a emporté, c’est parce que, à un moment où il fallait choisir entre la terre et la mer -alternative qui « ne s’était jamais posée dans l’histoire universelle avec cette profondeur dans l’opposition », car pour la première fois, cette opposition n’apparaissait plus sous l’aspect de la lutte pour une mer intérieure, mais dans l’horizon océanique et planétaire du globe72 -, elle a « transposé toute son existence collective de la terre à la mer » 73. A contrario, la Hollande dut renoncer à l’expansion ultramarine pour se défendre sur terre contre Louis XIV. La France ne suivit pas le grand élan maritime des Huguenots, elle resta un pays romain et, en prenant parti pour le catholicisme et l’État souverain, elle choisit par là même la terre contre la mer, choix confirmé lorsque le roi congédia Colbert, puis lors des longues luttes coloniales du xviiie siècle contre l’Angleterre à l’issue desquelles la France, menacée sur le continent, perdit les Indes et le Canada. Quant à l’Allemagne, son potentiel hérité de la Hanse disparut dans les guerres de religion et dans la misère politique du vieil Empire.

L’Angleterre a choisi le grand large, mais cette décision n’en fut pas moins longue et hésitante. À cet égard, la question cruciale fut celle de la liberté des mers. Carl Schmitt en donne le résumé suivant.

Dans la longue controverse sur l’ouverture ou la fermeture des mers – la séculaire « guerre des livres », comme l’appelle Ernest Nys74 -, les auteurs d’outre-Manche combattirent généralement des deux côtés, d’une part en faisant valoir à leur profit, contre les prétentions au monopole affichées par les Portugais et les Espagnols, le principe de la liberté des mers et du commerce (le liberum commercium déjà défendu par Vitoria ou Vasquez Menchaca), d’autre part en revendiquant, contre les Français et les Néerlandais, les mers voisines et adjacentes comme un dominium anglais. Grotius a été considéré comme le pionnier de la liberté des océans, en raison du chapitre « Mare liberum » qu’il inséra dans son traité sur le droit de prise – écrit en 1605, il ne parut qu’en 1868 ! – rédigé à la demande de la Compagnie hollandaise des Indes, jusqu’à ce que la révision opérée dans les milieux jus-internationalistes au tournant du xxe siècle75 montre la dette de ce prétendu « fondateur » du droit des gens à l’égard de Gentili ou des scolastiques espagnols. De fait, le résultat auquel aboutit le principe de la liberté des mers, après 1713, est très différent de l’image qu’en donne Grotius en 1605. Son opuscule dut sa célébrité, par contre-coup, au Mare clausum de Selden, ouvrage écrit en 1618 et loué par la plupart des Anglais de l’époque, par les Stuart comme par Cromwell, qui s’intéressaient principalement aux narrow seas (Manche, mer du Nord, golfe de Gascogne) et qui étaient loin d’envisager l’île comme la métropole d’un empire maritime mondial. Le premier auteur qui ait remarqué la contradiction entre ces perspectives traditionnelles et l’évolution vers une « souveraineté des océans » exercée au nom de la liberté des mers fut Philip Meadows : ses Observations concerning the Dominion and Sovereignty of the Seas, parues en 1689, révèlent la nouvelle conception qui s’imposa après le traité d’Utrecht. Pufendorff, dès 1672, avait distingué les grands océans des mers intérieures auxquelles se référait le droit civil d’inspiration romaniste d’alors, qui considérait encore la mer comme une res communis. Le Néerlandais Bynkershoeck, en 1703, fit prévaloir à propos de la souveraineté territoriale de l’État riverain la doctrine ubi finitur armorum vis qui rapprochait en quelque sorte Grotius et Selen : la haute mer n’est à personne, la mer proche est à l’État côtier, la limite est celle de la portée des canons ; il en restait à une perception orientée de la terre vers la mer, c’est-à-dire qu’au contraire des Anglais, il n’envisageait pas de fixer l’ordre du monde à partir et du point de vue de la mer. Enfin, Galiani, en 1782, établit définitivement la règle des trois milles marins. Ce chiffre a marqué la conscience collective car, pour les défenseurs de la liberté des mers, du libre commerce et de la libre belligérance maritime, il pose le principe de la distinction d’un ordre terrestre et d’un ordre maritime – battue en brèche par l’évolution technologique. La conservation de la zone des trois milles est « la bouée de secours positiviste » d’une puissance maritime anglo-saxonne qui n’admet pas que soit remis en cause le principe spatial de son ordre mondial76.

Le triomphe du principe de la liberté des mers fut le résultat de la décision anglaise en faveur des océans, décision qui transforma la nature même de l’île d’Angleterre. Arguer du caractère insulaire du peuple anglais ne signifie en soi pas grand-chose : l’Angleterre était déjà une île à l’époque de César, de Guillaume le Conquérant ou de Jeanne d’Arc et, jusqu’aux xvie-xviie siècles, la conscience « insulaire » demeurait profondément « terrienne », comme l’illustrent les sceaux anglais du moyen âge, semblables à ceux des pays du continent et ne montrant aucun attribut relatif à la mer. L’île, considérée comme un territoire abrité par la mer comme une citadelle par ses douves, était pensée du point de vue de la terre, et le sentiment insulaire se rattachait d’une façon absolue au sol et à la territorialité. La « révolution fondamentale de l’essence politico-historique de l’île »77, c’est que désormais la terre serait vue depuis la mer – et non plus l’inverse -, et qu’une « Meeresbild » (« mentalité maritime ») se substituerait à l’ »Erdbild » (« mentalité terrienne »). Cette façon de concevoir le monde du point de vue du grand large montre qu’une virtualité géographique s’est muée en réalité politique, laquelle s’est imposée au droit des gens européen, et que l’Angleterre est devenue une partie de l’océan, un authentique « Léviathan » – non pas au sens de Hobbes, mais au vrai sens mythologique de l’animal géant symbole de l’élément marin. La pensée des peuples du continent européen cherche à trouver l’ordre de la mer à partir de la terre : « Nous sommes des gens de la terre, (¼ ) nous ne pouvons (¼ ) pas comprendre ce que cela signifie : la mer libre » 78. Mais l’homme peut choisir le grand large pour cadre de son existence, et essayer de dominer la terre et d’ordonner le monde à partir de la mer. Exemple extrême de cette Meeresbild, qui donne un véritable aperçu de « mythologie maritime » : les mots de Burke sur l’Espagne, « baleine échouée sur les côtes européennes » ; de ce point de vue déterminé par la mer, c’est d’un « globe maritime » qu’il faudrait parler, et non plus d’un « globe terrestre » 79. Erdbild contre Meeresbild, telle est donc « l’opposition fondamentale », selon Carl Schmitt, d’où découlent deux conceptions antinomiques des choses. Que l’ordre de la terre soit fixé à partir du grand large, voilà « ce qu’un peuple maritime souverain entend véritablement par liberté des mers » 80.

À la liberté des mers s’oppose la souveraineté de l’État : c’est également au xvie siècle, à l’époque où commence la lutte pour établir un nouveau nomos du globe, qu’apparaît la notion d’État, conception « territoriale » du statut politique et de l’ordre public liée à l’histoire européenne du xvie au xxe siècles – le jus publicum europæum étant un droit spécifiquement interétatique81.

L’État souverain fixe les nouvelles conceptions de l’ordre dans l’espace – avec la notion typique de la frontière linéaire82 -, d’abord sur le continent européen – en disloquant le Saint Empire – puis dans le monde entier – l’État se transformant de concept historique en notion générale appliquée à toutes les unités politiques et à toutes les époques. Cet État, ancré dans une représentation spatiale spécifique, est une réalité propre à la terre et au sol, puisqu’il est essentiellement « souveraineté territoriale »83 ; cette réalité ne concerne pas l’autre partie de l’espace planétaire, beaucoup plus vaste, qu’est la haute mer. C’est de ce côté qu’apparut l’antithèse de la conception étatique de l’espace, fermée et délimitée : la mer est libre, c’est-à-dire libre d’État, libre pour le commerce comme pour la guerre. Tandis que l’ordre continental implique la subdivision en territoires étatiques, la mer, elle, ignorant divisions et appropriations, ne connaît pas de souveraineté et n’appartient à personne – « en réalité, elle n’appartient qu’à un seul pays : l’Angleterre » 84.

C) Avec l’analyse du concept nomos – en tant qu’ordre spatial dont l’acte inaugural suppose une appropriation et une répartition territoriales d’envergure85 -, Carl Schmitt a ouvert la possibilité de comprendre l’événement fondamental de l’histoire du droit des gens européen, après la fin de la Respublica christiana 86 : la conquête de l’orbis terrarum, processus qui posa le problème jusqu’alors inconnu de l’organisation de l’espace de l’ensemble de la Terre par le droit international et qui détermina pendant quatre siècles la structure du droit des gens européen.

Le nomos de la Terre du jus publicum europæum, du xviie au xixe siècles, est à la fois européocentrique et global. Il repose sur une double distinction et un double équilibre : distinction entre la terre et la mer, entre l’Europe et le reste du monde ; équilibre entre la terre et la mer, entre les États du continent européen.

Le principe fondamental et spécifique du nouveau droit des gens, c’est la séparation entre l’espace de la terre ferme et l’espace de la mer libre, qui possèdent chacun leurs propres concepts de guerre et d’ennemi, distinction qui a été, en même temps que s’imposait pour la première fois un nomos de la Terre entière (incluant les océans), le fondement universel du droit international. C’est l’Angleterre, maîtresse des mers, qui fut à la fois le maillon des deux organisations terrestre et maritime de l’espace global, et la garante de l’équilibre des États sur le continent européen, d’où la situation exceptionnelle de l’île au sein du jus publicum europæum. Pivot de l’espace océanique libre et de l’ordre global européocentré, l’Angleterre fut un pays of Europe, not in Europe – Carl Schmitt reprend, en 1950, ses analyses de 1941-1942 sur le principe de la liberté des mers et le tournant de la Grande-Bretagne vers une existence maritime. La distinction terre/mer permit l’équilibre continental des puissances européennes – dont Londres était l’arbitre – mais favorisa la suprématie océanique anglaise : ce qui facilite l’équilibre sur terre, à savoir les souverainetés et les frontières, étant absent sur mer, espace spécifique qui favorise le libre jeu des forces, il n’y a par conséquent pas de limite à l’ouverture du champ maritime de la guerre, tend à se conclure dans le sens de l’hégémonie ou du monopole.

Si la mer est libre, la terre, par contre, est divisée en différents statuts territoriaux. L’ordre du jus publicum europæum reposait sur la distinction entre l’espace des États européens et l’espace – ouvert à la conquête européenne – des peuples non-européens et non-chrétiens, et sur la différence entre la guerre européenne – la guerre terrestre interétatique limitée entre belligérants égaux en droits – et la guerre coloniale. À la fin du xixe siècle, au moment de l’apogée de la domination de l’Europe, cinq statuts du sol de la terre ferme se détachent : le territoire étatique (européen), le pays exotique avec extraterritorialité des Européens, le protectorat, la colonie, la terre librement occupable. La colonie constitue une institution essentielle de l’ancien droit international : chaque puissance européenne a son espace d’expansion outre-mer, l’exclusion du partage colonial marquant une sorte de disqualification87. En Europe même, l’ordre spatial et politique repose sur l’équilibre des États, équilibre qui était lui-même le fondement spatial et politique de la limitation de la guerre, laquelle ne devait pas aboutir à une rupture de la balance of power ; celle-ci était garantie par le concert des grandes puissances, dont l’Angleterre, exerçant en corps leur droit de statuer sur les situations internationales critiques (changements politiques ou territoriaux) et de réviser les traités88.

D) De Waterloo à la Première Guerre mondiale, l’hégémonie incontestée de la Grande-Bretagne traversa tout le xixe siècle. Mais l’évolution des techniques et des armements a fini par détruire les conditions qui avaient permis la conquête et la domination britanniques des mers – comme l’écrit Carl Schmitt en termes mythiques : le « Léviathan », jusqu’alors « poisson », devint « machine », et la machine s’intercala entre l’élément marin et l’existence humaine, remplaçant la « lutte impitoyable contre (cet) élément » par « l’assurance d’un trafic maritime moderne et technicisé » 89. L’apparition du cuirassé, de l’avion, du sous-marin et du porte-avions transforma de fond en comble le rapport de l’homme à l’océan, cependant que l’aéronautique, bouleversant la guerre et le droit de la guerre, marquait la conquête d’une troisième dimension englobant la terre et la mer, rendant caducs l’ancienne distinction – base du lien entre suprématie maritime et suprématie mondiale – et donc l’ancien nomos du globe.

La vraie modernité du xxe siècle, selon le juriste, c’est qu’il connaît une « révolution spatiale » analogue à celle que connut le xvie : les mutations technologiques – les nouvelles techniques d’armements, de transports et de communications faisant triompher de nouvelles conceptions, échelles et dimensions spatio-temporelles, et partant de nouvelles configurations de l’ordre et du droit et de nouvelles possibilités de domination humaine – et les événements politico-militaires – les redistributions politiques et territoriales consécutives aux guerres mondiales, aux révolutions puis à la décolonisation – signalent l’avènement d’un nouveau nomos de la Terre. En 1941-1942, l’Allemagne, pense Carl Schmitt, porte cette « nouvelle révolution de l’espace » et doit imposer, à la place de l’ancien ordre et des anciennes valeurs, « un ordre nouveau (¼ ) qui (¼ ) dépasse l’opposition ancienne entre la terre et la mer »90. Après la guerre, dans un autre contexte, il maintient son analyse sur la caducité de l’ancien nomos et l’émergence d’un nouveau : l’industrialisation a bouleversé la relation de l’homme au monde ; plus particulièrement, la domination « englobante » de l’espace aérien -la terre et la mer « subissent désormais la loi de l’air et du feu », l’air et le feu étant les nouveaux éléments de l’activité humaine91 – a radicalement modifié l’ordonnancement du droit des gens et du pouvoir politique92 ; le conflit Est/Ouest, enfin, a imposé un nouvel ordre planétaire93.

E) Carl Schmitt introduit la dialectique terre/mer dans la guerre froide94, guerre froide qu’il inscrit – avec la décolonisation, la conquête du cosmos et l’industrie des pays en voie de développement – dans la problématique du nomos du globe. En 1955, écrit-il, le monde « se scinde en deux moitiés : l’une orientale, l’autre occidentale, (tel est) le partage actuel de la Terre » 95 ; en 1962, il révisera son propos : l’essentiel n’est pas la division Est/Ouest, mais la division Nord/Sud96.

L’Est et l’Ouest sont des points cardinaux indéfinis spatialement, car si la Terre a un pôle nord et un pôle sud, elle n’a pas de pôle est ni de pôle ouest. Derrière cette opposition géographique, se dessine une opposition élémentaire, celle entre la terre (l’Est) et la mer (l’Ouest) – l’antagonisme entre l’Allemagne et l’Angleterre a fait place à l’antagonisme entre l’URSS et les États-Unis.

De quel côté se trouve le juriste cette fois, du côté de la terre ou de la mer ? Prend-il la même position que Goethe en 1812 ? Ce dernier, dit-il, était favorable à Napoléon, il était pour la terre et contre la mer, et il espérait que l’Angleterre serait vaincue par la France. Carl Schmitt, qui considère dans les années 1950 que l’Europe et, en son centre, l’Allemagne sont prises dans un « étau » entre l’Est et l’Ouest97, serait-il plus anti-américain qu’anti-soviétique ? Dans la Theorie des Partisanen, il confirmera l’orientation anticommuniste de sa pensée98. Au contraire du conflit soviéto-américain, les guerres de la Grande-Bretagne contre la France napoléonienne n’obéissaient pas au schéma de la double opposition terre/mer et Est/Ouest : les États-Unis, à l’époque, étaient les alliés de Paris et les adversaires de Londres, et l’Occident s’identifiait au continent et non pas au grand large.

En certains moments de tension extrême, observe le juriste en 1955, l’hostilité entre les peuples devient opposition des éléments. En 1959, soucieux d’éviter toute équivoque, il précise son propos : le clivage planétaire Est/Ouest ne se réduit pas à une opposition élémentaire de la terre et de la mer, car, en tant que nature, les éléments ne sont capables d’aucune tension historique dans le sens d’une hostilité politique (ce n’est pas la nature, mais quelque chose de spécifique à l’homme, de plus que « naturel », qui provoque la tension politique) ; lorsque les conflits atteignent une certaine intensité, les hommes se livrent des guerres continentales et maritimes de part et d’autre, chaque puissance étant forcée de suivre l’adversaire dans l’autre élément. En 1941-1942, désirant systématiser l’antagonisme entre l’Angleterre et l’Allemagne, Carl Schmitt ne retenait de l’œuvre de l’amiral Castex que la formule : « la mer contre la terre » ; en 1959, c’est la dialectique castexienne de la terre et de la mer qu’il souligne, avec l’importance qu’elle accorde aux moyens amphibies et aériens99.

La guerre froide entre l’Union soviétique et les États-Unis pose de manière cruciale la question d’un nouveau nomos de la Terre, lequel pourrait prendre trois formes, selon le juriste allemand : 1) celle de l’unité du monde, 2) celle d’une hégémonie maritime et aérienne américaine, 3) celle d’un équilibre des grands espaces.

1) Du point de vue de la « pensée technique » propre au libéralisme comme au marxisme, le dualisme Est/Ouest n’est qu’un stade transitoire vers l’unité du genre humain ; le vainqueur du conflit pour un nouveau nomos deviendrait le maître du monde ; il « prendrait, partagerait et exploiterait » (Nehmen, Teilen, Weiden) selon ses plans et ses idées la planète entière, terre, mer, air. Mais la technique moderne ne pouvant surmonter la nature humaine, c’est-à-dire l’inéluctabilité de l’hostilité100, cette première possibilité s’avère utopique, d’autant plus que le monde n’est et ne sera pas complètement inclus dans la (« fausse ») alternative Est/Ouest et qu’il existera toujours des tierces puissances ou « troisièmes facteurs ».

2) Les disciples de Mahan envisagent de maintenir la structure de l’ancien nomos en l’adaptant aux conditions modernes : la domination maritime de la Grande-Bretagne serait transférée aux États-Unis – « la plus grande île » -, qui deviendraient le nouvel arbitre mondial en conjuguant suprématie navale et aérienne (projet qui avait motivé, on l’a vu, l’entrée en guerre de Washington contre l’Axe).

3) Une « troisième voie » s’offre, qui est celle de Carl Schmitt (dès 1939) : un équilibre pluriel de grands espaces ordonnés et autonomes qui réaliseraient entre eux un nouvel ordre planétaire et un nouveau droit des gens101

 

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Notes:

 

1 Sur la biographie et, surtout, l’œuvre de cet auteur, cf. ma thèse de doctorat en droit public et analyse politique, La pensée de Carl Schmitt (1888-1985), en cinq parties : Biographie politique et intellectuelle, Philosophie du droit, Droit constitutionnel, Théorie de l’État et science politique, Droit international.

2 Cf. « Totaler Feind, totaler Krieg, totaler Staat » (1937), « Der Begriff der Piraterie » (1937), in Positionen und Begriffe [PuB] im Kampf mit Weimar, Genf, Versailles, 1923-1939, Hambourg, Hanseatische Verlagsanstalt, 1940 (recueil de 36 textes), pp. 235-239 et 240-243 ; « Il Leviatano nella dottrina dello Stato di Thomas Hobbes¼ « , trad. de Der Leviathan in der Staatslehre des Thomas Hobbes¼ (1938), in Scritti su Thomas Hobbes, Milan, Giuffré, 1986, préf. C. Galli, recueil et trad. italienne des cinq textes de Carl Schmitt sur Hobbes parus entre 1937 et 1965, pp. 61-143 ; Völkerrechtliche Grossraumordnung¼ , Berlin-Vienne-Leipzig, Deutscher Verlag, 1939-1942 ; « La Mer contre la Terre », trad. de « Das Meer gegen das Land » (1941), « Souveraineté de l’État et liberté des mers », trad. de « Staatliche Souveränität und freies Meer » (1941), « Accélérateurs involontaires, ou la problématique de l’hémisphère occidental », trad. de « Beschleuniger wider Willen oder : Problematik der westlichen Hemisphäre » (1942), « La formation de l’esprit français par les légistes », trad. de « Die Formung des französichen Geistes durch den Legisten » (1942), in Du politique. « Légalité et légitimité » et autres essais, Puiseaux, Pardès, 1990, préf. A. de Benoîst (recueil de 15 textes de 1919 à 1952), pp. 137-142, 143-168, 169-176, 177-210 ; Terre et Mer. Un point de vue sur l’histoire mondiale, Paris, Labyrinthe, 1985, préf. et postf. de J. Freund, trad. de Land und Meer. Eine weltgeschichte Betrachtung (1942) ; « Die letzte globale Linie », in Egmont Zechlin (hrsg) : Völker und Meere. Aufsätze und Vorträge, Wiesbaden, O. Harrassowitz, 1944, pp. 342-349.

3 Cf. Völkerrechtliche Grossraumordnung¼ , op. cit. ; Terre et Mer¼ , op. cit. ; El nomos de la tierra en el derecho de gentes del jus publicum europæum, Madrid, Centro de Estudios Constitucionales, 1979, trad. espagnole de Der Nomos der Erde im Völkerrecht des Jus Publicum Europæum (1950) ; « Le nouveau ‘nomos’ de la Terre », Krisis, n° 10-11, 1992, pp. 165-169, trad. de « Der neue Nomos der Erde » (1955) ; « Die geschichtliche Struktur des heutigen Weltgegensatzes von Ost und West. Bemerkungen zu Ernst Jüngers Schrift ‘Der Gordische Konten’ », in Armin Mohler (hrsg) : Freundschaftliche Begegnungen. Festschrift für Ernst Jünger zum 60. Geburstag, Francfort, V. Klostermann, 1955, pp. 135-167 ; Hamlet ou Hécube¼ , Paris, L’Arche, 1992, trad. de Hamlet oder Hekuba¼ , Dusseldorf-Cologne, E. Diederichs, 1956 ; « Die planetarische Spannung zwischen Ost und West und der Gegensatz von Land und Meer », in Piet Tommissen (éd.), Schmittiana III, Bruxelles, 1991, pp. 19-44, trad. allemande de « La tension planetaria entre Oriente y Occidente y la oposicion entre tierra y mar » (1959).

4 Sur la question de la judéophobie ou de l’antisémitisme du juriste allemand, thème allusif et disséminé dans l’ensemble de l’œuvre, cf. notamment les conversations que Nicolas Sombart rapporte dans sa Chronique d’une jeunesse berlinoise, Paris, Quai Voltaire, 1992, « Promenades avec Carl Schmitt », pp. 303-336 ; Raphaël Gross, « Carl Schmitts ‘Nomos’ und die ‘Juden’ », Merkur, mai 1993, pp. 410-420.

5 Sicherheitsdienst des RFSS SD Hauptamt (1936), Archives fédérales de Coblence, R58/550.

6 Cf. sous Weimar, les textes consacrés à la Rhénanie : « Die Rheinlande als Objekt internationaler Politik » (1925), « Der status quo und der Friede » (1925), « Völkerrechtliche Probleme im Rheingebiet » (1928), in PuB, op. cit., pp. 26-33, 33-42 et 97-128, « Die politische Lage der entmilitarisierten Rheinlande », Abendland, V, 1929, pp. 307-311 ; ceux consacrés à la Société des Nations : Die Kernfrage des Völkerbundes, Berlin, F. Dümmler, 1926, « La Société des Nations et l’Europe », trad. de « Der Völkerbund und Europa » (1928), in Du politique¼ , op. cit., pp. 19-29 ; ou ceux consacrés à l’impérialisme américain : « Les formes de l’impérialisme en droit international moderne », trad. de « Völkerrechtliche Formen des modernen Imperialismus » (1932), in Du politique¼ , op. cit., pp. 81-100 ; puis, de 1933 à 1936, « Gleichberechtigung und Völkerrecht », Völkischer Beobachter, 21 juillet 1934, p. 1 ; Nationalsozialismus und Völkerrecht, Berlin, Junker u. Dünnhaupt, 1934 ; « Sowjet-Union und Genfer Völkerbund », Völkerbund und Völkerrecht, août 1934, pp. 263-268 ; « Ueber die innere Logik der Allgemeinpakte auf Gegenseitigkeit » (1935), « Die siebente Wandlung der Genfer Völkerbundes. Eine völkerrechtliche Folge der Vernichtung Abessiniens » (1936), in PuB, op. cit., pp. 204-209 et 210-213 ; « Sprengung der Locarno-Gemeinschaft durch Einschaltung der Sowjets », Deutsche Juristen-Zeitung, XLI, 6, 15 mars 1936, pp. 337-341 ; « Die nationalsozialistische Gesetzgebung und der Vorbehalt des ‘ordre public’ im internationalen Privatrecht », Zeitschrift der Akademie für Deutsches Recht, III, 4, 1936, pp. 204-211, textes dans lesquels le juriste-militant du IIIe Reich mêle combat pour « l’égalité des droits » – thème central de la diplomatie et de la doctrine allemandes dans une période dominée par la question de la restauration de la souveraineté militaire du Reich -, critique de l’École de Vienne (Kelsen, Verdross), de la SDN et du concept de sécurité collective, et invocation de la « communauté européenne » dont l’Allemagne nationale-socialiste fait partie au contraire de la Russie soviétique.

7 Cf. Die Wendung zum diskriminierenden Kriegsbegriff, Berlin, Duncker u. Humblot, 1988 (1938) ; « Das neue Vae Neutris ! » (1938), « Völkerrechtliche Neutralität und völkische Totalität » (1938), in PuB, op. cit., pp. 251-254 et 255-260 ; « Neutralité et neutralisations¼ « , trad. de « Neutralität und Neutralisierungen¼  » (1939), in Du politique¼ , op. cit., pp. 101-126.

8 Cf. les éd. successives de Völkerrechtliche Grossraumordnung¼ , op. cit., qui intègrent un certain nombre de textes.

9 Cf. les textes cités dans la note 2.

10 Cf. Die Kernfrage des Völkerbundes, op. cit. ; Nationalsozialismus und Völkerrecht, op. cit. ; « Sowjet-Union und Genfer Völkerbund », art. cit. ; « Sprengung der Locarno-Gemeinschaft durch Einschaltung der Sowjets », art. cit. ; « Die nationalsozialistische Gesetzgebung und der Vorbehalt des ‘ordre public’ im internationalen Privatrecht », art. cit. ; mais aussi les textes de théorie du droit, de droit constitutionnel ou de science politique dans lesquels apparaît l’orientation contre-révolutionnaire et antimarxiste de la pensée schmittienne, notamment Théologie politique, Paris, Gallimard NRF, 1988, préf. J.L. Schlegel, trad. de Politischer Theologie. Vier Kapitel zur Lehre von der Souveränität (1922, 1934) et de Politische Theologie II. Die Legende von der Erledigung jeder Politischen Theologie (1969) ; Cattolicesimo romano e forma politica, Milan, Giuffré, 1986, préf. C. Galli, trad. italienne de Römischer Katholizismus und politische Form (1923) ; « Donoso Cortes in Berlin, 1849 » (1927), « Der unbekannte Donoso Cortes » (1929), in PuB, op. cit., pp. 75-85 et 115-120 ; Hugo Preuss. Sein Staatsbegriff und seine Stellung in der deutschen Staatslehre, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1930 ; Legalität und Legitimität, Berlin, Duncker u. Humblot, 1988 (1932) ; « Ein Jahr deutsche Politik. Rückblick vom 20. juli 1932. Von Papen über Schleicher zum ersten deutschen Volkskanzler Adolf Hitler », Westdeutscher Beobachter, 9, 176, 23 juillet 1933, p. 1.

11 Cf. Théorie du partisan, publié avec La notion de politique (et quatre autres textes de 1929, 1931, 1938, 1950), Paris, Calmann-Lévy, 1972, préf. J. Freund, pp. 281-285, trad. respective de Theorie des Partisanen (1963) et de la version de 1932 rééd. en 1963 de Der Begriff des Politischen (d’autres versions sont parues en 1927, 1928 et 1933).

12 Théorie du partisan, op. cit., p. 285.

13 Sur l’antithèse du « soldat » et du « bourgeois », cf. Staatsgefüge und Zusammenbruch des Zweiten Reiches. Der Sieg des Bürgers über den Soldaten, Hambourg, Hanseatische Verlagsanstalt, 1934.

14 D’après le juriste allemand, il y a deux interprétations du Léviathan : l’allégorie chrétienne des Pères de l’Église et le mythe hébraïque des rabbins. La première dépeint un monstre marin ferré par Dieu, grâce à « l’appât » du Christ en croix ; la Bête a été domptée grâce au martyre du Fils : trompée par l’apparence humaine de Jésus, elle a cru pouvoir engloutir l’homme-Dieu, ce qui a permis de la capturer. Le mythe judaïque est tout différent : l’Ancien Testament met aux prises Léviathan et Béhémoth, symboles des puissances païennes (maritimes ou continentales) hostiles aux Juifs, et la Kabbale (notamment Abravanel) complète ce tableau en affirmant que les deux créatures s’entretuent, cependant que les Israélites assistent au combat puis consomment la chair des deux protagonistes (« Il Leviatano¼ « , in op. cit., pp. 65-72 ; « La Mer contre la Terre », art. cit., p. 137 ; Terre et Mer¼ , op. cit., pp. 23-24). L’idée à laquelle Carl Schmitt fait allusion, entre 1938 et 1942, est transparente : les Juifs tirent les ficelles du conflit entre l’Angleterre et l’Allemagne.

15 Hamlet ou Hécube¼ , op. cit., p. 108.

16 Cf. les textes cités dans les notes 2 et 3.

17 Selon l’expression d’Olivier Beaud, préf. à Théorie de la Constitution, Paris, PUF, 1993, p. 108, trad. de Verfassungslehre (1928).

18 Sur ce point, cf. principalement La notion de politique, op. cit., et les différentes versions de Der Begriff des Politischen ; « Die Ära der integralen Politik », in Schmittiana III, op. cit., pp. 11-16, trad. allemande de « L’era della politica integrale » (1936) ; « Totaler Feind, totaler Krieg, totaler Staat », art. cit. ; « Du rapport entre les concepts de guerre et d’ennemi », corollaire II à La notion de politique, op. cit., pp. 165-176, trad. de « Ueber das Verhältnis der Begriffe Krieg und Feind » (1938) ; Théorie du partisan, op. cit.

19 « Souveraineté de l’État et liberté des mers », art. cit., p. 151.

20 Cf. « La formation de l’esprit français par les légistes », art. cit., pp. 204 et 207 (initialement publié dans la revue Deutschland-Frankreich), ainsi que les deux conférences prononcées à l’Institut allemand de Paris : « La Mer contre la Terre », op. cit., « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit. (initialement parus, l’un dans les Cahiers franco-allemands, l’autre dans Quelques aspects du droit allemand, chez F. Sorlot).

21 L’accès à la correspondance et aux archives de Carl Schmitt à Dusseldorf permettrait sans doute d’apporter des éléments de réponse plus précis et plus sûrs.

22 Théorie du partisan, op. cit., p. 300.

23 Sur ce droit, cf. Raoul Genet, Précis de droit maritime pour le temps de guerre, Paris, E. Muller, 1939, 2 vol.

24 Sur la problématique du bellum justum, cf. La notion de politique, op. cit. ; Die Wendung zum diskriminierenden Kriegsbegriff, op. cit. ; « Neutralité et neutralisations¼ « , art. cit. ; El nomos de la tierra¼ , op. cit. ; Théorie du partisan, op. cit.

25 « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., p. 150.

26 « La Mer contre la Terre », op. cit., p. 140.

27 Cf. Prussianité et socialisme, Paris, Acte Sud, 1986, pp. 53-59.

28 « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., p. 164.

29 Cf. « Totaler Feind, totaler Krieg, totaler Staat », op. cit., pp. 235-237 ; « La Mer contre la Terre », op. cit., pp. 137-141 ; « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., pp. 143-168.

30 Cf. La géographie politique. Les concepts fondamentaux, Paris, Fayard, 1987, recueil de textes choisis par F. Ewald, préf. M. Korinmann, pp. 38-45, 173-187 ; Michel Korinmann : Quand l’Allemagne pensait le monde. Grandeur et décadence d’une géopolitique, Paris, Fayard, 1990, pp. 63-84.

31 Sur les différentes interprétations schmittiennes de la doctrine Monroe, cf. Die Kernfrage des Völkerbundes, op. cit., pp. 72-74 ; « Les formes de l’impérialisme en droit international moderne », art. cit., pp. 82-84 ; « Grand espace contre universalisme », in Du politique¼ , op. cit., pp. 127-136, trad. de « Grossraum gegen Universalismus » (1939), intégré dans Völkerrechtliche Grossraumordnung¼ , op. cit.

32 F. Ratzel, op. cit., p. 77.

33 « Accélérateurs involontaires, ou la problématique de l’hémisphère occidental », art. cit., p. 171.

34 « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., p. 168.

35 Cf. « Grand espace contre universalisme », art. cit., pp. 127-136 ; Völkerrechtliche Grossraumordnung¼ , op. cit., pp. 5-30, 50-67 ; Jean-Louis Feuerbach, « La théorie du Grossraum chez Carl Schmitt », in Helmuth Quaritsch (hrsg), Complexio oppositorum. Über Carl Schmitt, Berlin, Duncker u. Humblot, 1988, pp. 401-418.

36 Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929 (1923), pp. 222-232.

37 « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., p. 161.

38 Ibid., p. 165.

39 Sur la dénonciation schmittienne des « pouvoirs indirects », cf. principalement « Il Leviatano¼ « , op. cit. ; « Führung und Hegemonie », Schmollers Jahrbuch, LXIII, 5, 1939, pp. 513-520 ; « Völkerrechtliche Neutralität und völkische Totalität », art. cit. ; « Neutralité et neutralisations¼ « , op. cit. ; « Entretien sur le pouvoir », Commentaire, n° 32, 1985-1986, pp. 1113-1120, trad. partielle de Gespräch über die Macht und den Zugang zum Machthaber (1954).

40 « La Mer contre la Terre », op. cit., p. 140.

41 Cf. « Totaler Feind, totaler Krieg, totaler Staat », op. cit., pp. 238-239 ; « Die zwei grossen ‘Dualismen’ des heutigen Rechtssystems¼ « , in PuB, op. cit., pp. 261-270 ; « La Mer contre la Terre », op. cit., pp. 137-141 ; « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., pp. 143-168.

42 « Accélérateurs involontaires¼ « , op. cit., p. 171.

43 Deux raisons ont poussé Hitler à déclarer la guerre, conformément aux engagements du Pacte tripartite : primo, l’insistance de la Kriegsmarine à déclencher une guerre maritime vigoureuse contre les Anglo-Américains, en liaison avec le Japon ; secundo, l’hostilité réelle de l’Amérique de Roosevelt -passée de la non-belligérance partiale en faveur de la France et de la Grande-Bretagne à la « guerre non déclarée » contre l’Allemagne, au fil de l’évolution d’une trompeuse législation sur la neutralité, de 1935 à 1941 – et la révélation, à l’initiative du groupe isolationniste au Sénat, du Victory Program, qui montre que les États-Unis se préparent à une guerre totale contre l’Axe (Philippe Masson, Histoire de l’armée allemande 1939-1945, Paris, Perrin, 1994, pp. 189-190).

44 « Accélérateurs involontaires¼ « , op. cit., p. 171.

45 Ibid.

46 Ibid.

47 Ibid., p. 174.

48 Ibid. Sur la notion de Kat-echon ou catéchonte, tirée de la Deuxième Épître aux Thessaloniciens de Saint Paul dans le Nouveau Testament (2,6), cf. « Drei Möglichkeiten eines christlichen Geschichtsbildes », Universitas, V, 8, 1950, pp. 927-931 (paru sous le titre : « Drei stufen historischer Sinngebung »), « L’unité du monde » I et II, trad. de « La unidad del mundo » (1951) et de « Die Einheit der Welt » (1952), in Du politique¼ , op. cit., pp. 225-236 et 237-249.

49 « Accélérateurs involontaires¼ « , op. cit., p. 172.

50 Terre et Mer¼ , op. cit., p. 89.

51 Cf. « Les formes de l’impérialisme en droit international moderne », op. cit., pp. 81-100 ; « Grand espace contre universalisme », op. cit., pp. 127-136 ; « Accélérateurs involontaires¼ « , op. cit., pp. 169-175 ; Terre et Mer¼ , op. cit., pp. 84-86. Après la défaite, les choses s’inverseront : c’est l’Allemagne qui sera considérée comme un Kat-echon, et c’est Hitler qui apparaîtra comme le plus grand « accélérateur involontaire » de l’histoire.

52 Le juriste a pris l’option de « porter à leur point de parfait développement herméneutique pour l’intelligence de l’univers technique et industriel d’aujourd’hui les paragraphes 247 et 248 des Principes de la philosophie du droit de Hegel, qui en sont le germe dans l’histoire des idées », la réflexion marxiste ayant développé, quant à elle, les paragraphes 245 et 246 (Théorie du partisan, op. cit., pp. 290 et 317 ; cf. aussi El nomos de la tierra¼ , op. cit., p. 25).

53 L’analyse de Fernand Braudel s’accorde avec celle de Hegel ou de Carl Schmitt : le grand commerce maritime est l’impulsion fondamentale du capitalisme (cf. Civilisation matérielle, économie, capitalisme, xve-xviiie siècles, tome 3 : Le temps du monde, Paris, Armand Colin, 1979, pp. 302-303, 477-478 et 497-502).

54 « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., p. 154.

55 El nomos de la tierra¼ , op. cit., pp. 49, 209-211.

56 Terre et Mer¼ , op. cit., p. 84.

57 Sur le « cauchemar », dixit Carl Schmitt, de « l’unité du monde », cf. les deux textes cités in Du politique¼ , op. cit., ainsi que Theodor Däublers ‘Nordlicht’¼ « , Berlin, Duncker u. Humblot, 1990 (1916), La notion de politique, op. cit. ; « Nehmen/Teilen/Weiden¼ « , in Ernst Forsthoff, Rechtsstaatlichkeit und Sozialstaatlichkeit. Aufsätze und Essays, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1968 (1953), pp. 95-113 ; « Le nouveau ‘nomos’ de la Terre », art. cit. ; « The Legal World Revolution », Telos, n° 72, pp. 73-89, trad. américaine de « Die legale Weltrevolution » (1978).

58 N. Sombart, op. cit., p. 311.

59 Cf. Staatsgefüge und Zusammenbruch des Zweiten Reiches¼ , op. cit., p. 15 ; « Totaler Feind, totaler Krieg, totaler Staat », op. cit., pp. 238-239 ; « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., pp. 150-151 ; Terre et Mer¼ , op. cit., pp. 81-84 ; El nomos de la tierra¼ , op. cit., pp. 49 et 209-211 ; « Drei Möglichkeiten eines christlichen Geschichtbildes », art. cit., p. 927 ; N. Sombart, op. cit., pp. 311-333.

60 Préf. de 1963 à La notion de politique, op. cit., pp. 53-54.

61 C’est ainsi qu’il qualifie Tocqueville dans un texte inclus dans son volume autobiographique, Ex captivitate salus, Cologne, Greven, 1950, « Historiographie existentielle : Alexis de Tocqueville », trad. de « Existentielle Geschichtsschreibung : Alexis de Tocqueville » (1950), in Du politique¼ , op. cit., pp. 211-214.

62 Cf. « Interrogation of Carl Schmitt by Robert Kempner », Telos, n° 72, été 1987, Special Issue. Carl Schmitt : Enemy or Foe ?, New York, pp. 97-129.

63 Carl Schmitt est l’auteur, après 1945, d’une œuvre de « recueillement » mais aussi d’ »impénitence » (pour reprendre l’expression de Joseph Rovan à propos d’Ernst von Salomon, préf. à Le questionnaire, Paris, Gallimard NRF, 1982 (1951), p. IX).

64 Cf. principalement El nomos de la tierra¼ , op. cit. ; Théorie du partisan, op. cit.

65 Pp. 51-62 de la trad. française, op. cit.

66 Ibid., p. 52. Le savant en donne trois exemples : les conquêtes d’Alexandre le Grand, l’Empire romain du ier siècle après J.-C., les croisades médiévales.

67 Ibid., p. 66.

68 Cf. « La Mer contre la Terre », op. cit., pp. 137-141 ; « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., pp. 143-168 ; Terre et Mer¼ , op. cit., pp. 51-67.

69 C’est un hymne « à la gloire de la baleine et de ses chasseurs » que lance Carl Schmitt, s’inspirant de Michelet et de Melville, au début de Terre et Mer¼ (op. cit., pp. 32-36).

70 Ibid., p. 69.

71 Cf. « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit. ; « La formation de l’esprit français par les légistes », op. cit. ; El nomos de la tierra¼ , op. cit.

72 « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., p. 152.

73 Terre et Mer¼ , op. cit., pp. 50-51.

74 Cf. Les origines du droit international, Bruxelles-Paris, A. Castaigne/ Thorin & Fils, 1894, pp. 379-386.

75 Ce qu’on a appelé la « bataille [académique et patriotique] des fondateurs » du droit des gens (cf. Peter Haggenmacher, « La place de Francisco de Vitoria parmi les fondateurs du droit international », in Actualité de la pensée juridique de Francisco de Vitoria, Journées d’études organisées par le Centre Charles de Visscher pour le droit international, les 5-6 décembre 1986, Bruxelles, Bruylant, 1988, pp. 27-80).

76 El nomos de la tierra¼ , op. cit., pp. 216-218. La Convention sur le droit de la mer signée à Montego Bay le 10 décembre 1982 a étendu la souveraineté de l’État côtier à 12 milles marins, plus une zone économique exclusive (ZEE) de 188 milles au-delà de la limite extérieure, d’où le bouleversement des principes anciens (en témoigne l’abondante littérature juridique) et l’annexion par les États de vastes espaces marins (cf. Hérodote, n° 32, 1/1984, « Géopolitiques de la mer »).

77 Terre et Mer¼ , op. cit., p. 78.

78 In N. Sombart, op. cit., p. 312 ; « La Mer contre la Terre », op. cit., p. 138.

79 « La Mer contre la Terre », op. cit., p. 140 ; « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., p. 162 ; Terre et Mer¼ , op. cit., p. 79.

80 « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., p. 162.

81 Sur l’État et le caractère interétatique du droit des gens européen (qui n’exclut pas les institutions transnationales), cf. principalement Théorie de la Constitution, op. cit. ; « Éthique de l’État et État pluraliste », trad. de « Staatsethik und pluralistischer Staat » (1930), in Parlementarisme et démocratie, Paris, Seuil, 1988, préf. P. Pasquino (recueil de 6 textes de 1923 à 1931), pp. 129-150 ; Hugo Preuss¼ , op. cit. ; La notion de politique, op. cit. ; Scritti su Thomas Hobbes, op. cit. (en français, « L’État comme mécanisme chez Hobbes et Descartes », Les Temps modenes, 1991, pp. 1-14, trad. de « Der Staats als Mechanismus bei Hobbes und Descartes », 1937) ; « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit. ; « La formation de l’esprit français par les légistes », op. cit. ; El nomos de la tierra¼ , op. cit. ; Hamlet ou Hécube¼ , op. cit.

82 Cf. Michel Foucher, Fronts et frontières. Un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1988.

83 Cf. « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., pp. 145-150 ; El nomos de la tierra¼ , op. cit., p. 150 ; O. Beaud : La puissance de l’État, Paris, PUF, 1994, pp. 121-125. Plus largement, Carl Schmitt, à l’encontre d’une pensée juridique étrangère à l’espace (celle de Kelsen ou de Scelle), entend montrer la relation fondamentale entre l’ordre (Ordnung) et le lieu (Ortung), entre le droit (Recht) et l’espace (Raum) ; cf. Völkerrechtliche Grossraumordnung¼ , op. cit. ; Terre et Mer¼ , op. cit. ; El nomos de la tierra¼ , op. cit. ; « Nehmen/ Teilen/Weiden¼ « , art. cit.

84 Terre et Mer¼ , op. cit., p. 74. Cf. « La mer contre la Terre », op. cit., pp. 137-141 ; « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., pp. 143-168 ; Terre et Mer¼ , op. cit., pp. 17-80.

85 Terre et Mer¼ , op. cit., pp. 62-63.

86 Cf. El nomos de la tierra¼ , op. cit., pp. 33-47.

87 Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, Carl Schmitt exprime le dépit allemand de ne pas avoir acquis et conservé (après 1919) un empire colonial (centre-africain) digne de ce nom (cf. Völkerrechtliche Grosssraumordnung¼ , op. cit., pp. 54-59 ; El nomos de la tierra¼ , op. cit., pp. 268-269).

88 Cf. El nomos de la tierra¼ , op. cit., pp. 24-25, 202-220 et 407-418 ; « Le nouveau ‘nomos’ de la Terre », op. cit., pp. 165-169.

89 Terre et Mer¼ , op. cit., p. 83.

90 « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., p. 168.

91 Terre et Mer¼ , op. cit., p. 88 ; Raymond Aron : Paix et Guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1984 (1962), p. 214.

92 Sur la « dimension aérienne », cf. Die Wendung zum diskriminierenden Kriegsberiff, op. cit., p. 43 ; Terre et Mer¼ , op. cit., pp. 89-90 ; El nomos de la tierra¼ , op. cit., pp. 24-25 et 418-428 ; « Le nouveau ‘nomos’ de la Terre », op. cit., pp. 168-169 ; Théorie du partisan, op. cit., pp. 281-282.

93 Cf. Volkerrechtliche Grossraumordnung¼ , op. cit., pp. 59-67 ; « La Mer contre la Terre », op. cit., pp. 141-142 ; « Souveraineté de l’État et liberté des mers », op. cit., pp. 148 et 168 ; « La formation de l’esprit français par les légistes », op. cit., p. 210 ; Terre et Mer¼ , op. cit., pp. 80-90 ; El nomos de la tierra¼ , op. cit., pp. 210-220 ; « Le nouveau ‘nomos’ de la Terre », op. cit., pp. 165-169.

94 Sur la guerre froide, cf. « L’unité du monde » I et II, op. cit. ; « Nehmen/ Teilen/Weiden¼ « , op. cit. ; « Le nouveau ‘nomos’ de la Terre », op. cit. ; « Die planetarische Spannung zwischen Ost und West und der Gegensatz von Land und Meer », art. cit. ; « Die Ordnung der Welt nach dem Zweiten Weltkrieg », Schmittiana II, pp. 11-30, trad. allemande de « El orden del mundo despuès la Segunda Guerra mundial » (1962) ; Théorie du partisan, op. cit. ; « The Legal World Revolution », art. cit. Sur la correspondance entre l’antagonisme russo-américain et la confrontation puissance continentale/ puissance maritime, cf. Hervé Coutau-Bégarie, « Pour une analyse historique et géopolitique de la puissance maritime », Hérodote, n° 32, pp. 67-74.

95 « Le nouveau ‘nomos’ de la Terre », op. cit., p. 165.

96 « Die Ordnung der Welt nach dem Zweiten Weltkrieg », art. cit., pp. 12-27.

97 Pour parler comme Heidegger.

98 En essayant implicitement de réhabiliter l’armée allemande confrontée aux partisans russes.

99 « Die planetarische Spannung¼ « , op. cit., pp. 20-40. Sur Castex, cf. H. Coutau-Bégarie, art. cit., pp. 66-67 ; La puissance maritime. Castex et la stratégie navale, Paris, Fayard, 1985, « La dialectique castexienne de la terre et de la mer », pp. 219-248.

100 Sur ce thème, cf. principalement La notion de politique, op. cit., ainsi que Heinrich Meier, Carl Schmitt, Léo Strauss et la notion de politique. Un dialogue entre absents, Paris, Commentaire/Julliard, 1990.

101 Cf. « L’unité du monde » I et II, op. cit., pp. 225-236 et 237-249 ; « Le nouveau ‘nomos’ de la Terre », op. cit., pp. 165-169 ; « Die planetarische Spannung¼ « , op. cit., pp. 20-40 ; « Die Ordnung der Welt¼ « , op. cit., pp. 12-27.

 

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