Nul ne peut refuser aux bassins hydrographiques le rôle qu’ils assument dans la caractérisation et même dans la délimitation de certaines régions. Comme pour les bassins hydrographiques, avec le réseau de leurs composants, ils façonnent physiographiquement et économiquement la région qu’ils couvrent.
C’est un fait, il y a des régions qui ne débordent pas des limites du bassin du fleuve qui les a parcourues et modelées. Les caractères géographiques des régions environnantes n’ont pas la faculté de pouvoir écouler les produits. Rien ne neutralise les forces concentriques engendrées par le réseau hydrographique, par le bassin lui-même. Une sorte de fatalisme entraîne toutes choses.
Cependant, les exceptions à ce cas général sont chaque fois plus nombreuses. Dans la plupart des cas, il faut tenir compte des circonstances déterminantes voisines et de leur faculté d’intervention en tant que réels facteurs géographiques, modificateurs du dynamisme centripète des bassins hydrographiques.
Ces facteurs sont beaucoup plus fréquents et complexes qu’on peut le penser à première vue, si on considère, outre les autres caractéristiques, l’influence croissante que les moyens de communication exercent dans les domaines étendus de la géographie politique.
Le Brésil de La Plata et celui de l’Amazone nous offrent deux exemples profondément différents ; il sont dans une telle situation géographique qu’ils constituent, avec le littoral atlantique qui nous intéresse, l’expression même de l’influence continentale du Brésil.
Actions neutralisantes sur le bassin de La Plata
Le Brésil de La Plata nous donne un exemple frappant des actions neutralisantes s’exerçant sur le pouvoir concentrique des bassins hydrographiques.
On sait que le Rio de La Plata possède trois de ses principaux affluents dont les cours supérieurs sont en territoire brésilien. Ce sont l’Uruguay, le Parana et le Paraguay qui naissent sur notre territoire ; de plus, trois des principaux affluents de la rive orientale du Parana proviennent de contreforts occidentaux de la Serra do Mar.
On connaît également les efforts considérables de la politique des communications de La Plata proprement dite : d’un côté, l’exploration systématique des voies fluviales eu égard aux moyens de transport, au drapage et au régime portuaire ; de l’autre, la prise en compte des liaisons ferroviaires qui doublent les communications fluviales. L’étude, même superficielle, d’une carte argentine, depuis qu’on s’occupe sérieusement de la question de la complémentarité des communications fluviales et ferroviaires, montre facilement à quel point le pouvoir concentrique du bassin de La Plata se trouve renforcé.
Ce renforcement répond par lui-même aux tendances centrifuges qui menacent le bassin de La Plata.
En premier lieu, c’est la situation défavorable de l’embouchure du Rio de La Plata, laquelle, pour une simple question de latitude, devient secondaire, notamment par rapport aux ports de Santos et de San Francisco. Après l’emprise argentine sur La Plata, les pays « méditerranéens » (Paraguay et Bolivie) aimeraient disposer de nouvelles voies pour atteindre l’Atlantique.
Enfin, les liaisons ferroviaires brésiliennes, malgré les hésitations de notre politique de communications routières et les nombreuses causes de désintégration, deviennent de plus en plus importantes dans l’économie du pays.
Cette dernière raison nous paraît avant tout avoir un caractère déterminant dans cette politique. Cependant, la très précaire ligne de Sâo Paulo à Rio Grande, si nous tenons compte d’autres éléments, joue bien son rôle d’épine dorsale du Brésil de La Plata. Son existence, doublant la route maritime et les liaisons par fer avec le littoral (Sâo Paulo – Santos, Ponta Grossa – Paranagua, Porto da Uniâo – S. Francisco, Santa Maria – Porto Alegre, S. Gabriel – Rio Grande), pour le moins, empêchent l’influence de La Plata de s’exercer librement sur le territoire brésilien. Le Nord-Ouest complète le tableau, amenant à la proximité de Corumba les voies ferrées brésiliennes, au bord même du Rio Paraguay, dont elles avaient cessé depuis longtemps d’être les tributaires et avec lesquelles nous avons déjà commencé à entrer en compétition, sinon économiquement, du moins politiquement.
L’oeuvre est à peine ébauchée.
Il faut à nouveau consolider la ligne S. Paulo – Rio Grande, augmenter son rendement et relier l’océan au Parana, prolongeant les lignes de Ponta Grossa au port de Guaira et de Porto de Uniâo à la Foz d’Iguassu ; il faut aussi consolider le Nord-Ouest dans tous les sens du terme et l’amener au niveau de pouvoir subir dans de bonnes conditions l’écoulement des produits « méditerranéens » du Paraguay et de la Bolivie.
Il ne fait aucun doute que ce sont des tentatives très importantes pour lesquelles ce qui existe se maintient difficilement. Mais c’est un devoir politique qui incombe au Brésil, non seulement du point de vue national mais aussi continental.
Le fatalisme géographique des bassins hydrographiques est encore un des préjugés de la vieille géographie divisée en secteurs étanches : physique, économique, politique, etc. Cependant, dans les domaines de la science géographique, il n’y a pas place pour le fatalisme. Elle est la science intégrale par excellence. Le cas du bassin de La Plata et des voies de communication du sud du Brésil en sont la preuve patente.
Potentiel centripète de l’Amazonie
Le bassin amazonien, à l’inverse de celui de La Plata, est le vrai cas typique des bassins hydrographiques, lesquels sont d’eux-mêmes capables de caractériser une région.
Sa sphère d’influence prend des proportions considérables, non seulement du fait de l’étendue du territoire qu’elle embrasse, mais aussi par la diversité des conditions géographiques qu’elle renferme.
Pour le sud, par le Rio Madeira, elle atteint le cœur du haut plateau bolivien avec les trois principaux affluents de ce fleuve qui sont le Mamoré, le Beni et le Madre de Dios. Il faut se souvenir que ces deux derniers peuvent transmettre des influences de caractère transandin, puisque leurs vallées sont proches du Col de Santa Rosa.
L’Ouest offre, face au Seuil de Pasco, deux vallées de caractère andin par le développement longitudinal de leurs cours ; ce sont celle de Ucaiali et celle du cours supérieur du Maranhâo. Il est inutile d’insister sur l’importance de cette dernière étant donné l’influence politique et économique du territoire péruvien. Il faut encore citer le Putumayo, sur la route directe du Seuil de Pasco, centre de dispersion qui, lui-même, définit l’instabilité géographique du quart Nord-Ouest du continent et dont la vallée de ce fleuve pourra mener à l’Atlantique.
Il est intéressant de rappeler le rôle que le Rio Negro est appelé à jouer dans cette même instabilité géographique, soit par son affluent, le Aupès, lequel prolonge sa zone d’influence indirectement jusqu’au cours supérieur de l’Orénoque et du Magdalena, soit par sa haute vallée vers le Rio Guania, lequel reçoit le Cassiquiare qui est tributaire de l’Orénoque. Il ne fait aucun doute que le Rio Negro répercute avec une exceptionnelle force l’influence du Putumayo sur le centre de dispersion (Seuil de Pasto), caractéristique de l’instabilité géographique contemporaine.
Dans le nord, le Rio Branco, dans son cours supérieur, s’approche des sources du Rio Caura, affluent de l’Orénoque et le Trombetas, auquel s’ajoute le Peru, convergent vers le haut plateau où paissent les plus beaux troupeaux de l’Amérique du Sud.
Ce tour d’horizon que nous venons de faire montre bien le degré, l’extension et la variété des influences du bassin amazonien.
En premier lieu, ces influences exercent une attraction déterminante sur les deux grandes instabilités géographiques continentales : le haut plateau bolivien et le centre de dispersion colombien. Elles représentent en particulier la véritable force de cohésion, donnant à l’immense cours de l’Amazone le rôle de pendule régulateur des fluctuations de ces territoires.
En second lieu, son influence se fait sentir à travers les passages andins sur les vallées elles-mêmes de la Cordillère ou même sur le versant du Pacifique.
Pour ce qui est du haut plateau bolivien, le Madeira-Mamoré est un facteur qui a permis à l’Amazonie d’avoir une capacité de transport ; de son côté la route de Yungas à La Paz a canalisé les forces économiques provenant du Col de santa Rosa.
Le Seuil de Pasco avait déjà commencé à jouer son rôle fonctionnel dans le système des passages andins. Nous avons là la ligne mixte Lima – Iquitos par Ucaiali et Iquitos doté d’une base aérienne de premier ordre.
Il reste les rios Putumayo et Negro, dont les vallées attendent la baguette magique que sont les transports modernes pour entrer définitivement en fonction.
Il nous paraît que rien ne convient plus à l’Amazonie que de lui donner la fonction de pôle centripète.
Il revient au Brésil de prendre conscience de son extraordinaire réalité géographique ; le Brésil dispose du cours de l’Amazone, moyen d’amener dignement le dénouement de tout le drame économique qu’on prépare dans les coulisses du superbe théâtre amazonien, que nous venons de parcourir à grandes enjambées sur une carte géographique.