Après avoir jeté un coup d’œil à la masse continentale sud-américaine, même si ce n’était pas à dessein, pensons au rôle que pourrait jouer le territoire brésilien qui possède une façade maritime dont l’étendue est de plus des deux tiers des côtes du continent, des terres du versant atlantique dont le dynamisme hydrographique est déterminant d’après ses deux régions essentielles : le bassin de La Plata et celui de l’Amazone.
Pour en apprécier le rôle, il est avant tout nécessaire de passer en revue notre propre territoire lui-même, observant sa réelle manière d’être et, ensuite, tirant des conclusions sur des possibilités fonctionnelles en relation avec le reste du territoire continental.
Les discussions approfondies étaient fréquentes au sujet de la nature de notre unité géographique, nature que les uns veulent considérer comme étant intangible alors que d’autres la voit comme parfaitement discutable.
Les opinions varient depuis l’idée qui voudrait que le territoire brésilien soit une juxtaposition d’innombrables « mésopotamies », découpé par les fleuves comme si c’était un curieux archipel continental, allant jusqu’à l’exagération de prétendre tout rassembler dans le massif central de notre régime orographique.
Dans le premier cas, on oublie le caractère rassembleur des deux voies fluviales et, dans le second, on met de côté la caractéristique centrifuge du massif brésilien comme point de dispersion des eaux ainsi que le caractère excentrique de la vallée amazonienne qui, évidemment, échappe aux possibles influences unificatrices de ce massif.
Selon notre façon de voir, il n’est pas nécessaire d’atteindre un de ces extrêmes. Selon les critères de la science géographique moderne, l’unité d’un territoire ne doit pas seulement se définir du strict point de vue de la géographie physique.
Rares, bien rares seront les pays qui disposent d’une unité territoriale indiscutable du point de vue physiographique. Voir jusqu’où le territoire en question permet à la géographie politique de le comprendre dans une véritable nation est une démarche nécessaire.
Et, sous cet aspect, on ne peut refuser au territoire brésilien ses points positifs, malgré tous ses accès et malgré toutes ses contradictions apparentes.
« Régions naturelles » brésiliennes
Pour en avoir une idée, il suffit que nous fassions appel aux « régions naturelles » comprises à l’intérieur de nos frontières.
Le problème des régions naturelles créé par les tendances intégrantes de la géographie moderne est, en lui-même, une question complexe.
Il s’agit, en présence d’un territoire dont le complexe géographique a été étudié, d’établir le regroupement des régions dans lesquelles se manifestent des phénomènes déterminés, de manière à faire la synthèse de l’analyse qui a été établie auparavant.
Comme on le voit, ce n’est pas un problème facile. D’un côté, les critères qui servent de base à la définition des « régions naturelles » sont multiples et comprennent toutes les conditions géographiques. On est contraint de distinguer ceux des critères qui sont vraiment caractéristiques, c’est-à-dire, ceux qui doivent prévaloir en tant que règles à observer pour définir les regroupements en « régions naturelles ». D’un autre côté, des difficultés existent dans le monde moderne qui circonscrivent les questions de délimitation de quelques régions. L’intensité et la complexité des intérêts économiques et la multiplicité des moyens de transports ne respectent pas les limites, aussi bien définies soient-elles. Les cours des fleuves représentent les axes le long desquels se concentre l’économie ; les grandes lignes de partage des eaux (crêtes) sont traversées par tous les moyens de passage : voie ferrée à crémaillère, tunnel ; plus tard le moteur à explosion a permis le franchissement de ces lignes par l’avènement du plus lourd que l’air.
Quand on doit envisager le problème des « régions naturelles » sous l’angle des caractéristiques géographiques du Brésil – dont l’aspect particulier, qui est l’allongement de notre territoire dans le sens des méridiens, complique grandement la question -, on se sent, en fait, confronté à un redoutable problème.
Sur ce sujet, nous ne connaissons rien de plus exact que la théorie du professeur Delgado de Carvalho, à savoir que le Brésil est composé de quatre « régions naturelles » : le Brésil amazonien, le nord-est sub-équatorial, le versant oriental des hauts plateaux et le Brésil de La Plata.
Étant donné les difficultés du problème, le professeur Delgado non seulement laisse évidemment imprécises les limites de ces « régions naturelles », mais il admet qu’il puisse y avoir dans chacune d’elles des « sous-régions naturelles ».
Cependant, la définition de ces « régions naturelles » est suffisante pour qu’on puisse apprécier les critères grâce auxquels il a été possible de les caractériser.
Il y a en effet :
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le Brésil amazonien comprenant une région de montagne (massif granitique des Guyanes), la dépression amazonienne (bassin de l’Amazone et de ses affluents) et la Hilheia (région des forêts) ; | |
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le Nord-Est sub-équatorial, incluant le golfe du Maranhâo (sorte de transition de l’Amazonie), la cuvette du Parnaiba, les hauteurs et plaines du versant Nord-Est (régions semi-arides), le littoral, la forêt et la zone sauvage de Pernambouc (limitée par le cap San Roque, l’estuaire du San Francisco et la Serra de Borborema) ; | |
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le versant oriental des hauts plateaux comprenant le littoral de Bahia à Espiritu Santo (incluant les bassins du Paraguasu, du Jequitinhonha et du Doce) et la région des plaines (partie haute), la vallée du San Francisco, le sud minier et la vallée du Paraiba ; | |
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le Brésil de La Plata englobant la côte ou contre-versant océanique (entre l’Atlantique et la Serra do Mar), la région de montagne (Serra do Mar et Geral), la région du haut plateau (alternance de champs et de forêts, région des affluents orientaux du Parana), la campagne du Rio Grande et la dépression du Mato Grosso. |
Donc, dans son ensemble, le Brésil ne représente rien de plus naturel que ces grandes divisions accompagnées de leurs respectives subdivisions. Ainsi, le professeur Delgado de Carvalho, grâce à la plus sage des méthodes, nous conduit vers un Brésil moins confus et compréhensible dans son immense structure géographique.
Rôle fonctionnel de ces « régions naturelles »
Grâce à ces excellents fondements, en mettant en avant les facteurs politiques, nous allons formuler une synthèse de la géographie du Brésil.
Tout d’abord, nous devons admettre qu’il existe deux immenses ensembles allant jusqu’aux régions les plus reculées de la partie centrale du continent ; ces ensembles représentent tous deux, les vrais territoires de pénétration ayant pour base le littoral atlantique. Ce sont le Brésil amazonien et le Brésil de La Plata.
Le Brésil amazonien débouche directement dans l’océan par le fleuve de l’Amazone, sa voie naturelle. Sa capacité de pénétration est des plus étendue puisque la vallée du fleuve est, en fait, le grand collecteur de cet immense amphithéâtre qui s’incurve de Caracas à La Paz.
Le Brésil de La Plata, bien qu’il exige des moyens artificiels pour se jeter dans l’océan, dispose de ports représentant une suffisante capacité d’attraction sur la côte ainsi que des actions stimulantes provenant des deux pays « méditerranéens » qui, naturellement, réagissent contre la force centripète de La Plata : le sud du Matto Grosso, prolongeant les territoires de Sâo Paulo et du Parana, représente sa force de pénétration.
De cet effort de pénétration et de contraction du littoral qui correspond à chacun des ensembles que ce soit le Brésil amazonien ou le Brésil de La Plata il en résulte qu’ils deviennent plus ou moins excentriques, surtout le Brésil amazonien.
Si nous considérons également l’extension et la nature des frontières terrestres avec les pays hispano-américains (importantes pour le Brésil de La Plata et qui le sont plus ou moins pour le Brésil amazonien) et la prédominance économique du versant atlantique sur celle du versant pacifique, l’importance déterminante de ces deux Brésils demeure évidente dans les vastes domaines que sont la politique interne et la politique continentale.
Les deux Brésils représentent deux régions convergentes en relation avec le centre géographique du continent (haut plateau bolivien), soit par des moyens artificiels (port de Santos – réseau de chemin de fer de Sâo Paulo – Nord-ouest), soit par des voies des plus naturelles telles que celles du bassin de l’Amazone.
En second lieu, on doit considérer les deux autres « régions naturelles » : le versant oriental des hauts plateaux et le Nord sub-équatorial, qui se prolongent de manière à justifier l’appellation que nous leur donnons de « Brésil longitudinal » dénommé ainsi parce qu’il établit la liaison entre deux immenses régions : le Brésil amazonien et le Brésil de La Plata. À la longue étendue de côte en forme d’arc qui va de Guanabara au golfe de Sâo Luiz, correspond, comme si c’était sa corde, une ligne terrestre jalonnée par les hautes et moyennes vallées de Sâo Francisco et du Parnaiba.
Je précise que, d’une façon excentrique par la voie maritime et d’une façon concentrique par les voies terrestres, le rôle fonctionnel de ces contrées est de relier, d’homogénéiser, de fondre les deux régions essentielles, du point de vue continental, ou de celui de La Plata, ou encore de celui de l’Amazonie.
En fait, l’histoire le confirme magistralement. La voie maritime a assuré en de multiples occasions notre unité politique et les voies terrestres, avec un va-et-vient de gens de Sâo Paulo jusqu’aux confins du Piaui, ont aidé les tentatives de l’expansion fondatrice de l’unité sociale et économique brésilienne.
On a beau penser que notre unité géographique est chancelante, il est avéré qu’elle est sûrement fondée sur deux types de phénomènes : 1) actions convergentes du Brésil de La Plata et du Brésil amazonien sur le centre géographique du continent considéré comme l’objectif commun ; 2) efforts pour unir les deux extrémités divergentes de ces mêmes tentatives sur la bande littorale, sur les « régions naturelles » comme nous les appelons, dans le contexte du Brésil longitudinal.
Nous constatons l’existence de développements dans le Nord-Est et la réalité du miracle dans le Madeira-Mamoré ; le trafic du réseau de chemin de fer de Sâo Paulo et l’activité portuaire de Santos, comme aussi les flux de transport sur l’Amazone, sont des réalités en tant que voies de pénétration. Quant aux liaisons entre ces voies, nous avons celle qui va de Sâo Luiz à Terezina et la route de Petrolina à Paulista, comme aussi les prolongements ferroviaires qui atteignent déjà la frontière de Minas tentant d’aboutir au réseau de Bahia, sans compter les lignes de cabotage et celles du trafic aérien, tout cela constituant de sérieux efforts pour donner une réalité pratique aux tendances géographiques que nous venons de définir.
Le jour où ces tendances pourront être suffisamment satisfaites, tous les fantasmes disparaîtront comme par enchantement et notre unité géographique sera définitivement établie au point qu’on ne pourra plus la discuter, au moins avec les excès qui marquent encore de telles controverses.
Dans la vraie acception du terme, nous n’avons pas besoin d’unité géographique, mais il nous manque la traduction politique des facteurs qui expriment cette unité à travers le Brésil longitudinal.