Chapitre 7 – Des considérations plus opérationnelles

Section 1 – Clausewitz et les principes de la guerre

Nous en arrivons maintenant à une thématique plus particulière de l’utilisation de Clausewitz par le discours stratégique américain. Cette thématique est celle des « principes de la guerre ». En effet, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la fin de la guerre du Vietnam, le nom de Clausewitz est régulièrement associé aux principes. Cette association mérite un commentaire d’ordre général. Le fait de placer Clausewitz en regard des principes revient aisément à raccrocher le Prussien à la promotion de la bataille d’anéantissement. Cette idée trouve une racine commune dans la formation d’une sorte de paradigme de la guerre napoléonienne dont Clausewitz et Jomini se seraient faits les exégètes.

Aujourd’hui, les principes de la guerre sont plus volontiers attribués à Jomini. Un bref rappel historique peut être utile sur ce point.[1] Au milieu du XVIIIe siècle, les individus vivent une période d’émancipation par rapport à l’autorité politique et à l’Eglise. Cette période est faste en découverte. C’est durant cette époque que la méthode empirique se développe. Les empiristes observent la réalité et tentent d’en dégager des lois universelles. Ils définissent les lois comme des relations qui existent entre deux phénomènes naturels. De nombreux penseurs militaires vont tenter d’étudier l’art de la guerre selon cette méthode. Des éléments mathématiques et topographiques constitueront la base de cette réflexion. Parmi les principaux propagateurs de la méthode, il faut bien entendu citer Lloyd, Bülow, l’archiduc Charles, etc.

Cette école dite géométrique va s’opposer à celle des « romantiques ». Les « romantiques », comme Georg von Berenhorst, refusent la formalisation de Lloyd et proposent d’étudier l’art de la guerre selon des notions de génie, de moral, de chance, etc. Jomini et Clausewitz se sont tout deux rebellés par rapport aux idées des deux écoles, mais restent néanmoins liés à ces courants. L’approche de Jomini est nettement plus formaliste que celle de Clausewitz. Jomini définit un corpus de concepts : lignes stratégiques, points stratégiques, pivots des opérations, lignes de manœuvres, etc. Ce corpus rappelle malgré tout celui de Lloyd, de Bülow et de l’archiduc Charles. Clausewitz insiste davantage sur les phénomènes intangibles, tel le moral.[2] Le discours stratégique américain va attribuer une filiation directe entre l’approche géométrique de Lloyd et celle, par principes, de Jomini. Le Suisse n’aurait fait qu’expliciter plus clairement les conceptions de Lloyd.[3]

Mais en quoi consiste exactement les principes de la guerre ? Ils se présentent actuellement sous forme d’une liste de mots-clef dont le nombre est variable. Chacun de ces mots est censé donner des indications aux officiers sur la manière de conduire une opération. On peut établir une filiation entre les principes modernes et ce que les stratégistes plus anciens nommaient des « maximes ».

Au sein de l’U.S. Army, les principes existent officiellement depuis 1904. Néanmoins, ils étaient déjà enseignés en 1800 dans les académies militaires. En 1921, ils sont incorporés dans une sorte de discours qui les replace dans un contexte. Ils ne prennent la forme connue aujourd’hui qu’en 1949.[4] A titre illustratif, le tableau ci-dessous compare les principes repris par plusieurs armées. Dans ce tableau, la liste américaine date de 1968.[5]

U.S.A.

G.B. / Australie

France

U.R.S.S.

Israël

Chine

Objectif

Sélection et maintenance du but

Avance et consolidation

Objectif

Sélection et maintenance du but

Simplicité

Initiative et flexibilité

Unité de commandement

Coopération

Combinaison des armes

Coordination

Offensive

Action offensive

Offensive

Initiative et Offensive

Action offensive

Manœuvre

Flexibilité

Liberté d’action

Manœuvre et initiative

Continuation et Perpétuation

Liberté d’action et mobilité

Concentration

Concentration des forces

Concentration de l’effort

Concentration

Concentration de l’effort

Concentration des forces

Economie des forces

Economie de l’effort

Economie des forces

Profondeur et Réserve

Surprise

Surprise

Surprise

Surprise et tromperie / leurage (Deception)

Stratagème

Surprise

Sécurité

Sécurité

Réserves adéquates

Sécurité

Sécurité

Maintenance du moral

Moral

Moral

Moral

Administration

Administration

Anéantissement

Epuisement des forces ennemies (Exhaustion)

 

 

C’est en effet en 1968 que les principes sont repris dans le manuel FM 100-5 Operations of the Army Forces in the Field. On y retrouve les principes d’objectif, d’offensive, de concentration – mass -, d’économie des forces, de manœuvre, d’unité de commandement, de sécurité, de surprise et de simplicité.[6]

Plusieurs remarques s’imposent quant à la réception et l’évaluation des principes au sein des forces armées américaines. Tout d’abord, dans le discours stratégique américain de l’après-guerre, il faut constater que les réflexions sur les principes sont souvent « importées » ; les principes sont principalement évoqués dans des reproductions d’articles étrangers.[7] Parallèlement, le nom de Clausewitz se retrouve, durant cette période, le plus souvent dans des reproductions d’articles étrangers.[8]

Un autre constat s’impose. Les principes sont appliqués à tout ce qui touche à la chose militaire, de près ou de (parfois, très) loin. Ainsi la démocratie est présentée comme dixième principe car elle seule serait en mesure de perpétuer une paix durable.[9] Les principes sont également évoqués dans le cadre de la stratégie navale à partir de Mahan.[10] On les retrouve aussi pour les opérations de renseignements, à condition de leur donner une certaine flexibilité.[11] On en discute dans le domaine de la guerre psychologique, où ils seraient encore tout aussi valides.[12] Et bien entendu, ils sont applicables à tous les niveaux de la guerre et même à la Grand Strategy / National Security Strategy. Par conséquent, on juge les principes valables en temps de paix comme en temps de guerre. Cela convient particulièrement à la situation bâtarde de la guerre froide.[13] De plus, après légère adaptation, on les adoptera aussi bien au champ de bataille nucléaire que pour des opérations de faible intensité.[14]

Ensuite, certains articles donnent un poids particulier à l’un ou l’autre des principes. Parfois, les principes ainsi discutés ne sont pas officiellement reconnus. Les auteurs construisent alors leur raisonnement autour du principe en question. Les autres principes, « découlant assez logiquement » du premier, s’articulent de manière subsidiaire. Le principe de destruction des forces ennemies, et non de possession de terrain, est parfois mis en exergue. Ce principe peut être nuancé ; c’est la volonté de l’ennemi qu’il faut vaincre plutôt que d’envisager la destruction physique brutale. Ailleurs les mécanismes de décision adverse représentent le principe d’objectif. Ou encore, on souligne le rôle de l’économie des moyens, de la confiance personnelle, de la concentration. Bref, l’ensemble de ces facteurs militaires sont ramenés à un mot-clef présenté sous forme de principe.[15] Ainsi, à titre d’exemple, on prendra un article qui mettait en évidence le poids prépondérant de l’initiative.[16] Dans ce texte, l’initiative est donnée comme le prérequis de l’offensive, de la surprise et de la manœuvre. Pour l’auteur, la manœuvre est essentielle à une époque où le champ de bataille peut rapidement devenir nucléaire. En effet, le manque de flexibilité et de souplesse peut causer des dégâts substantiels aux unités qui ne sont pas en mesure de se déplacer et de se disperser.

De la remarque précédente découle une constatation supplémentaire : le discours stratégique américain considère que les principes de la guerre sont modifiables. D’une part, les principes sont considérés comme une forme de sagesse stratégique héritée de longue date. D’autre part, on admet qu’ils ne sont pas des dogmes. Ils constitueraient plutôt une espèce de guide flexible d’action. Ils sont flexibles car les principes évolueront en fonction de la technique – facteur souvent mentionné à ce propos. L’avènement de l’arme nucléaire a ainsi remis en question l’objectif de destruction des forces ennemies, soit l’anéantissement, chez plusieurs commentateurs des principes.[17]

Ensuite, il faut se demander quelles sont les sources des principes. On a déjà noté précédemment que les principes de la guerre étaient avant tout liés à l’approche jominienne. En effet, de nombreux auteurs raccrochent les principes soit à Jomini, soit à Mahan. L’influence de Jomini chez Mahan est par ailleurs bien connue.[18] Toutefois, plusieurs autres auteurs classiques de la stratégie sont mentionnés. Le nom de Machiavel revient régulièrement quant le commandement est évoqué.[19] Sun Zi n’est pas non plus dédaigné. Il sert aussi à mettre en évidence un style de guerre indirect, moins « sanglant » que celui de Clausewitz.[20] Clausewitz, lui-même, est régulièrement cité. Il est courant de voir son nom assimilé non seulement à l’approche jominienne, mais également au maréchal Foch.[21]

En fait, un des articles probablement le plus intéressant publié à propos des principes de la guerre a paru dans la Military Review en 1961. Cet article était signé par l’historien anglais John Keegan. Pour lui, Clausewitz développait bien un embryon de principes de la guerre dans On War. Mais quoi qu’il en soit, John Keegan s’avère très critique envers les principes. Il pense que leur validité est sans cesse remise en cause car leur signification est obscure, qu’ils se contredisent et qu’ils changent de signification en fonction du contexte et de l’attitude que l’on nourrit à leur égard. Après tout, pour Keegan, la guerre n’est que ce que l’on en fait.[22] Il est vrai qu’il est aisé de montrer les contradictions possibles entre principes. Dans un article publié en 1964 dans la Military Review, un auteur note qu’un commandant doit faire preuve d’initiative. En plus de cela, le commandant doit aussi se montrer prudent, mais pas indécis.[23] Ces conseils peuvent paraître élémentaires, mais s’ils sont poussés à leur extrême, ils en viendront à se confronter. Prendre l’initiative va souvent de paire avec les notions d’offensive voire d’agressivité. En temps de guerre, cela peut rapidement confiner au manque de prudence. En d’autres termes, les principes ne constituent pas un étalon suffisamment précis pour donner le sens de la mesure. Plus récemment, Peter Paret écrira que les principes ont le désavantage de souvent se contredire entre eux et de difficilement s’appliquer à des situations contingentes. Les principes subissent donc très régulièrement des modifications, parfois très surprenantes.[24]

On ajoutera encore que les principes ne sont pas intrinsèquement dynamiques. La plupart des articles consultés partent d’une liste de principes, ou éventuellement d’un seul principe, et place cette liste ou ce principe dans un contexte. Sans ce contexte, la liste s’avère d’assez peu de valeur. C’est par le travail de contextualisation qu’ils prennent leur pleine signification. Pour ce faire, les auteurs se servent des principes pour analyser les actions sur un champ de bataille. Ils peuvent également éclairer leur fonction en établissant des liens entres eux.

Paradoxalement, et cela a déjà été déjà brièvement mentionné, le nom de Clausewitz revient souvent dans les discussions sur les principes. Quoi de plus étrange que de voir le nom de Clausewitz à côté d’une conception quasi positive de la guerre – telle que les principes l’affichent. Clausewitz et son Traité sont avant tout connus pour une approche non-dogmatique. Le Traité reste un ouvrage très touffu, où chaque partie renvoie à une autre partie, où la cohérence interne est très forte. En résumé, le livre donne l’opportunité de pratiquer une analyse dynamique des conflits (ce point paraîtra encore plus flagrant dans notre discussion sur l’impact des théories de la complexité, voir infra). Comment, dans ce cas, expliquer l’association de Clausewitz avec les principes ?

Indéniablement, le nom de Clausewitz, lorsqu’il est cité dans le cadre des principes de la guerre renvoie à son mémorandum à l’usage du Prince de Prusse.[25] Ce texte était généralement adjoint, sous forme d’annexe, aux éditions allemandes de Vom Kriege.[26] Ainsi, vu que On War est inachevé, nombre de lecteurs ont pensé qu’il valait mieux se référer aux Principles.[27]

Parfois, l’opinion est plus réservée à ce sujet. Ainsi, pour le lieutenant colonel Campbell du Corps des Marines il est faux d’assimiler Clausewitz aux principes de la guerre. Mais quoi qu’il en soi, pour lui, Clausewitz ne se serait pas opposé à la liste en vigueur dans les forces armées américaines.[28] Il est vrai que les principes ne sont, à cette époque, pas reconnus officiellement par l’U.S. Navy.[29] Ils sont par contre utilisés par les avocats de l’Airpower.[30]

Section 2 – La stratégie – art ou science ?

La question de savoir si la stratégie est un art ou une science est une question connexe. En effet, les principes sont un premier pas vers une approche plus scientifique ou plus positive de la guerre. On admettra toutefois qu’ils sont plus souvent évoqués en regard de l’art de la guerre que d’une science pure et dure. Toutefois, la démarche jominienne, qui cherche à découvrir des lois qui sous-tendraient le chaos ambiant de la guerre, ouvre la voie à une attitude rationalisante à l’extrême. Jomini place au second plan les facteurs inhérents à l’humain et ne reconnaît pas véritablement les limitations théoriques possibles. On peut trouver un point commun entre cette vision et celle qui vise à développer une science de la guerre, composée de lois et permettant de prédire l’action.

Cette tendance s’exprime particulièrement dans le discours stratégique américain au travers de son pragmatisme très marqué.[31] Ce pragmatisme met en avant un comportement en faveur de l’utilisation directe de toute forme de réflexion. Dans ce contexte, les nombres, chiffres et calculs rendent les résultats plus concrets, mais aussi plus proches d’un modèle dit de « science dure ». Bien que Clausewitz paraisse irréductible à une telle approche – dans un sens étroit – certains textes combinent Clausewitz avec le postulat scientifique. Par exemple, dans un article de la Military Review daté de 1948, on évoque Clausewitz en ce qui concerne la nécessité d’une réflexion saine sur la conduite de la guerre. Parallèlement, l’auteur exige une activité militaire basée sur des prémisses « scientifiques ».[32] Les tenants de l’approche « scientifique » de la guerre font aussi appel aux mathématiques. Neumann et Morgenstern sont, par exemple, cités. Leurs travaux permettraient d’élargir le spectre de la stratégie à toutes interactions entre deux personnes ou plus.[33] Notons aussi, symboliquement, que les écrits du général Beaufre sont appréciés pour les formulations de type algébrique.[34]

Bernard Brodie participa aussi à ce débat. Dans un premier temps, il écrit un article insistant sur la nécessité de développer une science de la stratégie. Cette science ne pourrait être basée sur les principes de la guerre car ceux-ci sont perpétuellement remis en cause, entre autres par les évolutions technologiques. Ici, il prend nettement position à l’encontre d’une frange du discours stratégique qui lit bien dans les principes un apport scientifique à part entière.[35] Ensuite, il constate que s’il existe bien des embryons de théorisation dans la pensée classique – il cite Mahan, Jomini, Clausewitz, Corbett -, elle s’adresse surtout à l’exécution de la bataille et pas assez aux facteurs en amont de la guerre, principalement la mobilisation des ressources. L’auteur pense que les outils économiques, comme l’utilité marginale, peuvent aider à comprendre cet élément du conflit. Ecrit pendant la guerre froide, dans une période de rivalités inter-services, l’auteur vise surtout une bonne gestion des ressources dont disposent les Etats-Unis.[36] Ultérieurement, Brodie semblera se montrer de plus en plus sceptique quant à l’apport économico-managérial dans les problèmes de défense.[37] En fait, le point de vue général de Brodie quant à l’apport respectif des différents outils théoriques utilisés par le stratégiste est très bien explicité dans La guerre nucléaire – Quatorze essais sur la nouvelle stratégie américaine (1965), ouvrage à destination d’un public français, jamais publié aux Etats-Unis sous cette forme (le livre est une compilation d’articles traduits). Ici, l’auteur reprend la réflexion développée dans Strategy as a Science et la replace dans un contexte plus large, écrivant un essai d’épistémologie stratégique. Brodie montre qu’il désire appréhender la stratégie en tant que discipline scientifique dans un sens large et pas étroitement lié aux « sciences dures ». Pour l’auteur britannique Ken Booth, Brodie perdra l’aspiration de faire de la stratégie une science après la rédaction de ce texte.[38] L’essai de Brodie s’avère pourtant symptomatique. Il y constate que ses collègues utilisent diverses approches pour traiter du sujet ; économique, mathématique, physique, etc. Par contre l’histoire est peu pratiquée – il constitue lui-même une certaine exception à cet égard. Quoi qu’il en soit, pour lui : […] dans les analyses qui ont pour but de fixer une politique il importe beaucoup plus de tenir soigneusement compte des nombreux facteurs et circonstances qui pourraient affecter ou transformer notre problème que de pousser à un haut degré de complexité mathématique et économique les méthodes analytiques appliquées pour lui trouver une solution qui soit valable en toutes hypothèses.[39] Et l’auteur d’évoquer ensuite le rôle du « bon sens ».

Dans le même essai, Brodie pense que théoriser la stratégie nécessite d’abord des prérequis théoriques et de rompre autant que possible avec les jugements de valeur. Une étape supplémentaire consiste à reconnaître les limitations inhérentes à la nature des choses, et la personnalité du chercheur. Les objets sont en effet complexes et l’expérience a des bornes. La « quantité » de savoir et d’intelligence de l’analyste n’est pas non plus infinie. Le rôle du chercheur consiste donc à remettre un peu d’ordre dans le chaos de la réalité. Brodie prêche, et fait preuve, d’une grande modestie intellectuelle.

En fait, dans sa biographie de Bernard Brodie, Barry H. Steiner a bien montré comment le chercheur a d’abord été fortement tenté par des approches assez scientifiques et économiques des études stratégiques à la fin des années quarante. Mais la toute puissance de ces approches au sein de la RAND Corporation finit par le mettre mal à l’aise. Brodie pensait qu’il était difficile d’aborder l’évolution des moyens nucléaires par les mêmes outils théoriques. Par conséquent, il s’intéressa de plus en plus largement à l’histoire militaire, à l’apport de Clausewitz mais aussi à la psychologie.[40]

Section 3 – Quelle place pour l’histoire militaire ?

Clausewitz a légué un certain nombre de préceptes méthodologiques quant à l’utilisation de l’histoire militaire. Dans le discours stratégique américain, on trouvera aussi des constatations sur l’utilisation de l’histoire. Toutefois, toutes ces constatations ne s’accordent pas toujours en droite ligne avec les prérequis de Clausewitz. Souvent, le modèle empiriste lié à l’approche des principes de la guerre prévaut.

En associant Clausewitz aux principes de la guerre, P.M. Robinett met l’emphase sur la méthode clausewitzienne de l’étude historique : retracer les effets jusqu’à leurs causes et se servir de l’histoire pour tester des propositions, de manière à en tirer des leçons.[41] Le même auteur propose de retourner aux auteurs classiques en vue d’étudier l’histoire militaire. Ici, Clausewitz est cité aux côtés de Mahan, Douhet, Fuller, Jomini, Sun Zi mais aussi de ceux qui ont écrit sur les conditions d’émergence de la guerre, soit Vattel, Machiavel, Grotius, etc. [42]

La méthode de Clausewitz est aussi utilisée avec une certaine subtilité dans un guide sur l’étude de l’histoire militaire. La méthode consiste à : (1) pratiquer une enquête historique, (2) retracer les effets à leurs causes, (3) critiquer les opérations passées, soit tester des propositions en évaluant la relation entre moyens et fins, et se servir de l’histoire comme outil pédagogique, principalement par des exemples. Dans ce cas, il n’est pas indiqué de terminer l’opération en faisant ressortir des principes, l’histoire étant trop contingente pour cela. Dans ce manuel, Clausewitz est aussi mis à contribution quant à la notion d’esprit de corps. Ici l’histoire s’avère instrumentalisée, sous les apparences de « formation identitaire », en vue de créer la cohésion des unités.[43] Notons aussi que le bilan des études stratégiques académiques va être critiqué sur base de l’absence d’importance qu’elles conférèrent à l’histoire jusque dans les années 70. Clausewitz sert de faire-valoir à cette opinion.[44]

[1] Sur l’histoire des principes, voir : Alger J.I., The Quest for Victory – The History of the Principles of War, (foreword by Gen. F.J. Kroesen), Wesport and Londres, Greenwood, 1982, 318 p.

[2] Howard M., « Jomini and the Classical Tradition in Military Thought », dans Howard M. (dir.), The Theory and Practice of War, op. cit., pp. 5-20.

[3] Elting J.R., « Jomini: Disciple of Napoleon? », Military Affairs, printemps 1964, p. 25.

[4] L’armée britannique a fait de même. J.F.C. Fuller établit une liste de huit principes, sur base de la correspondance de Napoléon. Ils sont ensuite élevés à onze, puis revu à la baisse à neuf. Ils sont adoptés en 1923. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils sont de nouveau onze. Murry W.V., « Clausewitz and Limited Nuclear War », Military Review, avril 1975, pp. 17 ; Campbell J.W., « Evolution of a Doctrine: The Principles of War », Marine Corps Gazette, décembre 1970, pp. 39-42. La discussion sur les principes de la guerre par J.F.C. Fuller se retrouve dans : Fuller J.F.C., The Foundations of the Science of War, Londres, Hutchinson & Co., s.d. (1926), 335 p. et dans un article publié anonymement, « The Principles of War With References to the Campaigns of 1914-15 » dans le Journal of the Royal United Institute Service en 1916.

[5] Sur base de Murry W.V., art. cit., pp. 15-28 ; pour la liste chinoise (cette liste semble être une adaptation assez libre) : Starry D.A., « The Principles of War », Military Review, septembre 1981, pp. 2-12 ; pour la liste israélienne : Lanir Z., « The ‘Principles of War’ and Military Thinking », The Journal of Strategic Studies, mars 1993, p. 3. Une autre liste est proposée pour les principes français : concentration des efforts, économie des forces et liberté de manœuvre, à partir de réflexions sur les travaux de Foch. Voir Mathey J.M., Comprendre la stratégie, Paris, Economica, 1995, pp. 22-23.

[6] U.S. Department of the Army, FM 100-5, Operations of the Army Forces in the Field, Washington D.C., septembre 1968, Chapter 5, Section 1, 5-3 ; 5-11.

[7] Voir par exemple : Canadian Chiefs of Staff Committee, « The Principles of War », Military Review, octobre 1948, pp. 88-89 (initialement publié dans la Canadian Army Journal, décembre 1947) ; Anon., « Principles of Modern Warfare », Military Review, novembre 1948, pp. 101-104 (initialement publié dans le Royal Air Force Quarterly, janvier 1948) ; Watson S.G., « The Principles of War as Applied by England, the United States, and Russia », Military Review, avril 1951, pp. 86-89 (adapté d’un article initialement publié dans The Army Quarterly, avril 1950) ; et un article confrontant deux officiers, l’un britannique, l’autre indien : Wright M.J.W. (British Army) & Nazareth (Indian Army), « Two Views on the Principles of War », Military Review, février 1961, pp. 26-36.

[8] Postel C., « Occupation and Resistance », Military Review, décembre 1948, pp. 98-101 (initialement publié dans Forces Aériennes Françaises, avril 1948) ; Chassin L.M., « The General Characteristics », Military Review, pp. 92-96 (initialement publié dans Informations Militaires, 10-25 mai 1948) ; Pereiro da Conceiçao A. (Brazil), « Strategy Was Never a Purely Military Science », Military Review, avril 1951, pp. 96-100 (initialement publié dans Revista Militar, février-mars 1952) ; Kveder D. (Yugoslav Army), « Territorial War – The New Concept of Resistance », Military Review, juillet 1954, pp. 46-58.

[9] Reinhardt G.C., « The Tenth Principle of War », art. cit., pp. 22-26.

[10] Carney R.B., « Principles of Sea Power », Military Review, février 1956, pp. 3-17.

[11] Platt W., « The Nine Principles of Intelligence », Military Review, Februray 1957, pp. 33-36.

[12] Connolly R.D., « The Principles of War and Psywar », Military Review, mars 1957, pp. 37-46.

[13] Eliot G.F., « Principles of War – Hot or Cold », Military Review, décembre 1956, pp. 3-9.

[14] Lathrop A.B., « Principles of War in the Nuclear Age », Military Review, juin 1959, pp. 21-27 ; Wallace J.A., « The Principles of War in Counterinsurgency », Military Review, décembre 1966, pp. 72-82.

[15] Edmond E.V.B., « The First Principle of War », Military Review, février 1961, pp. 12-15 ; Thacher C.W., « Destruction – A Factor in War », Military Review, mars 1953, pp. 33-41 ; Harris W.J., « Decision », Military Review, avril 1956, pp. 33-42 ; Robinett P.M., « Economy of Means », Military Review, février 1954, pp. 3-8 ; Hunt I.A. Jr., « Confidence – The Surest Pledge of Victory », Military Review, mai 1957, pp. 50-53 ; Battreall R.R. Jr., « Mass a Principle of War », Armor, janvier-février 1954, pp. 22-25.

[16] Devins J.H., « … the Initiative », Military Review, novembre 1961, pp. 79-85.

[17] Connolly R.L., « The Principles of War », Military Review, mai 1953, pp. 22-32 (initialement publié dans United States Naval Institute Proceedings, janvier 1953) ; Falwell M.L., « The Principles of War and the Solution of Military Problems », Military Review, mai 1955, pp. 48-62 ; Huston J.A., « Re-examine the Principles of War », Military Review, février 1956, pp. 30-36 ; Beaumont R.A., « The Principles of War Revisited », Military Review, décembre 1972, pp. 63-69

[18] Voir à propos de la relation Mahan-Jomini : Colson Br., « Jomini, Mahan et les origines de la stratégie maritime américaine », dans Coutau-Bégarie H. (éd.), L’évolution de la pensée navale, Paris, FEDN, 1990, pp. 135-151 et id.., La culture stratégique américaine, op. cit., pp. 189-201. Voir aussi : Ageton A.A., « Are the Lessons of History no Longer Valid? », Military Review, février 1953, pp. 40-50.

[19] Greaves F.L., « Machiavellian Views on Leadership », Military Review, janvier 1976, pp. 26-33 ; Hunt I.A. Jr., art. cit., pp. 50-53.

[20] Harris W.J., « Decision », Military Review, avril 1956, pp. 33-42 ; Thacher C.W., art. cit., pp. 33-41 ; Connolly R.L., art. cit., pp. 22-32 (initialement publié dans United States Naval Institute Proceedings, janvier 1953).

[21] Lippman G.J., « Jomini and the Principles of War », Military Review, février 1959, pp. 45-51 ; Skelly F.H., « The Principles of War », Military Review, août 1949, pp. 15-20 ; Falwell M.L., art. cit., pp. 48-62.

[22] Keegan J.D., « On the Principles of War », Military Review, décembre 1961, pp. 61-72.

[23] Paolini M.G., « The Fourth Rule », Military Review, juillet 1964, pp. 37-52.

[24] Paret P., « Napoleon and the Revolution in War », dans Paret P., Makers of Modern Strategy, op. cit., p. 141.

[25] Clausewitz C. von, Principles of War, op. cit. Rappelons que les Principles avait été écrits par Clausewitz avant que celui-ci quitte la Prusse pour s’engager au service du Tsar en 1812. Les principes avait été rédigés dans le but de former le prince Frédéric Guillaume, qui deviendra le roi Frédéric Guillaume IV (1840-1858). Plusieurs critiques considérèrent que les Principles constituaient le fondement, voire le résumé, de On War. Cette opinion est inexacte, bien que l’on y retrouve quelques concepts que Clausewitz réutilisera dans On War. Clausewitz insiste par ailleurs sur l’insuffisance du document qui ne devrait que servir à stimuler et servir de guide à la réflexion du prince. Voir le commentaire de Christopher Bassford à l’édition électronique des Principles sur le site www.clausewitz.com/.

[26] Paret P., « Clausewitz – A Bibliographical Survey », art. cit., p. 275.

[27] Magathan W.C., art. cit., pp. 3-12.

[28] Campbell J.W., « Evolution of a Doctrine : The Principles of War », art. cit., p. 41-42. L’auteur note que la liste des principes est reconnue dans le Corps des Marines par le document FMFM 6-3 sur le bataillon d’infanterie.

[29] Connolly R.L., art. cit., pp. 22-32.

[30] Smith D.O. (with Barker J.DeF.), « Air Power Indivisible », art. cit., pp. 5-18.

[31] A propos du pragmatisme, voir Pickett G.B., « The Impact of Philosophy on National Strategy », Military Review, septembre 1957, pp. 59-61.

[32] Rogens H.H., « Scientific Intelligence in Modern Warfare », Military Review, juin 1948, pp. 27-31.

[33] Maxwell A.R., « This Word Strategy », Air University Review, vol. VII, n°1, 1954, pp. 66-74.

[34] Kreeks R.G., art. cit., pp. 34-40. Beaufre écrit que la formule générale de la stratégie est S= kF t : k est un facteur spécifique du cas particulier, F représente les forces matérielles, les forces morales et t le temps. Beaufre A., Introduction à la stratégie, Paris, Armand Colin, 1963, p. 117.

[35] Voir : Brodie B., Strategy in the Missile Age, op. cit., p. 24 ; voir aussi du même auteur « Some Notes on the Evolution of Air Doctrine », World Politics, avril 1955, p. 349-370 ; sur l’opinion selon laquelle les principes s’apparentent à une approche scientifique de la guerre, voir par exemple : Kendall M.W., « Tactics: The Art and the Science », Infantry, juillet-août 1965, pp. 13-20 ; id., « Tactics the Science », Infantry, septembre-octobre 1965, pp. 11-20.

[36] Brodie B., « Strategy as a Science », World Politics, vol. I, n°4, pp. 465-488.

[37] Id., « The McNamara Phenomenon », World Politics, juillet 1964, pp. 672-686. Voir aussi, avec référence à Clausewitz: Miewald R.D., « On Clausewitz and the Application of Force », Air University Review, juillet-août 1968, pp. 71-78.

[38] Booth K., « Bernard Brodie », dans Baylis J. & Garnett J., op. cit., p. 23. Notons que l’article de Booth dresse de nombreux parallèles entre Clausewitz et l’Américain.

[39] Brodie B., « Les stratèges scientifiques américains », dans La guerre nucléaire – op. cit. (citation p. 31). Dans cet ouvrage, l’auteur critique encore Jomini : Il n’y avait pas eu de véritable grand auteur de stratégie depuis la mort en 1831 de Karl von Clausewitz, le plus grand de tous, et celle du mercenaire suisse, Antoine-Henri Jomini, auteur de moindre envergure mais d’une grande influence […]. (p. 11). Par ailleurs, il nous paraît quelque peu étrange que Brodie pense que Foch ne laissa pas intervenir de raisonnements mathématiques sur la puissance de feu (p. 12). On retrouve bel et bien des considérations mathématiques chez l’officier français – même si leur valeur est très discutable (voir par exemple la fameuse discussion sur la puissance de l’offensive en rapport avec l’augmentation de la puissance de feu : Foch F., Des principes de la guerre, Conférences faites en 1900 à l’école de guerre – Sixième édition, Nancy-Paris-Strasbourg, Berger-Levrault, 1919, p. 31. Le point de vue de Foch fut toutefois qualifié « d’abracadabra mathématique » par J.F.C. Fuller dans The Conduct of War – 1789-1961, Londres, Eyre-Methuen, 1972 (1961), p. 123). Notons aussi que Brodie fait preuve de considération à l’égard de la théorie des jeux qui permet de représenter le comportement de l’ennemi, vision non unilatérale de la stratégie, tout le contraire des principes de la guerre (p. 31).

[40] Steiner B.H., Bernard Brodie and the Foundations of American Nuclear Strategy, op. cit., pp. 195-225.

[41] Robinett P.M., « Advantages to Be Derived from the Study of American Military History », Military Review, juin 1951, pp. 28-31 ; id., « Observations on Military History », Military Review, décembre 1956, pp. 34-40.

[42] Id., « The Study of American Military History », Military Review, avril 1956, pp. 43-49.

[43] Department of the Army Pamphlet n°20-200, The Writing of American Military History – A Guide, juin 1956, Washington D.C., pp. 56-57 et pp. 2-4.

[44] Coles H.L., « Strategic Studies Since 1945: the Era of Overthinking », Military Review, avril 1973, pp. 3-16.

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