Chapitre sept. L’Héritage des Aviateurs Lafayette

La cérémonie d’inauguration du Mémorial de l’Escadrille Lafayette le 4 juillet 1928 a attiré 10.000 spectateurs ; 10.000 visiteurs supplémentaires sont venus le mois suivant. 1 Dès juillet 1929, le Mémorial recevait un moyenne de 3.600 visiteurs par mois. 2 Pour la petite histoire, les nombres officiels de visiteurs pour l’Escadrille Lafayette pour la première année d’existence étaient les suivants :

 

1928

septembre : 6.112

octobre : 3.252

novembre : 2.280

décembre : 2.013

1929 :

janvier : 1.207

février : 817

mars : 3.757

avril : 4.320

mai : 5.328

juin : 5.383

juillet : 5.242

Total : 39.711 3

 

Ces nombres sont très respectables et représentent un flot régulier de visiteurs les douze premiers mois de l’existence du Mémorial. Cependant, dans les années qui ont suivi, le nombre de visiteurs a chuté de façon abrupte. En dehors des cérémonies occasionnelles du Jour du Mémorial ou autres occasions officielles, le mémorial est négligé. On pouvait compter « un clairon et trois autres personnes », disait un des Membres de la Fondation de l’Escadrille Lafayette. 4 La Fondation du Mémorial Lafayette a indiqué que le nombre de visiteurs a chuté pour arriver à moins de 300 par ans, en ce compris toutes les cérémonies et parades militaires. Une fois encore, l’analogie du Mémorial oublié revient à l’esprit.

 

* * *

Paul Rockwell a un jour écrit s’agissant de l’Escadrille Lafayette :

 

« Aucune nouvelle de guerre ou aventure exotique ne peut se comparer en termes d’intérêt avec la bonne vraie histoire du petit groupe d’Américains qui s’étaient portés volontaires pour combattre pour la France dans les premiers jours de la Guerre Mondiale. Les écrivains de fiction n’ont rien imaginé de plus palpitant et de plus héroïque que les actions de certains de ces hommes, et ne peuvent pas dépeindre de moments plus grands ou plus émouvants que ceux que ces hommes ont vécus ; les mots ne peuvent pas décrire la fatigue, les épreuves et la souffrance, mieux que ce qu’ils ont connu. »5

 

L’histoire des Aviateurs Lafayette est captivante, mais leur gloire s’est-elle effacée ? Comme un historien se lamentait : « Leur célébrité s’est très lentement effacée et un des plus grandes histoires américaines de dévouement pour la liberté et de courage moral a été enterrée dans l’obscurité. » 6

Il est évident que les hommes Lafayette ont connu une certaine part de célébrité et de reconnaissance immédiatement après la guerre, comme en témoigne le nombre de visiteurs au mémorial en 1928. Mais qu’est-ce qui a fait que leur célébrité s’estompe et que leur histoire devienne obscure ? Il apparaît que les aviateurs Lafayette étaient en grande partie responsables de n’avoir pas protégé leur propre héritage.

 

Après la Guerre

 

La désillusion et le désespoir rencontrés après la Première Guerre Mondiale par l’Europe et le Monde ont créé une réaction brutale par rapport à toutes les choses associées à la guerre. Ce sentiment s’est infiltré dans les sociétés et les cultures entre les deux grandes guerres. Les gens voulaient oublier les horreurs des tranchées et des millions de morts.

Il n’y avait aucun système en place à même d’aider les soldats qui revenaient comme c’est le cas à présent. La notion de « syndrome post traumatique » n’existait pas et on attendait des soldats qu’il recommencent leur vie où ils l’avaient laissée. Il n’y avait pas de groupe d’assistance, pas d’administration de vétérans, aucune façon pour ces hommes de revenir et de vivre une vie normale dans la communauté. Pour les hommes qui s’étaient battus et qui avaient volé pendant quatre longues années, le retour à une vie normal était quelque chose de difficile à appréhender. Pour les hommes de l’Escadrille Lafayette, personne ne les attendait en Amérique. « Comment une personne peut-elle patrouiller jour après jour au dessus de l’enfer de Verdun ou de la Somme et en revenir indemne ? Cette expérience devait s’infiltrer, contaminer et pénétrer la vie et les rêves jusqu’à la fin » indiquait un survivant de l’Escadrille. 7 Nombre d’aviateurs pensaient avec raison que l’industrie de l’aviation allait se développer et que peut-être le futur se trouvait là. Mais il y avait des milliers de pilotes et il n’y avait pas de travail. « Restez là bas : Ne revenez pas ! Il n’y a rien ici, au moins vous avez un travail ! » conseillait un pilote à ses camarades qui étaient toujours stationnés en France après la guerre. 8

Cependant, les hommes ne pouvaient pas rester dans le service ; comme dans tous les pays, la grande mobilisation américaine était terminée et les grandes armées devaient être démantelées.

Pour que l’héritage de l’Escadrille Lafayette survive avec l’image que les survivants voulaient lui garder, c’était alors largement à eux de l’encourager et de le préserver. Cependant, les survivants de l’Escadrille Lafayette ne se sont pas donné la peine de le faire principalement faute d’effort et de coordination. Aussi, lorsque l’unité a été démantelée, et ses membres éparpillés dans d’autres unités, seul un petit nombre s’est retrouvé dans le 103ème Escadron de Poursuites Aériennes. Le manque de cohésion des membres de l’escadrille provenant de l’éclatement de l’escadron en février 1918 a coûté à l’Escadrille Lafayette. Le manque de contact entre les hommes a continué longtemps après la guerre. Les hommes se sont brièvement réunis en 1928 pour l’inauguration du Mémorial mais cette réunification n’a pas engendré l’impulsion nécessaire à raison principalement de l’aigreur et de l’amertume et des différends entre l’Escadrille Lafayette et le Corps d’Aviation Lafayette. Ce n’est que longtemps après que les survivants de l’Escadrille Lafayette se sont réunis, leur effectif étant inférieur à dix. Mais l’effort était trop mince et trop tardif, mené par des hommes qui n’avaient plus beaucoup de temps à vivre.

 

« Les Prétendants »

 

Manquant de cohésion et d’inspiration entre les guerre, les membres n’ont pas fait grand chose pour soutenir la réputation ou l’histoire. Excepté l’Association du Mémorial de l’Escadrille Lafayette fondée en 1923, et par la suite la Fondation du Mémorial Lafayette fondée en 1930, aucune association, organisation ou groupe n’existait pour protéger ou unifier les hommes de l’Escadrille Lafayette après la guerre.

Malgré le manque de cohésion, les membres de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation Lafayette ont constaté avec dérision, perplexité et dégoût l’existence d’une liste grandissante de « prétendants » ou poseurs prétendant faire partie de l’Escadrille Lafayette. Cette liste d’hommes prétendant avoir servi avec l’Escadrille Lafayette a compté jusqu’à 4.000 personnes – cent fois le nombre originel des membres de l’Escadrille. 9

Une partie du problème provenait de la confusion des différences entre l’Escadrille Lafayette et le Corps d’Aviation Lafayette. Certains considéraient toute personne ayant servi dans l’aviation comme étant un membre. Une partie de cette confusion était compréhensible étant donné que les membres de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation eux-mêmes n’étaient pas exactement surs des hommes qui trouvaient dans leurs rangs, comme on l’a constaté au vu des problèmes de la liste d’honneur pour le Mémorial. Ceux qui n’étaient pas excusables étaient la liste plus longue d’hommes du Congrès, d’artistes, d’auteurs, de vagabonds, d’arnaqueurs, d’escrocs et d’hommes de toutes sortes qui n’avaient rien à faire à prétendre être membres de la fameuse Escadrille. Même l’auteur renommé William Faulkner a à un moment prétendu avoir été membre de l’unité, prétendant qu’il avait volé pour la fameuse unité, alors qu’en réalité il avait rejoint l’Armée de l’Air canadienne et n’avait jamais quitté le Canada.10

Certains des prétendants étaient inoffensifs, d’autres ont causé beaucoup de tort. Un homme a prétendu être tout bonnement Andrew Courtney Campbell de retour parmi les vivants. Le vrai Campbell avait été abattu et était mort derrière les lignes ennemies, bien que son corps n’ait jamais été retrouvé. Ce prétendant a utilisé cette information pour mettre sur pied une arnaque lamentable ; il a prétendu qu’il avait été abattu et fait prisonnier par les Allemands. Cependant, à raison de ses blessures, il souffrait d’amnésie et il avait été relâché par les Allemands et s’était promené à travers l’Europe avant de réaliser finalement qui il était. Il a utilisé cette arnaque pour des raisons financières et était même marié à une femme de bonne famille quand cette arnaque a été mise à jour. Les membres de l’Escadrille Lafayette menés par Rockwell ont pourchassé cette fraude et ont démasqué l’homme. Une partie du témoignage utilisé contre lui a été déposé par l’Allemand qui avait abattu Campbell pendant la guerre. L’officier allemand avait suivi l’avion de Campbell et vérifié qui était le pilote qu’il avait abattu, ce qui n’était pas inhabituel. 11

Un autre homme accusé d’une multitude de crimes, avait prétendu comme moyen de défense devant le Tribunal qu’il était un membre de la fameuse Escadrille Lafayette. Il avait indiqué que son tableau de guerre était impeccable et qu’il avait été blessé ; qu’il était le fameux pilote qui avait volé sous l’Arc de Triomphe en 1919. Le Tribunal sans vérifier ses dires l’a cru et a considéré et toute bonne foi que personne ne mentirait au sujet d’une telle chose. L’homme a été acquitté de 28 des 29 chefs d’accusation portés contre lui. Il n’a été démasqué que longtemps après son procès. 12

Paul Rockwell, Charles Dolan, Harold Willis et Edwin Parsons ont fait de leur mieux au fil des années pour démasquer des charlatans quand ils se présentaient, mais c’était un effort frustrant et difficile. Le problème plus important est que leurs actions étaient réactives et que depuis le temps que la fraude avait été perpétrée, en général le tort avait déjà été fait quant au nom de l’Escadrille Lafayette. Il ne fait aucun doute que la prolifération de prétendants et poseurs a contribué à déprécier le nom de l’Escadrille Lafayette tout en causant du tort à la réputation des héros Lafayette.

 

Les Ratés de l’Escadrille Lafayette

 

L’Escadrille Lafayette n’avait pas besoin de prétendants pour souiller son nom, alors que plusieurs de ses propres membres causaient des problèmes. Rockwell et d’autres ont passé une grande partie de leur temps à défendre la réputation de l’unité vis à vis des membres mêmes de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation Lafayette.

Bert Hall avait fait parler de lui, comme il l’avait prédit. Depuis son départ de l’unité, il avait poursuivi une carrière intéressante ponctuée de crimes, de fraudes et de temps de prison. Il a écrit une œuvre intitulée « The Issues » qui a été publiée par un magazine, dans laquelle il décrivait les membres de l’Escadrille Lafayette comme des escrocs, et des mécréants. Le livre sordide décrivait les hommes de l’unité comme étant un groupe d’inadaptés sociaux et il a causé un tumulte parmi les anciens membres de l’Escadrille ; mais il était trop tard, le dommage était fait. Paul Rockwell était toujours visiblement contrarié à ce sujet 40 ans plus tard lors d’une interview sur le Programme d’Histoire Orale sponsorisé par l’USAF. Il était toujours furieux et indiquait que Hall avait causé un tort irréparable à la réputation de l’unité. Il est ironique de constater que – ce qui était sans doute prévisible – Hall s’est fait prendre à cause d’une escroquerie et d’un détournement. Il s’est rendu en Chine à de nombreuses occasions et prétendant utiliser son influence de retour aux Etats Unis pour mettre en place une expédition d’armes à un chef militaire chinois, il s’est arrangé pour que celui-ci, crédule,  lui remette plusieurs centaines de milliers de dollars. Constatant que l’expédition attendue n’arrivait pas, le chef militaire chinois a fait suffisamment de bruit pour que Hall soit arrêté et condamné. Il a purgé deux ans et demi de prison. Il représentait vraiment ce qu’il y avait de pire sans l’Escadrille Lafayette. 13

D’autres membres du Corps d’Aviation Lafayette avaient également eu des démêlés avec la justice, rajoutant encore à la notoriété de l’unité. Un homme du nom de Edgar Pouligny a tué sa femme par balle. Un autre homme du nom de William Frey était un déserteur aux yeux des Français et il a été forcé de vivre en cavale. Certains se sont suicidés. Certains ont été internés. D’autres ont été répertoriés comme des ratés alcooliques  – fauchés, ivres et manqués.14

 

Les Aventures Inspirées par l’Escadrille Lafayette entre les Guerres

 

L’héritage des aviateurs de Lafayette a eu un impact positif car il y a eu des tentatives pour rétablir les escadrons de volontaires comme l’Escadrille Lafayette entre les  guerres mondiales. Dans tous les cas, l’Escadrille Lafayette était spécifiquement mentionnée comme source d’inspiration. Certains d’entre eux sont devenus célèbres ; d’autres étaient même moins connus que l’Escadrille.

En 1919, la Pologne, pays nouvellement créé, devait combattre pour son indépendance contre l’invasion des Russe Bolcheviks. Un Polonais Américain de Chicago du nom de Merian C. Cooper a demandé et reçu l’accord du Gouvernement polonais pour former ce qui devait s’appeler « l’Escadron Kosciuszko ». Baptisée en l’honneur de l’officier polonais qui avait combattu  pour les Américains durant la Révolution, c’était une unité de 17 avions qui venait de Pologne, constituée entièrement par des Américains.15

Bien longtemps avant que l’Amérique n’entre dans la Seconde Guerre Mondiale contre l’Allemagne, des Américains volontaires volaient avec la Royal Air Force (RAF). On les appelait les Aigles de la RAF et ils étaient largement inspirés de l’Escadrille Lafayette. En Chine, les Tigres Volants ont été formés par le Général Chennault et ont reçu une approbation tacite et le support du Gouvernement américain pour combattre les Japonais pour défendre la Route Burma. L’Escadrille Lafayette a également été citée comme modèle ; sa célébrité devait finir par éclipser l’Escadrille Lafayette. 16

Les efforts simultanés et indépendants pour reformer l’Escadrille Lafayette actuelle ont commencé au début de la Seconde Guerre Mondiale en 1939. Un effort a été fait par un soldat de fortune du nom  de Charles Sweeny et l’ancien pilote Lafayette Edwin Parsons ; Paul Rockwell et Harold B. Willis ont mené l’autre effort. Tous deux se tramés dans le plus grand secret. ; cependant, tous deux ont avorté pour des raisons différentes. Pour ce qui est de Parsons, il avait fait enregistrer des hommes qui se rendaient en France pour l’entraînement lorsque le FBI les a stoppés et arrêtés, démantelant d’unité à sa naissance. Aucune charge n’a été retenue. Paul Rockwell et Willis étaient arrivés à Paris. Il en étaient à la phase de planning et de recrutement lorsque les Allemands ont envahi Paris, mettant fin à leur plan.17 Si ces deux expériences de l’Escadrille Lafayette avaient été un succès, elles auraient peut-être été une aubaine pour les membres originels de l’Escadrille Lafayette et leur héritage aurait été sauvé.

 

Hollywood

 

En 1958, un ancien membre du Corps d’Aviation Lafayette du nom de William W. Wellman a fait un film au sujet de l’Escadrille Lafayette. Malheureusement, l’opportunité de faire revivre l’histoire du réel héroïsme et de la valeur de l’Escadrille Lafayette a été anéantie par la création de Wellman, un film terrible, insouciant et non-fidèle. Les espoirs que le film apporte à l’Escadrille Lafayette le soutien nécessaire pour sa célébrité se sont évaporés lorsque des bruits de couloir, avant le lancement officiel, l’ont qualifié de navet.

Wellman avait volé avec le SPA-87 de décembre 1917 à mars 1918. On espérait qu’avec Wellman aux commandes, Hollywood aurait un grand film de guerre qui pourrait honorer l’Escadrille. Il l’avait promis à Paul Rockwell. Wellman avait déjà réalisé un film en 1926, un classique de l’aviation intitulé Wings  pour lequel il avait obtenu un oscar. Lors de la conception du film, la presse d’Hollywood l’avait présenté comme un des membres originels de l’Escadrille Lafayette, prétention qu’il n’avait pas contestée et qui avait soulevé la suspicion et la colère des vrais membres. 18

Lorsqu’il a transpiré par une starlette que Wellman était en train de faire un film « cochon », les hommes de Lafayette se sont préparés à la riposte. Wellman leur avait promis que le film serait une histoire vraie, mais il n’aurait pas pu être plus éloigné de la vérité qu’il ne l’était. Le film était une abomination. Le héros principal était un garçon gâté et riche de Boston, qui avait eu de sérieux problèmes avec la loi, alors il s’était enfui en France. Il avait rejoint l’Escadrille Lafayette, frappé un officier, déserté l’unité et tué un poilu pour son uniforme, pour lui permettre de s’échapper. Il était venu à Paris et était devenu un escroc, etc, etc..  Les scènes d’aviation étaient bien tournées mais c’était à peu près tout ce qui était valable dans le film. Les hommes de l’Escadrille Lafayette étaient abasourdis et honteux que les gens puissent penser qu’ils étaient associés à une telle faune. 19

La première du film a eu lieu à Washington, Caroline du Nord, le 28 février 1958, dans la ville natale de James H. Baugham, un des membres du Corps d’Aviation Lafayette. Le Gouverneur de la Caroline du Nord avait déclaré le jour « Jour de l’Escadrille Lafayette ». Les producteurs ont invité tous les membres rescapés de l’Escadrille mais tous ont décliné l’invitation, sauf un. Charles Dolan a fait une réponse officielle au nom de l’unité : « Les membres survivants de l’Escadrille Lafayette N-124 sont opposés à l’exploitation de cette unité par M. Wellman et ses associés pour leur seul bénéfice financier.   Au moins, le film a été interdit de projection en France à l’époque. Ce n’était pas un succès commercial et même M. Wellman a fini par s’éloigner de la production.

Malheureusement, le mal était fait. Le nom Lafayette avait été traîné dans la boue. Le film est toujours de nos jours montré à la télévision et il est disponible sur cassette ; l’intérêt du film est dû en grande partie à ce que l’un des héros était incarné par Clint Eastwood à ses débuts. Les gens qui ne connaissent rien à l’unité regardent ce film et ont la fausse impression que les hommes de l’Escadrille étaient un groupe de mercenaires et d’inadaptés sociaux. 20

 

Sociétés, Associations et Ordres de Lafayette

 

Le 1er février 1928, une brochure a été publiée qui listait les adresses et les noms des membres survivants de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation. Cette brochure a été préparée avec l’intention expresse de la présenter aux hommes lors de l’inauguration du mémorial de l’Escadrille Lafayette. Cet effort était le seul jamais fait entre les guerres par les membres de l’Escadrille Lafayette ou du Corps d’Aviation Lafayette pour établir une sorte de « groupe de survivants ». En dehors de la Fondation de l’Escadrille Lafayette qui a publié la liste pour la brochure, aucune société, association, groupe, compagnie, fraternité ou ordre dédié à la pérennité de l’histoire de l’Escadrille Lafayette n’existait. 21

Ce n’est pas avant 1939 que les hommes de Lafayette ont finalement établi la « Corporation de l’Escadrille Lafayette » afin de protéger le nom de l’unité. Ils y ont été forcés lorsqu’ils ont découvert qu’un bar lors de l’exposition universelle de New York de 1939 allait exploiter leur nom pour vendre de la bière. La Corporation a effectivement donné aux hommes de l’Escadrille les droits sur le nom. Après cet effort, les hommes ont disparu dans la nature. 22

La première réunion officielle des membres de l’Escadrille Lafayette seuls ne devait pas se tenir avant le 3 juin 1960 à Ashburn, Caroline du Nord, chez Paul Rockwell. Tristement, il n’y avait que huit membres survivants à l’époque de cette réunion officielle. Six hommes ont fait le déplacement, un ne pouvait pas à raison de sa santé et un, portant le nom de « M. X » dans certains textes d’histoire pour protéger son intimité, n’est pas venu à la réunion parce  qu’il avait honte (L’auteur pense qu’il s’agissait du fameux Rumsey qui avait la distinction suspecte d’avoir mis le feu à son propre avion). 23 [Un autre membre toujours en vie à l’époque, mais ce que les hommes de la réunion ignoraient, était Eugene Bullard à Chicago].

Lors de la réunion, les hommes survivants ont créé la Société de l’Escadrille Lafayette N-124. Selon un pamphlet établi pour la Société, « les principes suivants serviront de base à la Société de l’Escadrille Lafayette N-124 » :

 

¨      Une attention incessante pour préserver le nom et la réputation de l’Escadrille avec une réaction rapide et publique en cas d’exploitation du nom pour des fins personnelles ou commerciales.

¨      La surveillance de la crypte et sa bonne tenue.

¨      Et faire passer l’héritage à l’homme le plus âgé de la famille lorsque la mort ravit un survivant.24

 

L’idée, bien que splendide, était trop tardive. En 1967, il n’y aurait que trois membres lors de la dernière réunion et à cette époque de leur vie, ils étaient trop peu nombreux et trop vieux pour analyser l’histoire. La promesse de la Société de l’Escadrille Lafayette N-124 de faire passer l’héritage de l’unité à l’homme le plus âgé, n’a pas été respectée et la Société a cessé d’exister lorsque son dernier membre est décédé.

Cependant, après la réunion initiale de 1960, une kyrielle de sociétés et organisations de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation Lafayette ont vu le jour ; comme si, approchant de leur mort, les hommes réalisaient soudain la menace qui pesait sur leur héritage. Après l’établissement de la Société de l’Escadrille Lafayette N-124, les hommes sont fait passer des certificats officiels aux membres restants et il a été ensuite rapidement créé un « Ordre de Lafayette, Inc. » Le but de l’Ordre était de servir en tant qu’organisation à but non lucratif héréditaire comme la « Société de Cincinnati », société militaire américaine créée pour honorer ses vétérans. Lors d’une occasion formelle de l’Ordre Lafayette, qui s’est tenue au Waldorf-Astoria à New York, plus de 2.000 invités – pour la plupart des personnes riches et célèbres, y compris l’ancien Président des Etats Unis – ont honoré les hommes de Lafayette.25 Plus tard dans leur vie, ils ont parlé de former une « Association Historique de l’Escadrille Lafayette » (dans une lettre à Charles Dolan du 17 avril 1970, mais cela n’a apparemment jamais été mis en place). 26 Et en 1979, Charles Dolan parle d’une « Association de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation Lafayette » qui existait, quoi que son mandat et sa mission soient peu clairs.27

Charles Dolan, le dernier survivant de l’Escadrille Lafayette est mort en 1981. Avec lui s’est éteinte la torche de l’Escadrille. Il était l’un des principaux protagonistes de l’héritage dont pouvait jouir Lafayette et il a joué un grand rôle dans les associations, sociétés et ordres listés ci-dessus. En lisant sa collection de correspondances, on se rend compte qu’il pensait réellement qu’il fallait faire perdurer l’histoire de l’unité. Fidèle jusqu’à la fin, il a montré son courage et sa détermination en visitant le Mémorial de l’Escadrille Lafayette encore une fois le 10 novembre 1981, jour de célébration du Jour des Vétérans Américains et de la Victoire Française. Les Français célébraient également le 65ème  anniversaire de l’Escadrille Lafayette. Dolan, bien que faible et malade, a fait le déplacement. Il est mort en décembre 1981. Il était juste qu’il voie le Mémorial en tant que dernier survivant, ayant été le plus fidèle adepte de l’escadrille dans ses dernières années.28

 

L’Héritage des 38 Membres Originels

 

L’héritage des 38 Américains d’origine de l’Escadrille Lafayette était avant tout le malheur. L’histoire n’avait pas été tendre avec ces hommes qui étaient jeunes, qui ont joui des feux de la gloire et qui ont montré le chemin aux aviateurs de combat américains. Dans un bref résumé, voici quel a été leur destin, listé par ordre chronologique de leur enrôlement dans l’unité :

 

Chapman, Victor :  mort au combat, le 23 juin 1916.

McConnell, James Rogers :  mort au combat, le 19 mars 1917.

Prince, Norman :  mort au combat, le 15 octobre 1916.

Rockwell, Kiffin Yates :  mort au combat, le 23 septembre 1916.

Thaw, William : mort à l’âge de 40 ans d’une pneumonie, le 22 avril 1934, alcoolique.

Cowdin, Elliot : Itinérant, touche-à-tout, ne s’est jamais installé ; mort d’un cancer en janvier 1933.

Hall, Bert Weston : repris de Justice, raté ; mort en décembre 1948 d’une crise cardiaque ayant entraîné un accident de voiture.

Lufbery, Raoul : mort au combat, le 1er mai 1918.

Balsley, Clyde : blessé au combat ; ne s’est jamais remis de ses blessures, mort prématurément à 48 ans ; le cœur a lâché en juillet 1942.

Johnson, Chouteau : mort d’un cancer de la gorge en 1939.

Rumsey, Lawrence : Mr « X » ; alcoolique, mort à 80 ans en mai 1967 ; n’a jamais travaillé et est devenu un solitaire.

Hill, Dudley : mort à 57 ans d’une crise cardiaque ; vie normale et tranquille.

Masson, Didier : directeur d’hôtel ; mort à l’âge de 64 ans en juin 1950.

Pavelka, Paul : mort écrasé par un cheval dans les Balkans le 12 novembre 1917.

Rockwell, Rob : carrière réussie dans l’aviation militaire, promu colonel. Mort en janvier 1958 d’une crise cardiaque.

Haviland, Willis : promu commandant dans la Marine, mais mort jeune à 54 ans d’un cancer en novembre 1944.

Prince, Frederick : ignoré par son père, mort en octobre 1962. A réussi par lui-même.

Soubiran, Robert : mort à l’âge de 62 ans en février 1949 ; touche-à-tout, ne s’est jamais vraiment installé.

Hoskier, Ronald : mort au combat le 23 avril 1917.

Genet, Edmond : mort au combat, le 16 avril 1917.

Parsons, Edwin : mort à l’âge de 75 ans en mai 1968 ; est devenu amiral dans la Marine.

Bigelow, Stephen : mort à l’âge de 44 ans en 1939 d’alcoolisme et tuberculose.

Lovell, Walter : mort à l’âge de 53 ans en septembre 1937 d’un abcès u cerveau.

Hinkle, Edward : mort à l’âge de 90 ans en janvier 1967 ; bonne vie.

Willis, Harold : mort à l’âge de 73 ans d’un cancer en 1962 ; bonne vie.

Marr, Kenneth : mort à l’âge de 78 ans en décembre 1963 ; bonne vie.

Dugan, William : mort prématurément de maladie à l’âge de 34 ans en septembre 1922.

Hewitt, Thomas : mort prématurément d’alcoolisme à l’âge de 41 ans en mai 1936.

Campbell, Andrew : mort au combat, le 1er octobre 1917.

Bridgman, Ray : mort à l’âge de 56 ans ; s’est suicidé en novembre 1951.

Dolan, Charles : dernier survivant, colonel de l’USAF, bonne vie ; mort en 1981.

Drexel, John : mort à l’âge de 66 ans en mars 1958 d’une crise cardiaque ; famille riche , bonne vie.

Jones, Henry : mort à l’âge de 79 ans en mars 1972 ; bonne vie.

Hall, James Norman : mort à l’âge de 64 ans ; célèbre auteur, mort d’une crise cardiaque en juillet 1951.

MacMonagle, Douglas : mort au combat, le 24 septembre 1917.

Peterson, David : mort dans un accident d’entraînement après la guerre à l’âge de 24 ans en mars 1919.

Doolittle, James : mort dans un accident d’entraînement pendant la guerre à l’âge de 24 ans, en juillet 1918.

Ford, Christopher : mort d’un cancer à l’âge de 52 ans, en avril 1945. 29

 

Parmi les 38 membres originels, 9 sont morts au combat, 2 sont morts de leurs blessures, 1 est mort d’une chute de cheval, 2 sont morts dans des accidents d’entraînement, 10 sont morts jeunes de l’alcool et/ou de maladies et autres affections, 1 s’est suicidé. Certains ont vécu en tant que  ratés solitaires et traîne-savate . Certains n’ont pas pu trouver de travail et ont eu des problèmes pour s’ajuster après la guerre et se sont renfermés. Seul un quart des hommes ont eu ce qu’on peut appeler une vie entière, gratifiante après la guerre. Parmi ce quart, aucun n’est devenu sénateur, membre du congrès, président  ou homme célèbre, bien que certains aient côtoyé la noblesse. Pour la plupart de ces hommes, l’Escadrille Lafayette devait être le clou de leur vie. Le manque d’héritage fort et sain, qui n’était pas soutenu par des hommes célèbres, n’a pas aidé l’Amérique à se souvenir de ses aviateurs jadis célèbres.

Trop peu trop tard

 

Il y a eu une époque où l’Escadrille Lafayette était le fils favori de l’Amérique. Cependant, les détracteurs d’après-guerre ont fait déraper la réputation et l’histoire des hommes. Leurs efforts ont toujours été applaudis mais ils ont également acquis une réputation louche d’hommes au « tempérament déséquilibré » et comme étant « des aventuriers, des mercenaires et mêmes des  « corsaires américains ».30 Incontestablement, les « prétendants », les actions fâcheuses de certains hommes et  les entreprises bâclées comme le film sur l’Escadrille Lafayette leur ont causé un tort incalculable.

Les efforts d’un petit nombre de ses membres honorables ont été entrepris trop tard pour sauver et protéger leur héritage et c’est cette défaillance des hommes Lafayette pour préserver leur propre histoire qui leur a coût cher.

 

 

  1. Lettre, date 4 septembre 1928, Lewis Crenshaw à M. Bigelow.  Blérancourt.
  2. Lettre, date 1 août 1929, Lewis Crenshaw à M. Bartlett.  Blérancourt.
  3. Archives de la Fondation du Mémorial de l’Escadrille Lafayette, dossier des chiffres de visiteurs, Blérancourt.
  4. Citation du membre de la Fondation du Mémorial.
  5. Whitehouse, Lafayette Escadrille, p. 315.
  6.  Flammer, Philip M., « The Summer of the Lafayette Escadrille.” Air Power Historian, 1967, p. 78.
  7. Gordon, Pilot Biographies.
  8. Whitehouse, Lafayette Escadrille, p. 312.
  9.  Flammer, Vivid Air, p. 187-190.
  10.  Ibid.
  11.  Ibid.
  12.  Ibid.
  13.  Sources divers.
  14.  Gordon, Lafayette Flying Corps.  
  15.  Seagrave, Sterling, Soldiers of Fortune (Virginia, Time-Life Books, 1981), p. 35.
  16.  Ford, Flying Tigers, et Caine, Philip D. Eagles of the RAF (Washington, D.C., NDU Press, 1991).
  17.  Flammer, Vivid Air, p. 192.
  18.  Ibid., p. 194.
  19.  Ibid., p. 195.
  20.  Ibid., p. 196 et l’auteur qui a regardé la vidéo.
  21.  Brochure pour l’inauguration du Mémorial de l’Escadrille Lafayette, 1 février 1928, NASMA.
  22. Flammer, Vivid Air, p. 189 et Charles Dolan Collection.
  23. Flammer, « The Summer of the Lafayette Escadrille.” Air Power Historian, 1967, p. 81.
  24. Lafayette Escadrille N-124 Society Charter.  Charles Dolan Collection.  USAF Academy.
  25. Lettre, date inconnu, Austen Crehore à Charles Dolan.  Charles Dolan Collection.
  26. Invitation à cérémonie, date 21 septembre 1966.  Charles Dolan Collection.
  27. Charles Dolan Collection.
  28. Ibid.
  29. Sources divers.
  30. Robins, American Angels, p. 40. 
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