Chaque unité a ses personnalités, excentricités, concurrences, politiques et problèmes ; l’Escadrille Lafayette n’était pas différente. Le groupe d’origine de 38 volontaires venait de tous les horizons : il s’agissait d’universitaires, de descendants de familles riches et bien connues, de touche-à-tout, d’anciens militaires et de chauffeurs de taxi. Le mélange des personnalités a ajouté à la fascination de l’unité et à l’esprit 100% américain et a fait aimer les hommes encore plus par un public d’adorateurs. Mais toutes les pressions et le stress du combat fatiguant les hommes, ce mélange de fortes personnalités a commencé à causer des problèmes. Des rivalités sont nées, qui sont devenues ouvertes et déplaisantes. Certains des hommes étaient accusés d’être des tire au flanc et des poltrons. Un manque général de discipline de l’unité au sol et dans les airs devait causer des problèmes avec la loi et dans certains cas risquer la vie des pilotes. L’alcool était un fléau pour certains hommes et ils détruisaient leur vie. Les hommes se questionnaient les uns les autres sur leurs intentions et au sujet de prétendus agendas cachés, alors que la concurrence augmentait pour la gloire et la célébrité. De nombreux hommes s’entendaient entre eux ou se contenaient, mais ceux qui s’accrochaient créaient des schismes et des chamailleries destructives de part et d’autre qui devaient entacher l’héritage de l’Escadrille Lafayette.
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La marque des grandes unités est leur évident travail d’équipe et leur capacité à travailler ensemble pour que le travail soit fait. L’Escadrille Lafayette souffrait d’un vrai problème de discipline et qui plus est de dissensions qui devaient occasionner à l’unité une grande peine et lui faire perdre sa cohésion. Certains des problèmes devaient couver et se répandre dans l’histoire d’après-guerre de l’escadron – certaines transgressions et rivalités n’ayant jamais été éteintes et ayant été emportées dans la tombe. C’est dommage parce que, bien que l’unité ait survécu à cette agitation, cette dissension et discorde affectent l’héritage de l’escadron, et cela a très certainement empêché ses membres d’être un groupe plus uni.
L’impact des dissensions, discordes et manques de discipline sur une unité est difficile à mesurer directement . Mais après qu’on ait examiné comment ces qualités ou défauts ont affecté l’unité pendant la guerre, et après la guerre, il n’est pas difficile d’imaginer quel impact désastreux ces problèmes ont eu sur l’héritage de l’unité.
Manque de Discipline dans les Rangs
Le rapport concernant la discipline de l’Escadrille Lafayette était médiocre. Le Capitaine Thenault décrivait l’attitude suffisante de ses hommes dans les termes suivants, dans lesquels il imitait leur attitude : « Nous somme là, nous sommes des têtes brûlées et nous n’avons pas besoin de la discipline des Français !».1 Ces hommes pittoresques étaient bons sur tous les tableaux en termes militaires : ils étaient capables de voler dans des avions, ils pouvaient porter n’importe quel uniforme qu’ils souhaitaient (certains étaient plutôt colorés) ; ils étaient payés confortablement en comparaison de leurs camarades français par une source extérieure indépendante ; c’était des volontaires alors ils savaient qu’ils n’avaient pas besoin d’être là ; ils étaient commandés par des officiers français qui manquaient de volonté ou de moyens pour les discipliner sauf dans les circonstances extrêmes.
Alors que le Capitaine Thenault pouvait être un homme à la discipline stricte lorsqu’il y était contraint, il considérait sa « tâche comme simple : je devais seulement traiter tout le monde de façon juste et sans faveur ».2 Cependant, les hommes devaient en référer à deux autres de leurs réels officiers de commandement : le Lieutenant Alfred de Laage de Meux, le Français second en chef de l’Escadrille Lafayette, et le Lieutenant William « Bill » Thaw, qui était considéré comme le leader des Américains. En fait, ce dernier avait commandé l’unité pendant un mois au combat alors que Thenault avait pris un congé de maladie. De Laage parlait parfaitement anglais, ce qui aidait considérablement, et il accordait un grand intérêt personnel aux hommes, particulièrement les nouveaux arrivants. Comme il l’a indiquié à Edwin Parsons à son arrivée dans l’unité :
« Je vous demande seulement de voler bien, de voler dur et de vous comporter comme un homme. Je vous demande d’obéir, explicitement et sans hésitation, à tous les ordres que je vous donne quand je commande les patrouilles de combat … et je compte sur vous pour partager la responsabilité de maintenir la bonne réputation de l’escadron et nous nous entendrons tout à fait bien. »3
Comme pour Thaw, le bien être de ses pilotes était toujours ce qui primait dans son esprit, qu’il agisse en tant qu’intermédiaire ou en tant qu’officier commandant l’unité. Il n’avait que 21 ans lorsqu’il a rejoint l’unité, mais les hommes l’ont adopté immédiatement. Il était un des hommes de l’origine, membre fondateur de l’Escadrille et il volait souvent et durement ; les hommes le respectaient immensément.4
Ceci ne veut pas dire que les pilotes de l’Escadrille Lafayette écoutaient nécessairement ces trois hommes. Les problèmes de discipline sur le sol et dans les airs semblaient se produire régulièrement. Selon une lettre d’un pilote très surpris et plutôt ennuyé du nom de James Rogers Mc Connell du 2 juillet 1916 : « l’Escadrille a une réputation pourrie pour la boisson à Paris ».5 Qu’on en soit fier ou non, c’est hors sujet. Les arrestations, désertions, absences sans excuse et autres transgressions de la loi ont eu lieu et se sont produites plus souvent qu’elles ne l’auraient dû s’agissant d’une « unité élite ». Ecouter l’autorité était un problème pour la plupart de ces hommes qui savaient qu’ils étaient la coqueluche de la ville et qu’ils étaient intouchables. Comme un pilote canadien qui avait fait la fête avec l’Escadrille Lafayette à l’aérodrome l’indiquait :
« Du point de vue de la discipline, la situation est pratiquement impossible pour les Français. Imaginez un groupe d’Américains financièrement aisés – jouissant du fait d’être volontaires d’un pays neutre – qui habituellement jouaient sans limite au poker, qui importaient des quantités illimitées d’alcool et de nourriture et qui comprenaient un groupe d’hommes avec un niveau bien supérieur d’éducation, qui possédaient une plus grande expérience du monde que leur compagnons d’arme français – un commandant français aurait eu beaucoup de difficulté pour contrôler un tel groupe d’hommes s’ils avaient été des citoyens français soumis entièrement aux règlements de l’Armée Française. Bien que les premiers membres de l’Escadrille comptaient des pilotes à haut potentiel dans tous les domaines …. Leur commandant français semblait peiner à faire face à des hommes si indépendants et pétulants. De plus, les autorités de l’Armée Française, ce qui se comprend, tenaient beaucoup à entretenir de relations sympathiques avec les Etats Unis. Le résultat général était que les pilotes américains jouissaient d’une grande mesure de liberté d’action ». 6
Bien que les hommes écoutaient ou prétendaient écouter le Capitaine Thenault et bien qu’ils respectaient le Lieutenant deLaage, ils pouvaient être très sévères vis à vis de quelqu’un qu’ils n’aimaient pas. Le Lieutenant de Maison Rouge, qui a remplacé deLaage après que ce dernier se soit écrasé lors du décollage de son avion et se soit tué, n’a jamais été respecté de l’un quelconque de ces hommes. C’était un homme discipliné, beaucoup plus formel que deLaage, point avec lequel les hommes de l’Escadrille Lafayette ne voulaient pas s’ennuyer. Ils étaient brutaux avec lui.7
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Les transgressions en termes de discipline variaient énormément et allaient de désobéissance à des ordres directs dans les airs qui pouvaient entraîner des résultats mortels, à de sérieux problèmes avec la loi.
Ce qui a dû être très frustrant pour les commandants de l’Escadrille Lafayette était la désobéissance directe maintes fois répétée des ordres de rester groupés en formation dans les airs et de ne pas quitter la formation pour poursuivre un combat individuel, à moins que le commandant n’en ait donné l’ordre. S’éloigner de son propre chef pouvait être très dangereux parce que cela exposait le pilote, spécialement les jeunes recrues, à des ruses et pièges préparés par les Allemands dans les airs. En effet, la mort de plusieurs pilots de l’Escadrille Lafayette était le résultat direct de ce penchant à quitter les rangs afin de poursuivre le combat contre un ou plusieurs appareils. Victor Chapman est mort de cette façon.8 Le Capitaine Thenault se souvient d’un de ces incidents après qu’il ait particulièrement indiqué à ses hommes de rester très groupés dans les airs et d’attendre son commandement pour attaquer.
« Soudain, très loin à l’est, vers Etain, j’aperçus une douzaine de biplaces allemands, survolant leurs propres lignes, et à si faible altitude qu’ils avaient l’air de moutons paissant les prairies vertes, au delà de la zone ravagée par les canons.
Ils étaient trop bas, trop nombreux et trop loin pour que nous risquions une attaque, surtout au cours d’une première sortie, d’autant plus qu’ils se tenaient au dessus des positions allemandes. Mes pilotes n’avaient pas encore pu se familiariser suffisamment avec un ennemi qui n’était certes point méprisable. Lorsqu’on survole, à basse altitude, en monoplace, en territoire ennemi, il faut toujours craindre l’attaque qui peut venir d’en haut, contre laquelle on est à peu près sans défense, et qui peut nous obliger à atterrir.
Telles étaient mes pensées, lorsqu’un pilote, j’ignore encore lequel, pique comme un bolide dans la direction des Boches ? Etait-ce de Laage ? Etait-ce un autre ? Je n’ai jamais pu le savoir. » 9
Selon les dires de Thenault, l’escadron est parti pour combattre les Allemands afin de sauver leur camarade. C’est très vite devenu chacun pour soi car les Allemands étaient trop nombreux et avaient en fait mis en place un piège au dessus. Les résultats n’ont pas été mortels dans ce cas, mais trop souvent, ils étaient. Il est également inexcusable que le Capitaine Thenault n’ait pas sanctionné l’homme qui s’était éloigné. Il est certain qu’il savait de qui il s’agissait car un compte rendu après le vol avait révélé le coupable. Le Capitaine Thenault a été très diplomate dans ses mémoires et a fait de son mieux pour taire le nom des hommes ; mais en tant que commandant d’escadron, c’est lui qui était responsable pour donner le ton de la discipline.
Pour ce qui est des manques de discipline au sol, les résultats étaient aussi mauvais et suggéraient que l’unité était hors contrôle. Le célèbre Lufbery a été arrêté à Chartes après avoir méchamment battu un contrôleur ferroviaire. L’homme essayait de faire son travail et a demandé à Lufbery ses papiers d’identité et son billet, comme il se trouvait sur la plate-forme de 1ère classe du train. Il a touché Lufbery qui a pris cela comme une insulte. Alors ce dernier lui a donné un coup de poing qui lui a cassé six dents. 10 De la prison, Lufbery a envoyé un télégramme : « Suis retenu dans un local disciplinaire place de Chartres. » 11 C’est seulement l’intervention de Thenault qui a sauvé Lufbery. D’autres hommes de Lafayette ont été arrêtés ou presque. Hall a presque été accusé de désertion par le Capitaine Thenault parce qu’il était parti trop longtemps en permission. 12 Certains des hommes chassaient illégalement dans les bois aux alentours de l’aérodrome, ce qui était interdit sur le front. Les chasseurs, chassés par les gendarmes, se cachaient dans le bar de l’escadron ou dans leurs lits et les autres se portaient garants de leur innocence.13
Des histoires similaires étaient également monnaie courante dans le Corps d’Aviation Lafayette. Un homme du nom de Eugene Bullard a frappé sérieusement un officier français supérieur dans la rue, bien qu’on puisse se demander qui avait commencé ; Bullard a été blanchi. 14 Un autre homme du nom de Arthur Atten a été accusé de s’être fait passer pour un officier français.15 Et le pilote William Frey a été accusé de désertion et n’a jamais réintégré son unité.16
Quelques fois, les manquements à la discipline les moins sérieux étaient proches du comique. Un aviateur du nom de Harold Willis a été abattu et fait prisonnier en pyjama vert à rayures parce qu’il n’avait pas envie de mettre son uniforme ce jour là car il était pressé de voler. Sans grade et sans uniforme, il s’est fait passer pour un officier. Il s’en est sorti pendant un moment jusqu’à ce que les Allemands découvrent qui il était réellement. Ses camarades d’escadrille l’avaient même aidé en volant au dessus d’un aérodrome allemand pour lui envoyer un colis avec un uniforme et une fausse insigne d’officier cousue sur l’uniforme avec une note expliquant que cela devait être transmis à leur camarade embarrassé et infortuné. Ils avaient pensé qu’il utiliserait une telle ruse.17
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Un signe qui ne trompe pas dans une unité d’élite ou solide unité d’aviation est que les manque de discipline ne sont pas pris à la légère. Il n’y a rien de plus frustrant pour une unité que de perdre des hommes et des équipements à raison d’un manque de discipline ou d’une imprudence.
Andrew Courtney Campbell était respecté par ses camarades pilotes de Lafayette comme étant un combattant doué et courageux mais son imprudence dans les airs était également connue et il a créé des problèmes à plus d’un pilote de l’Escadrille. Lorsque l’Escadrille Lafayette était stationnée à l’aérodrome de Sénard, environ 60 avions basés sur le terrain devaient partager la seule longue piste pour les opérations d’envol et d’atterrissage. Des ordres avaient été donnés de rouler lentement jusqu’au bout de la piste plutôt que de tourner avant sur la piste parce qu’il n’y aurait alors pas suffisamment d’espace entre les avions qui atterrissaient et ceux qui s’envolaient. Un jour cependant, lorsque Campbell posait son avion après une mission, il a décidé de prendre l’embranchement plus tôt afin de retourner directement à l’endroit de parking et à la rampe de l’unité, désobéissant sciemment à une règlement de sécurité. Campbell a ralenti son avion juste assez pour faire tourner son Spad afin de l’arrêter. Le pilote d’un gros Sopwith qui atterrissait derrière lui n’a pas eu la possibilité de ralentir son avion à temps et a percuté le côté de l’appareil de Campbell. L’hélice du Sopwith a haché le Spad de Campbell, déchirant le tissu et faisant voler l’aile en éclats et s’arrêtant enfin à moins de 20 cm de la tête de Campbell. L’avion était également renversé et éparpillé en mille morceaux impossibles à identifier jonchant la piste. Campbell est sorti de l’appareil, a constaté les dégâts, a allumé une cigarette et s’est éloigné nonchalamment de l’appareil comme si de rien n’était. Le Capitaine Thenault, qui avait assisté à l’incident était derrière lui, furieux. Il pouvait à peine contenir sa rage lorsqu’il a intercepté Campbell qui apparemment se rendait au bar. Quoi que Campbell ait pu dire à Thenault, cela l’a apparemment calmé car Campbell n’a pas été sanctionné pour la transgression.18
Campbell avaient également une réputation de nuisance dans l’air, spécialement durant les patrouilles lorsqu’il cherchait de façon exaspérante à être aussi près des autres en formation qu’il le pouvait jusqu’à ce qu’on lui demande de s’éloigner. Même là, il revenait à la charge et continuait à en ennuyer certains à tel point qu’ils ne pouvaient pas se concentrer correctement sur le vol. Quelle que soit la quantité de conseils ou de menaces avant le vol, rien ne pouvait l’en empêcher et il le faisait à chaque vol. Finalement, Campbell a dépassé les limites un jour et a presque causé un incident sérieux. Il était en patrouille avec le Lieutenant Maison Rouge et avait décidé de surpasser ses singeries habituelles. Il a commencé à voler directement sur l’avion de Maison Rouge, approchant les roues et le train d’atterrissage fixe dangereusement près de l’aile supérieure de Maison Rouge, essayant apparemment de rebondir sur l’avion de ce dernier. A la grande confusion de Maison Rouge et à la surprise de Campbell, il est allé trop loin et ses roues se sont imbriquées dans l’aile supérieure de Maison Rouge. La singerie qui n’était pas drôle est devenue encore pire quand les deux ont réalisé qu’ils étaient soudés l’un à l’autre. Toutes les tentatives pour séparer les avions étant demeurés vains. Comme les pilotes ne pouvaient pas se voir, ils ne pouvaient pas communiquer et il n’y avait pas de recours possible pour eux car les aviateurs de l’époque ne portaient pas de parachute. Finalement, dans un essai désespéré, Campbell a remonté son avion avec force et s’est détaché de l’avion de maison Rouge en arrachant son aile supérieure. Maison Rouge, commandant en second, était livide. Il a pu faire atterrir son avion mais il a dû être mis à la casse. Campbell a souri comme si rien ne s’était passé et pour une raison inconnue, il s’en est encore tiré sans sanction. Comment pouvait-on ignorer des infractions de ce type ?19
Lorsque le Capitaine Thenault était amené à sanctionner un homme, il pouvait le faire et parfois son choix de sanction était contestable. Un pilote qui avait des problèmes nerveux connus a écrasé son avion en le posant dans un fossé qui avait été indiqué comme étant un obstacle à éviter par les hommes. Le Capitaine Thenault était tellement enragé qu’il a de façon ahurissante sanctionné le pilote en lui demandant de retourner à une autre base et de ramener un autre avion. Pourquoi cet homme n’a-t-il pas été sanctionné par une interdiction de voler reste un mystère. L’homme, secoué, a fait ce qui lui était ordonné et en revenant sur la piste, a écrasé le second avion au même endroit que le premier, juste à quelques mètres de la scène de l’autre crash. Le Capitaine Thenault était médusé et il a finalement cloué l’homme au sol. Il lui a été demandé de quitter l’unité peu de temps après. 20
Ce n’était pas les seuls Américains qui causaient des problèmes et se comportaient de façon imprudente. Le Lieutenant de Laage s’est tué en exécutant une acrobatie au décollage dans un tout nouveau Spad. Le moteur de l’avion a calé à 400 m au dessus de la piste ; après un décollage trop abrupte, il s’est écrasé au sol en vrille et est mort instantanément devant ses camarades d’escadron. 21
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Certains pilotes poussaient dangereusement les limites de l’alcool et du vol. « Certains d’entre eux avaient la trempe de gros buveurs » notait Parsons. 22 Edmond Genet a écrit ce qui suit dans son journal le 25 février 1917 :
« Il était très difficile et pratiquement improbable de rester entièrement à l’écart de l’alcool dans l’escadrille. Si on sort en ville un jour avec un camarade, il est impossible d’y aller et de boire sans être absolument discourtois et inconciliable. » 23
Certains pilotes buvaient à l’extrême. Lawrence Rumsey était un grand buveur, ce qui lui a occasionné des problèmes. Il était souvent ivre et incapable de voler et passant la plupart de son temps avec la gueule de bois. Notamment, il poussait la limite entre boire et voler mais le comble est arrivé quand il était supposé prendre part à un mouvement de masse de l’escadron et au transfert de l’avion de Luxeuil à Cachy. L’escadron devait décoller tôt le matin et avait rendez-vous au dessus de l’aérodrome avant de se rendre en formation à Cachy. Rumsey avait visiblement trop bu la nuit précédente et ses camarades d’escadron l’avaient découragé de voler le lendemain. Il est néanmoins monté dans son avion. L’escadron s’est réuni au dessus du terrain et ont noté que Rumsey n’était pas là. Ils ont pensé qu’il avait écouté la mise en garde et qu’il n’allait pas voler, alors ils sont partis en formation en direction de Cachy. Plus tard, sans nouvelles de Rumsey, l’unité a commencé à s’inquiéter. Le soir, le Capitaine Thenault a reçu un appel du personnel du terrain d’aviation de Delonge, aérodrome qui n’était pas très éloigné de leur situation actuelle. Il était demandé au Capitaine Thenault s’il avait un pilote du nom de Rumsey, ce à quoi il a répondu par l’affirmative. Bien que Rumsey soit vivant, il y avait apparemment eu un incident. Il s’est avéré que Rumsey avait effectivement décollé avec les autres le matin mais, à cause de l’alcool, il avait manqué le rendez-vous et avait continué seul. Il s’était perdu et s’était posé sur un terrain inconnu (Delonge) qui était à l’opposé de Cachy mais cependant encore loin derrières les lignes alliées. Rumsey était persuadé qu’il avait atterri sur un terrain d’aviation allemand et comme on lui avait indiqué de le faire en pareil cas, il avait mis feu à son avion avec des allumettes afin de ne pas compromettre l’avion. Les autorités française de l’aérodrome avaient regardé médusés cet Américain mettre le feu à son avion sans raison apparente. C’en était trop pour le Capitaine Thenault et il était demandé à Rumsey de quitter immédiatement l’unité ; il a quitté le service militaire et est retourné aux Etats Unis. 24
Un événements lié à l’alcool encore plus triste s’est produit à l’Escadrille. Douglas MacMonagle et Carl Dolan était en persmission à Paris le 23 septembre 1917. Tous deux étaient très ivres après avoir passé une journée complète à boire ; Dolan a escorté MacMonagle au train pour qu’il retourne à Sénard où Escadrille Lafayette était stationnée à l’époque et pour ne pas être en retard pour leur retour de permission. Dolan a peiné à calmer MacMonagle qui cherchait à descendre à chaque arrêt du train de retour. A leur retour à la base de bonne heure le 24, après une nuit passée dans le train, MacMonagle a faussé compagnie à Dolan et a réveillé le Capitaine Thenault. Ce dernier était furieux que MacMonagle soit ivre et qu’il soit passé et l’ait ainsi tiré du lit. Le Capitaine Thenault lui a ordonné d’être dans la première patrouille du matin, moins d’une heure plus tard. Thenault, dans sa rage, a violé son propre règlement selon lequel aucun pilote ne devait voler le jour de son retour de permission pour éviter des incidents de vol liés à l’alcool. Les homes étaient supposés prendre un jour de repos avant de recommencer les opérations de vol. Cependant, et malgré les supplications de Dolan, MacMonagle s’est présenté pour le premier vol, comme on lui en avait donné l’ordre. Il a décollé en patrouille avec le premier vol. il a été abattu peu de temps après, revenant un balle derrière la tête. Pour ajouter à l’intensité de la situation, la mère de MacMonagle devait arriver sur le Front le jour même pour rendre visite à son fils. Elle a été accueillie à la gare, on lui a dit ce qui s’était passé et elle a assisté à ses funérailles peu de temps après, entourée par ses camarades d’escadron accablés de douleur.25
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Quand les hommes de Lafayette sont passé à l’USAS, ils ont été forcés de suivre une discipline stricte dont ils s’étaient tellement moqués avec les Français. Ils n’étaient plus les Prima Donnas, mais des pilotes ordinaires comme tous les autres, soumis aux mêmes règles et à la discipline de cour martial. C’en était fini des traitements spéciaux.
Ces exemples de manque de discipline ne condamnent pas nécessairement tous les hommes de l’Escadrille, mais ils démontrent qu’il y avait des problèmes dans l’unité. La discipline est bien sûr la clé de toutes les organisations militaires. Le manque de discipline de la part de certains hommes de Escadrille Lafayette suggère qu’il y avait d’autres problèmes dans l’unité et c’était le cas.
Méfiance dans les rangs
Lorsque les fusils ont fait leur apparition en août 1914, beaucoup pensaient que la guerre serait terminée rapidement ; mais la guerre a négligé les calendriers des généraux et a duré des années. Pour les pilotes du service d’aviation, le stress de voler jour après jour sans savoir quand cela finirait s’était révélé très fatiguant et beaucoup souffraient de la fatigue du combat. Outre la tension d’être des pionniers dans cette nouvelle dimension, les hommes de Escadrille Lafayette étaient également constamment en combat sur le front, sans arrêt ni court répit. Les hommes avaient le droit de retourner à Paris occasionnellement pour se reposer et se relaxer mais il devaient toujours retourner voler jour après jour. Parfois, ces hommes volaient trois ou quatre fois le même jour à la recherche de l’ennemi. Certains géraient le stress mieux que d’autres. Certains avaient de sérieux problèmes avec la fatigue quotidienne, et alors que certains pouvaient cacher la peur et la fatigue, d’autres ne le pouvaient pas. Malheureusement, ces derniers, qui exhibaient ouvertement leur peur, sont devenus imaginatifs pour ne pas voler ou combattre. Ceci a causé de sérieux problèmes au sein de Escadrille Lafayette et certains des hommes ont été chassés de l’unité, occasionnant une rancœur qui ne devait pas s’estomper.
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La peur et les sentiments assimilés peuvent avoir un effet sérieusement préjudiciable sur la dynamique d’une unité. Personne ne veut voler avec quelqu’un qui va esquiver un combat et chaque pilote a besoin de savoir que son coéquipier sera là quoi qu’il arrive. Dans le feu du combat, la charge doit être répartie également. Si les hommes ne veulent pas parce qu’ils ont peur, alors les autres sont forcés de mettre les bouchées doubles, ajoutant au stress de tous. Il y avait cinq ou six hommes parmi les 38 pilotes originels, près d’un sur six – qui avaient des problèmes de courage. Ces hommes étaient mal considérés par Escadrille Lafayette ; les pilotes ne voulaient pas penser que leur unité était faible et détestaient particulièrement que ces hommes soient des représentants des Etats Unis agissant de la sorte devant les Français et les Alliés. Ces hommes étaient tristement célèbres et facilement identifiables. Bert Weston Hall et Elliot Cowdin étaient deux des membres d’origine qui correspondaient à cette description. Chouteau Johnson était un autre des membres d’origine de l’escadrille et Hewitt, Rumsey et Drexel étaient les autres.
Bert Weston Hall était de loin le membre le plus tristement célèbre de l’Escadrille ; c’était un homme qui était regardé avec suspicion dès le début et qui était connu comme étant un menteur incontesté. 26 Il avait une mystérieuse carrière de touche-à-tout avant la guerre, ses origines étaient troubles car il changeait constamment son histoire. Quand la guerre s’est déclarée en Europe, il venait de quitter son travail à Paris en tant que chauffeur de taxi pour se joindre à la Légion Etrangère Française et aux dires de tous, ses états de service étaient plutôt bons. Il s’est lié d’amitié avec William Thaw et Kiffin Rockwell dans la Légion et quand ils l’ont quittée pour le Service Français de l’Aviation, il s’est arrangé pour dire également qu’il avait une expérience de pilotage. A son arrivée à l’école d’aviation, il a continué son histoire, espérant que les instructeurs ne s’en rendraient pas compte. Lorsqu’ils ont insisté pour qu’il montre immédiatement ses capacités de pilotage, il est monté dans un avion d’entraînement et a commencé à rouler sur la piste jusqu’à ce qu’il rentre dans une écurie, détruisant l’avion. Sidérés, les instructeurs français l’ont accusé de n’avoir jamais volé avant, ce qu’il a confessé. Cependant, ils étaient séduits par son courage qu’ils lui ont permis de continuer à voler. Il y avait toujours suffisamment de suspicion autour de sa personne pour que les Français désignent deux hommes en civil du contre-espionnage qui se présentaient comme des pilotes pour le suivre et garder un œil sur lui. Les deux espions sont allés jusqu’à dormir à côté de lui. 27
Bert Hall avait été choisi comme l’un des premiers membres du groupe originel de sept de Escadrille Lafayette qui avaient aidé à mette sur pieds l’unité. A l’origine, il effectuait sa part de vols, allant même jusqu’à soit disant enregistrer la deuxième victoire de l’escadron. Mais comme Paul Ayres Rockwell, le frère de Kiffin Rockwell, le raconte :
« Il n’a pas volé très longtemps. Les premiers mois il a volé pas mal de fois, mais après que Victor Chapman se tue, il était souvent malade. Il ne pouvait pas sortir en patrouille. Je rappelle qu’il s’est fait arracher les dents, l’une après l’autre, pour ne pas avoir à voler pendant un jour ou deux. Il se faisait arracher les dents ! Quand il a réalisé que c’était un jeu sérieux, son courage l’a abandonné. » 28
Parmi les aviateurs de l’Escadrille, Bert Hall était un sujet constant d’irritation. Son problème principal était qu’il avait une personnalité caustique, presque répulsive qui faisait de lui un intrus parmi ses camarades qui pour la plupart étaient cultivés.29 Il faut rajouter à son problème ses problèmes de personnalité. Hall est devenu un tire au flanc et un poltron. Il était incapable de faire sa part de travail. Cela dérangeait réellement les hommes de Escadrille Lafayette et agissait sur leur moral collectif.
Les hommes ont commencé à prédire qu’il quitterait l’unité. James Rogers McConnell a indiqué qu’il « prédisait que Hall suivrait les pas de Cowdin [un autre tire au flanc] et ferait « une cure » [euphémisme pour les congés prolongés de récupération ou retrait du service] mais c’est difficile à dire. Comme nous le savons tous, c’est un horrible menteur et le roi du bla-bla et chaque fois qu’il voit un feu au sol, il fonce pour annoncer qu’il a abattu un Boche. » 30 McConnell indique également comment « Hall était si en retard (pour revenir d’une permission ) que le Capitaine Thenault a insisté pour le noter comme déserteur. Il est de retour à présent, avec un histoire de chasse à l’espion qu’il aurait menée pendant quatre jours ».31
Finalement, les hommes de l’Escadrille Lafayette n’en pouvaient plus et il a été demandé à Bert Hall de partir. C’était un événement plutôt rare qui a dû être embarrassant pour l’unité mas d’après l’opinion générale, c’était nécessaire. Quand Bert Hall est parti il a montré le poing aux hommes de l’Escadrille Lafayette en disant « Vous entendrez parler de moi ! » ; c’était ses derniers mos. Il avait raison. Hall a rejoint une autre escadrille où il a apparemment abattu un autre avion mais il a dû en avoir assez de la guerre parce qu’il a été libéré du service. Officiellement, c’était pour qu’il puisse poursuivre d’autres aventures. Il aurait voyagé à travers le monde pour combattre les Russes et les Chinois, et serait devenu un héros plusieurs fois et recevant des décorations de tous les pays pour lesquels il avait combattu – enfin, c’est ce qu’il a raconté. Les deux livres qu’il a écrits En l’air et One Man’s War étaient des histoires à dormir debout truffées d’inventions. Ils sont considérés en général comme non fiables. Il est allé à Hollywood pour être conseiller dans les films sur l’aviation. Il a écrit un tas d’articles fantasques au sujet de ses exploits, que les hommes de Lafayette ont dû par la suite démentir ; et on a parlé de lui dans le cadre de diverses escroqueries et machinations qui ont toutes jeté un grand discrédit sur l’Escadrille Lafayette. Il a fini par se faire prendre pour une histoire de détournement et a dû purger une peine de deux ans et demi de prison pour s’être sauvé avec une grosse somme d’argent appartenant à un général chinois. L’événement a presque causé un incident diplomatique international. Tout ceci a occasionné un dommage dont on ne parle pas à l’Escadrille Lafayette. Pour couronner le tout, trois femmes prétendant être la femme de Bert Hall se sont présentées le jour de l’inauguration du mémorial de l’Escadrille Lafayette.32
Elliot Cowdin était un autre mauvais représentant de l’Escadrille Lafayette. Bien qu’il ne soit pas aussi mauvais que Hall, il était dans la même catégorie. Cowdin avait servi avec une autre escadrille française avait de rejoindre l’Escadrille Lafayette. Bien que trois fois cité comme étant « excellent, brave (et) dévoué », ce n’était pas le cas. Ses camarades d’escadron n’étaient pas du même avis.33 Paul Rockwell, futur historien officiel de l’Escadrille Lafayette, indiquait « certains de ses camarades pilotes avec lesquels j’ai parlé m’ont indiqué qu’il avait toujours cherché à se faire bien voir par les officiers supérieurs et obtenu une citation pour du travail qu’il n’avait pas fait et des médailles qu’il n’avait pas gagnées, en achetant du champagne à ses capitaines. Ils m’ont indiqué que la plupart de ses vols se faisaient dans les bars. »34 Il avait tendance à prendre des congés longs et pas toujours autorisés, la plupart du temps à raison de ses « nerfs » qui étaient mis à l’épreuve par les patrouilles de combat. Le 21 juin 1916, juste un peu plus de deux mois après la création de l’Escadrille Lafayette, McConnell écrivait à Paul Rockwell une lettre indiquant « Cowdin essaie d’avoir un mois de repos. Le stress est trop grand pour ses nerfs délicats. » 35 Encore plus choquant, mais démontrant bien la réaction que Cowdin produisait chez ses camarades d’escadron, dans une autre lettre à Paul Rockwell en date du 25 juin 1916, il commentait la mort de Chapman dans une bataille dans le termes suivants « Si seulement ça pouvait être quelqu’un d’autre – Cowdin par exemple ou quelqu’un comme lui ». 36 Ce sont des pensées pleines de haine et deux fois plus quand elles sont proférées vis à vis d’un camarade d’escadron.
Une des absences prolongées non autorisées de Cowdin a entraîné son départ de l’unité. Le Capitaine Thenault voulait l’accuser d’être un déserteur, mais ne voulait pas de mauvaise publicité, alors il l’a « libéré à raison de mauvaise santé ». Dans le livre Lafayette Flying Corps des pilotes de Lafayette James Norma Hall et Charles Nordhoff qui est considéré comme faisant le plus autorité parmi les histoires des hommes qui ont volé pour la France, l’euphémisme « libéré à raison de mauvaise santé » était expliqué comme étant l’expression passe-partout utilisée pour protéger la réputation de la personne désignée. Normalement, c’était une façon polie pour les hommes d’être rejetés de l’unité pour des raisons louches, tout en leur permettant une mesure d’honneur. C’est ce à quoi la lettre de McConnell ci-dessus faisait allusion quand il prédisait « que Hall suivrait la même cure que celle de Cowdin. » 37 Cowdin a quitté le Service Français de l’Aviation en octobre 1916 après avoir initialement passé du temps à Paris pour « récupérer ». Il a brièvement servi dans le RFC, transportant et livrant des avions français. Il est retourné aux Etats Unis et a, on ne sait pas comment, été accepté comme commandant de l’USAS vers la fin de la guerre. Il a été en charge de l’inspection des aérodromes. Il a finalement été libéré pour de bon en 1919.38
Thomas Hewitt était un des autres membres de l’Escadrille Lafayette considéré comme étant moins que courageux. Cependant, ce n’était pas un tire au flanc. On pense seulement qu’il n’avait pas les qualité requises qui font des hommes des pilotes de combat. Etrangement, il avait bien travaillé dans l’école de combat français et tout le monde pensait qu’il ferait de grandes choses. Il était agressif en formation en excellent dans tous les stages de formation. Il avait été choisi pour l’Escadrille Lafayette avec un grand enthousiasme. 39
Cependant, dès son arrivée à l’unité, il s’est avéré être une énorme déception. Après le premier vol avec l’escadrille sur les lignes ennemies, il est devenu tellement déconcerté par l’artillerie anti-avion qu’il s’est posé à 15 kilomètres de l’aérodrome et il ne savait pas où il était. Le manque de courage et l’inaptitude d’Hewitt à confronter l’ennemi étaient bientôt notés et désapprouvés par ses camarades d’escadron qui s’attendaient à ce que tous fassent leur part de travail. Il est vite devenu « l’Horrible Hewitt » et il a de plus en plus fui ses responsabilités. Il était si nerveux qu’il commençait à avoir des problèmes même pendant les vols hors combat. Lors d’un transfert entier de l’unité, Hewitt était celui qui avait écrasé son avion dans un fossé à l’atterrissage. Comme il a été expliqué précédemment, le Capitaine Thenault était si en colère après lui, particulièrement parce que le fossé avait été mentionné comme étant un obstacle spécifique à éviter sur le terrain, qu’il a envoyé Hewitt chercher un autre avion. Hewitt, malgré la probabilité infime, a crashé le second avion dans le même fossé ; Thenault l’a ensuite gardé au sol. Il n’a jamais été reprogrammé pour un vol et le 17 septembre 1917, le Capitaine Thenault a effacé le nom d’Hewitt du tableau de l’escadron et il était affecté aux bombardiers. Il s’est fait recaler de ce programme et a été libéré du service à raison de « mauvaise santé ». Il est mort seul, alcoolique et son corps est demeuré non réclamé dans une morgue de la ville.40
Chouteau Johnson était un cas différent. Il s’est battu et a volé avec l’Escadrille Lafayette pendant 14 mois et ses résultats étaient moyens. Une lettre de McConnell à Paul Rockwell du 15 juin 1916 indiquait que « Johnson et Rumsey [ont on a déjà parlé] détestent franchement le jeu. » 41 Edmond Genet notait dans son agenda à plusieurs occasions que Johnson était un tire au flanc et qu’il cherchait toujours des moyens de se faire dispenser de ses missions de vol. Genet l’avait surnommé « incontestablement paresseux » et dans une note plus longue, il n’épargnait pas son dégoût à son égard :
« Je suis sacrément dégoûté d’un des types ici dont j’ai déjà parlé avant. (Johnson) n’est pas un combattant enthousiaste et il saute sur toutes les occasions pour tirer au flanc alors que nous nous mettons en quatre et que nous risquons nos vies pour maintenir la réputation de l’Escadrille. (Johnson) j’en suis certain verra la fin de la guerre, retournera en Amérique et se présentera comme un héros de l’escadrille et sera reçu par tous – qui se rendra compte de la différence ? »42
La prédiction de Genet devait se réaliser. Genet est mort peu de temps après, tué au combat alors que Chouteau Johnson a survécu à la guerre. Il n’était pas détesté autant que Bert Hall et de nombreux hommes de l’escadrille en fait l’aimaient bien. Il était juste connu comme étant un tire au flanc. Il est mort d’un cancer de la gorge en 1939.
Il y avait encore quelques hommes dans l’Escadrille Lafayette qui avaient des problèmes de courage. Lawrence Rumsey, dont on a déjà parlé comme ayant un problème d’alcoolisme, avait choisi de noyer sa peur dans l’alcool. Il lui a été demandé de quitter l’unité après l’incendie. Clyde Balsey a été blessé presqu’aussitôt qu’il a rejoint l’Escadrille et ses blessures l’ont rendu invalide pour la durée de la guerre. Il était cependant connu pour son manque de courage et était décrit comme « ayant besoin d’un nouveau caleçon chaque fois qu’il sortait. »43 Un autre homme du nom de John Drexel n’a fait que 36 jours dans l’Escadrille Lafayette avant de faire appel à l’influence de son riche père pour être affecté à un bureau de transmissions. Selon Edwin Parsons, « John Drexel n’a assuré aucune patrouille au dessus des lignes. » Il était efféminé, différent et très distant, dès le début il a été un excentrique dans l’escadrille. Mais qui plus est, il manquait de courage pour le combat. Lorsqu’il a découvert que la guerre n’était pas un jeu, il a décidé d’en sortir.
Enfin, l’auteur rapporte une anecdote du pilote Charles Dolan qui est carrément ahurissante ; cependant, elle montre à quel point la réputation de l’unité était en jeu et à quel point les tire-au-flanc et les poltrons étaient détestés. Dolan, dans une interview dans le cadre du Programme d’Histoire Orale de l’USAS le 15 août 1968 a relaté l’histoire incroyable suivante :
« Il y a eu un incident avec ce type qui était en patrouille, qui avait volé jusqu’à ce qu’il traverse la ligne (ennemie). Il a alors abandonné prétextant des problèmes de moteur ou quelque chose du genre et est revenu à la base. Le jour suivant, il a rebroussé chemin parce qu’il avait le soleil dans les yeux ou une excuse du genre. En tous les cas, il volait le long des lignes et quand l’escadron retraversait la ligne, il se remettait à sa place. Cela avait pris de telles propositions qu’après environ un mois, ses camarades l’ont abattu. Ses propres camarades l’ont abattu. [!] Ils ne voulaient pas que les Français pensent que cette sorte d’Américain existait. Alors, il fait partie des manquants et son dossier ne porte pas de nom dans l’histoire de l’Escadrille ».44
La personne interviewée n’a jamais donné le nom du pilote en question qui avait été abattu, mais si cette histoire est vraie, elle est incroyable. Le fait qu’un meurtre ait été commis pour sauver la réputation de l’Escadrille Lafayette et pour punir un poltron établit fortement la méfiance que ces tire-au-flanc causaient dans les rangs.
Dissensions dans les rangs
Pour rajouter au problème de discipline et méfiance, il y avait également un sérieux problème de dissensions au sein de l’Escadrille Lafayette. Il y avait une coupure fondamentale dans l’unité qui séparait la majorité des hommes en deux groupes. Cette séparation ne concernait pas tout le monde puisque certains n’avaient pas choisi de camp mais elle était suffisamment réelle pour qu’un pilote de l’unité canadienne note que :
« Les pilotes donnent l’impression d’être très belliqueux même entre eux… ils avaient tendance à se répartir en cliques à l’intérieur desquelles les individus ayant les mêmes tendances étaient groupés et cassaient les autres. En conséquence, le travail d’équipe en souffrait. » 45
Un historien pense que les cliques étaient centrées autour des origines nordistes et sudistes. Une très forte probabilité si l’on considère le fait que les principaux antagonistes de l’unité venaient de familles riches et aisées du Nord et de familles riches traditionalistes du sud qui avaient des racines qui remontaient à la Guerre Civile américaine. 46
L’Escadrille Lafayette comprenait de nombreux caractères pittoresques qui adoraient les feux de la rampe. Lorsque l’Escadrille a été mise en place à l’origine, elle l’a été avec une grande fanfare. Les hommes étaient la coqueluche du monde et jouissaient d’une attention toute particulière à Paris. Les premiers jours de l’Escadrille, les Parisiens ne pouvaient se passer d’eux ; un nombre impressionnant d’articles ont été écrits à leur sujet et une équipe de cinéma a même tourné un bref documentaire sur les pilotes de l’Escadrille. Ils étaient admirés et enviés par beaucoup.
Il est naturel que cette attention soit montée à la tête des jeunes hommes. Certains avaient un besoin maladif d’attention, comme une dépendance et en voulaient davantage. Pour ajouter à l’attention et à la course à la gloire, « il existait un système établi de récompenses pour les citations et décorations » également. 47 Cela a malheureusement contaminé l’innocence des intentions des hommes. Les sommes attribuées n’étaient pas négligeable pour un pilote qui gagnait « neuf sous par jour » et « un franc par jour » additionnel tel qu’enregistré dans les carnets de comptabilité de campagne. 48 (les hommes recevaient 100 F supplémentaires par mois – portés par la suite à 200 F par mois – du Corps d’Aviation Franco-Américain dirigé par le Dr Gros et ses associés comme fonds pour le mess). Les prix étaient distribués comme suit :
Légion d’Honneur – 1.500 F (ou $300.00)
Médaille Militaire – 1.000 F (ou $ 200.00)
Médaille de Guerre – 500 F (ou $ 100.00)
Citation – 250 F (ou $ 50.00)
Avion ennemi abattu – 1.000 F (ou $ 200.00). 49
On voit comment une victoire, une médaille ou une citation pouvaient être lucratives. Il n’est pas surprenant que les hommes aient été accusés de faire du lèche bottes avec leur supérieurs pour obtenir des confirmations ou des recommandations. Pour ajouter à la gloire, l’homme qui abattait un avion dans l’Escadrille avait généralement droit à un article spécial et à une photo de lui sur la première page des journaux du monde, ou à tout le moins certainement sur la première page de l’édition parisienne du New York Herald, journal quotidien américain prédécesseur de l’International Herald Tribune. Cette publicité supplémentaire gratuite faisait de l’homme la coqueluche de la ville lors de sa prochaine visite à Paris en congé ou liberté. Ce type de couverture était spécialement populaire au début de la guerre, alors que les services de l’aviation étaient encore considérés comme une nouveauté dans la guerre et comme le remplaçant chevaleresque de la cavalerie. 50
* * *
Les principales compétitions et dissensions dans l’unité tournaient autour de deux des jeunes hommes les plus fringants de l’Escadrille et qui étaient tous deux dans l’Escadrille depuis sont début : Norman Prince et Kiffin Yates Rockwell. Eduqués dans les meilleures écoles, issus de familles aisées aux des traditions riches, ils étaient tous deux des jeunes hommes qui avaient tout abandonné, y compris la sécurité de leur vie à la maison, pour se porter volontaires dans le cadre de l’effort de guerre. Norman Prince avait grandi avec son père dans le sud de la France à Pau. Le père avait une propriété importante dans cette région et devait en fin de compte faire donation d’une partie du terrain qui devait un jour abriter l’aérodrome de Pau. Kiffin Rockwell venait d’une famille de combattants et on pouvait retrouver ses ancêtres militaires au moment de la Révolution Américaine. Il s’était enrôlé dans la Légion Etrangère Française avant d’être transféré au Service de l’Aviation Française.
Bien que leurs milieux socio-culturels aient été similaires, les deux hommes semblaient en désaccord et les cliques se sont formées autour de ces deux jeunes antagonistes. Malheureusement pour l’unité, les dissensions qu’ils créaient devaient durer longtemps après leur mort.
Kiffin Rockwell a enregistré la première victoire de l’Escadrille le 13 mai 1916, réussite qui lui a valu de se retrouver dans les archives de l’unité. Il a fallu un peu plus longtemps à Prince pour marquer sa première victoire. Pour sa première victoire, le 25 août 1916, il a déclaré qu’il avait abattu seul un Aviatik allemand biplace lors d’une bataille qui a eu lieu 10 kilomètres à l’intérieur des lignes allemandes à 8 h 42 du matin et qu’il a forcé un autre avion à atterrir derrière les lignes ennemies.51 Lorsqu’il est rentré, plusieurs pilotes ne croyaient pas entièrement cette histoire mais le Capitaine Thenault lui a accordé sa victoire et l’a recommandé pour la Médaille Militaire. 52 C’est cette revendication du 25 août 1916 qui a déclenché l’hostilité qui manifestement mijotait entre Rockwell et Prince. Rockwell était persuadé que Prince avait cherché la faveur du Capitaine Thenault et était injustement cité, alors que ses propres efforts avaient récemment été négligés. C’est ce qu’il indiquait dans une lettre à son frère « personne ne pense que Prince a descendu un Allemand…je vais l’appeler
quand il reviendra (de Paris) parce qu’il a fanfaronné à notre sujet derrière mon dos. Nous sommes tous impatients d’essayer de le faire virer de l’Escadrille. »53
Bien qu’on ne sache pas à qui il fait allusion en utilisant « nous tous », il est très clair que Rockwell n’était pas heureux que Prince saisisse sa part de gloire. On ne sait pas clairement à quel moment l’animosité a commencé entre eux, mais à en juger par le comportement postérieur de Rockwell, cela devait faire un moment.
Personne n’a jamais remis en question les victoires de Lufbery qui en avait déjà enregistré 4 à cette époque. Il devait y avoir une part de vérité dans cette division et rivalité des cliques nord-sud. Rockwell était exagérément furieux au sujet des prétentions et reconnaissances de Prince. Il a commencé à blâmer tout et tout le monde pour son manque de succès récents. Il a même blâmé le Capitaine Thenault pour tous ses problèmes. Kiffin, dans une lettre à son frère Paul Rockwell, indiquait :
« Ma citation n’a pas été acceptée, je ne peux pas encore t’en envoyer une copie. Je ne pense pas qu’il y ait de doute pour la médaille mais je n’espère pas deux citations. Il n’y a pas de raison pour laquelle je ne devrais pas les avoir, sauf que nous sommes très malchanceux d’avoir un capitaine qui est un type sympa et brave, mais qui ne sait pas s’occuper de ses hommes, et il n’essaie pas. Je me bats avec lui depuis que je suis de retour (d’une blessure) principalement parce que je n’ai pas de moteur ; il a donné mon ancien à Prince [insulte suprême] et il n’est pas pressé de m’en donner un nouveau. Je pense que dans quelques semaines, je serai vraiment malade de cette équipe. »54
Il avait déjà été promu sergent et on lui avait accordé la Médaille Militaire et la Croix de Guerre pour services rendus mais sa colère et sa suspicion semblaient avoir obscurci sa pensée parce que le 31 août 1916 , il écrivait à son frère Paul :
« Je veux être transféré dans une escadrille française à moins que certaines conditions changent ici…Je veux la Légion d’Honneur et un grade de sous-lieutenant. Je me fous de savoir si ça paraît vaniteux, mais je pense que je mérite les deux… Ici, tout le monde est triste et mécontent et je suis sûrement le plus affecté de tous. » 55
Rockwell mettait en cause la sincérité de Prince et pensait que sa seule motivation en aidant à fonder et en servant dans l’Escadrille était sa seule gloire personnelle. Rockwell avait participé à 40 combats aériens officiels sans une victoire en août 1916, lorsqu’il écrivait les deux lettres ci-dessus et il semble que le stress de ne pas enregistrer de victoire le hantait. 56
La sincérité de Prince était-elle contestable ? Rien dans les recherches de l’auteur ne le corroborent de façon certaine. Prince était décrit comme « étant là pour le sport » plutôt que pour des raisons idéalistes acharnées, mais les autres aussi, et on pourrait répondre qu’au moins il était là. 57 C’était un brave jeune homme plein de vigueur et de fierté, mais c’était le cas de beaucoup d’autres dans l’Escadrille. La seule critique que l’auteur ait trouvée sur Prince émanait d’un parent qui indiquait qu’il était myope et qu’il avait toujours refusé de porter des lentilles correctrices, Norman Prince s’exclamant « aucun as ne porte de lunettes ! ». 58
Quelle que soit la cause de la discorde, il est évident que les deux hommes ne s’entendaient pas. Ce n’était pas surprenant en soi mais lorsqu’un témoignage de source extérieure note que l’unité semble être partagée en cliques centrées autours de personnalités distinctes, alors il était clair que l’unité avait un problème. Cette animosité a porté atteinte à l’unité et a contribué à saper sa grandeur potentielle Alors que la friction entre les deux homme devenait critique, il leur restait moins de deux mois à vivre. Rockwell devait mourir le premier, abattu par un Allemand. Prince mourrait peut de temps après, après avoir heurté un fil électrique lors de son approche de l’aérodrome. Il est ironique de constater que l’homme qui avait refusé de porter des lunettes n’avait pas vu le fil à la tombée du jour. Son avion s’est retourné et il a été mortellement blessé, mourant quelques jours plus tard. Les deux hommes ont eu des funérailles grandioses, et beaucoup sont venus pour honorer les jeunes héros. Dans la mort, ils devaient trouver la paix au sujet de leurs différends. Peu de gens savaient que les noms de Rockwell et Prince referaient surface en tant qu’antagonistes dans une dispute amère après la guerre.
Les Dissensions et Discordes Continuent Après la Guerre
Les dissensions et les discordes dans l’Escadrille devaient continuer dans les années qui ont suivi la guerre, particulièrement à un moment mémorable pour l’unité, la construction et l’inauguration du Mémorial de l’Escadrille Lafayette. Cette fois, la discorde est née de deux problèmes principaux. Le premier concernait le nom de Prince et la construction du mémorial. Le second concernait également le mémorial, mais cette fois les différends opposaient l’Escadrille Lafayette et le Corps d’Aviation Lafayette.
La Saga Rockwell – Prince Continue
Lorsque Kiffin Rockwell et Norman Prince sont morts, la France était en deuil comme s’il s’était agi de ses propres fils et l’Escadrille Lafayette était affectée à raison de la perte de deux de ses célèbres membres. Beaucoup espéraient que la rivalité qui les avait séparés finirait pas s’estomper. Ce que l’Escadrille Lafayette ne savait pas à l’époque, c’est qu’un autre Prince continuerait le combat au nom de la famille.
Frédérick Henry Prince, le père de Norman, était un homme très riche et difficile. Malgré ses vastes holdings et un terrain en France, il était en total désaccord avec la venue de son fils en France pour combattre ; en fait, il a essayé d’utiliser son influence, à l’insu de Norman, pour que ce dernier soit transféré à une position à l’arrière. Norman Prince était le fils préféré de Frédérick Prince et ce dernier espérait qu’un jour Norman reprendrait les affaires de la famille. Le mouvement de rébellion de Norman consistant à s’échapper pour rejoindre les forces de guerre, avait été complètement à l’encontre de ce que M. Prince avait espéré pour lui.
A la mort de Norman, M. Prince a changé soudainement de ton et a tenté de glorifier les actions de son fils. La mort de Norman était devenue une obsession pour le vieil homme, bien qu’il ait un autre fils plus âgé et son homonyme, Frédérick Prince, Jr., dans l’Escadrille Lafayette qu’il évitait sans explication. Le père était un homme obsédé, compliqué et mesquin qui malmenait les gens pour arriver à ses fins. Ses efforts pour glorifier son fils aux frais des autres a rendu les membres de l’Escadrille fous de rage.
Les efforts de M. Prince ont commencé presqu’immédiatement après la mort de Norman. Son intention première était de s’assurer que l’histoire reconnaisse que son fils Norman était le seul membre responsable de la création de l’Escadrille Lafayette. Il devait également chercher à embellir et à augmenter les accomplissements de son fils, aux dépends des autres. Tout d’abord, M. Prince a publié un livre sous le titre Norman Prince, A Volonteer who Died for the Cause He Loved, qu’il a financé et publié lui-même en 1917. Le livre était plein de prières pour son fils décédé, mais également, malheureusement, contenait de nombreuses indications et prétentions prêtant à confusion, au grand désespoir des membres survivants de l’Escadrille, qui, naturellement, se sont indignés des erreurs. Le fait le plus énorme que M. Prince ait publié est que Norman était le seul fondateur de l’Escadrille Lafayette. Les hommes de l’Escadrille Lafayette étaient réellement en colère car M. Prince écrasait tout le monde en publiant ces prétentions, alors qu’ils étaient encore en train de se battre à la guerre. Le public américain, aux Etats Unis, impatient d’entendre des histoires du front, a volontiers avalé ses dires.59
Après la guerre, les efforts de M. Prince ont continué. En 1921, le Capitaine Georges Thenault a maladroitement remis la version française de ses mémoires, L’Escadrille Lafayette, publiées à l’origine en France à M. Prince pour faire traduire l’ouvrage et le faire publier aux Etats Unis. Une lettre de Paul Rockwell, frère aîné de Kiffin, qui avait également servi en France, et qui avait toujours gardé des liens très serrés avec l’Escadrille, adressée à M. Philip S. Hopkins, en date du 6 décembre 1960, traduit la colère et la frustration que les hommes de l’Escadrille Lafayette ont ressenties à l’époque au sujet de la traduction édulcorée :
« Je vous ai adressé hier mes exemplaires des deux éditions par Georges Thenault de l’histoire de l’Escadrille Lafayette ; l’édition authentique de Paris et l’édition altérée par la famille de Prince et publiée à Boston. Je vous les adresse avec des articles couvrant cette affaire. J’en ai beaucoup d’autres mais ceux-ci vous donneront une idée de la façon dont le père et l’oncle de Norman Prince ont tenté de le glorifier en supprimant ce que Thenault disait du bon travail effectué par William Thaw et d’autres pilotes de l’Escadrille Lafayette.
Lorsque vous lirez le Chapitre Un du livre de Thenault comme il l’a écrit, vous noterez qu’il considérait que Thaw était à l’origine du plan pour l’Escadrille d’Américains Volontaires en service en France. Je suis tout à fait d’accord avec Thenault et j’ai intimement connu Thaw d’août 1914 jusqu’à sa mort. Je dois reconnaître que pendant un certain nombre d’années qui ont suivi la Première Guerre Mondiale, j’étais comme nombre d’autres, très sentimental au sujet des gars qui avaient été tués pendant la guerre et j’ai souvent attribué à Norman Prince le crédit d’avoir fondé l’Escadrille Lafayette bien que je savais que Bill Thaw avait eu l’idée bien longtemps avant que Prince ne vienne en France et ne se porte volontaire.
J’ai eu une longue discussion avec Thaw peu de temps avant la fin de la Première Guerre Mondiale au sujet des efforts de la Famille Prince pour glorifier Norman Prince et les revendications extravagantes qu’ils ont faites en son nom. Le commentaire de Thaw a été « Laissez Norman avoir tout le crédit qu’ils veulent lui accorder. Il est mort et je suis vivant et je suis heureux d’être en vie. » Mais après, j’ai appris que les Prince ne se contentaient pas de faire des revendications injustifiées pour Norman (« seul fondateur de l’Escadrille Lafayette » etc) mais ils supprimaient délibérément le crédit accordé à William Thaw et aux autres pilotes pour le bon travail accompli, mon attitude a changé. Ce n’est pas de la faute de Thaw s’il a survécu à la guerre. Il a fait face à la mort aussi souvent et aussi bravement que Norman Prince et mon frère Kiffin et les autres qui sont morts. »60
Thaw, un membre aussi actif et important de l’Escadrille qui n’a jamais fini par rejoindre les cliques dans l’unité, avait même à la fin de la guerre essayé de rester neutre mais cette neutralité ne devait pas durer.
Pendant ce temps, M. Prince continuait ses efforts pour glorifier le rôle de son fils dans l’Escadrille Lafayette. En mai 1923, l’Association du Mémorial de l’Escadrille Lafayette était fondée pour commémorer les efforts de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation Lafayette. Une collecte de fonds importante comprenant plusieurs circulaires a été menée afin de récolter de l’argent. Des hommes importants en France et aux Etats Unis ont soutenu le Mémorial et ont récupéré et donné fonds eux-mêmes. M. Prince est devenu membre du bureau de l’association à raison de son poids et de son influence, faisant donation d’une importante somme d’argent. Mais dès le début, une guerre s’est instaurée entre l’ancien membre neutre William Thaw et Rockell, et M. Prince, guerre qui a duré pendant toute la construction du mémorial qui devait être dévoilé et inauguré le 4 juillet 1928. Cette période a donné lieu à un échange de mots et de vœux pendant cinq longues années, qui ont malheureusement souillé la mémoire du mémorial et des hommes à qui il était dédié, et créé une animosité qui a perduré les années suivantes.
- Prince a utilisé son influence et des menaces pour intimider les membres de l’Association qui comprenait des anciens membres de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation Lafayette, comme Austin Crehore et les associés tels que Paul Rockwell et le Dr Gros. M. Prince en tant que financier principal du Mémorial voulait que le monument soit érigé à la mémoire de son fils Norman. Selon son idée du Mémorial, Norman Prince serait présenté comme l’attraction principale, une tombe avec les restes de Norman devait être la pièce centrale, le reste des hommes étant honorés également mais n’étant que les annexes à Norman, leurs tombes ou non étant présentés comme des toiles de fond ou une partie du décor. Les hommes étaient sidérés ; ils n’avaient pas de problème avec Norman Prince, mais ils ne l’estimaient certainement pas davantage que tout autre membre de l’Escadrille Lafayette, et le Mémorial devait les honorer tous. 61
Thaw et Rockwell ont mené la bataille contre les efforts de Prince. Ils se sont ralliés l’appui d’autres hommes prenant part à la construction du mémorial, qui se sont avérés être une force efficace contre le pouvoir et l’influence de Prince. Au fur et à mesure de la construction du monument, les efforts de M. Prince étaient subjugués, pourtant il est resté membre de l’Association, essayant d’influencer le monument en faveur de son fils. Ces efforts ont été vains. Une lecture attentive des minutes des réunions de l’Association et des correspondances qui ont été échangées entre les membres du conseil de l’Association révèle un M. Prince aguerri, luttant en vain pour la cause de son fils. Enfin, dans une série de lettres en date des 4 et 25 mai et 6 juin 1928, la veille de l’inauguration du mémorial, M. Prince a quitté l’Association et tenté de blâmer un autre membre du conseil pour sa démission, alors qu’il était évident qu’il était seulement mécontent du résultat du monument. Comme il était trop tard pour retirer son financement, il a fait en sorte que tout le monde sache qu’il était offensé. Comme il l’indiquait dans ses lettres à certains membres du conseil, il avait été « insulté par (Austen Crehore) et offensé par lui comme il offense tout le monde » et que l’affront était « purement personnel » et « qu’il donnait au conseil sa lettre de démission ». 62 Il a ensuite retiré le reste de ses fonds, à la recherche d’un autre site pour commémorer son fils.
Les membres de l’Escadrille Lafayette étaient heureux de la perte. Comme Paul Rockwell l’indiquait, « nos avons essuyé avec succès de nombreuses tempêtes telles que la tentative par la famille Prince de nous prendre le Mémorial de Garches dédié à tous nos morts, et de leur transformer en un mémorial pour un seul pilote. »63 Cependant, le combat qui avait éclaté au sujet de l’Escadrille Lafayette avait souillé pour beaucoup la beauté de l’idée et pour certains le combat n’était pas encore terminé avec la famille Prince.
William Thaw, le 8 mai 1929, en réponse à un article écrit et (parrainé par M. Prince) dans la Pittsburg Post Gazette, a écrit la lettre suivante à l’éditeur, qui l’a publié le 11 mai 1929. Thaw s’était indigné des revendications excessives présentées dans l’article de Prince et a tenté de rectifier les faits :
« Je prends la liberté de vous écrire au sujet de votre éditorial de jeudi 25 avril au sujet du service de Norman Prince dans l’Escadrille Lafayette…sans vouloir en aucune façon porter atteinte aux bons services de Prince, alors qu’il était dans l’Escadrille Lafayette, je souhaite corriger vos chiffres. Vous avez indiqué qu’il s’était battu lors de « 122 combats et qu’il avait à son actif 5 avions ennemis, 4 autres non officiellement reconnus. »
J’étais avec l’Escadrille Lafayette en tant que commandant en second sous le Capitaine Thenault qui est maintenant l’Attaché Français de l’Aviation à Washington, durant la période du séjour de Prince et pendant cette période (j’ai devant moi les archives officielles), l’escadron dans son entier a pris part à 156 combats aériens et détruit officiellement 17 avions ennemis, dont 3 ont été attribués à Prince…
Il est illogique de présumer qu’un quelconque pilote ait pu activement participer à 80% des combats de l’escadron et à 53% de ses victoires … »64
A certains égards, le combat contre Prince était moins direct. Paul Rockwell a un jour indiqué dans une lettre du 8 novembre 1959 que « j’ai toujours pensé que je ne pourrais pas écrire une histoire importante de l’unité, il y avait certains des types que je n’aimais pas (pas beaucoup), et je n’aurais pas été juste envers eux ».65 Il avait raison. Dans son livre Combattants Américains dans la Légion Etrangère, 1914-1918, Paul Rockwell ne mentionne Norman Prince qu’une fois dans tout le livre (dans la reprise d’une citation) alors que son frère Kiffin y est mentionné plus de 50 fois.66
Ces efforts et d’autres efforts montrent que les membres de l’Escadrille Lafayette devaient défendre la vraie histoire de leur unité. L’effort principal était dirigé à l’encontre de M. Prince qui continuait à encenser son fils jusqu’à sa propre mort. Ironiquement, ni Norman Prince, ni Keffin Yates Rockwell, ni William Thaw ne seraient enterrés au Mémorial de l’Escadrille Lafayette. Kiffin Rockwell est demeuré dans son cimetière d’origine dans la ville de Luxeuil. Thaw a été enterré à Pittsburg, sa ville natale. Et Prince a fini par avoir son propre mémorial.
- Prince, après avoir essuyé les blâmes de l’Association, a fait tout ce qu’il pouvait pour qu’un mémorial de $ 500.000 soit dédié entièrement à Norman Prince à Ft Meyer, Washington D.C. mais il a été rabroué par les officiels de la base. Il a fini, paraît-il, par utiliser son influence et ses connaissances pour que les reste de son fils reposent dans la Cathédrale Nationale de Washington à Washington D.C.. Les restes de Norman Prince reposent dans une chapelle bien en vue à l’intérieur de la cathédrale, où une statue de lui et sa crypte en pierre blanche resplendissent. Prince repose dans un environnement majestueux, au milieu d’hommes d’état comme Woodrow Wilson. La chapelle a été inaugurée en 1937 et les reste de Norman Prince ont été transférés de France et y ont été enterrés. Il ne fait aucun doute que M. Prince s’est battu jusqu’à la fin pour promouvoir le rôle de son fils dans l’Escadrille ; en effet, tous les visiteurs qui viennent sur ce site et qui voient la tombe, peuvent lire les mots suivants gravés sur le côté :
NORMAN PRINCE
Fondateur de l’Escadrille Lafayette
Parmi les premiers à montrer le chemin que la nation devait
suivre dans la Guerre Mondiale. 67
L’Escadrille Lafayette par opposition avec le Corps d’Aviation Lafayette
La veille de l’inauguration du mémorial, un rassemblement s’est tenu pour les survivants de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation Lafayette à l’Hôtel Chatham, un des endroits préférés de rassemblement des hommes de Lafayette pendant la guerre (qui malheureusement n’existe plus). Les hommes étaient là pour fêter l’inauguration du monument qui devait les honorer à perpétuité. Bien qu’ils n’aient pas eu à l’époque de reconnaissance officielle aux Etats Unis, ils savaient que ce mémorial devait permettre d’assurer leur pérennité.
Cependant, le rassemblement n’était pas aussi festif que les membres auraient voulu qu’il le soit. Une querelle verbale est née entre les pilotes. Un des pilotes de l’Escadrille Lafayette a accusé les membres du Corps d’Aviation Lafayette d’essayer « d’éclipser l’Escadrille Lafayette ». D’autres pilotes de l’Escadrille Lafayette ont surenchéri. Bien sûr, les pilotes du Corps d’Aviation s’en sont offensés. De plus, certains pilotes considéraient qu’aucune personne vivante ne devrait figurer sur le mémorial et que ce devrait être seulement un mémorial dédié à ceux qui sont morts au combat. Certains pilotes étaient fâchés que certains de leurs camarades ne figurent pas sur la liste des noms qui seraient gravés sur le mémorial. Certains étaient fâchés par les noms qui avaient été retenus. Finalement, Austeen Crehore, membre du Corps d’Aviation Lafayette et membre du conseil de l’Association du Mémorial de l’Escadrille Lafayette a pris la parole pour tenter de calmer les esprit : « nous avons payé notre tribut de morts, ne les excluez pas . Nous avons tous combattu pour la même cause ». Mais la controverse ne devait pas se calmer et la querelle devait hanter tous les membres de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation pendant des années. 68
* * *
Nombre des 10.000 participants à la cérémonie d’inauguration du Mémorial de l’Escadrille Lafayette le lendemain, y compris des notables français tels que le Maréchal Foch et le Maréchal Pétain, n’avaient aucune idée de l’existence d’une controverse au sujet du Mémorial qu’ils devaient inaugurer. A l’époque, les noms des membres de l’Escadrille Lafayette et du Corps d’Aviation Lafayette n’avaient pas encore été inscrits sur le mémorial.
Personne ne savait vraiment comment traiter de problème de façon appropriée. Certains des membres de l’Escadrille Lafayette pensaient que seuls les 38 membres originels de l’unité plus les officiers français qui les commandaient, devaient être inscrits sur le Mémorial. Les membres du Corps d’Aviation Lafayette pensaient quant à eux à juste titre qu’ils avaient également une raison de figurer sur le monument. N’avaient-ils pas combattu dans les mêmes batailles aériennes au même moment, pour le même allié ? Mais quel serait le juste nombre pour le Corps d’Aviation Lafayette ? S’agissait-il des seuls 180 hommes qui avaient combattu au front ? S’agissait il des 269 hommes qui avaient suivi la formation française, même ceux qui n’avaient pas atteint le front ? Pourquoi ne pas inclure ceux qui étaient morts dans des accidents pendant l’entraînement ; n’avaient-ils pas fait le sacrifice ultime ? La liste devait-elle inclure les pilotes qui s’étaient portés volontaires en toute bonne foi et qui avaient été écartés des listes des écoles de combat à raison d’inaptitudes, maladies ou blessures pendant l’entraînement ? La décision était difficile et personne n’avait la solution parfaite.
Le cas d’Eugene Bullard est un exemple qui montre les dissensions au sujet du Mémorial. Eugene Bullard était le premier pilote Noir Américain et le seul pilote Noir dans le Corps d’Aviation Lafayette. Eugene était un boxeur professionnel avant la guerre et il était venu en France pour trouver une vie meilleure parmi les Français plus impartiaux en termes de racisme. Lorsque la guerre a commencé, il s’est enrôlé dans la Légion Etrangère Française. Il a été blessé le 5 mars 1916 par des éclats d’obus et devait recevoir une citation et la Croix de Guerre avec une étoile de bronze. Il s’est inscrit dans l’aviation comme ses blessures le gênaient pour marcher et il a été accepté. Aux dires de tous, il avait de bons résultats à l’école d’aviation, qu’il avait intégrée le 3 septembres 1916. Il a servi avec le SPA-93 du 27 août 1917 au 13 septembre 1917 et avec le SPA-85 du 13 septembre 1917 au 11 novembre 1917. 69
Bullard était bien aimé et avait des amis dans l’Escadrille. Une lettre d’Edmond Genet du 26 mars 1917, qui s’était lié d’amitié avec Bullard dans la Légion Etrangère Française, exprimait son amitié pour Bullard et le félicitait de « s’en sortir si bien avec le pilotage » et indiquait qu’il avait entendu dire qu’il était « si prêt de recevoir son brevet ». 70
Malheureusement pour Bullard, un événement est survenu qui devait hanter sa réputation avec Lafayette pour le reste de sa vie. Bullard était à Montmartre en permission avec un ami noir et deux femmes lorsqu’ils ont eu un accrochage avec un officier français et un officier anglais. La dispute s’est envenimée entre l’officier français et Bullard et ils en sont venus aux mains. Bullard étant un ancien boxeur a facilement eu le dessus sur l’officier français. Cependant, ce n’était que le début des ennuis. Bullard a été arrêté et accusé d’avoir frappé un officier français, d’avoir illégalement porté la fourragère de la Légion Etrangère Française et d’avoir utilisé un coup de poing américain pendant la bagarre. Il a été menacé d’emprisonnement mais devait en fin de compte être relâché. 71
L’incident a malheureusement été porté à l’attention des officiels du Corps d’Aviation Lafayette. La condamnation du Dr Gros, qui avait une dent contre Bullard, a été sévère. 72 Dans une lettre du Dr Gros au Capitaine W.W. Hoffman, Etat Major, AEF, le 16 novembre 1917, Dr Gros montrait qu’il ne soutenait pas Bullard :
« Cher Capitaine Hoffman,
Le problème Bullard a trouvé une solution très élégante. Bullard qui est un ancien boxeur professionnel a mis KO un adjudant français, ce pourquoi il a écopé de 10 jours de prison. Il en a eu 2 supplémentaires pour avoir paraît-il porté la Fourragère à laquelle il n’avait droit qu’en tant que membre de la Légion Etrangère.
Ceci entraîne sa radiation totale de la Section Aviation de l’Armée Française et son transfert dans les rangs de l’Infanterie Française.
Dans ces conditions, vous considérerez bien sûr qu’il est moralement inapte à prendre part à l’Armée des Etats Unis et vous pouvez le rejeter pour ces raisons.
Au moins un nuage noir a été dispersé de notre horizon. » 73
Dans une autre lettre, le Dr Gros écrivait à Bullard :
J’ai reçu votre lettre m’annonçant votre bien triste expérience de boxe. Il n’y aucune excuse pour un tel manque de dignité et ceci bien entendu sera fortement retenu contre vous.
Je ne peux rien faire pour atténuer les conséquences fâcheuses que vous avez à juste titre subies des Autorités Militaires Françaises ». 74
Bullard a été rejeté du Corps d’Aviation Lafayette à cause de cet incident et parce que le Dr Gros ne l’a pas défendu . Il a terminé la guerre dans l’infanterie française. Cet incident a fait qu’ensuite le Dr Gros a demandé à ce que Bullard soit exclu du Mémorial de l’Escadrille Lafayette. Cependant, le grand Lufbery avait lui-même passé 10 jours en prison – c’était un incident bien connu. En fait, le télégramme qu’il avait envoyé de Chartres est toujours inscrit dans le Journal des opérations et marches à l‘Institution du Smithsonian. Peut-être était-ce dû au tableau exceptionnel de Lufbery. Cependant , ceci ne devrait pas suffire à expliquer l’appui qu’a apporté le Dr Gros pour que Bert Hall soit inclus dans les rangs de ceux qui étaient nommés. Le Dr Gros a écrit le passage suivant dans une lettre adressée à Austeen Crehore :
« …Un nom en question, celui de Bert Hall, a donné lieu à de nombreuses discussions. A mon sens, bien que Bert Hall n’ait pas terminé avec toute la gloire possible, il a commencé bravement et faisait partie de la première Escadrille et en fin de compte, il a fait quelque chose pour gagner la gloire de ce célèbre groupe … »75
Le Dr Gros n’avait aucun moyen de savoir que Bert Hall deviendrait un criminel et un perpétuel bon à rien. Cependant, la réputation de Bert Hall comme étant un individu louche, qui mentait souvent et à qui on avait demandé de quitter l’Escadrille à raison de son caractère, n’explique pas les objections de Gros à Bullard contre qui toutes les charges avaient été abandonnées.
Dans la même lettre mentionnée ci-dessus de Dr Gros à Crehore du 17 mai 1929, Gros expliquait que :
« Nous pensons que ceux qui ont été tués ou sérieusement blessés dans les écoles de formation devraient figurer sur la liste (du Mémorial). Au contraire, ceux qui, à raison d’inaptitudes, d’indiscipline ou même à raison de santé, n’ont pu obtenir leur diplôme, devraient être écartés. »76
Que des hommes qui n’avaient jamais volé en combat soient inclus sur la liste du monument de l’Escadrille Lafayette (y compris le nom du Dr Gros), alors que des hommes qui avaient servi honorablement étaient laissés de côté était exaspérant. C’est apparemment ce que Bullard pensait et il a indiqué qu’il était blessé. Dans une lettre de Bullard à Austeen Crehore du 17 décembre 1928, il écrivait :
« Je vous envoie ma déclaration dans laquelle vous demandez qu’il n’y ait pas d’autre faux pas ce qui est très très injuste concernant les états militaires car j’étais assez bon pour voler côte à côte et risquer ma vie avec nombre de pilotes et soldats qui ont perdu la vie où j’aurais pu perdre la mienne. Je pense que c’est la chose la plus lamentable que j’aie jamais entendue et je sais que des pilotes de mon temps seront d’accord avec moi sur ce point. »77
Le combat de Bullard pour son droit à être inclus dans le Mémorial de l’Escadrille comprenait des lettres d’anciens commandants, d’un ancien chef dans la Légion, le Colonel Girod qui avait perdu un bras, qui citait Bullard pour « sa conduite, sa discipline (et) son courage ». 78 Bullard a également par la suite porté une accusation à hauteur de 40.000 F contre le Chicago Tribune qui avait publié un article décrivant de façon incorrecte les événements de ce jour fatidique pour Bullard. En mai 1923, le Chicago Tribune a conclu une transaction en faveur de Bullard et a publié une excuse adressée à Bullard en première page et le compte rendu correct des événements. 79 Dans une lettre de Lewis D. Crenshaw de l’Association du Mémorial de l’Escadrille Lafayette adressée à Austeen Crehore le 19 septembre 1928, Crenshaw défendait Bullard et indiquait qu’ « il n’y a rien dans les états militaires d’octobre 1914 à l’armistice qui devrait l’empêcher de figurer sur la liste d’honneur ». Il a également expliqué que Bullard n’avait jamais fait de prison à raison de sa dispute ou à cause de la Fourragère, et que l’événement avait pris une importance exagérée. Crenshaw a ajouté que le Dr Gros était la seule raison pour laquelle le nom de Bullard ne figurait pas sur la liste.80
Le Dr Gros a fini par gagner. Bullard n’était pas sur la liste. Bullard, membre de la Légion d’Honneur, ayant gagné la Croix de Guerre, ayant servi la France pendant 4 longues années dans la Légion dans les airs et au sol, est mort seul, pauvre – il travaillait à la fin de sa vie comme liftier dans un hôtel lambda à Chicago.
A la fin, il a été décidé que parmi les 269 candidats possibles, seuls 209 seraient sur la liste. 60 noms ont été omis, y compris celui de Bullard et de Bert Hall. La plupart de ces hommes n’avaient pas servi sur le front ou n’avaient pas terminé la formation de pilote. Cependant le nom du Dr Gros figurait sur le Mémorial.
Les hommes sont tous morts à présent et le débat est sagement clos , mais le fait qu’il y ait eu des dissensions pour commencer avec le nom de ceux qui seraient sur la liste, et le fait que le débat ait été rendu public, n’a rien fait pour servir la mémoire de ces vaillants hommes. Vu de l’extérieur, la querelle ne pouvait que sembler mesquine. Le fait que les hommes de l’Escadrille et du Corps d’Aviation se soient battus pour être sur la liste est triste et malheureux. Certains n’ont pas compris le rôle du mémorial.
Résumé
Si on considère en détail toute unité célèbre, il est normal de trouver des défauts. L’Escadrille Lafayette n’était pas différente de toute autre unité ; elle était composée d’hommes normaux. Cependant, pour l’observateur et l’historien, il est toujours quelque peu triste que cette réalité soit mise à jour.
Les dissensions, les discordes, la méfiance et l’indiscipline rencontrées dans l’Escadrille Lafayette font partie de l’histoire de l’unité. Et malheureusement, cela a été mis en évidence lorsque les propres hommes de l’Escadrille Lafayette ont rendu publiques leurs rivalités et débats. Peut-être qu’à présent cela n’apparaît pas comme était un fait important mais à l’époque, particulièrement lorsque le Mémorial Lafayette devait être dédié à leur mémoire, tous ces détracteurs ont réduit l’héritage des aviateurs Lafayette.
- Flying for France, Modom Productions—France 3, 1999. Citation du fils de Georges Thenault.
- Gordon, Pilot Biographies, p. 230.
- Parsons, I Flew, p. 125.
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- Lettre, date 2 juillet 1916, James R. McConnell à Marcelle Guerin. James R. McConnell (JRM) Collection, University of Virginia.
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- Gordon, Pilot Biographies, p. 249.
- Parson, I Flew, p. 216.
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- Ibid., p. 52.
- Journal: Escadrille N° 124.
- Lettre, date 19 juillet 1916, James R. McConnell to Paul A. Rockwell. JRM Collection.
- Parsons, I Flew, p. 148.
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- Gordon, The Lafayette Flying Corps, p. 38.
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- Genet, An American for Lafayette, entrée de journal personnel, daté le 25 février 1917.
- Parsons, I Flew, p. 290.
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- Rockwell, Paul A., American Fighters in the Foreign Legion (NY, Hougton, Mifflin, Co., 1930), p. 187.
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- Rockwell, Paul A., Interview #550: Colonel Paul A. Rockwell (“Cross and Cockade Society”, 1962), p. 7.
- Kennett, The First Air War, p. 143.
- Lettre, date 1 juillet 1916, James R. McConnell à Paul A. Rockwell. JRM Collection.
- Lettre, date 19 juillet 1916, James R. McConnell à Paul A. Rockwell. JRM Collection.
- Gordon, Lafayette Flying Corps.
- Gordon, Pilot Biographies, p. 68.
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- Lettre, date 21 juin 1916, James R. McConnell à Paul A. Rockwell. JRM Collection.
- Lettre, date 25 juin 1916, James R. McConnell à Paul A. Rockwell. JRM Collection.
- Lettre, date 1 juillet 1916, James R. McConnell à Paul A. Rockwell. JRM Collection.
- Gordon, Pilot Biographies, p. 68.
- Ibid., p. 84.
- Ibid., p.191.
- Lettre, date 16 juin 1916, James R. McConnell à Paul A. Rockwell. JRM Collection.
- Genet, An American for Lafayette, p. 146.
- Lettre, date 15 juin 1916, James R. McConnell à Paul A. Rockwell. JRM Collection.
- Dolan, Oral Interview, p. 10.
- Mason, Lafayette Escadrille, p. 128.
- Flammer, The Vivid Air.
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- Les Carnets de Comptabilité en Campagne, Esc N° 124. SHAA.
- Gordon, The Lafayette Flying Corps, p. 20.
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- Bailey, The French Air Service War Chronology, p. 68.
- Gordon, Pilot Biographies, p. 45.
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- Lettre, date 15 juin 1916, James R. McConnell à Paul A. Rockwell. JRM Collection.
- Flying for France, vidéo, citation du neveu de Norman Prince.
- Gordon, Lafayette Flying Corps, p. 129.
- Lettre, date 12 juin 1960, Paul A. Rockwell à Phillip Hopkins. NASMA.
- « L’Escadrille La Fayette, Tome II. » Icare, N° 160, P. 190.
- Tous les lettres écrit par M. Prince mentionné sont à Blérancourt.
- Gordon, Lafayette Flying Corps, p. 140.
- Lettre, date 8 mai 1929, William Thaw à Pittsburgh Post Gazette. NASMA.
- Lettre, date 8 novembre 1959, Paul A. Rockwell à Charles Dolan. Charles Dolan Collection, USAF Academy.
- Rockwell, American Fighters .
- Visite d’auteur.
- Gordon, Lafayette Flying Corps, p. 140, et Austen Crehore Collection, USAF Academy.
- Dossier Officiel d’Eugene Bullard, Blérancourt.
- Lettre, date 26 mars 1917, Edmond Genet à Eugene Bullard. Blérancourt.
- Chicago Times et autres sources divers.
- Gordon, Lafayette Flying Corps, p. 7.
- Lettre, date 16 novembre 1917, Dr. Edmund Gros à Capitaine Hoffman. Blérancourt.
- Lettre, date 4 novembre 1917, Dr. Edmund Gros à Eugene Bullard. Blérancourt.
- Lettre, date 17 mai 1929, Dr. Edmund Gros à Austen Crehore. Blérancourt.
- Ibid.
- Lettre, date 27 décembre 1928, Eugene Bullard à Austen Crehore. Blérancourt.
- Recommandation de Colonel Jan Girod, date janvier 1923. Blérancourt.
- Chicago Times 23 mai 1923 et lettre de Lewis D. Crenshaw à Austen Crehore. Austen Crehore Collection.
- Lettre, de Lewis D. Crenshaw à Austen Crehore. Austen Crehore Collection.