De l’ordre en général

L’ordre est nécessaire en toutes choses pour éviter la confusion ; c’est l’arrangement des parties d’un tout qui doivent se correspondre, pour. le mieux possible, d’une façon intime, avec célérité, précision et unanimité.

C’est, dans les armées navales, la manière déterminée dont les vaisseaux doivent être rangés pour se soutenir mutuellement, chercher un ennemi, le poursuivre, l’attaquer ou le fuir, et protéger les vaisseaux du commerce.

Il y a différents ordres suivant les circonstances dans lesquelles une armée peut se trouver.

Observations sur les différents ordres nécessaires

aux différentes circonstances des armées navales.

 

  1. Il faut un ordre de marche pour que tous les vaisseaux d’une armée puissent agir uniformément et conformément au dessein de celui qui commande et à la gloire de l’état. L’ordre de marche qui rassemble le plus tous les vaisseaux d’une armée, de façon qu’ils puissent être formés le plus promptement possible en bataille, doit être préférable à tout autre.Il n’y a point de nécessité à pratiquer plus de trois ordres de marche : l’un dans le cas où il faut qu’une armée passe par un défilé étroit ; l’autre dans le cas où elle fait route en pleine mer, soit en allant à la rencontre de l’ennemi ou en cherchant à l’éviter, soit en faisant route pour une destination quelconque ; la troisième pour occuper une croisière très étendue sans crainte d’être surpris et divisé par l’ennemi : en conséquence je n’en proposerai que de relatifs à ces trois objets.
  2. Il faut un ordre de bataille où, par un mouvement prompt, les vaisseaux d’une armée puissent être en état de se protéger réciproquement et de combattre l’ennemi, de quelque côté qu’il se présente, soit au vent, soit sous le vent.
  3. Il faut un ordre de chasse pour que tous les vaisseaux d’une armée puissent agir à la fois contre toutes les forces d’un ennemi qui fuit, et se remettre en ordre de bataille très promptement, si, après avoir fui, l’ennemi cherchoit à combattre.
  4. Il faut un ordre de retraite pour que tous les vaisseaux d’une armée se soutiennent réciproquement et ne se laissent point entamer par les forces de l’ennemi qui la poursuit.

Celui qui permet de se remettre en bataille le plus promptement possible doit être le meilleur.

 

  1. Il faut un ordre de convoi pour escorter avec sécurité et sûreté les flottes marchandes d’un port à un autre. Celui qui est susceptible d’une très grande extension, et qui peut les mettre de tous côtés à couvert des approches de l’ennemi sans déranger leurs marches, doit être le meilleur de tous.
  2. Il faut enfin un ordre de circonvallation pour détacher de l’armée ennemie une partie de ses forces afin de combattre ensuite le reste avec plus d’avantage.
Celui qui, étant fait avec précision et à propos, peut égaliser les forces des deux armées inégales en nombre de vaisseaux, balancer la victoire, et même la décider en faveur de l’armée inférieure, est sans doute celui qui doit être préféré.

D’après ces principes, voici les ordres généraux que je propose.

Premier ordre de marche

Cet ordre de marche consiste dans l’arrangement des vaisseaux de façon qu’ils soient dans les eaux les uns des. autres, quelle que soit la route qu’ils fassent : c’est celui que l’on suit et que l’on doit suivre dans toute espèce de passage resserré par des écueils ou des terres (Fig. 4)

Second ordre de marche

Dans cet ordre de marche absolument inconnu jusqu’à présent, les colonnes ab, cd, ef, d’une armée doivent être formées sur trois côtés d’une losange régulière et rangées sur les deux lignes du plus près ; les vaisseaux des deux colonnes cd, ef, tantôt au vent (Fig. 5) et tantôt sous le vent (Fig. 6) de la troisième colonne ab, doivent être formés sur deux parallèles d’une des lignes du plus près dans les eaux de leur chef de file respectif; et cette troisième colonne ab doit être rangée en avant des deux autres sur la route du plus près, opposée à celles qu’elles suivent, et faire néanmoins en échiquier la même route que ces deux colonnes 20.

Lorsque cette colonne ab sera au vent des deux autres, je nommerai cet ordre l’ordre de marche primitif au vent (Fig. 5); et si au contraire les deux colonnes cd, ef, sont au vent de cette colonne ab, je le nommerai l’ordre de marche primitif sous le vent (Fig. 6).

Cet ordre doit rendre facile la communication des signaux à toutes les parties de l’armée ; et il sera d’autant plus aisé à observer, lorsque les vaisseaux s’élèveront au vent à la route du plus près, et qu’ils feront voiles sous le vent à la route de quatre quarts largues opposée à l’une de celles du plus près, que, dans l’un et l’autre cas, ils seront en ligne dans les eaux de leur chef de file.

Observation importante 

La position fixée aux trois colonnes dans l’ordre de marche primitif au vent est la même pour l’ordre de bataille naturel, l’ordre de retraite, et l’ordre de circonvallation.

Celle des trois colonnes dans l’ordre de marche primitif sous le vent est encore la même pour l’ordre de bataille renversé, l’ordre de chasse, et l’ordre de convoi.

Ainsi, dans tous les cas possibles, l’officier général commandant une armée ne doit s’occuper que de ces deux positions de l’ordre de marche, dans l’une ou l’autre amure, pour tous les mouvements qu’il jugera à propos de faire exécuter à cette armée.

La seule différence qu’il y ait dans ces différents ordres consiste principalement, dans la route que doivent faire les vaisseaux de chaque colonne, et dans leurs positions par rapport à l’amure que doit tenir l’armée, qui sera toujours la même que celle de la route que l’on doit faire comme dans la tactique usitée 21.

Troisième ordre de marche en croisière

Dans cet ordre de marche, les deux colonnes cd, ef, au lieu d’être appuyées sur le chef de file et le serre-file de la troisième colonne ab, comme dans l’ordre de marche primitif en losange, peuvent être écartées de cette troisième conne autant qu’on le jugera à propos dans une croisière, et pourront être placées très utilement à une très grande distance les unes des autres, pourvu que les vaisseaux de chacune de ces colonnes se tiennent toujours dans leurs positions respectives des deux lignes du plus près, parce que ces trois colonnes seront ainsi disposées à se réunir promptement et à se former dans l’ordre de marche primitif à la vue de l’ennemi, en faisant chacune de leur côté le mouvement opposé qui doit les rapprocher ; car si ces trois colonnes ab, cd, ef, se trouvent placées à six lieues de distance les unes des autres, elles pourront découvrir un espace de près de cinquante lieues d’étendue en circonférence, sans que l’ennemi puisse surprendre l’armée en désordre pendant qu’elle manœuvre pour se former dans cet ordre, parce que l’espace, pris du centre de l’horizon où se trouve chaque vaisseau des trois colonnes au point de la circonférence de cet horizon où il peut appercevoir cet ennemi, ou tout autre objet quelconque, est déterminé de six lieues, et que, pour se réunir, chaque colonne n’auroit que la moitié de ce chemin à faire, tandis que l’ennemi auroit, pour la joindre, les six lieues dont il a été apperçu, plus la moitié du chemin qu’auroit à parcourir chacune des colonnes, pour se réunir aux deux autres.

En effet, si l’on imagine les trois colonnes ab, cd, ef (Fig. 7), dans une position telle que les deux colonnes ab, ef, soient à six lieues de distance l’une de l’autre, et que l’on puisse supposer le triangle s, t, v, dont les points s et v sont les deux extrémités de la base sur lesquelles sont appuyées les deux colonnes cd, ef, et le point T le sommet de ce triangle où est fixé le vaisseau du centre de la troisième colonne ab ; si cette colonne ab fait route de T vers x , a la route opposée du plus près qu’elle faisoit, tandis que les deux colonnes cd, ef, feroient route aussi de v et de s vers x, ces trois colonnes n’auroient chacune que trois lieues à faire pour être réunies aux deux autres colonnes : mais chacune de ces trois colonnes n’ayant donc que trois lieues à faire pour éviter l’ennemi, et cet ennemi ayant été apperçu de six lieues, il en auroit nécessairement neuf à faire pour arriver au même point. Or, comme la vitesse connue des vaisseaux ne permet pas de croire que l’ennemi pût joindre aucune de ces colonnes avant qu’elles ne fussent formées dans leurs positions respectives de l’ordre de marche primitif au vent, on peut, je pense, considérer ce troisième ordre de marche comme très avantageux dans une croisière d’armée, d’autant que les frégates peuvent y être très utiles pour annoncer de plus loin encore l’approche de l’ennemi, et rendre facile la communication des signaux, si elles sont placées en avant et dans les intervalles des colonnes dans les points yyy, au vent et sous le vent de cette armée 22.

Ordre de bataille

Le nouvel ordre de bataille que je propose est tel que les trois colonnes d’une armée sont formées sur les trois côtés d’une losange régulière, comme dans l’ordre de marche primitif au vent, excepté néanmoins que les vaisseaux d’une seule des trois colonnes sont dans les eaux les uns des autres, et que ceux des deux autres colonnes sont sur deux lignes parallèles et font route en échiquier ; de sorte que si l’on veut faire passer une armée de l’ordre de marche primitif au vent à cet ordre de bataille sur l’amure opposée, le mouvement sera infiniment plus prompt que ceux qui sont indiqués dans les tactiques connues pour passer de toutes les positions de marche sur la ligne de front, sur l’angle obtus de chasse ou de retraite, sur trois ou six colonnes , a l’ordre de bataille usité : car il suffira que les vaisseaux des trois colonnes, rangés dans l’ordre de marche primitif au vent, donnent tous ensemble vent devant, et qu’ils prennent l’amure du plus près opposé pour être formés dans cet ordre de bataille (Fig. 8) ; et si l’armée étoit dans l’ordre de marche primitif sous le vent, il suffiroit que les vaisseaux des trois colonnes tinssent tous ensemble le plus près à l’amure où ils courent pour être aussi en ordre de. bataille (Fig. 9).

Lorsque les deux colonnes cd, ef (Fig. 8), sont sous le vent de la troisième colonne ab qui doit être en bataille, je nommerai cet ordre l’ordre de bataille naturel ; si, au contraire, ces deux colonnes sont au vent de la colonne en bataille (Fig. 9), je le nommerai l’ordre de bataille renversé.

Le premier de ces ordres est fait naturellement pour une armée qui doit combattre sous le vent, et le second pour celle qui combattroit au vent.

Observations sur l’ordre de bataille naturel

et sur l’ordre de bataille renversé.

Si l’on suppose actuellement que cette colonne qui doit combattre au vent ou sous le vent peut prendre les amures à stribord et à babord, on verra qu’elle peut être, placée sur les quatre côtés de la losange 23, et que par conséquent elle peut faire face à l’ennemi à quelque partie de l’horizon qu’il se présente. Mais afin de connoître à la vue de cet ennemi s’il est au vent ou sous le vent de l’armée rangée en losange, sur quel bord et de quel côté l’armée doit se former pour attaquer ou se défendre avec avantage, il faut savoir que dans l’ordre de marche primitif, au vent et sous le vent, le lit du vent traverse toujours le vaisseau de l’armée le plus au vent et celui qui est le plus sous le vent (Fig. 8 et 9) ; que ce vaisseau qui est, le plus sous le vent est toujours placé au centre d’un horizon qu’il faut regarder comme le principal horizon de cette armée ; et que c’est de ce vaisseau que l’on doit décider si l’armée en losange est au vent ou sous le vent de celle de l’ennemi, en suivant les règles connues et pratiquées en pareil cas 24.

Si l’on veut connoître, à la vue de l’ennemi qui seroit apperçu au vent ou sous le vent de l’armée en losange, de quel côté la colonne en bataille doit être formée afin de faire passer une des colonnes sur le côté de cette losange où il n’y en auroit pas, c’est la position de cet ennemi, par rapport au lit du vent qui doit en décider, parce que si l’ennemi est au vent de l’armée qui est dans l’ordre de marche primitif au vent, et qu’il fasse vent arrière ou largue sur cette armée, c’est le vaisseau le plus au vent de l’armée qui doit observer ce qui suit.

Si ce vaisseau relevé l’ennemi à stribord du lit du vent, c’est la colonne qui est à stribord de ce lit du vent qui doit prendre les amures à stribord et se former en bataille avant que l’ennemi ne soit à la portée du canon : s’il le relevé, au contraire, du côté de babord, c’est la colonne de babord qui doit être en bataille et s’établir dans cet ordre avant que l’ennemi puisse livrer combat ; c’est ce qui sera très facile.

L’ancienne règle pour l’amure que l’on doit préférer doit avoir lieu, par rapport à l’armée, dans l’ordre de marche primitif sous le vent, en observant que c’est le vaisseau le plus sous le vent de l’armée qui doit en décider, et que le point de l’horizon opposé à celui d’où vient le vent est le point vers lequel l’observateur doit être tourné pour décider de quel côté, de stribord ou de babord, la colonne en bataille doit se former, parce que dans cette position, le côté de stribord doit être toujours à sa droite, et le côté de babord à sa gauche.

En suivant cette règle générale, la colonne en bataille ne sera jamais exposée à être prolongée au vent ou sous le vent ni à bord opposé, par tous les vaisseaux de l’armée ennemie formée sur une seule ligne, ni même à être surprise en désordre par cette armée pendant que l’on veut se former en ordre de bataille naturel ou renversé.

Mouvements que peuvent faire les deux colonnes en échiquier, appuyées sur le chef de file et le serre-file de la colonne en bataille dans le nouvel ordre de bataille naturel, et comparaison de cet ordre à l’ordre de bataille usité.

Si la ligne AB, CD, EF, représente l’armée d’un ennemi au vent rangée dans l’ordre de bataille usité au plus près du vent, les amures à stribord (Fig. 10), la ligne ab sous le vent représentera l’une des colonnes en bataille, l’amure à stribord de l’armée dans le nouvel ordre naturel que l’ennemi veut attaquer, et sur laquelle il croit avoir une grande supériorité parce que cette colonne présente un front de bataille infiniment plus petit que le sien 25.

Les deux lignes cd, ef, représenteront les deux. autres colonnes faisant route en échiquier sur les mêmes amures que le front de bataille, et formées sur la ligne du plus près opposé.

Dans cette supposition, si les parties AB, EF de l’armée ennemie, qui ne peuvent combattre contre les vaisseaux de la ligne ab, veulent se porter sur le chef de file a ou sur le serre-file b de cette ligne, elles seront obligées d’arriver pour attaquer les deux vaisseaux, a et b ; il faut alors que chacune des colonnes cd, ef, de l’armée dans le nouvel ordre fasse les mouvements qui sont relatifs à leurs positions et à la manœuvre de cet ennemi.

La colonne ab doit ralentir le plus qu’il est possible sa marche, et former un front de bataille très serré jusqu’à ce que l’ennemi fasse un mouvement pour attaquer le chef de file ou le serre-file de cette colonne.

La colonne cd doit faire de la voile et se porter dans le même ordre qu’elle est établie sous le troisième vaisseau de la queue du front de bataille ab 26 elle se mettra à la même voilure que les vaisseaux de cette colonne pour conserver cette position jusqu’à ce que les vaisseaux de l’ennemi fassent leurs mouvements pour attaquer les vaisseaux de queue de cette même colonne. Dans cette position elle peut observer les manœuvres de l’ennemi afin de changer d’amures et d’être formée en ordre de bataille sur le bord opposé dès que les vaisseaux ennemis auront parcouru un certain espace après leur arrivée, parce que cette colonne faisant route ensuite au plus près du vent dans les eaux du serre-file de la division ab, elle pourra couvrir les vaisseaux de queue de la colonne ab et passer au vent des colonnes ennemies qui arrivent, canonner les vaisseaux de cet ennemi par la proue, les prolonger, doubler leur arrière-garde, et la mettre entre deux feux si ces vaisseaux ennemis se suivent dans les eaux les uns des autres 27, la subdiviser s’ils arrivent en échiquier, ou bien encore s’élever au vent pour mettre entre deux feux la colonne cd qui combat contre les vaisseaux de la colonne ab.

Les vaisseaux de la colonne ef pourront abandonner leur poste et courir en échiquier, en forçant de voiles sur la même route et dans le même ordre qu’ils étoient formés, dès qu’ils s’appercevront que l’ennemi se porte en avant de la colonne ab, afin que si la colonne AB de cet ennemi fait quelque mouvement pour arriver sur cette colonne ef, ou sur la tête de la colonne ab, elle puisse, en revirant de bord, faire route en ordre de bataille au plus près du vent à route du plus près opposé, pour couvrir le vaisseau de la tête de la colonne ab, doubler la colonne CD de l’ennemi par l’avant, ou diviser la colonne AB de cet ennemi qui court en échiquier à bord opposé.

On peut encore faire manœuvrer d’autre manière ces deux colonnes cd, ef, dans le cas où les vaisseaux de l’armée ennemie seroient sur une seule ligne mal formée, ou qu’ils seroient en désordre et laisseroient entre eux une trop grande distance en combattant de très près la colonne ab (Fig. 11 ).

  1. En faisant revirer de bord les vaisseaux de la colonne ef, ainsi que le vaisseau a, chef de file de la colonne ab.
  2. En faisant revirer dans le même temps vent devant les vaisseaux de la colonne cd, ainsi que le serre-file b de la colonne ab, pour tenir le vent ensuite sur la ligne du plus près opposée.
  3. En faisant arriver en même temps de quatre quarts tous les vaisseaux de la colonne ab qui étoient entre le chef de file a et le serre-file b, et en leur faisant prendre les mêmes amures que les vaisseaux des deux autres colonnes quand ils seroient par le travers des serre-files de ces deux colonnes, parce que dans cette position, les vaisseaux des deux colonnes cd, ef, au vent sur deux parallèles en ordre de bataille dans les eaux des chefs de file a et b ; qu’elles pourroient mettre entre deux feux une partie des vaisseaux de l’ennemi, lesquels seroient obligés de prendre la même amure que ces deux colonnes, attendu que les vaisseaux de la colonne ab qui sont formés au même bord que ces deux mêmes colonnes doivent empêcher les vaisseaux ennemis de suivre la route opposée à cette amure.

Enfin ces deux colonnes cd, ef (Fig. 12), peuvent encore manœuvrer autrement et se porter toutes deux sur les vaisseaux de queue de la colonne ab, si les vaisseaux de l’ennemi ne se portoient point en avant de cette colonne et qu’ils voulussent attaquer le serre-file B. Mais c’est ce que l’on verra plus particulièrement dans la section de l’essai sur les mouvements de guerre, qui est à la suite des évolutions.

D’après cet exposé succinct, on peut remarquer

  1. que, dans la premiere supposition, la façon de disposer ainsi les forces d’une armée est d’autant plus convenable à la défense du chef de file et du serre-file d’une ligne de combat que les vaisseaux de la colonne cd, couverts par cette ligne de combat, peuvent manœuvrer sans qu’il y ait des vaisseaux de cette colonne exposés au feu de l’ennemi ; que la colonne ef, dont le chef de file est C, présente toujours le côté à l’ennemi, sans qu’il y ait aucun des vaisseaux de cette colonne exposé à recevoir le feu de cet ennemi par la proue ni par la pouppe, parce qu’ils ne doivent se former en bataille que lorsque l’ennemi fait les routes largues où vent arrière.
  2. Que, dans la seconde supposition, il n’y a que le chef de file et le serre-file de la colonne en bataille qui couvrent les vaisseaux des deux autres colonnes, qui puissent recevoir le feu de l’ennemi par la proue lorsqu’ils changent leurs amures.
  3. Qu’enfin, dans la troisième supposition, les vaisseaux des deux colonnes cd, ef, manœuvrant sous le vent de la colonne en bataille ab, sont également, pendant l’action et leur évolution, à l’abri du feu de l’ennemi 28.

C’est au contraire ce qui est presque impossible à exécuter dans l’ordre de bataille usité, où tous les vaisseaux sont rangés sur la même ligne au plus près du vent, où, aucune des escadres ne peut manœuvrer pour aller au secours d’une autre sans revirer de bord, vent devant, ou lof pour lof, sous le feu de l’ennemi, sans être exposée, par cette raison, à être accablée et désemparée par les coups de cet ennemi, auxquels elle ne pourroît riposter: car si l’on suppose (Fig. 13) les deux armées AB, CD, EF, et ab, cd, ef, rangées en ordre de bataille, les amures à stribord au plus près du vent, que la colonne ef sous le vent soit désemparée par les vaisseaux ennemis, comment l’avant-garde ab ou le corps de bataille cd pourront-ils aller au secours de cette arrière-garde ef sans arriver ou venir au lof ? Comment feront-ils l’un de ces mouvements et revireront-ils vent devant ou lof pour lof, sous le feu de l’armée ennemie rangée comme eux à la portée du canon, dans la ligne du plus près, sans recevoir le feu de cet ennemi par la proue ou par la pouppe ? Comment enfin secourir les autres colonnes ab, cd, qui auroient été maltraitées pendant l’action par des coups malheureux, sans être sujets aux mêmes événements ? Cela est impossible. Aussi arrive-t-il que, dans les combats de deux armées rangées sur deux lignes parallèles au plus près du vent, on est forcé de n’avoir point d’égard à la partie affoiblie de cette armée ; que les vaisseaux désemparés de la ligne sous le vent sortent de cette ligne pour se mettre à couvert de quelques vaisseaux, afin de se réparer si le dommage est léger, ou de faire vent arrière en forçant de voiles le plus qu’il est possible, si le dommage est tel qu’il faille beaucoup de temps pour le réparer ; que ceux du vent se laissent culer pour sortir en arrière de la ligne afin de manœuvrer comme ceux de dessous le vent dans le même cas ; et qu’enfin les batailles sur mer données de cette façon restent presque toujours indécises, parce qu’à la faveur d’une saute de vent ou de la nuit, comme je l’ai déjà dit, le général le moins opiniâtre s’éloigne de celui qui l’est le plus, ou que les généraux se séparent mutuellement, celui du vent en faisant tenir le vent aux vaisseaux de son armée, et celui de dessous le vent en faisant arriver les siens de quelques quarts.

Ainsi il résulte de cette comparaison, que le nouvel ordre proposé est préférable, à cet égard, à l’ordre usité ; mais c’est ce que je ferai connoître plus particulièrement par la suite.

De l’ordre de chasse

Comme l’ordre de chasse suppose naturellement que l’ennemi qu’on poursuit est sous le vent, l’armée, dans le nouvel ordre de marche primitif sous le vent, doit être dans la position la plus avantageuse pour chasser cet ennemi (Fig. 14) en faisant une route largue ou vent arrière convenable à la poursuite, parce que, s’il veut combattre après avoir fui, et se remettre en ordre de combat, les vaisseaux de l’armée dans le nouvel ordre n’auroient qu’à tenir le plus près pour être formés en ordre de bataille renversé, quelque route largue qu’ils fissent en poursuivant, et que, si l’ennemi prenoit les amures opposées, elle pourroit également présenter une des colonnes en front de bataille et se former immédiatement après dans l’ordre prescrit pour combattre avec avantage, ainsi qu’on le verra par la suite dans la section qui aura rapport aux évolutions.

Si cependant l’ennemi que l’on veut chasser est au vent, l’ordre de marche primitif au vent (Fig. 5) sera le plus naturel à l’ordre de chasse au plus près ou au largue, jusqu’à la perpendiculaire du lit du vent, du côté où il a été apperçu parce que dans ce cas, si l’ennemi vouloit combattre après avoir fui, l’armée dans le nouvel ordre pourroit être formée très promptement en ordre de bataille, stribord ou babord amures, selon le bord où s’établiroient les vaisseaux de l’armée ennemie. C’est ce que l’on verra également dans la section des évolutions.

Observation.

Dans cette position en losange, on verra que l’armée en ordre de chasse offre, ainsi que dans la tactique usitée, l’angle obtus de chasse, avec cette différence que, pour être formés en bataille, il suffit que dans cette position en losange, les vaisseaux de la seconde colonne tiennent tous le vent au même bord que leurs amures, parce qu’ils se trouveroient ensuite en ligne dans les eaux les uns des autres ; mais que, dans l’ordre de chasse usité, il faut que les vaisseaux parcourent beaucoup d’espace avant que la même évolution soit exécutée 29

De l’ordre de retraite

La grande et vicieuse étendue de la ligne de bataille usitée, l’impossibilité de défendre avec promptitude les deux extrémités de cette ligne, la lenteur et l’incertitude qu’éprouve la communication des signaux, sont aussi sensibles dans l’ordre de retraite que dans l’ordre de bataille usité, soit qu’on exécute cet ordre de retraite suivant la méthode prescrite de l’angle obtus, soit que l’on préfère la ligne de front sur la perpendiculaire du vent, soit enfin qu’on l’exécute, l’armée étant formée sur la ligne de front ou sur une des lignes du plus près, parce que tous les vaisseaux de cette armée qui font route en échiquier doivent ensuite se former en bataille sur une seule ligne, et qu’ils ne peuvent jamais faire ce mouvement avec la précision et la célérité dans la pratique que le retrace la théorie ; car il est presque impossible à chaque vaisseau de tenir son poste en échiquier dans un ordre quelconque, vent arrière ou largue, en suivant la règle donnée ; car si la plus grande partie des vaisseaux de l’armée, ayant une marche moins avantageuse que le reste, est de l’arriere à l’instant nécessaire pour se ranger en ordre de bataille, elle ne peut le faire que les meilleurs voiliers qui sont sous le vent ne mettent en panne pour les attendre, et que ceux qui marchent le mieux des vaisseaux qui sont au vent n’en fassent autant successivement, jusqu’au dernier, à mesure qu’ils sont arrivés dans les eaux des premiers qui ont mis en panne. Mais quelle difficulté n’y a-t-il pas ensuite pour former cette ligne de bataille, lorsqu’il est question de réparer le défaut de la panne à cause du plus ou moins de dérive des vaisseaux dans cette position ! Quel avantage l’ennemi n’a-t-il pas, s’il peut attaquer une armée dans cette situation, où les vaisseaux sont sans mouvement, et où ils laissent nécessairement entre eux des espaces dont cet ennemi peut profiter pour diviser cette ligne ou en envelopper une partie, surtout à ces deux extrémités

J’ai donc cru nécessaire de n’avoir plus d’égard à cet ordre de retraite qu’à celui de bataille usité, et j’établis en conséquence pour un nouvel ordre de retraite (Fig. 15) l’ordre des colonnes tel que dans l’ordre de marche primitif au vent, mais les vaisseaux de l’armée faisant route largue ou vent arrière, parce que, quelque route que fassent ces vaisseaux dans les positions respectives de cet ordre, ils doivent être formés en ordre de bataille naturel, très promptement, soit en tenant le plus près tout à la fois et en se formant sur la même amure que celle de l’ennemi, soit en prenant l’amure opposée à celle de cet ennemi, ainsi qu’il sera expliqué dans la troisième section qui traite des évolutions.

Si l’on veut néanmoins m’appliquer les mêmes observations que j’ai faites sur l’impossibilité de conserver un ordre en échiquier, je répondrai :

  1. Que cela ne peut être de conséquence que pour une des colonnes, au lieu qu’elle est telle pour les trois colonnes dans l’ordre usité.
  2. Qu’elle ne peut l’être encore par rapport aux espaces que laisseroit entre eux cette colonne, quelque rapproché que fût l’ennemi qui la poursuivroit, soit pour couper cette colonne, soit pour attaquer ses deux extrémités, parce que les deux colonnes appuyées, sous le vent, sur le chef de file et le serre-file de cette colonne, seroient toujours disposées à leur défense et à repousser l’ennemi qui pourroit pénétrer dans la ligne.

Je dirai enfin que cette colonne qui doit former l’ordre de bataille, n’occupant qu’un tiers de l’espace convenable à celui qui est nécessaire à une armée dans l’ordre de retraite usité9 doit avoir les deux tiers moins de difficulté à se former sur une ligne et y employer les deux tiers moins de temps, surtout si le vaisseau qui est le plus sous le vent tient le premier le vent en faisant le moins de voiles possible, et si ceux qui sont au vent viennent prendre leurs positions selon l’ordre de vitesse et se placer dans les eaux les uns des autres sans jamais faire usage de la panne, car c’est une des choses la plus vicieuse des évolutions usitées.

Observation.

Dans cet ordre de retraite en losange, on peut remarquer un angle obtus de retraite semblable à celui de la tactique usitée, et que les vaisseaux de la seconde colonne, pour être formés en bataille, n’ont qu’à tenir le vent du bord où ils ont leurs amures ; mais que c’est ce qui ne peut s’exécuter dans l’ordre de retraite usité qu’après un mouvement très long, quelque choix que l’on fasse des évolutions prescrites dans cette tactique.

De l’ordre de convoi.

L’ordre de convoi doit être formé de la même manière que l’ordre de marche primitif sous le vent, excepté que les deux colonnes qui font route quatre quarts largue dans ce dernier ordre-ci, doivent faire route au plus près sur la ligne opposée à celle de cet ordre de marche, et que la troisième doit également se former au plus près, à la même route que les deux autres colonnes, de façon que les vaisseaux convoyés puissent être entourés par ces trois colonnes (Fig. 16) et faire route ensuite en échiquier, largue, ou vent arrière. Dans cette même position, selon la volonté du chef de convoi, et quoique ce convoi puisse être très considérable et tenir beaucoup d’espace, l’armée qui l’escorte, sans déranger son ordre, pourra néanmoins l’entourer dans tout son pourtour, en augmentant seulement les distances de chaque vaisseau entre eux ; mais dans le cas ou ce convoi seroit rencontré par un ennemi en état de combattre, et qui en est le dessein, on pourra le faire évoluer comme il sera dit dans la section des évolutions.

Au surplus, cet ordre peut encore être utile dans le cas ou l’on voudroit mettre entre deux feux ou envelopper une partie des forces de l’ennemi qui seroit détachée de son armée ; c’est ce que l’on connoîtra par la suite.

De l’ordre de circonvallation

Dans l’ordre de circonvallation (Fig. 17), les vaisseaux des trois colonnes doivent être placés dans le même ordre que celui de marche primitif au vent, et faire la route opposée à celle du. plus près où ils sont formés, parce qu’en courant sur une partie des vaisseaux de l’ennemi, on pourra les mettre entre deux feux et les détacher de leur armée si l’on fait passer de cet ordre de circonvallation à l’ordre de convoi, ainsi qu’on le verra dans la section des évolutions.

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Notes:

 

20 Voyez la note sur l’échiquier, pag. 23

21 Si des marins exercés à la tactique usitée veulent comparer l’espace qu’occupent les trois corps d’une armée dans l’ordre de marche des trois colonnes, avec celui qu’ils doivent occuper dans cet ordre de marche primitif, au vent on sous le vent, ils verront, s’ils supposent les distances des vaisseaux étalés dans les positions respectives de ces deux systèmes, 1° que l’armée doit occuper une superficie égale dans l’un et l’autre cas ; 2° que la distance des deux vaisseaux les plus éloignés de l’armée dans le nouvel ordre n’excede pas des deux septiemes qu’il y a entre les vaisseaux les plus éloignés entre eux d’une des trois colonnes de l’ordre de marche usité ; 3° qu’enfin, dans le système usité, tous les vaisseaux de la colonne sous le vent sont sous le vent du vaisseau le plus sous le vent de l’armée dans le nouvel ordre, et que par cette raison on peut considérer les vaisseaux dans ce nouvel ordre de marche comme plus rassemblés entre eux que dans l’ordre de marche des trois colonnes, parce qu’ils sont plus à portée de se secourir mutuellement.

22 On peut, si l’on veut, supposer que, dans cet ordre de marche en croisiere, les trois colonnes sont dans la position d’ordre de marche primitif sous le vent, et il sera facile de concevoir que l’escadre dont le centre est appuyé au vent sur le sommet du tri angle STV pourra l’être également sur le même sommet quand il sera supposé sous le vent de la base, et que les trois escadres pourront également se réunir par des mouvements contraires avant que l’ennemi n’ait pu en joindre aucune ni même empêcher cette réunion. C’est pourquoi je n’en ferai pas la démonstration.

23 Dans la section qui traite des évolutions, on connoîtra très particulièrement avec quelle facilité et quelle promptitude on peut passer de toutes les positions de l’ordre de marche primitif à l’ordre de bataille sur les quatre côtés de la losange.

24 Voyez Tact. nav. de M. de Morogues, chap. 4, pag. 29. Il paroît étonnant que M. de Morogues n’ait parlé que des moyens convenables à un seul vaisseau et non à une armée, dans ce chapitre, sans désigner de quel vaisseau de cette armée les relevements doivent être faits pour s’assurer si l’armée est au vent ou sous le vent de l’armée ennemie. Il est certain que ce doit être le vaisseau le plus sous le vent de la ligne qui doit en décider. Cependant les ordres pour tous les mouvements de l’armée, selon la tactique usitée, doivent être dictés du centre de la ligne où est fixé le poste du général. Comment peut- il, de cette position, juger s’il est au vent on sous le vent de l’armée ennemie, lorsqu’il n’y a que peu de différence entre les deux armées par rapport au lit du vent? C’est encore une défectuosité de cette tactique.

25 Il est incontestable qu’un nombre de vaisseaux, quel qu’il soit, ne peut être combattu du même bord que par un nombre egal de vaisseaux lorsqu’ils sont rangés en ordre de bataille sur une ligne.

26 La position que je fixe à cette colonne n’est relative qu’au temps que je suppose nécessaire pour changer d’amures et serrer de très près le vaisseau de queue de la colonne ab. On peut la fixer sur le deuxieme et le quatrieme des vaisseaux de queue de cette même colonne ab, selon qu’il faudra plus ou moins de temps à la colonne cd pour faire son èvolution. C’est ce que l’on peut éprouver dans les moments d’évolution d’exercice.

27 Si les vaisseaux ennemis qui ne combattent point contre ceux de la colonne ab veulent arriver successivement dans les eaux de leur chef de file pour passer sous le vent de cette division ab et la mettre entre deux feux, les vaisseaux de la division ef doivent nécessairement leur passer au vent, puisque le chef de file de cette division ef est, dans sa position, au vent du chef de file des vaisseaux ennemis qui arrivent, et qu’il a la facilité de serrer d’aussi près qu’il est possible le serre-file b de la ligne de bataille ab.

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29 Voyez M. de Morogues, Tact. nav. page 86, figure 126.

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