Paul-Ivan de Saint Germain
Il faut replacer le problème de l’industrie d’armement dans le contexte géopolitique d’aujourd’hui. La mutation de cette industrie s’explique en partie par un contexte nouveau dont les éléments les plus significatifs sont la chute du mur de Berlin et la guerre du Golfe, celle-ci pouvant être classée comme une guerre de type nouveau.
Cependant, depuis 1991, on assiste à l’irruption de nombreux conflits de basse intensité qui obligent les Européens, dans leurs interventions, à utiliser des moyens militaires d’un genre différent de ceux utilisés lors de la guerre du Golfe. Il convient alors de réfléchir à une typologie des conflits auxquels les Européens auront à faire face à l’avenir. À ce sujet, on peut reprendre le Livre blanc de 1994, où les experts ont évoqué plusieurs scénarios.
Le premier fait référence à un conflit de type majeur tel qu’il était pensé avant les événements de 1989 ; à ce titre, la dissuasion nucléaire garde toute son importance, car il n’est pas exclu qu’une menace de cet ordre apparaisse dans quelques décennies. Le deuxième se rapporte à un conflit tel que la guerre du Golfe. Technologies de pointe et risque nucléaire (problème de contre-prolifération) sont alors à prendre en considération et il convient de ce fait de pouvoir développer des systèmes d’armes permettant, par exemple, d’intercepter en vol des missiles balistiques.
Parallèlement à ces conflits « majeurs », le contexte géopolitique actuel voit la prolifération d’opérations limitées d’interposition ou de rétablissement de la paix qui, par la nature même du conflit (chefs de guerre, pouvoir diffus, etc.), rendent l’aspect militaire insuffisant quant à sa résolution.
Enfin, le terrorisme, qui tend à se transnationaliser, représente une menace de plus en plus réelle, liée aux problèmes de prolifération des armes chimiques, biologiques, etc.
Le contexte géopolitique actuel ne permettant d’exclure aucun de ces scénarios, quel qu’il soit, il revient à l’industrie d’armement de développer une capacité à faire face à tout type de situation. Or il faut admettre que, d’une part, si l’adaptation est partielle, celle-ci doit, d’autre part, tenir également compte de la multinationalisation des opérations. La mise en œuvre de l’interopérabilité implique une souplesse d’organisation qui n’est pas systématiquement réalisée, pour des raisons techniques et culturelles. La tendance actuelle est donc à la constitution d’opérations qu’on pourra appeler ad hoc, dont le renseignement et l’observation constitueront la clé. Il convient alors de mettre l’accent sur cet aspect pour l’industrie d’armement. En effet, des exemples récents montrent l’importance de la bataille de l’information et de la désinformation. Or les techniques actuelles sont déficientes dans ce secteur. L’interopérabilité exige également d’accorder une plus grande importance aux moyens de commandement, qui devront être modulables dans chaque cas et projetables si nécessaires. À ce titre, la projection impose la création d’armements nouveaux et légers.
De cette analyse succincte du contexte géopolitique, il ressort que l’industrie d’armement doit faire face à un triple défi. D’une part, il convient de changer la nature des matériels à fournir. D’autre part, la crise économique impose une réduction des budgets de la défense. Enfin, et conséquence directe des problèmes financiers, l’industrie d’armement doit se diversifier et se trouver des marchés différents. En France, l’industrie d’armement souffre de réductions depuis 1982, réductions de budget, d’effectifs, d’exportation, et si les États-Unis font face aux mêmes problèmes, ils ont su restructurer plus rapidement et de fait, sont plus compétitifs.
De cette analyse générale, il ressort la nécessité de garder une base technologique et industrielle de défense afin de conserver une défense autonome. Dans cette optique, le nucléaire doit rester national. Dans les autres cas, il n’est plus possible de raisonner uniquement dans un cadre hexagonal et l’Europe, à ce titre, doit devenir le cadre de référence, afin d’éviter une dépendance absolue par rapport aux États-Unis. Enfin, la survie de l’industrie d’armement passe par la diversification dans le domaine des hautes technologies.