IDÉOLOGIE ET TRADITION CHEZ MAHAN

Jean-Marie Ruiz

 

Ce que la postérité retient avant tout d’Alfred Mahan, c’est la conclusion de son célèbre ouvrage The Influence of Sea Power upon History, dans lequel il analyse de manière systématique le rôle de la puissance maritime dans le devenir des États européens postérieurement aux traités de Westphalie².

La maîtrise des mers, nous dit-il, a joué un rôle essentiel dans l’histoire moderne, et a souvent dicté l’issue et désigné le vainqueur de la lutte pour la survie et la prospérité que se sont livré les États. Ce faisant, Mahan apporta une contribution importante à l’étude émergente des rapports entre la géographie et la politique, tout en se gardant de tout déterminisme – bien que la maîtrise des mers puisse être facilitée par la situation géographique d’un État, il ne fait pas de celle-ci un élément nécessairement déterminant parce que la puissance navale d’un pays dépend plus encore de la volonté et des choix de ses dirigeants :

La situation géographique des États-Unis et sa puissance intrinsèque sont un avantage indéniable, mais cet avantage n’est d’aucune utilité s’il existe une grande infériorité dans l’organisation de la force brute, laquelle demeure le dernier argument des républiques aussi bien que des rois 2.

Par ailleurs, considérée dans son ensemble, l’œuvre de Mahan – une dizaine d’ouvrages et plusieurs dizaines d’articles – ne se réduit pas à la seule géopolitique, même définie au sens large, et porte non seulement sur l’histoire et la théorie navales mais aussi sur l’actualité politique et les relations internationales de son époque. Chez lui, l’étude historique et la théorie des relations internationales ne font qu’un car sa recherche n’a pas pour but de révéler les différents aspects ou les détails de l’histoire politique de l’Europe moderne mais, comme jadis chez Thucydide, de la rendre intelligible en fournissant une clé de compréhension rationnelle de son déroulement et en montrant pourquoi certains États ont prévalu. « Ici comme dans tous ses écrits, déclare Mahan dans l’introduction d’un ouvrage destiné à tirer des leçons de la guerre de 1892 avec l’Espagne, le but de l’auteur fut de présenter son sujet de telle manière qu’il soit investi de l’intérêt rationnel qui s’attache à l’exposition claire des liens de cause à effet, tels qu’ils sont dévoilés dans une série d’événements« 3. « Bien qu’il y ait une certaine exaltation à partager, par une narration vivante, les émotions de ceux qui ont joué un rôle dans quelque action particulièrement audacieuse, écrit encore Mahan peu de temps après avoir publié sa célèbre biographie de Nelson, la fascination n’égale pas celle de l’intellect, au fur et à mesure qu’il retrace pour la première fois la longue séquence des faits successifs débouchant sur leurs résultats nécessaires, ou les causes apparemment éloignées convergeant vers un but commun¼ « 4.

C’est donc parce que la maîtrise des mers – le rôle de la mer dans la prépondérance politique – fournit la clé de compréhension des relations interétatiques de l’Europe moderne qu’elle intéresse Mahan au plus haut point. À défaut de déterminisme, elle permet d’introduire l’élément rationnel indispensable à tout historien et explique en grande partie son désir de voir les États-Unis de son époque s’engager dans la compétition internationale pour la suprématie navale. Il serait toutefois erroné de considérer sa quête rationaliste comme dénuée de toute idéologie. Mahan était un homme de son temps et celui-ci était justement dominé par de puissants courants idéologiques. De fait, c’est aussi sur une certaine vision de l’histoire – elle même forgée à partir de présupposés et de valeurs propres à l’époque et à l’environnement américain – que repose son interprétation des relations internationales et son désir de voir les États-Unis devenir une puissance maritime. C’est par conséquent cet ensemble de présupposés qu’il faut aussi découvrir pour comprendre la révolution dans la théorie et la politique navales des États-Unis dont Mahan est à l’origine.

Du malthusianisme à l’impérialisme

Quels sont-ils ? L’Amérique de la fin du xixe siècle est imprégnée des mêmes courants de pensée politique et sociale que l’Europe, et Mahan réussit parfaitement à réconcilier des doctrines aussi diverses que le malthusianisme ou la machtpolitik allemande avec la tradition américaine. La conception qu’il se faisait des relations internationales peut être qualifiée de malthusienne, dans la mesure où la démographie lui paraît avoir des conséquences déterminantes sur ses deux principales préoccupations : les relations interétatiques et l’histoire politique. « Le commerce de notre époque a élevé des enfants et nourri des populations qui se tournent maintenant vers leur mère pour lui réclamer du pain. Nous sommes trop à l’étroit ici, trouve-nous de la place où nous pourrons vendre davantage« , écrit-il, avant de conclure sur ces mots :

La recherche de marchés pour la production d’un nombre toujours croissant d’individus est le plus important problème politique de notre époque, que l’on cherche à solutionner par des méthodes commerciales et politiques, dont l’essence est tellement combative, offensive et défensive, qu’une action militaire directe n’en serait qu’un développement, une conséquence directe 5.

Si Mahan se bornait à reconnaître l’existence d’une lutte pour la survie ayant pour origine une insuffisance des moyens de subsistance (ou, ce qui revenait selon lui au même à l’époque industrielle, de marchés accessibles) par rapport au taux de population, on le considérerait avant tout comme un disciple de Malthus. Mais tel n’est pas le cas, d’une part parce qu’il pense que la nature de l’homme n’est pas pour rien dans la lutte pour la survie6, et d’autre part parce que, à l’instar de Darwin, il tire des conséquences plutôt positives de cette lutte. S’il ne doute pas qu’elle caractérise l’essence des relations internationales7, il n’en est pas moins persuadé que ce sera le plus adapté qui survivra – ou, en tout état de cause, la nation dotée du plus grand « génie »8 de par le processus de sélection naturelle, dont il admet l’inexorable existence. L’originalité de Mahan, parmi les autres adeptes du darwinisme social, consiste à reconnaître à l’homme la liberté d’échapper à la cruauté inhérente au processus de sélection naturelle en arrivant aux mêmes objectifs tout en écartant ses méthodes, c’est-à-dire par une reconnaissance mutuelle des différentes puissances et par le respect de leurs sphères d’influence. Cela lui semblait être la meilleure solution pour mettre un terme à la rivalité de l’Europe en Asie :

Nous sommes confrontés à l’imminente dissolution d’un ou de plusieurs organismes, ou au réajustement de leurs membres, dont le résultat sera solide et durable dans la mesure où l’existence et la force des facteurs naturels seront reconnues comme il convient, ou bien établiront d’elles-mêmes un équilibre, permettant à chacun de trouver la place qui lui revient par le processus de sélection naturelle. Cependant, comme l’expression de sélection naturelle l’implique, une telle lutte engendre des conflits et des souffrances qui pourraient être évitées, au moins en partie, par l’estimation rationnelle des forces en jeu, et en reproduisant approximativement l’ajustement naturel par les méthodes artificielles de consultations et d’arrangements, qui paraissent mieux adaptées à notre époque 9.

Cet étrange rapprochement entre les méthodes diplomatiques et la sélection naturelle indique assez bien la conception que son auteur se faisait de la Chine, puisque celle-ci ne disposait que de peu de « facteurs naturels » pour revendiquer un droit de regard ou de parole sur l’avenir de son propre territoire. Dans son sentiment que la domination du plus fort – en l’occurrence de l’Europe – est légitime, Mahan est semblable aux autres darwinistes sociaux. Si les puissances européennes ont pu prendre possession de la Chine, c’est que cette dernière était rentrée dans un processus de décadence qui rendait son démembrement inévitable, « car, une fois privée de vie, une carcasse ne peut être utilisée qu’en étant disséquée ou en servant de nourriture ; l’arrivée des aigles est une loi naturelle, dont il est vain de se plaindre« 10. De toute façon, la reconnaissance de cette loi naturelle supposait la méconnaissance de ce qui est considéré par beaucoup comme un droit naturel mais qui n’était pour Mahan qu’une « invention » : le droit de préemption ou d’occupation de terres que les habitants n’ont « ni l’intention ni la capacité politique d’utiliser« , et qui sont par conséquent « inexploitées ou imparfaitement exploitées« 11. Les pays sous-développés n’ayant ni la capacité ni l’énergie pour se régénérer et sortir du déclin, la seule question pertinente était de savoir quelle puissance extérieure gagnerait le droit de les administrer, étant entendu que la meilleure solution consistait à accorder ce droit à celle qui disposait de la plus grande puissance dans la région concernée, de façon à reproduire au mieux le processus de sélection naturelle12. D’où la nécessité, pour les États-Unis, de se doter d’une marine de guerre qui soit à la hauteur de ses ambitions et de ses intérêts en Asie.

Ces réflexions ne sont pas incompatibles avec le respect de sphères d’influence et d’un équilibre des puissances européennes en Asie et ailleurs, pour peu qu’on les interprète à la lumière du sentiment qu’une lutte pour la survie entre l’Orient et l’Occident était d’ores et déjà engagée, et que celui qui l’emporterait dominerait le monde13. Le conflit armé entre la Russie et le Japon dont il venait d’être le témoin lui paraissait être un épisode particulier de cet affrontement global, dans la perspective duquel l’Occident devait non seulement serrer les rangs et éviter tout ce qui pouvait affaiblir ses sociétés14, mais aussi s’efforcer de propager ses valeurs. C’est à cet égard que Mahan peut être taxé d’impérialiste – lui qui ne préconisait pourtant pas l’établissement d’un empire – et qu’il nous apparaît comme un personnage tout à fait représentatif de son époque. De la supériorité de la civilisation, des institutions, des valeurs et des techniques occidentales, Mahan ne doute pas, mais ce qui suscite son inquiétude et l’amène à douter de la capacité du monde civilisé à prévaloir est que le nombre est du côté des barbares. Pour surmonter ce handicap et prévaloir dans la lutte pour la survie, l’Occident ne peut que suivre la voie tracée par la Grande-Bretagne en s’efforçant d’inculquer ses valeurs :

La grande tâche que la chrétienté civilisée doit maintenant accomplir, la grande mission qu’elle doit remplir si elle ne veut pas périr, consiste à recevoir en son sein et à élever à ses propres idéaux les civilisations différentes et anciennes qui l’entourent et la surpassent numériquement – les civilisations à la tête desquelles se trouvent la Chine, l’Inde et le Japon. Cela, pour ne citer que la plus frappante de ses manifestations, est certainement la mission que la Grande-Bretagne, l’épée toujours à la main, a accomplie en Inde 15.

Tel est aussi le sens de l’engagement de Mahan en faveur du développement de la puissance navale des États-Unis : s’assurer les débouchés commerciaux qui permettront de nourrir une population toujours croissante, prendre part dans la confrontation globale entre l’Asie et l’Occident, propager au-delà du continent américain les valeurs chrétiennes.

De la valorisation de la puissance à celle de la guerre

Que ces objectifs requièrent la puissance ou suscitent des conflits ne posait par ailleurs aucun problème de conscience à Mahan, qui, à l’instar des philosophes allemands de son époque, a, au contraire, tendance à les légitimer. En faveur de la puissance – sous toutes ses formes mais surtout militaire -, Mahan avance deux types d’arguments. Le premier consiste à faire valoir son caractère naturel, en alléguant d’une part qu’elle trouve son fondement dans le droit naturel de conservation et que la volonté de puissance était inhérente à la vie humaine16, d’autre part que le niveau d’armement et de puissance d’une nation est le reflet proportionnel de ses « forces naturelles« 17. Un deuxième argument consiste ensuite à insister sur ses multiples fonctions, sur son utilité et sur son caractère normatif. « La force, écrit Mahan, est l’instrument qui a permis aux idées de hisser l’Europe à son niveau actuel, et elle continue de soutenir nos systèmes politiques, qu’ils soient nationaux ou internationaux, ainsi que notre organisation sociale« 18.

Instrument privilégié de l’organisation sociale, la puissance est par là même le principal maître d’œuvre de l’action politique : sans elle, l’État se trouverait dépourvu de moyens pour assurer la plupart de ses fonctions essentielles, qu’il s’agisse du maintien de la sécurité intérieure et extérieure19 ou de la mise en œuvre et du succès de la diplomatie. En son temps, Mahan était en effet bien placé, de par ses connaissances sur le rôle de la puissance maritime dans l’histoire des États modernes, pour affirmer qu’ »une flotte de navires de guerre britanniques est le meilleur négociateur de l’Europe« 20, ou encore que « le maintien d’une ligne politique telle que la doctrine Monroe repose nécessairement sur la diplomatie et sur son instrument, l’armement« 21. Partant du principe que « tout homme et tout État n’est indépendant que dans la mesure où il peut se défendre par lui-même« 22, Mahan voit aussi dans la puissance le seul moyen d’assurer l’indépendance et la dignité des États-Unis, lesquelles dépendent en grande partie de leur capacité à réparer la moindre injure23. Enfin, si une des tâches de l’État est bien, comme il le pense, de pourvoir à la prospérité de sa nation, alors c’est en utilisant sa puissance pour ouvrir des marchés à son commerce qu’il s’en acquitte le plus efficacement. Pour illustrer cette vérité, Mahan rappelle que « chaque étape de l’ouverture de la Chine au commerce fut obtenue par des pressions » et que la prospérité de l’Allemagne, « enfermée dans un étroit territoire« , repose sur sa capacité militaire à créer des débouchés pour ses industries24.

Que ce soit pour accomplir leur mission dans le monde ou simplement pour faire face aux responsabilités qui sont les leurs vis-à-vis de leur peuple, les États-Unis pouvaient d’autant moins se dérober que, pour Mahan, la puissance a une origine divine :

La puissance, la force, est une faculté de la vie nationale, un des talents conférés par Dieu. Comme toute autre dotation d’une organisation complexe, elle doit être placée sous le contrôle d’un intellect éclairé et d’un cœur droit, mais elle ne peut pas plus qu’une autre être abjurée avec légèreté et insouciance, sans encourir la responsabilité de celui qui enterre ce qui lui avait été confié pour être utilisé. Et cette obligation de soutenir le bien, par la force si nécessaire, bien que commune à tous les États, s’impose particulièrement aux plus grands d’entre eux, proportionnellement à leurs moyens. On demande beaucoup à ceux à qui l’on donne beaucoup 25.

Conscient de la part du hasard ou des accidents ayant présidé à la prépondérance britannique, et ayant écarté toute possibilité que cette prépondérance puisse être dépourvue de toute finalité26, Mahan rejoint les philosophes allemands dans leur conception téléologique et dialectique d’une histoire dans laquelle se réalise la raison divine. « Sans la participation active de l’homme, Dieu lui-même n’est pas impuissant, mais il est dépourvu de l’instrument par lequel il désire œuvrer« , écrit-il27. Or, le propre de la civilisation chrétienne étant à ses yeux l’efficacité, elle ne peut se résoudre à laisser l’inefficacité et la stagnation triompher dans les pays sous-développés et dispose de deux moyens distincts mais complémentaires pour y remédier : les idées et la force. Pour un État chrétien, l’antinomie idées/action correspond à peu près à la séparation de l’Église et de l’État, le missionnaire étant le représentant de la première tout comme l’armement celui du deuxième28. Mahan en arrive donc à une conclusion tout à fait similaire à celle des théoriciens de la Machtpolitik : c’est en grande partie grâce à la puissance que le monde progresse. La comparaison ne s’arrête d’ailleurs pas là puisque son œuvre abonde en réflexions attestant de la valeur qu’il accordait à la puissance, particulièrement dans son aspect militaire. Mahan illustre par exemple amplement l’adage « qui veut la paix prépare la guerre », en affirmant que c’est l’absence de préparation militaire qui précipita les États-Unis dans la guerre de 1812 contre la Grande-Bretagne, ou encore que le haut niveau d’armement de l’Europe de son temps était ce qui y garantissait la paix29. Mais la puissance militaire avait, selon lui, d’autres vertus : elle permettait de résoudre les conflits sans même avoir recours à la guerre, et donnait les moyens à un État de mener une politique juste et raisonnable en le mettant à l’abri des pressions extérieures30. « De la force organisée dépend le bouclier à l’abri duquel les mouvements de paix avancent en toute tranquillité ; [¼ ] La force organisée est à la loi et à la bienveillance ce que le corps est à l’esprit, c’est-à-dire un instrument« 31. En bref, sans la puissance, point de paix ni de progrès, souligne l’amiral, en faisant valoir dans un langage qui paraît aujourd’hui étrange que l’œuvre civilisatrice dans les colonies repose sur la coercition de ceux-là même qui en bénéficient32 ou encore que, dans un monde imparfait, le bien ne triomphe que par la force :

Nous ne vivons pas dans un monde parfait, et nous ne devrions pas espérer affronter des situations imparfaites avec des méthodes parfaites. Nous devons acquérir le temps et l’endurance par cet arbitre grossier et imparfait, mais nullement ignoble, qu’est la force – potentielle et organisée – qui jusqu’à présent a été et continue à être à l’origine des plus grands biens qu’ait connus l’histoire contrastée de l’humanité 33.

Sous-jacent à cet éloge de la puissance est celui des États modernes, dont l’élaboration constitue le point de départ des recherches historiques de Mahan et qui y sont présentés comme la condition sine qua non de la puissance et de l’essor de la civilisation européenne34. Ce qui nous amène naturellement à nous interroger sur son opinion sur la fragmentation du système international instauré par l’avènement des États. Lorsqu’il s’exprime sur ce point, on ne peut que constater là encore une similarité frappante avec la pensée allemande :

Ce n’est que lorsque la puissance d’un État ou de celui qui le gouverne, le symbole de son efficacité, devient incontestée, de par l’épuisement ou la lâcheté d’autres nations, que l’efficacité nationale, n’étant soumise à aucune compétition, a tendance à sombrer dans l’abus et la décadence comme toute autre puissance incontrôlée. Rome et Carthage, Louis XIV, Napoléon, sont des exemples familiers. Après Trafalgar, la Grande-Bretagne fut une illustration de la même puissance incontestée sur les mers, mais elle fut sauvée de la décadence par la nécessité de s’opposer aux puissances continentales européennes 35.

De même :

Sur la rivalité des nations, sur l’accentuation des différences, sur le conflit des ambitions, repose la préservation de l’esprit martial qui seul est capable d’en finir une fois pour toutes avec les forces de destruction qui, de l’intérieur et de l’extérieur, menacent d’anéantir tout ce que nous avons acquis pendant des siècles 36.

C’est donc parce que la rivalité inhérente à la pluralité étatique préservait les vertus martiales, que Mahan tenait pour cardinales pour la survie de la civilisation européenne, qu’il la considérait comme nécessaire37. Les vertus martiales ajoutées à l’organisation et l’efficacité étaient les atouts de l’Occident, tandis que le nombre, la masse et la brutalité constituaient ceux des peuples non industrialisés. Mahan pensait même que la compétition entre les États européens renforçait leur capacité d’assimilation des autres peuples, se référant probablement à l’activité des missionnaires dans les colonies38. Son raisonnement rejoint finalement le manichéisme de l’idéalisme allemand opposant l’esprit martial – synonyme d’idéalisme et de progrès – au pacifisme, qu’il associe lui aussi au matérialisme et à la décadence. D’où une certaine inquiétude sur le sort des États-Unis et de l’Europe, dont la richesse, le luxe et l’abondance lui paraissaient plutôt un handicap dans un environnement international désormais caractérisé par la lutte pour la survie39. Dans l’état actuel des choses, il n’y avait pas lieu de s’alarmer parce que « dans sa providence, Dieu fit en sorte que l’immense accroissement de prospérité, de luxe mental et physique, apporté par ce siècle soit contrebalancé par ce qui est stigmatisé sous le nom de  » militarisme « , qui a fait de l’Europe un immense camp de soldats prêts à la guerre« 40. Mahan ne doutait pas que la disparition ou même l’affaiblissement de ce militarisme sous les assauts du pacifisme entraînerait le déclin et la chute de l’Europe.

Si la puissance, les vertus martiales, la pluralité des États et leurs rivalités nous sont présentées comme des atouts, qu’en est-il des guerres, qui peuvent légitimement être considérées comme leur prolongement logique ? Là encore, l’opinion de Mahan est typique d’une époque antérieure à la Première Guerre mondiale : non seulement elles sont moins fréquentes que dans le passé, nous dit-il, mais elles « ont le caractère d’un excès occasionnel, dont on se remet facilement« 41. En conséquence, se félicite-t-il, l’esprit militariste et la propension à se battre sont plus répandus que jamais. Loin de dire que la guerre est un mal nécessaire, Mahan a plutôt tendance à la présenter comme un bien, nécessaire lui aussi et dans tous les sens du mot. D’une part parce que, selon ses propres mots, « le conflit est la condition de toute vie, matérielle et spirituelle« 42, et d’autre part parce que les guerres sont un instrument dont les hommes et les chefs d’État ne pourraient se passer sans se perdre ou sans abandonner leur mission. Sous l’influence de Clausewitz et de Jomini, Mahan n’hésite pas à présenter la guerre comme la continuation de la politique par d’autres moyens43. Il en est ainsi, dit-il, parce que la politique doit souvent opter pour l’opportunisme et le choix du moindre mal – la guerre permettant de prévenir des maux plus grands encore – et que le recours aux armes est parfois le seul moyen de trancher des différences légitimes entre des nations qui n’ont ni les mêmes valeurs, ni le même degré de civilisation, ni les mêmes intérêts44.

Mais, bien plus typique de l’idéologie de son époque est son sentiment que la guerre permet aux hommes – gouvernants et gouvernés – de maîtriser des forces qui les dépassent, à commencer par les mouvements de population que Mahan tient, comme nous l’avons déjà vu, pour le principal facteur constitutif de l’histoire, et qu’il nous dépeint comme « des forces naturelles qui, par leur origine et leur puissance, existent indépendamment de l’homme« 45. De ce point de vue, le recours à la guerre témoigne d’une volonté rationnelle de l’homme de s’opposer à l’irrationnel, ou encore – pour revenir à un raisonnement plus conforme à la tendance hégélienne de la pensée de son époque – d’une volonté divine de faire triompher le rationnel par le recours à l’irrationnel. Les références à cette dialectique et les arguments tendant à montrer que la guerre sert des objectifs à caractère normatif ne manquent pas dans son œuvre. C’est par la guerre, nous dit Mahan, que progresse l’unification politique des États – elle-même le prélude à la paix -, soit parce que son établissement ou son maintien requiert souvent la force, soit parce que c’est par l’opposition armée à d’autres entités politiques que se forge la cohésion de nations de plus en plus grandes :

L’issue de la guerre civile aux États-Unis, l’unification de l’Italie, le nouvel empire allemand, la force croissante de l’idée d’une Fédération impériale en Grande-Bretagne, tout cela illustre la tendance de l’humanité à se rassembler au sein de groupes plus grands qui, dans les exemples qui viennent d’être cités, a donné lieu à des combinaisons politiques plus ou moins formelles et clairement définies. Dans l’impulsion et l’établissement de chacune de ces étapes, la guerre a joué un rôle de premier plan. C’est la guerre qui a préservé notre Union. C’est la guerre qui a réalisé l’unité politique de l’Italie et apporté aux Allemands cette conformité dans les sentiments et les intérêts reconnus qui constitue le fondement de leur empire et en garantit la pérennité [¼ ].

La guerre est certainement un très grand mal – si ce n’est le plus grand, du moins un des plus grands – pour l’humanité. Pourtant, on doit reconnaître que, [¼ ] dans l’espace de deux ans, deux guerres ont eu lieu, dont l’objectif vertueux ne pouvait être atteint par des méthodes plus douces46.

Ce qui fait dire finalement à Mahan que la guerre est un instrument conféré par Dieu pour que les hommes réunis dans une société luttent contre le mal et fassent triompher le bien. De ce point de vue, elle peut non seulement être réconciliée avec les enseignements chrétiens, mais, au même titre que la puissance, en constitue le bras séculier et le principal garant47.

De la physique aux relations internationales

Un ultime exemple de la légitimation de la guerre chez Mahan pourrait aussi illustrer son penchant à emprunter des concepts tirés des sciences physiques. La guerre, écrit-il, « s’accompagne d’un immense gaspillage d’énergie et de matière. Il en est de même de la vapeur, et pourtant elle est actuellement le plus grand élément moteur dans le monde. Il faut sans aucun doute économiser le plus possible, en améliorant le procédé, et réduire la fréquence des guerres effectives par toutes les mesures possibles, mais simultanément et corrélativement, il faut la rendre plus efficace, et par conséquent s’efforcer de gaspiller moins de temps et d’énergie« 48. Dans cette réflexion, nous retrouvons un style qui se retrouve chez d’autres américains de son époque, tels Brooks Adams, Henry Powers ou même Theodore Roosevelt.

À l’instar de ces auteurs, Mahan utilise en effet un raisonnement volontiers scientifique pour corroborer ou compléter des théories malthusiennes, darwinistes et hégéliennes des relations internationales. La géographie a certes sa place dans l’ensemble des éléments déterminant selon lui la politique d’un État, mais, lorsqu’il s’agit d’expliquer « le mouvement du monde vers l’avant« , de déterminer « sa vitesse et sa direction« , il se réfère aussi à des « conditions physiques«  dépassant la géographie et à des « caractéristiques raciales« 49. Sa conception de l’histoire est trop dynamique pour reposer exclusivement sur la géopolitique, surtout si celle-ci est perçu comme un déterminant constant et invariable. Comme Brooks Adams ou Henry Powers50, Mahan explique la rivalité interétatique et la compétition acharnée pour les marchés dont il était témoin par la situation de paix et de prospérité en Europe, la subséquente hausse de sa natalité et l’accumulation d’énergie en quête d’exutoire que cette situation a créées51. Bien qu’il n’attribue pas une origine cosmique à cette énergie, sa conception des relations internationales est par ailleurs extrêmement proche de celle qui est articulée par Adams dans America’s Economic Supremacy et The Law of Civilization and Decay. Mahan et Adams véhiculent les mêmes images des sphères qui s’étendent jusqu’à ce qu’elles se touchent les unes les autres, emportées dans un mouvement dont la vitesse est proportionnelle à la masse et à l’énergie du peuple en question, et qui se dirigent vers là où la résistance est la moindre, c’est-à-dire les régions inexploitées et encore vulnérables comme la Chine52. Il sont également d’accord sur le fait que la proximité des États, des nations ou de rivaux dans une région donnée – qui semble à Mahan caractéristique de son époque – engendre inéluctablement des conflits d’une gravité proportionnelle à la masse et à l’énergie opposées par les belligérants53.

C’est notamment en fonction de cette analyse que Mahan réaffirma la nécessité pour les États-Unis de se regrouper, par affinité de race et d’intérêts, avec les puissances occidentales et maritimes. Un rapprochement avec la Grande-Bretagne lui paraissait non seulement souhaitable mais possible, en dépit de leur rivalité, parce qu’ils n’étaient pas en contact direct et qu’ils possédaient chacun une sphère d’influence distincte et étaient par conséquent en mesure de se concentrer sur leurs intérêts communs54. Quels étaient-ils ? Il faut d’abord rappeler que Mahan pensait que l’Occident et l’Asie étaient engagés dans une lutte pour la survie, et que la deuxième lui paraissait détenir l’avantage du nombre, et donc de la masse55. Pour arrêter le mouvement expansif d’une Asie entraînée par le poids de sa population et retarder son contact avec l’Occident, il suffisait de consulter l’histoire et de se munir d’un manuel de physique élémentaire : « L’histoire montre qu’il y a toujours un élément d’agressivité dans une telle avancée, qui ne peut être limitée que par l’opposition d’une force. C’est ainsi que peut être instaurée une balance, un équilibre, dont le maintien a toujours été et continue d’être l’angoissante préoccupation des hommes d’État européens« 56. D’où l’urgence, pour ceux dont les intérêts sont similaires, c’est-à-dire pour les puissances maritimes, voire teutoniques, d’unir leurs forces pour parvenir à contrebalancer celle de l’Asie, car aucune n’est en mesure de le faire séparément57. Mahan ne préconisait pas une alliance formelle, ni même un engagement, mais une coopération fondée sur la prise de conscience d’intérêts communs à préserver un équilibre entre puissances maritimes et continentales jadis assuré par la Grande-Bretagne et la Russie, mais qui se trouvait maintenant menacé au détriment de la première58.

Cette utilisation des théories de physique n’est certes pas l’apanage des penseurs politiques de cette époque, surtout lorsqu’il s’agit de définir la notion d’équilibre des puissances. Mais il est intéressant de remarquer que c’est moins pour sa capacité à garantir la paix que pour celle de maintenir une multiplicité d’États et leur rivalité que Mahan vante les mérites de l’équilibre des puissances. C’est par ses liens avec l’idéologie darwiniste et la philosophie de l’histoire allemande, par la volonté des utilisateurs d’unir les connaissances scientifiques dans une grande synthèse, qu’elle devient emblématique de son environnement ou, ce qui revient au même, par l’utilisation de la science à des fins de valorisation de la puissance et du conflit. Aucune autre citation de Mahan n’illustre mieux cette tendance que cette réflexion succincte et laconique : « L’insatisfaction prend aisément la forme de l’agression pour utiliser un mot fort apprécié par ceux qui désapprouvent tout mouvement vers l’avant des nations« 59.

L’héritage de la tradition fédéraliste60

Le fait que Mahan soit un homme de son temps ayant pleinement souscrit aux courants de pensée dominants de son époque ne doit pas occulter la place de la tradition américaine dans le développement de sa pensée. Mahan lui-même se concevait comme héritier et disciple des Pères fondateurs, en dépit du tournant décisif que l’idéogie décrite précédemment représentait par rapport à la philosophie des Lumières dans laquelle s’inscrivent les fondements des institutions et de la théorie politique des États-Unis. C’est en ce qui concerne la conception des relations internationales que l’amiral reconnaît le plus sa dette envers les Pères de la nation. « Il est aussi vrai maintenant que lorsque Washington l’a écrit, et il sera toujours vrai, écrit-il, qu’il est vain d’attendre des nations qu’elles agissent de façon cohérente selon un autre motif que l’intérêt« 61. Ailleurs, c’est une autre formule washingtonienne qu’il reprend à son compte : « Les sympathies des nations fluctuent en fonction de leurs intérêts ou des événements qui passent, et leurs intentions varient en conséquence« 62. Également réminiscent de la façon de penser et de s’exprimer des Fédéralistes est l’exhortation, adressée à ses concitoyens, « d’accepter franchement l’intérêt pour ce qu’il est, c’est-à-dire comme le motif adéquat«  de la politique63. « Il en résulte, écrit-il encore d’une manière que n’auraient pas renié les théoriciens politiques du xviiie siècle, que l’étude des intérêts, des intérêts internationaux, est, pour les hommes d’État, la condition d’une politique éclairée (« sound« ) et prévoyante. Cela requiert une connaissance approfondie des faits contemporains et une capacité à les analyser« 64.

De ce premier constat éminemment fédéraliste consistant à faire de l’intérêt le principal motif de la politique et l’objet d’étude privilégié des chefs d’État, Mahan en déduit un deuxième, tout aussi fédéraliste : l’intérêt aliène ou rapproche les États. Il va sans dire que, dans la plupart des cas, c’est la première affirmation qui est juste : « La divergence d’intérêts génère le conflit« 65. Mais on peut aussi dire, a contrario, que « l’intérêt est la fondation de tout« , que la convergence d’intérêts rapproche des États ou des nations et rend possible leur coopération et parfois même leur unification, dès lors que ces intérêts communs sont durables et sont compris de part et d’autre66. Ici, Mahan rend implicitement hommage aux architectes de l’Union fédérale pour avoir justement compris que « la proximité géographique est source de conflits entre nations«  et pour s’être efforcé à la fois d’unir les États confédérés et contigus américains et de contribuer à éloigner les États européens du Nouveau Monde67.

C’est, paradoxalement, en réaffirmant ce principe cardinal de la tradition réaliste américaine – la pluralité étatique à l’intérieur d’un espace géographique restreint entraîne la guerre, il faut donc l’éradiquer – que Mahan marque à la fois son attachement à la tradition fédéraliste et explique sa volonté de s’en détacher : « La mer, qui constitue maintenant comme toujours le grand moyen de communication entre les nations, peut être traversée avec une rapidité et une certitude qui ont minimisé les distances. Des événements qui, dans d’autres conditions, auraient été distants et de peu d’intérêt, se déroulent maintenant à nos portes et nous touchent de près. La proximité est, comme on l’a fait remarquer, une source abondante de friction politique, or la proximité caractérise notre époque« 68. Ce qui revient à dire que l’isolationnisme, même au sens que Washington donnait à ce terme, n’est plus possible, ni même d’ailleurs souhaitable, au regard du nouveau statut des États-Unis.

C’est donc à la fois de par l’évolution des États-Unis et le changement dans le contexte extérieur que l’exhortation à l’isolationnisme lui paraissait désormais obsolète69. Mahan n’éprouve aucune difficulté à prôner une rupture avec certaines maximes fédéralistes, en dépit des nombreuses affinités théoriques et de son admiration à leur égard, parce qu’il considère qu’il faut sans cesse adapter les institutions et la politique au contexte et à la réalité du moment. « La situation différente dans laquelle se trouvent les États-Unis aujourd’hui par rapport au début du siècle illustre de façon appropriée combien il est nécessaire d’éviter d’accepter implicitement les précédents, cristallisés dans des maximes, et de se prévaloir de principes restaurés qui justifièrent, entièrement ou en partie, la politique d’une génération, mais dont l’application peut conduire à adopter une ligne de conduite très différente à une époque ultérieure« 70. Ce n’est donc pas des maximes elles-mêmes mais de l’interprétation et de l’application que les Fédéralistes et certains de leurs successeurs avaient été amenés à faire dans les circonstances qui étaient les leurs dont Mahan souhaite se débarrasser.

Ce sont en fait les deux principales conclusions auxquelles les fondateurs des États-Unis étaient arrivés qu’il juge dépassées parce qu’inadaptées, à savoir d’une part qu’il convenait d’éviter le plus possible tout contact avec l’Europe, d’autre part que l’expansion de la République fédérale devait être limitée, au plus, au continent nord-américain. L’isolation convenait certes à « l’enfance des États-Unis«  et était nécessaire au « développement de son individualité« , mais il était impossible et irresponsable de prétendre demeurer dans une éternelle adolescence et de refuser d’assumer sa part de responsabilité pour, aux côtés de l’Europe, préserver la civilisation71. Quant aux « limites à l’expansion, imposées par la sagesse politique de ses ancêtres« , la République fédérale devait admettre qu’elles avaient « cessé d’être applicables à sa propre situation actuelle et à celle du monde« 72.

Les deux arguments se trouvaient d’ailleurs imbriqués : si l’isolation était désormais impossible, alors la sécurité passait par l’expansion. Baignés par les deux océans les plus fréquentés du monde, comment les États-Unis pourraient-ils en effet se protéger si ce n’est en contrôlant les principales routes maritimes ? Et comment le feraient-ils sans acquérir des « positions«  stratégiques, sans lesquelles aucun contrôle n’est possible ? Mahan lui-même aurait-il donc dévoilé en vain le rôle fondamental des possessions stratégiques de la Grande-Bretagne dans sa maîtrise des mers ? Lorsque les États-Unis se trouvèrent confrontés au débat sur l’opportunité d’annexer les territoires espagnols d’outre-mer à l’issue de leur victoire en 1898, le professeur-commandant73 reprit sa plume pour rappeler au public américain les principales conclusions de ses recherches :

Partons de cette vérité fondamentale, attestée par l’histoire, que la maîtrise des mers, tout spécialement le long des grandes lignes tracées par l’intérêt national ou le commerce national, est le plus important des éléments purement matériels qui constituent la puissance et la prospérité des nations. Il en est ainsi parce que la mer est le meilleur moyen de communication du monde. De cela découle nécessairement le principe que, en tant que corollaire de cette maîtrise, il est impératif de prendre possession, quand cela peut être fait légitimement, de toutes positions maritimes contribuant à s’assurer la maîtrise des mers 74.

Mahan insista également, dans le même article, sur l’importance cruciale des bases d’approvisionnement en charbon : « Car le combustible est le sang de la guerre navale moderne ; il est la nourriture du navire ; sans lui, les monstres modernes des eaux profondes meurent d’inanition. Il est par conséquent lié aux plus importantes considérations de la stratégie navale« 75.

S’il est vrai que son plaidoyer en faveur de l’acquisition de territoires outre-mer et, plus généralement, son intérêt pour le monde maritime l’éloignent de la première génération de Fédéralistes, Mahan se situe néanmoins clairement dans la lignée de leurs successeurs. Au lendemain de la guerre de 1812 avec l’Angleterre, les premiers partisans du système américain 76, dont Henry Clay et John Quincy Adams étaient les champions, avaient été baptisés « néofédéralistes », parce que les mesures qu’ils préconisaient – protection douanière, aménagement d’un réseau de transport intérieur et établissement d’un système bancaire centralisé – avaient été énoncées par Alexander Hamilton à partir de 1790 dans ses différents Rapports 77. Convaincus que les États-Unis pouvaient s’étendre sans mettre leurs institutions en péril, Clay et Adams rêvaient déjà, dès les années 1820, d’un territoire fédéral compact s’étendant jusqu’au Pacifique. Quelques années plus tard, au sein de la deuxième génération de néofédéralistes, se trouvait William Seward qui, à beaucoup d’égards, préfigurait les idées de Mahan. Tout aussi déterminé à mettre en œuvre le système américain mais aussi à repousser les limites continentales qui lui avaient été assignées, Seward éprouvait, dès 1840, la même fascination pour « l’empire des mers », la même prise de conscience précoce que la maîtrise des mers et l’hégémonie commerciale passaient par la possession de bases navales78.

Loin d’être superficielles ou accidentelles, les convergences entre Mahan et la tradition fédéraliste procèdent d’une philosophie politique analogue, dont on peut relever deux caractéristiques. La première est la primauté que Mahan accordait aux considérations politiques et sa volonté d’y subordonner l’économie. Comme il a été dit, Mahan pensait que les sociétés avaient été instaurées par l’homme pour mieux pourvoir à ses besoins élémentaires et à sa sécurité. Or, les ressources économiques et le commerce d’un État constituent le principal instrument par lequel il pourra s’acquitter de sa mission, c’est-à-dire procurer un avantage à son peuple. Comment le pourrait-il si, trahissant ses citoyens, il ouvrait l’économie nationale au reste du monde79 ? En fait, la protection douanière appartient à ce point à l’essence de l’État que tous, sans exception, l’ont adoptée, comme l’affirmait Mahan en précisant, à la façon des économistes politiques du système américain, que « la politique tant vantée du libre-échange de la Grande-Bretagne ne repose que sur un simple calcul pour l’avantage« 80. Autrement dit, le libre-échange lui-même peut être un outil adapté à la situation de certains États, mais, en tant que principe, il doit être rejeté parce qu’il induit une « trop grande apathie de la part du gouvernement dans les affaires commerciales« 81.

Il va sans dire que cette conception du commerce en tant qu’instrument politique destiné à avantager un État au détriment d’un autre s’inscrit en faux contre la prétention d’en faire un vecteur de paix internationale. Loin d’être en marge de la politique, le commerce est pour Mahan, le problème politique majeur de son époque, parce qu’ »il engendre le conflit, favorise des ambitions et des dissensions qui débouchent souvent sur des collisions armées« 82. Lorsque Mahan défend avec vigueur la politique de la « porte ouverte » en Chine, ce n’est pas pour des raisons en soi commerciales mais politiques et de sécurité, conformément à l’importance qu’il attribuait à l’expansion commerciale pour la sécurité de la nation. D’où il s’ensuit que le primat du politique sur l’économie débouche sur le primat des considérations de sécurité et de politique étrangère, lequel constitue également l’une des principales caractéristiques des Fédéralistes et de leurs successeurs83.

Fidèle à cette tradition et très au fait des motifs ayant guidé les Pères fondateurs, Mahan attribue à ce primat l’élaboration de la République fédérale, et plus généralement celle de toutes les fédérations :

C’est dans le domaine des relations extérieures que sont le plus visibles les avantages d’une fédération, laquelle n’est pas sans inconvénient sur le plan intérieur. Témoignant d’une prise de conscience d’un changement décisif dans les conditions extérieures, c’est vers celles-ci qu’elle est particulièrement tournée. Elle fait face au monde, et voit que pour réussir elle doit se montrer unie. C’est pour cela qu’elle cherche un moyen, un instrument par lequel l’union puisse être établie et maintenue. Dans ce but, elle doit accepter de supporter les sacrifices intérieurs, les concessions inévitables à l’indépendance individuelle, et le fardeau de dépenses supplémentaires. L’une et l’autre de ces concessions se verront de toute façon récompensées 84.

Puisque la fédération est, par excellence, le type même de l’État structuré pour la primauté de la politique étrangère, et que les fédérations sont presque toutes de grands États, les petits États sont, a contrario, les moins adaptés à cette primauté, et par conséquent les plus exposés. Mahan ne pense pas pour autant qu’ils soient plus prospères ou plus heureux. Ce qui les caractérise surtout, c’est leur vulnérabilité et leur dépendance vis-à-vis de l’équilibre des puissances et des grandes puissances, qui ne prennent en compte que leurs propres intérêts pour décider du sort des plus petites nations85. Plus que le type de régime et d’institutions d’un État, c’est donc en définitive sa taille et sa puissance – l’une et l’autre étant liées – qui comptent surtout aux yeux de Mahan, parce qu’elles déterminent principalement sa capacité à faire face au monde extérieur. Si les gouvernements représentatifs en sont souvent, selon lui, moins capables que d’autres, ce n’est pas par un défaut inhérent à la démocratie, mais parce que leurs lois et leurs institutions ne sont pas, le plus souvent, élaborées et révisées en fonction du contexte extérieur86. Les démocraties ont, par exemple, la fâcheuse tendance de ne pas déterminer leur budget militaire en fonction du contexte international, ou de le faire trop tard.

Même lorsque la taille et les ressources des armées sont évaluées en fonction du monde extérieur, il convient, nous dit encore Mahan, de ne pas se tromper de critères : « Une nation désireuse de se doter d’une organisation militaire ou navale adéquate à ses besoins doit commencer par prendre en considération, non pas la plus grande armée ou marine du monde, dans le but de rivaliser avec elle, mais ce qui constitue dans le statut politique du monde – non seulement dans les intérêts matériaux mais aussi dans l’humeur des nations – une source raisonnable, bien qu’éloignée, de difficultés qui ne sont susceptibles d’être résolues que par la guerre« 87. Et l’amiral de conclure, en des termes tout à fait lockiens ou hamiltoniens, sur la nécessité de prendre pour critère le cas extrême : « Ce n’est pas le plus probable des dangers, mais le plus redoutable (« formidable« ), qui doit être choisi pour mesurer le degré de précaution militaire sur lequel les préparations militaires devront désormais être fondées« 88.

Mahan arrive à cette conclusion de la même façon que Locke, les Fédéralistes et des économistes politiques partisans du système américain comme Willard Phillips y étaient arrivés89 : étant donné que ce sont les circonstances extérieures qui déterminent la puissance militaire appropriée d’une nation et que ces circonstances sont imprévisibles, il convient de se tenir prêt à affronter la pire des éventualités. Ce raisonnement est sous-jacent à son hostilité à l’encontre d’une proposition de la Russie visant à réduire la taille des flottes de guerre des plus grandes puissances maritimes, en 1899. Dans un manuscrit non publié adressé à l’auteur de la proposition, Mahan fait valoir que « les conditions qui justifient la nécessité d’une marine de guerre et président à son développement ont, durant l’année précédente [1898], tellement changé pour les États-Unis qu’il est impossible de prévoir avec certitude le degré de force navale nécessaire pour y faire face« 90. Il s’agissait là d’une occasion de réaffirmer le principe qu’il tenait pour cardinal dans la politique navale des États-Unis, à savoir que « la composition et la taille d’une marine de guerre n’ont rien à voir avec la politique intérieure et doivent être déterminées dans le cadre des affaires étrangères« 91.

Cette affirmation, ainsi que son insistance sur la nécessité de constamment adapter la politique et la capacité militaires à un contexte imprévisible, semblent militer en faveur d’une prépondérance de l’exécutif sur le législatif dans ces domaines. Mais Mahan prône plutôt une prise de décision collective réunissant tous ceux qui, dans l’exécutif comme dans le législatif et même au-delà, sont compétents en matière de politique étrangère. « La décision appartient spécifiquement et surtout à ceux qui ont la responsabilité de mener la politique internationale du pays« , écrit-il92. Le législatif a son rôle parce que « l’étude non seulement de la force navale actuelle des autres États, mais aussi de l’humeur et de l’ambition de leur peuple et de leurs gouvernants ne devrait pas seulement revenir au département d’État, mais aussi aux comités des affaires étrangères« . Il faut cependant que ses multiples comités qui sont liés d’une façon ou d’une autre à la politique étrangère se regroupent, de façon à ne pas favoriser les décisions antagonistes et incohérentes93. De même, la coopération entre les différents ministères concernés est essentielle, car « la séparation des différentes branches coordonnées du gouvernement n’est nulle part plus désastreuse que dans le domaine des affaires étrangères« 94. Ce que Mahan propose finalement pour adapter les institutions des États-Unis au primat de la politique étrangère, c’est la création d’un organisme regroupant « non seulement les pouvoirs civil et militaire, mais aussi l’exécutif et le législatif afin de parvenir à une décision réfléchie et harmonieuse«  émanant de tous ceux qui sont compétents dans le domaine, et qui servirait de fondement à la préparation militaire et navale du pays95.

Cet organisme ressemblerait, admet-il, au Comité de la Défense britannique, mais, dans un régime démocratique, les solutions pour adapter les institutions au contexte international actuel sont nécessairement limitées. Or, si Mahan conçoit une adaptation de ce régime, il exclut sa remise en question : sa pensée est, comme nous venons de le voir, profondément enracinée dans la tradition politique républicaine et fédérale de son pays, à une époque où le respect des maximes énoncées par les Pères fondateurs commençait à porter ses fruits et où, pour le moins en Amérique, la supériorité des institutions de la République fédérale n’était plus à prouver. Ce qui garantit le succès de l’amiral, c’est justement sa capacité à concilier cette tradition avec les courants idéologiques de son époque en une grande synthèse, et ceci à un moment clé de l’histoire des États-Unis. Car, en dépit des préjugés idéologiques sur lesquels il se fondait, le diagnostic de Mahan sur les relations internationales de son temps et sur les dangers que leur évolution présentait pour les États-Unis était juste : la disparition de l’équilibre européen et l’essor de l’Allemagne ; la volonté de celle-ci d’en finir avec la suprématie de la Grande-Bretagne sur les mers ; l’évolution technologique qui réduisait considérablement les distances terrestres et maritimes tout en rendant les armements bien plus redoutables ; la course internationale aux marchés et aux bases navales partout dans le monde ; l’essor du Japon et l’extension considérable de la Russie en Asie. Tout cela remettait bel et bien en cause les conditions de sécurité dont les États-Unis avaient joui depuis la fin de la guerre de 1812.

Le rôle que joua Mahan pour adapter son pays à ces bouleversements est à bien des égards remarquable, car il s’employa tout autant à éduquer le peuple sur les réalités et les périls internationaux – tâche à la fois nécessaire dans une république et terriblement difficile dans une nation traditionnellement isolationniste – qu’à conseiller les responsables politiques, auprès desquels son influence fut loin d’être négligeable96. À tous, il préconisa l’étude des relations internationales pour dissiper ce qu’il considérait comme des illusions, quelquefois spécifiques au peuple américain. « La certitude que la guerre, en tant que facteur inévitable dans l’histoire, appartient au passé, est un préjugé commun qui disparaîtra lorsque les hommes étudieront les relations internationales dans leur globalité« , peut-on lire dans un de ses ouvrages consacré à la guerre97. Ailleurs, ce sont les illusions sur le lien supposé entre la paix dont ont joui les États-Unis durant le xixe siècle et leur absence de l’échiquier international ou leur faible niveau d’armement, que Mahan entendait dissiper par des arguments qui, postérieurement à la Seconde Guerre mondiale, deviendraient un leitmotiv chez certains théoriciens comme Hans Morgenthau, George Kennan ou encore Henry Kissinger : « Notre propre impunité ne résulte pas de notre faiblesse, mais du peu d’importance que revêtaient les points de litige aux yeux de nos rivaux, si on les compare à leurs intérêts plus immédiats chez eux« 98. Autant d’affirmations qui, à l’époque des Pères fondateurs, seraient passées pour des lieux communs tant elles reflétaient la réalité quotidienne, mais qu’il s’agissait maintenant de rappeler après plus d’un demi-siècle de sécurité vis-à-vis des puissances étrangères, en s’appuyant désormais sur l’étude des relations internationales.

Ce que Mahan voulait par dessus tout faire comprendre aux Américains, c’est que la puissance d’un État est un instrument qui doit être mis au service de ses intérêts nationaux. Aussi s’évertua-t-il à définir ces derniers et à conférer légitimité et clarté à une expression qu’une majorité de ses compatriotes ignorait ou dédaignait. Or, selon lui, la situation géographique de l’Amérique du nord, baignée par les deux mers les plus fréquentées du monde, indiquait clairement qu’il était de l’intérêt des États-Unis de devenir une puissance maritime de première catégorie, c’est-à-dire de se doter des moyens nécessaires pour contrôler les routes maritimes. Les deux contributions essentielles de Mahan à la définition de l’intérêt national américain furent, d’une part, d’offrir, outre son enseignement sur la nécessité de bâtir une puissance navale et d’acquérir des bases, une vision hiérarchisée des intérêts américains dans le monde, et de définir des zones prioritaires ; il fut, en quelque sorte, le premier à fournir une « stratégie politique de l’Amérique dans le monde », pour reprendre le titre d’un ouvrage essentiel pour la pérennité des idées de Mahan99. D’autre part, le rôle de Mahan dans la société et la politique américaine, en tant qu’intellectuel publiciste guidant à la fois l’opinion publique et les responsables politiques, n’est pas sans rappeler celui de George Kennan, le diplomate-scholar qui passe pour être le Père de la stratégie du containment et qui tenta lui aussi de susciter chez ses concitoyens un intérêt pour les relations internationales et l’histoire et de corriger leurs préjugés100.

 

 

 

 

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Notes:

 

1 Cf. Alfred Mahan, The Influence of Sea Power upon History, Boston, Little Brown, 1890.

2 Ibid., p. 325.

3 Alfred Mahan, Lessons of the War with Spain, Freeport, New York, Books for Libraries Press, 1899, p. 15.

4 Ibid., p. 13. On trouvera une réflexion similaire p. 11.

5 Cf. « Considerations Concerning the Disposition of Navies », in Alfred Mahan, The Interest of America in Sea Power, Boston, Little Brown, 1898, p. 345.

6 La conception que se faisait Mahan de la nature humaine sera examinée dans le paragraphe suivant.

7 Sur ce point, on se référera notamment à « The United States Looking Outward », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 18 : « Tout autour de nous n’est que conflit,  » la lutte pour la survie « ,  » la course de la vie « , sont des expressions tellement familières que nous ne percevons leur sens qu’en nous y arrêtant pour y réfléchir. Partout, les nations sont montées les unes contre les autres, la nôtre non moins que les autres« .

8 Cf. « A Twentieth Century Outlook », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 252, où Mahan parle de la survie du plus adapté, ainsi que « Preparedness for Naval War », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 164, où il écrit que les pays en expansion « portent la marque du génie national« .

9 Alfred Mahan, The Problem of Asia, Boston, Little Brown, 1905, p. 46.

10 Ibid., p. 15.

11 Cf. « The Place of Force in International Relations », in Alfred Mahan, Armaments and Arbitration, New York, Harper & Bro., 1912, pp. 113-116. On trouvera une réflexion similaire, mais appliquée à la région du golfe Persique, dans « The Persian Gulf and International Relations », in Alfred Mahan, Retrospect and Prospect, Boston, Little Brown, 1902, p. 221. Dans un autre ouvrage, Mahan impute au sous-développement d’une grande partie de la Terre le regain de colonialisme. Cf. « Preparedness for Naval War », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 168.

12 On se référera par exemple à The Problem of Asia, op. cit., p. 74.

13 On pourra se reporter par exemple à « A Twentieth Century Outlook », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 243 : « Nous sommes au début d’une période durant laquelle la question de savoir quelle civilisation – occidentale ou orientale – dominera le monde et déterminera son avenir sera définitivement réglée, même si le dénouement peut être plus ou moins long« .

14 En ce qui concerne son interprétation de la guerre russo-japonaise, cf. The Interest of America in International Conditions, Boston, Little Brown, 1915, p. 127. Quant à ses réflexions sur le besoin de stabilité intérieure des sociétés occidentales pour faire face au défi extérieur – qui préfigurent de nombreux discours tenus lors de la guerre froide – on se reportera à son article « The Great Illusion », in Armaments and Arbitration, op. cit., p. 142, où il dénonce les efforts des socialistes pour substituer les frontières de classes à celles des nations, laissant ainsi l’Europe et l’Amérique « affaiblies pour la collision entre les civilisations européenne et asiatique« .

15 « A Twentieth Century Outlook », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 243.

16 Cf. « Preparedness for Naval War », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 164, ainsi que Armements and Arbitration, op. cit., p. 82.

17 « Du point de vue de l’auteur, l’armement représente la somme des forces naturelles inhérentes à toute communauté« , écrit Mahan dans Armaments and Arbitration, op. cit., p. 11.

18 The Problem of Asia, op. cit., p. 122.

19 Cf. « The Future in Relation to American Naval Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 140.

20 Mahan cité par William Puleston, Mahan, new Haven, p. 179.

21 Armements and Arbitration, op. cit., p. 81.

22 The Problem of Asia, op. cit., p. 177.

23 Voir par exemple The Problem of Asia, op. cit., p. 182, et « The Isthmus and Sea Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 101.

24 En ce qui concerne l’Allemagne, voir Armaments and Arbitration, op. cit., p. 32. Pour ce qui est de la Chine, voir The Problem of Asia, op. cit., p. 169.

25 Alfred Mahan, « The Moral Aspects of War », in Some Reflected Aspects of War, Boston, Little Brown, 1907, p. 47.

26 Cf. « Strategic Features of the Caribbean Sea and the Gulf of Mexico », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., pp. 307-308 : « On se demande si des incidents si éloignés dans le temps et dans l’espace, tendant tous vers le même but – la prépondérance maritime de la Grande-Bretagne – peuvent n’être que des accidents, ou sont simplement le reflet d’une volonté personnelle agissant depuis toujours, avec une intention délibérée et consécutive, à des fins non encore discernées« . Mahan se réfère aussi à la « mission » de la Grande-Bretagne dans « The Isthmus and Sea Power », in The Interest of America in sea Power, op. cit., p. 73.

27 Cf. « War from the Christian Standpoint », in Some Reflected Aspects of War, op. cit., p. 117.

28 Ibid., p. 119.

29 Pour son commentaire sur la guerre de 1812, ainsi que pour son appréciation du rôle de la préparation militaire dans la paix en général, voir « The Future in Relation to American Naval Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., pp. 145 et 157. Pour son interprétation de la paix en Europe, voir « Preparedness for Naval War », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 183.

30 Sur le premier point, voir « The Deficiences of Law as an Instrument of International Adjustment », in Armaments and Arbitration, op. cit., p. 84. Sur le second, voir « Preparedness for Naval War », op. cit., p. 171 : « Le facteur politique qui a longtemps prévalu et reste essentiel pour promouvoir la politique la plus juste et l’influence la plus raisonnable est la puissance militaire« .

31 « The Practical Aspect of War », in Some Reflected Aspects of War, op. cit., p. 89.

32 Cf. « A Twentieth century outlook », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 256.

33 Ibid., p. 244.

34 Voir notamment « Relations between the East and the West », in Alfred Mahan, The Interest of America in International Conditions, Boston, Little Brown, 1915, p. 139, où Mahan attribue la sécurité de l’Europe vis-à-vis des envahisseurs orientaux à la « consolidation des nationalités » européennes.

35 « The Deficiences of Law as an Instrument of Internationa1 Adjustment », in Armaments and Arbitration, op. cit., p. 86.

36 « Possibilities for an Anglo-American Reunion », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 122.

37 Ibid. Mahan va jusqu’à affirmer que rien ne serait plus dangereux pour la « civilisation européenne » qu’une paix perpétuelle.

38 Cf. Armaments and Arbitration, op. cit., pp. 9-10.

39 Cf. « A Twentieth Century Outlook , in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 223.

40 Ibid., p. 264.

41 Ibid., p. 233.

42 Ibid., p. 267.

43 Cf. Philip Crowl, « Alfred Thayer Mahan, the Naval Historian », in Peter Paret (ed.), Makers of Modern, Princeton, Princeton University Press, 1985, p. 461. Mahan reprend l’argumentation de Clausewitz dans « Preparedness for Naval War », in The Interest of America in Sea Power, p. 177.

44 En ce qui concerne la conception de la guerre comme le choix d’un moindre mal, voir « The Future in Relation to American Naval Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 140, ainsi que « The Practical Aspect of War », in Some Reflected Aspects of War, op. cit., p. 92. En ce qui concerne son opinion que la guerre est inhérente à la pluralité de valeurs, voir « A Twentieth Century Outlook, in The Interest of America in Sea Power, op. cit., pp. 245 et 266, où Mahan envisage la guerre comme un moyen de propager la civilisation occidentale. Il semble toutefois penser que, même entre nations de même culture, des différences légitimes peuvent conduire à la guerre : « Il n’est pas rare que chacun des deux camps fasse valoir des considérations de justice, réelles ou réellement perçues comme telles, qui les encouragent à ne pas céder« . Cf. « Preparedness for Naval War », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 177.

45 « The Practical Aspect of War », in Some Reflected Aspects of War, p. 92.

46 The Problem of Asia, op. cit., pp. 141-142. Pour une réflexion similaire, enrichie d’arguments illustrant l’importance des considérations de politique étrangère dans sa conception du nationalisme, on pourra se rapporter à « Relations between the East and the West », in The Interest of America in International Conditions, op. cit., pp. 173-175, où Mahan compare la situation de l’Allemagne de son époque à celle des États-Unis antérieurement à la guerre de 1812, qu’il présente comme le catalyseur du nationalisme américain : « En ce qui concerne l’union, la situation actuelle de l’Allemagne ressemble à celle des États-Unis de 1789 à 1812. [¼ ] Il fallut la guerre de 1812 et la subséquente concentration de la pensée sur un objectif extérieur commun et unique pour que se développe le sentiment national, la dévotion à un idéal – l’union – et non pas à l’intérêt matériel qui avait été à l’origine de la Constitution et avait facilité son adoption. [¼ ] Il en est de même pour la confédération allemande [¼ ] fondée sur l’orgueil de la situation internationale à laquelle est parvenue une Allemagne unie, situation qui tranche avec les siècles de faiblesse occasionnée par la désunion, et avec l’intervention et l’oppression étrangères humiliantes que cette désunion avait permis« .

47 Cf. Some Reflected Aspects of War, op. cit., pp. vii-viii (préface).

48 « The Practical Aspect of War », in Some Reflected Aspects of War, op. cit., pp. 89.

49 Cf. The Problem of Asia, op. cit., p. V (préface).

50 En ce qui concerne Brooks Adams, voir The Law of Civilization and Decay, New York, Vintage Books, 1955, et America’s Economic Supremacy, New York, Macmillan, 1900 ; pour Henry Powers, voir « The War as a Suggestion of Manifest Destiny », Annals of the American Academy of Political and Social Science, septembre 1898, 12-4, pp. 173-192 (cf. pp. 175-176), ainsi que « The Ethics of Expansion », International Journal of Ethics, juillet 1900, 10-3, pp. 288-306 (cf. pp. 303-304).

51 Cf. « The Place of Force in International Relations », in Armaments and Arbitration, op. cit., pp. 115-117.

52 Cf. « The Persian Gulf and International Relations », in Retrospect and Prospect, op. cit., p. 228 ; « The Great Illusion », in Armaments and Arbitration, op. cit., pp. 8 et 113 ; The Problem of Asia, op. cit., p. 18.

53 Cf. « Possibilities of an Anglo-American Reunion », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 125 : « Lorsque, comme cela arrive fréquemment sur les continents, les membres de ces groupes sont géographiquement proches les uns des autres, la proximité elle-même semble, tels des pôles électriques similaires, engendrer un phénomène de répulsion qui fait des différends politiques la règle et des combinaisons politiques l’exception«  ; Armaments and Arbitration, op. cit., p. 9 : « L’élan, qui détermine la force de l’impact dans une collision, dépend de la masse et de la vitesse« .

54 Cf. « Possibilities of an Anglo-American Reunion », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 125.

55 Cf. Armaments and Arbitration, op. cit., p. 9 : « Dans le cas présent, la masse est du côté des non-Européens. L’équivalent de la vitesse, l’énergie, est du côté de l’Europe, y compris de son rejeton l’Amérique« .

56 « Relations between the East and the West », in The Interest of America in International Conditions, op. cit., p. 166.

57 Cf. The Problem of Asia, op. cit., p. 179. Mahan se réfère parfois aux nations teutones, dans lesquelles il englobe l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis, pour préconiser une coopération entre ces pays. Voir par exemple The Problem of Asia, op. cit., p. 104.

58 Ibid., p. 104, ainsi que « The Persian Gulf and International Relations », in Retrospect and Prospect, op. cit., p. 240, où Mahan présente la Russie et la Grande-Bretagne comme les deux piliers fondamentaux de l’équilibre des puissances global et écrit qu’il ne serait pas de l’intérêt des autres États de le perturber s’il ne l’était déjà.

59 The Problem of Asia, op. cit., p. 43.

60 Je me réfère ici non seulement au Parti fédéraliste américain, dont George Washington, Alexander Hamilton et John Adams sont les plus représentatifs, mais également à leur successeurs, qui assurèrent la pérennité de leurs maximes.

61 « The Origin and Character of Present International Groupings in Europe », op. cit., pp. 80-81. On trouvera une citation similaire dans The Problem of Asia, op. cit., p. 187.

62 Armaments and Arbitration, op. cit., p. 28.

63 « Hawaii and Our Future Sea Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 51.

64 « The Origin and Character of Present International Groupings in Europe », in The Interest of America in International Conditions, op. cit., p. 81.

65 The Problem of Asia, op. cit., p. 110.

66 Pour le rôle de l’intérêt dans l’unification politique, voir « Motives to Imperial Federation », in Retrospect and Prospect, op. cit., p. 119. Pour le lien entre intérêt et coopération, voir The Problem of Asia, op. cit., p. 58 : « Une coopération efficace entre les nations dépend de la nécessité créée par un intérêt commun ; par conséquent, plus la compréhension de cet intérêt et de la situation du moment est bonne et répandue, plus certaine et plus durable sera la coopération« .

67 Cf. The Problem of Asia, op. cit., p. 14, ainsi que « The Future in Relation to American Naval Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 142.

68 « The Future in Relation to American Naval Power », op. cit., p. 148.

69 Ibid., p. 146.

70 Ibid., p. 142. En ce qui concerne la nécessité d’adapter les lois, y compris la Constitution, au contexte, voir « The Isthmus and Sea Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 97, ainsi que « Law and International Arbitration », in Armaments and Arbitration, op. cit., p. 98. Nous aurons par ailleurs l’occasion, ci-après, de commenter l’opinion de Mahan sur l’adaptation des lois et des institutions à la primauté de la politique étrangère.

71 Voir « Possibilities of an Anglo-American Reunion », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 123.

72 « The Isthmus and Sea Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 71.

73 Mahan ne fut promu amiral que vers la fin de sa vie, et était encore captain lorsqu’il prit sa retraite.

74 « Hawaii and Our Future Sea Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 52.

75 Ibid, p. 26.

76 Pour plus de détails sur la notion de système américain, on se reportera à Merrill Peterson, The Great Triumvirate, Webster, Clay & Calhoun, New York, Oxford University Press, 1987, p. 68, ainsi qu’à Joao Normano, The Spirit of American Economics, New York, John Day Company, 1943.

77 Cf. Jacob Cooke (ed.), The Reports of Alexander Hamilton, New York, Harper & Row, 1964.

78 C’est William Seward qui persuada le président Johnson d’aborder le sujet dans son message annuel de 1867 et qui est, par conséquent, à l’origine du traité conclu avec le Danemark pour l’acquisition des îles Saint John et Saint Thomas (cf. James Richardson, Messages and Papers of the Presidents, 1789-1799, Washington, Government Printing Office, 1897, tome VI, p. 580.

79 War from the Christian Standpoint », in Some Neglected Aspects of War, op. cit., p. 107, où Mahan résume son exposé par ces mots : « La protection n’est que l’usage de la force, du pouvoir qu’a la nation, et qui est reconnu par la loi, de procurer un avantage commercial« .

80 « The Present Predominance of Germany in Europe – Its Foundations and Tendencies », in The Interest of America in International Conditions, op. cit., p. 84.

81 « The Persian Gulf and International Relations », in Retrospect and Prospect, op. cit., p. 26.

82 « Considerations Concerning the Disposition of Navies », in Retrospect and Prospect, op. cit., p. 145.

83 En ce qui concerne le rôle des questions de sécurité dans la pensée fédéraliste, voir Nathan Tarcov, « The Federalists and Anti-Federalists on Foreign Affairs », Teaching Political Science, 14-6, automne 1986, pp. 38-45, ainsi que Frederick Marks, Independance on Trial, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1973.

84 « Motives to Imperial Federation », in Retrospect and Prospect, op. cit., p. 129.

85 Voir « The Great Illusion », in Armements and Arbitration, op. cit., p. 145.

86 Voir « The Future in Relation to American Naval Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 158. Mahan écrit qu’en dépit de leur plus grande instabilité et du manque de cohérence qui caractérise souvent leur politique, les démocraties sont dotées d’un « instinct » politique qui compense ces défauts. Par ailleurs, après avoir posé la question de savoir si les régimes autocratiques étaient les mieux adaptés au primat de la politique étrangère, il déclare que, sauf dans des circonstances exceptionnelles, l’avis de plusieurs hommes est toujours préférable à celui d’un seul (dans « The Deficiencies of Law as an Instrument of International Adjustments », in Puleston, Mahan, op. cit., p. 74-75).

87 « Preparedness for Naval War », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., p. 178.

88 Ibid, p. 179.

89 cf. Willard Phillips, Manual of Political Economy, Boston, Hilliard, Gray, Little & Wilkins, 1828.

90 Mahan cité par Puleston, Mahan, op. cit., p. 209.

91 « Navies as International Factors », in Armaments and Arbitration, op. cit., p. 62.

92 Ibid, p. 69.

93 Ibid, pp. 69-71.

94 Ibid, p. 71.

95 Ibid, p. 76.

96 Cf. Puleston, Mahan, op. cit., pp. 470-472. Il n’est pas exagéré de dire que nombre de responsables politiques étaient ses disciples, à commencer par les ministres de la marine qui se succédèrent de 1889 à 1897. Sa correspondance privée avec Theodore Roosevelt et Henry Cabot Lodge indique clairement l’emprise que sa capacité de rationalisation produisait sur des hommes politiques pourtant très éduqués qui, bien qu’ayant leurs propres idées, utilisaient ses arguments au Congrès pour assurer l’adoption de leurs projets de lois. Il faut enfin signaler que Mahan se vit confier, à deux reprises, des missions étroitement liées à la politique, en tant que membre du Comité de la guerre navale durant la guerre de 1898, puis l’année suivante en tant que délégué officiel à la première Conférence de La Haye.

97 Some Reflected Aspects of War, op. cit., p. xvii (préface).

98 « The Isthmus and Sea Power », in The Interest of America in Sea Power, op. cit., pp. 98-104.

99 Cf. Nicholas Spykman, America’s Strategy in World Politics, New York, Harcourt, Brace & Company, 1942.

100 Kennan se montra très préoccupé par les conséquences des mouvements gauchistes et pacifistes sur la politique étrangère américaine après la seconde guerre mondiale, particulièrement durant la guerre du Viêt-nam, et il essaya de les convaincre, par le dialogue, du caractère erroné de leur point de vue. Voir notamment George Kennan, Democracy and the Student Left, Boston, Little Brown, 1968, ainsi que Mayers, George Kennan and the Dilemmas of US Foreign Policy, op. cit , pp. 124, 318 et 283-286.

 

 

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