« The Moral Law causes the people to be in complete accord with their ruler, so that they will follow him regardless of their lives, undismayed by any danger »
Sun Zu
La guerre du Viêt-nam est un événement qui a profondément marqué et qui marque encore aujourd’hui la politique étrangère américaine.
Alors que le conflit armé ne débute qu’en 1964, nous devons en puiser les causes dans l’histoire, dans le contexte régional ainsi que dans une certaine conception américaine de la stratégie et du monde. Le conflit s’inscrit dans un contexte plus large que le Viêt-nam. Car si à l’origine, le conflit vietnamien n’est qu’une guerre civile, au fil des années il s’étend géographiquement au Laos et au Cambodge et politiquement, il devient l’enjeu des rapports entre les grandes puissances(la Chine, l’U.R.S.S. et les Etats-Unis).
Si une analyse détaillée des faits permet une meilleure compréhension du conflit, le contenu de ce mémoire va au-delà des événements, afin de donner une interprétation davantage exacte des décisions prises par la Maison Blanche. Aussi à travers ce mémoire, nous essayons de répondre à une série de questions : comment expliquer l’état général d’incohérence qui semble caractériser la politique étrangère des différents présidents ? Quels facteurs décisionnels expliquent le fiasco de la politique américaine au Viêt-nam ?, Quelles sont les raisons derrière certaines décisions prises par Johnson ou Nixon ?,…
On peut constater que de manière générale la plupart des théoriciens des relations internationales continuent de porter leur attention sur l’analyse des rapports systémiques entre Etats, au détriment d’une vision plus nuancée de la politique extérieure menée par un Etat. Dans ce contexte, on en arrive à énoncer des généralités comme le fait P. Melandri dans son livre, La politique extérieure des Etats-Unis de 1945 à nos jours : les Etats recherchent la sauvegarde de leur intérêt national et l’accroissement de leur puissance ou les Etats obéissent à des lois économiques,… Si ces théories sont valables, elles sont incomplètes. Ainsi, l’intervention américaine au Viêt-nam ne fut-elle que le résultat objectif dune évaluation manichéenne des intérêts stratégiques des Etats-Unis dans la région ? Peut-on déduire que tout l’engagement américain n’a obéi qu’à la logique de l’intérêt national sans pousser plus loin l’analyse des raisons qui ont motivé Washington dans cette importante entreprise.
Est-il en somme suffisant d’établir qu’il est possible de comprendre la politique étrangère à partir d’énoncés généraux (l’intérêt national, l’interdépendance) issus de la théorie des relations internationales, sans examiner les facteurs intervenant dans le processus de prise de décision de cette politique ?
Ce mémoire répond de manière négative à cette question et veut montrer pourquoi il est indispensable de rechercher les déterminants décisionnels qui influencent la formulation de la politique étrangère, si l’on veut établir une interprétation proche de la réalité des motifs et résultats de la diplomatie américaine.
L’objectif de cette thèse est double : relater les faits à travers l’analyse de la prise de décision et étudier le degré d’influence d’une série de variables sur l’équipe décisionnelle. Aussi afin d’atteindre cet objectif nous suivons une méthodologie bien précise.
La première tâche est de définir un modèle décisionnel qui serve d’hypothèse de départ à l’analyse. Ensuite, l’examen détaillé des faits nous permet d’observer qui prend les décisions, dans quelles conditions et sous quelles influences. Une fois les faits étudiés, il faut à travers chaque période mesurer l’influence des différents acteurs dans la démarche et dans le contenu de la décision afin de voir s’il y a une évolution dans la prise de décision. Enfin dans une quatrième phase, nous essayons d’analyser dans quelle mesure le modèle décisionnel retenu correspond à la réalité. Nous examinons également si la relation entre le président et ses conseillers, la structure et le style présidentiel ont une influence sur la décision. Cette approche permet non seulement de mieux comprendre la décision en tant que telle, mais permet également d’avoir une vision différente de la politique américaine, présentée dans la majorité des ouvrages.
Par conséquent, nous analysons le phénomène décisionnel à travers une vision multidimensionnelle centrée autour du décideur, de l’organisation gouvernementale, de la société prise dans son ensemble, du Congrès, des différents départements, des think thanks et enfin de l’environnement international.
Ce mémoire est rédigé à partir de sources anglo-saxonnes et en moindre mesure à partir de sources françaises. Beaucoup d’ouvrages, entre autres ceux rédigés dans les années soixante et septante, sont très difficiles à se procurer et même dans certains cas introuvables (épuisés, fin de série) De plus, nombreux sont de piètre qualité. Aussi, nous nous sommes surtout basés sur des ouvrages récents. Pour une approche générale de la problématique les livres de S. Karnow et R.D. Schulzinger sont de loin les plus intéressants. Quant à la prise de décision, le livre de G. Alexander est une des références en la matière, même si le livre analyse la prise de décision de manière générale et théorique.
A côté d’une série d’ouvrages et de revues, nous nous sommes également basés sur les sources disponibles sur internet et sur des documents officiels. Concernant ces derniers, deux ouvrages sont très importants : les Pentagon Papers et le récent recueil de textes, Lyndon B. Johnson’s Vietnam Papers. Si les Pentagon Papers sont très intéressants, il faut bien réaliser que ces documents ont été rassemblés sous la direction de McNamara, ayant comme conséquence qu’une série de documents embarrassants pour McNamara ne sont pas repris. Aussi, il faut prendre les Pentagon Papers avec un certain recul.
Par leur volume, les documents écrits éclairent autant qu’ils obscurcissent la recherche. Par conséquent, il est très difficile de définir les documents qui ont guidé la politique américaine et ceux qui ont servi la propagande, la rhétorique, … De plus les documents officiels ne révèlent pas nécessairement quelles décisions ont été prises par voie secrète, ont été traitées de manière orale, ou n’ont été que des justifications a posteriori. En conséquence, les documents les plus intéressants sont ceux qui ont été rédigés avec un certain détachement.
Quant à l’analyse du rôle de l’administration Nixon, beaucoup de documents n’ont toujours pas été rendus publics et beaucoup ne le seront pas avant de nombreuses années. De plus, une partie des documents rédigés par Kissinger ne seront rendus public que cinq ans après sa mort. Par conséquent, la plupart des ouvrages sur l’administration Nixon et en particulier sur le Viêt-nam se basent sur les livres rédigés par H.Kissinger et Nixon eux-mêmes. Il est donc très difficile de faire la part des choses.
Un autre problème se situe au niveau du danger du révisionnisme. Comme le déclare W. Rostow : « (…) history moves forward crabwise, in successive waves of revisionism, counterrevisionnism, counter-counterrevisionism, ad infinitum »[1] Aussi avons-nous dans cette thèse, essayé d’éviter de tomber dans le piège du révisionnisme, un révisionnisme très présent dans de nombreux livres et documents. A ce sujet une série d’auteurs n’hésite pas à reprendre certains points en dehors de tout contexte afin d’en donner une autre interprétation.
Ce mémoire se présente selon quatre parties.
La première partie est consacrée à la théorie de la prise de décision. Cette partie théorique vulgarise les concepts et les théories dans le domaine de la prise de décision, lesquels servent ensuite à évaluer la performance de la Maison-Blanche dans la gestion des affaires étrangères. Nous y étudions dans un premier chapitre les différentes approches scientifiques de la décision, tout en adaptant certaines en fonction de l’Exécutif. Dans un deuxième chapitre nous reprenons différents modèles décisionnels, afin d’en retenir un qui nous serve de fil conducteur dans l’analyse de la prise de décision.
Dans la deuxième et troisième partie, nous abordons respectivement les présidences Eisenhower et Kennedy. Nous y analysons l’équipe décisionnelle, les faits et la prise de décision. Concernant Eisenhower, nous nous concentrons tout particulièrement sur l’année 1954. Quant à Kennedy, nous étudions de manière générale les années 1961 et 1962, et de manière plus approfondie les derniers mois de 1963. Ces deux parties doivent surtout être vues comme des parties introductives à la présidence Johnson. Néanmoins, elles revêtent une grande importance, car elles permettent une meilleure compréhension de l’évolution de la stratégie et de la prise de décision durant la guerre du Viêt-nam.
La quatrième partie est consacrée à la présidence de L.B. Johnson. Dans cette partie, nous nous attardons dans les deux premiers chapitres aux faits, mais sous l’angle de la prise de décision. Le troisième chapitre de cette partie est consacrée à une analyse plus théorique de la prise de décision. Contrairement à la deuxième et troisième partie, nous ne limitons pas l’analyse de la décision aux acteurs politiques de l’Exécutif, nous examinons également le rôle de l’opinion publique, des services de renseignements, des think thanks, des partis politiques,….
Dans la dernière partie, nous analysons la présidence Nixon. Nous y étudions l’élargissement du conflit au Laos et au Cambodge, la politique de vietnamisation, la politique triangulaire,….
[1] T. GITTINGER, The Johnson Years : A Vietnam roundtable, Austin, University of Texas, 1993, p. 126.