Claude Carlier
Le XIXe siècle est marqué par les progrès des sciences et des techniques au nombre desquels la recherche de la solution du plus lourd que l’air n’est pas la moindre. En France, un petit cercle d’hommes politiques et de militaires a conscience très tôt du rôle de l’aviation dans l’art de la guerre. Le général Joseph Henry Mensier, entre autres, directeur du Génie depuis 1887, soutient et favorise les travaux de l’ingénieur Clément Ader [1].
La convention secrète de 1892
Après l’expérimentation de l’Eole en 1890, Clément Ader recherche un financement pour poursuivre ses travaux et réaliser un autre aéroplane appelé Avion. Dans ce but, il sollicite du ministère de la Guerre l’autorisation d’utiliser le terrain militaire de Satory, près de Paris. Il s’adresse, par l’intermédiaire du général Mensier, au président du Conseil, ministre de la Guerre, Charles de Freycinet, qui la lui accorde le 10 août 1891.
Le 17 octobre, entraîné par le général Mensier, il décide même d’aller voir l’Eole et déclare, selon Clément Ader :
« Ceci est un « Eclaireur » et un « Torpilleur » Aérien et il faut faire continuer les essais par le Département de la Guerre pour la Défense nationale [2]. »
Cette appréciation, si conforme aux espoirs d’Ader, est pour lui un grand encouragement : il déborde d’optimisme et entrevoit déjà la matérialisation de ses idées sur l’aviation militaire :
« C’est ainsi que naquit ce jour-là l’Aviation Militaire par la volonté de M. de Freycinet. Cela nous combla de joie puisque nous étions animé des mêmes sentiments [3]. »
Il précise aussitôt ses conceptions :
« Nous fîmes immédiatement un projet général, et nous y étions autorisé, sans témérité aucune, par les nombreuses études préliminaires faites de 1882 à 1891, ainsi que par les résultats obtenus avec l’Eole. En voici les branches principales : – Fondation d’une école d’Aviation et d’Avion-nerie. – Etablissement d’un Arsenal pour la constructions des Avions. – Stratégie et tactique aérienne. – Création d’une armée Aérienne Aviatrice.
« Pour satisfaire ce programme, sans doute, il fallait des ressources en rapport avec son importance ; mais que pouvaient être ces sacrifices en argent à côté des services qu’il était appelé à rendre à la Défense Nationale [4]. »
Ader propose un matériel et son mode d’emploi, des écoles, des ateliers, des doctrines et surtout la création d’une nouvelle armée ; rien d’utopique puisque Charles de Freycinet croit dans le plus lourd que l’air.
Les travaux de l’inventeur doivent rester secrets. « Le ministre de la Guerre ne se propose pas de revoir votre appareil et il désire ne le montrer à personne » précise le général Mensier dans une lettre adressée à Clément Ader le 22 octobre.
Précaution compréhensible : l’Avion apparaît comme une arme nécessaire à la revanche contre l’Allemagne. La défaite de 1870 est encore dans les mémoires, l’Alsace-Lorraine est allemande, les plans stratégiques de l’armée française sont établis en direction du Rhin. Le président du Conseil insiste auprès du ministre des Finances sur la nécessité de ne pas révéler la destination des fonds qu’il demande :
« Il y aurait certainement d’autres moyens de me procurer cette somme, mais je n’en vois aucun autre où l’on ne soit obligé de divulguer jusqu’à un certain point une découverte qu’il y a un véritable intérêt d’Etat à tenir complètement secrète [5]. »
Le 2 février 1892, Charles de Freycinet va même jusqu’à demander au président de la République, Sadi Carnot, l’autorisation d’utiliser la caisse des fonds secrets. Il précise :
« La lecture du projet de convention vous donnera la preuve que toutes les précautions ont été prises pour conserver à la France le bénéfice d’une découverte qui, si elle peut être réalisée, aurait au point de vue de la guerre des résultats incalculables. »
Sadi Carnot donne son accord.
Une convention est signée, le 3 février 1892, « entre Monsieur Freycinet, Président du Conseil, Ministre de la Guerre, agissant comme représentant l’Etat » et « Clément Ader, Ingénieur ».
Clément Ader obtient, à dater de février 1892, une somme de 250 000 francs payable en douze mensualités et 50 000 F au terme de ses travaux, soit 300 000 francs. En contrepartie, les obligations d’Ader sont claires et précises :
« Par la présente convention, M. Ader s’engage à construire un appareil type qui ne sera plus simplement (…) un appareil d’essai, mais bien un appareil établi en vue de réaliser le programme qui suit :
« Etre en état de porter, outre son conducteur, une deuxième personne, ou bien du matériel (combustible supplémentaire ou substances explosives) d’un poids équivalent à celui d’un homme, soit 75 kilogrammes ;
« Etre capable de s’élever à plusieurs centaines de mètres et de marcher au moins pendant six heures, étant chargé de ses deux voyageurs, avec une vitesse minimum de 15 mètres par seconde.
« Enfin, être complètement dirigeable, c’est-à-dire être en état de suivre un itinéraire déterminé et de passer exactement au-dessus d’un point fixé. »
Une clause interdit toute divulgation de plans, écrits ou documents relatifs à l’invention d’Ader, les contrevenants tombant « sous le coup de la législation sur l’espionnage ».
On peut cependant être étonné des exigences de la convention. L’armée demande, et Clément Ader accepte, en 1892, des performances qui ne seront atteintes qu’au début du XXe siècle : malgré leur lucidité, ils sous-estiment les difficultés.
Il faut néanmoins remarquer que ces performances correspondent à des objectifs bien définis. Six heures à environ 50 km/h, cela représente 300 km, soit la distance séparant Paris des frontières de l’Est, cela n’est sûrement pas une coïncidence, le souvenir de la guerre de 1870 est encore vivace.
Au-delà de l’Avion, son premier engagement vis-à-vis du ministère de la Guerre, Clément Ader espère pouvoir mettre en route le processus devant aboutir, ainsi qu’il le rappelle en 1909, à « organiser une armée aérienne pour venger l’affront national [6] » de 1870.
Clément Ader n’arrivera pas à honorer les clauses de la convention. Après un essai infructueux en 1897, le ministère de la Guerre renonce à l’Avion ; Clément Ader, dépité, arrête ses recherches.
Le grand précurseur de l’aviation continue néanmoins d’œuvrer sous une autre forme. Dans trois ouvrages, publiés de 1907 à 1912, il développe ses théories et ses réflexions sur l’usage de l’aviation dans la guerre. Son livre, L’Aviation Militaire, publié en 1909, soit cinq ans avant le début de la Première Guerre mondiale, est prophétique de l’usage de l’Avion. Il ne sera pas entendu.
Une querelle stérile, déclenchée par quelques Français contre les Américains sur la paternité du premier vol, fera oublier les exceptionnelles analyses de Clément Ader [7].
La poursuite de l’intérêt pour l’aéroplane
Le ministère de la Guerre n’a pas retenu l’Avion de Clément Ader. Ce sont les Américains, grâce aux frères Wright, qui prennent le relais, en 1903, et réussissent les premiers véritables vols sustentés.
Les frères Wright ont également proposé leur invention aux militaires. Pour valoriser leurs brevets, ils se tournent vers l’Europe, notamment en direction des militaires français qui observent avec intérêt l’évolution de ce nouveau moyen de locomotion.
La Direction du Génie, où dans son Laboratoire de Chalais-Meudon, le colonel Renard et le capitaine Ferber se distinguent par leurs travaux sur les aéroplanes, s’intéresse à d’éventuelles applications militaires en particulier pour des missions d’observation. De son côté, la Direction de l’Artillerie pense au guidage de ses pièces. Chaque direction a très bien compris l’importance de ce « point haut » qui peut se déplacer, c’est aussi le début d’une querelle entre les deux armes.
En 1906, le commandant du génie Bonel est envoyé aux Etats-Unis pour négocier, avec les frères Wright, l’achat de leur appareil. Les exigences financières des Wright, qui pensent avoir trouvé la solution définitive du vol, font traîner les négociations qui échouent. Pendant ce temps, les construc-teurs français ont fait d’importants progrès. Les négociations sont néanmoins reprises, en 1907, en vue d’acquérir une version biplace pouvant emporter un observateur aérien, la Compagnie générale de navigation aérienne achète leurs brevets aux frères Wright.
Les essais faisant apparaître une sous-motorisation, la société Bariquand et Marre modifie le moteur original le portant de 11 à 30 cv. Des roues sont ajoutées qui rendent plus commode le décollage prévu sur rail. L’appareil, modifié, est testé en 1910 et donne satisfaction. Mais, les constructeurs français ont, entre-temps, atteint une qualité nettement supé-rieure [8], particulièrement au niveau de la fabrication des moteurs [9]. L’aéroplane Wright est alors abandonné.
Les débuts de l’organisation de l’aéronautique militaire
En 1909, le général Brun, ministre de la Guerre, confie conjointement au Génie et à l’Artillerie le soin de jeter les bases des premiers éléments de l’aviation militaire.
La même année est créée, à Paris, l’Ecole supérieure d’aéronautique et de construction mécanique. Parmi les premiers diplômés : Henry Potez et Marcel Bloch (le futur Marcel Dassault) mais aussi les frères Gourevitch (les futurs créateurs des avions soviétiques MiG).
Lors de la Grande semaine d’aviation de Reims, en août 1909, le général Pierre Auguste Roques, directeur du Génie, charge une commission d’acheter, sur les crédits de recherche, cinq appareils destinés à étudier les applications militaires qui semblent consister en des missions d’obser-vation à longue portée.
Ces souhaits sont difficiles à satisfaire : un aéroplane militaire doit pouvoir suivre les colonnes auxquelles il est affecté ; il doit, les jours de mauvais temps où il ne peut voler, être rapidement démonté, transporté puis remonté ; il doit être capable de subir des intempéries sans que sa solidité et la sécurité de son fonctionnement soient compromises. Ces réserves faites, des officiers, désirant se familiariser avec l’aviation, obtiennent la permission de passer leur brevet de pilote dans les écoles civiles, les seules existant alors. Le premier officier pilote, breveté par l’Aéro-club de France, le 8 mars 1910, est le lieutenant du génie Camerman qui est rapidement chargé de créer une école de pilotage militaire au Camp de Châlons.
Des officiers d’artillerie, également présents au meeting, estiment que des aéroplanes biplaces peuvent être utiles pour le réglage de leurs pièces. La Direction de l’Artillerie obtient du Parlement un complément de crédits ce qui lui permet de commander, au début de 1910, sept appareils biplaces. Pressentant en outre le rôle important que pourrait jouer un tel observatoire aérien dans ses opérations, elle souhaite avoir l’aviation naissante sous ses ordres. Elle dispose déjà d’un établissement, à Vincennes, dirigé par le commandant Estienne qui voudrait former ses propres pilotes.
Devant les pressions du Parlement, qui réclame avec insistance une uniformisation de l’aviation, le général Brun, ministre de la Guerre, décide, le 10 avril 1910, que l’arme naissante sera confiée à une Direction du matériel aéro-nautique placée sous la responsabilité de la 4e Direction, c’est-à-dire celle du Génie qui patronne aussi l’’aérostation et les dirigeables ce qui facilite la communication entre services.
Si l’aéroplane ne s’est pas encore définitivement imposé, il attire néanmoins la curiosité d’autorités militaires sensibles à sa nouveauté : le ministre de la Guerre, le général Brun, effectue un vol tout comme le général Maunoury commandant le 20e corps d’armée. Leur engagement facilite l’introduction des appareils dans les grandes manœuvres militaires annuelles.
L’introduction de l’aéroplane dans l’armée
Aux manœuvres de Picardie, du 9 au 18 septembre 1910, 14 aéroplanes figurent à côté de 4 dirigeables de l’armée : c’est la véritable révélation du rôle que peut jouer l’aviation dans l’observation. Le général Roques fait com-mander 40 appareils et, en novembre 1910, fait approuver par le ministre de la Guerre, le programme d’un concours d’avions militaires pour 1911. Il affirme parallèlement que « les aéro-planes sont aussi indispensables aux armées que les canons et les fusils. C’est une vérité qu’il faut admettre de bon gré, sous peine d’avoir à la subir de force. »
Il est convaincu que l’armée a besoin d’avions capables de franchir de longues distances et de transporter de grosses charges d’explosifs à larguer sur les ouvrages indispensables à la concentration des armées ennemies. Aussi, demande-t-il la construction d’appareils multiplaces pouvant emporter 300 kg sur une distance de 300 kilomètres à 60 km/h, en combattant au besoin les adversaires aériens. Mais il est aussi conscient qu’avant d’être un outil de guerre, l’avion doit devenir fiable et sûr.
L’Inspection permanente de l’aéronautique militaire
Devant l’évolution favorable de tous les milieux concernés, le ministre de la Guerre crée une Inspection permanente de l’aéronautique militaire. Le décret est publié le 22 octobre 1910, le général Roques en est chargé ; il assure le commandement des troupes et des services correspondants ainsi que l’étude de l’application de l’Aéronautique aux besoins des armées
Le 7 février 1911 sont institués les brevets militaires de pilote et de mécanicien. L’armée exigeant plus de ses pilotes que l’administration civile des siens, elle élabore ses propres épreuves. Le premier breveté est le lieutenant de Rose. Les pilotes civils sont autorisés à se présenter au brevet militaire en tant que réservistes.
Le 20 juillet, l’aviation démontre que non seulement elle peut observer mais aussi rendre compte. Le capitaine Brenot et le lieutenant Ménard, à 500 mètres d’altitude près de Rambouillet transmettent par radio un message à la tour Eiffel distante de 50 kilomètres
L’année 1911 est celle des visées allemandes sur le Maroc qui entraînent une augmentation des budgets militaires : l’aviation naissante en bénéficie. C’est également en 1911 que l’aviation militaire est utilisée pour la première fois par les Italiens au cours de leur guerre contre les Turcs en Tripolitaine. Le 22 octobre, le capitaine italien Carlo Piazza effectue, sur un appareil Blériot, une reconnaissance d’une heure au-dessus des lignes adverses. Si l’aviation a joué un rôle modeste dans ce conflit, elle y a prouvé cependant son utilité.
Les grandes manœuvres françaises de 1911 mettent en évidence l’intérêt de l’avion d’observation biplace. En effet un observateur qualifié peut noter des informations que le pilote n’a pas le temps d’apercevoir faute d’une préparation adéquate. La formation d’officiers observateurs apparaît primordiale :
« L’observation aérienne, dans le domaine militaire, demande, en effet, une préparation et des aptitudes spéciales, que ne possèdent pas le plus grand nombre de nos pilotes actuels [10]. »
Le tir de projectiles depuis un avion ou un dirigeable fait l’objet de recherches spéciales de la part de l’établissement d’aviation militaire de Vincennes qui étudie un appareil de visée et installe, en 1912, au camp de Châlons, un polygone de tir.
Lors du grand concours d’avions militaires du 8 octobre au 28 novembre 1911 à Montcornet, près de Reims, les appareils présentés, d’origine civile, sont mal adaptés aux besoins militaires. Ils permettent néanmoins aux constructeurs de déterminer les modifications nécessaires.
Le 29 novembre 1911, le général Roques décide que, désormais, les aéroplanes militaires seront désormais appelés Avion pour honorer l’œuvre de Clément Ader.
Au début des années 1910, on peut estimer qu’un grand progrès avait été effectué dans l’utilisation de l’avion à des fins militaires. Les missions d’observation, de guidage des feux de l’artillerie et de bombardement sont essayées et mettent en évidence la fragilité des avions, ce qui explique qu’aucun responsable militaire ne peut véritablement compter sur eux dans une bataille.
Sous cet éclairage, la phrase attribuée à Foch : « L’aviation, c’est du sport. Pour l’armée, c’est zéro ! » est à replacer dans le contexte de l’époque. Outre la nature fragile des avions, leur coût élevé, celui des pièces de rechanges et de l’entretien ajoutés à la dépense engagée pour la formation des pilotes peuvent expliquer les hésitations des états-majors à investir dans de tels matériels alors que l’armée française manque de mitrailleuses ou de canons et que les unités d’infanterie sont sous-équipées.
La formation des pilotes est un des principaux soucis des responsables. Le général Roques note :
« Nul ne peut prévoir, ni surtout délimiter les services que pourra nous rendre l’aviation dans l’avenir. Nul ne peut dire ce que sera le futur avion (aéroplane actuel perfectionné, appareil à ailes battantes, hélicoptères, etc.) mais il faudra toujours des hommes pour le monter et ces hommes, nous devons les préparer sans arrêt [11]. »
Lors de la création de l’Inspection permanente, en octobre 1910, l’aviation militaire compte 43 pilotes ; ils sont 152 à la fin de 1911 auxquels s’ajoutent 122 élèves en instruction.
En 1911, le prix moyen d’un appareil militaire est de 25 000 francs, son entretien annuel est estimé à 10 000 francs. La formation d’un élève pilote revient à 4 000 francs, il est prévu d’en former 250 par an.
L’aviation apparaît toujours bien comme un sport ; la lettre de la Direction du Génie cherchant des volontaires est sans ambiguïté :
« Les progrès du plus lourd que l’air font que l’on envisage en ce moment la formation d’un certain nombre de pilotes d’aéroplanes. Vous paraissez tout indiqué pour réussir dans ce genre de sport intéressant [12]. »
Une des préoccupations du général Roques est de donner à l’aviation militaire naissante un statut d’arme indépendante au sein de l’armée de Terre. Ses tentatives pour obtenir la direction des moyens aériens de la Marine échouent. Chaque armée s’interroge : l’aviation doit-elle être considérée comme une arme nouvelle ou comme un moyen supplémen-taire mis au service de chaque arme ? Le Génie veut des avions biplaces armés, la Cavalerie des monoplaces légers aisément transportables, l’Artillerie de gros avions multipla-ces, la Marine veut sa propre aviation.
L’aéronautique navale
La Marine s’intéresse également aux aéroplanes. En 1910, après avoir envoyé en stage des officiers à l’Etablis-sement d’aviation de Vincennes, le ministère crée un parc d’aviation à Toulon et achète un biplan Farman à titre expérimental. L’accent est mis sur l’intérêt de ce genre d’appa-reils pour l’observation, la reconnaissance, la recherche de sous-marins et le repérage des champs de mines, toutes mis-sions antérieurement dévolues aux ballons.
En 1911, la Marine fait aménager en porte-aéroplanes un navire auxiliaire de 6 000 tonnes, la Foudre, et charge le capitaine de frégate Daveluy d’organiser une aéronautique maritime. Cette dernière voit le jour le 20 mars 1912, sous l’appellation de Service de l’aviation maritime.
L’état-major choisit des avions ou des hydravions pouvant être mis en œuvre à partir de plans d’eau aménagés. Après avoir essayé l’étang d’Arnel, près de Montpellier et Fréjus/Saint-Raphaël, il ne conserve que le second officiel-lement déclaré le 1er janvier 1914.
Pour l’aviation embarquée, le choix de la Foudre ne s’avère pas concluant, le navire ne peut recevoir que des hydravions qu’il faut mettre à l’eau puis récupérer à l’aide de grues. Néanmoins, une plate-forme provisoire est installée ; elle permet, le 8 mai 1914, à René Caudron de décoller avec succès un avion amphibie de sa conception.
Lors des grandes manœuvres navales de mai 1914, une douzaine d’hydravions est affectée à des missions de reconnaissance jusqu’à 200 km sur divers points de la Médi-terranée, principalement à Toulon et à Bizerte en Tunisie. Ces manœuvres consacrent la supériorité de l’hydravion équipé des premiers postes de TSF. C’est ce type d’appareil que l’aviation maritime décide d’adopter conjointement avec des ballons dirigeables.
L’organisation de l’aéronautique militaire
Laissant à la Marine sa propre aviation, le général Roques consacre ses efforts à obtenir du ministre de la Guerre et du Parlement la présentation et le vote d’une loi de finances et d’organisation de l’aéronautique militaire.
L’année 1912 voit se multiplier les études conjointes du Génie, de l’Artillerie et de l’Inspection permanente pour définir l’organisation de l’Aéronautique militaire, sa mobilisation, son emploi en temps de paix et en temps de guerre, les questions de tactique et d’armement. Des commissions élaborent et proposent un début de réflexion qui essaie de tenir compte de l’évolution difficilement prévisible de ce nouveau mode de combat. Les études aboutissent au vote, le 29 mars 1912, de la première loi réorganisant l’aéronautique militaire.
L’Inspecteur permanent de l’aéronautique militaire relève directement du ministre de la Guerre, il a autorité sur l’ensemble des personnels et des matériels. Un premier plan d’équipement est programmé sur les années 1912 à 1915 afin d’aboutir à un effectif de 550 avions en ligne auxquels s’ajoutent 550 répartis dans les écoles et en réserve.
L’aéronautique militaire est réorganisée :
– Une Direction du matériel aéronautique militaire établie à Chalais-Meudon et commandée par le lieutenant-colonel Bouttieaux, chargé de l’étude et de la constitution du matériel de guerre (recherches, construction, achats et réception, entretiens) ainsi que des recherches sur l’aéro-nautique en général. Cette Direction regroupe un Etablis-sement central du matériel aéronautique militaire et un Laboratoire d’aéronautique militaire.
– L’établissement d’aviation militaire de Vincennes, commandé par le lieutenant-colonel Estienne, chargé des recherches spéciales à l’aviation, d’outiller et d’armer les avions (armes et projectiles) [13]. Il doit aussi étudier des appareils pour l’observation et le réglage des tirs d’artillerie ainsi que des dispositifs de tir à bord des aéroplanes.
– A Versailles, un commandement des troupes d’aéro-nautique et la direction des dépôts de matériel (comman-dement des unités et détachement de Sapeurs-Aérostiers, instruction des officiers et hommes de troupe, mobilisation, entretien du matériel d’instruction) confié au colonel Hirschauer.
Le corps de troupe est constitué de deux groupes de Sapeurs-Aérostiers (Versailles et Reims), de trois dépôts de matériel (Versailles, Châlons, Reims), de neuf centres d’aviation (Versailles, Buc, Reims, Châlons, Etampes, Douai, Pau, la Vidamée, le Crotoy).
En avril 1912, le général Roques quitte l’Inspection permanente ; il est remplacé par le colonel Hirschauer promu général le 12 décembre 1912.
Le 14 juillet 1912, le président de la République Armand Fallières remet son drapeau à l’Aéronautique militaire. Le 26 juillet, l’Inspection permanente de l’aéronau-tique décide que les avions militaires arboreront désormais des cocardes tricolores.
L’évolution de l’aéronautique militaire
Les manœuvres de 1912 démontrent la supériorité de l’avion sur le dirigeable, en particulier de l’avion biplace pour les missions d’observation. Pour la première fois les avions sont regroupés en escadrilles à six avions sous les ordres d’un chef d’escadrille responsable du personnel navigant et non navigant, du matériel et de la maintenance.
Pour faciliter la transmission des renseignements, le général Hirschauer préconise l’installation de la TSF sur les appareils.
Des avions offensifs sont envisagés pour combattre un adversaire aérien, essentiellement les dirigeables et bombarder des unités ennemies. A cet effet, les frères André et Edouard Michelin, qui dirigent la manufacture Michelin et Compagnie, créent, en 1911, le concours Aérocible Michelin. Ils sont persuadés que l’avion de bombardement pourra devenir une arme redoutable à condition de posséder des appareils de visée et de bombardement précis.
L’épreuve consiste à lancer des projectiles sur une cible de 20 m à une altitude minimum de 200 m, ce qui permet de déceler, entre autres, les difficultés de visées.
En 1912, un Comité national d’Aviation est constitué sous la présidence de Georges Clemenceau. Il ouvre souscription nationale destinée à l’achat d’aéroplanes pour l’armée. Grâce à une puissante campagne de presse, les fonds recueillis atteignent 4 millions de francs qui permettent de commander 120 appareils, d’offrir des bourses de pilotages, d’aménager des aérodromes.
Afin d’intégrer la nouvelle arme dans l’appareil militaire national, une Commission supérieure de l’aéronautique militaire est mise en place le 24 janvier 1913, auprès du ministre de la Guerre. Elle est présidée par le chef d’état-major de l’armée, le général Joffre. Elle préconise l’utilisation des avions contre des objectifs aériens et terrestres ce qui entraîne l’expérimentation, dès 1913, du lancer de grenades incendiaires et les essais, au sol, d’armes placées à bord des appareils tel le canon : les résultats sont très décevants car les cellules ne sont pas conçues pour résister au recul de telles armes.
L’aviation d’outre-mer
Le développement de l’aviation en métropole est suivi avec intérêt dans les colonies françaises. Le commandement militaire à Alger demande, fin 1910, la création d’une unité aérienne spécialisée dans les vols au-dessus du désert. Le Parlement vote des crédits pour l’achat de six appareils qui deviennent opérationnels à compter de février 1912. Ils sillonnent toute l’Afrique du Nord soulevant une grande curiosité.
Le général Lyautey, résident-général au Maroc, obtient la création de deux escadrilles basées à Casablanca et à Oujda. En 1912, trois sections d’aviation militaire françaises effec-tuent des opérations de reconnaissance et de bombardement de douars de tribus insoumises.
Le Gouverneur général de l’Afrique occidentale française demande aussi des avions ; il les achète sur son bud-get mais bénéficie de l’assistance du ministère de la Guerre qui fournit le personnel.
L’évolution des structures
Le 16 avril 1913 paraît un arrêté relatif à l’organisation de l’Aéronautique militaire. L’Inspection permanente perd une partie de ses prérogatives, ses unités sont placées sous l’autorité des commandants de place ou de corps d’armée sur le territoire desquels elles sont stationnées. L’aviation devient plus opérationnelle mais perd de son homogénéité, l’Inspec-teur général voit ses attributions réduites. C’est le début de la querelle entre partisans de l’air autonome et ceux qui le veulent à la disposition des grandes unités terrestres. La querelle entre l’Artillerie et le Génie se développant, le ministre de la Guerre fait effectuer, par le général Bernard, artilleur de formation, une enquête.
En août 1913, le général Hirschauer est remplacé par le général Bernard qui s’attache à réorganiser l’administration de l’aéronautique et à définir les relations avec les construc-teurs. Il fait adopter le principe de l’avion blindé, souhait louable mais qui correspond peu aux possibilités de motori-sation de l’époque.
Comme se pose toujours le problème de l’autonomie à accorder à l’aviation, le général Joffre, chef d’état-major de l’armée, propose au ministre de la Guerre, à la demande du général Bernard, la création d’une 12e Direction chargée de l’aéronautique militaire. Le décret du 21 avril 1914 entérine cette proposition et place la nouvelle direction sous les ordres du général Bernard.
Conclusion
Depuis les premiers vols des frères Wright au début de 1914, l’aviation a connu une progression importante et bénéficié d’un grand engouement qu’a relayé une presse enthousiaste. Civils et militaires ont commencé à percevoir les possibilités du plus lourd que l’air, pourtant encore bien limitées par les capacités techniques de l’époque, même si la traversée de la Méditerranée par Roland Garros, en 1913, démontre que l’avion est de plus en plus fiable.
L’aviation n’est pas encore considérée comme un véritable outil de guerre, son usage est essentiellement réservé à l’observation et au guidage de l’artillerie, le combat aérien n’est pas envisagé. Malgré beaucoup d’incompréhensions, l’aéronautique militaire est passée, en cinq ans, du stade de l’inexistence à celui de Service à part entière du ministère de la Guerre [14]. L’intérêt accordé par le Gouvernement, le Parle-ment et les milieux militaires a été déterminant, il permet, en partie, d’expliquer le rapide développement de l’aviation dès le début de la Première Guerre mondiale [15].
* Professeur à la Sorbonne, directeur du Centre d’histoire de l’aéronau-tique et de l’espace.
[1] Clément Ader, né en 1841, est un inventeur de génie qui a mis au point les premiers procédés de téléphonie en France. Il s’est ensuite passionné pour le plus lourd que l’air.
[2] Clément Ader, La première étape de l’aviation militaire en France, J. Bosc et Cie éditeurs, Paris, 1907, p. 8.
[3] Ibid., p. 8.
[4] Ibid., p. 8.
[5] Lettre du 21 octobre 1891.
[6] L’Aviation Militaire, Berger-Levrault éditeur, page IX.
[7] Sur l’œuvre féconde de Clément Ader, cf. Claude Carlier, L’affaire Clément Ader – La vérité rétablie, Perrin, 1990, 266 pages.
[8] La plus spectaculaire illustration est, en 1909, la traversée de la Manche par Louis Blériot. La presse titre : « L’Angleterre n’est plus une île ».
[9] En 1905, les frères Louis et Laurent Seguin créent la Société des Moteurs Gnome. Cette société, qui connaît un important développement, est l’ancêtre de l’actuelle Snecma.
[10] Rapport du général Chomer sur les manœuvres de 1911, cité dans le rapport du général Roques.
[11] Rapport du général Roques, Ibid., p. 2-3.
[12] Albert Etévé, La victoire des cocardes, Robert Laffont, 1970, p. 36.
[13] Rôle correspondant à l’actuel Centre d’expérimentation aérienne militaire.
[14] L’aéronautique militaire devient une arme en 1922 et une armée indépendante en 1933.
[15] Sur l’aéronautique militaire française des origines à 1918, Cf. Histoire Militaire de la France, PUF, tome 3, 1992.