L’influence nord-américaine

L’influence des États-Unis sur le plan mondial est une réalité qui, de nos jours, est indiscutable. Elle croît comme l’importance chaque fois plus marquée de ses relations financières et économiques comme cela se passe dans les autres pays. C’est une contrainte contre laquelle ceux qui se révoltent se débattent inutilement.

Les causes de cette influence sont multiples et complexes ; elles vont des raisons les plus simples et les plus prosaïques d’ordre économique à des motifs politiques de la plus haute importance. Loin de nous la prétention de les minimiser.

Cependant, contrairement à cette influence ainsi généralisée, il y a celle que la puissance politique yankee exerce sur les pays américains.

Au sujet de cette autre influence, peut-être secondaire, due à l’importance des forces en jeu, à la plus intime proximité et à l’apport de la totalité des influencés, il y a des raisons purement géographiques, par elles seules capables d’expliquer certaines manœuvres diplomatiques (économiques) ou certains coups de forces (militaires).

Cette sorte de prééminence des circonstances géographiques, si on peut s’exprimer ainsi, sert tant pour atténuer les méfaits de l’influence yankee sur l’Amérique elle-même que pour mettre en garde les pays américains qui n’ont pas encore été touchés directement par cette prééminence.

La Méditerranée américaine

La mer des Antilles joue ce rôle de haute signification politique, soit pour justifier les fautes internationales nord-américaines, soit pour servir de sonnette d’alarme au sud du continent américain.

Les bases sur lesquelles cette action se développe dans la mer des Antilles sont aisées à établir : avant toute chose, son caractère méditerranéen.

Cette manière d’être associe nécessairement l’établissement des courants maritimes liés à la circulation commerciale, non pas le long des côtes mais avec l’objectif de créer un réseau reliant les côtes, exactement comme cela se passe dans toutes les eaux méditerranéennes ou de caractère méditerranéen.

J’ajoute que, comme méditerranéenne, la mer des Antilles est circonscrite par les terres étroites de l’Amérique centrale d’un côté, et, de l’autre, par les Grandes et les Petites Antilles. Cela signifie que sur la plus grande étendue de ses flancs, il y a des terres qui n’ont pas le caractère continental et qui, ou bien, tendent nettement vers un type maritime (Amérique centrale), ou bien représentent au plus haut degré, un type maritime (Antilles).

Outre cela, il y a le rôle de l’isthme de Panama. On ne peut refuser à cet isthme, comme à tout autre, la force d’attraction qu’il implique en tant que trait d’union entre les deux plus grands océans du monde.

Dans le cas de Panama, cette force d’attraction maritime annule la force de liaison entre les deux masses continentales américaines, malgré les ouvertures vers l’Atlantique qui ne sont pas aussi nettes que celles vers le Pacifique.

Mais il ne peut y avoir aucun doute sur les articulations insuffisantes de la mer des Antilles – en tant que « méditerranée » – qui sont largement compensées par l’isthme de Panama comme foyer d’attraction intérieur.

Et particulièrement, c’est autour de ce foyer que naîtront toutes les actions, qui atteignent leur apogée avec le passage des ouvrages du canal dans les mains américaines et conduisant à la situation particulière de Panama.

L’isthme de Panama représente, dans la « méditerranée » américaine, le symbole central de tout le drame politique qui se joue là, comme Malte dans la Méditerranée européenne et Boni dans l’Insulinde.

Un coup d’œil sur des cartes géographiques permet d’observer toute la vérité des principes établis, et cela avant l’observation des faits par la géographie sociale.

Nous trouvons que toute l’Amérique centrale est entièrement morcelée depuis la frontière de la Colombie jusqu’à la frontière mexicaine ; bien que toutefois il y eut continuité territoriale, les influences venant de la mer s’opposant étroitement exagèrent le caractère maritime au point de conduire à un fractionnement politique.

De même, apparaît à nos yeux le morcellement des Grandes Antilles et la poussière des Petites, également fractionnées politiquement.

Pour caractériser la « Méditerranée » américaine, on ne peut passer sous silence un phénomène composite aussi bien caractérisé qu’est le papimiento, parlé à Curaçao et sur les côtes du Venezuela.

Étant donné tout ce qui vient d’être dit, comment ne pas comprendre que l’Amérique ait choisi cette « Méditerranée » comme incubatrice possible de son expansion ? La fonction de la mer des Antilles, en tant que « Méditerranée », n’est rien d’autre que cela. Si elle n’a pas le passé créateur des deux autres « méditerranées » (l’européenne et celle de l’Insulinde), dans les limites proprement américaines, elle possède une extraordinaire portée et a un impact fécond sur la puissance considérable des possibilités « yankees ».

La ténacité mexicaine arrête le démembrement du Mexique ; plus particulièrement, les attractions de cette singulière « Méditerranée » qu’est la mer des Antilles feront déborder vers le sud les forces libérées par le progrès nord-américain. Sautant par dessus la péninsule du Yucatan, amputant la Colombie, perçant le canal de Panama, elles maintiennent le contrôle de toutes les entités fractionnées de l’Amérique centrale et des Antilles.

Projections de l’influence yankee

De la manière dont nous avons caractérisé la mer des Antilles, comme « Méditerranée » américaine, nous avons concentré notre regard sur son rôle fonctionnel d’incubatrice pour l’expansion du potentiel commercial américain.

Nous venons de voir comme les véritables caractéristiques maritimes de cette « Méditerranée » conviennent bien aux nécessités de l’expansion yankee et comme le canal de Panama joue le rôle de foyer d’où émanent les actions de cette politique. Les réactions qui devaient se produire dans ce creuset sont maintenant arrivées à terme et il ne manque que quelques éléments pour que ce soit terminé. Dans les grandes lignes, les opérations sont réellement en cours, si on considère comme réglée l’irréductibilité du Mexique, d’ailleurs bien près d’être isolé, et aussi le doublement du canal de Panama par celui percé à travers le Nicaragua.

La possibilité est plus qu’évidente de voir la puissance yankee déborder le bassin antillais et être canalisée par où ce sera plus facile et indispensable pour les intérêts économiques nord-américains.

Du point de vue strictement américain, il devient très facile de préciser les routes par lesquelles les énergies seront libérées.

Par ailleurs, du point de vue physiographique, ce sont les propres voies naturelles de pénétration qui sont favorables aux intérêts économiques. En outre, il apparaît que des circonstances politiques déterminées peuvent écarter certains régions ou routes. Finalement, il existe des exigences impératives de certaines contraintes dans le domaine industriel qui interdisent qu’on tienne compte de certains produits où qu’on les trouve.

Physiographiquement, les bassins de l’Orénoque et du Magdalena comprennent les voies de pénétration par excellence pour n’importe quelles influences économiques provenant de la Méditerranée américaine. Non seulement ces voies permettent d’accéder aux vallées longitudinales des Andes, mais également, elles communiquent directement avec la vallée de l’Amazone et, indirectement, par les seuils et les cols (passages à travers la cordillère), elles communiquent aussi avec cette vallée et avec le bassin de La Plata.

Naturellement, la région des Guyanes est à écarter comme impropre. Malgré son vrai caractère de tremplin pour passer en Amazonie, elle ne réunit pas les avantages des deux autres axes de pénétration. En outre cette région implique des relations avec la politique européenne. De plus, la vallée de l’Amazone est ouverte au capital nord-américain.

Les impératifs industriels vont servir à limiter l’extension des affaires et, pour cela, rien n’autorise d’admettre une pénétration en profondeur, facilitée par les possibilités physiographiques déjà énumérées.

Ce sera l’importance de plus en plus grande de l’expansion de l’aviation et de l’automobile, due, sans nul doute, aux développements des industries du caoutchouc et du pétrole qui va orienter les premières affaires, donc et faciliter les influences politico-économiques yankee dans les pays sud-américains.

À ces impératifs sont liés le contrôle exercé par les Américains sur le pétrole du Venezuela, de la Colombie et du Pérou et aussi la mainmise de Ford en Amazonie.

Si nous tenons compte des mesures de sécurité prises par l’Équateur et la Bolivie, au moyen d’une législation capable de protéger dans n’importe quel cas, la nationalisation de leur pétrole, il est aisé de voir, par quel chemin, se frayent les influences yankee dans les pays sud-américains.

Sur le plan général, on peut dire que les vallées de l’Orénoque et du Magdalena ont déjà été reconnues et que la vallée de l’Amazone l’a aussi été jusqu’au parallèle de Manaos qui marque la limite approximative de l’avance réalisée.

Cependant, il n’est pas aisé de faire des pronostics et tout permet de croire que de grands progrès de la pénétration des intérêts nord-américains dans notre continent se feront par les voies andines le long de la côte pacifique. Le fractionnement politique, outre les facilités physiographiques, renforcent nos prévisions.

Outre cela, il existe un moyen encore plus sûr, par un chemin plus direct, pour aller des Antilles au haut plateau bolivien, vrai centre géographique du continent sud-américain. Réaliser cela n’est pas des plus difficiles car on peut le faire à l’abri du conflit du Pacifique, dont la solution malgré tout est loin de satisfaire les points de vue véritablement essentiels à l’équilibre politique de l’Amérique du Sud.

Et ainsi, il est important de le noter, les influences yankee se diffusent dans des directions déterminées en fonction de cas précis et selon le caractère plus général de l’instabilité géographique du territoire sud-américain.

En conclusion, ces chapitres que nous venons de rassembler sous le titre de « Signes politiques inquiétants », doivent nous rappeler le rôle coordonnateur que le Brésil est appelé à exercer, par sa situation et plus encore, par ses caractéristiques géographiques, sur des conditions économiques et politiques si complexes, retenant le continent sud-américain dans ses filets ; ce rôle, nous le préciserons dans ce qui va suivre comme étant le parachèvement de ce modeste essai.

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