Annexe 2 : Chronologie

1389         Le Kosovo est le lieu de la défaite historique des Serbes contre les envahisseurs ottomans. Il devient un élément-clé de la culture serbe.

1913         Le Kosovo est intégré à la Serbie à la suite des guerres balkaniques. Il fait partie du nouvel État yougoslave en 1918.

1974         Nouvelle Constitution yougoslave. Le Kosovo dispose du statut de région autonome à l’intérieur de la Répu­blique serbe.

1981         Printemps : des dizaines de milliers d’Albanais du Kosovo réclament le statut de République. Sanglante répression.

1989         –    Février : en réponse à une grève générale, Belgrade proclame l’état d’exception dans la région et fait inter­venir l’armée.

                 –    Mars : le 23, la Serbie supprime le statut d’auto­nomie dont le Kosovo jouissait depuis 1974.

1990         –    Juillet : le Kosovo déclare son indépendance. Tandis que la Serbie dissout l’Assemblée du Kosovo, les mouvements de protestation continuent dans les rues.

1991         –    Septembre : proclamation d’une “République” du Kosovo, reconnue par l’Albanie, à l’issue d’un référen­dum clandestin.

1992         24 mai : élection de M. Ibrahim Rugova (Ligue démo­cratique du Kosovo) à la “présidence”, lors d’un scrutin déclaré illégal par Belgrade.

1995         Février : après un boycott de six ans des écoles publi­ques et des collèges, la Serbie signe un accord avec les responsables albanais visant à intégrer les enfants albanais dans l’école publique.

                 –    Juillet : un tribunal serbe condamne soixante-huit Albanais du Kosovo à des peines allant jusqu’à huit ans de prison pour avoir constitué une police parallèle.

                 –    Août : l’installation par Belgrade de plusieurs centaines de réfugiés serbes d’origine croate au Kosovo ajoute aux tensions entre les communautés.

1996         –    Février : série d’attaques à la bombe perpétrées par un groupe séparatiste, l’Armée de libération du Kosovo (ALK), qui se manifeste ainsi pour la première fois.

1997         –    Janvier : le recteur serbe de l’université de Pristina est sérieusement blessé lors d’une attaque à la voiture piégée, revendiquée par l’ALK.

                 –    Septembre : des manifestations d’étudiants alba­nais sont réprimées par la police serbe. Des hommes armés entreprennent des attaques de nuit simultanées contre des stations de police de dix villes du Kosovo. Parallèlement, les affrontements entre la police et des protestataires civils continuent.

                 –    Octobre-décembre : une razzia sur des grenades et des mitraillettes est effectuée dans un camp serbe de réfugiés. Un avion de l’armée yougoslave est abattu.

1998         –    Février-mars : des affrontements dans le région de la Drenica, au centre du Kosovo, font au moins vingt-neuf morts. La police serbe et l’armée yougoslave provo­quent la destruction de nombreux villages, faisant près de 2 000 victimes, et entraînent la fuite de 250 000 réfugiés dont plusieurs dizaines de milliers dans les montagnes. La communauté internationale condamne Belgrade et multiplie les appels au dialogue.

                 –    22 mars : les Albanais du Kosovo votent massi­vement pour réélire le président Rugova ainsi qu’un Parlement, non reconnus par Belgrade.

                 –    26 mars : le chef du Parti radical et ultranatio­naliste, M. Vojislav Seselj, est nommé vice-Premier ministre de la coalition au pouvoir à Belgrade, et affir­me son refus de négocier avec les Albanais du Kosovo.

                 –    31 mars : embargo de l’ONU sur les armes contre Belgrade.

                 –    7 avril : rejet par le Parlement serbe du projet de référendum sur une participation étrangère à la réso­lution de la crise au Kosovo.

                 –    10 avril : début des manifestations antiserbes à Pristina.

                 –    Avril-mai : les affrontements reprennent entre indépendantistes albanais et troupes yougoslaves.

                 –    9 mai : le Groupe de contact sur l’ex-Yougoslavie décide un embargo sur les investissements vers la Ser­bie et le Monténégro.

                 –    15 mai : rencontre entre le président yougoslave, M. Slobodan Milosevic, et le chef des Albanais du Kosovo, M. Ibrahim Rugova, pour entamer des négo­ciations, sous l’égide de M. Richard Holbrooke.

                 –    25-28 mai : les combats s’intensifient entre indé­pendantistes albanais et forces de l’ordre serbes dans la zone frontière avec l’Albanie.

                 –    Juin : malgré les différentes tentatives de négocia­tions ou de pressions de la communauté internationale et les manœuvres aériennes de l’OTAN, les combats continuent dans l’ouest du Kosovo, provoquant l’exode de plus de 10 000 personnes vers l’Albanie.

                 –    Juillet-août : des milliers de séparatistes albanais opposent une importante résistance aux forces serbes.

                 –    1er septembre : M. Slobodan Milosevic se dit prêt à octroyer au Kosovo un certain degré d’autoadmi­nistration.

                 –    23 septembre : résolution 1199 du Conseil de sécu­rité de l’ONU, qui exige un cessez-le-feu au Kosovo, le retrait des troupes serbes et l’ouverture de négociations directes.

                 –    13 octobre : accord à Belgrade entre M. Milosevic et M. Holbrooke sur le retrait des forces serbes, l’arrêt des combats et qui prévoit le déploiement de 2 000 “vérificateurs” non armés de l’OSCE au Kosovo.

                 –    16 octobre : l’ALK désapprouve l’accord conclu entre MM. Holbrooke et Milosevic.

                 –    26 octobre : retrait d’environ 10 000 policiers serbes.

                 –    27 octobre : l’OTAN suspend sa menace de raids aériens.

                 –    16 novembre : M. Ibrahim Rugova refuse d’enta­mer des pourparlers directs avec Belgrade.

                 –    Décembre : reprise des affrontements entre les guérilleros de l’ALK et les forces serbes, qui tentent notamment d’empêcher les infiltrations en provenance d’Albanie.

1999         –    6 février : des pourparlers s’engagent à Rambouil­let, à la demande des pays du Groupe de contact sur l’ex-Yougoslavie (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Russie). Y participent les représen­tants des autorités de Belgrade et des principales formations albanaises, y compris ceux de l’Armée de libération du Kosovo (ALK, en albanais UÇK).

                 –    18 mars : fin de la Conférence de Rambouillet.

                 –    23 mars : l’Alliance atlantique décide de s’engager dans des bombardements contre la Serbie.

                 –    24 mars : début des bombardements sur la Yougoslavie.

                 –    28 mars : lancement de la “phase II” de l’opération, prenant pour cible les forces armées yougoslaves. L’exode des Kosovars prend de l’ampleur.

                 –    31 mars : trois soldats américains sont capturés par les forces serbes près de la frontière avec la Macédoine. Ils seront libérés le 2 mai.

                 –    3 avril : premier bombardement au cœur de Bel­grade : les ministères serbe et yougoslave de l’Intérieur sont touchés.

                 –    6 avril : l’Otan bombarde par erreur une zone résidentielle à Aleksinac (200 km au sud de Belgrade).

                 –    7 avril : la Macédoine autorise la présence d’une force militaire de l’Otan sur son sol.

                 –    12 avril : bombardement à Grdelicka (sud de Belgrade) d’un pont où passait un train de voyageurs. Deux jours plus tard, les avions alliés touchent par erreur des convois de véhicules civils dans la région de Dakovica (sud-ouest du Kosovo).

                 –    17 avril : lancement de l’opération humanitaire de l’Otan “Abri allié” en Albanie.

                 –    21 avril : l’Otan bombarde le bâtiment abritant le siège du Parti socialiste serbe (S.P.S.) du président Milosevic, puis sa résidence. Deux jours plus tard, le bombardement du bâtiment de la télévision serbe RTS à Belgrade fait au moins 8 morts. Les Occidentaux décident un embargo pétrolier en Yougoslavie.

                 –    25 avril : le vice-Premier ministre yougoslave, Vuk Draskovic, écrivain et ancien opposant, se prononce publiquement en faveur d’une force de l’ONU au Kosovo. Il est limogé trois jours plus tard.

                 –    30 avril : échec de la mission à Belgrade de l’émis­saire russe Viktor Tchernomyrdine.

                 –    1er mai : l’Otan bombarde un autobus sur un pont à Luzane, près de Pristina. Le lendemain, les alliés utilisent des bombes à graphite pour neutraliser les installations électriques yougoslaves.

                 –    6 mai : accord du G8 sur “le déploiement au Kosovo de présences internationales efficaces, civiles et de sécurité”, sous l’égide de l’ONU.

                 –    7 mai : l’Ambassade de Chine à Belgrade est détruite au cours d’un bombardement de l’OTAN (nuit du 7 au 8).

                 –    9-11 mai : à Pékin, Viktor Tchernomyrdine ne parvient pas à convaincre la Chine de ne pas s’opposer à l’adoption par le Conseil de sécurité d’une résolution explicitant un plan de paix pour la crise du Kosovo.

                 –    10 mai : Belgrade annonce un début de retrait de ses forces du Kosovo. L’Otan considère qu’il n’en existe aucune preuve.

                 –    14 mai : l’Otan bombarde le village de Korisa, dans le sud du Kosovo. L’Alliance, qui assure avoir visé une “cible militaire légitime”, évoque l’hypothèse d’une utilisation de “boucliers humains” par Belgrade.

                 –    18 mai : manifestations contre la guerre en Serbie. Les désertions s’amplifient.

                 –    3 juin : accord sur le retrait serbe.

                 –    10 juin : résolution 1244 des Nations unies ouvrant la voie à un règlement négocié de la guerre au Kosovo.

                 –    12 juin : les premiers éléments de la KFOR entrent au Kosovo.

                 –    20 juin : fin du retrait serbe.

                 –    19 juillet : les quinze ministres européens des Affaires étrangères décident la mise en place d’une Agence européenne pour la reconstruction du Kosovo.

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Annexe 1 : Le texte de l’accord de Kumanovo

Principaux points de l’“accord militaire technique” conclu à Kumanovo (nord-est de la Macédoine) entre représentants de l’OTAN et de Belgrade.

–          Retrait des forces terrestres yougoslaves et entrée synchro­nisée de la KFOR :

Belgrade s’engage à un retrait par étapes de “toutes (ses) forces (terrestres) du Kosovo vers des localités en Serbie”… En se retirant, les forces yougoslaves “dégageront toutes les voies de communication en enlevant toutes les mines” et autres obstacles. “l’entrée et le déploiement des forces internationales de sécurité (KFOR) au Kosovo seront synchronisées.

–           Suspension des frappes de l’OTAN :

Les “frappes aériennes de l’OTAN seront suspendues” s’il est vérifié que les forces yougoslaves situées dans la zone “trois” (dans le nord de la province) ont évacué cette zone, par des routes précises, dans les 24 heures suivant la signature de l’accord. “La suspension (des frappes) se poursuivra à condition que les clauses de cet accord soient totalement appliquées et à condition que le conseil de sécurité des Nations unies adopte une résolution” sur le déploiement de la KFOR très rapidement pour éviter “un vide en matière de sécurité”.

–           Évacuation totale des forces terrestres yougoslaves du Kosovo en 11 jours :

Onze jours après la signature de l’accord, “toutes les forces (terrestres) yougoslaves devront avoir achevé leur retrait du Kosovo” et s’être repliées 5 kilomètres au-delà de la limite de la province. Auparavant, toutes les forces de Belgrade devront avoir évacué la zone “un” (sud) en six jours et la zone “deux” (centre) en neuf jours.

–           Arrêt des frappes de l’OTAN :

La campagne aérienne sera définitivement terminée avec “le retrait complet des forces yougoslaves”.

–           Retrait des forces aériennes et de la défense anti-aérienne en trois jours :

Trois jours après l’accord, tous les appareils yougoslaves, ainsi que les radars, l’intégralité des missiles sol-air et de l’artillerie anti-aérienne au Kosovo, devront avoir été repliés vers la Serbie dans une zone située à 25 km au-delà des limites de la province.

–           Déploiement de la KFOR :

“La KFOR se déploiera et opèrera sans obstacle au Kosovo et disposera de l’autorité de prendre toutes les mesures nécessaires pour établir et maintenir un environnement de sécurité pour tous les citoyens du Kosovo”.

–           Définition des forces serbes :

Tous les personnels de la République fédérale de Yougos­lavie ayant une capacité militaire, y compris les troupes de l’armée régulière, les groupes civils armés, les associations paramilitaires, l’armée de l’air, la garde nationale, la police des frontières, les militaires de réserve, la police militaire, les services de renseignement ainsi que les personnels du ministère de l’Intérieur, les forces anti-émeute et tout autre groupe qui sera désigné par le commandant de la KFOR.

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Un mythe de fin de guerre

Quelques jours plus tard, commença a prendre consistance une rumeur selon laquelle l’armée serbe courait à la défaite en raison de l’action terrestre des formations armées de l’UCK, débusquant les forces serbes, pour les offrir aux coups de l’aviation de l’OTAN, en une vaste opération combinée. Cette fiction des derniers moments n’a été que peu relayée par les agences de presse d’Europe occidentale. C’est principalement aux États-Unis et en Grande Bretagne qu’elle s’est développée durant deux à trois semaines. On a pu assister à la tentative de création d’une “bataille du mont Pastric”, qui fit long feu, suite à d’intenses investigations de la presse que nul n’a pu contredire.18

Cette vaine entreprise correspondait aussi à d’autres préoc­cupations, celle de réhabiliter la nécessité efficace de l’action terrestre. La campagne aérienne aura constitué une insulte cons­tante à la sacro-sainte ligne générale affichée par le Pentagone depuis 1990 : joint operations (liaison des armes). Que l’on ait aussi cherché à remettre en conformité avec les principes la réalité de cette guerre n’aurait rien que de très normal.

Une telle explication militaire présentait aussi l’avantage de donner une réponse aux multiples interrogations suscitées par les raisons et les conditions du retrait de l’armée serbe.

Le baroud (et le bras) d’honneur russe

Alors que, progressivement, zone par zone, l’armée serbe se retire et qu’entre, lentement, en bon ordre au Kosovo la KFOR, la surprise vient des Russes. Venu de Bosnie, voie grande ouverte par l’armée serbe, un petit groupe blindé de deux cents hommes prend position sur l’aéroport de Pristina, là même où le général Jackson devait établir son quartier général.

Et voici un mystère de plus. Le SACEUR s’énerve. Washing­ton demande des explications à Moscou qui désavoue d’abord, puis félicite ensuite ses troupes. Le général Clark aurait ordonné au général Jackson de reprendre l’aéroport, ce dont le Britanni­que se garde bien. À ce moment, qui contrôle politiquement la situation ?

Enfin quoi ! Chefs d’État et ministres ont veillé au ciblage avec le plus extrême souci des répercussions politiques. Et voici que, dans une affaire qui n’est que très secondairement militaire, la responsabilité de la dispute est abandonnée à deux généraux.

Pour autant, les Russes n’obtiendront pas “leur secteur” au Kosovo, mais le droit de se déplacer dans certaines zones occu­pées par certains contingents de l’OTAN. Au regard d’une telle confusion, on s’interroge sur l’existence d’une direction politique.

C’est bel et bien le rapport fondamental entre le pouvoir politique et la puissance militaire qui est posé pour tous les acteurs.

Pour M. Milosevic d’abord. Sachant que l’armée serbe tenait le terrain, pourquoi M. Milosevic a-t-il accepté de retirer ses trou­pes apparemment sans garanties de conserver le Kosovo alors qu’elles pouvaient encore, ne serait-ce que partiellement, servir ses buts de guerre ? Pourquoi choisit-il un retrait politiquement pénalisant ? On doit alors se demander si ce n’est pas l’armée elle-même qui a préféré se retirer, à temps, dans l’honneur et intacte. Pensons à octobre-novembre 1918 quand l’armée alle­mande veut sauver la face et le mythe de son invincibilité. Pourtant la situation de l’armée serbe ne paraît pas encore trop préoccupante. Elle tient de pied ferme. Ses voies de communica­tion ne sont pas coupées. En témoigne la facilité avec laquelle les Russes arriveront jusqu’à Pristina. L’explication est ailleurs.

M. Milosevic sentait-il grandir le risque de perdre le pouvoir à Belgrade ? Auquel cas la seconde phase de la stratégie aérienne s’est révélée payante. La situation politique en Serbie et notam­ment dans la capitale représentait bien le centre de gravité sur lequel il fallait frapper. Mais alors, puisqu’il était fait profession d’en finir avec le tyran, pourquoi n’avoir pas continué ? Pourquoi avoir négocié l’arrêt des bombardements et le retrait des troupes serbes du Kosovo ?

Ce ne fut donc pas la route Koweit City-Bagdad. À cette aune spectaculaire, on put constater (sans image à travers le texte des accords) que l’armée serbe au Kosovo se retira sans encombres, avec ses matériels, quasiment avec les honneurs de la guerre. Les propos du général britannique Jackson ne laissaient aucun doute sur la courtoisie de la relation entre deux commandants de forces qui, en bonne intelligence, se cèdent mutuellement le terrain défini.

De cette comparaison entre l’Irak et la Serbie, l’analyse stratégique retiendra que, ni dans un cas ni dans l’autre, en dépit des vociférations ultimes, la force armée n’est utilisée jusqu’au bout pour mettre à bas l’adversaire en tant que régime politique. Mais il y a des degrés dans la coercition qui s’exerce. On frappe et l’on punit sur des échelles très différentes. Bien entendu, on affiche la même volonté de liquider l’odieux adver­saire. Bien sûr, on prend nombre de mesures de coercition écono­mique pour hâter sa perte. L’extrême rigueur contre Saddam Hussein épuise son pays sans pour autant mettre à résipiscence son régime et l’exercice de son pouvoir personnel.

Slobodan Milosevic ne fait pas l’objet de contraintes aussi fortes.

L’ensemble de son pays n’est pas soumis à inspections. L’embargo qui affecte l’économie de la Serbie présente tant d’am­biguïtés que l’on est en droit de rester sceptique quant à l’effi­cacité. Depuis 1990, dans la zone danubienne, les capacités de transit illégal de toutes sortes de produits n’ont fait que croître et prospérer. Plus ou moins bien, on s’arrange¼ provisoirement.

Pourtant M. Milosevic est mis au ban de la “société euro­péenne”. S’agit-il bien de cela ? Même si la décision du TPI a été prise à un moment surprenant pour l’alliance elle-même, même si elle n’a pas favorisé la négociation, elle ne l’a pas rendue impossible. En revanche, elle a déstabilisé M. Milosevic, en le disqualifiant en tant qu’interlocuteur sur la scène internationale. Par récurrence, il devient pour les intérêts serbes une mauvaise carte19¼ Le clergé orthodoxe le désavoue. La Grèce se sentirait plus à l’aise face à un autre interlocuteur. La France, prête à aider la Serbie, n’entend pas soutenir “un” Milosevic. Bref, le personnage encombre la scène.

Et pourtant, il dure¼ aurait dit Galilée.

L’enchevêtrement de ces évènements contradictoires, de ces demi-mesures, et de ces actions limitées suggère un terme dont la radicalisation du discours public proscrivait l’emploi : le compromis.

Une analyse des bons offices rendus par M. Ahtisaari permet de se faire une idée assez proche de la réalité : qui a t-il sauvé et de quoi ?

l’OTAN du risque d’opérations terrestres dont pratique­ment personne au sein de la coalition – sauf peut-être M. Blair – ne voulait vraiment.

M. Milosevic qui, de justesse, sauvait la face, avec l’armée serbe qui se retirait invaincue et, surtout parvenait à sauver son pouvoir.

l’Union européenne qu’il représentait ?

la Russie qui a pu faire figure, à ses côtés, d’intermé­diaire efficace pour chacune des parties ?

la France qui voulait au plus tôt une sortie de guerre en des termes acceptables pour la cohésion de l’Alliance, validant Rambouillet et ne compromettant pas (trop) ses futures relations avec la Serbie et son rôle et ses intérêts dans les Balkans (mais lesquels au juste ?)

Bravo au président finlandais, homme providentiel qui eut l’habileté d’arranger tout cela. Mais cette somme d’intérêts con­tradictoires, préservés in extremis, ne constitue ni une cohérence politique, ni une solution pour le long terme.

*
*     *

La résultante des effets de ces différents événements déter­mine la qualité de la paix supposée s’établir.

On connaît l’expression “victoire à la Pyrrhus” c’est-à-dire sans avenir, sans profit, sorte d’intermède avant la reprise des hostilités. Compte tenu de la conclusion ambiguë des hostilités, il est nécessaire d’interroger les qualités de la paix qui surgit : est-elle durable ? Est-elle supportable ? Quelles en seront les bénéfices et pour qui ?

Premier cas de figure la stabilisation durable. Elle est censée reposer sur le retour des Albanais chez eux. C’est le même problème que pour les Musulmans de Bosnie qui pouvaient revenir mais ont préféré renoncer. On ne se mêle pas facilement dès lors que la guerre a passé. La mort dans l’âme sans doute, les Albanais et les Serbes choisiront de s’installer là où la sûreté sera effectivement garantie, de part et d’autre d’une ligne de démarcation garantie. Un Kosovo ainsi remanié peut s’installer dans la durée, en attente d’une solution politique.

L’enracinement de la paix requiert également et surtout une évolution de la Serbie et du Kosovo vers la démocratie. Cela implique de grands bouleversements de la donne politique serbe. Cela implique aussi que M. Rugova soit soutenu contre les extrémistes kosovars albanais qui chercheront à remettre en question la situation issue de la guerre de 1999.

Les Serbes devront fuir le Kosovo ou se réfugier dans des enclaves sous haute protection de la KFOR.

Les hostilités peuvent reprendre à la première occasion. Pour l’éviter, les forces d’interposition devront exercer une pres­sion considérable. Mais la présence de la force ne signifie nullement la résolution politique du conflit.

Cette pression (dont l’unanimité n’est pas évidente) pourrait n’être pas suffisante. Le Kosovo, l’Albanie, la Macédoine redeviendraient les enjeux d’une nième guerre des Balkans.

Autre cas de figure, une partition objective, acceptée sinon dans l’immédiat du moins à terme. Les forces d’interposition auront pour fonction d’habituer sur une génération les popula­tions à accepter l’état de fait. Les Européens de l’Ouest s’essaient à une étrange entreprise : établir une sorte de tutelle impériale sur les Balkans pour y instaurer des pratiques politiques et culturelles jusqu’alors inconnues. Nouvelle version historique de la paix par l’empire dans cette partie de l’Europe.

Dans cette entreprise, les Européens risquent donc, soit de se retrouver aux prises avec une nouvelle guerre, soit de rester englués pour vingt ans ou plus dans un scénario de type chypriote. Dans tous les cas, l’émergente entité de défense et de sécurité européenne risque fort de n’avoir d’autre perspective d’action que la garde d’une précaire stabilité dans les Balkans.

À d’autres, la présence et l’intervention dans le reste du monde.

 

3-6 juin 1999

_____Notes: 

 

18       Signalons entre autres, l’article, convaincu de l’existence de cette vic­toire, par M. O’Hanlon, chercheur à la Brookings Institution de Washing­ton, et la réfutation très documentée par une équipe de Newsweek.

19       Par exemple, la Serbie n’a pu être représentée à la brève (une demi-journée) conférence européenne de Sarajevo sur la stabilité dans les Balkans.

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Crier victoire

Les faits d’armes sont curieux à lire, racontés par les vainqueurs (ou soi-disant) et les vaincus. On n’a pas d’idée que la vérité puisse être d’une part et d’autre sans parler de la politique de la guerre qui travestit les faits dans un but disciplinaire, moral ou politique”

Charles Ardant du Picq, Études sur le Combat, 1868.

Étonnant concert des médias britanniques qui crient victoire. La presse, dite populaire, ronflant d’accents nationa­listes dignes de la guerre des Malouines annonce la “capitula­tion” de Milosevic. Certains réclament déjà la prochaine étape, traduire le criminel devant le Tribunal pénal international. “À Belgrade !” titre le Daily Mirror. Mais, suggèrent d’autres, le peuple serbe aura tôt fait de le liquider, comme les Roumains le firent de Ceaucescu. Peut-être. Mais contrairement au proverbe, nul n’est prophète dans le pays des autres.

En raison de la présence des médias, on pourrait croire que la fin d’une guerre est devenue transparente, irrémédiablement. L’expérience montre qu’il n’en est rien. Les médias sont incapa­bles à la fois de la présence et de la compétence analytique pour évaluer l’ampleur de la relation victoire-défaite.

La fin d’une guerre s’accompagne en fait d’une intensifi­cation du bruit dans l’information. La propagande est relancée avec une intensité égale, voire supérieure, à celle qui avait accompagné, pour le justifier, le début des hostilités.

Compte tenu des éléments assurés dont nous disposons aujourd’hui, la question de la victoire de l’Alliance se pose dans une double temporalité, de court et de long terme. La victoire et puis la paix.

En l’absence d’un désastre spectaculaire, rien n’est plus délicat que l’évaluation d’une victoire militaire.

À ce jour, au Kosovo, il n’existe encore aucun indice matériel d’une victoire de l’Alliance.

Qu’en est-il de la situation de l’armée serbe ? Quel est son degré d’affaiblissement ? Les chiffres de l’OTAN, quel qu’en soit l’optimisme, fortement corrigé par d’autres sources américaines, notamment les centres d’analyse de l’US Army, font état de la destruction d’un tiers des matériels lourds (chars, artillerie et aviation). Les pertes seraient de l’ordre de 1 500 hommes, selon les Serbes. Multipliant ce chiffre par trois, on obtiendrait 4 500 pour 40 000 hommes, supposés engagés au Kosovo, sur une armée d’au moins 90 000 hommes. On obtient alors un résultat de 10 % (pour les forces du Kosovo) et de 4, 5 % pour l’ensemble. Ce chiffre est élevé, au regard des critères militaires classiques. Il y a de quoi inquiéter un commandement militaire et engager fortement dans la voie de la négociation. Pour autant, on ne saurait parler de déroute. Le 26 mai, l’OTAN reconnaissait que les forces serbes étaient encore trop fortes pour envisager une offensive terrestre.

Le paradoxe de la stratégie aérienne est que son succès (ou son échec) demeure peu vérifiable. Certes, il y a bien l’évaluation des résultats des bombardements (ce que les Américains nom­ment damage assesment). Mais, outre le fait que les données recueillies sont encore d’une interprétation délicate, la communi­cation de ces résultats fait l’objet de grandes réserves (ne pas dire comment on a pu recueillir la donnée) et parfois on préférera la taire pour ne pas créer d’effets d’opinion publique négatifs. Difficile de dire, on bombarde pour la troisième fois la même cible sans résultats, etc.

Reste alors les manifestations tangibles du succès. Or le choix de n’engager aucune troupe au sol au contact de l’adver­saire créait l’impossibilité d’obtenir les preuves les plus tangibles du succès, puisque les soldats serbes n’avaient en face d’eux personne à qui se rendre.

Pour y voir plus clair, recourons à la méthode comparative. Souvenons-nous de deux épisodes de la guerre du Golfe.

Le premier était l’image des colonnes de prisonniers (dont le nombre était sans doute fortement exagéré). Il n’en demeure pas moins que c’est par milliers que l’on vit surgir des soldats irakiens épuisés, hébétés, brandissant les tracts de reddition lancés par les unités aériennes d’opérations psychologiques.

Second épisode, la retraite des forces irakiennes du Koweit vers Bagdad offrit rapidement le spectacle indiscutable et vite dérangeant d’une hécatombe sur la route de Koweit City. La poursuite est ce moment de la bataille où l’on peut tailler l’ennemi en pièces pour l’affaiblir au point où il ne pourra plus se reconstituer. Elle est la clé de la victoire décisive, porteuse de l’affaiblissement politique de l’adversaire.

Considérons maintenant la manière dont se terminent les opérations militaires au Kosovo.

Nous les voyons précédées de longues tractations politiques, suivies par les nécessaires discussions “techniques” sur les innombrables détails de la translation des forces sur la zone des opérations. Car la manœuvre en retraite (opération parmi les plus délicates de la stratégie militaire) de la totalité des forces armées serbes du Kosovo ne relève pas de l’évidence.

L’Alliance a d’abord prétendu obtenir leur retrait comme préalable à la suspension des frappes aériennes de l’OTAN. Et là, cela ne va plus. Pour quitter le Kosovo les forces serbes doivent quitter leurs positions retranchées, se regrouper et utiliser les rares voies de communication vers le Nord. Faisant cela, elles se transforment en cibles idéales pour les avions de l’OTAN qui n’avaient pu jusqu’alors les débusquer. Aucun responsable mili­taire n’accepterait un tel scénario. Il faut bien que des aména­gements très concrets de repli sous conditions assortissent le calendrier général, faute de quoi personne ne sera disposé à l’appliquer. Les difficiles pourparlers militaires de Koumanovo du 6 juin entre les deux camps témoignent de l’importance de cet élément stratégique. Les modalités finales constituent, dans leur détail, un fidèle reflet du rapport des volontés et des forces existant.

 

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Un second système otanien verra-t-il le jour ?

En 1878, à la suite de la conférence de Berlin sur les Balkans, le chancelier Bismarck adoptait une nouvelle forme d’alliance qui prendra le nom de second système bismarckien.

Par rapport au premier “système”, cette alchimie subtile­ment complexe visait un même objectif : continuer à isoler diplomatiquement la France en ralliant à la Prusse l’Autriche-Hongrie et l’Empire russe dont les intérêts s’affrontaient en Europe orientale, sur fond de dépècement de l’Empire ottoman.

Au 50e anniversaire de son existence, l’Alliance atlantique passe, elle aussi, d’un système à un autre. Ce n’est pas la moin­dre ironie des bégaiements de l’Histoire que ce soient précisé­ment les Balkans qui servent de pierre angulaire au processus d’établissement de la validité et de la légitimité du nouveau système.

Du premier système otanien

La simplicité en était exemplaire. Elle a reposé, quarante années durant, sur l’existence d’une menace clairement identi­fiée, même si sa dimension faisait l’objet d’innombrables contro­verses. À la demande des États d’Europe occidentale, les États-Unis avaient jeté une tête de pont sur le continent de manière à contenir l’avancée de l’Union soviétique.

Bien qu’à dominante militaire, cette alliance a toujours comporté un habillage idéologique, jugé essentiel par les États-Unis, non sans raison. Ceci s’explique par le fait que l’idéalisme américain exige un discours sur les valeurs. À quoi s’ajoute l’efficacité des multiples liens culturels qui réduisent les diver­gences de vues. Plutôt rustiques dans leur approche diploma­tique initiale, les États-Unis ont appris à raviver leurs racines européennes, à mêler les fibres de l’histoire en des célébrations doucement unanimistes : avec les Britanniques, les Français, les Allemands, les Italiens, les Grecs et les Turcs. Progressivement, s’est mise en place une formidable machine militaire, dotée d’un appareil politico-administratif d’une ampleur jamais atteinte dans l’Histoire.

La disparition et du Pacte de Varsovie et de l’Union sovié­tique a posé brutalement la question de l’existence de cette orga­nisation. Certes elle ne demandait qu’à persévérer dans l’être. Encore fallait-il lui trouver les justes missions.

Or aucun des ajustements conservatoires effectués à partir de 1990 ne répondait à cette interrogation essentielle. C’est seulement aujourd’hui que le problème parvient à être mis à plat pour le long terme, mais sous contrainte de la guerre du Kosovo.

Le premier système otanien était un outil au service d’une stratégie de dissuasion qui s’appuyait sur la présence des armes nucléaires. La fin de la guerre froide marque une mutation de l’ordre stratégique. Les buts deviennent positifs et la stratégie suppose l’engagement réel des forces. Cette mutation était délicate. Elle s’impose aujourd’hui sur un mode tragique qui ne constitue une surprise que pour les bureaucraties sourdes et aveugles, dont la langue reste de bois. Depuis 1991, on connais­sait les risques. En 1995, on les a contenus. En 1999, l’Alliance, ayant voulu agir réellement pour la première fois de son exis­tence (il y a cependant une répétition bosniaque qui semble avoir conduit à des comparaisons erronées en matière de stratégie notamment), se voit soudainement confrontée à la justification de son existence et de son efficacité.

Les fondements d’un second système otanien

En l’absence d’ennemi et de menace prévisibles pour le long terme, le second système otanien ne peut plus reposer sur une convergence d’intérêts négatifs. Comment trouver une commu­nauté de buts positifs ? Comment dix-huit États européens, parmi lesquels certains entretiennent de très mauvaises rela­tions (la Grèce et la Turquie notamment), peuvent-ils se mettre en phase avec les États-Unis ? En passant un compromis très général rendu possible par le fait que, dans l’immédiat, aucun intérêt vital n’est directement mis en cause. Car ni les territoires ni les habitants des États de l’Alliance ne sont aujourd’hui menacés. La Bosnie et le Kosovo restent des guerres optionnelles. L’engagement s’effectue donc sur la base d’un choix, fait au nom d’une certaine conception de l’ordre du monde, reposant sur certaines valeurs. Terrain risqué, parce que non contraint pas la nécessité. Cette liberté de choix crée une dimension vertigi­neuse : à quoi bon ? Or la guerre, acte physique produisant des effets tangibles, renvoie le décideur à la question de la légitimité de sa décision, dès lors qu’apparaissent les premiers coûts, tant humains que matériels.

Le premier système otanien était justifié par la faiblesse de l’Europe occidentale face à la puissance soviétique. Le second s’explique par une défaillance d’Europe. Défaillance qui s’analyse à trois niveaux.

L’incapacité à trouver un dénominateur d’intérêt commun assez puissant pour déterminer des objectifs identiques de politique extérieure. Chaque État européen entend conserver ses “affaires mondiales”. Les “petits États” peuvent avoir de loin­tains desseins qui ne visent pas au grandiose (regardez les Pays-Bas ou l’Espagne qui garde sa vision du monde et sa capacité très originale à faire entendre sa langue, etc.) Les États-Unis ont d’ailleurs parfaitement compris comment gérer cette mosaïque de visions historiques et d’intérêts divergents sur la planète.

Deuxième niveau, un reste de méfiance, plus ou moins sourde, que l’on s’efforce pourtant de ne pas déclarer pour éviter de mettre en péril l’Europe commerciale, financière, économique et monétaire. Mais le non-dit accumulé ne permet pas de faire progresser ce qui ne peut et ne veut avancer de concert.

Défaillance enfin, liée au refus de fait de consentir les sacri­fices financiers nécessaires pour se doter d’une organisation de défense commune. Les budgets sont en décroissance générale en Europe (alors qu’ils ont repris leur progression aux États-Unis) au nom de la paix retrouvée. L’argument de l’inutile duplication des moyens est devenu le maître-mot puisque cela existe à l’OTAN, pourquoi recréer la même chose ailleurs ? Précisément pour pouvoir s’en servir quand on le veut et comme on l’entend. Telle est la problématique de fonds du second système otanien.

Dans le contexte ainsi posé, que représente donc aujourd’hui la présence des États-Unis pour les États d’Europe ?

c’est disposer d’un prestataire de moyens militaires de haut niveau, mais de coût très élevé.

c’est un facteur tranquillisant par rapport aux inquié­tudes rémanentes à l’égard d’un réveil de la puissance russe.

c’est recourir aux bons offices d’une grande puissance qui tient le rôle de honest broker, (“honnête courtier” disait déjà, de lui-même, Bismarck) qui apaise les méfiances réciproques que peuvent nourrir certains États les uns à l’égard des autres, quand il ne s’agit pas d’une franche hostilité. Cette situation conviendrait en somme assez bien à tout le monde. L’Alliance constituerait le moins mauvais des dénominateur commun pour la sécurité de l’Europe. Le problème vient de ce que pour d’évidentes raisons géopolitiques, les États-Unis considèrent la sécurité de l’Europe selon un prisme très différent.

En regard, que représente l’enjeu Europe pour les États-Unis ?

À travers l’Alliance, les États-Unis restent solidement ancrés en Europe occidentale et centrale.

Ils poussent leur influence de plus en plus loin à l’Est. Nul ne peut plus contester, malgré les discours d’huile et de miel, que la Russie voie reculer sa sphère d’influence plus profondément qu’elle n’a jamais été depuis Pierre Ier (de Russie, pas de Serbie).

Les États-Unis disposent d’une tête de pont militaire pour se projeter vers la zone d’intérêt vital du Golfe persique. La présence de la Turquie dans l’Alliance constitue une contradic­tion majeure dont on n’est pas prêt de voir la résolution.

Enfin, ils cherchent à utiliser l’Alliance atlantique pour soutenir leurs intérêts lointains jusqu’à la Corée et au Japon. Étirement extrême de la puissance que suggère le développement des moyens satellitaires, des vecteurs balistiques, de tout ce qui “mondialise” la sécurité ou l’insécurité.

Encore ce terme mondial doit-il être corrigé. Une partie du monde n’intéresse pas les États-Unis. Les récents efforts du président Clinton en direction de l’Afrique ont beaucoup ému les Français. Cela ne signifie pas pour autant que les États-Unis entendent se substituer à la régulation française. Il s’agit plutôt de rendre l’Afrique à la liberté du marché, avec pour consé­quences un déchaînement incontrôlable des factions. Et qui voudra se donner la peine et les moyens de tempérer les excès du chaos sera bienvenu.

Pourquoi le second système otanien a-t-il tant de mal à naître ?

Le pilier européen au sein de l’Alliance fut, de tout temps, une formule magique à laquelle chacun pouvait adhérer dès lors que l’on se gardait d’en préciser la nature exacte, les modes de financement, les chaînes de commandement et les procédures de conduite opérationnelle. Dès lors que la France envisageait, atti­rée par l’Allemagne ainsi que par la force des choses, de réinté­grer l’ensemble des structures militaires, elle a entrepris de poser les bonnes questions, en particulier qui a voix prépon­dérante pour définir les finalités du second système ?

Dans le premier c’étaient les États-Unis. Tout le monde l’acceptait parce que les États européens l’avaient réclamé.

Aujourd’hui, les Européens veulent une Alliance d’abord mise au service de leur continent. Ceci suppose effectivement un “rééquilibrage” des responsabilités entre États-Unis et Union européenne. Ainsi le débat s’était-il engagé dès la disparition du Pacte de Varsovie et l’émergence presque simultanée de très graves et très prévisibles difficultés dans les Balkans.

Une célébration manquée

Les cérémonies du 50e anniversaire devaient apporter une solution “conceptuellement correcte” aux problèmes ainsi posés. La réunion de Washington des 22-24 avril avait trois objectifs :

prendre acte de l’élargissement (République tchèque, Hongrie, Pologne) tout en déclarant que la porte restait ouverte.

célébrer le nouveau rôle de l’OTAN. Certes la célébration a été ratée, pour autant ce ne fut pas un conseil de guerre comme la presse l’annonçait.

adopter un nouveau concept stratégique fondé sur la notion de “crise”.

Compte tenu des piètres résultats de l’OTAN en RFY, cette rencontre aurait pu être l’occasion d’un pénible exercice où l’on aurait vu chacun des alliés rejeter sur l’autre l’évidente erreur stratégique commise en mars. Mais toute coalition a deux objectifs : atteindre ses buts et rester soudée. Faute de réussite militaire, on s’est employé, d’un commun accord, à minimiser les divergences, en se déclarant uni autour d’un nouveau document.

Chacun aura néanmoins profité de l’occasion pour pousser ses pions, un peu comme si de rien n’était, et pour faire valoir “sa” conception de l’Alliance, le Kosovo servant de justificatif aussi bien dans un sens que dans un autre.

Le nouveau concept stratégique

Il en résulte un nouveau concept stratégique de compromis, fort long (65 paragraphes), rédigé en termes si ambivalents que chacun peut y trouver l’expression de ses vœux.

Ainsi en est-il de l’expression “responsabilité primordiale du Conseil de Sécurité des Nations unies” (&38 du communiqué des chefs d’État et de gouvernement) qui permit à M. Clinton de vanter devant le Congrès républicain la liberté maintenue de l’Alliance à l’égard de l’ONU tandis que M. Chirac se félicitait de la reconnaissance par l’Alliance du rôle prépondérant de cette même organisation.

On se félicite, côté européen, que l’OTAN soit défini comme un outil de gestion des crises en Europe. Toutefois, la dernière partie du document est constituée par un bout-à-bout des diffé­rentes préoccupations des États-Unis dans la perspective d’un rôle mondial de l’OTAN. La géographie est elle-même sujette à compromis. Les “alentours” de l’Europe ne font l’objet d’aucune définition rigoureuse. Si bien que l’Europe pourrait se voir dotée d’alentours qui conduiraient jusqu’au Golfe persique, via la partie orientale du bassin méditerranéen.

Il est clair, à la lecture de ce document préparé bien avant la guerre, et qui s’efforce de n’en pas trop en subir l’impact, que rien n’est fondamentalement résolu. Pour deux catégories de raisons.

En premier lieu, ces principes généraux ne disent rien de ce que sera leur mise en œuvre concrète. Que se passera-t-il dans les comités et dans les structures ad-hoc dont le nombre ne cesse de croître ? Véritable stratégie d’attrition bureaucratique comme en témoigne le dernier né de 1997, le CPEA (Conseil du parte­nariat euro-atlantique).

Or cette situation est très difficile à tenir pour chaque pays européen qui ne dispose que d’une quantité limitée d’agents civils et militaires. Il vaut la peine d’interroger le ratio entre les États-Unis et la France, entre la France et les Pays-Bas. On ne peut être partout. Manœuvre de débordement qui suggère le regrou­pement des moyens des administrations européennes. Mais sur quelles bases ?

La deuxième raison tient au choc de la guerre. Le concept de l’OTAN constitue un document littéralement méta-physique dès lors que la guerre se poursuit sans que l’on puisse dire quelle en sera l’issue. Certains ont suggéré que la légitimité de l’existence de l’Alliance avait été un des mobiles de la guerre. On peut considérer que la manière dont elle sortira de l’affaire détermi­nera son destin.

Une chose est certaine : il faudra apporter une réponse sérieuse à la question désagréablement posée par les événements actuels, à savoir comment fait-on la guerre en Europe aujour­d’hui ? Selon quelles méthodes, avec quelles conceptions ?

Or le concept stratégique ne dit rien sur ces problèmes concrets. Il n’évoque à aucun moment la manière de s’y prendre, le style stratégique adapté aux besoins. La guerre du Kosovo exige dès maintenant, sans égards pour son issue mais en tenant compte de ses premiers échecs, de revoir la nature des concep­tions stratégiques valables pour une Europe qui est affranchie de la bipolarité sous risque nucléaire et doit définir les situations au cas par cas avec flexibilité et souplesse. Bref, quel outil militaire pour des diplomaties complexes en milieu historiquement enchevêtré ?

Si la raison d’être de l’Alliance paraît acquise pour les raisons politiques précédemment évoquées, sa stratégie militaire n’est pas encore définie. Les priorités dans le domaine décisif de l’allocation des moyens ne font pas l’objet d’un accord précis. La nature des stratégies militaires à mettre en œuvre en cas de conflit réel n’a pas même été encore abordée.

Le Kosovo constitue un révélateur catastrophique au sens où il précipite les questions interminablement reportées. Épreuve de vérité, il teste la valeur des discours ainsi que la réalité et l’efficacité des moyens supposés existants. Fin des simulations sur ordinateurs, fin des manœuvres et autres bonnes manières du temps de la dissuasion. Les débats byzantins sur les procé­dures décisionnelles et l’organisation des chaînes de comman­dement se voient confrontées à la chair de l’action au milieu du chaos de la guerre affectant des populations réelles.

Voici qu’il faut montrer dans l’urgence et le brouillard de la guerre, ce dont on est capable. Chaque hélicoptère Apache qui s’écrase avant même d’être engagé pose des questions embarras­santes sur les conditions dans lesquelles on entendait mener la guerre en Centre Europe face au Pacte de Varsovie.

Voilà qui renvoie à l’ultime problème : la stratégie militaire des États-Unis est-elle adaptée à la sécurité européenne ?

Au-delà des inévitables discours convenus, la question tragi­quement posée par la guerre du Kosovo est de savoir si les États-Unis ont les moyens de leur vision ; si ce leadership existe quel­que part, s’il s’incarne, en un homme, des élites reconnaissables, des institutions visibles. Ou bien si l’OTAN est l’instrument adhoc de préoccupations à court-terme, guidées par le hasard des événements et par les caprices du marché. Ce système local et mondial à la fois peut-il être guidé par un Exécutif centré sur les préoccupations intérieures, s’appuyant sur un Législatif sans connaissance du monde, et sur une diplomatie dont les capacités sont forte­ment réduites au nom de la préoccupation intérieure ?

Un tel système peut-il se confier à un outil militaire qui manque de souplesse, n’accepte de prendre que le risque mini­mum, et dont les capacités ne sont pas véritablement mondiales, quelle que soit leur énormité ? Car s’ajoute le phénomène d’étire­ment des moyens.

La capacité de domination mondiale s’arrête en effet à quelques dizaines de satellites, quelques milliers de missiles avec leurs coûts unitaires considérables, le tout étant bridé par la volonté de dégager des excédents budgétaires. Cette surextension de la puissance limite les capacités d’action en créant des priorités fondées sur l’intérêt des États-Unis. Ce n’est donc pas de là que l’Union européenne peut attendre la réponse à ses besoins. Le concept stratégique de l’OTAN laisse l’Europe en attente d’un concept qui soit le sien avec les moyens dont elle se doterait si¼ et nous voilà revenus à la case départ !

 

20 avril 1999

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