V – Le niveau opérationnel de la stratégie génétique

En tant que méthode, la stratégie est traditionnellement représentée suivant ses quatre paliers d’action politique, stratégique, opératif et tactique[1], bien que la légitimité du troisième soit souvent discutée[2]. Leur fonction a évolué avec les conflits, aboutissant à un brouillage des référents où la hiérarchie des paliers stratégiques a été modifiée. En particulier, les actions tactiques tendent à impacter de plus en plus systématiquement le niveau politique (et vice-versa), alors que les débats sur leur pertinence vont toujours bon train, notamment quant à leur actualité dans une période de changement technologique majeur[3].

La portée universelle du brouillage des référents tactique, opératique et stratégique reste toutefois à démontrer, car elle serait surtout le fait d’armées technologiquement intensives et qui, à l’image de la renaissance des études opérationnelles des années 80 et les plans de l’USN de cette époque, misent nettement sur les progrès de la missilerie, de la mobilité, de la complexification corrélative des systèmes d’armes et de leur interconnexion[4], et finalement de l’offensive. Or, la stratégie opérationnelle mise sur une manœuvre permettant des gains plus importants, mais elle fait aussi prendre plus de risques aux commandants, car elle recherche une charge offensive nécessitant une concentration des forces les vulnérabilisant[5]. Dans le même temps, les théoriciens de la défense défensive prônaient une instrumentalisation de la technologie dans le sens d’une usure des forces adverses, de sorte que les défaites tactiques n’impliqueraient la défaite stratégique que passé un seuil critique plus rapidement atteint avec la manœuvre[6]. Dans la foulée, ils proposent une dispersion assurant la survie des forces, qui trouve par extension et d’elle-même un prolongement en stratégie génétique : la répartition ou la concentration des investissements sur un secteur donné permet d’éviter ou de prendre un risque technologique. A cet égard, en matière d’interdiction, l’USN, comme finalement l’USAF, a poursuivi dans les années quatre-vingt une politique prudente, entre des missiles de croisière et un A-12 tous deux capables de mener des missions aussi bien conventionnelles que nucléaires[7].

Dans la même optique de parallélisme, la manœuvre génétique peut impliquer une mise en service/modernisation dans des secteurs considérés comme stratégiques, alors que l’usure génétique vise à soutenir défensivement une course technologique et à combler d’éventuelles fenêtres de vulnérabilité sans nécessairement chercher la supériorité. Dans le même temps, une manœuvre génétique de nature offensive telle que l’annonce du programme A-12[8] se transforme en usure lorsque des appareils existant sont modernisés et que l’Avenger II est abandonné. Le statut de cette usure est cependant ambivalent, au même titre que la défensive[9] : constitue-t-elle l’abandon de la capacité d’attaque médiane par l’USN ou le prélude à une contre-offensive (mise en service du F-18E) ?  

Dans leur articulation aux niveaux stratégiques, les postures défensives et offensives et leurs liens à la technologie sont généralement considérées comme centrales et les études des années quatre-vingt sur le « culte de l’offensive » et ses liens au dilemme de la sécurité en sont exemplaires, y compris dans ses conséquences organisationnelles[10]. Mais ces postures ne permettent pas en soi de nécessairement atteindre les objectifs fixés : la défensive d’usure de la Ligne Maginot et du déploiement avancé de chars généralement supérieurs à leurs équivalents allemands n’a pas empêché la défaite française de 1940. L’impact cumulatif d’actions tactiques et opératiques permet des résultats stratégiques et montre les limites des déterminismes technologiques dans leurs applications à la défensive et à l’offensive[11].

1) Tactique et opératique dans la stratégie des moyens

D’un point de vue historique, les guerres du Kippour et du Vietnam sont souvent citées comme les premières où les aspects tactiques ont le plus nettement impacté le niveau politique des opérations et de leur poursuite[12]. Dans la généalogie de cette transition, les Première et Seconde guerres mondiales ont démontré l’impact politique des actions opératiques, alors que l’impact opératique des actions tactiques était déjà largement démontré par de nombreux auteurs. Dans cette articulation, le rôle de la bataille d’anéantissement, souligné par plusieurs auteurs comme la voie occidentale de la guerre[13] a souvent été vu comme permettant de développer les options technologiques, mais aussi comme déterminantes dans l’oubli d’une tactique qui n’a souvent été abordée que sous l’angle parfois trop historique de l’étude des batailles antiques[14], de l’apport de la poliorcétique[15] ou des apports du Moyen-Age au combat[16]. Des études à proprement parler tactiques subsistent néanmoins[17], alors que la prise en compte des guérillas et plus généralement des stratégies indirectes revalorisent une tactique où l’opératique interfère régulièrement, notamment lorsque l’USAF s’impose dans les missions de contre-terrorisme[18], éventuellement dans un environnement urbain.

Plus loin dans le temps, un auteur comme Ardant du Picq s’était attaché dans ses Etudes sur le combat à des facteurs aussi tactiques à la base que le moral des troupes[19]. La liaison entre les niveaux tactique et stratégique est patente lorsque l’on applique les raisonnements de du Picq à l’effondrement des armées, qui serait d’abord moral et qui précèderait la défaite physique[20] – et par extension matérielle –, une optique reconnue par Beaufre[21]. Mais nous pouvons aussi considérer que la technologie impacte le moral : que l’on se repose trop sur le facteur technologique dans la conduite du combat (les Etats-Unis en Somalie)[22] ou qu’elle amplifie la détermination des combattants à vaincre (Israël dans les guerres israélo-arabes), elle reste présente. Du côté adverse, le feu abasourdi et paralyse, plus encore s’il atteint directement les positions adverses[23] et la technologie devient une composante de la manœuvre psychologique[24], tant tactique qu’opératique.

La tactique est actuellement considérée comme surdéterminée par une technologie opérant tant aux niveaux tactique qu’opératique, en raison de l’application à la stratégie de la métaphore des feux croisés : des systèmes d’armes parfois très éloignés/dispersés, comme des croiseurs et/ou des bombardiers dotés de missiles de croisière, peuvent traiter des cibles tactiques concentrées. Il s’agit d’une tendance observée depuis les années 70 et 80 dans le domaine terrestre du combat (le combat nucléaire tactique[25] puis le programme Assault Breaker[26]), mais depuis plus longtemps pour les forces aériennes ou navales[27]. Cette relativité trouve en Beaufre une conceptualisation de la stratégie génétique au moyen de référents tactiques aux causalités et aux impacts stratégiques :

Tableau 4 – Equivalence des stratégies idéelle et matérielle – application au cas de l’A-12.

Action

Equivalence idéelle durant la 2ème GM

Application à la stratégie génétique

Cas du A-12

Attaquer

Ardennes 1940

Réaliser un progrès technique mettant en défaut la sécurité de l’adversaire

Groupes de porte-avions d’attaque, missiles de croisière escalade horizontale

Surprendre

Ardennes 1944

Réaliser un progrès avec une grande avance sur les prévisions

Opérationnalisation de différents types d’avions furtifs

Feindre

Offensive allemande sur la Hollande – 1940

Engager l’adversaire par des progrès dans une course technologique sur une direction différente de celle que l’ont suit vraiment

Multiplication des programmes technologiques.

Tromper

Menace alliée sur le Pas-De-Calais plutôt que sur la Normandie – 1944

Faire croire que l’on va réaliser certains progrès ou cacher les progrès qu’on réalise

Accent sur les capacités radars et air-sol de l’A-12

Forcer

Bataille de Normandie 1944

Dépasser l’adversaire en performance dans un domaine où il est fort

Production de masse d’avions de très haute technologie

Fatiguer

Stalingrad 1942

Faire faire à l’adversaire des dépenses importantes et plus grandes que soi-même dans un domaine où la course est engagée

Course technologique sur les lasers et leur application à la guerre aérienne

Poursuivre

Allez et retours dans le désert libyen

Exploiter une supériorité pour obtenir un avantage politique partiel

Pluralité des programmes furtifs, y compris navals

Parer

Bataille des Ardennes 1944

Rétablir la valeur du système de sécurité par des interventions ou des réalisations

Tactique : furtivité

Stratégique : masse des capacités furtives appliquée à une force

Riposter

Contre-offensive soviétique

Répondre à un progrès par un autre progrès prenant en défaut le système de sécurité adverse

Tactique :Sûreté de la pénétration de l’espace aérien soviétique

Stratégique : missions de l’A-12.

Esquiver

Repli allemand sur la Lorraine après la bataille de Normandie

Refuser d’engager la confrontation sur le terrain imposé par l’adversaire – emphase sur d’autres secteurs technologiques considérés comme plus essentiels*

Tactique : Engagement à distance

Stratégique : Stratégie qualitative plutôt que quantitative et développement de la concentration technologique.

Rompre

Armistice français de 1940

Accords d’armements ou retrait politique pour éviter le show down

Annulation de l’A-12, accent sur la polyvalence plutôt que la spécialisation. 

Se garder

Défense de la Grande-Bretagne de 1940

Etre en avance sur les progrès adverses

Conserver l’initiative en matière de furtivité

Dégager

Guerre navale en 1942 pour isoler Rommel en Libye

Réaliser un progrès qui oblige l’adversaire à modifier ses dispositions offensives

Forcer l’URSS à plus de défensive par la disposition d’une forte capacité offensive

Menacer

Menaces de débarquement allié en France jusqu’en 1944

Disposition pouvant conduire au déclanchement de la montée au extrêmes

Renforcement et doctrinalisation des capacités offensives

Source : adaptation du tableau n°II, Beaufre, A., Introduction à la stratégie, op cit., pp. 34-35.

* : André Beaufre avait placé un point d’interrogation dans cette case  

Sur un plan génétique, il existe une évolution dans la conceptualisation de l’impact militaire de la technologie : d’essentiellement tactique chez Napoléon ou Schlieffen, elle devient opératique durant la Seconde Guerre mondiale pour Fuller ou Liddell Hart. Or la tactique et sa pratique continuent d’impacter les choix technologiques. D’abord parce qu’il existe des boucles de rétroaction entre les niveaux d’action et la conception/adoption des matériels. Au-delà, l’augmentation de la puissance de feu disponible, la létalité croissante des systèmes d’armes[28] et la décentralisation des structures de combat donne à l’officier un rôle de directeur non seulement du combat, mais aussi des moyens employés dans l’accomplissement de sa mission[29]. Il existe là une forme tactique de la stratégie génétique au travers du choix des moyens[30]  et non un déterminisme génétique tel que chez Fuller ou Guderian[31], que peu d’auteurs, mis à part Beaufre, ont directement souligné.

2) Stratégie génétique et niveaux stratégiques

Indirectement, on sent toutefois chez Liddell Hart, Fuller ou de Gaulle une tension de leur vision en direction du stratégique, du fait même du manque de légitimité perçue du niveau opératique. Entre petite stratégie et grande tactique, l’opératique ne constitue un niveau en soi que dans une acception mondiale d’une stratégie projetée et projetable à l’envi, ne limitant les ambitions que par les limitations technologiques et cachant la centralité de ses moyens. Les acceptions changent cependant avec un nucléaire génétiquement hyper-intensif. La France développe une capacité stratégique alors que l’essentiel de sa stratégie des années soixante ne se centre pourtant que sur l’Europe, et atteindre des objectifs sur une zone opératique (survie de la métropole) se fait par l’acquisition de capacités stratégiques (capacité de mener un conflit nucléaire).

Ces distorsions dans la liaison entre les niveaux opératiques et stratégiques sont patentes dans le domaine de l’aviation et de l’aéronavale. Le porte-avions est un instrument de nature stratégique de par sa capacité de projection dans les zones capables de l’accueillir, mais sa légitimité stratégique lui provient essentiellement de la combinaison des capacités de frappes de son groupe[32], et dont l’A-12 devait faire partie intégrante. Capable de contrer les défenses adverses, disposant d’une capacité de ravitaillement en vol et disposant en propre d’une large autonomie de combat, l’Avenger II devait pouvoir attaquer des objectifs stratégiques en Union soviétique. A contrario, des appareils plus légers comme l’A-7 Corsair II ou le F-18 Hornet avaient une capacité essentiellement tactique[33], mais l’assertion est relative, car basée sur des options stratégiques de spécialisation des équipements qu’annule un armement adéquat transformant l’avion en plate-forme d’armement travaillant à distance. C’est notamment dans cette optique que l’USN s’est engagée dans une logique de polyvalence dès le milieu des années 80[34] : chaque appareil devant être capable de remplir plusieurs types de missions, alors que leurs successeurs devaient être polyvalents dès leurs conceptions. Le F-35, qui doit notamment remplacer les F-16 américains et qui sera proposé à l’exportation, et le F-18E, version élargie du premier[35], sont typiques de cette approche, politiquement poussée par l’administration Clinton mais militairement réfrénée, avant que D. Rumsfeld ne remette le premier programme en question[36].

Orientée vers la standardisation des équipements des membres de coalitions – et en particulier de l’OTAN[37] – la politique américaine s’était alors orientée vers la pratique d’un multilatéralisme militairement plus tactique, contre un unilatéralisme plus opératique. Ce dernier aurait pu prendre la forme d’un A-12, trop cher pour pouvoir être opéré par des Alliés à qui il avait souvent été reproché de ne pas investir dans leurs défense[38], mais s’est finalement concentré sur des missiles de croisière utilisés systématiquement là où les USA interviennent. Dans une optique multilatérale aux forts relents stratégiques, les Etats-Unis auraient assuré le leadership d’une coalition basée non sur la standardisation technologique mais sur le charisme et les capacités d’un commandant[39]. Cette vision est couplée à une division des tâches laissant aux autres membres de la coalition d’assurer les missions les plus exposées[40] dépendantes de principes de la guerre eux-mêmes au cœur de l’approche génétique.

3) Principes de la guerre et opérations génétiques

S’il est difficile de désigner un principe premier au sein de la hiérarchie des principes stratégiques, la première approche stratégique peut passer par les concepts de stratégie directe et indirecte. Entendue comme le choc frontal de deux forces, la stratégie directe est celle d’un A-12 visant les cibles stratégiques de l’adversaire, alors que l’optique indirecte voit en l’A-12 la réponse à des défis périphériques tels que les futurs porte-avions soviétiques[41]. Mais à cette approche s’en ajoute une autre, d’un niveau stratégique plus élevé et considérant que l’objectif d’une stratégie technologique est d’« atteindre directement la volonté de résister » de l’adversaire[42] ou encore de viser « l’interdiction, la paralysie, la négation de toute forme de puissance militaire hostile »[43]. Les concepts de stratégies directes et indirectes se montrent ainsi relatifs dans leurs application à la stratégie génétique qu’à la stratégie de combat[44], mais renvoient surtout aux concepts de symétrie et d’asymétrie ainsi qu’aux principaux principes opérationnels de la guerre.

3.1. Principe stratégique d’économie des forces et principes génétiques qualitatifs et quantitatifs  

L’économie des forces est généralement citée comme un des premiers principes de la guerre. Définie par Foch comme « l’art de peser successivement sur les résistances que l’on rencontre, du poids de toute ses forces et pour cela monter ces forces en système »[45], elle peut aussi intégrer une vision minimisant la force engagée où elle se caractérise par « (l’emploi de) toute la puissance combattante disponible de la manière la plus efficace possible ; (le fait d’allouer) aux efforts secondaires que le minimum de puissance combattante indispensable »[46], permettant ainsi l’engagement du feu vers l’adversaire. Sa première application à la stratégie génétique trouve dans la répartition des investissements à destination des équipements un révélateur des options prises dans le courant de ce qui est envisagé comme une confrontation technologique ou comme une guerre en soi chez Possony et Pournelle[47]. Dans cette acception, les fenêtres de vulnérabilité sont des fronts dont les investissements, la R&D, les achats, les concepts d’emploi[48] et les unités constituent les forces déployées. Poussée encore plus loin, l’économie des forces vise chez Beaufre à dégager une liberté de manœuvre élargissant le champs de l’action stratégique. L’A-12 aurait du permettre de donner aux Etats-Unis et en particulier à l’USN un potentiel de traitement des objectifs de haute valeur. Or, le principe d’objectif – qui vise à la définition d’un but clair pour chaque action – n’a pas été respecté, car la course à la légitimation programmatique a clairement fait déborder les missions assignées à l’A-12 et a fini par diluer sa fonction principale[49]. Dans le même temps, le concept de spécialisation des forces aériennes américaines[50] limite la liberté d’action à la disposition de l’ensemble de la panoplie aéronautique, érigée en un système dont ne sauraient être évacuées des composantes telles que l’entraînement[51], voir une culture particulière.

Cette articulation entre objectifs, cultures et économie des forces par l’attribution prioritaire d’investissements trouve un équivalent en stratégie génétique dans l’opposition entre les stratégies qualitatives et quantitatives. Elle à pris une tournure nette dans le courant de la guerre froide, lorsque des auteurs comme Holloway[52], Sapir, Possony, Pournelle et Kane considéraient que les Etats-Unis menaient une politique qualitative fondée sur des sauts technologiques majeurs alors que les Soviétiques misaient sur la quantité tout en basant leurs innovations sur des technologies éprouvées[53]. On pourrait aussi y trouver une transcription en génétique des modes séquentiels (Etats-Unis) et cumulatifs (URSS) de la stratégie.  

La pertinence de l’opposition entre qualité et quantité (résultant de l’impossibilité de construire massivement des équipements de très haute qualité) c’est cependant estompée dans les années nonante avec l’effondrement du modèle quantitatif. Non seulement l’URSS avait fini par reconnaître avec Ogarkov et Akhroméev la nécessité de développer des options qualitatives[54], mais des Etats toujours plus nombreux ont développé des stratégies d’essence qualitative. La recherche d’une puissance de feu précise, d’une forte mobilité tactique, de marges de manœuvres plus large peuvent ainsi partiellement expliquer les développements génétiques saoudiens, malaisiens ou indonésiens et il y a sans doute lieu de se poser la question de l’impact des enseignements de la guerre du Golfe dans le développement de telles stratégies.

3.2. Principes stratégiques de surprise et d’initiative et principe génétique de supériorité.

Le rapport entretenu par la technologie à la notion d’innovation est généralement associé à des principes manœuvriers plutôt que d’usure. Cependant, cette acception se traduit par un rapport spécifique à la prise d’initiative, qui renvoie elle-même à la surprise. S’ils constituent des classiques stratégiques rapidement incorporés aux principaux corps doctrinaux, ces principes trouvent aussi et assez naturellement une extension en stratégie génétique, dans le secteur nucléaire (acquisition des armements[55], missilerie)comme dans le conventionnel, renouvellant la dialectique évolution-révolution.

L’introduction du F-117 et du B-2 a constitué une percée affectant le discours autant que la pratique stratégique. Sans plus constituer une surprise technologique (la furtivité s’était déjà révélée au cours de l’opération Just Cause[56]), l’A-12 permettait une exploitation des percées technologiques par la conservation d’une initiative visant la supériorité sur les défenses aériennes soviétiques[57]. Cette exploitation peut elle-même prendre en compte les modes qualitatifs et quantitatifs de la stratégie génétique. Le F-117 n’a ainsi été produit qu’à cinquante-neuf appareils, bien peu en regard de l’emphase discursive systématique sur ses qualités. Durant la guerre du Golfe, les 42 F-117, en ne menant que 2% des sorties, ont mené 40% des missions contre des objectifs qualifiés de stratégiques[58], donnant une idée de ce que trente fois plus d’A-12 auraient eu comme incidence sur les capacités américaines d’interdiction. D’autres missions, de nature tactique comme la lutte anti-radar[59], avaient en outre été évoquées pour les deux types d’appareils.

La conception de matériels technologiquement supérieurs à leurs adversaires a souvent été vue comme systématique, voire comme un facteur monocausal de la course aux armements. L’A-12 répondait ainsi à la même rationalité que celle qui avait prévalu à la conception du B-2 : un appareil capable de percer des défenses aériennes soviétiques auxquelles la plupart des analystes occidentaux attribuaient alors une grande efficacité[60]. Lorsque la guerre froide s’est terminée et que les Etats-Unis ont annulé l’A-12 (7 janvier 1991), les évaluations du Pentagone prenaient toujours en compte la possibilité d’un redressement de la Russie en tant que grande puissance[61]. Mais les préoccupations américaines allaient à ce moment vers le Golfe persique, une zone où les technologies américaines – y compris non furtives – allaient démontrer leur supériorité, y compris contre une défense aérienne formatée sur le modèle soviétique[62]. La supériorité américaine dans le conflit avait alors été largement attribuée aux capacités technologiques autant qu’à une application quasi sans failles de la doctrine[63].

Si l’argumentation alors présentée par R. Cheney lors de l’annonce de l’annulation du programme était d’essence économique, elle renvoyait aussi au mismanagement de la stratégie industrielle de McDonnell Douglas et de General Dynamics[64]. Dans le même temps, d’autres analyses montraient clairement que la supériorité technologique américaine en tant qu’agglomérat de systèmes était atteinte[65], appelant à une réduction et à un étalement du programme A-12[66]. Dans cette optique, le potentiel technologique à disposition et la poursuite des efforts en R&D suffisaient amplement à faire face à une future menace (principe de veille technologique). La supériorité de l’USN n’était pas menacée et pouvait s’obtenir par des moyens déjà disponibles, éventuellement via un recadrage de ses missions sur ses aspects strictement navals[67]. Dans le même temps, la Navy montrait une capacité d’adaptation plus rapide aux changements technologique que l’USAF et se serait, au plan conventionnel, méfiée de missions d’interdiction[68]. Peu efficaces en Corée et au Vietnam, elles incitèrent l’USN à se concentrer sur le niveau tactique. D’autres programmes de forte intensité technologique de la Navy furent ainsi sacrifiés[69], y compris la version « F » de l’A-6, ôtant tout espoir de disposer à nouveau d’un interdicteur naval spécialisé. Conséquemment, les derniers A-6 ont été retirés en 1997[70].  

Il faut cependant relativiser la notion de supériorité technologique, qui ne garantit pas la victoire. La bataille de Crécy[71], la Seconde Guerre mondiale[72] ou Allied Force[73] sont autant d’exemples d’une supériorité délégitimée par d’autres principes aux connotations génétiques : respectivement l’entraînement, la combinaison de l’industrie et de feu et l’oubli des principes élémentaires de sûreté[74]. L’entraînement des hommes, l’intégration optimale des moyens dans les structures des forces, les paramètres logistiques et la mise en place de doctrines adaptées – autant de champs d’action technologiques en soi – restent centraux et aucune estimation de la force d’une armée[75] voire de la politique de défense d’un Etat[76], ne peut se faire sans prendre en compte ces paramètres. Par ailleurs, en vertu d’une réciprocité active tant en stratégie génétique que dans le dilemme de la sécurité, la supériorité n’est que transitoire chez un auteur comme Canby[77], alors que Possony, Kane et Pournelle ne l’envisagent que comme un effort cumulatif et permanent[78] et que Panofsky la critique pour son simplisme[79]

3.3. Principe stratégique de sûreté et équivalence génétique  

Si la sûreté n’est pas systématiquement citée au titre des principes stratégiques, y compris chez les stratèges généticiens, il n’en demeure pas moins qu’elle est une des composantes majeures de la conduite de la plupart des opérations militaires et prend des formes différenciées. Si elle exige d’un point de vue stratégique que toutes les mesures soient prises pour que les forces amies ne soient pas découvertes et mises en danger par l’adversaire, elle commande aussi des aspects génétiques dont la sûreté technologique peut être le premier. Maintenir l’initiative technologique implique de maintenir le secret des découvertes et justifie un renseignement technologique à finalité industrielle (reverse engeenering des équipements adverses[80]), stratégique (poursuite d’une course aux armements[81]) ou tactique (évaluation des capacités adverses). Des points de vue politique et industriel et aux Etats-Unis, cette forme de sûreté connaît une institutionnalisation au sein des industries de défense que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Les départements Skunk Works (Lockheed-Martin) ou Phantom Works (Mc Donnell Douglas, d’où était issu l’A-12) sont à l’origine d’appareils aussi prestigieux que l’U-2, le F-117 ou le SR-71, mais leurs statuts de black works ont limité le contrôle politique des travaux qui y étaient menés aux seules branches concernées de l’exécutif et aux membres dûment accrédités des commissions de la défense de la Chambre et du Sénat[82]. Par contre, il est acquis qu’il y existe un très fort degré de symbiose entre les industriels et les opérationnels, y compris lors des phases de test dans des polygones spécialisés[83] 

Du point de vue de la tactique génétique, entendue comme l’intégration des visions génétiques au sein même des équipements, la furtivité n’est que la composante défensive de la sûreté des opérations aériennes. Cette dernière recouvre aussi la lutte anti-radar[84], menée par des unités de l’USAF, de l’USN, comme de l’armée de terre[85]. Les Etats-Unis poursuivent toujours le renforcement des optiques défensives et offensives de la sûreté aérienne : tous les équipements actuellement en test incluent des technologies furtives – sans atteindre l’intensité des premiers appareils furtifs et qui pénalisait leurs performances[86] – et connaissent une intégration doctrinale compatible aux aspects offensifs.  

Du point de vue de l’articulation entre stratégie génétique et industrielle, une concentration excessive des investissements sur un projet donné peut mettre en péril la sûreté d’une stratégie. Le F-111 avait été conçu comme un interdicteur ayant une capacité de supériorité aérienne, un élargissement des missions laissant perplexe les ingénieurs et exagérant un adage « bon en tout, excellent en rien » qui aurait pu s’appliquer à l’A-12. Finalement, le seul interdicteur terrestre est entré en service, obligeant l’USN à développer le F-14. Insidieusement, les leçons du F-111 ont marqué les concepteurs, confrontés aux demandes des politiques et des militaires et devant y articuler les technologies à leur disposition. L’élargissement à outrance des missions a ainsi été posée à l’égard de la nouvelle génération d’appareils de combat. La combinaison technologique qu’ils représentent est présentée comme devant pallier leur polyvalence pour les spécialiser à la demande[87]. Mais l’omnipotence de la technologie laisse certains perplexes, du fait notamment qu’il existerait une logique propre de la percée technologique ou que la diversité des intervenants ne respecte pas le principe d’unité du commandement, ne facilite pas la définition d’objectifs clairs.   

Par ailleurs, le principe de sûreté connaît des ramifications jusque dans les sphères industrielles et logistiques de la conception génétique. La recherche de sources d’approvisionnement sûres est nettement moins patente aujourd’hui que durant les Guerre mondiales – en partie du fait de l’intervention technologique -, mais conserve une validité dans le cas de certaines matières premières rares[88]. Mais dans le même temps, la diversification des sources d’approvisionnement s’est doublée de la mort virtuelle du concept d’autarcie et de phénomènes économiques dépassant parfois l’a priori stratégique[89]. La dépendance logistique est aussi avérée autant dans la conduite de programmes[90] que lors de l’utilisation tactique des équipements et s’est jusqu’ici renforcée en fonction de l’intensité technologique. La simplification des procédures de maintenance des équipements est à ce titre un des enjeux militaro-industriels majeurs qui n’aurait guère sied à l’A-12[91].

4. Critique du parallélisme strato-génétique

Le parallélisme que nous venons d’opérer entre génétique et principes stratégiques montre la relativité de la première en tant que stratégie autonomisée ou encore les limites de l’externalité de la technologie à son environnement et semble imposer une vision interactive et réticulaire des relations entre un idéel relatif dans sa diffusion en niveaux stratégiques et un réel loin du monolithisme.  

A titre d’exemple, nous avons déjà vu que le principe d’objectif est très relatif, en fonction d’intérêts et de stratégies différenciées le dissipant au point de faire perdre à la technique toute capacité de l’atteindre, aux plans idéel comme réel. De façon identique, le principe de simplicité, inscrit dans le FM-100.5, est gage de réussite car minimisant le risque de friction, ne s’applique que tout aussi relativement à la conceptualisation génétique. Stratégiquement, les tribulations techniques, industrielles et politiques des programmes les retardent et constituent autant d’arguments en faveur de leur abandon. Opérationnellement, la mise en œuvre des solutions génétiques de pointe n’est pas systématique et contrevient parfois au principe[92]. Toutefois, l’histoire montre aussi de nombreux exemples de programmes respectant les règles de la simplicité, généralement lorsque les objectifs étaient clairement fixés. On peut citer le chasseur à long rayon d’action P-51, le bombardier embarqué A-3 ou le F-16.

Dans la foulée, le principe d’unité de commandement ne semble guère plus assis. La diversité des intervenants et de leurs intérêts contrevient à un principe considéré comme essentiel dans un contexte où la complexité des opérations multinationales actuelles oriente au plan idéel et selon M. Janowitz les systèmes militaires occidentaux vers des « constabulary force » professionnelles, parées à l’action, utilisant le minimum de force et « cherchant des relations internationales viables plutôt que la victoire »[93]. Prégnante dans certaines littératures stratégiques de la guerre froide, la recherche de la victoire et, corrélativement, des études telles que celles développées par C-P. David dans les années quatre-vingt se heurtent elles-mêmes à une récurrence de leurs remise en question qui a sans doute participé dans le réel de l’annulation de l’A-12. En particulier, le développement des options de combat à distance et son corollaire strato-génétique – la munition tirée à distance de sécurité par des plate-formes aériennes – déplace l’attention de l’avion à l’armement[94], y compris dans les missions air-air, où pouvaient s’exprimer le glamour de l’ethos héroïque du combat[95]. A moyen-terme, et en ce qui concerne les Etats-Unis, les visions actuelles évacuent peu à peu toute possibilité de contact entre l’adversaire et un appareil piloté, de sorte que les UCAV (Unmanned Combat Air Vehicles) sont vus comme le futur des armes aériennes[96], au côté des bombardiers pilotés[97]. Au-delà, il s’agit d’une véritable remise en question du développement opérationnel de la stratégie et de son résumé à la question ou non de la frappe et de son intensité, qu’exprimeraient des lasers spatiaux de frappe terrestre ciblant leurs objectifs très précisément, quelque soient les conditions stratégiques ou climatiques[98] et où, in fine, le politique apparaît comme apuré des contraintes militaires.  

Or, les enjeux d’une telle approche ne se situent pas tellement au niveaux des principes stratégiques ni de la stratégie elle-même. Fondamentalement, les uns comme l’autre ne sont en soi qu’affectés légèrement par la disparition d’un brouillard de la guerre et de frictions que l’abstraction théorique avait tôt fait de minimiser[99] pour faire répéter une fois de plus le vieil adage selon lequel no plan survives the start line. Une fois poussé dans le retranchement de principes stratégiques en soi orientés vers l’action plutôt que vers ses raisons, l’articulation entre politique et stratégie montre la limite des modèles externalisant l’impact de la technologie sur la stratégie d’une part, mais aussi d’une stratégie purifiée de tout aspect autre que le combat – ou la dissuasion – d’autre part. 

A ce stade, la question la plus pertinente serait plutôt de savoir en quoi l’action politique est réellement affectée par le brouillage des référents politique, stratégique, opératique et tactique qu’autorise la technologie.


[1] Mathey, J-M., Comprendre la stratégie, Economica, Paris, 1995.

[2] Conceptualisé en tant que niveau du théâtre d’opérations, le niveau opératique (le terme opérationnel est aussi utilisé) est soumis à des questionnements depuis plus d’un siècle. Plusieurs auteurs lui dénient ainsi toute légitimité en fonction d’une hypothétique grande tactique. Toutefois, la tactique semble plus seyante au combat au contact de l’adversaire qu’à une fonction qui, si elle est nécessaire, n’en demeure pas moins de nature logistique et de soutien qui relèverait plus pratiquement de l’opératique. La tendance se renforce depuis les années septante, du fait d’une plus grande décentralisation du combat, de sorte que la charge de travail (pour les fonctions de combat) au niveau opératique se réduit. La charge logistique reste en évolution positive. Murawiec, L., La guerre au XXIème siècle, Editions Odile Jacob, Paris, 2000. 

[3] Sur cette question, la lecture du numéro qu’y a consacré la revue Stratégique se révèle d’un grand intérêt : Rosinski, H., « Frontières conceptuelles entre stratégie, opérations et tactique dans l’art de la guerre », Stratégique, n°68, 1997/4 (pour les aspects philosophico-stratégiques) ; Francart, L., « L’évolution des niveaux stratégique, opératifs et tactiques », Stratégique, n°68, 1997/4 (le point de vue d’un opérationnel devenu académique en fonction de ses responsabilités dans la réflexion doctrinale française) ; de Guili, J-M. et Faucon, F., « Les champs d’engagement futurs », Stratégique, n°68, 1997/4 (la relativité d’une distinction dans les niveaux d’engagement dans le contexte d’une technicisation émergente des forces armées). Par ailleurs, la lecture du Traité de stratégie, d’H. Couteau-Bégarie reste d’une grande utilité pour une première approche de la question. Avec la France, l’Allemagne reste un des grands champs d’investigation dans cette matière : les grands « classiques » tels que Clausewitz, Schlieffen, Scharnhorst ou Moltke en ont tous traité. Les Etats-Unis sont restés relativement en retrait de la réflexion. Pour cause de brouillage des référents dû à une technicisation de leurs forces ?

[4] IISS Annual Conference, The changing strategic landscapeI, II, III, Adelphi Papers n°235, 236, 237, Oxford, Spring 1989, David, C-P., (et collaborateurs), Les études stratégiques. Approches et concepts, op cit.

[5] Luttwak, E. M., Les paradoxes de la stratégie, Odile Jacob, Paris, 1989. La manœuvre est généralement prônée avec prudence chez la plupart des stratégistes, à l’exception sans doute des théoriciens de l’offensive à outrance, tels que Foch ou des amiraux américains partisans de l’escalade horizontale. David, C-P., « Le culte de l’offensive » in David, Charles-Philippe (et collaborateurs) Les études stratégiques : approches et concepts, op cit.. Sur la conception des armements offensifs, Quester, G.H., op cit. et Jervis., R., « Cooperation under the security dilemma », World Politics, Vol. 30, n°2, 1978.  

[6] La référence à la recherche de l’usure est notamment très nette chez Brossolet et Afheldt, qui cherchent dans leur conceptualisation du combat à éviter le choc de la bataille décisive. Afheldt, H., Pour une défense non-suicidaire en Europe, La Découverte, Paris,1985 et Brossollet, G., Essai sur la non-bataille, Belin, Paris, 1975.

[7] Le parallélisme entre les deux visions dans la dualisation des choix technologiques de l’avion et du missile de croisière trouve une excellente présentation chez Bresson, M., « B-2 ou missiles de croisière », Science & Vie Hors Série, Aviation 1989, n°167, juin 1989. 

[8] Suivant le principe suivant lequel le discours est action en soi.

[9] Selon Clausewitz, la défensive est supérieure à l’offensive, notamment parce qu’elle permet cette dernière. Cette ambivalence est revalorisée par la disposition d’équipements dont la valeur offensive ou défensive dépends de leur utilisation opérationnelle. Burt, R., « New weapons technologies : directions and debate », in Alford, J. (Ed.), The impact of military technology, Gower/IISS, Westmead, 1981.

[10] L’école du « culte de l’offensive » a été très fertile dans les années quatre-vingt et s’est principalement focalisée sur la Première Guerre mondiale. Elle montre notamment l’intérêt de l’offensive pour des organisations militaires cherchant à accroître leurs moyens et leur puissance. Van Evera, S., « The cult of the offensive and the origins of the First World war », International Security, Vol. 9, Summer 1984 ; Snyder, J., « Civil-military relations and the cult of the offensive, 1914 and 1984 », International Security, Vol. 9, Summer 1984 et David, C-P., « Le culte de l’offensive », op cit. 

[11] Une vision que l’on retrouve chez Welch, T.J., « Technology change and security », op cit.

[12] Henry Kissinger, dans A la Maison Blanche, développe ainsi son concept de « syndrome de la salle opérationnelle », selon lequel Johnson pensait qu’il pouvait diriger l’ensemble des opérations vietnamiennes depuis le poste de commandement de la Maison Blanche. Kissinger, H., A la Maison-Blanche. 1968-1973, Tome 1, Fayard, Paris, 1979.

[13] C’est surtout le cas de la phalange hoplitique. Henson, V.D., Le modèle occidental de la guerre, Les Belles Lettres, Paris, 1990.

[14] Vernant, J-P. (Dir.), Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, 3ème Ed., Coll. « Points – histoire », Seuil/EHESS, Paris, 1999. 

[15] L’art de la guerre de siège, dont la charge génétique est forte (fortifications et moyens de s’en emparer, catapultes, feux grégeois, proto-artillerie, etc.) est souvent rattaché à Vauban. Toutefois, les trop rares écrits sur la pensée orientale en la matière nous ont laissé des enseignements toujours valables aujourd’hui et malheureusement trop peu souvent exploités.

[16] Un âge très tactique pour lequel le nom de Végèce revient souvent. Des arts souvent oubliés et à forte connotation tactique, comme l’escrime, ont pourtant connu des développements majeurs durant cette période. A. Beaufre en tire des enseignements qui l’aideront à conceptualiser sa vision de la stratégie génétique. Forgeng, J.L., « Joachim Meyer. Encyclopédiste du combat médiéval », L’Art de la Guerre, n°1, Avril-Mai 2002.

[17] Hubin, G., Perspectives tactiques, Economica, Paris, 2000.

[18] Brookes, A., « Air power against terrorism », Air Forces Monthly, n°164, November 2001. La vision est tempérée par Lewis, R., « War in the shadows » Air Forces Monthly, n°164, November 2001.

[19] Liardet, J-P., « Charles Ardant du Picq. La prépondérance du facteur moral », L’Art de la Guerre, n°1, Avril-mai 2002. 

[20] Si l’assertion semble exacte pour l’Egypte de la fin-juin 1967, elle le semble moins pour la Werhmacht de 1945.

[21] Beaufre, A., Introduction à la stratégie, op cit.

[22] Bowden, M., La chute du faucon noir, Plon, Paris, 2002. Son étude romancée des combats urbains ayant précédé le retrait américain de Somalie est historiquement bien menée, mais laisse toutefois des traces d’un certain messianisme.

[23] Elstob, D., « L’artillerie moderne au combat – l’effrayante efficacité des MLRS dans Desert Storm », Armées et Défense, n°31, Paris, août 1992.

[24] Sur laquelle nous vous renvoyons à La guerre du sens du général Loup Francart, pour son application des principes de la psychologie sociale à la manœuvre psychologique, mais aussi pour sa prise en compte des éléments matériels dans la conduite de cette manœuvre. De facture plus historique et remettant en perspective l’action psychologique française en Algérie, La guerre psychologique de François Géré met toutefois en relations l’articulation entre la manœuvre psychologique et la guerre totale. Francart, L., La guerre du sens. Pourquoi et comment agir dans les champs psychologiques, Coll. « Stratèges et stratégie », Economica, Paris, 2000 et Géré, F., La guerre psychologique, Coll. « Bibliothèque stratégique », Economica/ISC, Paris, 1994. Si c’est le feu et la mobilité qui sont généralement pris en compte dans ces études, la vulnérabilités psychologique d’un adversaire sous surveillance l’est moins.  

[25] A l’exception de l’épisode de la division pentomique devant conférer au niveau divisionnaire une capacité nucléaire tactique, l’essentiel de la stratégie nucléaire tactique américaine s’est produit au niveau opératique. Si un doute persistait dans les années soixante, les Américains ont déployé dans les années septante des missiles Lance qualifiés de tactiques, mais généralement affectés au niveau du corps d’armée (voire de l’armée dans le cas des membres européens de l’OTAN) et qui étaient généralement opérés depuis la profondeur du dispositif allié. 

[26] Assault Breaker devait employer une combinaison de radars de détection et de missiles délivrant des sous-munitions à guidage terminal devant traiter à distance les différents échelons offensifs du Pacte de Varsovie. Renvoyant à une systématisation de l’usure au niveau opératique, les forces adverses résiduelles devaient être traitées par la manœuvre offensive d’unités d’hélicoptères et de chars. Cette combinaison génétique est directement dérivées de l’Airland Battle. Hewish, M., « Le programme Assault Breaker – une technologie d’avant-garde pour les armes à longue portée », Revue Internationale de Défense, n°9, 1982.

[27] Pour les forces aériennes, des unités opératiques spécialisées sont intervenues très tôt en soutien d’opérations tactiques. Les Anglais disposaient notamment d’unités d’attaque de précision dans le courant de la Seconde Guerre mondiale. Pour les forces navales, les centres de gravité des task-forces tels que les cuirassés ou les porte-avions constituent un exemple similaire dont l’efficience opérationnelle a été prouvée durant la campagne du Pacifique.

[28] Dupuy, T.N., The evolution of weapons and warfare, Da Capo, New-York, 1984.

[29] La liaison pouvant exister entre l’artillerie et les unités de mêlée en est exemplaire, y compris dans des armées où l’intensité technologique semble moins présente. C’est le cas de la France et du fonctionnement de ses unités d’artillerie, Promé, J-L., « Le 68ème Régiment d’Artillerie. La brutalité pour vertu », Raids, n°191, avril 2002.

[30] « mortier de 120mm ou artillerie de campagne ? ; pénétration par chars ou pas véhicules de combat de l’infanterie éventuellement précédés des hélicoptères ? ».

[31] « nous devons utiliser tel ou tel type de char ».

[32] Qui comprends généralement plusieurs croiseurs et destroyers (voir sous-marins) assurant la couverture défensive du porte-avions, mais qui ont été dotés de missiles de croisière. Avec 1290km de portée, la version conventionnelle du RGM-109 Tomahawk (UGM-109 lorsqu’il est lancé depuis un sous-marin) est capable de délivrer une charge de 220kg d’explosif ou de sous-munitions sur un objectif avec une Erreur Circulaire Probable (ECP – le rayon mesuré en mètre autour de la cible dans lequel l’arme à 50% de frapper) inférieure à 10m.

[33] leur manque de rayon d’action et une charge plus faible les rendaient plus adaptés à des tâches d’appui au sol.

[34] Le remplacement des A-7 d’attaque légère par le F-18 visait à reprendre les missions du premier, mais aussi à adjoindre des missions de chasse que son prédécesseur ne pouvait mener.

[35] Promé, J-L., « Les deux programmes de l’aéronavale américaine », Sciences & Vie Hors-Série, Aviation 1995, n°191, juin 1995.   

[36] Grasset, R., « JSF : un futur en pointillé », Science & Vie Hors Série, Aviation 2001, n°215, juin 2001. 

[37] Proposé en tant que remplaçant du F-16, le F-35 ne représente pas un saut technologique aussi majeur qu’aurait pu l’être l’A-12 ou le chasseur de supériorité aérienne F-22.

[38] Si elle est moins présente aujourd’hui que durant la guerre froide, la rhétorique du burden sharing reste d’actualité, même si les membres européens de l’OTAN s’orientent vers des restructurations, réduisant notamment le personnel et mettant en évidence les matériels. Devant être construit en grande série, le F-35 devrait rester d’un prix abordable, présenté comme inférieur à des options européennes, comme le Rafale, l’Eurofighter ou le Gripen. 

[39] Scales, R.H., « Trust, not technology, sustains coalitions », Parameters, Winter 1998.

[40] Que ce soit au sol ou dans les airs, une vision très prégnante, notamment durant Allied Force. Wicht., B., op cit.

[41] Alors en plein essor et alors que l’A-6 avait déjà hérité des missions d’interdiction navale. 

[42] « Striking directly at the will to resist », Possony, S.T.; Pournelle, J.E. ; Kane, F.X., op cit.., p. 14. On ne peut s’en empêcher d’y voir un lien très fort à Sun Tze. 

[43] « The denial, paralysis, negation of all form of hostile military power ». Ibidem. La dissuasion par interdiction vise à interdire à l’adversaire d’atteindre ses objectifs par la démonstration des capacités amies de l’enempêcher. Jervis, R., op cit. 

[44] En fonction de la relativité des niveaux. L’Armée rouge, coutumière des opérations directes utilisant le choc a utilisé la manœuvre dans ses opérations en Mandchourie et a développé des concepts d’opération en profondeur s’en inspirant lourdement.

[45] Foch., F., Des principes de la guerre, Imprimerie Nationale, Paris, 1996, P. 49.

[46] Field Manual 100.5 Operations. Traduit et cité par Coutau-Bégarie., H., Traité de stratégie, op cit., p. 298. 

[47] Sapir, J., op cit. et Possony, S. T.; Pournelle, J. E. ; Kane, F. X., The strategy of technology, op cit.

[48] Un phénomène particulier aux matériels terrestres des Etats-Unis. En plus de constituer le mode d’emploi et le manuel technique de référence d’un matériel, ces documents constituent aussi l’application des doctrines particulières (d’artillerie, de combat blindé) au dit matériel. Quelques-uns sont consultables sur Internet.. http://www.fas.org/dod-101/sys/htm

[49] Carnets de Vol, « A-12 Avenger », Carnets de Vol, n°73, octobre 1990.

[50] Mais aussi soviétiques, à un niveau identique (à l’exception du cas particulier de l’aéronavale).

[51] Les contraintes imposées à un pilote embarqué sont généralement plus importantes que celles d’un pilote « terrestre » : catapultages et appontages requièrent des connaissances spécifiques. Krausener, J-M., « Formation des pilotes aux Etats-Unis », Défense 2001, n°13, octobre 1995.

[52] Holloway, D., The Soviet Union and the arms race, Yale University Press, New Haven, 1983.  

[53] Sapir, J., op cit. et Possony, S. T.; Pournelle, J. E. ; Kane, F. X., The strategy of technology, op cit.

[54] Romer, J-C., op cit. ; Malleret, T. et Delaporte, M. ; op cit. et Paris, H., op cit.

[55] On peut d’ailleurs y distinguer une surprise « complète » (le premier tir nucléaire américain) d’une surprise « relativisée », lorsque les Soviétiques ont effectué leur premier essai en avance sur les estimations du renseignement.   

[56] Au cours de laquelle le F-117 a été utilisé pour la première fois en opération. Carnets de Vol, « Révélation : le F-117 utilisé en opérations », Carnets de Vol, n°65, février 1990 et Armées & Défense, « Opération Juste cause », Armées & Défense, n°3, février 1990.

[57] Entendue au sens large : si la furtivité doit pouvoir contrer les radars, l’appareil doit pouvoir échapper à la chasse adverse. Si la manœuvrabilité de l’A-12 n’a jamais été testée, la manoeuvrabilité du B-2 semble fort appréciable. Balaës, J., « B-2 Advanced Technology Bomber », Carnets de Vol, n°66, mars 1990.

[58] Guelton, F., La guerre américaine du Golfe. Guerre et puissance à l’aube du XXIème siècle, Coll. « Conflits contemporains », Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 1996 et Nazaretian-Afeian, R. et Thouanel, B., « Les effets de la furtivité », Science & Vie Hors Série, Aviation 1991, n°175, juin 1991.

[59] Balaës, J. et Mungo, A-M., « F-117A : gros plan sur l’invisible », Carnets de Vol, n°68, mai 1990.

[60] La question, très technique, a essentiellement tourné autour de la couverture radar du territoire soviétique et des capacités des radars de conduite de tir (et par delà, des ordinateurs de contrôle), d’engager plusieurs cibles à la fois.  Scott, W. F., « Troops of national air defense », Air Force Magazine, march 1978, Hines, J. G. and Paterson, P. A., «The Warsaw Pact strategic offensive. The OMG in context », International Defense Review, Vol 16, n°10/1983, Cécile, J-J., « Les missiles sol-air russes. Première partie », Défense 2001, n°6, mai 1995 , Cécile, J-J., « Les missiles sol-air russes. Deuxième partie », Défense 2001, n°7, juin 1995, Agence DAPS, « Force aérienne soviétique : moins de poids, plus de muscle… », Science et Vie Hors Série : Aviation 1991, n°175, juin 1991.

[61] Notamment dans la série de scénarios qui avaient été présentés par Colin Powell. Korb, L. J., « The United States » in Murray, D. J. and Viotti, P. R., The defense policies of nations. A comparative study, Third edition, John Hopkins, 1994.

[62] Les militaires américains semblent avoir partiellement légitimé la rhétorique considérant la guerre du Golfe comme devant affronter « la quatrième armée du monde », du fait de la présence de matériels occidentaux. L’absence d’un véritable système intégré de défense aérienne a permis les fort taux de pénétration des appareils de la coalition. Pratiquement, les Alliés ont perdu 45 avions et 33 hélicoptères en opération, alors que les estimations du Pentagone comptaient sur 10% de pertes. Wicht, B., L’OTAN attaque ! La nouvelle donne stratégique, Georg Editeur, Genève, 1999 et Guelton, F., op cit.

[63] A cet égard, plusieurs études américaines mettent cependant en évidence la récurrence des difficultés des quatre services à travailler entre eux lors des opérations aériennes. Carpenter, M.P., Joint operations in the Gulf war : an allison analysis, Thesis presented to the faculty of the SAAS for completion of graduation requirements, Air University, Maxwell Air Force Base, 1994.

[64] En particulier, le radar à ouverture synthétique de Norden, une des clés de la capacité offensive de l’appareil, avait connu des retards importants et l’appareil aurait connu une augmentation de 30% de sa masse, le rendant presque inapte à opérer depuis un porte-avions. Pike, J., « A-12 Avenger II », op cit. et Balaës, J., « Suppression du programme A-12 », Carnets de Vol, n°78, mars 1991.

[65] C’était l’objectif de la Major Aircraft Review, présentée par Cheney peu avant l’abandon du programme A-12.

[66] Le document précité prônait l’abandon des 238 appareils des Marines et le recul à 1995 de la production des premiers A-12 pour l’USAF. Pike, J., « A-12 Avenger II », op cit.  

[67] Hays, J., « Who killed the A-12 ? », letter exposed to the US Senate Commission of Armed Forces, S.12690, US Senate, Washington, 10 September 1991. 

[68] Hallion, R.P., « Doctrine, technology and air warfare. A late 20th Century perspective », op cit.

[69] Il en fut ainsi de la version navalisée de l’ATF (Advanced Tactical Fighter), qui aurait du remplacer le F-14. 

[70] Des versions modernisées du F-14 ont ensuite pris le relais du A-6 jusqu’au retrait de ces derniers, à partir de 2001. Si une suite de programmes temporaires est généralement peu appréciée de la part des opérationnels, le feu vert donné au F-18E dès 2000 laissera une capacité d’attaque à l’US Navy qui, si elle n’équivaut pas à celle du A-12 restera conséquente. 

[71] C’est notamment le cas de la bataille de Crécy, résumée dans le prologue.

[72] Les analystes considèrent généralement que les matériels allemands étaient supérieurs à leurs équivalents alliés. Montgomery, A concise history of warfare, Coll. « Wordsworth military library », Wordsworth Editions, Ware, 2000.

[73] Durant laquelle un F-117 a été abattu par un missile serbe.

[74] Il semble que les raids alliés aient systématiquement pris des chemins identiques et que les unités antiaériennes Serbes se soient placés en embuscade. 

[75] De Vos, L., La 3ème guerre mondiale a-t-elle eu lieu ? Les leçons du Golfe 1990-1991, Didier Hatier, Bruxelles, 1991.

[76] C’est notamment le cas dans la grille d’analyse de Murray et Viotti reproduite en annexe 5. 

[77] Canby, S., « The quest for technological superiority – A misunderstanding of war ? », op cit.

[78] Ces derniers auteurs envisageant leur « stratégie technologique » comme un « infinite game » où la victoire (la chute du Mur de Berlin) ne clôt pas le conflit.  

[79] Panofsky, W., « La science, la technologie et l’accumulation des armements », op cit.

[80] Une forme de renseignement technologique en pleine expansion. Sous embargo américain, l’Iran a ainsi copié des hélicoptères, des missiles sol-air et air-air. Air Forces Monthly, « Inside Iran », Air Forces Monthly, n°148, July 2000 et Air Forces Monthly, « Iran produces new SAM system », Air Forces Monthly, n°148, July 2000.

[81] Le cas de l’URSS est souvent cité. Assez rapidement, Moscou a développé une structure de renseignement technologique qui lui a permis de produire ses premiers sous-marins nucléaires lance-engins modernes (classe Yankee) ou encore son programme de navette spatiale (Buran). Regnard, H., « L’URSS et le renseignement scientifique, technique et technologique », Défense Nationale, décembre 1983 et Malleret, T. et Delaporte Murielle, op cit. Le Technology Transfer Intelligence Comittee (Soviet acquisition of military significant western technology : an update, Technology Transfer Intelligence Comittee, 1985) donne de nombreux exemples de missions réussies. 

[82] Et encore la discrétion à ce niveau est-elle remarquable. Peu de documents concernant l’A-12 étaient en ligne, alors que de nombreux procès-verbaux le sont habituellement.

[83] A l’instar de la fameuse Zone 51 pour les prototypes du F-117. Les centres d’essais des forces US dans le cadre des programmes « clairs » sont Edwards (USAF et NASA), Patuxent River (USN et USMC), Point Mugu, (missilerie navale), White Sands (missilerie terrestre), Cap Kennedy, Kwajalein et Vandenberg (missiles stratégiques) et Aberdeen (blindés). 

[84] Inquiète des pertes encourues lors des premiers raids sur le Vietnam, l’US Air Force avait spécifiquement adapté des appareils équipés de missiles spécialisés développés sur le mode du crash program et affectés à des missions offensives officiellement baptisées SEAD (Suppression of Ennemy Air Defense). Durant le Golfe comme lors de chaque engagement des forces navales et aériennes US, la somme de ces expériences fut utilisée

[85] C’est un groupe d’hélicoptère de combat qui a mené la première opération de Desert Storm. Le groupe de combat s’était alors attaqué à deux stations radars irakiennes afin de dégager des couloirs sûrs pour les forces devant attaquer Bagdad. Palmade, J., « En attendant les hélicoptères de l’An 2000 », Sciences & Vie, Hors-Série Aviation 1995, n°191, juin 1995. 

[86] Surtout pour le premier : le F-117 semble être un appareil « délicat » à piloter du fait de son architecture orientée vers la furtivité. Il est capable de perdre rapidement de sa portance (« décrochage ») et de s’écraser. Par ailleurs, la recherche de furtivité impliquant qu’aucune charge extérieure ne soit utilisée, la capacité en armement de l’avion se limite à une soute interne capable d’emporter deux bombes. La capacité offensive du F-16 est supérieure. 

[87] En tactique aérienne, et même sur un appareil polyvalent, une seule mission est généralement assignée. L’avion est alors généralement armé d’un seul type de munition offensive et de munitions défensives. Les Suédois travaillent actuellement avec le JAS-39 à une polyvalence « intégrée » car s’exprimant dans le courant même de la mission.

[88] Comme, par exemple le coltan utilisé dans les systèmes de transmissions. Des alliages tels que le zircaloy, utilisés dans les bombes guidées laser à fort pouvoir de pénétration rentrent aussi dans cette catégorie.

[89] Comme l’approvisionnement en gaz, dès les années septante, de l’Europe occidentale en gaz soviétique.

[90] Le programme chinois d’interdicteur JH-7 semble suspendu à la production sous licence du réacteur Spey dont Rolls-Royce a annoncé la fin de production en Grande-Bretagne. Promé, J-L., « La modernisation de la défense chinoise : fantasme ou réalité ? », Raids, n°165, février 2000. 

[91] Si le principe de sûreté logistique un prolongement dans les concepts de standardisation et de famille, la complexité et le coût d’un appareil tel que l’A-12 ne lui permette guère d’épanouissement. Par ailleurs, si l’on reprends le cas du B-2,le revêtement anti-radar de l’avion est très sensible à son environnement physique et climatique : quid d’un appareil soumis à la corrosion marine ? 

[92] Au cours du raid sur la centrale nucléaire d’Osirak, en 1981, les Israéliens ont privilégié l’emploi de bombes « lisses » classiques plutôt que que bombes à guidage laser, pourtant à leur disposition. L’inefficacité de ces dernières dans des conditions météo défavorables semble avoir partiellement guidé les choix des planificateurs.

[93] « seeking viable international relations rather than victory », Janowitz, M., The professional soldier : a social and political portrait, cité par Manigart, P., “Force restructuring : the postmodern military organization”, op cit., p. 56.

[94] Nicholls, M., « Secret firepower » in Nicholls, M. (Ed.), X-planes 2. The next generation, Classic Aircraft Series n°3, Key Publishing, London, 2000.   

[95] Nordeen, L., « Air combat : the sharp end », Air Forces Monthly, n°139, October 1999.

[96] A l’exception de celle de l’armée de terre. Plus conservateurs, les « terriens » considèrent toujours que le pilotage à distance expose à une plus grande vulnérabilité et minimise les qualités militaires d’un appareil. Parallèlement, le l’utilisation de contre-mesures avancées et l’utilisation massive de la furtivité doit pouvoir répondre aux menaces du champs de bataille. Tansey, R., « Battlefield helicopters – A vital but vulnerable asset », Air Forces Monthly, n°151, October 2000. 

[97]  Dorr, R.F., « US Strategic bombers », Air Forces Monthly, n°160, July 2001.

[98] Air Forces Monthly « Peace trough lasers », Air Forces Monthly, n°161, August 2001, Air Forces Monthly, « US rethinks military strategy », Air Forces Monthly, n°159, June 2001 et Hedge, J., « National missile defence », Air Forces Monthly, n°159, June 2001.

[99] Ces concepts d’essence clausewitziens seront repris par ailleurs, mais de nombreuses théorisations stratégiques ne les prennent pas en compte. On peut se demander dans quelle mesure ces conceptions tâchent, en ignorant brouillard et friction, de se légitimer en montrant leurs capacité à les dépasser…  

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IV – Entre cultures et perceptions : fondements de l’action stratégique et technologie

Si plusieurs auteurs – dont un « généticien » tel que Lidell Hart – ont rapidement démontré qu’il existait une british way of warfare ou une american way of warfare[1] et que des précurseurs peuvent remonter plus loin encore[2], le concept de culture stratégique n’a été énoncé formellement qu’en 1977 par Snyder, pour ensuite être considéré comme un prolongement de la culture politique[3]. L’objectif de Snyder était alors de tenter de comprendre le comportement de l’URSS face à la guerre nucléaire limitée[4], d’autres auteurs exploitant ensuite le concept afin de comprendre les mécanismes décisionnels et stratégiques d’Etats traditionnellement moins étudiés[5]. Définie comme « un ensemble d’attitudes et de croyances tenue au sein d’un établissement militaire concernant l’objectif politique de la guerre et la stratégie la plus efficace et la méthode opérationnelle pour la réaliser »[6] par Y. Klein, la culture stratégique est aussi un concept plus large « qui se réfère aux traditions d’une nation, à ses valeurs, attitudes, modèles de comportement, habitudes, symboles, réalisations et formes particulières d’adaptation à l’environnement et de résolution des problèmes en regard de la menace ou de l’usage de la force »[7] qui allait prendre une importance croissante dans les études stratégiques.

1) Acceptions réalistes et pluralistes des cultures stratégiques

C’est partiellement du fait que les « culturalistes » se sont vus confortés dans leurs options par Ken Booth, dont Strategy and ethnocentrism (1979) s’est avéré être une critique des études stratégiques[8]. Analysant l’adversaire avec des critères ethnocentriques, prenant trop souvent en compte les moyens de l’adversaire potentiel et non la liaison entre ceux-ci et ses intentions, les politologues et les stratégistes auraient vidé leurs discipline d’une partie de son utilité. Si quelques critiques seront adressées à Booth[9], le concept de culture stratégique ne sera pas nécessairement élaboré dans la plus grande neutralité axiologique et constituera d’abord un instrument de compréhension des processus décisionnels amis comme adverses[10], bien qu’il soit fait plus de tendances que de déterminants[11]. Orientée vers une action stratégique affinée, la culture stratégique peut tout autant dépasser le réalisme dans lequel le concept s’est initialement affirmé pour aller vers les « sécuritaires », sans pour autant écraser le « stratégiste ». Krause et Williams envisagent ainsi une combinaison des concepts de cultures politique, stratégique et diplomatique afin d’aboutir à une « culture de la sécurité », mieux à même de restituer la complexité des zones étudiées et qu’ils définissent comme « différentes coutumes et approches régionales (appliquées) aux enjeux-clés de la guerre, de la paix et de la stratégie depuis des perspectives qui sont toutes deux distinctives et profondément enracinées, reflétant leurs différentes positions géostratégiques, ressources, histoire, expériences militaire et croyance politique. Ces facteurs influencent la façon qu’a un pays de percevoir, de protéger et de promouvoir ses valeurs et intérêts en regard à la menace ou à l’usage de la force »[12].

Les tenants de ce glissement paradigmatique sont tout aussi prompts que les culturalistes réalistes à montrer l’influence du facteur culturel dans la conception des armements, même s’ils auraient tendance à l’intégrer au sein même de la culture stratégique[13].

2) De la culture stratégique à la culture technologique

Dans cette optique et pour des auteurs tels que Snyder ou Gray, la technologie est à la fois composante et champs d’action de la culture mais peut aussi la faire évoluer[14], même si la plupart des auteurs envisagent ces changements de façon progressive et non brutale. Mais deux autres positionnements, direct et indirect existent dans le rapport entre technologie et culture stratégique.

2.1. L’approche directe

Sapir prends ainsi appui sur l’expérience économique pour affirmer qu’il existe « des effets de mémoire (…). (et qu’il existe donc une culture technologique qui) traduit la constitution et l’utilisation d’un savoir collectif, qui peut exister sous des formes explicites ou implicites (…) et qui oriente et organise les connaissances (…) Cela est particulièrement important dans le domaine de la R&D » [15]. Elle s’articule à son tour avec une culture organisationnelle qui doit compter avec les rivalités bureaucratiques[16].

Les recherches américaines sur la furtivité, remontant aux années soixante, ont donné lieu dix ans plus tard à ce que l’on pourrait envisager comme une culture de la furtivité nuançant la simple rationalité de l’application déterministe des technologies disponibles. Cette culture a connu des évolutions : du F-117 au B-2 et à l’A-12, il existe des sauts technologiques que perpétuent – de façon atténuée – des appareils en cours de développement tels que le F-35 ou le F-22[17]. Au surplus, au plus les solutions technologiques intégrées à un équipement sont nombreuses, au plus les équipements possèdent une charge culturelle forte. Ainsi, l’architecture de l’A-12 est certes orientée vers sa mission, mais aussi vers sa survivabilité et celle de son équipage, prioritaire pour les armes aériennes américaines depuis le Vietnam, et en partie pour des raisons techno-stratégiques[18]. L’utilisation de PGM, techniquement déterminée par la furtivité[19], ressort aussi d’une vision culturellement enracinée et cherchant à contrôler l’application de la force. Plusieurs études ayant pour thème des équipements majeurs (chars, navires) viennent appuyer la thèse des traits culturels marquant un matériel[20], bien que peu d’études cherchent à réellement définir la culture technologique d’un Etat[21]. Dans le même temps, certains armements peuvent « servir de symboles de modernité (…) et contribuer à créer ou confirmer une identité »[22], une analyse notamment utilisée dans l’étude des proliférations classiques comme NBC[23]. Au travers de leur plaidoyer pour une stratégie technologique, Possony et Pournelle vont dans ce sens, mais limitent la portée de toute tradition assortie d’inertie pour montrer la rapidité avec laquelle les USA ont lancé des programmes de très large amplitude comme Apollo[24]. S’ils reconnaissent la forte charge technologique de la culture américaine, leurs développements – par ailleurs souvent prescriptifs[25] – vont dans le sens d’une exploitation/acceptation de ladite culture, tout en avertissant le lecteur des travers qu’elle pourrait engendrer.

2.2. L’approche indirecte

En mettant en évidence l’influence culturelle sur les orientations doctrinales – offensives ou défensives –, un auteur comme Twining[26] met indirectement en évidence la dimension technologique de la question. En effet et dans l’optique de la méthode matérielle, la liaison entre les orientations défensives et offensives des doctrines et les technologies a rapidement et notamment été isolée par les tenants de la défense défensive, dans les années quatre vingt[27], autant que par d’autres[28]. Ils rejoignent en cela une partie des tenants de l’Arms Control[29] qui comptaient réduire les intensités offensives de certaines doctrines en agissant sur les matériels disponibles (« réduction génétique des risques »)[30], parfois à outrance[31] et sous les critiques des « faucons »[32]. C’est dans cette optique que s’est opérée une réduction des capacités nucléaires, y compris dans les domaines tactiques et de théâtre. Mais il est frappant de constater qu’Américains et Soviétiques avaient évité d’inclure dans les accords leurs forces d’interdicteurs – et donc l’A-12 –, lesquels disposaient en plus d’une capacité conventionnelle d’une capacité nucléaire au moins équivalente à celle de missiles de croisière[33]. Dans le même temps, les forces de bombardiers étaient soumises au comptage des traités SALT et START, malgré leur émergence en tant qu’acteurs génétiques de la stratégie conventionnelle[34]. De toute évidence, la permanence des aspects matériels dans l’arms control (nous vous renvoyons à l’annexe IV pour le constater au sein des différents niveaux de sa structuration), permet à de nombreux auteurs de considérer que la réduction des armements constitue un des leviers disponibles pour renverser un dilemme de la sécurité à la charge génétique élevée[35].

3) Dilemme de la sécurité et charge généto-culturelle

Le dilemme de la sécurité a généralement été vu comme un des moteurs à la fois du développement des technologies militaires et de la course aux armements[36] par l’intermédiaire d’un schéma « action-réaction » où toute action adverse diminue la sécurité et nécessite une réaction rétablissant l’équilibre antérieur[37]. Les comparaisons chiffrées entre des matériels de catégories equivalents y participent et tendent souvent à émailler une littérature généto-centrée, au détriment de facteurs explicatifs plus complexes, mais plus riches, comme la culture ou la doctrine que ces matériels sont sensés servir. Comparer les chars M-1 et Merkava et retirer hâtivement des conclusions de leurs vitesses ou de leurs masses respectives induit une connaissance utile au tacticien, essentiellement dans son rapport à la géographie[38]. Mais son simplisme[39] ne renseignera le politique, le stratège ou le stratégiste que très partiellement sur les visions américaines et israéliennes en matière de combat blindé, sur leurs doctrines ou sur les menaces auxquels les matériels doivent répondre. Possony, Kane et Pournelle soulignent ainsi l’articulation de leur vision au dilemme de la sécurité lorsqu’ils considèrent que la guerre technologique est partiellement déterminée par « la nature de l’ennemi »[40], mais aussi et directement au politique, à ses élites et aux éventuels changements d’orientations de la politique étrangère, en prenant en l’occurrence appui sur l’évolution de l’URSS dès 1985. Mais les auteurs assument aussi la charge techno-déterministe de leur vision lorsqu’ils déclarent qu’ »il est futile et dangereux de baser une stratégie moderne sur une analyse des intentions de l’ennemi. Le stratégiste moderne doit être préoccupé par les capacités présentes et futures de son opposant, pas par les espérances et les rêves de ses objectifs »[41]. C’est ainsi que les Etats-Unis, assumant l’hypothèse du développement des défenses antiaériennes soviétiques, avaient légitimé des programmes furtifs tels que l’A-12. Plus largement, le développement de modèles et de forces « capacity based » plutôt que « threat based » est peut être à relier à la stratégie nucléaire[42] et trouve une actualité dans les concepts développés dans le cadre de la RMA[43].

Génétiquement parlant, l’adoption de postures de type « capacity based » implique soit des équipements véritablement polyvalents – soit l’option vers laquelle s’est dirigée l’USN -, soit une flotte réduite mais très diversifiées, au coût prohibitif et ne s’accommodant que peu de la rhétorique américaine des « deux guerres et demie »[44]. Surtout, une telle vision fait sortir les principaux modèles de course aux armements de leurs logiques de réciprocité et du concept d’« effet miroir », suivant lequel « la réaction consiste à introduire un système d’armes équivalent », « plutôt que de répondre à un nouveau système militaire chez l’adversaire potentiel par la mise en œuvre de contre-mesures appropriées »[45]. A ce stade, le cas désormais classique des Euromissiles montre que la symétrie entre les systèmes déployés pour combler les fenêtres de vulnérabilité perçues doit être nuancée[46] et pose la question d’une recherche de la symétrie se transformant en potentiel d’asymétrie.

Le statut de l’A-12 reste ambigu à cet égard. Pouvant engager des cibles durcies dans la profondeur du dispositif adverse (symétrie) ou des forces légères (asymétrie)[47], il apparaît cependant largement comme threat-based, bien que la rhétorique du constructeur l’oriente ensuite vers un élargissement de ses capacités et vers une vision capability-based. Se rapportant au rapport de force sur un secteur déterminé de la confrontation réelle ou potentielle, l’asymétrie connaît actuellement une seconde jeunesse dans les rhétoriques stratégiques, envisageant le combat comme non-linéaire et mettant en opposition des adversaires utilisant des moyens d’action différenciés[48]. A ce stade, le dilemme de la sécurité est loin d’expliquer les développements qualitatifs et quantitatifs des arsenaux, même s’il y contribue largement.

4) Culture, stratégie et conception des matériels

L’interne ne se limite pas à la décision finale du quand et du combien dans le processus génétique, y compris dans les systèmes de production très planifiés, expliquant la redondance de certains systèmes[49]. Il existe ainsi une projection des conceptions politique, stratégique, opératique et tactique dans le matériel qui est au cœur de l’argumentation génétique. Politiquement, le financement, les retombées économiques[50] et technologiques[51] que les programmes militaires peuvent engendrer sont porteurs et l’A-12, malgré le secret dont il est entouré, apporte incontestablement un plus à la recherche sur les radars et une électronique déjà largement considérée comme stratégique (des points de vue civils et militaires) dans les années 80. Tactiquement, l’A-12 confond les sphères génétique et industrielle de sa création (design et conception de l’appareil) et opératiquement, il est adapté aux environnements de haute densité létale.

Mais c’est stratégiquement qu’il est le plus riche. L’A-12 montre une congruence nette avec une grand strategy américaine des années quatre-vingt visant l’affaiblissement de l’Union soviétique – une argumentation où l’effort technologique américain doit être suivi d’une usure soviétique. Avec la « guerre des étoiles » et les options contre-forces nucléaires d’une part et la doctrine FOFA (pour l’Europe)[52] ainsi que la doctrine Weinberger[53] d’autre part, les USA des années quatre-vingt s’engagent dans une stratégie duale de nature indirecte en temps de paix et directe en temps de guerre[54]. C’est dans ce contexte qu’apparaît une escalade horizontale explicitée dès 1981[55] et approfondie tout au long de la décennie, et qui « part du concept que la perspective d’une bataille avec les Etats-Unis ou un autre pays allié de concert avec la probabilité de voir la guerre s’étendre à d’autres théâtres stratégiques, constituent l’élément dissuasif le plus sûr contre l’agression soviétique. Même si l’ennemi attaquait à un seul endroit, nous ne devrions pas choisir de répliquer à cet endroit seulement (…). Une stratégie de guerre qui défie l’ennemi sur son propre terrain, avec en plus le risque d’une contre-offensive sur l’ensemble de ses point faibles, solidifie la dissuasion »[56]. L’escalade horizontale articule ainsi les domaines politiques et stratégiques par l’affirmation de la volonté américaine de puissance dans l’ensemble des théâtres d’opérations ; les domaines doctrinaux, par la mise en évidence de la manœuvre induite par la projection de forces[57] ; des capacités génétiques et industrielles américaines offrant un catalogue de matériels à très hautes intensités technologiques. La dispersion des forces qu’induit l’escalade géographique implique l’acceptation d’un combat asymétrique qui doit être compensé par l’utilisation massive de PGM[58] et l’application du combat équationnel[59]. La rhétorique du « multiplicateur de force » est alors abondamment utilisée[60] et l’A-12 en fera partie intégrante.

La doctrine est considérée comme très offensive par la plupart des analystes. Elle implique de créer des ruptures stratégiques tout au long des frontières soviétiques et d’initier un combat de harcèlement dont la évoluant vers l’interdiction stratégique lorsqu’il visera un combat de manœuvre visant à l’élimination de la menace des sous-marins soviétiques, tout en éliminant leurs installations de soutien. A ce stade, le lien la préparation des opérations nucléaires ne peut être évité, rejoignant la tendance de l’USN à vouloir jouer un rôle dans la défense stratégique des USA. Parallèlement, privilégier des attaques ponctuelles contre des centres de gravité du dispositif soviétique se fait moins dans une optique d’anéantissement que de diversion : la simultanéité des attaques nécessite pour l’adversaire de disperser/désorganiser son dispositif et de priver un théâtre européen d’un potentiel utile[61], surtout face aux nouvelles génération d’équipements que mettait en œuvre l’OTAN à cette époque.

Si la valeur stratégique de l’escalade horizontale est plus que critiquable[62], elle permet de pallier l’érosion du containment en le renouvellant sous une forme plus militaire que politique. D’autre part parce qu’elle constitue une matrice géographique permettant l’intégration de certains secteurs stratégiques issus de décisions stratégiques prises par ailleurs. En particulier, la militarisation de l’espace, le renforcement des capacités classiques et chimiques en Europe et au sein même de l’USN[63] forment une corrélation des forces avec l’escalade horizontale.

5) Les logiques politiques internes

A la charnière entre politique, génétique et stratégie, il existe des stratégies de légitimation et de délégitimation des matériels qui s’articulent autour de deux thèmes récurrents, interdépendants et fortement liées à la culture nationale, mais aussi à des stratégies de légitimation a posteriori :

a) le besoin d’un type d’équipement particulier et qui renvoie le plus généralement à des visions culturelles nationales ou bureaucratique d’une part et perceptives de la conception de la stratégie et de la situation internationale d’autre part (« le A-12 est une réponse à un défi soviétique résurgent »). A contrario, il existe une rhétorique de délégitimation articulée sur le besoin d’autres matériels, éventuellement couplée à une appréciation concurrente de la situation internationale (« le A-12 ne réponds pas aux à l’appui-feu des troupes engagées dans les missions de maintien de la paix »). Mais les fonctions et les modalités de légitimation des équipements peuvent varier avec le temps : l’USN et les constructeurs avaient finit par élargir les missions de l’A-12 de l’interdiction à la reconnaissance ou à l’appui-feu rapproché, pour lequel il n’apparaît guère adapté[64]. La plupart des analystes avaient vu dans cette polyvalence forcée une tentative de l’aéronavale de rendre son projet incontournable dans un contexte de réductions budgétaires massives ;

b) son financement, qui sous-tends l’ingénierie qui y est associée (étalement de la production – dont bénéficia l’A-12 avant son annulation -, financements exceptionnels, compensations, partenariats internationaux) ou sa contre-ingénierie (rhétorique des coûts excessifs, des priorités plus pressantes). Dans le cas de l’A-12, l’annulation a été légitimée par les retards excessifs et l’inflation des coûts de l’appareil, pourtant systématiques dans les grands programmes aéronautiques[65] ;

c) enfin, il existe des modalités de légitimation a posteriori. Les test comme les modernisations sont porteurs d’enjeux autres que techniques. Qu’ils soient destinés à sélectionner des équipements concurrents ou à valider des choix antérieurs, ils constituent un instrument de légitimation programmatique, souvent critiqué par les professionnels[66] et qui a parfois trouvé des dénouements tragiques[67] ou coûteux[68]. Si l’A-12 n’a été testé qu’à l’état de maquette, un certain nombre d’incertitudes technologiques aurait pu invalider le programme, sauf à voir un forcing politique observé dans d’autres programmes[69]. Par ailleurs, même après avoir été testé au combat de façon satisfaisante, un équipement peut ensuite se révéler défaillant[70]. A ce moment, la modernisation peut tout autant relever d’une stratégie commerciale que de changements stratégiques ou des missions assignées à un appareil, y compris dans le cas d’un succès[71].

Ces changements s’opèrent aux niveaux politique, stratégique, opératif et tactique par des intervenants dont le nombre et la qualité est très variable. A ce stade, les sociologies politique et militaire prennent le relais pour lancer des pistes quant à l’interaction des acteurs et à leurs poids particulier dans les débats. Si les militaires sont assez généralement associés à ces discussions, leurs fonctions varient de la simple évaluation opérationnelle (qui ne garantit pas l’adoption ou le refus d’un matériel[72]) à des discussions plus larges, incluant l’évaluation de la situation internationale et l’auto-estimation des besoins. C’est plus particulièrement le cas aux USA ou en Grande-Bretagne, où achats, doctrines et évaluation de la situation internationale sont largement discutés et tirent parti d’une liberté d’expression posant la question de l’influence du système démocratique – ou à tout le moins de la culture politique – sur de telles décisions. Par ailleurs, au-delà des stricts outputs des processus décisionnels (oui ou non ; combien et quand), il existe des circuits d’influence et de feed-back dans la conception des équipements et dans leurs modernisation, et ce, à trois niveaux de la conception :

a) Au niveau stratégique de la conception ou de l’utilisation, lorsque les militaires recommandent l’adoption de solutions affectant définitivement le matériel. Les luttes d’influence entre les partisans de la spécialisation des appareils de combats (A-12 et F-18) et ceux de leur polyvalence (F-18 de seconde génération plutôt qu’A-12) en sont représentatives. Dans le courant de la vie opérationnelle d’un système d’armes, l’élargissement des missions d’un appareil tel que le F-14 de la défense aérienne à l’interdiction est tout autant de nature stratégique, dans la mesure où la capacité de frappe d’un seul porte-avions s’est trouvée accrue. S’il s’agissait aussi pour l’US Navy, en attendant les F-18E, de pallier les conséquences de l’abandon du A-12[73], il lui fallait aussi maintenir une capacité de frappe embarquée au moment où le retrait des A-6 réduisait considérablement la capacité de frappe d’un porte-avions[74] ;

b) Au niveau opératif, de nombreux systèmes et sous-systèmes d’un équipement peuvent résulter de débats internes ou externes aux forces et impliquer des réseaux d’influence[75]. L’adoption de la furtivité aux appareils de combat, par extension la disposition d’une soute à armements interne et corrélativement, l’utilisation de PGM permettant de rentabiliser le nombre d’armes plus faibles emportés par un appareil en sont un exemple. Dans le courant de leur vie opérationnelle, la plupart des modernisations n’affectant pas la nature des missions mais élargissant les capacités propres d’un appareil peuvent en relever[76].

c) Au niveau tactique, lorsque les opérateurs envisagent la modification d’équipements durant leur conception ou leur vie opérationnelle en fonction de l’expérience acquise et transmise au constructeur[77].

6)Synthèse

Si les cultures stratégiques (ou de sécurité) constituent des outils reconnus et appréciés et que la culture technologique reste insuffisamment utilisée dans son apport aux premières, ils présentent quelques fois des limites. En particulier, l’articulation entre innovation technologique et intégration de celle-ci au sein des différentes acceptions de la culture semble mal comprise. Gray, en reconnaissant l’orientation technologique des USA souligne en même temps qu’ils envisagent le progrès de façon évolutive et essentiellement linéaire, en raison de conflits de compétence et d’intérêt entre les Administrations successives d’une part et au sein de la communauté des organisations militaires d’autre part[78]. A l’aune de la pratique, l’assertion est relative : le B-2, qui devait originellement constituer l’épine dorsale de la composante pilotée de la dissuasion américaine, induisait un saut technologique majeur dont l’A-12 constituait le prolongement naval. Tous deux capables d’opérer seuls au-dessus d’un environnement hostile, il simplifiaient considérablement le SIOP (Strategic Integrated Operation Plan)[79] ; la programmation des opérations[80] ; permettaient une limitation de l’amplitude de l’escalade[81] et plus généralement, élargissaient les options de combat disponibles[82], autant de tendances lourdes de la culture nucléaire américaine[83]. C’est tout aussi vrai en ce qui concerne des détails génétiques tactiques (les performances des radars), mais montre aussi un certain nombre de ses limites, dont le conflit entre des tendances culturelles dont il est difficile de déterminer la hiérarchisation[84]. Par ailleurs, on ne peut voir dans l’émergence de la furtivité comme composante centrale de l’aviation militaire contemporaine la seule résultante d’un déterminisme technologique ou d’une tendance culturelle à la limitation des pertes. Les décisions de l’Administration Reagan en matière de développement d’une escalade horizontale[85], répondant partiellement à une culture spécifique[86], ont directement contribué à créer la demande d’un appareil tel que l’A-12. Si sa fiabilité avait été avérée et s’il avait été adopté par l’USAF[87], l’A-12 aurait induit une plus grande souplesse dans la planification[88] des opérations et d’un accroissement global des capacités d’attaques. A l’instar de l’USN, la culture de l’USAF n’aurait pas connu de bouleversement par l’introduction de l’A-12[89], confirmant des tendances antérieures.

On le voit assez rapidement, la relativité de l’instrument culturel en tant qu’instrument explicatif des évolutions génétiques impose une vision plus large et utilisant les instruments « classiques » de la stratégie, comme ses principes. Si leur définition continue d’alimenter des débats théoriques très riches dont ce mémoire ne peut rendre compte exhaustivement, force est aussi de constater que leur application à la technologie militaire montre une adéquation certaine.

[1] Weigley, R., The american way of warfare, McMillan, New-York, 1973.

[2] D’autres exemples sont cités par H. Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, op cit.

[3] D’abord développé en sociologie avant de se voir transposé en science politique, le concept cherchait initialement à cerner les matrices d’intégration/exclusion d’une communauté disposant de symboles propres. Badie, B., s.v. « culture » in Hermet, G., Badie, B., Birnbaum, P. et Braud, P., Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, op cit. Sur la culture (et approche socio-anthropologique) : Geertz, C., The significations of culture, Basic Books, New-York, 1973 et (dans une vision politologique), Badie, B., Culture et politique, 3ème Ed., Economica, Paris, 1993.

[4] Snyder, J.L., The soviet strategic culture : implications for limited nuclear operations, Project Air Force R-2154AF, Rand Corp., Santa Monica, 1977.

[5] Par exemple pour l’Inde et le Japon. Peter Rosen, S., India and its army, societies and military power, Oxford University Press, Oxford, 1996 ; Edgerton, R.B., Warriors of the rising sun. A history of the Japanese military, Norton, New-York, 1997.

[6] « a set of attitudes and beliefs held within a military establishment concerning the political objective of war and the most effective strategy and operationnal method of achieving it ». Klein, Y., « A theory of strategic culture », Comparative Strategy, Vol. 10, n°2, January-March 1991.

[7] « (…) refers to a nation’s tradition, values, attitudes, patterns of beheaviour, habits, symbols, achievements and particular way of adapting to the environement and solving problems with respect to the threat or use of force ». Booth, K., « The concept of strategic culture affirmed », cité par Krause, Keith, op cit., p. 21.

[8] Booth K., Strategy and ethnocentrism, Croom Helm, London, 1979.

[9] Notamment par une certaine virulence de l’ouvrage. Par ailleurs, suivre Booth reviendrait à risquer un relativisme culturel permettant de légitimer toute action de la part de l’adversaire et d’excuser son eventuel comportement belliqueux. Bozeman A.B., « Books reviews – Strategy and ethnocentrism », Survival, July-August 1980, cité par Wasinski, C., op cit.

[10] L’auto-perception des Etats de leur culture stratégique a été mise en évidence par Colin Gray. Gray C.S., « Comparative strategic Culture », Parameters, Winter 1984.

[11] Ce qu’un C. Gray, très « dur » dans son approche de la guerre froide reconnaîtra, comme la plupart des auteurs. Lord Carnes, en listant certaines variables plutôt que d’autres tends à pousser le concept vers une opérationnalisation à outrance. Dans le sens inverse, ratisser le plus largement afin de prendre en compte l’ensemble des données dans l’analyse induit un risque de noyade de l’objet face auquel Y. Klein ne peut qu’appeler à la raison et au discernement entre l’essentiel et l’accessoire. Klein, Y., « A theory of strategic culture », op cit.

[12] « Different coutumes and regions approach to key issues of war, peace and strategy from perspectives wich are both quite distinctive and deeply rooted, reflecting their different geostrategic situations, resources, history, military experience and political belief. These factors influence how a country perceive, protects and promotes its interests and values with respect to the threat or use of force. » Krause, Keith, op cit, p. 11.

[13] C’est notamment le cas chez Stephen Peter Rosen.

[14] Gray C.S., « Comparative strategic Culture », op cit.

[15] Sapir, J., « Information, décision, coordination : enseignements de l’histoire militaire pour l’économiste », in Henninger, L., Histoire militaire et sciences humaines, op cit., p. 129.

[16] Il rejoint en cela les sociologues militaires, mais aussi des travaux tels que ceux d’Edward Luttwak sur la concurrence entre les composantes des forces armées. Sapir, J., « Information, décision, coordination : enseignements de l’histoire militaire pour l’économiste », op cit. et Luttwak, E. D., The Pentagon and the art of war, Simon & Schuster, New-York, 1984. L’angle des rivalités bureaucratiques dans l’explication du decision-making en politique étrangère, dans la conduite des opérations ou en stratégie génétique est riche s’épanouissant dans les travaux de Graham Allison. Il définit trois modèles de decision-making : rationnel, organisationnel et bureaucratique. Allison, G., Essence of decision. Explaining the cuban missile crisis, Harper Collins, Harvard, 1971 et P.M Carpenter, op cit.

[17] Ainsi que les applications terrestres et navales d e la furtivité. C’est toutefois en aviation qu’elle est la plus visible.

[18] Le développement des défenses aériennes soviétiques, les pertes encourues lors de la guerre du Vietnam mais aussi les pertes israéliennes lors de la guerre du Kippour ont créé une réelle perception d’infériorité des Etats-Unis. Au surplus, des estimations quant à une augmentation de potentiel de 300% des capacités aériennes soviétiques ou les estimations du général Close sur les capacités de mobilisation terrestres de l’Armée rouge ont contribué au remaniement de la doctrine US et au développement de l’art opératif. Grasset, P., La drôle de détente, Coll. « Actualité », Vokaer, Bruxelles, 1979.

[19] Les appareils furtifs emportent leurs armements dans des soutes internes de sorte que les angles extérieurs, qui reflètent les ondes radars, soient minimisés.

[20] Que révèlent généralement assez bien des études comparatives menées sur des matériels spécifiques : Chassillan, M., Les chars de combat en action, Raids Hors-Série n°3, Histoire & Collections, Paris, 2001 ; Chassillan, M., Les chars de combat en action. 2ème partie, Raids Hors-Série n°5, Histoire & Collections, Paris, 2002 ; Cécile, J-J., « Le char russe T 80U », Raids, n°110, juillet 1995 ; Debay, Y., « Le chasseur de chars suédois IKV 91 », Raids, n°129, février 1997.

[21] Nous pouvons citer Jacques Sapir. L’objet de son ouvrage était de dresser un tableau de l’Armée rouge alors qu’elle était entrée dans une phase de « révolution technico-militaire ». Loin de se focaliser sur les aspects techniques – qu’il utilise pour démentir une partie des mythes sur la puissance soviétique -, il parvient à donner des éléments importants de ce qu’il définira plus tard comme « culture technologique ». Sapir, J., Le système militaire soviétique, La Découverte, Paris, 1988.

[22] Caplow, T. et Vennesson, P., Sociologie militaire, op cit., p. 81.

[23] Eyre, D.P. and Suchman, M.C., « Status, norms and the proliferation of conventionnal weapons : an institutionnal theory approach » in Katzenstein (Ed.), The culture of national security. Norms ans identity in world politics, Columbia University Press, New-York, 1996 et Promé, J-L., « Confrontation indo-pakistannaise : le spectre du conflit nucléaire », Raids, n°190, mars 2002.

[24] Possony, S.T.; Pournelle, J.E. ; Kane, F.X., The strategy of technology, op cit.

[25] Ce qui, à décharge, est dû en bonne partie à la fonction de l’ouvrage, utilisé dans les années septante et quatre-vingt dans les académies militaires américaines. Soulignant que leur travail conserve sa validité, les auteurs ne l’ont que très légèrement adapté, par des préfaces successives, et n’ont donné d’exemple plus récent que le cas du B-1.

[26] Twining D.T., « Soviet strategic culture – the missing dimension », Intelligence and National Security, January 1989 et Klein, Y, op cit.,

[27] Moller, B., Dictionnary of alternative defense, Lynne Rienner/Adamantine Press, Boulder/London, 1995 ; Faivre, M., « Défenses alternatives. II – D’autres formes de défense », Défense nationale, octobre 1984 ; Singh, J., « NOD with special reference to India and Southern Asia », NOD and Conversion, n° 33, July 1995 ; Wiliams, R., « Non Offensive Defence and South Africa. Considerations on a post-modern military, mission redefinition and defensive restructuring », NOD and Conversion, n°37, July 1996.

[28] Comme par exemple : Quester, G.H., Offense and defense in the international system, John Wiley, New-York, 1977.

[29] Y compris des réalistes comme Kissinger. Dans un registre optimiste, plusieurs réalistes ont vu dans l’arms control la possibilité de mener une manœuvre stratégique, que nous pourrions définir comme une manœuvre génétique.

[30] Brennan, D. G., Arms control, disarmament and national security, Braziller, New-York, 1961 ; Gray, C. S., The soviet-american arms race, D. C. Heath, Lexington, 1976 ; Halperin, M. H. and Schelling, T. C., Strategy and arms control, Pergamon/Brasseys, Oxford, 1985 ; Klein, J., Sécurité et désarmement en Europe, IFRI-Economica, Paris, 1987.

[31] J-M. Lavieille en vient ainsi à évacuer complètement le facteur politique et à construire toute son argumentation sur une série d’éléments économiques et technologiques présentés comme déterminants. Lavieille J-M., Construire la paix. Tome 1 : les armements détruisent l’humanité, Editions sociales, Lyon, 1988.

[32] En témoignent les vives controverses académiques sur l’utilité d’un arms control qui contribuerait en fait à affaiblir les Etats-Unis dans un contexte où, selon Gray, ce ne sont pas les armements qui posent problème, mais les décisions politiques de les employer. Contre Bull et Halperin, Gray arguera aussi de l’inanité même d’un concept de course aux armements qui lui semble artificielle. Gray, C.S., « Nuclear strategy: What is true, what is false, what is arguable », Comparative Strategy, Vol.9, n°1, 1990. et Géré, F. (Dir.), Les lauriers incertains. Stratégie et politique militaire des Etats-Unis 1980-2000, Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, Paris, 1991.

[33] La possibilité qu’avait l’Avenger II d’être ravitaillé en vol et d’emporter un minimum de deux armes nucléaires tactiques (une capacité courant en aviation de combat) lui donnait une autonomie et une capacité de frappe supérieure au missile de croisière. Dans le même temps, la disposition d’un radar et de systèmes de communications appropriés donnait à l’A-12 une capacité d’attaque d’objectifs mobiles alors que les missiles de croisière n’en étaient pas capables.

[34] Dès la Corée, au Vietnam et dans leur confirmation de plate-forme de lancement de missiles de croisière conventionnels par les Américains, mais aussi en Afghanistan par les Soviétiques.

[35] Du moins pour ce qui concerne les Etats disposant d’armées à forte intensité technologique. La charge génétique du dilemme de la sécurité dans lequel se trouvait le Vietnam juste avant l’intervention chinoise est incomparablement moindre que celle du dilemme dans lequel étaient engoncés au même moment l’OTAN et le Pacte de Varsovie. Boskma, P. and van der Meer, F-B., « Trends in military technology » in Barnaby, F. and ter Borg, M., Emerging technologies and military doctrines : a political assessment, St Martins, New-York, 1986.

[36] Canby, S., « The quest for technological superiority – A misunderstanding of war ? », op cit.

[37] Application en politique internationale du schéma d’action-réaction, le dilemme de la sécurité apparaît lorsque les actions d’un Etat ou d’une alliance A poussent à faire croire à un Etat ou à une alliance B que sa sécurité est menacée, de sorte que la perception des intentions adverses y est centrale. La théorie s’est essentiellement développée durant la guerre froide, bien que plusieurs auteurs trouvent dans l’histoire européenne des 18ème et 19ème siècle de nombreux exemples d’un tel dilemme. Pour un aperçu général du sujet : Möller, B., s.v. « Security dilemma », Dictionnary of alternative defense, op cit. et Collins, A., The security dilemma and the end of the cold war, Keele University Press/St Martin’s Press, New-York, 1997.

[38] A titre d’exemple, la mobilité des blindés comme la logistique est partiellement conditionnée par les voies de communication, par la topographie, tout comme par les conditions climatiques (il faut plus de 40cm de glace pour qu’un char de bataille passe en sécurité sur une coupure mouillée gelée). Le passage d’un navire dans une passe est conditionnée par son tirant d’eau, un avion de combat nécessite des pistes en état..

[39] Panofsky, W., « La science, la technologie et l’accumulation des armements », in Lellouche, P., Science et désarmement, IFRI, Paris, 1981.

[40] « The natures of both technology and the ennemy dictates that this will a be state (sic) of Technological War ». Possony, S. T.; Pournelle, J. E. ; Kane, F. X., op cit.., p. 8.

[41] « It is futile and dangerous to base modern strategy on an analysis of the intentions of the ennemy. The modern strategist must be concerned with the present an future capabilies of his opponent, not with hopes and dreams about his goals ». Possony, S.T.; Pournelle, J.E. ; Kane, F.X., op cit.., p. 10.

[42] Par la liaison faite entre modèles capacity-based et postures objectives (positionnant la dissuasion par rapport à tout adversaire potentiel – comme dans le cas de la théorie nucléaire française) et des modèles threat-based relevant de postures réactives (soumises à une confrontation en particulier – les cas américains et soviétiques).

[43] C’est notamment le cas pour ce qui concerne un rapport à l’information devant permettre la supériorité stratégique dans le traitement des situations asymétriques (préclusion). Bédar, S., « La stratégie américaine entre libéralisme globalisé et militarisation », in GRIP, Les Etats-Unis s’en vont-ils en guerre ?, Coll. « Les livres du GRIP » n°249-250, GRIP/Editions Complexe, Bruxelles, 2000 et Bédar, S., « La réforme stratégique américaine : vers une révolution militaire ? », op cit.

[44] Traditionnellement, les présidents américains fixent les objectifs de leurs forces et le développement de l’A-12 correspondait à l’époque où les forces US devaient engager deux conflits majeurs et un conflit limité dans le même temps.

[45] Ayache, G. et Demant, A., op cit, p. 96.

[46] Les Pershing II et SS-20 affichaient des performances très différentes et n’étaient pas destinés au traitement des mêmes cibles mais le premier était politiquement légitimé par la présence du second et cette légitimation a sans doute permis leur retrait. Tatu, M., La bataille des Euromissiles, Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, Paris, 1983.

[47] Ce qui peut apparaître comme un mauvais usage d’un appareil trouve en fait une origine historique avec l’utilisation d’A-6 mais aussi de B-52 durant la guerre du Vietnam, mais aussi contre des concentrations irakiennes en 1991. Un tel emploi relève selon Possony et Pournelle du concept de surprise technologique tactique.

[48] O’Brien, K. and Nusbaum, J., « Intelligence gathering asymmetric threats – Part one », Jane’s Intelligence Review, 12 October 2000.

[49] En URSS, la volonté de conserver plusieurs bureaux d’études capables de concevoir des appareils d’attaque au sol a ainsi abouti à la mise en service con concomitante du Mig-27 (Mig-23BN) Flogger et de la famille Su-17, 20 et 22 Fitter. Alexander l’explique par les théories bureaucratiques. Alexander, A.J., Decision-making in soviet weapons procurement¸Adelphi Papers, n°147, IISS, London, 1978-9.

[50] Soppelsa, J., Géographie de l’armement, Coll. « Géographie », Masson, Paris, 1980. Dans une optique quelque peu différente, plusieurs économistes démontrent le rôle régulateur des dépenses de défense (entre-autres Galbraith, J.K., La paix indésirable. Rapport sur l’utilité des guerres, Calmann-Lévy, Paris, 1982).

[51] Les retombées technologiques positives des programmes militaire dans le domaine civil (Spin-off) ou de ce dernier vers les capacités militaires (spin-on) constituent tout un pan du débat sur le rapport entre technologie et stratégie, mais qui reste d’une utilité marginale et essentiellement légitimatrice des programmes dans le cadre d’une vision de nature génétique. Welch, T.J., « Technology change and security », Washington Quarterly, Vol.13, n°2., 1990 et Hughes, D., « Defense Dept. must exploit commercial technology », Aviation week & Space technology, Vol. 23, n°5, 24 December 1990.

[52] Le Follow-On Forces Attack est l’application par le général Rodgers de la doctrine AirLand Battle. FOFA vise directement le second échelon des forces adverses en mettant en évidence la manœuvre sur ce qui n’est plus considéré comme un front mais bien comme une frange avancée de la zone de bataille (FEBA – Forward Edge of the Battle Area).

[53] Enoncée le 28 novembre 1984 par le secrétaire à la défense, cette doctrine subordonne tout engagement militaire des USA à (1) la mise en cause de l’intérêt vital des USA ; (2) l’engagement de forces suffisantes pour vaincre ; (3) elles doivent suivre un objectif politique bien défini ; (4) la réévaluation permanente de l’articulation entre fins et moyens ; (5) aux soutien de la population américaine ; (6) la considération que tout engagement constitue un dernier recours. Boyer, Y., Les forces classiques américaines, structures et stratégies, Coll. « Les sept épées », FEDN, Paris, 1985.

[54] Un type d’approche souligné comme traditionnel par Weigley, R. F., op cit.

[55] Pratiquement, l’escalade horizontale remonterait selon C-P. David à une réflexion entamée par le Conseil National de Sécurité dès 1974 et visant la redéfinition des rôles de la marine.

[56] David, C-P., « Le culte de l’offensive », op cit., p. 293.

[57] La vision est compatible non seulement avec le FM-100.5 de l’armée mais aussi avec les doctrines du Corps et de l’Air Force, et finit par les encadrer en définissant un cadre géographique. Toutefois, l’approche manœuvrière qu’elle induit se heurte à la vision de l’USMC, plus traditionnellement axée sur l’usure.

[58] Par ailleurs critiquée. Steven Canby arguera que les problèmes de l’OTAN ne seront pas solutionnés par la disposition de PGM mais par plus de volonté politique et par la disposition d’un nombre d’hommes et d’unité de réserve suffisantes. Canby, S., « Les limites opérationnelles des nouvelles technologies », Revue Internationale de Défense, n°6, 1985.

[59] Suivant lequel une munition tirée doit neutraliser une cible adverse.

[60] Notamment dans toutes les contributions ayant trait à l’usage de la technologie au niveau opérationnel. J. Mearsheimer souligne notamment la complémentarité de la technologie avec des facteurs tels que la connaissance du terrain. Mearsheimer, J., « Precision guided munitions and conventionnal detterrence », Survival, Vol. XXI, n°2, March/April 1982. Mearsheimer, J., « Why the soviets can’t win quickly in Central Europe », International Security, n°1, Summer 1982.

[61] Dans cette optique, la corrélation des forces devant permettre un soutien mutuel entre les différents théâtre d’opérations soviétiques – une logique d’appui fortement soulignée depuis Ogarkov – devait s’effacer devant la logique du harcèlement, laquelle impose en outre la surcharge d’une capacité de commandement soviétique considérée comme très centralisée

[62] En particulier, l’engagement de troupes loin de leurs bases principales du temps de paix et la dispersion des moyens de l’USN que la doctrine sous-tends. Bien que compensée par de massifs investissements technologiques dont l’A-12 fera partie intégrante à la fin de la décennie, l’ensemble est basé sur un calcul stratégique qui repose sur des hypothèses mathématiques et des ratios où les USA où le facteur attrition pourrait se révéler décisif pour la marine sans qu’il puisse être véritablement chiffré. Les nouveaux sous-marins soviétiques font peser une menace directe sur les convois approvisionnant en armements lourds les théâtres d’opérations, sans encore compter la possibilité que les Soviétiques ne mènent une attaque préemptive sur les moyens classiques alors que ceux-ci ne sont pas encore entrés en action. Enfin, l’hypertrophie de la stratégie classique au travers de l’escalade horizontale ne peut occulter la possibilité que les Soviétiques ne répliquent au moyen d’armes nucléaires. Eloignées de leur pays, les forces amphibies sont extrêmement vulnérables. Les groupes aéronavals ont une autonomie défensive plus importante, dans les trois dimensions de la guerre navale (aérienne, de surface et sous-marine), mais que faire face à une attaque nucléaire de saturation ?

[63] Pour elle, les années 80 sont aussi celles de la poursuite des programmes Nimitz (porte-avions géants), Ticonderoga (croiseurs anti-aériens), Virginia (croiseurs nucléaires), Spruance (destroyers anti-sous-marins), Arleigh Burke (destroyers anti-aériens, à partir de 1987-88), Los Angeles (sous-marins nucléaires de chasse), Ohio (sous-marins nucléaires lance-engins), de la modernisation des cuirassés Iowa (dotation en missiles de croisière) et de l’aéronavale. Les A-7, trop lents, sont remplacés par des F-18, les F-14 continuent d’entrer en service, les hélicoptères de lutte ASM SH-60 entrent en service et les P-3 Orion sont modernisés. Au surplus, l’USMC bénéfice de nouveaux porte-hélicoptères amphibies (classe Tarawa), de transports de docks (classes Anchorage et Widhbey Island) et surtout, bénéficient des aéroglisseurs lourds LCAC qui leurs permettent de mener leurs attaques d’« au-delà de l’horizon ».

[64] Une configuration en aile delta rends le vol à basse altitude très inconfortable, alors qu’une aile volante a une pilotabilité limitée sans compensation automatique des calculateurs. Il est possible qu’une modernisation de ces derniers ait pu être programmée, de sorte que plusieurs versions (ou « Blocks ») soient entrées en service au gré des percées.

[65] Collet, A., Armements et conflits contemporains de 1945 à nos jours, op cit.

[66] Souvent en raison des conditions de tests qui ne répondraient pas à la réalité opérationnelle.

[67] Le F-111 devait être le principal appareil d’attaque de l’USAF. Après que ses tests se soient correctement déroulés suivant les critères de l’USAF, son engagement au Vietnam dès 1968 a donné lieu à plusieurs crashs. Après une interdiction de vol, l’appareil est retourné en première ligne dès 1972. Ingram, D.U., « F-111 swing wing bomber », Carnets de Vol, n°74, novembre 1990.

[68] Dans le cas du B-1B, le constructeur a systématiquement minimisé ses problèmes d’avionique de combat, qui le rendaient incapable d’accomplir ses missions (pénétration stratégique à basse altitude et à haute vitesse de l’URSS). L’USAF a lancé plusieurs programmes palliatifs mais l’appareil n’a été utilisé pour la première fois au combat qu’en 1993, alors qu’il était entré en service en 1986. Armées & Défense, « B-1B. Entre le B-52 et le B-2 », Armées & Défense, n°3, février 1990.

[69] Le cas du B-1 autant que celui du F-111 ont en été exemplaires.

[70] C’est notamment le cas de l’hélicoptère AH-64. Disposant d’un taux de disponibilité assez bon dans le Golfe et crédité de nombreuses opérations, il a connu plusieurs crashs durant la campagne du Kosovo.

[71] Le F-16 est exemplaire. De chasseur diurne, l’appareil s’est transformé en un puissant chasseur multi-rôle aux capacités d’interdicteur : le Block 60 a un rayon d’action et une charge accrus (réservoirs conformaux plutôt que pendulaires). Hewson, R., « UAE F-16 Block 60 details », Air Forces Monthly, n°166, January 2002 ; Mungo, A-M. et Henry de Frahan, A., « F-16 fighting falcon. La saga du succès continue en 1995 », Défense 2001, n°5, avril 1995 et Gething, M.J., « Fighting the falcon into the 21st Century. F-16 evolution and upgrade », Air International, Vol. 52, n°4, April 1997.

[72] Dans le cas belge, la Force Aérienne s’était prononcée en faveur de l’équipement de guerre électronique Loral Rapport III pour équiper ses F-16 de contre-mesures électroniques. Pratiquement, c’est l’équipement Dassault Carapace qui a été choisi. Mungo, A-M. et Van Hertum, S., « Le carapace est validé sur F-16 », Défense 2001, n°5, avril 1995.

[73] Kromhout, G., « Tomcat renaissance », Air Forces Monthly, n°159, June 2001.

[74] Krausener, J-M., « L’aéronavale américaine en 1995 », Défense 2001, n°6, mai 1995.

[75] Deux auteurs britanniques utilisent l’interface entre des réseaux global (en fait politique) et local (surtout technique) en tant que modalité d’explication du développement de l’appareil TSR-2, dans les années cinquante. Law, J. and Callon, M., « Engineering and sociology in a military aircraft project : a network analysis of technological change », Social problems, n°35, June 1988.

[76] La modernisation des Tornado GR-1 britanniques au standard GR-4 améliore leurs capacités de combat tout-temps et de nuit et renforce certains composants fatigués en même temps qu’elle élargit sa panoplie d’armements. Hunter, D., « Tornado GR.4. The next step », Air Forces Monthly, n°161, August 2001.

[77] A titre d’exemples, le renforcement des réservoirs d’huile dans la conception de l’AH-64 réponds aux leçons de l’expérience vietnamienne et les tuyères plus longues des A-4 israéliens répondent à l’expérience des missiles portables SA-7. Ces modernisations sont d’ailleurs souvent menées par les militaires eux-mêmes.

[78] Gray, C.S., « Comparative strategic culture », op cit.

[79] Le SIOP est la liste des cibles adverses et des scénarios de guerre nucléaire. Géré, F. (Dir.), Les lauriers incertains. Stratégie et politique militaire des Etats-Unis 1980-2000 et Lortie, B., « A do-it-yourself SIOP », Bulletin of the Atomic Scientists, Vol. 57, No. 4, July/August 2001.

[80] Notamment en limitant les missions SEAD stratégiques. L’utilisation stratégique d’un appareil tel que le B-52 nécessitait le dégagement de couloir de pénétration dans l’espace aérien soviétique, nécessitant des moyens d’aide à la pénétration.

[81] En réduisant considérablement le nombre de têtes nucléaires utilisées contre les moyens défensifs soviétiques.

[82] Une des grandes tendances historiques de la stratégie nucléaire américaine est de s’aménager les marges de manœuvre stratégiques les plus larges possibles. Des appareils comme le B-2 et l’A-12 étaient tout autant capables de traiter des cibles « molles » que « dures », démographiques comme militaires. Par ailleurs, L’USAF comme l’USN désiraient des appareils capables de traiter les missiles mobiles soviétiques SS-24 et SS-25, de sorte qu’ils devaient être dotés de radars spécifiques. Brower, M., « Targeting soviet mobile missiles », Survival, September-October 1989.

[83] Gray, C. S., Nuclear strategy and national style, Hamilton Press-Abt books, Lanham, 1986.

[84] L’adoption du canon allemand de 120mm pour le M-1 peut être vue comme l’opposition de deux tendances : l’origine américaine des programmes majeurs derrière laquelle se cache la vision d’un Hamilton voyant en l’industrialisation la possibilité d’une autarcie d’une part et la recherche systématique du firepower d’autre part. Si ce dernier l’a emporté, la question reste aussi de savoir dans quelle mesure la culture particulière de l’US Army n’a pas réduit la portée de la réticence aux importations d’une part et, à un niveau plus élevé, quelle est la part exacte jouée par la recherche des solutions les plus pragmatiques d’autre part. Colson, B., « la culture stratégique américaine et la guerre du Golfe », Stratégique, n°51/52, 1991-3/4 et Libicki, M.C., What makes industries strategic ?, Mc Nair Papers n°5, INSS, Washington, 1998.

[85] David, C-P., «Le culte de l’offensive » in David, C-P., (et collaborateurs) Les études stratégiques : approches et concepts, op cit.

[86] La tendance au messianisme politique américain s’est doublée d’une culture de l’interventionnisme militaire. Toutefois, l’impact de cette culture doit être relativisée dans le temps. Depuis la doctrine Monroe, les Etats-Unis ont oscillé entre isolationnisme et interventionnisme. A ce stade, la centralité de la décision politique ne saurait être évacuée.

[87] Il semble qu’elle ait désiré remplacer ses F-111 par une version terrestre baptisée « F-24 » de l’Avenger II. Bien que ce projet ait effectivement été officialisé, il n’existe aucune preuve que la désignation de F-24 ait été adoptée.

[88] Furtif, il n’aurait pas eu besoin d’un accompagnement antiradar, d’une capacité de supériorité aérienne (il devait disposer d’une telle capacité) ou d’appareils de ravitaillement en vol.

[89] Depuis la fin des années 50, la spécialisation des équipements est devenue aussi nette dans l’USAF qu’elle ne l’était dans l’USN. Par ailleurs, l’adoption d’appareils issus de programmes navals est une constante (programmes A-7 et F-4) pour l’USAF (l’inverse n’étant pas vrai pour des raisons techniques de résistance structurelle des appareils).

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III – Racines et champs d’influence de la technique dans l’environnement stratégique

Lorsque des chercheurs centrent leurs réflexions sur la technologie, ils n’envisagent que rarement le rapport entre son histoire et la structuration mentale qu’elle induit, car très souvent la technologie n’est perçue qu’en tant que moyen-terme dans l’équation adaptant les fins aux moyens[1]. Ses tenants, ses aboutissants et ses racines sont cependant complexes et démontrent un enracinement dans les Lumières, dans l’idée de progrès, et aussi dans le positivisme de Comte[2], avant qu’émerge le concept de déterminisme technologique, et ses projections dans les méthodologies de la planification stratégique ; dans les organisations militaires et dans le rapport au combattant. 

1) Science, technique et technologie : concepts ponctuels ou système conceptuel ? 

En soi, la technique est variablement appréhendée et ne vise pas systématiquement sa rentabilité – et encore nécessite-t-elle une définition, différente de l’ingénierie en tant que science appliquée[3], d’une suite d’innovations[4] ou plus simplement, des seuls matériels[5]. Ross voit ainsi en elle la combinaison d’un hardware (la machine) et d’un software (ses impacts organisationnels et son procès)[6] et soutien la définition de Robert Merrill, pour qui la technologie est « un corps de techniques, de savoirs et de procédures pour fabriquer, utiliser et faire des choses utiles »[7]. Plus loin, Saunders inclut dans le concept de technologie les techniques d’apprentissage et le savoir-faire inhérent à une technique[8], une vision qui trouve un relais dans l’actuelle émergence d’une technologie du commandement[9]. Reprenant l’équation dans le sens inverse, Nef voit dans la technologie le symbole d’une progression vers les méthodes scientifiques et mathématiques qui s’incarnerait, pour ce qui concerne ce mémoire, dans l’artillerie, mais aussi dans les applications à la tactique terrestre et navale des mathématiques et de la géométrie[10]. Il existe ainsi une dichotomie entre les tenants d’une technologie entendue au sens large – dans sa conception, son impact autant technique, politique que social et sa mise en oeuvre – et ceux d’une technologie au sens restreint, limitée à ses seules racines scientifiques et… ethnocentriques. Visant en soi à la rentabilité, faisant fi de toute exception culturelle et ayant en lui une portée universelle, le second type de conceptualisation technologique s’envisage aussi comme un ensemble relativement linéaire, dégageant son praticien de toute contrainte et de tout frein social[11]. Or, la technologie et les armes sont d’abord des objets socialement construits[12] (et dont la construction est datée[13]), perçus et soumis à des résistances qui leurs sont propres[14], y compris dans le monde militaire[15], comme le montre M. Van Creveld[16] ou, dans le cas des systèmes de guidage des missiles stratégiques, et de façon fort stimulante, McKenzie[17].

1.1. Les formes du déterminisme technologique

Par ailleurs, le passage de la technologie du niveau du concept à celui de facteur ne peut se faire sans en évaluer son emprise sur la pensée du décideur politique comme militaire, ce que tente d’expliciter le concept de déterminisme technologique. Partant du constat que la révolution industrielle a engendré des référents techniques ayant influé les développements politique, militaire et économique, plusieurs auteurs ont tenté d’en apprécier son impact sur la culture américaine[18] et y ont vu une transition d’un déterminisme souple (soft determinism, ou constructivisme social) ver un dur (hard determinism)[19]. Défini comme « la croyance que les forces techniques déterminent les changements sociaux et culturels »[20], le hard determinism est envisagé comme une idéalisation de la technique qui autorise un lien entre puissance et technologie, notamment lorsque la technologie permet l’autarcie[21] et qu’elle représente à la fois l’exemple et la garantie du progrès[22]. Derrière cette descendance conceptuelle du positivisme comtien[23] – dont on sent l’influence dans toute étude sur le sujet – se profile aussi pour les auteurs l’émergence d’une culture américaine typiquement technologique, que l’on retrouve lorsque le Pentagone considère les USA une nation aérospatiale, une position aux accents politiques[24]. Dans leurs rapports aux modes de production, les classifications marxistes de l’histoire seraient elles aussi technologiquement déterministes, comme chez Nef, un point que conteste toutefois Bimber[25] au nom de l’objectif social que Marx attribue à sa théorie.  

Il existe une variation critique du déterminisme dur, représentée par des auteurs tels qu’Ellul[26], Mumford[27] ou Winner[28] et qui craint une autonomisation de la technologie par rapport à la société, sans guère proposer de solutions[29]. On doit toutefois nuancer ces points de vue : si Ellul et, dans une moindre mesure, Mumford, voient clairement une technique autonomisée absorbant la société au risque d’en exclure l’homme, Winner assume plutôt une combinaison relativement harmonieuse entre la première et la seconde[30]. Plus tard, Winner cherchera à développer une philosophie du contrôle de la technologie par la société qui le rapproche des constructivistes sociaux[31], mais aussi de technophiles modérés évaluant les politiques technologiques par le biais d’un Constructive Technology Assessment assurant une conduite politique de la technologie contre un technology assessment lié au déterminisme pur et qui serait trop axé sur de simples calculs de coûts/bénéfice[32]. Dans la même optique, le constructivisme social a d’emblée une charge politique selon Bijker ou Pinch[33], car il envisage un contrôle de la technique par le politique et la société civile[34], tout en y articulant l’élément culturel. Si cette vision autorise une pluralité de solutions face à un problème et légitime des approches autres qu’occidentales, force est aussi de constater les faiblesses d’un dirigisme sous lequel tout scientifique travaillerait, freinant l’innovation et déresponsabilisant le scientifique[35]. Dans le même temps, l’approche constructiviste connaissait elle aussi un courant contestataire lorsque certains des travaux de l’école de Francfort développaient une attitude radicale à l’encontre d’un homme menacé par le déterminisme et perdant – malgré la pratique constructiviste – le contrôle d’une société techniquement oppressante. Des auteurs critiquant l’utilisation des technologies militaires comme moyen de l’expansion  coloniale et de l’impérialisme n’en sont pas très éloignés[36].

1.2. La projection stratégique des déterminismes

Tout en représentant des apports indéniables, les approches souples et dures du déterminisme technologique laissent cependant sceptique à leur examen pratique, surtout dans le champs stratégique. Le changement technique et sa charge déterministe est rarement pris au comptant par des acteurs dont la technophilie/technophobie est variable ; qui sont soumis à des sociologies propres et qui doivent assimiler le changement technique pour l’intégrer dans des doctrines et des stratégies. Dans les années cinquante, toute percée dans l’avionique impactant la masse d’un avion de combat était mal vue de pilotes continuant à considérer que la manœuvrabilité et la capacité d’emport étaient primordiales. Dans le sens d’une technophilie, le combat spatial ou l’avion nucléaire n’ont jamais été concrétisés par la science. Là comme ailleurs, la possibilité d’erreur d’appréciation existe, ruinant les apports technologiques potentiels[37].

A ce stade, les hard et soft determinist constituent les reflets du débat primautaire visant à établir la prééminence de l’homme (soft) ou de la technique (hard) sur la société et par extension, sur les études stratégiques. La diffusion de ce débat dans les organisations et dans les pensées stratégiques se projette au travers de la très économiste dichotomie des technology push/pull[38] montrant les schèmes relationnels entre offre scientifique et demande politique et/ou militaire. Dans le premier cas de figure (ou discovery push), une dynamique technologique autonomisée produirait des outputs structurellement et doctrinalement intégrés, alors que le second modèle (ou demand pull) renvoie à une demande politique.

Si Szyliowicz considère qu’environ 70% des matériels répondent à un technology pull[39], force est aussi de constater que les push et du pull ne constituent pas en soi des instruments absolus. Eisenhower autorisa le Manhattan Projet après qu’Einstein l’eut informé de la faisabilité d’une arme atomique et des présumées avancées allemandes en la matière[40]. Le résultat final est-il alors le résultat d’un push scientifique ou d’un pull politique ? Chiffrer l’impact du « Push » s’avère relatif de la valeur imputée à un système et cette valeur est plus politique que scientifique. Dans la foulée, Canby considère que ces catégories sont réductrices, le premier manquant d’emprise sur le dilemme de la sécurité et le second trivialisant la science[41].  

Pour dépasser la trop stérile dichotomie entre soft et hard determinism, Hughes propose une notion de technological momentum[42] devant démontrer l’interaction entre la société et la technologie et faisant alterner les déterminismes[43]. Cette vision n’est pas nécessairement médiane : plutôt, il s’agit de prendre en compte une certaine forme d’interactivité renvoyant à Schumpeter, à la dynamique de l’innovation[44] et à son intégration dans tous les aspects de la vie, nécessitant la prise en compte de l’évolution de tous les acteurs impliqués[45] et dépassant un monolithisme des déterminismes que Possony, Pournelle et Kane contestent[46]. Une vision suivant laquelle le hard determinism serait plus approprié aux macro-analyses et le soft determinism aux micro-analyses en est proche[47]

Si le technological momentum semble limiter l’impact conceptuel du déterminisme technologique en le remplaçant par un agrégat aux contours flous, il renvoie aussi à une dynamique suivant laquelle la percée technologique devient action dans la course aux armements, tout en utilisant une rationalité de nature économique. Le domaine de recherche est fertile et constitue toujours un des champs les plus actuels des relations internationales, tout en ne constituant qu’une partie de l’épistémologie de la théorie génétique.

La pratique de cette dernière par ses auteurs montre une connection au domaine stratégique (et à son paradigme) plus qu’à une autonomisation du facteur technologique (qui se répercute dans une très actuelle dichotomie entre évolution et révolution), de sorte que « la guerre technologique est un mélange de stratégie et de technologie et de leurs interactions » pour Possony, Kane et Pournelle[48]. Ces analyses présentent la technologie comme un facteur certes dynamique mais externe à la société, quand elles ne sont pas centrées sur quelques systèmes en évitant de les contextualiser ou de retracer leur histoire, pourtant riche en enseignements pour l’analyste et le praticien[49]. C’est une des raisons pour lesquelles le seul déterminisme technologique, ses variations et ses modalités de contrôle se révèlent insuffisant à appréhender de façon monocausale les développements des stratégies génétiques. La spécificité des systèmes militaires et décisionnels, les racines culturelles et stratégiques d’un certain nombre d’entre-eux et l’influence de phénomènes aussi dynamiques que le dilemme de la sécurité est mal rendue par la vision finalement généraliste du déterminisme. Et si la prégnance du facteur génétique doit beaucoup selon C. Hables Gray à la tendance récurrente depuis la fin de la Première Guerre mondiale[50] de la recherche systématique de la plus grande efficacité possible[51], elle se diffuse dans le réel et plus particulièrement dans trois grands champs d’action s’empilant et encadrant la stratégie : la méthode ; l’organisation et le combattant. 

2) OR, OA et SA : optimiser mathématiquement les appareils stratégiques

Dans l’optique d’une rentabilisation des moyens disponibles, l’utilisation des mathématiques et des méthodes prévisionnelles est systématique dès la Première Guerre mondiale et donne naissance aux techniques de l’Operationnal Analysis (OA) [52] et de l’Operationnal Research (OR)[53]. Prioritairement affectées à la gestion d’armées mécanisées dont la demande logistique explose[54], elles permettent aussi d’optimaliser la conduite des opérations de bombardement sur l’Allemagne et le Japon, avant de se diffuser dans les sciences sociales[55], participant de facto à la légitimation de la théorie du déterminisme technologique.

Les militaires ont rapidement critiqué l’approche défendue par les tenants de l’OR et de l’OA, qui négligeaient des variables humaines peu quantifiables[56], alors que des analystes civils feront les mêmes remarques[57]. Par ailleurs, la quantification induit l’illusion d’une science de la guerre alors que la guerre reste par essence le domaine de la friction et du « brouillard de la guerre »[58] que même des auteurs généto-centrés reconnaissent. De ces critiques naîtra le system analysis (SA), qui croise les données de l’OR et celles issues des sciences humaines, tout en cherchant à déterminer l’efficacité des armements futurs[59] et dont la guerre du Vietnam serait l’expression la plus aboutie[60], alors que la Seconde Guerre aurait été le triomphe de l’OR. L’approche promue est toutefois restée largement cantonnée aux USA, bien que de nombreux exercices de l’OTAN aient fait appel aux techniques de la SA, notamment lorsque le combat en ambiance nucléaire a été conceptualisé[61], en bonne partie d’ailleurs par les thinks tanks américains[62]. Surtout, elle reste largement dépendante de variables quantitatives qui s’accommodent mal de comportements que l’on ne sait que peu déterminer à l’avance[63], en particulier lorsque l’histoire ne fournit pas de cas d’étude[64].

Si cette approche ne fait pas l’unanimité au sein des cercles militaires européens, il faut aussi constater que les concepts mathématiques – et au-delà d’OR et de SA – trouvent aujourd’hui un second souffle, au travers notamment des concepts de prospective et de l’émergence contestée de sciences de la prévision[65]. Si leurs praticiens se défendent de tout déterminisme technologique[66] et se conçoivent en tant que prospectivistes[67] plus qu’en tant que futurologues[68] ils envisagent des applications scientifiques précises à leurs concepts. En particulier, les théories du chaos et leur application à la biologie ou à la météorologie laisse espérer la résolution de questions mondiales aux répercussions sur la sécurité[69]. Par contre, appliquée aux sciences sociales, la méthode prospective reste soit : 1) du domaine de l’isolation de tendances lourdes sur des périodes historiques données et de l’extrapolation socio-polititique et éventuellement mathématique d’une série de scénarios. C’était notamment le cas chez Fuller[70] et c’est aussi le sentiment qui domine à la lecture de la plupart des documents américains envisageant le futur de la guerre[71]. C’est sans doute ainsi qu’il faut voir une certaine vision de la planification stratégique lorsque McNamara déclarait que « lorsque j’étais secrétaire à la Défense, j’ai été contraint à maintes reprises de décider quelles forces nous devions développer aujourd’hui (…). Ces décisions reposaient sur de simples hypothèses et elles se fondaient sur des informations incomplètes, souvent contradictoires et en évolution constante »[72] ; ou 2) de l’application des modèles économétriques à l’extrême limite entre chaos et anarchie[73], mais surtout très vulnérables aux critiques[74].

La place tenue par la rationalité dans les modèles économétriques est patente, mais elle choque le praticien des sciences sociales dans son rapport à la réalité plus que dans celui à la construction intellectuelle[75]. Par ailleurs, la surprise, positive ou négative, stratégique ou technologique, est insuffisamment prise en compte dans ces modèles[76]. On y trouve là une justification économique et militaire au renseignement, mais aussi un avertissement quant au trop de valeur que l’on pourrait lui attribuer[77], ainsi qu’un plaidoyer pour la conservation des concepts issus des sciences sociales dans les analyses[78]. Pratiquement, la réalité des armées permet de nuancer et montre pour les USA une différenciation des méthodes selon les armes[79] ; un des meilleurs exemples d’utilisation des méthodes prospectives dans la planification des achats autant que des menaces émergentes[80] ; la récurrence de la demande prospective[81] ; mais aussi une institutionnalisation de ces méthodes[82]. Mais quelle que soit la méthode, la capacité prévisionnelle des analystes a cependant été maintes fois démentie dans la pratique, y compris lorsque les plus reconnus s’y essayaient[83], de sorte que l’application aux sciences sociales de modèles mathématiques issus de l’économétrie apporte une aide. C’est le cas en matière d’art du commandement ou de décision dans un environnement marqué par le brouillard de la guerre. Dans le sens inverse, J. Sapir tire des leçons stratégiques applicables à l’économie[84], dévoilant avec d’autres la forte congruence théorique entre les concepts de gestion économétriques et militaires, mais aussi entre les méthodes de gestion des entreprises et des armées[85], une tendance à l’assimilation forte dans les années cinquante[86], au moment même où le béhaviorisme est le plus marqué dans les sciences sociales. Actuellement, la liaison existant entre la RMA américaine et le concept de Revolution in Business Affairs (RBA)[87] est claire[88] et perpétue la « tradition mathématique » dans la gestion des programmes militaires, mais aussi des opérations et des organisations. Toutefois, la pertinence de la RBA est largement contestée[89], en raison notamment de la récurrence dans le temps des concepts qui la sous-tendent.

3) Bureaucratisation et organisations militaires

Politiquement encouragées, l’OR, l’OA puis la SA visaient à l’optimalisation d’organisations dont la physionomie a radicalement changé depuis l’époque classique et qui disposent de leurs propres modèles de développement qui s’accommodent variablement des raisonnements rationnels des visions  précédentes[90]. Dès 1789, la conscription induit une massification des armées, qui accroît considérablement les besoins logistiques des forces par rapport aux armées précédentes[91]. Les guerres totales n’auraient su se faire sans un approvisionnement démographique qui a connu des formes différenciées d’aménagement[92] et qui ont toutes nécessité de fortes capacités techniques et idéologiques de mobilisation et d’entretien. Au plan technique, si Napoléon puis les stratèges révolutionnaires[93] trouveront dans le ravitaillement sur le terrain un expédient aussi pratique que chrono-stratégiquement significatif[94], force est aussi de constater que la logistique dépasse l’approvisionnement alimentaire et le soutien médical pour, selon Chaliand et Blin, inclure les fonctions « entretien-transport », « évacuation » et « remise en condition »[95]. C’est surtout le cas lorsque les états-majors réalisent la valeur du chemin de fer dans la manœuvre stratégique: dès 1866 et plus encore durant la guerre de 1870, Berlin utilise massivement le rail comme moyen de projection, la défaite des Français à la même époque étant partiellement attribuable à une gestion incorrecte de leur réseau ferré selon Dandecker[96]. La logistique renforce sa centralité dans la stratégie lorsque Schlieffen conçoit ses attaques en fonction de réseaux ferrés russes et français moins bien développés que ceux de la Prusse et compte sur ce déficit pour freiner les mobilisations et permettre des offensives brèves et victorieuses. 

De la sorte, la technologie intervient comme un moyen terme unifiant les capacités démographiques et stratégiques des Etats[97]. Au cours des vingt dernières années, la démassification des armées[98] n’a pas fait décroître la demande logistique. La nécessité de projeter les forces, essentiellement depuis les années septante et quatre-vingt[99] n’a fait qu’augmenter, au point de constituer un véritable débat stratégique[100], la suite logistique des matériels modernes s’accroissant en permanence[101]. Technique et stratégie se sont ainsi substituées à la démographie comme légitimation de la logistique.

Déjà centrale dans les processus de mobilisation, la technologie intègre la préparation de la guerre lorsque l’industrie est massivement impliquée lors de la guerre de Sécession et, pour ce qui concerne l’Europe, la Première Guerre mondiale : alors que l’Allemagne utilise 871 000 obus durant la guerre de 1870, la France en tire 81 000 000 pour la seule année 1918[102]. Les historiens s’accordent pour relever une explosion de la demande dans de nombreux secteurs[103] et dans tous les Etats engagés dans la guerre le département « fournitures » devient le premier des ministères de la défense. Conséquemment, la puissance politico-militaire d’un Etat devient proportionnelle à sa puissance économique pour P. Kennedy[104]. La planification des achats, de la production comme des opérations impacte la structure et l’organisation des ministères de la défense comme des états-majors. Remontant à la France du 18ème  siècle[105], « (leur) nouveauté (…)ne résidait pas dans leurs activités, mais plutôt dans leurs performances dans une structure d’administration complexe et différenciée : le « cerveau » des organisations militaires devenait collectivisé »[106]. De simples exécutants, les états-majors devinrent ensuite des acteurs en soi, mettant en évidences forces et faiblesses, développant des stratégies partiellement portées par la médiatisation de militaires de haut niveau[107]. La proportionnalité existant entre besoins logistiques et bureaucratisation des forces est assez rapidement démontrée, tout comme celle entre forte intensité technologique d’une armée et degré de bureaucratisation[108]. Dans le même temps, la « civilianisation » des institutions de défense[109] s’est diffusée, et a participé en retour à la diffusion des concepts d’OA, d’OR et de SA[110]. Si plusieurs auteurs reconnaissent la civilianisation comme un des phénomènes classiques de la technicisation des forces, la tendance a connu des variations importantes dans le temps et dans l’espace : si les Etats-Unis ont rapidement intégré des civils à des échelons allant jusqu’à l’escadron de combat[111] et que l’Allemagne en a systématiquement utilisé jusqu’au bataillon[112], la Russie s’est montrée réticente jusqu’au cœur des années quatre-vingt[113]. Au plan politologique et stratégique, cette intégration des civils a souvent été vue comme un signe marquant le passage des institutions militaires à une posture ouverte à l’innovation/révolution, comme à l’objectivation des problématiques opérationnelles, aux Etats-Unis et en Europe[114] comme en Russie. Surtout, elle est envisagée comme un méthode de rentabilisation des organisations militaires[115] le plus souvent politiquement imposée[116]. Toutefois, la hiérarchisation des organisations militaires, la réticence aux idées innovatrices proposées[117] ou le manque de perspective de certains commandants face aux innovations opérationnelles[118] ont largement contribué à présenter ces organisations comme rétives au progrès[119]. Pratiquement cependant, la différenciation fonctionnelle au sein des états-majors s’est régulièrement accrue, pour connaître une explosion dans le courant de la Première Guerre mondiale, lorsque certains réclamaient la création d’un état-major de guerre économique, pourtant initialement refusé par Moltke[120]. L’impact sur la stratégie et sa structuration ne saurait y être négligé : la militarisation de branches historiquement considérées comme civiles indique un élargissement des prérogatives tant du stratège politique et militaire que du champs d’investigation du stratégiste. On pourrait ainsi y trouver – la question, bien que très large, mérite d’être posée – certaines des racines des actuelles écoles sécuritaires/pluralistes[121]

La technicité du métier militaire fait connaître une évolution profonde à des forces armées qui ont été peu à peu marquées par la professionnalisation, les évolutions de la spécificité du métier militaire[122], celles de leur recrutement[123] et la redéfinition de leurs missions[124]. A cet égard, la typologie introduite par Moskos et Burk schématise des évolutions implémentées en une petite centaine d’années :

Tableau 1 : Evolution des caractéristiques des organisations militaires 

Variables Armée pré-moderne Armée moderne Armée postmoderne

Menaces perçues

Invasion ennemie

Guerre nucléaire

Sous-nationale et non militaire

Structure des forces

Armée de masse

Grande armée professionnelle

Armée professionnelle plus petite disposant de réserves

Impact sur le budget de la défense

Positif

Neutre

Négatif

Militaire dominant

Leader militaire

Manager ou technicien

Soldat-homme d’Etat

Soldat-académique

Employés civils

Composante mineure

Composante moyenne

Composante majeure

Source : Moskos, C.C. and Burk, J., “The postmodern military” in Burk., J., The military in new times : adapting armed forces to a turbulent new world, Westview Press, Bouler (CO.), 1994, cité par Manigart, P., “Force restructuring : the postmodern military organization” in Jelusic, L. And Selby, J., Defense restructuring and conversion  : sociocultural aspects, COST Action A10, European Commission, Directorate-general research, Brussels, 1999.

Sur ce point, l’impact de la technique, dès la Seconde Guerre mondiale est net et Janowitz met en avant l’évolution du combattant d’un ethos héroïque vers un modèle du manager, avant que le combattant ne devienne post-héroïque[125]. De plus en plus, la diffusion des modèles de combat occidentaux aboutit à une minimisation de l’usage de la violence, à la crainte des pertes et à l’émergence des conceptions de type « zéro mort »[126]. Souvent liées au paradigme de l’Airpower et amplement critiquables, ces visions sont impossibles sans l’usage d’armes guidées de précision (PGM – Precision Guided Munitions) ou la possibilité d’engager l’adversaire à distance.

Parallèlement, l’évolution des missions confiées aux forces induit une pratique décentralisant le combat de façon exponentielle et qui nécessite pour sa viabilité les apports de la technique[127]. Les forces affectent une spécialisation à chaque soldat de chaque équipe de combat[128] au détriment d’un savoir commun à l’équipe – parfois vu comme une vulnérabilité[129] -, une tendance contestée pour ce qui concerne les forces mécanisées[130]

La place de l’évolution technologique dans le raisonnement est centrale et marquerait le passage à un modèle postmoderne de la conduite de la guerre. Elle fait transparaître par extension une préoccupation pour une méthodologie « réseau-centrique » de la guerre plutôt que hiérarchique, telle qu’elle a été définie par l’amiral Owens[131], et qui se traduirait notamment par l’adoption de nouvelles structures de combat[132]. Dans la même veine, la technologie influence les changements des organisations militaires, au-delà des organisations logistiques. Les études menées sur l’A-12 n’ont ainsi pas modifié les cultures organisationnelles américaines (y compris dans le cadre du développement de programme secrets), car en relevant parfaitement, d’autres systèmes l’ont fait. La transition du char M-60 au M-1 a modifié la structure de l’US Army[133], alors qu’on peut constater une évolution dans la structuration de l’USN[134] dû à l’adoption d’une posture de polyvalence plutôt que de spécialisation dans l’aéronavale.  

4) Le combattant et la technique : au cœur du débat primautaire

La place même du combattant dans ces nouvelles structures et sa conceptualisation du combat sont elles-mêmes évolutives en fonction du paramètre technologique. Pour Hables Gray, depuis la Première Guerre mondiale, il existe une évolution progressive et non-linéaire vers le modèle du cyborg (cybernetic organism), liant définitivement l’homme à la machine afin de dépasser les insuffisances humaines. Si l’approche représente a priori une science-fiction ethnocentrée, elle n’en reste pas moins argumentée. Avant même les projets d’exosquelettes, l’identification des équipages de chars et d’avions de combat à leur équipement, leurs ergonomies[135], l’utilisation massive des sciences médicales et de modèles mathématiques de prévision comportementale[136] ont progressivement créé un véritable modèle technologique de l’intégration de l’homme à la machine en évolution quasi-permanente[137]. Les photos du cockpit de l’A-12 démontrent sans ambiguïtés la recherche d’une interface homme-machine, autant dans le pilotage que dans les fonctions d’armement de l’appareil[138], une tendance récurrente en matière d’aviation. Les derniers développements en la matière et la pratique de ces dernières années montre de nombreuses études sur un combattant devenu système d’armes, essentiellement en France[139] ou aux Etats-Unis[140]. Au-delà, certains modèles embrayent et montrent un humain-système, conceptuellement découpé en wetware (sous-systèmes hormonaux, cardiaques, cognitifs) ; software (entraînement, réflexes acquis et innés) et hardware (sous-systèmes musculaires et intégration corporelle)[141]

Dans le même temps, une argumentation précautionneuse face à la technologie peut donner des effets contraires à ceux recherchés : en mettant en avant l’humain et ses capacités, R. Peters ouvre la voie à son amélioration biochimique[142], reconnue comme un objectif par les Etats-Unis[143]. Mais qu’il s’agisse de l’une ou l’autre tentation techno-humaine, plusieurs auteurs y trouvent un signe de l’érotisation des rapports entre les hommes et leur équipements et à la guerre[144]. Le combattant représente en soi une expression de virilité que le lien à la technique décuple : c’est surtout le cas pour les pilotes et les membres des forces spéciales[145]. Mais si la position d’Hables Gray et de sa rhétorique de déshumanisation peut ponctuellement trouver un relais[146], la pratique ne coïncide pas nécessairement avec la linéarité conceptuelle du modèle. Le FELIN français est moins avancé que le très humanoïde ECAD[147] et les options choisies par Washington pour son Land Warrrior sont moins axées sur ses performances que sur son intégration aux réseaux C3I[148]. Si ce choix semble prendre en défaut l’application d’un modèle hard determinist, c’est que le facteur humain reste central dans la conceptualisation du combat, d’ailleurs plus chez les praticiens que chez les théoriciens, comme la SA était plus pratiquée par les théoriciens que par les praticiens. Conséquemment, les armes de soutien, essentielles à la viabilité technologique sur le terrain, restent sociologiquement déconsidérées par rapport aux armes de contact. Les exemples historiques montrent ainsi la réticence des combattants face à de nombreuses nouvelles technologies ou à des évolutions sociologiques telle que la féminisation des forces[149], de sorte que la primauté nette de l’ethos guerrier fait de la technologie un auxiliaire plus qu’une panacée.

5) Dynamiques déterministes et sortie des schémas isolationnistes

Si l’examen du champs technologique et de sa diffusion au travers des figures de l’organisation militaire et du combattant offre les clefs épistémologiques permettant de tracer les origines des théories génétiques, il faut aussi en souligner la dynamique au cours du temps. Dans le rapport qu’ils affichent à la technologie, les « généticiens » comme d’autres auteurs étudiant le rapport entre stratégie et technologie mettent clairement en évidence la non-linéarité de ce même rapport. S’il s’établit fermement à partir de la révolution industrielle, son évolution montre des progressions séquentielles et cumulatives[150] différenciées suivant que l’on prenne un angle macro (les politiques génétiques) ou micro (les programmes) analytique. Ainsi estime-t-on que les USA produisent leurs équipements de façon séquentielle, lorsque les nécessités du remplacement de matériels plus anciens sont là et lorsqu’ont été gagnées les longues batailles politiques et bureaucratiques quant à la réelle nécessité dudit équipement. Pour ce qui concerne notre cas d’étude, le développement de l’A-12, dès 1988, semble s’enraciner dans des desiderata de l’USN remontant en fait au début des années quatre-vingt, lorsqu’il devenait clair que l’A-6, malgré les modernisations dont il avait fait l’objet, arrivait au terme d’un carrière entamée dans la première moitié des années soixante. Bureaucratiquement parlant, la décision fut prise mécaniquement, car dans le contexte stratégique de l’époque, l’A-6 était considéré comme une pièce importante de la stratégie navale américaine, dite « de l’avant ». Devant mener des missions offensives au-dessus de cibles fortement défendues, l’Avenger II bénéficia dans sa conception des technologies furtives intégrées à la même époque dans le bombardier stratégique B-2. S’il procédait de la continuité dans la volonté de la Marine de disposer d’un appareil d’attaque à long rayon d’action – partiellement du fait de la volonté bureaucratique de disposer d’un pendant des bombardiers de l’USAF – il relevait d’un séquençage dans la progression technologique américaine, exploitant la rupture technologique induite par l’arrivée des premiers F-117 furtifs, dès 1983. 

Mais le statut de cette furtivité, sans doute plus encore que sa diffusion, est emblématique de questionnements à la fois économiques et politologiques sur la dichotomie entre nature évolutionnaire ou révolutionnaire de l’innovation dans le domaine militaire. Couplée à la disposition de PGM, la furtivité maximise la probabilité de réussite d’une mission d’attaque et permet de réduire les forces disponibles tout en maximisant leur potentiel militaire. Mais elle pose aussi des questions quant au sens donné à la technologie autant qu’aux stratégies génétiques en tant que telles. Car si les sociologues et les historiens de la technologie cherchent un sens à ces dernières, il se situe pour le politologue comme pour le stratégiste quelque part entre la légitimation des discours qu’elles permettent et l’usage qui en est fait. En particulier, les acceptions données à la technologie militaire varient et nécessitent la prise en compte de nodes externes à la technologie : 1) les facteurs culturels constituent autant une méthode dans l’optique d’un constructivisme technologique qu’un facteur d’influence dans une optique hard determinist et 2) la charge strato-politique de l’influence des doctrines sur la conception de matériels devant les servir. De ce point de vue, il est nécessaire de dépasser une stricte conceptualisation intellectuelle pour se projeter dans un discours stratégiques qui est action en soi.    


[1] La plupart des ouvrages de L. Poirier cherchent ainsi à établir « ce qu’il se passe dans la tête du stratège ». Poirier L., Stratégie théorique II, op cit., Poirier L., Les voix de la stratégie, généalogie de la stratégie militaire – Guibert, Jomini, Fayard, Paris, 1988, Poirier, L., La crise des fondements, Economica/ISC, Paris, 1994, Poirier, L., Stratégie théorique III, Economica/ISC, Paris, 1996, Poirier, L., Le chantier stratégique – Entretiens avec G. Chaliand, Hachette, Paris, 1997, Poirier, L., Stratégie théorique, Economica/ISC, Paris, 1997.

[2] Une idée très répandue chez tous les auteurs ayant traité de la révolution industrielle, mais aussi de la sociologie et de l’histoire des technologies. De nombreux économistes assument aussi une telle filiation, y compris ceux qui s’attachent aux économies de défense. Bellais, R., Production d’armes et puissance des nations, op cit.

[3] Une différenciation qu’effectue Pacey, A ., Technology in a world civilization : a thousand years history, MIT Press, Cambridge (MA.), 1990. Toutefois, pour King, technologie et science sont symbiotiques, rendant inutile la distinction entre elles. King, A., « Science, technology and international relations : some comments and a speculation », in Hieronymi, O., (Ed.), Technology and international relations, St Martin’s, New-York, 1987. Salomon est plus nuancé et souligne que science et technologie sont de plus en plus difficilement distinguables. Salomon, J.J., Prométhée empêtré. La résistance au changement technique, Coll. « Futuribles », Pergamon, Oxford, 1981.

[4] Une vision que l’on retrouve notamment chez Basalla, G., The evolution of technology, Cambridge University Press, Cambridge, 1988. Basalla établit notamment la préséance de la technologie sur la science.

[5] Plus préoccupé de la technologie en tant que moyen du réalisme, B. Buzan échappe à une véritable définition de la technologie, comme d’ailleurs à la prise en compte plusieurs éléments-clés des études stratégiques, comme le terrorisme. Buzan, B., op cit.  

[6] Ross, A. L., op cit.

[7] Merrill, R. S., « The study of technology » in Sills, D.L. (Ed.), International encyclopaedia of the social sciences, McMillan and The Free Press, New-York, 1968, cité par Ross, A. L., « The dynamics of military technology », op cit., p. 108.

[8] Sanders, R., International dynamics of technology, Greenwood Press, Westport (CT.), 1983.

[9] Devant être replacé dans le cadre de la présumée RMA, la technologie du commandement implique aussi bien le concept de C3I (Command – Control – Communications – Intelligence) que la psychologie, la sociologie ou la médecine. Hables Gray, C. op cit. et Williams, P., « Emerging technology, exotic technology, and arms control », in Jacobsen, C.G. (Ed.), The uncertain course : new weapons, strategies and mind-sets, Oxford University Press (for the SIPRI), Oxford, 1987. 

[10] Nef., J., War and human progress, Norton, New-York, 1963. A. Gat met notamment en évidence la méthode géométrique des conceptions tactiques de l’Archiduc Charles et de Bülow. Gat, A., The origins of military thought. From the Enlightment to Clausewitz, Clarendon Press, Oxford, 1989.   

[11] Cooper et Hollick envisagent la technologie comme « the systematic application of human and financial resources toward the development of useful knowledge ». Cooper, E.D and Hollick, A.L., « International relations in a technologically advanced future», in Keatley, A.G., Technological frontiers and international relations, National Academy Press, Washington, 1985 cité par Ross, A. L., op cit., p. 109.

[12] Nourrissant la reproduction de modèles sociaux militaristes pour un constructiviste tel que Waever, O., « Securitization and desecuritization » in Lipschutz, R.D., (Ed.), On security, Columbia University Press, New-York, 1995.

[13] Sur ce point, nous renvoyons le lecteur aux nombreuses études historiques et économiques sur la révolution industrielle et sa relation avec l’émergence d’une « civilisation techno-centrée ». Voir notamment, Cochet, F., Henry, G.M., Les révolutions industrielles. Processus historiques, développements économiques, Coll « U – Economie », Armand Colin, Paris, 1995.

[14] Salomon, J.J., Prométhée empêtré. La résistance au changement technique, op cit. Malgré ses vingt ans, l’ouvrage n’a que peu perdu de son actualité.

[15] Si nous y reviendrons, les résistances à l’innovation dans le monde militaire se produisent aux trois niveaux stratégique (réticences à une utilisation de l’arme biologique contre le Japon), opératif (scepticisme allemand à l’utilisation d’armements chimiques en Belgique) et tactique (refus des pilotes américains d’utiliser des radars de conduite de tir durant la guerre de Corée). Meyer, Claude, L’arme chimique, Coll. « Perspectives stratégiques », Ellipses/FRS, Paris, 2001 ; Riche, D., La guerre chimique et biologique, Belfond, Paris, 1982 et Davis, J. F., Histoire de la guerre aérienne, Elsevier/Séquoia, Paris/Bruxelles, 1976.

[16] Qui définit la technologie en tant que « système abstrait de savoir, une attitude à l’égard de la vie et une méthode pour résoudre ses problèmes ». Ross considère que la vision du versant « non-matériel » de la technologie est fort diffuse chez Van Creveld. Van Creveld, M., Technology and war from 2000 B.C. to the present, Free Press, New-York, 1989, p. 312 et Ross, A. L., op cit.     

[17] L’auteur montre au travers d’une analyse essentiellement centrée sur la sociologie des organisations le processus d’interactions entre les instances décisionnelles privées et publiques américaines qui a conduit à la mise au point des différentes générations de systèmes de guidage des missiles stratégiques. McKenzie, D., Inventing accuracy : a historical sociology of nuclear missile guidance, The MIT Press, Cambridge (MA.)1990. 

[18] Smith, M.R. and Marx, L., (Eds.), Does technology drives history ? The dilemma of technological determinism, The MIT Press, Cambridge (MA.)/London, 1996.

[19] Et ce bien que plusieurs auteurs considèrent que le constructivisme social, tout en étant complètement opposé au hard determinism, ne doit pas être compris comme sa simple antithèse, mais bien comme une théorie en soi.

[20] « The belief that technical forces determine social and cultural change », Hughes, T.P., « Technological momentum » in Smith, M.R. and Marx, L., (Eds.), op cit., p. 102.

[21] Une vision très présente chez Coxe, aux Etats-Unis et qui se retrouve aussi derrière la guerre de blocus que mène la Grande-Bretagne à l’égard de l’Allemagne, poussant celle-ci à développer ses propres matières premières de synthèse.

[22] Y compris dans l’imagerie populaire. La rhétorique des « hommes de progrès » qui assurent le progrès par leurs inventions et leur capacité d’entrepreunariat était tout aussi promue dans l’Europe du 19ème siècle.

[23] Et plus largement d’une idée de progrès solidement enracinée dans les Lumières et l’idée d’universalité de la Raison. Braud, P., s.v. « Progrès (idée de) » in Hermet, G., Badie, B., Birnbaum, P. et Braud, P., Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Coll. « Curus », Armand Colin, Paris, 1996 et Braud, P., s.v. « Positivisme » in Hermet, G., Badie, B., Birnbaum, P. et Braud, P., Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, op cit.

[24] Par son rapprochement du néo-isolationnisme lorsque le chef d’état-major de l’USAF déclare en 1997 que « Les USA sont principalement reliés au reste du monde non par les voies terrestres et navales, mais bien par les voies aériennes ». Contrairement à ce que laissaient penser les stratèges de l’Airpower, la géopolitique n’est pas morte. Grasset, P., « Le XXIème siècle selon l’US Air Force », Science & Vie Hors Série, Aviation 1997, n°199, juin 1997, pp. 121-122.  

[25] Qui reconnaît toutefois le déterminisme se cachant derrière la vision marxiste de l’histoire. Bimber, B., « Three faces of technological determinism » in Smith, M.R. and Marx, L., (Eds.), op cit. 

[26] Telle que l’on peut le retrouver dans : Ellul, J., Le système technicien, Coll. « Liberté de l’esprit », Calmann-Lévy, Paris, 1977; Ellul, J., The technological society, Vintage, New-York, 1967. L’auteur argue essentiellement de l’autonomisation de la technologie par rapport à la société et de ses mécanismes d’action.  

[27] Ayant d’abord travaillé sur la mécanisation du corps humain, Mumford s’est ensuite ravisé pour devenir critique à l’égard de la sur-mécanisation de la société. Smiths, M.R., « Technological determinism in american culture », op cit.

[28] Winner, L., Autonomous technology : technics-out-of-control as a theme in political thought, MIT Press, Cambridge (MA.), 1977. 

[29] Rip. A., Misa, T.J., Schot, J., « constructive technology assessment : a new paradigm for managing technology in society » in Rip. A., Misa, T.J., Schot, J., Managing technology in society. The approach of constructive technology assessment, Pinter, London/New-York, 1995.  

[30] Smith, M.R., « Technological determinism in american culture », op cit.

[31] Winner, L., « Upon opening the black box and finding it empty : social constructivism and the philosophy of technology», cité par Smith, M.R., « Technological determinism in american culture », op cit.

[32] Le concept  a émergé dans les années septante, dans la foulée de l’émergence d’une préoccupation environnementale. Rip. A., Misa, T.J., Schot, J., op cit.

[33] Bijker, W.E., The social construction of technological systems : new directions in the sociology and history of technology, MIT Press, Cambridge (MA.), 1987.  

[34] Sans toutefois que les auteurs revendiquant cette approche ne définissent ce qu’est la société civile ou l’opinion publique, qu’ils veulent « raisonnablement » informée des progrès technologiques. Une telle approche a déjà été critiquée en raison du fait que la vulgarisation n’est pas en soi la connaissance technique. Roqueplo, P., Le partage du savoir, Seuil, Paris, 1974. J. Ellul considère que l’appréciation de l’auteur est correcte, mais le critique pour le simplisme de son objectif d’un partage du savoir qui ne serais effectif qu’une fois la France transformée en Etat socialiste.   

[35] Paskins, B., « Prohibitions, restraints and scientists » in Sims, N. (Ed), Explorations in Ethics and International Politics, Croom Helm, London, 1981. Selon l’auteur, le scientifique de la défense n’est pas soumis aux mêmes contraintes que le soldat et devrait prioritairement viser le respect des lois de la guerre.

[36] Leurs thèses, d’inspiration historique, mettent en évidence le rôle joué par les technologies militaires de la fin des 18ème et 19ème siècles dans la colonisation. Parker, G., The military revolution. Military innovation and the rise of the West. 1500-1800, Cambridge University Press, Cambridge, 1988 ; Hedrick, M., The tools of Empire : technology and european imperialism in the nineteenth century, Oxford University Press, Oxford, 1981 ; Mendelsshon, K., The secret of european domination. How science became the key to global power and what it signifies for the rest of the world, Praeger, New-York, 1976.

[37] L’introduction de la mitrailleuse dans les forces française constituait une percée cependant mal gérée. Intégrées à l’artillerie au cours de la guerre de 1870, les mitrailleuses ne furent jamais à portée utile de leurs adversaires.

[38] Szyliowicz, J.S., « Technology, the nation-state : an overview » in Szyliowicz, J.S. (Ed.), Technologya and international affairs, Praeger, New-York, 1991. La distinction est fréquemment répandue et est notamment utilisée par Sapir, J., Le système militaire soviétique, op cit et Sapir, J., « Information, décision, coordination : enseignements de l’histoire militaire pour l’économiste », op cit.

[39] Szyliowicz, J.S., « Technology, the nation-state : an overview » in Szyliowicz, J.S. (Ed.), Technologya and international affairs, Praeger, New-York, 1991.

[40] Delmas, C., 1945 La bombe atomique, Coll. « La mémoire du siècle », Editions Complexe, Bruxelles, 1985.

[41] Canby, S., « The quest for technological superiority – A misunderstanding of war ? » in IISS Annual Conference, The changing strategic landscape III, Adelphi Papers n°237, Oxford, Spring 1989.

[42] Que l’on pourrait maladroitement traduire par « mouvement (dans le sens d’une force inertie) technologique ». 

[43] Hughes, T.P., « Technological momentum » in Smith, M.R. and Marx, L., (Eds.), op cit.

[44] Cochet, F., Henry, G.M., op cit. 

[45] Salomon, J-J., Prométhée empêtré. La résistance au changement technique, op cit.

[46] Notamment lorsqu’ils considèrent la nature de la technologie : « the primary fact about technology in the 20th Century is that it has a momentum of its own. Although the technological stream can to some extent be directed, it is impossible to dam it ; the stream flows on endlessly ». Possony, S.T.; Pournelle, J.E. ; Kane, F.X., op cit., p. 14.

[47] Misa, J., « Retrieving sociotechnological change from technological determinism » in Smith, M.R. and Marx, L., (Eds.), Does technology drives history ? The dilemma of technological determinism, op cit. et Siranton, P., « Determinism and indeterminacy in history of technology » in Smith, M.R. and Marx, L., (Eds.), op cit.

[48] « Technological war is a mixture of strategy and technology and their interelationship », Possony, S. T.; Pournelle, J. E. ; Kane, F. X., op cit., p. 14.

[49] C’est notamment le cas chez O’Neil, R. (Ed.), New technology and western security policy, Archon Books (for the International Institute fo Strategic Analysis), Hamden (CT.), 1985.

[50] Selon lui antichambre de la Seconde, considérée comme le point tournant vers la guerre post-moderne. Celle-ci se caractérise par la centralité de l’information, l’utilisation systématique de la technologie face aux problèmes et la recherche d’une décision rapide en minimisant les pertes amies dans un contexte de généralisation des conflits de basse intensité. A bien des égards, la « guerre post-moderne » d’Hables Gray est la RMA des autres. 

[51] Hables Gray, C., Postmodern war. The new politics of conflict, Routledge, London, 1997.

[52] Dès 1914, l’OA devait déterminer mathématiquement les principaux modèles de conduite du combat, donnant naissance aux « Lois de Lanchester » (1916), une série d’équations jamais véritablement démontrées et devant spécifier les paramètres quantitatifs du combat. Lepingwell les critique en démontrant notamment les erreurs mathématiques qu’elles recèlent. Möller, B., s.v. « Lanchester’s law » in Dictionnary of alternative defense, Lynne Rienner Publishers/Adamantine Press, Boulder (CO)/London, 1995 ; Brodie, B. and Brodie F., From crossbow to H-Bomb, Indiana University Press, Bloomington, 1973 et Lepingwell, J., « The laws of combat ? », International Security, Vol. 12, n°1, Summer 1987.

[53] Visant le dépassement de l’étude mathématique pure et simple des opérations, l’OR cherche à découvrir des éléments de prédictibilité dans les organisations sociales, en considérant toujours les mathématiques comme son instrument méthodologique central. Elle a été mise au point vers 1937, lors des recherches menées en Grande-Bretagne sur l’opérationnalisation des radars. Allen, T., War games : the secret world of the creators, players, and policy makers rehearsing World War III today, McGraw-Hill, New-York, 1987.  

[54] Sur ce point, voir notamment Smith, M.R. and Whitelam, J., Military enterprise and technological change : perspectives on the american experience, MIT Press, Cambridge, 1985 et Smith, M.R., « Army ordnance and the « american system » of manufacturing, 1815-1861 » in Smith, M.R. and Whitelam, J., Military enterprise and technological change : perspectives on the american experience, op cit., Pedroncini, G., « Technique et stratégie durant la Première Guerre mondiale », Stratégique, n°56, 1992/4, Gropman, Alan, The big L. American logistics in WW II, NDU, Washington, 1997.

[55] Entre autres, il en découlera l’approche béhavioriste des relations internationales.

[56] Et qui renvoyaient à la critique de Paretto, qui a rapidement cherché à développer des équations propres à la sociologie permettant de systématiser les comportements humains et, par delà, sociaux et politiques.

[57] Halperin, M. H., Contemporary military strategy, Faber and Faber, London, 1967.

[58] Au contraire d’une biologiste telle que Solly Zuckermann, qui entends transformer la guerre en science prédictible. En guise de commentaire, l’on pourrait indiquer que les civils travaillant sur les questions stratégiques, plus enclins que leurs collègues militaires à utiliser les techniques d’OR, d’OA et de SA, ont généralement tendance à linéariser le combat et à le dépouiller de ses contraintes et spécificités. Le rôle du déficit d’expérience semble central. Allen, T., War games : the secret world of the creators, players, and policy makers rehearsing World War III today, McGraw-Hill, New-York, 1987.

[59] Kaplan, F., Wizards of Armageddon, Touchstone Books, New-York, 1983.

[60] Vickers, E., “War and games”, Creative Computing, September 1984.

[61] Une approche que l’on ressent chez Seifritz, W., « Peut-on se protéger de l’arme à neutrons ? », Revue Internationale de Défense, n°12, 1981 ou Cohen, S. T. et Geneste, M., Echec à la guerre – la bombe à neutrons, Copernic, Paris, 1980.

[62] Hables Gray, C., op cit, Meyer, J-P., op cit. et Gibson, J., The perfect war : technowar in Vietnam, Atlantic Monthly Press, Boston, 1986, cité par Gray, C.H., op cit). Le site internet de la RAND Corporation offre de nombreuses études en ligne et la simple consultation du catalogue (qui remonte aux années cinquante) démontre sans ambiguïtés la prégnance des méthodes de SA dans la résolution des problèmes stratégiques. http://www.rand.org.    

[63] Simon, H-A., « Rationality as a process and as a product of thought », American Economic Review, Vol. 68, n°2.

[64] C’est souvent ce qui a été reproché à la très linéaire et trop rationnelle escalade nucléaire envisagée par Kahn.

[65] Titre a priori ésotérique d’un ouvrage qui constitue une bonne première approche des notions de prospective et de prévision. Scheps, R. (Dir.), Les sciences de la prévision, Coll. « Points – sciences », Seuil/France culture, Paris, 1996.

[66] Et plus largement de tout déterminisme. Il y a une charge politique forte dans la rhétorique de défense de Jouvenel lorsqu’il indique que « l’avenir est pour l’homme en tant que sujet connaissant domaine d’incertitude, et pour l’homme en tant que sujet agissant domaine de liberté et de puissance ». Scheps, R., « Pourquoi la prospective – entretien avec Hugues de Jouvenel » in Scheps, R. (Dir.), Les sciences de la prévision, op cit., p. 14 et Scheps, R., « Savoir et prévoir – entretien avec Jean-Marc Lévy Leblond » in Scheps, R. (Dir.), Les sciences de la prévision, op cit.  

[67] Le terme « prospective » a été proposé pour la première fois par Gaston Berger.

[68] Le terme de futurologie a été proposé pour la première fois en 1949 par O. Flechteim et devait en référer à une nouvelle science. Le manque de méthodologie des futurologues, leur obsession à déterminer des événements dépassant plusieurs dizaines d’années et le caractère événementiel des « prédictions » ne rencontrent que peu les exigences scientifiques.

[69] C’est notamment le cas de l’utilisation des ordinateurs de dernière génération à la modélisation climatique. Le climat et la gestion de ressources alimentaires ont été pointés du doigt comme une des racines potentielles de conflits futurs par les tenants du pluralisme. De façon peut-être plus inquiétante, la conceptualisation du corps humains en tant que système d’armes et les recherches assez rapidement menées en parallèle sur l’amélioration de ses fonctions vitales (HPE – Human Performance Enhancement) pourraient avoir un impact direct sur la conduite des opérations militaires.  

[70] Fuller – comme, dans une moindre mesure, Colin – utilisait l’histoire et les conditions des conflits pour tenter de déterminer quelle arme pourrait être déterminante à l’avenir, sur base de quoi doctrines et stratégies suivraient. Suivant cette méthode, A. Coroalles a cherché à étudier quelle arme serait déterminante après la guerre du Golfe. Coroalles A.M., « The master weapon – the tactical thought of J.F.C. Fuller applied to future war », Military Review, January 1991, cité par Wasinski, C., Clausewitz et le discours stratégique américain des années septante à nos jours, op cit.

[71] A cet égard, la méthode n’est pas neuve et a déjà été employée lors de la rédaction du FM-100.5 de 1976.

[72] Cité par Gsponer, A., « Science, technique et course aux armements », in GRIP, La science et la guerre, Coll. « Notes et documents », n°99, mai 1986, cité par Ayache, G. et Demant, A., Armements et désarmement depuis 1945, Coll. « Questions au XXème siècle », Complexe, Bruxelles, 1991, p. 99.

[73] Si le chaos est modélisable par plusieurs méthodes avant de conduire à un ordonnancement, l’anarchie n’y aboutit pas.

[74] Y compris celle concernant les prises de décisions qui suivraient des conclusions obtenues économétriquement. Shackle, G., Expectations in economics, Cambridge University Press, Cambridge, 1949.

[75] Simon, H-A., « Rationality as a process and as a product of thought », American Economic Review, Vol. 68, n°2. Pour une application cependant précautionneuse dans la sphère militaire : Echevarria II, A.J., « Optimizing chaos on the nonlinear battlefield », Military Review, Vol. 77, n°5, September-October 1997.  

[76] le retour d’hypothèses préalablement évacuées ou l’impact de surprises positives ou négatives sur l’établissement des modèles. Shackle, G., Expectations in economics, op cit.

[77] Confiant dans les décryptages issus du système ULTRA, Patton ne croyait pas en une percée allemande dans les Ardennes durant l’hiver 1944-45. Or, les Allemands avaient transmis leurs ordres par un autre système et se sont arrogé une surprise qui leur a prodigué l’initiative. Cole, H. M., La grande bataille des Ardennes en Belgique et au Luxembourg, Omer Marchal Editeur, Villance-en-Ardennes, 1994. Plus largement, Clausewitz se méfie de ce biais et envisage le « génie militaire » et le « coup d’œil » pour y remédier. Wasinski, C., op cit.  

[78] En particulier lorsqu’il s’agit de déterminer des évolutions stratégiques. Alain Bru insiste sur l’expérience et la capacité d’ouverture à l’innovation et à des résultats sortant des « chemins tracés » des hommes qui la pratiquent. Margeride, J-B., « La prospective : méthode ou illusion lyrique ? », Stratégique, n°49, 1991/1.

[79] L’USAF se distingue ainsi par la forte mathématisation des questions prospectives, qui doit aboutir à la définition des technologies devant être développées. Les études Air Force 2025 et SPACECAST 2020 – dont les méthodes sont explicitées en annexe II – sont très fortement marquées par de telles méthodologies. L’US Army, en utilisant la méthode des « cônes de plausibilité », décrite en annexe III, se centre plus pratiquement sur les sciences sociales en déterminant des futurs possibles au départ d’une situation déterminée dans le temps. Les éventuels demandes en termes de matériels relèveront ensuite de l’application des principes stratégiques aux différents résultats de la recherche. Marguin, J., Méthodes de prospective de défense aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, Cahiers de la Fondation pour la Recherche Stratégique, n°8, Paris, mai 1999. 

[80] Marguin, J., Méthodes de prospective de défense aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, op cit.

[81] Dès les années trente. Hoover fut le premier président américain à commander une étude prospective. En 1951, Eisenhower forme un Material Policy Group chargé de détecter les risques  à long terme de pénuries en matière premières stratégiques. L’établissement de l’OTA en tant que centre de réflexion propre au Secrétaire à la défense américain relève de la même logique. Hatem, F., Introduction à la prospective, Coll. « Gestion poche », Economica, Paris, 1996.

[82] Au travers des think tanks, bien entendu, mais aussi au travers d’institutions telles que l’Office of Technology Assessment (OTA – il dépends directement du secrétaire à la défense) ou la Defense Advanced Research Program Agency (DARPA). Si la fonction de la première est de discerner quelles technologies pourraient s’avérer cruciales, la DARPA aura en plus de cette fonction d’objectivation une réelle fonction de management de la R&D et de son financement.

[83] Herman Khan a ainsi travaillé sur les grandes percées technologiques qui se produiraient avant la fin du XXème siècle, mais la plupart des avancées qu’il avait citées ne se sont pas encore produite, alors que dans le même temps, des innovations aussi majeures que l’informatisation de la bureautique n’ont pas été entrevues.

[84] Sapir, J., « Information, décision, coordination : enseignements de l’histoire militaire pour l’économiste », op cit. 

[85] Marchais-Roubelat, A., « Stratégie militaire, stratégie d’entreprise : même combat », Stratégique, n°60, 1995/4.

[86] Pour ce qui relève particulièrement du domaine économique, Whyte, W.H., Organization man, Doubleday, New-York, 1956, cité dans Murawiec, L., op cit.

[87] Suivant lequel les militaires utiliseraient les procédures civiles en matières de recherche et de développement, mais aussi en matière d’« achats sur étagère » de matériels civils déjà existant et restant à militariser (COTS – Cost Off The Shelf technology) ou de méthode de gestion. L’implémentation du concept aux Etats-Unis remonte à McNamara (système PPBS – Planning Programming Budgetary System) et aurait une filiation directe aux notions de SA et d’OR. Murawiec, L., op cit.

[88] En fait, dès la Première Guerre mondiale, « la technologie et le management sont inextricablement connectés ». Smith, M.R., Military enterprise and technological change: perspectives on the american experience, op cit., p. 11.

[89] Bédar, S., « La réforme stratégique américaine : vers une révolution militaire ? » in Bédar, S. et Ronai, M., Le débat stratégique américain 1998-1999 : défis asymétriques et projection de puissance, Cahiers d’Etudes Stratégiques, n°25, CIRPES, Paris, 1999.

[90] Hables Gray, C., op cit. Le début des années soixante et l’arrivée de McNamara au Secrétariat à la Défense sont souvent vues comme les points paroxystiques de la volonté politique d’asseoir définitivement ces concepts. Sur cette époque : Brodie B., « The McNamara phenomenon », World Politics, July 1964 ; Meyer, J-P., RAND, Harvard, Brookings et les autres. Les prophètes de la stratégie aux Etats-Unis, op cit. ; Gibson, J., The perfect war : technowar in Vietnam, Atlantic Monthly Press, Boston, 1986.

[91] Faivre, M., Les nations armées. De la guerre des peuples à la guerre des étoiles, op cit. 

[92] Maurice Faivre propose ainsi une typologie commode, mais manquant cependant de la dynamique qui permettrait d’isoler les régularités dans les trajectoires historiques des modèles proposés :

Tableau 2 : Typologie des conceptions de nation armée (de 1914 à 1945) et lien avec les formes stratégiques.

Type

France

IIème et IIIème Reich

Grande-Bretagne – USA

URSS – Chine

Régime politique démocratique égalitaire-conservateur. démographie stable autoritaire oligarchique expansion démographique/ idéologique Démocratique libéral mercantile révolutionnaire parti-Etat totalitaire
Stratégie continentale offensive-défensive globale Continentale offensive totale maritime et périphérique puis offensive globale défensive-offensive totale
Guerre Longue usure, bataille défensive Courte, totale, bataille d’ 

Anéantissement

Limitée puis longue usure longue, totale, psychologique
Organisation militaire conscription, mobilisation préparée et massive Armée de caste, mobilisation rapide mais non totale Armée professionnelle réduite et réserves puis mobilisation improvisée milices populaires puis armée régulière massive, soldats militants

Source : Faivre, Maurice, Les nations armées. De la guerre des peuples à la guerre des étoiles, op cit.

[93] En la matière, l’ouvrage de Van Creveld reste un classique de l’histoire de la logistique (Van Creveld, M., Supplying war : logistics from Wallenstein to Patton, Cambridge University Press, Cambridge, 1977), alors que cette approche n’a que rarement été exploitée, d’où le très évocateur article « The forgotten dimensions of strategy» de M. Howard.

[94] L’abandon des charrois implique une simplification de la marche des armées (la marche et le passage en ordre de combat sont considérables dans l’art stratégique de l’époque classique), mais aussi la possibilité d’avancer plus rapidement.

[95] Chaliand, G. et Blin, A., s.v. « Logistique », Dictionnaire de stratégie militaire, op cit.

[96] Dandecker, C., « The bureaucratisation of force » in Freedman, L. (Ed.), War, op cit. 

[97] Il en est de même avec l’utilisation du télégraphe puis de la radio, qui connaissent une explosion dès 1914. La France achète en quatre ans 210 000 téléphones et fait passer son réseau de 406km de câbles de campagne à 470000km. (Pedroncini, P., op cit). La TSF est installée dans les chars et le général Estienne, père des blindés français propose des versions de commandement/transmissions des chars. Les théoriciens du Blitzkrieg mettront en avant la nécessité d’un réseau de communication à la fois développé et résistant aux différents types d’intrusion, d’écoute et de contre-mesures. Ferrard, S. et Eshel, D., « Les familles de véhicules blindés », Armées & Défense, n°4, avril 1990.  

[98] Manigart, P., « Force restructuring : the postmodern military organization » in Jelusic, L. and Selby, J., Defense restructuring and conversion  : sociocultural aspects, COST Action A10, European Commission, Directorate-general research, Brussels, 1999 ; Moskos, C.C. and Burk, J., « The postmodern military » in Burk., J., The military in new times : adapting armed forces to a turbulent new world, Westview Press, Boulder (CO.), 1994 ; Caplow, T. et Vennesson, P., Sociologie militaire, Armand Colin, Paris, 1999.  

[99] Surtout aux Etats-Unis. Le vieillissement de la flotte d’appareils du Military Airlift Command (MAC) et des transporteurs de la Navy, l’échec de l’exercice Nifty Nugget ont suscité une réflexion débouchant sur plusieurs programmes majeurs : C-17, C-141B, C-5B (USAF), transporteurs pour l’USN, création du Transportation Command (TRANSCOM) en 1987. Balaës, J., « Military Airlift Command », Carnets de Vol, n°62, novembre 1989 et Dicker, R. J. L., « Les programmes sealift de la force d’intervention rapide américaine », Revue Internationale de Défense, Vol. 16, n°7, 1983.

[100] En Europe, le programme A-400M est représentatif d’une nécessité qui y est soulignée avec force depuis la guerre du Golfe. Précédemment, la focalisation sur le secteur Centre-Europe nécessitait une capacité de transport essentiellement tactique/opératique que les opérations menées par la France ou la Belgique en Afrique n’a pas remis en question.

[101] Un char M-1 nécessite quotidiennement 60 tonnes de carburant et de fournitures. Murawiec, L., op cit. 

[102] de Weerd, H. A., « Churchill, Lloyd George, Clemenceau : l’émergence des civils » in Mead Earle, E. (Dir.), op cit. et Pedroncini, G., « Technique et stratégie durant la Première Guerre mondiale », Stratégique, n°56, 1992/4.

[103] ce que résume, le tableau suivant : 

Tableau 3 : Matériel à disposition des forces française – inventaires de 1914 et 1918

Type de matériel

Situation en 1914

Situation en 1918

 Chars                              0                      3 400
 Tubes d’artillerie lourde                          300                      5 200
 Véhicules                       9 000                    88 000
 Avions                          162                      3 437
 Mitrailleuses                       2 000                    18 000   
 Fusils mitrailleurs                              0                    48 000

Source : Pedroncini, G., « Technique et stratégie dans la Première Guerre mondiale », op cit.

[104] Kennedy, P., The rise and the fall of the great powers, Random House, New-York, 1987. Cette argumentation est encore fréquemment entendue de nos jours. C’est particulièrement le cas pour les industries de défense, qui restent moins soumises que les entreprises « civiles » aux processus de multi et de transnationalisation. Bellais, R., op cit.

[105] Irvine, D.D., « The origins of capitals staffs », Journal of Modern History, 10/2, 1938, cité dans Dandecker, C., Surveillance, power and modernity, Polity Press, London, 1990. Si le développement des états-majors a été entravé par la forte personnalisation de la stratégie par Napoléon, il a été pleinement exploité par les Prussiens dès 1840.

[106] « The novelty of war staffs lay not in their activities as such, but rather in their performance in a complex an differenciated administration structure : the ‘brain’ of military organisations became collectivized ». Dandecker, C., Surveillance, power and modernity, op cit., p. 123. L’analogie avec la théorie des réseaux et la collectivisation des savoirs est patente.

[107] Janowitz, M. The professional soldier : a social and political portrait, The Free Press, New-York, 1971.

[108] Pour plusieurs auteurs, le phénomène bureaucratique est au centre de l’émergence du concept de guerre totale. Wolf, M, « Commentary » in Wright, M. and Paszek, L. (Eds.), Science, technology and warfare. Proceedings of the third military history symposium, US Governement Printing Office, Washington, 1969. On retrouve une telle argumentation, mais atténuée chez Hall, A.R., Ballistics in the 17th Century, Cambridge University Press, Cambridge, 1969, cité par Hables Gray, C., op cit.

[109] Parmis d’autres évolutions, Janowitz note que le personnel militaire des Armes représentait 93,2% durant la guerre de Sécession, 28,8% après la guerre de Corée, et encore moins dans l’USN et l’USAF. Janowitz, M., op cit.

[110] Le cas de la symbiose pouvant exister entre les think tanks américains et le Pentagone est classique. Mais on peut y ajouter le cas soviétique. Lorsque Ogarkov a lancé la révolution dans les affaires technico-militaires, de nombreux civils – notamment issus le l’IMEMO et de l’ISKAN (respectivement les instituts de relation internationales et d’étude des Etats-Unis et du Canada) – ont intégré les appareils décisionnaires politiques et militaires. 

[111] Notamment pour les missions d’expertise technique. Dans son ouvrage sur l’histoire de la guerre électronique aux Etats-Unis, Alfred Price montre ainsi le rôle tactique joué des ingénieurs civils durant la guerre du Vietnam. Price, A., War in the fourth dimension. US electronic warfare, from the Vietnam war to the present, Greenhill Books, London, 2001.

[112] Essentiellement dans des tâches administratives, libérant les soldats pour les missions de combat. Le cas allemand doit toutefois être contextualisé à la lumière du système d’Innere Fürhung, partie intégrante d’une politique visant à maximiser les rapports entre civils et militaires, mais aussi entre subordonnés et supérieurs au sein des forces. 

[113] Sur l’intégration d’experts civils dans les structures décisionnelles soviétiques, Malleret, T. et Delaporte, M., op cit. et Jacobsen, C., «Changes in soviet defense decision-making  », International Defense Review, n°2/1990.

[114] C’était notamment un des sens donné à certains contrats du programme FAST (Forecasting and Assessement in the field of Science and Technology) de la Commission Européenne. Un des résultats en fut l’ouvrage de Salomon, J-J., Prométhée empêtré. La résistance au changement technique, op cit. 

[115] Hables Gray, C., op cit.

[116] Ibidem. La « civilianisation » se traduirait dans le même temps par la technicisation croissante des enseignements donnés aux futurs officiers. Plusieurs auteurs rappellent à cet égard que West Point, pépinière des officiers américains, est traditionnellement un école d’ingénieurs. Meyer, J-P., op cit. et Murawiec, L., op cit.

[117] Les exemples de l’attitude de Hitler face aux missiles ou de Foch face à l’aviation (« L’aviation, c’est du sport ! Pour l’armée c’est zéro ») sont classiques.

[118] Les premières attaques chimiques ou de chars ont ainsi été des échecs du fait de leur non-exploitation.

[119] Bien qu’il faille lourdement nuancer ce genre d’affirmation, que l’on croise régulièrement dans de nombreux ouvrages traitant des rapports armée-nation :

– Certains opèrent ainsi une distinction entre les forces navales et terrestres, qui seraient les plus conservatrices, et les forces aériennes. L’intensité technologique des forces est ainsi présentée comme un facteur déterminant de leur conservatisme présumé, essentiellement dans le contexte actuel. D’autres interprétations donnent à l’origine sociale des officiers un rôle déterminant (cas typique du conservatisme aristocratique de l’état-major allemand de 1914), mais manquent de souffle à l’aune des changements intervenus en cette matière dans de nombreuses armées ;

– Dans le même temps, la conceptualisation des forces face à la technologie est largement dépendante des cultures stratégiques autant que des évolutions de cette même culture. Nous y reviendrons lorsque au point 3.

[120] de Weerd, H. A., op cit. Rathenau semble avoir le plus développé cet argument dans l’Allemagne de la Première Guerre.

[121] Dans cette optique, les études stratégiques sont considérées comme le volet militaire des études de sécurité plutôt que comme leur antithèse : Nye J.S. and Lynn-Jones S.M., « International Security Studies – A Report of a Conference on the State of the Field », International Security, Vol. 12, n°4, Spring 1988 ; Chipman J., « The future of strategic studies: beyond even grand strategy », Survival, Spring 1992 ; Baldwin D.A., « Security Studies and the End of the Cold War », World Politics, Vol. 48, n°3, October 1995, Baldwin, D.A., « The concept of security », Review of International Studies, n°23, January 1997, Freedman, L., « International security : changing targets », Foreign Policy, n°110, Autumn 1998, David, C-P., La guerre et la paix, op cit. Dans le même temps, des approches strictement pluralistes ou stratégiques survivent. Krause, Keith, « Cross-cultural division of multilateral non-proliferation an arms control dialogues. An overview » in Krause, Keith (Ed.), Culture and security – multilateralism, arms control and security building, Franck Cass, London, 1999 (si l’auteur intègre le concept de culture stratégique, il minimise la stratégie). A l’opposé, des synthèses stratégiques telles que celles de Desportes ou Coutau-Bégarie épurent quasi-systématiquement les éléments « pluralistes » de leurs argumentaires. A décharge, toutefois, leur seule ambition est de se cantonner à la stratégie.

[122] Sur cette question, la sociologie militaire a donné naissance à plusieurs ouvrages de grande qualité. Caplow, T. et Vennesson, P., Sociologie militaire, Coll. « U – Sociologie », Armand Colin, Paris, 1999, Thiéblemont, A. (Dir.), Cultures et logiques militaires, Coll. « Sociologie d’aujourd’hui », PUF, Paris, 1999. Par ailleurs, Pascal Boniface a effectué en son temps une enquête sur l’armée française. , P., L’armée. Enquête sur 300 000 soldats méconnus, Editions n°1, Paris, 1990.

[123] Aben, J. (Dir.), Le recrutement militaire en Europe depuis 1945, Colloque des 5 et 6 avril 1991, Université Paul Valéry Montpellier III, 1991.

[124] Sur ce point, Burk., J., The military in new times : adapting armed forces to a turbulent new world, Westview Press, Bouler (CO.), 1994, David, C.-P., La guerre et la paix. Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie, op cit. 

[125] Janowitz, M., The professional soldier, op cit.

[126] Pour une première approche : Hyde, C.K., « Casualty aversion : implications for policy makers and senior military officers », Air Power Journal, Summer 2000. Luttwak a particulièrement mis le concept en évidence, bien qu’il ait été repris par nombre d’analystes depuis lors et avant que la guerre du Golfe ne médiatise particulièrement le concept. Schelling et Khan, en prônant une escalade maîtrisée visaient à l’application d’un minimum de violence. Cependant, cet type de conception est largement contestée par les opérationnels et par les académiques. Au-delà du fait que toute opération implique un risque de pertes, démonstration a amplement été faite de la létalité croissante des champs de bataille. Dupuy, T.N., The evolution of weapons and warfare, Da Capo, New-York, 1984 (pour une approche historique) et Glover, M., The velvet glove : the decline and fall of moderation in war, Hodder and Soughton, London 1982. Pour l’auteur, la guerre à l’époque moderne voit l’effondrement de la modération de la violence, une tendance culminant avec l’apparition du nucléaire.  

[127] Ne fut-ce qu’en matière de communication ou de contrôle. Murawiec, L. op cit., Blaker, J.R., Understanding the revolution in military affairs : a guide to America’s 21st Century defense, Progressive Policy Institute, Washington, 1997 et Blaker, J.R., A vanguard force : accelerating the american revolution in military affairs, Progressive Policy Institute Policy Brief, Washington, November 1997. 

[128] Une tendance marquée dans les équipes de renseignement dans la profondeur (Long Range Reconnaissance Patrol – LRRP). Cécile, J-J., « Les patrouilles de reconnaissance profonde », Défense 2001, n°14, février 1996 et Cécile, J-J., « L’acquisition du renseignement sur le champs de bataille », Défense 2001, n°9, août 1995. 

[129] Car la structuration et la cohésion de cette unité serait essentiellement le fait de son chef, dont l’élimination signifierait l’effondrement de l’unité (sur l’application de cette vision dans le courant de la Seconde Guerre mondiale : Shils, E. et Janowitz, M., « Cohesion and disintegration in the german Werhmacht in Wolrd War II », Public Opinion Quarterly, n°12, Summer 1948, cité dans Freedman, L., War, op cit.). S’il faut y voir une justification au développement des différentes modalités du sniping, il faut aussi, à un niveau plus élevé, y voir un combat de la sociologie militaire face à des études stratégiques prônant l’étude de la tactique, de la stratégie et de la technologie en tant que matrice de la puissance de feu. Kinzer Stewart, N., « Military cohesion » in Freedman, L, War, op cit.  

[130] Janowitz, M., The professional soldier, op cit. Loren Baritz, sur base de l’expérience vietnamienne, considère toutefois que la technique oriente plutôt vers une désindividuation forçant le combattant à « se fondre » dans son équipe. Baritz, L., Backfire : Vietnam – American culture and the vietnam war, Ballantine, London, 1986.

[131] Suivant Owens, les Etats-Unis doivent viser la connaissance dominante de l’aire de bataille en recourrant massivement aux technologies de la communication et du commandement. Ancien numéro deux du JCS (Joint Chief os Staff) américain, Owens est un des principaux promoteurs de la RMA. Plusieurs auteurs font régulièrement référence à l’arme d’origine d’Owens en tant que porteuse de la méthode réseau-centrique. Cebrowski A. and Garstka, J.J., « Network centric warfare : its origin and future », US Naval Institute Proceedings, n°124, January 1998 ; Alberts, D.S., Garstka, J.J. and Stein, F., Network centric warfare : developing and leveraging information superiority, http://www.dodccrp.org/NCW/ncw.html, May 2001; Stein, F., « Observations on the emergence of network centric warfare », in 1998 Command and Control Research and Technology Symposium Proceedings, June 1998, http://www.dodccrp.org/steinncw.htm, June 1998 et Murawiec, L., op cit.

[132] La pratique américaine démontre une telle tendance. Les forces terrestres sont ainsi axées sur des brigades de combat autonomes, alors que les forces aériennes comptent des wings intégrant des composantes polyvalentes (F-16), interdiction (F-15E), supériorité aérienne (F-15C), bombardement (B-1B) et ravitaillement en vol. Pour les forces terrestres : Brinkkerhoff, J. R., « The brigade based new army », Parameters, Autumn 1997, Fastabend, D., « An appraisal of « the brigade based » new army », Parameters, Autumn 1997. Pour les forces aériennes : Llinares, R., « American gunfighters », Air Forces Monthly, n°168, March 2002.

[133] Demchak, C., Military organzations. Complex machines, Cornell University Press, Ithaca, 1991.

[134] Les structures de l’USN ont évolué depuis Mahan, pour qui une des principales question est de savoir si la flotte devait naviguer depuis les Côtes Est ou Ouest. Depuis la 2ème Guerre mondiale, l’USN doit combattre sur les deux fronts.  

[135] Le concept même d’ergonomie remonte à la Seconde Guerre mondiale, lorsque les concepteurs des bombardiers américains eurent à satisfaire la demande de navigants volant plusieurs heures d’affilées dans des conditions de confort altérant leur efficacité opérationnelle. L’ergonomie est ensuite restée une constante des conceptions américaines et européennes des matériels militaires, mais n’a été intégrée que difficilement par les Soviétiques et les Chinois.

[136] Orientant le combattant vers un contrôle social particulièrement « serré », suivant certaines interprétations. Radine, L., The taming of the troops : social control in the United States army, Greenwood Press, Westport (CN.), 1977. 

[137] Hables Gray, C., op cit.

[138] Aux traditionnels « viseurs tête haute » (HUD – Head-Up Display), asservis aux radars de conduite de tir et communs depuis la guerre de Corée se sont ajoutés depuis les années 80 des Helmet Mounted Sights (HMS) permettant au pilote de visualiser de jour comme de nuit les information de vol et d’armement dont il a le plus immédiatement besoin.

[139] Nucléaire, Biologique, Chimique.

[140] C’était notamment le cas de l’ECAD (Equipement du Combattant Débarqué) français. Promé, J-L., « Des super-fantassins pour l’armée française », Raids, n°126, novembre 1996.

[141] Hables Gray, C., op cit. De telles réflexions seraient aussi menées en Chine, en Grande-Bretagne ou en Allemagne.

[142] Peters, R., « After the revolution », Parameters, Summer 1995. Peters cherche surtout à limiter les investissements dans les matériels lourds, mais aussi, sur un plan plus élevé, à ne pas sous-estimer un adversaire qui ne disposerait pas d’une technologie équivalente. R. Peters est officier du renseignement et travaillait à l’époque sur les cultures.

[143] Murawiec, L., La guerre au XXIème siècle, op cit.

[144] Selon Theweleit, dès 1914, les écrits des soldats allemands et alliés en offraient ainsi de nombreuses références. L’auteur fait le constat de mécanisations réelles (apparition du char, utilisation massive de l’artillerie) et perçues (routine « mécanisante » des offensives, anomie du combattant en situation de stress et de rupture avec son environnement affectif). Theweleit en arrive à la conclusion que le sens de la technique s’oriente vers le dépassement des limitations de l’être humain. Theweleit, K., Male fantasies. Vol. 2 : psychoanalysing the white terror, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1989. 

[145] La filmographie est très révélatrice en ce domaine : « Les chevaliers du ciel », « L’Etoffe des héros », « Pearl Harbor », « Top Gun », « Firebirds », « Navy SEAL », « Blackhawk Down », « GI Jane », « JAG », exaltent autant les valeurs militaires que le rapport à la séduction. L’expression est atténuée dans le cas de films ou de séries plus critiques, comme « China Beach », « Tour of Duty », « MASH », « Platoon » ou « Hamburger Hill ». Il est assez frappant qu’à l’exception de la première série, toutes les autres productions soient d’origine américaines. 

[146] Mc Neil, W., La recherche de la puissance. Technique, armée et société depuis l’an mil, Economica, Paris, 1992.

[147] Une combinaison intégrale assurant une ventilation propre, une protection NBC, des chaussures anti-mines, surmontée d’un casque intégral doté d’une visière holographique sur laquelle s’affichent la position de ses collègues et des systèmes de soutien, l’état des menaces, et surmonté d’une caméra. Cette dernière permet au chef de groupe de voir ce que voit chaque homme de son groupe sur un ordinateur tactique portable. Très coûteux, l’équipement est resté à l’état de prototype.   

[148] Arnold, W.C., « Manprint : battle command and digitalization », Military Review, May-June 1995.

[149] Qui feraient perdre aux forces de leur « mordant ». Si les critiques au sein même de l’institution militaire s’estompent, plusieurs auteurs mettent en évidence la perte de l’ethos combattant que signifierait une féminisation excessive (bien que non quantifiée) des forces. Il est intéressant de noter que les deux évolutions sont souvent liées. Dunlap, C., « How we lost the high-tech war of 2007 », The Weekly Standard, 29 January 1996, cité par Murawiec, L., op cit.

[150] L’opposition entre les modèles cumulatifs et séquentiels a été exprimée par l’amiral Wylie, dans un article traitant de la guerre du Pacifique. Suivant le modèle séquentiel, l’atteinte de l’objectif aux niveaux politique, stratégique, opératique et tactique s’acquiert au travers de la conduite logique d’une suite d’actions décisives, confinant aux principes stratégiques du choc dans une optique d’anéantissement (devenu ascension aux extrêmes en stratégie nucléaire). Les opérations suivant le modèle cumulatif sont conduites indépendamment les unes des autres et ne cherchent pas à l’atteinte du résultat stratégique (ou politique) suivant des actions décisives et logiques se complétant mutuellement. Elles aboutissent à l’attrition du potentiel adverse. Wylie, J.C., « Reflexions on the war in the Pacific », US Naval Institute Proceedings, avril 1952. Le concept se révèle très riche en stratégie nucléaire (et plus particulièrement dans les stratégies nucléaires limitées) Henrotin, J., Le sabre et l’esprit. Précis de stratégique sur le présent et le futur des armes de destruction massive, non publié.

 

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II – Genèse de l’impact stratégique de la technologie

Pour le politologue comme le stratégiste étudiant la génétique, l’histoire constitue souvent la base de données initiale de son travail : établissant des corrélations, dégageant de fragiles vérités, il ne peuvent que se baser sur les données établies par l’historien, sous peine de perdre toute connection au réel. Cependant, si l’histoire est une sociologie du passé et si la sociologie est l’histoire du présent selon Pierre Salmon[1], force est aussi de constater qu’une telle vision exige une conceptualisation préalable du passé suivant les lignes d’une analyse dépassant une Ecole des Annales qui critiquait déjà ouvertement ce que Braudel, Simiand et Febvre dénommaient « histoire-bataille » car se situant dans l’événementiel.

Donnée centrale dans l’étude génétique, dans la conduite d’une opération[2] comme dans la conceptualisation de l’environnement mondial[3], le temps constitue autant une source de leçons que de contraintes pour le praticien ou le théoricien. Un temps tellement central que les premiers penseurs de la génétique[4] sont des historiens (ou se comportant comme tels) constatant l’impact de la technologie sur la conduite stratégique. Pratiquement, la centralité du temps dans les conceptions stratégiques n’a que rarement été ouvertement admise, les praticiens lui préférant une dimension géographique de l’action stratégique plus immédiatement tangible et ressortant directement de la pratique des opérations[5]. L’émergence d’une information warfare dans les années 1990 met toutefois clairement en avant le facteur temps en tant que concept opérationnel : là où passe le réseau, la vitesse calculée en fonction du temps importe plus que la distance[6]. De même, la loi de Metcalf[7], utilisée comme référent de la puissance virtuelle, ne se réfère à aucun lien géographique. Toutefois, s’il n’a pas été prépondérant dans la pratique stratégique, le temps a toutefois pris sa revanche en s’incarnant dans une méthode historique.

1) Le courant historique de l’impact stratégique de la technologie

La filiation rapidement opérée entre Realpolitik et études stratégiques après la Seconde Guerre mondiale répare la vieille hésitation de Durkheim de donner à la politique comme aux conflits une sociologie qui leurs soient propres[8]. L’hésitation fut suffisamment durable que pour entraver la constitution d’une « science stratégique » qui sortirait des chemins des cours de stratégie assez maigres des écoles militaires[9] et qui serait ainsi à l’origine d’un conception du stratégique sous un angle essentiellement historique. De ce point de vue, les opérationnels ont largement précédé Durkheim. L’exemple napoléonien est récurrent[10], mais Clausewitz donne lui aussi l’histoire en exemple, tout comme Mahan[11], Scharnhorst, Moltke ou Schlieffen[12]. Pour eux, l’histoire est essentiellement utilisée pour dégager des lois avant qu’elle ne le soit pour démontrer la validité de thèses préconstruites, principalement par des auteurs évoluant dans un environnement de haute densité technologique[13]. Pratiquement tous les auteurs considérés aujourd’hui comme les classiques des 17ème et 18ème siècles et ont eu recours à la méthode historique et ce bien qu’ils « ont conçu leur discipline comme un savoir objectif érigé en règle universelle, alors qu’il n’était, le plus souvent, que la traduction d’une expérience historique limitée, localisée »[14].

Parallèlement aux stratèges classiques apparaissent des historiens militaires tentant eux aussi de dégager des lois dans la conduite de la guerre et dont Delbrück est sans doute le plus connu, après Thucydide[15]. Dans son histoire de l’art de la guerre[16], Hans Delbrück utilise la méthode scientifique alliée à une critique historique (la sachtechnik) et en vient à conclure que « la reconnaissance de l’interdépendance entre la tactique, la stratégie, la constitution de l’Etat et la politique éclaire la relation entre l’histoire militaire et l’histoire mondiale et elle a mis en lumière beaucoup de choses qui étaient jusque là restées cachées dans l’ombre ou n’avaient pas été prises en compte »[17]. Bien qu’il ne sera jamais militaire, Delbrück se focalise sur la tactique[18]. L’invention de la modernité a été la redécouverte de Rome, bien que la période moderne voit aussi l’émergence du feu (armes individuelles et artillerie) introduisant le fait technologique dans le raisonnement stratégique. Cependant, le feu et sa technologie restent cantonnés au niveau tactique et ne constituent pas en soi une révolution : ils facilitent seulement les deux types de batailles que Delbrück conçoit[19].

L’histoire militaire en tant que discipline académique s’était à la fois heurtée aux conceptions des stratèges entendant dégager des règles pures et valables en tous temps et à la fois à des historiens « classiques » la considérant comme essentiellement événementielle[20]. A ce titre, Delbrück ouvre la voie à une solution médiane et viable, mais limitant l’approfondissement de la stratégie. Dégageant l’histoire de la simple chronique, il en fait un instrument opérationnel utilisé dans sa critique des opérations allemandes durant la Première Guerre mondiale[21] et qui sera utilisé par des successeurs aussi prestigieux que John Keegan[22] ou Michaël Howard[23].

C’est peut être un signe de la tension existant entre une simple analyse historique et la nécessité de pénétrer plus en avant les fondements des différentes stratégies, mais ces historiens ne se limitent pas à l’histoire et se posent notamment la question de la place de la technologie dans la guerre[24].

2) L’histoire instrumentalisée dans le sens du technologique.

Si l’on peut se poser la question du rôle d’une stratégie totale alors émergente dans l’autonomisation des études stratégiques en tant que (sous-)discipline académique, force est aussi de constater que la « Grande Muette » s’ouvre de ses problèmes au public essentiellement dans l’entre-deux guerres. Peu de civils autres que les politiques[25] se sont auparavant intéressés à la stratégie et les quelques officiers qui s’y essaient opèrent alors dans un cadre méthodologiquement axé sur l’histoire.

Au sein même de la méthode historique appliquée au développement des options technologiques, une exception remarquable aux purs historiens doit être citée : dès le début du siècle, le général Colin avait vu dans la logistique et les transmissions des facteurs décisif dans la conduite des combats futurs[26]. Dans cette optique, il « stratégise » les impacts de la technique sur la guerre. Il demande ainsi une meilleure protection des voies de communication et une gestion efficiente des voies ferrées, mais aussi l’exploitation au service du renseignement des dirigeables et ballons[27]. Dans le même temps, Colin ne se « technocentre » pas dans sa réflexion et fait appel à plusieurs reprises à l’expérience napoléonienne, pour en arriver à des conclusions telles que « les récents progrès industriels et militaires ont favorisé la défensive dans le combat de front ; mais l’offensive a plus de puissance pour imposer la bataille et la rendre décisive à son profit, puisque l’armée assaillante occupe toute la largeur du théâtre d’opérations et balaye tout sur son passage »[28]. Avec Colin, nous sortons d’une théorie de la stratégie qui, bien que construite sur une base historique, en arrive à une vision qui questionne l’avenir avec les instruments du présent et donner lieu à une vision prudente mais éclairée sur les développements techniques ultérieurs[29].

Au sortir de la Première Guerre mondiale et jusqu’à la Seconde, quelques officiers sortent du cadre académique pour utiliser l’histoire en tant que démonstration de leurs thèses – largement techno-centrées – et invitant le politique à la décision sur des thématiques alors d’actualité[30]. Il en sera ainsi de Liddell Hart[31], de Gaulle ou, dans une moindre mesure, Fuller[32] pour ceux qui sont considérés comme ayant le plus marqué leur temps : envisageant les changements intervenus au cours de la Première Guerre mondiale, ils seront de fervents avocats de l’arme blindée. Pour autant, leurs pensées n’ont pas de finalité technologique en soi. Liddell Hart utilise les avancées techniques dans l’optique d’une stratégie indirecte qui invaliderait les conceptions clausewitziennes ; de Gaulle cherche à faire sortir l’armée française de l’impasse défensive dans laquelle Maginot l’a placée et cherche la solution au travers de voies quasi-philosophiques (Le fil de l’épée), organisationnelles (Vers l’armée de métier) ou stratégique (La France et son armée) avant d’en arriver à son fameux mémorandum à Daladier[33]. Le cas de Fuller est plus délicat : en tant qu’ancien commandant des forces blindées britanniques durant la Première Guerre, il est naturellement partisan d’un accroissement des missions de son arme, mais reste néanmoins un historien[34] ayant une tendance marquée à la prospective[35]. Leurs idées seront reprises et écoutées, que ce soit en URSS[36] ou plus largement encore, en Allemagne (Guderian, Rommel)[37] d’où naîtra le modèle du couple char-avion. Si les technologies occupent une bonne place dans leurs études, on ne peut toutefois y trouver les éléments d’une technophilie découplant la technologie des objectifs politiques qu’elle doit servir pour plutôt y voir son optimisation dans les sphères tactiques, opératiques et stratégiques. Toutefois, l’étude des choix technologiques opérés dans l’entre-deux guerres constitue toujours aujourd’hui une des branches majeures du courant se rattachant à la RMA américaine[38]. Cependant, la chrono-primauté vue dans les premières études génétiques ne concerne pas que les historiens et impacte durablement d’autres approches, insistant plus nettement sur les progrès techniques. Une méthode contemporaine de celle de Colin apparaît ainsi avec sir Reginald Custance, qui établit clairement la différenciation entre les méthodes historique et matérielle[39].

3) Genèse de l’approche génétique et pensée navale

Stratège naval, Custance voit en fait son objet d’étude révolutionné en moins de deux siècles par l’apparition successive de trois évolutions techniques majeures : la propulsion autonome (vapeur et hélice, puis charbon et mazout)[40], la nouvelle architecture des navires (par le métal)[41], l’armement (torpilles, mines, réintroduction de l’éperon)[42], mais aussi les communications. Dès ce moment, il existe une course entre les puissances, qui tire parti d’à peu près toutes les innovations technologiques disponibles, au moins aux Etats-Unis[43], mais qui procède aussi d’un phénomène de diffusion. Dès 1878, durant la guerre russo-turque, Makarov et Rodjestvensky tirent parti de leurs torpilleurs pour couler plusieurs bâtiments turcs dans le port de Batoum, préalablement forcé[44]. Les Russes apprendront ensuite contre les Japonais que la technologie possède ses propres limites[45].

Technologie ne signifie pas nécessairement propension au gigantisme. La lutte entre les Jeune et Ancienne écoles françaises de la guerre navale[46] donnera raison dans un premier temps à la seconde[47], avant que l’apparition des aéronavales[48] et la généralisation du sous-marin[49] puis du missile[50] ne changent la donne et permette le « small is beautiful » contre le « big is better »[51]. L’après-Seconde Guerre mondiale consacre ainsi la fin des navires de ligne[52], et l’usage systématique des technologies appliquées à la stratégie navale.

Si la distinction entre les méthodes historique et matérielle se tient dans le cadre naval, c’est en bonne partie du fait de la spécificité du milieu qui entraîne celle des navires, un raisonnement tout aussi applicable aux stratégies aériennes et spatiales[53]. Là plus qu’ailleurs, la centralité du facteur matériel est évidente[54], et ce bien que Luttwak, par exemple, considère qu’il s’agit là de non-stratégies[55].

Dès avant la Grande guerre, Douhet tire les leçons de l’engagement de l’aviation balbutiante pour formuler sa théorie de l’Airpower[56]. Mitchell et Severski[57] le suivront sur ce point. Utilisant la concentration des forces par des attaques aériennes permettant de dépasser les défenses terrestres et aériennes, les bombardiers doivent pouvoir amener à la victoire en anéantissant les cibles militaires mais surtout civiles de l’adversaire[58]. Mais ces grandes lignes de la théorie initiale de l’Airpower cachent selon Coutau-Bégarie un réel manque de conceptualisation tant stratégique qu’historique[59] et feraient de la stratégie aérienne un décalque de la stratégie navale. Pour ce qui nous concerne, la diversification des missions dévolues à la puissance aérienne doit cependant beaucoup à la technologie, au même titre que les grandes controverses doctrinales de ces soixante dernières années[60].

La stratégie aérienne serait plus dépendante de « la définition du matériel (qui) est prépondérante »[61], alors que dans le même temps, la pensée des premiers stratèges aériens est marquée par une idéalisation technique. La friction et l’attrition – généralement envisagées comme les principaux facteurs de réduction de l’efficacité de toute force – sont oubliées chez Douhet, au même titre que les défenses elles aussi techno-centrées qui allaient invalider partiellement les attaques stratégiques. Le radar, la DCA, la détection sonore, les OCA[62] et l’efficience de l’aviation de chasse ont aussi de fortes intensités techniques. Surtout, l’espérance des tenants de l’Airpower de faire céder psychologiquement les populations n’a pas donné les résultats escomptés, que ce soit en Allemagne, en Grande-Bretagne, ou durant les bombardements du Japon[63]. A ce niveau, il est intéressant de noter que dans sa course à la légitimisation et à l’autonomie par rapport aux autres armes, la puissance aérienne a justement investit le champs de la guerre psychologique, toujours par l’intermédiaire technique et surtout aux Etats-Unis[64]. Les réflexions des premiers stratèges de l’air[65] serviront notamment de point d’ancrage aux premières conceptions en matière de stratégie nucléaire[66], mais aussi aux conceptions plus actuelles d’utilisation de la puissance aérienne comme principal expédient de la puissance[67]. Dans un tel contexte, la technologie et les choix qui y sont afférents apparaissent comme centraux et déterminent dans une large mesure le choix conscient ou non de la méthode matérielle, contribuant à une isolation de la technologie hors du champs de la stratégie. Le général Bru apparaît ainsi comme un « technologue » devenu historien lorsqu’il écrit une monumentale Histoire de la guerre et de l’armement en trois volumes[68] ou qu’il se concentre volontairement sur l’histoire des technologies[69].

Dans son épanouissement parallèle à celui de la guerre froide, la stratégie nucléaire a engendré de nombreux débats sur une course aux armements[70] qui a été à l’origine d’une littérature qui, sans se référer aux stratégies génétiques, met clairement en exergue le facteur matériel au niveau stratégique, dans ses versants quantitatifs ou qualitatifs[71]. Elle représente « un accroissement progressif, compétitif et en temps de paix, des armements entre deux Etats ou coalitions du fait d’objectifs opposés ou de craintes mutuelles »[72] qui légitimera plus tard l’arms control ou qui permettra d’isoler une des principales causes du risque de conflagration nucléaire[73]. Si ces travaux ont perdu de leur actualité à la fin de la guerre froide, de nombreux autres traitant de la diffusion des technologies ont suivi : montrant les processus de diffusion des armements classiques ou de destruction massive, ils se rattachent bien souvent à une tradition à la fois critique et idéaliste tout en appliquant à des courses aux armements régionales les mêmes schémas que ceux développés durant la guerre froide[74].

4) Des stratégies génétiques filles de leur temps ?

Dans le même temps, les « généticiens » tendent à se placer sur le versant interne plutôt qu’externe de la dichotomie des causes de la course aux armements[75] et sans pour autant y faire de référence propres. Si les chercheurs travaillant sur la course aux armements trouveront dans les écoles perceptuelles des relations internationales un champs explicatif d’un phénomène de nature politico-stratégique, les généticiens voient dans la dynamique des armements une orientation de nature stratégico-opérative. Les théories de Beaufre[76], Kane, Possony et Pournelle[77] constatent que la conduite d’un éventuel conflit dépends de façon accrue de sa préparation en raison des nouvelles conditions du combat. Si la faible mobilisation de l’industrie et des forces américaines avant 1941 avait été compensée par une impressionnante montée en puissance qui avait su se produire sur les quatre années du conflit par une mobilisation corrélative des populations et des ressources financières, une guerre de large ampleur avec l’URSS ne laisserait pas aux décideurs le temps d’acquérir les moyens adéquats, alors que la dissuasion impose la disposition de ces moyens en temps de paix, une position académique courante à cette époque. De facto, l’analyse des auteurs envisage des conflits de courte durée, pas nécessairement nucléaires – même si ce cadre stratégique s’y prête parfaitement –, voire des confrontations spécifiquement politiques, comme la course à l’espace américano-soviétique[78]. La véritable originalité des théories génétiques se révèle plutôt dans certains passages montrant que pour Possony et Pournelle, la victoire ou la non-guerre potentielle s’obtient par la conduite d’une stratégie technologique suffisamment efficiente et assumée en tant que guerre technologique. En militaire ayant connu des chars allemands techniquement inférieurs à leurs équivalents français, Beaufre n’ira pas aussi loin et limitera son étude à la guerre froide et aux conditions d’adaptation de la stratégie dans ce contexte.

Qu’ils se réclament assez ouvertement d’une stratégie génétique (Beaufre) ou technologique (Possony et Pournelle) dépassant la connaissance de l’histoire ou de la technologie pour conduire une stratégie plus (Beaufre) ou moins (Possony et Pournelle) proche d’une stratégie industrielle relevant pour ce qui concerne les sciences politiques des relations entre l’Etat et les industries de défense. Mais l’approche industrielle reste insuffisante pour expliquer les politiques d’armements[79], particulièrement dans leurs aspects qualitatifs, moins souvent traités que des aspects quantitatifs qui ont bénéficié de l’apport des théories du dilemme de la sécurité, de la course aux armements et du culte de l’offensive. Contrairement à L. Poirier qui les envisagent comme formant un tout unique sans véritablement en chercher les ressorts, les aspects génétiques sont présentés par les « généticiens » comme supérieurs et gouvernant les aspects industriels et logistiques. D’autres, comme Francart ou Géré articulent la stratégie des moyens sur un triptyque « génétique – stratégie industrielle – stratégie logistique »[80], distinguant trois sphères généralement considérées comme fusionnelles. Mais, ce faisant, ils placent ces trois sphères en dehors des traditionnels étages stratégique, opératique et tactique de la représentation de la stratégie[81]. C’est aussi le cas de visions plus académiques démontrant une dynamique propre mais quasi autonomisée de la technologie militaire[82] et son impact sur les politiques étrangères et de défense. Situées à un niveau supérieur aux théories à proprement parler génétiques, ces théories participent de la conceptualisation génétique mais passent toutefois outre les aspects stratégiques d’orientation des bases scientifiques et ne recoupent les premières que partiellement.

Il y a là une externalisation de la direction politique de la technologie militaire minimisant sa relation avec les aspects opérationnels de la stratégie que l’on relève dans de nombreux ouvrages traitant de la structure de la stratégie, mais aussi dans d’autres, qui voient dans la course aux armements la seule résultante de tensions bureaucratiques ou des seules dynamiques de course. Mais là encore, il est difficile de distinguer les ressorts qualitatifs de ces théories.

Dans le même temps, les stratégies génétiques compensent la tendance à l’autonomisation de la technologie en se subordonnant aux concepts de grand strategy[83] ou de stratégie totale ou intégrale[84] entendue comme la corrélation des forces d’un Etat en vue d’un objectif politiquement définis. Ce faisant, une telle vision limite la résistance des quelques stratégistes « purs » qui limitent le champs des études stratégique au combat et à sa périphérie immédiate[85]. Beaufre, et dans une moindre mesure, les auteurs américains, compensent ce manque d’intégration en appliquant à la génétique une rationalité de nature stratégique (accordant les moyens aux buts) prolongée par l’application de principes stratégiques (offensive, économie des forces, surprise, etc.) sur lesquels nous reviendrons dans le cinquième chapitre de ce mémoire. Les visions des quatre auteurs finissent par se rejoindre en ce qu’une telle stratégie constitue la projection dans le réel d’un projet politique et qu’elle passe par une rationalité stratégique. Et si le référent nucléaire était central dans l’émergence des conceptions génétiques, les tendances technologiques lourdes n’ont pas fondamentalement changé depuis lors (augmentation des coûts, des délais de conception et de production)[86]. Dans un contexte où les conflits sont caractérisés par leur rapidité d’émergence, par des dénouements nécessitant des combinatoires de forces complexes ou par des interactions avec la diplomatie, une telle vision perdure de nos jours. Le facteur technologique est ainsi considéré comme central dans les réformes que les forces armées européennes ont connu dans les années nonante[87] et est souvent présenté comme un des principaux facteurs de la révolution dans les affaires technico-militaires (URSS)[88] et dans les affaires militaires (USA)[89].

Mais toute articulation de la technologie à un projet politique, que ce dernier considère l’interne comme l’externe, ne peut se passer d’une conceptualisation de la technologie et de sa propre dynamique. Malgré la volonté des généticiens de recoupler au stratégique la dynamique technologique, ce dernier secteur conceptuel est relativement ignoré dans leurs écrits. Ce que l’on peut considérer comme une faute d’un point de vue académique et qui constitue la résultante d’une focalisation trop importante sur la direction stratégique du technologique se répare cependant sans guère de tensions entre les concepts dans la mesure où la réflexion sur la dynamique technologique se situe à un niveau épistémologique plus élevé que celui de stratégies génétiques plus centrées sur la pratique que sur la conceptualisation technologique.

[1] Salmon, P., Histoire et critique, Editions de l’U.L.B., Bruxelles, 1987.

[2] Christophe Prazuck a réalisé une étude sur un sujet longtemps détrôné par l’espace géographique. Du point de vue génétique, Prazuck prends notamment pour exemple les différentiels temporels nécessaires à la constitution des flottes. Concernant l’usage du temps lors d’opérations militaires, Prazuck cite la diversion que Nimitz met en place dans le Pacifique et qui lui permettra de reprendre l’avantage. Prazuck, C., « L’attente et le rythme. Modeste essai de chronostratégie », Stratégique, n°68, 1997/4. Par ailleurs, Possony, Pournelle et Kane lient ainsi directement la valeur utilitaire et/ou révolutionnaire d’un système au moment auquel il est mis en service Possony, S.T.; Pournelle, J.E.; Kane, F.X., The strategy of technology, Electronic Edition, 1997, http://www.webwrights.com.

[3] Laïdi, Z.(Dir.), Le temps mondial, Coll. « Faire sens », Editions Complexe, Bruxelles, 1997. L’auteur cherche à établir les enchaînements événementiels issus de la conjonction de la fin de la guerre froide et du processus de mondialisation, et non pas des trajectoires événementielles différenciées qui seraient chacunes issues de ces deux points focaux. Derrière un tel projet se cache la poursuite de la lutte entre Ricœur et Braudel défendant une histoire basée respectivement sur le temps court et le temps long mais aussi et peut être surtout un plaidoyer pour une sociologie historique du politique pluridisciplinaire. Laïdi, Z., « Le temps mondial » in Smouts, M-C. (Dir.), Les nouvelles relations internationales. Pratiques et théories, Coll. « Références inédites », Presses de Science Po, Paris, 1998.

[4] Bien que l’on ne puisse pas réellement les envisager comme tels : ils ne définissent pas exclusivement leur objet d’étude comme relevant uniquement de facteurs matériels. Toutefois, ils le font par défaut : de Gaulle, Fuller ou Liddell Hart se montrent des avocats acharnés de l’introduction massive du char de bataille en tant qu’instrument central de la rupture stratégique. De même, en se focalisant sur l’aviation de combat – et plus particulièrement sur le bombardement stratégique, Douhet met incontestablement en avant son projet de croiseur aérien.

[5] La généralisation des stratégies aériennes ainsi que le développement des capacités d’attaques stand-off, ont largement contribuées à la minimisation des contraintes géographiques. Elles ressurgissent toutefois dans la conduite de certaines stratégies spécifiques : guerre urbaine, guérilla et contre-guérilla, combat en montagne. La permanence de la géographie se retrouve encore dans des ouvrages récemment publiés et traitant de stratégie classique : Desportes, V., Comprendre la guerre, Coll. « Stratèges et stratégies », Economica, Paris, 2000.

[6] Une très prolifique littérature sur le sujet est actuellement disponible, principalement en provenance des Etats-Unis. On peut citer les travaux suivants : Rattray, G., Strategic warfare in cyberspace, The MIT Press, Cambridge (MA)/London, 2001 (pour l’histoire du concept et plusieurs typologies), Fogelman, R. R., « Information warfare and detterence. Fundamentals of information warfare : an airman’s view » in Wheatley, G. F. and Hayes, R. E., Information warfare and detterence, National Defense University Press, Washington, 1996 (une vue sceptique sur aspects stratégiques des opérations informatiques avec une intéressante comparaison avec la possession du système de décodage ULTRA par les Alliés durant la Seconde Guerre mondiale), Plehn, M. T., Control warfare : inside the OODA loop, Thesis presented to the faculty of the school of advanced airpower studies for completion of graduation requirements, Air University, Maxwell Air Force Base, 2000 (pour les aspects opérationnels et le lien entre cyberguerre et opérations psychologiques). Les Européens, à l’instar de Forget, Polycarpe ou Castels ne conçoivent pas encore réellement les applications et implications militaires de la théorie des réseaux, pour s’en tenir essentiellement aux aspects philosophiques et sociologiques.

[7] Suivant laquelle « La puissance d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses nodes ». Murawiec, L., La guerre au XXIème siècle, Editions Odile Jacob, Paris, 2000 p.108.

[8] Dans sa leçon inaugurale de 1887, Emile Durkheim déclarera ainsi « que nous n’avons parlé ni de l’armée ni de la diplomatie qui sont pourtant des phénomènes sociaux et dont il doit être possible de faire une science (mais qui) n’existe pas encore, même à l’état embryonnaire ». Il s’en expliquera encore en 1903 en assurant que « les guerres, les traités, les intrigues de cours ou des assemblées, les actes des hommes d’Etat sont des combinaisons qui ne sont jamais semblables à elles-mêmes ; on ne peut donc que les raconter et, à tort ou à raison, elles semblent ne procéder d’aucune loi définie », (Durkheim, E., « La science sociale et l’action », PUF, Paris, 1970, p. 103) même si ce sera pour ajouter qu’« en tous cas (…), si ces lois existent, elles sont des plus difficiles à découvrir ». Favre, P., Naissances de la science politique en France, 1871-1914, Fayard, Paris, 1989, p. 129.

[9] Si les auteurs classiques de la stratégie, tels que Clausewitz, Guibert, Jomini, Montecuccoli, sont quelque peu étudiés dans les écoles militaires dès le 19ème siècle, il n’existe pas encore de systématisation de ces études, en bonne partie du fait que les principes de la stratégie tels que nous les connaissons aujourd’hui sont alors éparts. Par ailleurs, les auteurs étrangers à l’Europe sont méconnus et les cours donnés ne remettent pas en question à l’aune des auteurs étudiés les stratégies que les Etats développent. Foch enseigne ainsi à l’Ecole de Guerre de Paris des conceptions d’offensive à outrance qu’il mûrira encore pour devoir se plier sur le terrain à la vision défensive de Clausewitz. Chaliand, G. et Blin, A., s.v. « Foch, Ferdinand, 1851-1929 », Dictionnaire de stratégie militaire, op cit. et Porch, D., « The french army and the spirit of the offensive », in Bond, B., Roy, I, (Eds.), War and society, Croom Helm, London, 1976, cité par Freedman, L (Ed.), War, Coll. “Oxford Readers”, Oxford University Press, Oxford/New-York, 1994.

[10] Il est ainsi cité par Hervé Coutau-Bégarie : « Faites la guerre offensive comme Alexandre, Hannibal, César, Gustave-Adolphe, Turrenne, le Prince Eurgène et Frédéric ; lisez, relisez l’histoire de leurs quatre-vingt trois campagnes, modelez-vous sur eux ; c’est le seul moyen de devenir grand capitaine, et de surprendre les secrets de l’art ». Coutau-Bégarie, H., op cit., p. 254.

[11] Qui appuie toute sa théorie de la maîtrise de la mer sur l’étude sous l’angle naval de l’Europe. Mahan n’est pas complètement considéré comme un historien. Elick, E. B., « Mahan – the influence of a historian and history », The Military Review, April 1972, cité par Wasinski, C., Clausewitz et le discours stratégique américain des années septante à nos jours, mémoire présenté en vue de l’obtention du titre de licencié en sciences politiques, ULB, Bruxelles, 1999.

[12] Qui feront de l’histoire militaire une responsabilité de l’état-major allemand. Craig, Gordon A., « Delbrück : l’historien militaire » in Mead Earle, E., Les maîtres de la stratégie, vol 1, Coll. « Stratégies », Bibliothèque Berger-Levrault, Paris, 1980.

[13] Ce sera le cas de Liddell Hart, puis des stratégistes travaillant sur la question nucléaire puis celle de la RMA.

[14] Coutau-Bégarie, Hervé, Traité de stratégie, op cit., p. 254. Plusieurs critiques éclairés dénonceront l’ethnocentrisme latent des études stratégiques. Booth K., Strategy and Ethnocentrism, Croom Helm, London, 1979.

[15] Et son Histoire de la guerre du Péloponnèse.

[16] Qui compte sept volumes, dont les quatre premiers lui reviennent. Delbrück, H. (Et alii.), History of the art of war within the framework of political history, (7 vols.), Greenwood Press, Westport (Co.), 1975 – 1985.

[17] Craig, G. A., op cit., p. 300.

[18] Pour lui, le véritable tournant de la stratégie a été la bataille de Cannes.

[19] Comme Clausewitz, Delbrück envisage un système de bataille unipolaire (bataille décisive et anéantissement de l’adversaire) et un autre multipolaire (manœuvre puis bataille). Chaliand, G. et Blin, A., s.v. « Delbrück, Hans (1848-1929) », Dictionnaire de stratégie militaire, op cit.

[20] Chaliand, G. et Blin, A., s.v. « Histoire militaire », Dictionnaire de stratégie militaire, op cit.

[21] Speier, H., « Ludendorff : la conception allemande de la guerre totale » in Mead Earle, E., op cit .

[22] Particulièrement dans Keegan, J., A history of warfare, Alfred A. Knopf, New-York, 1994.

[23] Howard, M., The causes of war and others essays, Harvard University Press, Cambidge (Ma.), 1984 et Howard, M. and Guilmartin, J., F., Two historians in technology and war, US Army Strategic Studies Institute, Carlisle Barracks, 1994.

[24] M. Howard travaille ainsi sur Clausewitz, mais aussi sur « les dimensions oubliées de la stratégie » : Howard M.E., « The forgotten dimensions of strategy », Foreign Affairs, Summer 1979.

[25] Nous pouvons notamment citer Engels, Lénine, Trotski ainsi que Jean Jaurès et ce, avant même le début du 20ème siècle. Toutefois, il y lieu de se questionner sur l’apport stratégique de L’organisation sociale de la France : l’armée nouvelle, (1910), qui propose sur un mode essentiellement prescriptif et ayant une forte charge idéologique, la défense du modèle français de la levée en masse. Faivre, M., Les nations armées. De la guerre des peuples à la guerre des étoiles, Economica/Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, 1988 et Faivre, M., « La pensée militaire de Jaurès », Stratégique, n°24, 1985/1. Avocat de profession, Corbett peut être considéré comme le seul civil au sens strict du terme à avoir travaillé sur les questions stratégiques. Sa méthode, entre histoire et déduction, lui a notamment permis d’offrir une alternative plus théoriquement construite que la stratégie de maîtrise de la mer de Mahan.

[26] Alors qu’il utilisait pourtant la méthode historique. Colin, J., Les transformations de la guerre, Economica, Paris, 1988 et Chaliand, G., s.v. « Jean Colin (1864-1917), Anthologie mondiale de la stratégie. Des origines au nucléaire, op cit.

[27] Colin se fait alors presque stratège aérien, et ses vues sont d’une étonnante clarté alors que l’actuelle rhétorique stratégique est dominée par la recherche à tout prix de la supériorité informationnelle. Colin déclare ainsi que « si l’étendue du terrain occupé par les armées, ainsi que l’efficacité des feux d’infanterie, s’opposent à peu près complètement à l’exploration par la cavalerie, les ballons dirigeables et les aéroplanes la remplaceront demain, et fourniront peut-être plus de renseignements qu’elle n’a jamais pu en procurer ». Chaliand, G., s.v. « Jean Colin (1864-1917), Anthologie mondiale de la stratégie. Des origines au nucléaire, op cit., p. 1096.

[28] Chaliand, G., s.v. « Jean Colin (1864-1917), Anthologie mondiale de la stratégie. Des origines au nucléaire, op cit., p. 1097. Colin est ainsi considéré comme un des auteurs ayant directement influencé la doctrine française de l’offensive à outrance, au même titre que Foch. Bond, B., The pursuit of victory. From Napoleon to Saddam Hussein, Oxford University Press, Oxford, 1996. Brodie le citera ainsi dans Strategy in the missile age. Brodie B., Strategy in the Missile Age, Princeton University Press, 1959.

[29] Entre-autres sur la nécessité de se réapproprier la route – moins exigeante que le rail et permettant une manœuvre que les réseaux ferrés ne permettent pas – en utilisant intensivement l’automobile.

[30] L’emploi de l’aviation et des blindés – et les modifications sur les structures militaires qu’ils engendreraient – et, au-delà, la question de la prééminence de la défensive (la ligne Maginot) contre l’offensive (les chars).

[31] Bien qu’il se soit essentiellement attelé à retravailler les principes de la guerre déjà existants en fonction des nouveaux développements technologiques, selon Freedman, L., The revolution in strategic affairs, Adelphi Papers, International Institute for Strategic Studies, n°318, 1999. Penseur de la stratégie indirecte contre Clausewitz et chaud partisan de la manœuvre, il finira par être accusé des désastres de la campagne de 1940. Sa pensée ne peux toutefois se limiter à ces seuls traits et trouve une très bonne synthèse dans Liddell Hart, B. H. (présentation du général L. Poirier), Stratégie, Perrin, Paris, 1998

[32] Fuller démontre une obsession technologique telle que Coutau-Bégarie le considérera comme un des chefs de file de l’école matérielle, que nous verrons infra. Fuller, J.F.C., L’influence de l’armement sur l’histoire, Payot, Paris, 1948.

[33] L’avènement de la force mécanique a aussi été transmis aux généraux Gamelin, Weygand et Georges. Encel, F., L’art de la guerre par l’exemple. Stratèges et batailles, Flammarion, Paris, 2000.

[34] Wyly M.D., « J.F.C. Fuller: Soldier and historian », Marine Corps Gazette, December 1984 et Jessup J.E. & Coakley R.W., A guide to the study of military history, C.M.H., U.S. Army, 1979.

[35] Reid B.H., « J.F.C. Fuller and B.H. Liddell Hart : a comparaison », Military Review, May 1990. Durant les années suivant le Vietnam et où l’armée américaine aura a conceptualiser sa nouvelle doctrine, les « réformateurs » prendront notamment exemple sur Fuller (mais aussi sur Liddell Hart) pour trouver les clés de l’innovation militaire. Starry D.A., « To change an army », Military Review, March 1983. Don Starry a été la cheville ouvrière des FM-100.5 de 1976 et de 1982 et a directement participé à la conceptualisation de la doctrine AirLand Battle.

[36] Dès le début des années vingt, des généraux comme Svetchin ou Toukhatchevski « s’affrontent » sur la valeur défensive ou offensive de l’Armée Rouge. Dès la fin de la décennie, l’offensive semble l’emporter et Frounze ouvre en 1931 une Académie d’Art opératif, devant former les cadres de l’armée soviétique aux opérations dans la profondeur, que Triandafilov définit comme « l’utilisation des nouveaux moyens de combat (dans des) attaques simultanées contre l’adversaire dans toute la profondeur de son dispositif tactique ». La filiation avec les conceptions françaises et allemandes devient nette lorsque le général russe cite les « possibilités d’emploi simultané de plusieurs échelons de chars et d’infanterie avec un soutien d’artillerie et d’aviation (…) Cette frappe puissante aura donné à l’attaque rapidité et impétuosité ». Romer, J-C., La pensée stratégique russe au XXème siècle, Coll. « Hautes Etudes Stratégiques », Economica/ISC, Paris, 1997. Pour la contextualisation idéologique et historique, Paris, H., Stratégie soviétique et chute du Pacte de Varsovie. La clé de l’avenir, Publications de la Sorbonne, Paris, 1995.

[37] C’est surtout le cas pour le premier, dont l’apport essentiel est d’exploiter les avantages du char par un accompagnement mécanisé de l’infanterie et de l’artillerie, ainsi que par l’apport de l’aviation en Close Air Support (CAS – appui aérien rapproché). Guderian, H., Souvenirs d’un soldat, Plon, Paris, 1961 ; Chaliand, G. et Blin, A., s.v. « Guderian, Heinz (1888-1954) », Dictionnaire de stratégie militaire, op cit. Rommel (Maréchal), La guerre sans haine, Le Livre Contemporain, Paris, 1960.

[38] Pour de nombreux auteurs – essentiellement américains – cette période a été celle de la gestation du Blitzkrieg, considéré comme une révolution militaire. Par analogie, ils essaient de comprendre dès les années septante les ressorts et les déterminants de l’innovation militaire et essaient de tirer des leçons applicables à la future doctrine AirlLand Battle, puis à la RMA. Posen, B. R. The sources of military doctrine : France, Britain and Germany between the world wars, Cornell University Press, Ithaca, 1984 ; Mearsheimer, J. J., Conventionnal deterrence, Cornell University Press, Ithaca/London, 1983 ; Rosen, S. P., Winning the next war. Innovation and the modern military, Cornell University Press, Ithaca, 1991.

[39] Custance, R., Navavl policy. A plea for the study of war, Blackwood, London, 1907, cité par Coutau-Bégarie, H., op cit.

[40] Qui permettra ensuite l’approvisionnement électrique des navires. La remarque est importante à deux titres pour les « navalistes » : l’électricité permet la conservation des aliments et des croisières plus longues d’une part et elle ouvre la voie aux transmissions radio et à l’utilisation de l’électronique d’autre part.

[41] Qui permettent non seulement une rentabilisation hydrodynamique des navires, mais aussi leurs diversifications. L’émergence du sous-marin, du cuirassé et de toutes les variations de croiseurs rends le métal indispensable. Custance a ainsi été témoin de l’apparition des premiers Dreadnoughts.

[42] Bien que d’abord retiré du service par la Royal Navy, le canon chargé par la culasse est finalement adopté. Il permet des cadences de tir plus rapides et pourra être servi depuis des tourelles blindées protégeant ses servants. Surtout, l’apparition de la torpille (et de ses contre-mesures) nécessite une diversification des types d’unités (torpilleurs et contre-torpilleurs).

[43] Les exemples abondent : la marine américaine adoptera la propulsion à vapeur avant la britannique ; inventée par le Suédois Ericcson et le Britannique Pettit Smith, l’hélice marine n’est pas retenue par la Royal Navy (qui n’avait guère plus de sympathie pour les roues à aubes des premiers navires mûs par la vapeur) mais l’est par la marine américaine. C’est aussi aux Etats-Unis que seront utilisées les premières torpilles (une charge montée à l’avant d’un navire se rapprochant de son adversaire et mise à feu par un cordon) ou les premières tourelles (sur le Merrimack). Martin, J.H. & Bennett, G., Le monde fascinant des bateaux, Gründ, Paris, 1977.

[44] Coutau-Bégarie, H., « Réflexions sur l’école française de stratégie navale » in Coutau-Bégarie, H. (Dir.), L’évolution de la pensée navale, Dossier n°41, Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, Paris, 1990.

[45] C’est en tentant de rallier Vladivostok le plus rapidement possible depuis Port Arthur – afin d’économiser le peu de charbon qu’il leurs restaient – que Rodjestvensky et sa flotte rencontrent l’amiral Togo dans le détroit de Tsushima, en 1905. On peut arguer de l’excellence des choix technologiques japonais : construit en Grande-Bretagne, le navire amiral de Togo, le Mikasa, n’avait rien à envier aux dreadnoughts que l’on trouvait en Europe. Martin, J.H. & Bennett, G., op cit.

[46] La Jeune école de l’Amiral Aube, défendra un programme de construction de torpilleurs permettant la saturation des défenses des cuirassés de l’Ancienne école. La Jeune école inaugurait ainsi un retour de la guerre de course face à une certaine orthodoxie mahanienne défendant des bâtiments de ligne aptes à la maîtrise des mers. La question s’est renouvelée en 1967, lorsque le destroyer israélien Eilath sera détruit par des vedettes égyptiennes dotées de missiles Styx. Les Israéliens retiendront la leçon et infligeront une défaite cuisante aux Egyptiens lors de la bataille navale de Damiette, les 8-9 octobre 1973. Razoux, P., La guerre israélo-arabe d’octobre 1973, Coll. « Les grandes batailles », Economica, Paris, 1999. Tous deux adeptes de la haute mer, les Américains et les Italiens tenteront aussi de pousser leurs « jeune école » en développant les hydroptères lance-missiles Pegasus et Sparviero au début des années quatre-vingt, mais sans véritable succès.

[47] A la suite d’une problématique bien actuelle : celle de l’information. Durant les manœuvres de 1891, des torpilleurs sont ainsi envoyés chasser les grands navires de ligne, mais ils ne sont pas parvenus à trouver leurs cibles. Cet épisode rappelle étrangement l’exercice Touted Gleem (1990). Durant la préparation de Desert Storm, plusieurs F-15, F-16 et A-10 devaient trouver et détruire une cible mobile fictive, en préfiguration de la « chasse au Scud » de Desert Storm. Bien qu’appuyés par des AWACS et des E-8 Joint Stars (radar aéroporté de détection des mouvements au sol), les appareils ne trouveront jamais leur cible. Story, W. C., Third world traps and pitfalls : ballistic missiles, cruise missiles and landbased air power, SAAS, Maxwell Air Force Base, Alabama, june 1994.

[48] La guerre sous-marine est rapidement étudiée, son utilisation par l’Allemagne durant les deux Guerres Mondiale visant un objectif stratégique : la rupture des lignes logistiques alliées. La lutte anti sous-marine est un des premiers champs d’étude des think tanks américains (programme ASWORG). Meyer, J-P., op cit.

[49] Le porte-avions, conceptualisé dans les années trente, a joué un rôle central dans les opérations dans le Pacifique. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, il est toujours considéré comme la pierre d’angle de toute stratégie de projection de force. La France et le Brésil lui portent une considération moindre, mais principalement en raison de son coût. La Chine, la Thaïlande, l’Inde, l’Italie, l’Espagne et l’Union Soviétique (en son temps) développent leurs capacités dans l’optique de leur projection géomaritime, alors que seule l’Australie les a abandonné.

[50] Le missile antinavires (ASM – Anti Ship Missile) est devenu la norme en matière de combat naval dès les années soixante pour l’URSS et dès les années septante pour les Etats-Unis.

[51] Actuellement et à l’exception des porte-avions et porte-aéronefs, les marines européennes ne disposent pas de bâtiments de classe supérieure au destroyer. Pratiquement, les conceptions émergentes mettent en évidence des navires semi-automatiques et semi-submersibles servant principalement de silos de lancements de missiles anti-navires et de croisière de frappe terrestre ou encore des petits bâtiments automatiques affectés au déminage. Polycarpe, G., « Les essaims du XXIème siècle », Science & Vie Hors Série, Aviation 1997, n°199, juin 1997.

[52] A quelques exceptions près. Les cuirassés US de la classe Iowa participeront à toutes les campagnes américaines majeures, à l’exception de l’Afghanistan. Par ailleurs, l’URSS poursuivra après la Seconde Guerre la construction des croiseurs lourds de la classe Sverdlov. Certains ont vu dans les croiseurs nucléaires de la classe Kirov la renaissance du navire de ligne. Pigeard, A., « Les croiseurs de la classe Kirov », Armées & Défense, n°4, Avril 1990.

[53] Grouard, S., La guerre en orbite. Essai de politique et de stratégie spatiale, Coll. « Bibliothèque stratégique », Economica, Paris, 1994.

[54] Hallion, R.P., « Doctrine, technology and air warfare. A late 20th Century perspective », Aerospace Power Journal, Spring 1987.

[55] Elles s’appuieraient sur des règles stratégiques qui les transcenderaient. Luttwak, E. D., Le paradoxe de la stratégie, op cit.

[56] Bien qu’Airpower renvoie plus spécifiquement aux acceptions que donnent les Américains à la stratégie aérienne (en référence au Sea Power). Douhet semble devoir beaucoup à la pensée navale américaine : Il dominio de’ll aria fait écho à la théorie de la maîtrise des mers de Mahan.

[57] On considère que Victory through Airpower reste le principal ouvrage de Seversky. Si plusieurs auteurs reconnaissent que Seversky comme Mitchell n’ont apporté guère plus que Douhet, force est aussi de constater que la portée des ouvrages des deux Américains est moindre que celle de l’Italien. Ce dernier cherche à généraliser sa pensée, alors que Mitchell et Seversky tâcheront surtout de l’appliquer à la défense des Etats-Unis.

[58] Il y a en cela un rapport a priori fort avec l’interprétation clausewitzienne de l’anéantissement. Toutefois, seul Mitchell fait (une fois) référence au penseur prussien. Pratiquement toutefois, certains aux Etats-Unis ont tenté de conceptualiser un mixte entre les deux pensées, entraînant de nombreuses critiques, dont la plus récurrente est que la puissance aérienne seule ne peut pas gagner une guerre ni « tenir » le terrain. Wasinski, C., op cit. et Smith D.O. (with Barker J.), « Air power indivisible », Air University Quarterly Review, Fall 1950.

[59] Coutau-Bégarie, H., Traité de stratégie, op cit. Ce n’est toutefois pas l’avis des responsables de l’Air University américaine. Plus de 1500 travaux (dont la qualité académique est parfois très relative) sur tous les aspects de la stratégie aérienne – et y compris historiques – se retrouvent en ligne sur le site http://www.au.af.mil. Par ailleurs, on relève des éléments théoriques assez importants chez Mitchell – sans pour autant qu’il atteigne la densité théorique de ses contemporains dans les domaines terrestres ou navals. Chaliand, G., s.v. « William Mitchell (1879-1936) », Anthologie mondiale de la stratégie. Des origines au nucléaire, op cit.

[60] Comme la nécessité ou non d’armes aériennes indépendantes, au même titre que les armées de terre et les marines ; la prééminence de la défensive contre l’offensive ; la nécessité ou non du bombardement stratégique (et si oui, des cibles civiles plutôt que des cibles militaires) ; la prééminence du bombardier sur les missiles ; l’utilité réelle d’un appui-feu rapproché dédaigné par les « puristes » de l’Airpower ; la différenciation fonctionnelle des types d’appareils (appareils polyvalents Vs. appareils spécialisés) ou encore, l’utilisation de l’aviation dans le combat urbain.

[61] Coutau-Bégarie, H., Traité de stratégie, op cit., p. 567.

[62] Offensive Counter Air. Ce type d’opération aérienne, systématique depuis la Seconde Guerre mondiale – vise à neutraliser les bases aériennes adverses. Elle est complétée – surtout depuis la guerre du Vietnam – par les missions SEAD (Suppression of Ennemy Air Defenses). Möller, B., s.v. « OCA », Dictionnary of alternative defense, op cit. et NATO, AAP-6V – NATO glossary of terms and definition, NATO, Brussels, 1998.

[63] Facon P., Le bombardement stratégique, Coll. « L’Art de la Guerre », Editions du Rocher, Paris, 1995.

[64] Dès 1914, les Alliés comme les Allemands ont utilisés leurs appareils pour le largage de tracts invitant l’adversaire à se rendre. Mais les opérations psychologiques (PSYOPS dans la terminologie OTAN) ont dépassé un seuil stratégique lorsque l’US Air Force (USAF) a déployé des EC-130E Commando Solo au sein du 193ème Groupement des Opérations Spéciales. Disposant d’équipements de retransmissions TV et radio, ils ont notamment été déployés au Kosovo avant (propagande anti-Milosevic visant les Serbes) et après le conflit (émissions sur les missions des forces de l’OTAN, le rétablissement des relations entre les communautés serbes et kosovares, les risques des mines). De Barba, P., « L’US Special Operations Command – l’organisation des forces spéciales américaines », Raids, n°93, février 1994 et de Barba, P., « Le point sur les forces spéciales américaines », Raids, n°162, novembre 1999.

[65] Pratiquement, d’autres réflexions aériennes se sont développées dans le même temps. On pense notamment à Alexandre Ader qui a rapidement vu les applications militaires de l’aviation.

[66] B. Brodie comme L. Poirier met clairement en évidence le lien existant entre « douhettisme » et stratégie nucléaire, tout au moins dans sa phase spasmodique. Poirier, L., Des stratégies nucléaires, 2ème édition, Complexe, Bruxelles, 1988.

[67] Sur ce point, Pape, R., Bombing to win, Airpower and coercion in war, Cornell University Press, Ithaca/London, 1996, Gates, D., « Air power and the theory and practice of coercion », Defense Analysis, Vol. 13, n°3, 1997, deux points focaux de la théorie de la coercition. Pour une approche sur l’application des théories de la paralysie stratégique à la coercition : Fadok, D.S., John Boyd and John Warden. Air power’s quest for strategic paralysis, Air University, Maxwell Air Force Base, 1994. La guerre du Kosovo et les opérations de l’OTAN en Bosnie en 1995 sont souvent vues comme des climax dans l’application à la coercition de la stratégie aérienne. Sur ce point, Wicht, B., L’OTAN attaque ! La nouvelle donne stratégique, Georg, Genève 1999 ; Bucknam, M. A., Lethal airpower and intervention, Air University, Maxwell Air Force Base, 1996 et Herr, E. W., Operation Vigilant Warrior : conventionnal deterrence theory, doctrine and practice, SAAS, Maxwell Air Force Base, Alabama, 1996.

[68] Bru, A., Histoire de la guerre à travers de l’armement, www.stratisc.org/act/bru/ act_bru_hisguerre_tdm/html.

[69] Voir par exemple Bru, A., « Guerre et technique – l’intervention de la technique dans la guerre » in Chaliand, G. et Blin, A., Dictionnaire de stratégie militaire, op cit. ; (sous son pseudonyme) Margeride, J-B., « L’arme à effets de radiations renforcés (1ère partie)», Stratégique, n°3, 1979 ; Margeride, J-B., « L’arme à effets de radiations renforcés (2ème partie) », Stratégique, n°4, 1979 ; Margeride, J-B., « L’arme à effets de radiations renforcés (3ème partie) », Stratégique, n°5, 1980 ; Margeride, J-B., « L’arme à effets de radiations renforcés (4ème partie) », Stratégique, n°6, 1980. Le même auteur a aussi traité de sujets aussi différents que l’évolution du rôle du fantassin ou l’utilisation des armes NBC dans les opérations terroristes.

[70] B. Buzan lui préfère la « dynamique des armements », qui reflète mieux le lien qu’elle entretient avec la dynamique technologique. Buzan, B., An introduction to strategic studies : technology and international relations, McMillan, London, 1987 et Buzan., B. et Herring, E., The arms dynamics and world politics, Lynne Rienner, Boulder (CO.), 1998.

[71] Brooks, H., « The military innovation system and the qualitative arms race », Daedalus, CIV, 1975, Evangelista, M., Innovation and the arms race : how the United States and Soviet Union develop new military technologies, Cornell University Press, Ithacan 1988.

[72] Barréa, J., L’utopie ou la guerre, Ciaco Editeurs, Louvain-La-Neuve, 1986, p. 257.

[73] Et cela contre l’avis d’un Colin Gray qui considérera que ce ne sont pas les armements en tant que tels qui sont problématiques, mais la décision de les employer.

[74] Ces travaux montrent notamment l’ampleur des courses aux armements régionales en Asie du Sud ou au Moyen-Orient. Rattinger, H., « From war to war : arms race in the Middle-East », International Studies Quarterly, XX, 1976, Krause, K., « The political economy of the international arms transfer system : the diffusion of military techniques via arms transfert », International Journal, Vol. 45, n°3, 1990 ; Ross, A.L., « Arms acquisition and national security : the irony of military strength », Azar, E.E. ans Chung-In, M., (Eds.), National security in the third world : the management of internal and external threats, Edward Elgar, Aldershot, 1988 and Catrina, C., Arms transfert and dependance, Taylor & Francis, New-York, 1988.

[75] Buzan, B., An introduction to strategic studies : technology and international relations, op cit. et David, C-P., La guerre et la paix. Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie, op cit.

[76] Beaufre, A., Introduction à la stratégie, Beaufre A., Introduction à la stratégie, Armand Colin, Paris, 1963.

[77] Possony, S. T.; Pournelle, J. E. ; Kane, F. X., op cit.

[78] Plusieurs auteurs y avaient vu le déploiement d’une politique de rivalité et de prestige, utilisant les instruments conceptuels classiques de la stratégie, comme la concentration des efforts, la surprise ou l’initiative.

[79] Même si les interactions entre les sphères industrielles et politiques peuvent ponctuellement expliquer une prise de décision, comme dans le cas du Rafale. Mais une explication largement basée sur une méthodologie économique ne rend que peu compte du contexte politique et stratégique dans lequel ont été prises et légitimées les décisions. Sarazin, J., « Rafale : l’histoire d’une décision », Science & Vie Hors Série, Aviation 1997, n°199, juin 1997. Le champs de la stratégie industrielle s’est toutefois élargi ces trente dernières années de l’étude des coopérations internationales et industrielles entre les fournisseurs de la défense, particulièrement en Europe. Bellais, R., Production d’armes et puissance des nations, Coll. « Economie et innovation », L’Harmattan, Paris, 1999.

[80] C’est aussi la position de F. Géré dans le Dictionnaire de stratégie de Klein et de Montbrial Francart, L., Maîtriser la violence, une option stratégique, Coll. « Bibliothèque stratégique », Economica, Paris, 1999.

[81] Une question de la structuration sur laquelle nous reviendrons dans le point V. du présent mémoire.

[82] Que l’on retrouve notamment chez Ross, A. L., « The dynamics of military technology » in Dewitt, D., Haglund, D. and Kirton, J., Building a new global order. Emerging trends in international security, Oxford University Press, Toronto, 1993. L’auteur examine successivement les concepts de technologie, de technologie militaire, d’évolution, de révolution et de diffusion des armements conventionnels et de destruction massive.

[83] Mis en évidence par Liddell Hart, le concept de Grand strategy ne semble pouvoir être appliqué que durant une guerre totale (c’est d’ailleurs le sens de la stratégie totale de Beaufre). Fortmann et Gongora considèrent cependant que le concept, appliqué par Gray ou Luttwak, en vient à équivaloir à celui de politique de sécurité nationale, tout en démontrant l’ambition de buts positifs comme l’expansion. Fortmann, M. et Gongora, T., « La pensée militaire classique » in David, C-P. (et collaborateurs), Les études stratégiques. Approches et concepts, op cit.

[84] Alors que la stratégie totale doit pour Beaufre « définir la mission propre et la combinaison des diverses stratégies générales, politique, économique, diplomatie et militaire » (Beaufre, A., op cit., p. 24-25), Poirier lui oppose une stratégie intégrale devant prendre plus largement en compte le temps de paix affecté par le nucléaire et combinant « les résultats des trois stratégies économique, culturelle et militaire…dans une unité de pensée qui combine et leurs buts et leurs voies-et-moyens ». Poirier L., Stratégie théorique II, Economica, Paris, 1987, p. 114.

[85] Comme les politiques étrangère et de défense, la géopolitique et la géostratégie, les conflits de basse intensité ou encore le terrorisme. Sur cette question et la nécessité d’élargissement des études stratégiques au apports du paradigme pluraliste, nous vous renvoyons à l’introduction.

[86] Collet, A., Armements et conflits contemporains de 1945 à nos jours, Armand Colin, Paris, 1993.

[87] Au travers notamment des rééditions électroniques de l’ouvrage de Possony et Pournelle, introuvable en librairie.

[88] Malleret, T. et Delaporte, M., L’armée rouge face à la perestroïka, coll. « questions au XXe siècle », Complexe, Bruxelles, 1991, Paris, H., op cit et Romer, J-C., op cit.

[89] David, C-P, La guerre et la paix. Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie, op cit., Murawiec, L., op cit.

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Introduction

Approcher un objet pour en discerner les ressorts, c’est d’abord le nommer. Que l’on appelle cet objet « stratégie génétique » (comme ce sera le cas dans ce mémoire)[1], ou plus largement « stratégie des moyens » (Poirier), « préparation logistique du combat », « stratégie technologique » voire erronément « stratégie logistique » [2], les connotations auquel il est fait appel lors de son évocation constituent plus un magma d’images ressorties en vrac de la stratégothèque de Poirier[3] qu’une véritable tentative d’objectivation. L’on y croise pêle-mêle des moments historiques aussi hétéroclites que la lutte entre les premiers canons et les dernières fortifications, la décision de produire le char et le bombardier, Teller travaillant à la bombe H, les réflexions d’Owens sur le « système des systèmes » ou les trop maigres faveurs accordées à la recherche fondamentale.

Ce que l’on définit comme l’« orientation stratégique de la base scientifique et technologique »[4] – une expression commode mais parfois trop limitée à notre sens[5] – est en réalité plus pratiqué que théorisé. Et largement critiqué par des stratégistes préférant les dimensions doctrinales ou opérationnelles de la défense plus que celles de sa préparation[6], pourtant considérées comme essentielles. De ce point de vue, le manque de conceptualisation de la conduite de la dynamique technologique, un objet pourtant pratiqué par le politique comme par le stratège et l’industriel, prends une ampleur excessive à l’aune de la dépendance de nos sociétés comme de nos armées à la technologie. Ce seul fait pose en soi des questions d’autant plus prégnantes que le chronocentrage de la technique ne se soumet pas au politique[7], et que la capacité d’action de ce dernier sur l’environnement qui le légitime se voit questionnée[8]. Aussi la stratégie génétique constitue en soi un objet délictueux des points de vue méthodologiques comme stratégiques. De par les connotations qu’elle appelle, elle nécessite une palette d’instruments allant de l’histoire militaire à la sociologie, de l’économie à la philosophie, de la science politique à celle de l’ingénieur.

1) Relations internationales, paradigmes dominants et sécurité militaire

Face à cette interdisciplinarité[9] dans les approches intellectuelles possibles, l’étude d’un objet de nature stratégique – visant l’atteinte de buts politiquement définis[10] – est selon nous nécessairement politique, et ce bien que le primat du politique sur le militaire n’a pas toujours été considéré comme acquis[11].

La rapidité historique de la liaison entre guerre et politique – interne comme externe[12] – que les premiers stratégistes et politologues effectuent est patente. De César franchissant le Rubicon au Regis Ultima Ratio de Louis XIV (pour les praticiens) ; et de l’Art de la Guerre de Sun Tze à celui de Machiavel (pour les théoriciens), la guerre – et pour ce qui concerne ce mémoire, sa préparation – est en soi liée au pouvoir[13], le politique et le militaire s’interpénétrant ensuite de plus en plus systématiquement[14]. Plus près de nous, les relations internationales en tant que discipline sont directement issues d’une première guerre mondiale qui a engendré une volonté idéaliste de comprendre les mécanismes de la violence interétatique et de son évitement. La Seconde Guerre a quant à elle donné naissance à des études stratégiques – en tant qu’objet appréhendé par la politologie[15] – voulant sortir de ce qui est interprété comme une trop naïve volonté d’évitement de la guerre afin de tenter d’appréhender les fondements de sa conduite. Intégrées dans le courant réaliste de l’étude des relations internationales[16], les études stratégiques doivent aussi un certain nombre de contributions au pluralisme et au structuralisme, les deux autres paradigmes dominants depuis le début des années septante[17]. John Chipman critiquera ainsi un réalisme inadapté à une nouvelle donne stratégique nécessitant l’intégration de concepts issus du pluralisme ou du structuralisme[18]. Edward Kolodziej, David Baldwin et Keith Krause répondent en écho et vont dans le sens d’un élargissement des études stratégiques à des questions non-militaires[19], mais participent plutôt d’une « école sécuritaire ». Renvoyant à une phénoménologie de l’esprit hégélienne où la vérité procède du tout, cette vision appelle cependant la critique d’un risque de noyade de l’objet d’étude dans le tout de son environnement, ce qui ne serait que d’une bien piètre utilité au chercheur[20]. De la sorte, C-P. David en conclut que « les stratèges et les « sécuritaires » sont en situation de divorce »[21] en raison de rationalités conceptuelles différentes[22]. Pratiquement toutefois, le débat académique semble dépassé par plusieurs réalités stratégiques, américaines, européennes et russes notamment[23], alors que la tentative très techno-centrée des Toffler continue d’avoir un impact très net sur les académiques et opérationnels américains qui ont à conceptualiser la Révolution dans les Affaires Militaires (RAM)[24]. Fondamentalement toutefois, les points de divergence entre ces paradigmes n’oblitèrent que quelques uns des nombreux emprunts conceptuels inter-théoriques et si les fonctions que les paradigmes peuvent attacher à la notion de puissance peuvent varier, les connotations qui y sont attribuées ne varient que peu. Les débats académiques sur les modèles méthodologiques apportés par les trois paradigmes dominants pourraient limiter leur utilité à une « épistémologisation » des recherches menées dans le domaines des relations internationales. En réalité, chaque paradigme propose une grande variété de positions quant au rapports existants entre la technologie, l’Etat et ses forces armées[25]. En faisant le choix d’une interdisciplinarité emmenée par la science politique, la donnée ne peut être négligée.

2) Questionnements et enjeux

Car l’étude d’un sujet tel que le nôtre s’établit sur différents niveaux d’une action située entre éthique de la responsabilité et de la conviction et ne ressortissant pas nécessairement d’une très webérienne Zweckrationnalität accordant les buts recherchés aux moyens. Dans le développement des stratégies génétiques, qui envisagent la conception d’armements et leur charge politique, la décision interne se soumet à la possibilité d’un externe envisagé comme conflictuel, alors qu’inversement, l’expérience et l’observation[26] de l’externe rétroagit sur l’interne. Il existe ainsi des flux dynamiques enracinés dans un réseau épistémique renvoyant à des dynamiques propres de la technologie et de la stratégie et qui se diffusent ensuite jusque dans les domaines culturels et perceptifs de l’action.

Ces boucles de rétroaction s’établissent en permanence pour se combiner à des instruments et des méthodes – politologiques, stratégiques, sociologiques, économiques – existantes mais qui laissent craindre au moins deux écueils. Le premier – somme-toute classique en sciences politiques – est celui d’un ethno-centrisme établissant des hiérarchies dans les conceptualisations technologiques. Le second écueil est plus insidieux, du fait qu’il induirait au sein même de la catégorisation de la stratégie génétique un positionnement dans le rapport existant entre le stratège (ou le politique) et la technologie, qui dépasse largement la question souvent entendue de la primauté de l’humain ou du technologique sur le stratégique ou le politique. Ce questionnement confine au piège scientifique : tous les auteurs que notre lecture a interrogé sont clairs sur la nécessité d’une primauté de l’idéel sur le matériel. Les variations entre les visions ne proviennent que du degré d’intensité à donner à l’instrument technologique face à l’humain d’une part et au degré de pluri- ou de multidisciplinarité et à leurs points d’ancrages adoptés dans l’analyse de l’antagonisme entre matériel et idéel d’autre part. H. Coutau-Bégarie offre ainsi une position raisonnable, mais non médiane, suivant laquelle « c’est une erreur de croire que le matériel est l’antithèse de l’idée. Au contraire, plus l’investissement matériel est grand, plus l’investissement intellectuel doit suivre »[27]. Cette clôture abrupte d’un débat que nous qualifierons de « primautaire » ne le vide pas pour autant de sa substance, ni des enjeux d’une catégorisation stratégique du génétique, plus profonds :

– au niveau épistémologique, et aux confins des études stratégiques et de la science politique : quels sont les déterminants politiques du formatage des arsenaux ? Entre culture stratégique et menaces, les budgets sont-ils les seuls juges ? Quelle est l’influence du politique et du stratégique dans ce qui représente une partie de leur réalisation concrète (les armements) ? ;

– au niveau international de l’intégration à long terme des politiques de défense, notamment communes et impliquant un nombre d’acteurs de plus en plus importants, en dehors même des contractants mais sans nier leur influence sur les processus de définition et d’acquisition. Existe-t-il une probabilité d’unifier les différentes cultures nationales quant à un type d’équipement ? ;

– au niveau opérationnel de la détermination des intentions adverses. Il existe dans les schémas analytiques tant réalistes que pluralistes et idéalistes des positionnements bien spécifiques quant aux types d’armements à adopter et aux postures politico-militaires qui y sont liés ;

– au niveau tactique de l’utilisation d’un système d’armes donné pour une mission précise. L’impact tactique de la technologie – tant sur les combats que sur la psychologie du combattant est loin d’être négligeable : parviendra-t-il à altérer certains invariants stratégiques, comme les facteurs moraux ?

3) Méthodologie

Nous ne répondrons pas à toutes ces questions, mais elles peuvent se retrouver à des degrés divers dans l’interrogation que nous posions dans le dossier de présentation de ce mémoire et qui restera centrale : « les théories génétiques ne sont-elles qu’une des composantes de la stratégie des moyens, ou sont-elles transversales aux différents niveaux de la stratégie ? » Trop souvent prescriptifs ou descriptifs, les essais de théorisation génétique contiennent néanmoins des bribes de réponses qu’il nous appartiendra de nécessairement agencer en fonction de niveaux stratégiques qui ont eux-mêmes connus une évolution par l’entremise technologique.

C’est ainsi que le premier chapitre abordera l’histoire de la conceptualisation génétique. Le second présentera quatre de ses sphères d’influence qui constituent aussi ses racines méthodologiques et l’environnement de son action. Le troisième chapitre sera consacré aux facteurs d’influence de la stratégie génétique et en particulier son environnement perceptif et culturel. Enfin, le dernier chapitre, axé sur des principes stratégiques très présents dans la vision des « généticiens » tentera de donner une structure plus idéelle que réelle à un « OVNI stratégique » dont nous pressentons l’importance grandissante dans nos politiques de défense en testant sa validité stratégique face à quelques principes stratégiques.

4) Le contre-exemple du A-12 Avenger II

Plus particulièrement dans les deux derniers chapitres, là où la pensée se fait plus particulièrement action, nous utiliserons pour l’illustration de notre propos un contre-exemple, le cas du A-12 Avenger II. Désigné en tant qu’Advanced Tactical Aircraft (ATA), l’appareil se présentait comme une aile volante de forme parfaitement triangulaire, dont les premières études remontaient à 1988. L’adoption d’un design particulier[28] autant que de matériaux absorbant les ondes radars (RAM – Radar Absorbent Material) devaient aboutir à une diminution globale de la Surface Equivalent Radar (SER) et à un haut degré de furtivité. L’Avenger II[29] devait être mis en service au sein de l’US Navy (USN – 600 appareils), de l’US Marines Corps (USMC – 238) et de l’US Air Force (USAF – 400) dès le milieu des années nonante, afin de remplacer les A-6 et les F-111 en tant qu’appareils d’attaque à long rayon d’action (interdicteurs) [30]. En particulier, l’A-12 devait permettre à l’US Navy de disposer de son mini-bombardier, une « capacité d’attaque médiane » acquise dans les années cinquante[31] et devant lui permette de mener un rôle de premier plan dans la stratégie nucléaire américaine.

Mené par les firmes General Dynamics et McDonnell Douglas très discrètement et en dehors d’une large couverture médiatique ou politique[32], ce programme impliquait la livraison de 1238 appareils à un coût unitaire alors estimé à 100 millions de dollars, de sorte que son annulation, le 7 janvier 1991, a été la plus conséquente que le Pentagone ait jamais annoncée[33]. Débouchant sur une procédure judiciaire toujours en cours[34], l’annulation se justifiait selon le Secrétaire à la Défense Richard Cheney par les retards et l’augmentation des coûts du programme, les forces concernées ne faisant aucun commentaire officiel sur la question. A priori, l’A-12 était pourtant d’une importance stratégique : l’attaque aérienne d’objectifs terrestres stratégiques est une des principales composante de la stratégie aérienne américaine et le « bon sens » des théories culturelles et déterministes aurait voulu qu’il ne soit pas annulé – si ce n’est pour son coût prohibitif dans un contexte où l’on allait bientôt parler de dividendes de la paix. Les théories culturelles comme déterministes ne sont pas pour autant à rejeter : elles expliquent partiellement de nombreuses décisions et participent de la compréhension d’un système décisionnel complexe. En particulier, elles permettent de comprendre la configuration particulière de l’appareil et de la resituer dans le contexte plus général du développement technologique des forces américaines. Si les raisons de son autorisation initiale puis de son annulation dépassent selon nous les aspects strictement financiers, ils incluent aussi la fin de la guerre froide et la modification des rapports de force entre les Etats-Unis et ce qui était encore l’URSS, des changements dans la stratégie de l’US Navy ainsi qu’une certaine forme de réajustement de la culture stratégique américaine.

Le concept de programme d’armement en tant qu’output d’une politique de défense y prends une dimension finalement peu explorée et riche d’enseignements pour la stratégie en tant que concept théorique autant que pour la compréhension des intentions d’un Etat. Il s’agit ainsi de découvrir la complexité d’une dimension souvent oubliée de la stratégie, et au travers de l’exemple de l’A-12, nous allons tenter de démontrer l’architecture de la stratégie génétique et de sa capacité d’influence de toutes les sphères de la stratégie, au-delà du simplisme du débat primautaire.

[1] Bien que ce terme soit à la fois contesté et contestable –, mais nous espérons de la sorte rendre hommage au général Beaufre, qui en a mis en évidence un certain nombre de principes, essentiellement dans son Introduction à la stratégie..

[2] La « stratégie logistique » renvoie à l’avant-45 et ressort actuellement du niveau tactique de l’approvisionnement des unités d’une part et d’une gestion stratégique de la logistique des forces d’autre part. Nous y reviendrons.

[3] Définie comme la somme de toutes les connaissances stratégiques acquises, mais aussi de tous les supports de cette connaissance, la stratégothèque « doit être interprétée et peut dévoiler un sens à travers les multiples variétés stratégiques qu’elle recense. Cette somme montre le déploiement progressif, mais irrégulier, d’une pensée de l’agir de mieux en mieux intériorisée et réfléchie par les praticiens et les théoriciens. Poirier, L., Les voix de la stratégie, généalogie de la stratégie militaire – Guibert, Jomini, Fayard, Paris, 1985, p. 35.

[4] Nous nous abstiendrons de terminer la définition de F. Géré par « d’un Etat ». L’acquisition de technologies étrangères est une constante génétique pour la plupart des Etats, un point sur lequel nous reviendrons. Géré, F., s.v., « Stratégie des moyens », in de Montbrial, T. et Klein, J., Dictionnaire de stratégie, Presses Universitaires de France, Paris, 2000, p. 550.

[5] Si elle met en évidence le lien entre ladite stratégie et les mondes politiques et militaires, elle n’assure pas un « service après-vente » pourtant utile à sa compréhension. Le choix d’un matériel plutôt que d’un autre aux plans tactiques et opérationnels ressort pourtant directement des contraintes et performances desdits matériels. C’est une question qui a engendré peu de débats, mais que nous développerons plus avant dans la troisième chapitre de ce mémoire.

[6] L’exemple le plus illustre est – comme de nombreux référents stratégiques – clausewitzien. Vivant à une époque ou le facteur technologique est encore minime dans l’art de la guerre (à l’exception du canon et de la question de la cadence de tir des armes individuelle), le Prussien considère comme secondaires les opérations logistiques.

[7] S’il a fallut 18 mois pour développer et mettre en service le P-51, généralement considéré comme le meilleur chasseur allié de la Seconde Guerre mondiale, il faudra plus de vingt ans pour que ce soit le cas avec le Rafale français. Si cet exemple ressort plus de la stratégie industrielle que de la génétique à proprement parler, il démontre toutefois la centralité de la perception dans le formatage doctrinal de systèmes d’armes et l’importance d’une politique qui ne dispose actuellement que de quelques instruments et méthodes éparts.

[8] Il s’agit là de toute la problématique de l’émergence ou non d’une gouvernance globale capable.

[9] Elle recouvre alors une réalité où « (…) La recherche s’opère à partir du champs théorique d’une des disciplines en présence, qui développe des problématiques et des hypothèses qui recoupent partiellement celles qu’élabore, de son côté, l’autre discipline. Il s’agit cette fois d’une articulation des savoirs, qui entraîne, par approche successives, comme dans un dialogue, des réorganisations partielles des champs théoriques en présence ». Ost, F. et Van de Kerchove, M., « De la scène au balcon. D’où vient la science du droit ? » in Chazel et Commaille (Dir.), Normes juridiques et régulation sociale, LGDJ-Droit et Société, Paris, 1991, p. 77, cité par Vennesson, P., « Science politique et histoire militaire : comment (mieux) pratiquer l’interdisciplinarité ? » in Henninger, L., Histoire militaire et sciences humaines, Coll. « Interventions », Complexe/Centre d’Etudes d’Histoire de la Défense, Bruxelles/Vincennes, 1999, p. 164. Il y a lieu de distinguer de l’interdisciplinarité :

– la pluridisciplinarité ne vise pas l’articulation des savoirs de chaque discipline en particulier pour s’en limiter à une juxtaposition des savoirs qui ne « videra » aucune problématique ;

– la transdisciplinarité qui vise à l’élaboration d’un savoir autonome.

[10] La définition de la stratégie pourrait en soi constituer une science (ou un art – le débat est aussi vieux que l’objet). Cette « stratégique » qui reste à définir doit cependant beaucoup aux définitions minimalistes que les classiques ont assez rapidement introduit, et qui pourraient se résumer part « l’art (la science) d’atteindre des buts politiquement définis ».

[11] Au temps des guerres totales, Ludendorff déclarait ainsi, après avoir demandé que toutes les décisions politiques soient prises par le chef militaire suprême : « j’entends déjà les hommes politiques s’irriter d’une telle opinion, de même que l’idée générale que la politique doit servir la conduite de la guerre les irritera, comme si Clausewitz n’avait pas montré que la guerre n’est que la poursuite de la politique par d’autres moyens. Que les politiciens s’irritent et qu’ils considèrent mes opinions comme celles d’un « militariste » invétéré, celà ne change rien aux exigences de la réalité, imposant précisément ce que je demande pour conduire la guerre et par conséquent pour préserver la vie des gens ». Speier, H., « Ludendorff : la conception allemande de la guerre totale » in Mead Earle, E., Les maîtres de la stratégie, vol 1, Coll. « Stratégies », Bibliothèque Berger-Levrault, Paris, 1980, p. 32.

[12] Dans un monde théorique sur lequel plane l’ombre du pluralisme, l’« inter-national » conserve-t-il un sens ?

[13] Nous ne nous hasarderons pas à écrire « à la politique ». Armelle Le Bras-Chopard démontre sans guère d’ambiguïtés que la guerre est aussi affaire de pouvoir religieux et économique. Armelle Le Bras-Chopard, La guerre. Théories et idéologies, Coll. « Clefs politiques », Montchrestien, Paris, 1994.

[14] Et ce suivant trois vagues, pour ce qui concerne la période postérieure à la Révolution française (qui constitue en soi une idéologisation des opérations) : d’abord sous l’effet de l’émergence des guerres totales ; ensuite avec la stratégie nucléaire et enfin avec les années nonante. Si les deux premières vagues ne prêtent guère à polémique, la troisième serait à relier à l’émergence des opérations humanitaires et celle, concomitante, du paradigme pluraliste. Sur ces questions : De Weerd, H. A., « Churchill, Lloyd Georges, Clémenceau : l’émergence des civils » in Mead Earle, E. (Dir.), Les maîtres de la stratégie. Vol. II. De la fin du XIX siècle à Hitler, Coll. « Stratégies », Bibliothèque Berger-Levrault, Paris, 1982 ; Bracken, P., The command and control of nuclear forces, Yale University Press, New-Haven – London, 1983 et Hables Gray, C., Postmodern war. The new politics of conflict, Routledge, London, 1997. Ces trois vagues de l’implication des civils dans la stratégie ont connu leurs antithèses académiques et pratiques. Pour la première, l’attitude de Luddendorf considérant comme une nécessité de pousser à fond la militarisation de la société ; pour la seconde, mais en demi-teinte, les doctrines contre-forces développées (par des civils) dans les Etats-Unis des années septante et pour la troisième, tout autant en demi-teinte, les théoriciens de l’art opérationnel comme Luttwak, qui se focalisent parfois à outrance sur les facteurs militaires.

[15] Bien que cela puisse être interprété comme un argument d’autorité, John Gaddis, historien de la guerre froide, notait ainsi que « (…) le travail le plus intéressant en histoire comparée, au moins lorsqu’il est lié aux enjeux contemporains de la paix et de la sécurité, est effectué de nos jours par des politistes ». Gaddis, J.L., « Expanding the data base. Historians, political scientists and the enrichment of security studies », International Security, 12/1, Summer 1987, cité par Vennesson, P., op cit., p. 152.

[16] Un rattachement rarement discuté. Sur cette question : David, C-P. (et collaborateurs) Les études stratégiques : approches et concepts, Centre Québecquois des Relations Internationales/Méridien/Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, Québec/Paris, 1989 pour les réalistes et Bull H., « Strategic studies and its critics », World Politics, July 1968, pour les pluralistes ; J. Galtung reconnaît quant à lui la focalisation sur la stratégie militaire des réalistes, alors que le concept de sécurité semble tout aussi proche des conceptions pluralistes et structuralistes.

[17] Light M., Groom A.J.R., International relations – A handbook of current theory, France Pinter Pub., London, 1985.

[18] Chipman J., « The future of strategic studies », Survival, Spring 1992.

[19] Kolodziej, E.A., « What is security and security studies ? Lessons from the cold war », Arms Control, n°13/1, April 1992; Baldwin, D.A.,« Security studies and the end of the cold war », World Politics, n°48, October 1995; Krause, K. and Williams, M.C., « Broadening the agenda of security studies : politics and methods », Mershon International Studies Review, n°40, 1996.

[20] C’est notamment la position de Pascal Vennesson pour qui l’inclusion des « enjeux économiques, (de) la pauvreté, (des) épidémies, (de) la pollution ou (des) trafics de drogues (…)dans le champs (des études stratégiques) ne ferait que ruiner sa cohérence intellectuelle, dissoudre les concepts qui y sont mis en œuvre, sans apporter de solution aux questions qu’il a privilégié jusqu’alors ». Vennesson, P., « Science politique et histoire militaire : comment (mieux) pratiquer l’interdisciplinarité ? », op cit., p. 159.

[21] David, C-P., La paix et la guerre. Conceptions de la sécurité et de la stratégie, Presses de Sciences Po, Paris, 2000, p. 21.

[22] Au-delà de leurs manques de nuances, les trois paradigmes dominants de la théorie des relations internationales permettent de profiler des chercheurs travaillant sur les conflits dans chaque courant. A.J.R. Groom distingue ainsi des « stratégistes – réalistes », des « conflict researcher – pluralistes » et des « peace researcher – structuralistes ». Groom, A.J.R., « Paradigms in conflict : the strategist, the conflict researcher and the peace researcher », Review of International Studies, n°14, 1988.

[23] Impliquant entre-autres des instruments militaires propres au réalisme, les Américains, les Français, les Russes et les Britanniques ont développé avec plus ou moins de succès des stratégies de lutte anti-drogue ou de sécurité informationnelle, qui étaient essentiellement défendues par les tenants du pluralisme. Pour un aperçu bien peu académique mais riche en données mettant en évidence les réponses militaires aux problématiques sécuritaires pluralistes, Cécile, J-J., Du Golfe au Kosovo. Renseignement, action spéciale et nouvel ordre mondial, Lavauzelle, Paris, 2000.

[24] La vision généralement qualifiée de constructiviste des Toffler se rattache plus à une démarche de nature futuro-journalistique que véritablement académique. Toutefois, on ne peut nier la réalité et la solidité de l’articulation de leur argumentaire, ni son impact sur de nombreuses études américaines, y compris celles de bonne qualité académique. Ils fondent leur pensée sur la succession de trois vagues, respectivement basées sur les techniques agraires, industrielles et électroniques qui entraîneraient chacune un formatage politique idoine des Etats qui seraient engagés dans ces vagues. Ils reconnaissent la coexistence au niveau mondial de ces trois vagues dans un temps donné du fait du différentiel de développement (militaire ou autre) existant entre les Etats. Toffler A., La 3ème Vague, Denoël, Paris, 1980, Toffler A., Les nouveaux pouvoirs, Fayard, Paris, 1991 et Toffler A. & H., Guerre et contre-guerre, Fayard, Paris, 1994.

[25] Les paradigmes en viennent alors à se croiser pour en aboutir à un savoir cumulatif quant à un objet donné. Lavoy, Sagan et Wirtz en viennent ainsi à catégoriser leur objet d’étude (les stratégies de destruction massives des proliférateurs) sous les angles reproduisant la trilogie réalisme/pluralisme/structuralisme par un triptyque réalisme/culturalisme (dans le sens sécuritaire plus que stratégique/schémas organisationnels. Lavoy, P. R., Sagan, S.C., Wirtz, J.J., Planning the unthinkable. How new powers will use nuclear, biological and chemical weapons, Cornell University Press, Ithaca/London, 2000.

[26] C’est partiellement en observant la guerre du Golfe que les Chinois, les Indiens et les Russes conceptualisent l’évolution doctrinale et matérielle de leurs forces armées. Sur cette question : Felker, Edward J., Oz revisited : russian military doctrinal reform in light of their analysis of Desert Storm, Thesis presented to the faculty of advanced airpower studies for completion of graduation requirement, Air university, Maxwel Air Force Base, 1994 et INSS (Ed.), Chinese views of future warfare, http://www.inss.org, 1990. Le phénomène est tout aussi classique tant aux niveaux opératique (la prise en compte tardive par les Américains de l’expérience française en Algérie et en Indochine) que tactique (les SBS britanniques puis l’ONU débauchant Giovanni Buttazzoni, père des nageurs de combat italiens au terme de la Seconde Guerre mondiale). Benoît, A. et Panzarasa, C., « Giovanni Buttazzoni, commandant des nageurs parachutistes italiens », Raids, n°110, juillet 1995.

[27] Souligné par son auteur. Coutau-Bégarie, H., Traité de stratégie, Coll. « Bibliothèque stratégique », Economica/ISC, Paris, 1999, p. 249.

[28] Qui vise en fait à renvoyer les faisceaux radars adverses dans une direction opposée à celle de leur émission, de telle sorte que l’appareil ne soit pas détecté. Il existe globalement trois formes de designs furtifs :

– du fait du manque de puissance des calculateurs de l’époque (fin des années septante), la solution adoptée sur le F-117 envisageait des surfaces planes ;

– vers le milieu des années quatre-vingt, les ingénieurs ont conçus des appareils plus ronds, limitant le nombre d’arrêtes coupantes. Ces recherches ont donné lieu au B-2 et à l’A-12. A ce moment, ils recherchaient toujours le plus grand degré possible de furtivité ;

– dans les années 90, tous les appareils conçus devaient recevoir une capacité furtive affectant moins que par le passé le design des appareils et donc leurs comportements aérodynamiques. C’est le cas d’avions tels que le F-22 ou le F-35.

[29] L’annexe I vous présente ses quelques caractéristiques connues.

[30] Un interdicteur étant définit comme un appareil spécialisé dans les missions de pénétration profonde du territoire et devant mener des missions sur des cibles de forte valeur stratégique et de contre-offensive aérienne (OCA – l’attaque des bases aériennes adverses). Suivant le type, il peut être affecté à des missions secondaires (reconnaissance et supériorité aérienne). A l’heure actuelle, seuls peuvent rentrer dans cette catégorie les F-15E (USA, Israël, Arabie Saoudite), les F-111 (Australie), les Tornado IDS (Grande-Bretagne, Arabie Saoudite, Allemagne, Italie), les Mirage 2000D et N (France), le Su-24 Fencer (Russie, Syrie, Irak, Iran, Algérie, Lybie), le Su-30 (Inde, Chine) et les Su-32 et Su-34 (Russie – prototypes).

[31] L’A-3 Skywarrior devait être le pendant naval du B-47 de l’USAF. Plus tard, l’aéronavale américaine se plaisait à démontrer que la charge utile de l’A-6 équivalait à la moitié de celle d’un B-52.

[32] A cet égard, plusieurs publications mensuelles de référence comme Jane’s, Defense Analysis, Air Forces Monthly ou, pour la Belgique, le défunt Carnets de Vol, permettent d’assurer une couverture de l’évolution d’un type d’équipement particulier et des transactions commerciales qui lui sont attachées. A un niveau supérieur, les annuaires tels que celui du SIPRI ou de l’IFRI français permettent de voir une évolution annuelle. Toutefois, dans le cas de l’A-12, la couverture médiatique et académique a largement été entravée par le secret instauré autour de l’utilisation de technologies furtives. Ces dernières n’ont été évoquées que tardivement – soit vers 1988-1989 dans la presse spécialisée, alors que les premières photos officielles d’un appareil furtif – en l’occurrence celles de F-117 ayant participé à l’opération Just Cause – n’ont été publiées que fin 1989.

[33] Pike, J., « A-12 Avenger II », http://www.fas.org/man/dod-101/sys/ac/a-12.htm, 2 May 1998.

[34] US Secretary of Justice, « McDonnell Douglas and General Dynamics v. United States. Opinion and order », n°91-1204c, 20 February 1998 ; US Departement of Defense, « Defense Department appeals court decision on A-12 case », http://www.defenselink.mil/news/Feb1998/b02201998_bt077-98.htm, 20 February 1998.

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